Droit de la famille — 191850

2019 QCCA 1484

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-025933-169

(540-12-018826-131)

 

DATE :

 11 septembre 2019

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

JACQUES DUFRESNE, J.C.A.

NICHOLAS KASIRER, J.C.A.

 

 

A... D...

APPELANT - demandeur

c.

 

G... M...

INTIMÉE - défenderesse

 

et

PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC

MISE EN CAUSE - mise en cause

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           La Cour est saisie de l’appel d’un jugement de la Cour supérieure, district de Laval (l’honorable Christiane Alary), qui, en date du 2 février 2016, statue ainsi sur les demandes de l’appelant :

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[105]    REJETTE la conclusion d'invalidité constitutionnelle des articles 118 et 366 du Code civil du Québec;

[106]    REJETTE les demandes de réparation demandées;

[107]    REJETTE la demande de dommages moraux ou de remboursement des honoraires extrajudiciaires;

[108]    LE TOUT, avec frais de justice.

[2]           Pour les motifs de la juge Bich, auxquels souscrivent les juges Dufresne et Kasirer, LA COUR :

[3]           ACCUEILLE la requête pour permission d’appeler de bene esse et ACCORDE la permission d’appeler;

[4]           REJETTE l’appel, avec frais de justice en faveur de l’intimée et de la mise en cause.

 

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 

 

 

 

 

JACQUES DUFRESNE, J.C.A.

 

 

 

 

 

NICHOLAS KASIRER, J.C.A.

 

Me Marie-Laurence Brunet

Me Véronique Cyr

Brunet & Associés

Pour l’appelant

 

Me Pascale Lafortune

LAFORTUNE, AVOCATS

Précédemment

Me Maryse Bélanger

Me Valérie Couture-Perron

MARYSE BÉLANGER, AVOCATE INC.

Pour l’intimée

 

Me Jean-Yves Bernard

Me Amélie Pelletier-Desrosiers

Me Stéphanie Neveu

Ministère de la justice (DGAJLAJ)

Pour la mise en cause

 

Date d’audience :

2 novembre 2017



 

 

MOTIFS DE LA JUGE BICH

 

 

[5]           Le rattachement de conséquences civiles au mariage célébré par un ministre du culte habilité à ce faire aux termes de l’article 366 C.c.Q. attente-t-il à la liberté de religion des époux, enfreignant ainsi les articles 2, al. a) de la Charte canadienne des droits et libertés[1] et 3 de la Charte des droits et libertés de la personne[2] du Québec? Par ailleurs, un tel rattachement emporte-t-il un traitement discriminatoire desdits époux, contraire aux articles 15 de la Charte canadienne et 10 de la Charte québécoise?

I.          Contexte général

[6]           Rappelons d’abord le contexte dans lequel s’inscrivent ces questions, contexte que le jugement de première instance[3] résume ainsi :

[27]      Monsieur est né dans une famille catholique devenue baptiste, après son immigration au Canada. Dans sa jeunesse, Monsieur assistait aux offices religieux de manière assidue, tout comme sa famille.

[28]      Aujourd’hui, Monsieur fréquente l’église à raison de trois à cinq fois par année. Il dit prier quotidiennement quelques minutes le matin au réveil. Madame affirme plutôt avoir vu très rarement Monsieur assister à des offices religieux pendant leurs 11 ans de vie commune, sauf dans un contexte où Monsieur accompagnait des membres de sa famille. Elle ne nie pas cependant qu’il ait tenu à se marier.

[29]      Monsieur et Madame se rencontrent pendant leurs études à l’université. Ils sont comptables de profession. Monsieur demande officiellement Madame en mariage en 1999. Ils ne font pas vie commune avant le mariage.

[30]      De son côté, Madame ne tient pas à se marier religieusement, mais n’y voit pas d’objection.

[31]      Bien que Monsieur soit de religion baptiste, les parties se marient le 25 août 2001, selon le rite catholique. Ce choix est fait par Madame, principalement pour des raisons qu’elle qualifie « d’esthétiques », puisqu’elle trouve l’église de son village plus jolie que les églises baptistes qu’elle connaît. Monsieur est d’accord, les fidèles des deux religions partageant la foi dans le même Dieu.

[32]      Monsieur déclare qu’il aurait voulu se marier uniquement religieusement. Selon lui, ce n’était pas possible. La preuve ne démontre pas s’il a fait des vérifications à cet égard à l’époque.

[33]      Les parties ne font pas précéder leur union d’un contrat de mariage. Ils adoptent donc, par défaut, le régime de la société d’acquêts.

[34]      Avant le mariage, les parties discutent de la manière dont leurs affaires financières seront gérées. Monsieur est d’avis que les conséquences financières imposées aux époux par le mariage sont irrationnelles, notamment parce qu’elles ne tiennent pas compte de l’apport financier de chacun des conjoints. Les parties conviennent que les dépenses seront partagées moitié-moitié, leurs revenus étant, initialement, assez semblables.

[35]      Madame donne naissance à une fille, X, le […] 2004. Elle s’absente du travail pour un congé de maternité. Monsieur lui verse un certain montant pour compenser son manque à gagner.

[36]      Pour les années qui suivent, la version des parties diffère quant aux arrangements financiers du couple. Cela n’apparaît pas pertinent quant aux questions que le Tribunal est appelé à trancher pour l’instant.

[7]           Vu l’importance que la chose a prise dans le cadre du présent débat, précisons que le célébrant du mariage des parties a transmis au directeur de l’état civil la déclaration requise par les art. 118 et 375 C.c.Q.

[8]           Les parties cessent par ailleurs de faire vie commune en 2010 (selon l’appelant) ou en 2012 (selon l’intimée). C’est l’appelant qui entreprend les procédures de divorce dont il sera maintenant question, en novembre 2013.

II.         Procédures de première instance

[9]           Les pages qui suivent examineront avec un certain degré de détail les prétentions de l’appelant, qui se sont transformées en cours d’instance. L’on verra ainsi comment une action en divorce initialement assez classique se mue en un débat constitutionnel qui connaîtra lui-même diverses péripéties.

[10]        Dans la demande initiale qu’il dépose auprès de la Cour supérieure le 22 novembre 2013, l’appelant, outre le divorce, réclame notamment le partage du patrimoine familial ainsi que, spécifiquement, le partage des gains inscrits au nom de chaque partie auprès de la Régie des rentes du Québec, de même que le partage de la société d’acquêts. En juin 2014, il modifie sa demande afin de réclamer cette fois le partage inégal du patrimoine familial « en ce qu’il demande que l’épouse lui rembourse à même sa part du patrimoine familial une somme de 7 200.00 $ que l’époux lui avait versée pendant son congé de maternité afin de compenser sa baisse de salaire, l’épouse ayant été ainsi en partie compensée des aléas de l’inéquité (sic) des revenus des parties durant cette période du mariage »[4]. Il réclame également que l’intimée, en tant qu’usagère exclusive de la résidence familiale d’octobre 2012 à avril 2013, lui verse une indemnité.

[11]        L’appelant modifie de nouveau sa demande introductive d’instance en décembre 2014 et, pour la première fois, il y allègue ce qui suit[5] :

e)  L’époux demande qu’il n’y ait pas de partage du patrimoine familial compte tenu que : Le législateur viole son droit à l’article 2a, de la charte canadienne des droits et libertés, en utilisant sa pratique religieuse(obtention du sacrement du mariage) pour lui imposer des conséquences juridiques en inférant, et cela de façon irréfragable, de ses intentions (intentions qui n’étaient pas l`union économique, qui seront démontrées lors de l’audience), en réduisant la finalité du mariage à une seule dimension, celle d’union économique, sans considérer l’institution sociale et religieuse qu’elle représente et les autres aspirations possibles à celui-ci? De plus, dans ce cas ici présent, cette limitation de sa liberté de religion ne saurait s’expliquer/se justifier dans une société libre et démocratique. C’est d’autant plus grave que le législateur n’a mis aucun mécanisme afin de pouvoir y déroger, dans le cas de mariages religieux.

[…][6]

[12]        L’appelant demande en conséquence au tribunal de :

A)   DÉCLARER la loi sur le partage du patrimoine familial inconstitutionnel, dans le cadre de mariages religieux, donc par conséquent ses effets juridiques.

B)  DÉCLARER, si nécessaire, que la déclaration d’incompatibilité des articles du Code civil du Québec reliés soient suspendus pour une durée de trente (30) jours afin de permettre à l’Assemblée nationale de spécifiquement d’exclure le mariage religieux dans chaque article afin de rendre la législation conforme aux exigences du paragraphe 2a de la Charte canadienne des droits et libertés.

ORDONNER le partage du patrimoine familial et que ledit partage soit établi à la date de cessation de vie commune des parties, soit au 1 er janvier 2010; dans la mesure ou la loi sur le patrimoine familial soit validé par la cour dans le cadre de mariages religieux.

[…]

LE TOUT, AVEC DÉPENS, y compris les frais d’experts et les honoraires extrajudiciaires de la/le procureur(e) assignée au dossier ainsi que le demandeur.

[13]        Cette demande introductive d’instance remodifiée, qui met la procureure générale du Québec en cause, comporte diverses réclamations subsidiaires, pour le cas où le tribunal validerait les dispositions législatives afférentes au patrimoine familial (partage inégal de celui-ci, partage et liquidation de la société d’acquêts, remboursement de sommes que l’appelant aurait versées à l’intimée au cours du mariage ou de dépenses qu’il aurait défrayées seul et autres).

[14]        En septembre 2015, avant que la juge de première instance entende l’affaire, l’appelant produit au dossier de la Cour supérieure un plan d’argumentation élaboré, de plus de 40 pages. Pour l’essentiel, il y réitère qu’en associant des conséquences juridiques au mariage religieux, sur le plan patrimonial, le Code civil du Québec entrave l’exercice de la liberté de religion des individus. À cela, il ajoute un nouveau moyen : non seulement le Code civil enfreint-il la liberté de religion, mais il instaure en outre un régime discriminatoire à l’endroit des croyants, qui sont privés de la faculté laissée aux non-croyants de choisir entre mariage et union de fait et de régler ainsi comme ils le veulent la dimension économique de leur conjugalité. Il réclame enfin, à titre de réparation, une déclaration d’inconstitutionnalité de la loi québécoise rattachant des effets juridiques au mariage célébré par un ministre du culte, demande qu’il assortit de diverses réclamations pécuniaires (remboursement des honoraires extrajudiciaires et autres frais accessoires, dédommagement pour le temps passé à la préparation de l’affaire, dommages-intérêts)[7]. Selon ce qu’on comprend, ces réclamations ne visent que la procureure générale du Québec, mise en cause.

[15]        Finalement, en novembre 2015, après une première journée d’audience devant la Cour supérieure (21 octobre 2015), une nouvelle demande introductive d’instance modifiée est produite au dossier de la Cour supérieure, sous le titre « Demande amendée en conclusions déclaratoires et subsidiairement en divorce ». Elle reformule en ces termes la théorie de la cause de l’appelant[8] :

14.       L'époux soumet respectueusement que le régime des articles 118 et 366 C.c.Q., tel que rédigé par le législateur et appliqué en conformité par les autorités judéo-chrétiennes, doit être déclaré inopérant vu son incompatibilité avec le droit à la liberté de religion ainsi que le droit à l'égalité protégés par les articles 2 (a) et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et 3 et 10 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne;

15.       Subsidiairement. advenant que le Tribunal conclue que le régime des articles 118 et 366 C.c.Q. tel que lu et interprété par les autorités judéo-chrétiennes ne correspond pas à l'intention et à la volonté du législateur, l'époux soumet que cette lecture et interprétation par les autorités judéo-chrétiennes contrevient de façon non négligeable ou non insignifiante à son droit à la liberté de religion ainsi qu'à son droit à l'égalité au sens des 2 (a) et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et des articles 3 et 10 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne;

16.       Considérant ce qui précède, l'époux demande au Tribunal de déclarer inconstitutionnels comme violant les paragraphes 2 (a) et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et 3 et 10 de la Charte des droits et libertés de la personne les articles 118 et 366 C.c.Q., sans être justifiés comme limite raisonnable dans une société libre et démocratique :

17.       L’époux demande que lui soit accordée une réparation comportant :

a.   Une interprétation large de ces dispositions de manière à permettre aux ministres du culte de célébrer des unions religieuses sans conséquences civiles, soit en ne transmettant pas automatiquement la déclaration de mariage au directeur de l’état civil;

b.   Subsidiairement, une déclaration d'invalidité avec une suspension dans le temps;

18.       Vu la violation du droit à la liberté de religion du demandeur, vu qu'il aurait été possible de remédier à la situation actuelle en priorisant une interprétation large des articles 118 et 366 C.c.Q., vu le défaut de l'État et des autorités judéo-chrétiennes de permettre, par choix exprès, aux croyants de ne pas déclarer la célébration de leur union, vu le modus vivendi des parties pendant l'union, vu l'absence de préjudice encouru par l’épouse suivant la rupture de l'union des parties et surtout vu que les parties ont adhéré limitativement au mariage pour des raisons religieuses et n'ont jamais été concernées par les effets du mariage civil, l'époux est bien fondé de demander que le mariage célébré le 25 août 2001 à Ville A soit déclaré inexistant et sans effet;

19.       Cette demande s’explique par l’inférence (sic) injustifiée de l’État du consentement des époux aux effets du mariage civil;

20.       En l’espèce, les parties ont librement consenti aux effets religieux d’un mariage religieux;

21.       Ce consentement libre et éclairé des parties au mariage, auquel sont imputées des conséquences civiles, n’est cependant pas obtenu en conformité avec le respect des droits protégés par la Charte;

22.       L’époux soumet respectueusement qu'une déclaration d'inexistence n'emporte ainsi aucun effet putatif au bénéfice de l'épouse considérant qu'il n'y a pas de contrat et partant, néant juridique quant à la situation conjugale des parties;

23.       L’époux souhaite préciser que c’est faute de meilleure expression ou concept juridique qu’il recourt à la notion d’inexistence, soumettant au passage que la qualification n’est qu’accessoire au débat puisque demandée dans le cadre d’une réparation sous l’article 24(1) de la Charte;

24.       L’époux demande donc qu’il soit ordonné au Directeur de l’état civil de retirer l’acte de mariage des parties;

25.       L’époux souhaite finalement obtenir réparation pour le temps consacré à la contestation de l’application de ce régime et demande ainsi que lui soient remboursés ses honoraires extrajudiciaires;

26.       En conséquence, l’époux demande que ses honoraires extrajudiciaires lui soient remboursés vu la violation de ses droits garantis par la Charte et que des dommages moraux à la discrétion du Tribunal, ou subsidiairement de 10 000,00 $, lui soient versés en compensation pour le stress et les inconvénients subis;

[16]        Les conclusions recherchées à cet égard sont formulées ainsi :

POUR CES MOTIFS, PLAISE AU TRIBUNAL :

DÉCLARER INCONSTITUTIONNELS comme violant les paragraphes 2(a) et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et 3 et 10 de la Charte des droits et libertés de la personne les articles 118 et 366 C.c.Q., sans être justifiés comme limite raisonnable dans une société libre et démocratique;

ACCORDER les réparations suivantes :

a.   Une interprétation large de ces dispositions de manière à permettre aux ministres du culte de célébrer des unions religieuses sans conséquences civiles, soit en ne transmettant pas automatiquement la déclaration de mariage au directeur de l’état civil;

b.   Subsidiairement, une déclaration d'invalidité avec une suspension dans le temps;

DÉCLARER inexistant et sans effet le mariage célébré le 25 août 2001 à Ville A;

ORDONNER au Directeur de l'état civil de retirer l'acte de mariage des parties;

ORDONNER que des dommages moraux soient versés à l'époux, à être établis de façon discrétionnaire par le Tribunal, ou subsidiairement, au montant de 10 000,00$;

[…]

LE TOUT, avec dépens, incluant les honoraires extrajudiciaires contre le mis-en-cause.

[17]        Le second plan d’argumentation déposé par l’appelant auprès de la Cour supérieure, en date du 11 novembre 2015, précise en ces termes les vices constitutionnels qui affligeraient les art. 118 et 366 C.c.Q. :

37.       Avant d’entrer dans l’analyse des différentes thèses, il est important de s’attarder aux différentes conceptions du mariage;

38.       Le mariage relève historiquement, d'abord et avant tout, de l’institution religieuse;

39.       Tel que démontré par les pièces 16 à 19, le mariage constitue un des sept (7) sacrements obligatoires du croyant;

40.       Afin d'être valide aux yeux de l'Église, le mariage doit être célébré par un prêtre ou, communément référé dans le Code civil du Québec, un ministre du culte;

41.       Une fois célébré selon les préceptes établis par le droit canonique, le mariage prend alors valeur de sacrement et emporte droits et obligations pour le croyant;

42.       Par opposition, le mariage dit civil, bien qu’inspiré en partie des fondements du droit canonique, emporte des effets juridiques pour le couple qui prend alors forme d'une coentreprise, rejetant ainsi la vocation première de cette célébration;

43.       Tel que le rappelait le professeur Alain Roy dans son article Affaire Éric c. Lola - une fin aux allures de commencements (2013) 1 Cours de perfectionnement du Notariat 294-296, le mariage peut constituer une union socioéconomique tout comme il peut n’être qu’une institution religieuse :

              […]

L’État peut-il légitimement définir le mariage en termes d’association économique? Peut-il valablement imposer cette conception de l’union matrimoniale à tous ceux et celles qui convolent en justes noces? Certes, si on invoque l’affaire Lola et qu’on s'appuie sur les arguments du libre choix qui ont finalement triomphé devant la Cour suprême, on pourra fort bien justifier cette définition et le régime impératif qui en résulte en se réclamant du facteur « consentement ». Personne n’est contraint de se marier; ceux qui consentent au mariage consentent donc à ses effets juridiques.

          Mais un postulat de la sorte ne revient-il pas à réduire le mariage à ses seules dimensions juridiques au mépris de ses autres finalités? Le mariage, est-il utile de le rappeler, est aussi une institution sociale et religieuse. Or, si des conjoints y aspirent pour des raisons autres que juridiques, le consentement sur lequel l'État prétend s’appuyer pour imposer le régime juridique actuel ne saurait servir de justification.

[…] Mais qu’en est-il des autres couples pour qui le statut matrimonial revêt une importance sociale ou religieuse, mais qui ne sont pas ou ne sont plus en situation de fonder une famille? En les soumettant à un régime juridique qui postule une interdépendance économique à laquelle leur relation ne fera jamais écho, l’État ne leur impose-t-il pas un dilemme digne d'un déni de droit?

[…]

À défaut d’assouplir sa position, l’État québécois pourrait bien subir un autre affront constitutionnel. En imposant une définition aussi restrictive du mariage, ne porte-t-il pas atteinte à la liberté de croyance des couples pour qui le mariage est aussi une institution religieuse?

[…]

Bref, le mariage peut être une association économique, mais il ne l’est pas nécessairement. […] (Nous soulignons).

44.       Le demandeur partage également les préceptes avancés par le Comité consultatif sur le droit de la famille dans son rapport intitulé Pour un droit de la famille adapté aux nouvelles réalités conjugales et familiales, Québec, Ministère de la Justice du Québec, 2015, p. 114-115, dans lequel on y énonce que :

Force est de conclure qu'une définition aussi restrictive du mariage laisse bien peu de place aux valeurs d'autonomie de la volonté et de liberté contractuelle qui fondent l’approche du Comité en matière conjugale. Certains contesteront cette critique en invoquant le consentement au mariage manifesté par les époux : libre aux couples qui ne partagent pas la définition du mariage que prescrit le droit québécois de vivre leur conjugalité en union de fait. Si des conjoints décident de se marier, c’est donc qu’ils acceptent tous deux les conséquences juridiques qui s’attachent au statut matrimonial, qu’il s’agisse de l’obligation de contribuer proportionnellement aux charges du ménage, des mesures qui régissent la protection de la résidence familiale ou du partage du patrimoine familial auquel ils seront tenus au jour de la séparation de corps ou de la dissolution du mariage.

Le Comité ne partage pas cette vision des choses qui consiste à réduire le mariage à ses seules dimensions juridiques, aux dépens de ses autres finalités. Le mariage, est-il utile de le rappeler, est une institution sociale, culturelle et religieuse dont la force d’attraction peut s'avérer déterminante, indépendamment des effets juridiques dont on l’assortira. Des conjoints peuvent donc à la fois consentir au mariage et « subir » malgré eux les effets juridiques impératifs qui en résultent. En somme, le mariage n’a pas la même signification pour tous. Certains y voient une relation aux multiples facettes où personnes et intérêts économiques sont inexorablement liés. Pour d'autres, le mariage ne fonde qu’une union de personnes, sans plus. Les époux peuvent donc avoir adhéré au mariage, alors même qu'ils ne partagent pas du tout la définition que le législateur québécois lui accole. Comment, dans cette perspective, prétendre au respect de l’autonomie de la volonté et de la liberté contractuelle des époux?

Dans la mesure où l’on se darde d'amalgamer « consentement au mariage » et « consentement aux effets légaux du mariage », rien ne justifie que l’on soumette les époux à des droits et des obligations réciproques, au mépris de leur volonté commune. Si l’autonomie de la volonté et la liberté contractuelle constituent des valeurs fondamentales en matière d’union de fait, il doit en être de même en matière matrimoniale. (Nous soulignons).

45.       Le demandeur soumet que l’analyse des différentes thèses avancées doit se faire par le biais du prisme de cette antinomie;

46.       Tout d’abord, le demandeur, au même titre que le mis-en-cause, reconnaît que les articles 365 et suivants du Code civil du Québec prévoient les formalités qui doivent être respectées pour qu’une union produise des effets civils;

47.       Le demandeur reconnaît également qu’à ce titre, le Code prévoit à l’article 366 C.c.Q. quelles sont les personnes autorisées à célébrer des mariages civils et y inclut les ministres du culte;

48.       Le demandeur soumet cependant, contrairement au mis-en-cause, que le Code oblige les ministres du culte à déclarer les mariages célébrés au Directeur de l’État civil, ce qui a pour effet d’imputer des conséquences civiles aux mariages religieux;

49.       En effet, cette obligation s’infère de la lecture de l’article 118 C.c.Q., lequel commande auxdites autorités de communiquer sans délai la déclaration de mariage au directeur de l’état civil suivant la célébration du mariage;

[…]

55.       En obligeant les ministres du culte à communiquer automatiquement une déclaration de mariage pour toutes les unions célébrées au Directeur de l’État civil, l’État porte ainsi atteinte aux droits à la liberté de religion ainsi qu’à l’égalité des individus croyants, tel qu’il le sera démontré ultérieurement;

56.       En effet, la communication d’un acte de mariage indique au Directeur de l’État civil qu’un mariage, au sens civil, a été célébré entre deux époux;

57.       De ce fait, le mariage, religieux à l’origine, se voit ainsi automatiquement imputer des effets civils;

58.       En imputant des conséquences civiles aux mariages religieux, l’État éradique ainsi entièrement le choix que pourraient détenir les croyants quant à leur régime de conjugalité et leurs effets;

[…]

63.       Ainsi, il n’est pas possible pour les ministres du culte de se soustraire à l’application du régime des articles 118 et 366 C.c.Q., prémisse qui est supportée tant par le témoignage de l’Abbé Francesco Giordano et l’obiter du juge Beauregard que par l’absence de doctrine au soutien de la thèse du Procureur général du Québec;

[18]        L’appelant précise également, marquant un certain virage dans son argumentation, que « ce ne sont pas les effets du mariage, tel que le patrimoine familial, qui entrent en conflit avec ses convictions religieuses »[9]. Il explique ainsi que :

75.       Au contraire, le demandeur soumet que c’est plutôt l’application pratique du régime des articles 118 et 366 C.c.Q., lequel emporte un amalgame dans les effets des mariages religieux et civil, qui entre en conflit avec ses convictions religieuses en ce qu’elle le force à faire un choix, à un (sic) renoncer à un droit;

76.       Que le demandeur soit en accord ou non avec les règles telles que stipulées par le législateur importe peu : ce qui importe, ce sont les droits du demandeur de professer librement sa religion et de choisir volontairement la forme et les effets de sa conjugalité, distinctement et indépendamment l’un de l’autre;

77.       Aussi est-il pertinent de rappeler à ce stade que le bénéfice du libre choix des effets de la conjugalité et de l’autonomie constituent des valeurs fondamentales du système québécois, valeurs réitérées et réexpliquées par la juge en chef McLachlin dans le célèbre arrêt Québec (Procureur général) c. A, [2013] 1 RCS 61;

[19]        On retrouve néanmoins ceci dans le même plan d’argumentation :

79.       Le demandeur soutient donc que l’État, en interprétant de façon aussi restrictive, par le biais du régime des articles 118 et 366 C.c.Q., la définition du mariage, à savoir une union socio-économique peu importe le mode de célébration, porte ainsi atteinte à la liberté de croyance des couples pour qui le mariage est principalement une institution religieuse.

[…]

82.       Plus précisément, considérant qu'il n'était pas possible pour le demandeur d'obtenir le sacrement du mariage sans être uni par les liens du mariage, en célébrant son mariage religieusement devant un célébrant compétent au sens de l'article 366 C.c.Q. ayant l'obligation inférée de l'article 118 C.c.Q. de communiquer ledit mariage au Directeur de l'État civil, le demandeur s'est vu imposer les effets du mariage alors que les parties s'étaient entendues autrement;

83.       Bien qu'elles en aient ouvertement discuté et aient convenu clairement d'une structure économique distincte du régime applicable aux couples mariés, les parties n'ont pas eu le loisir de choisir le régime de conjugalité de l'union de fait;

[20]        D’autres passages de ce plan d’argumentation, qu’il n’est pas utile de reproduire ici, illustrent également, du moins en apparence, la motivation économique de la contestation de l’appelant, qui, parlant de la liberté de choisir les règles de sa conjugalité, s’intéresse surtout à celles qui sont d’ordre patrimonial et pécuniaire.

[21]        Quoi qu’il en soit, accessoirement à ses conclusions constitutionnelles, l’appelant maintient diverses demandes à l’endroit de l’intimée en ce qui concerne notamment le remboursement ou le versement de certaines sommes d’argent. Subsidiairement, pour le cas où sa contestation constitutionnelle serait rejetée, il réclame le partage du patrimoine familial et de la société d’acquêts et réitère ses réclamations pécuniaires.

[22]        De leur côté, l’intimée et la procureure générale du Québec estiment que les dispositions contestées par l’appelant ne sont pas inconstitutionnelles. La première requiert le bénéfice du partage égal du patrimoine familial et celui de la société d’acquêts, entre autres choses.

[23]        Notons qu’en février 2015, l’instance en divorce a été scindée de manière à ce que soit tranchée d’abord la question constitutionnelle[10]. Celle-ci sera débattue les 21 octobre et 5 décembre 2015. Jugement sera rendu en date du 2 février 2016.

[24]        Finalement, il appert que les époux auraient partagé l’essentiel de ce qui composait le patrimoine familial et la société d’acquêts, comme l’indique l’appelant :

93.       Suite à leur séparation, les parties se sont effectivement partagé leurs biens acquis conjointement, à savoir leur résidence familiale, leurs voitures et leurs meubles.[11]

[25]        Ces actifs, de même qu’un condo de type « time sharing », étaient, semble-t-il, propriété conjointe des parties et avaient été payés par elles en parts égales[12]. Il n’y aurait  que l’exception « des sommes accumulées dans des régimes de retraite par chacune des parties, puisqu’il s’agit des seuls actifs auxquels les parties n’ont pas contribué à parts égales »[13], sommes qui n’auraient apparemment pas encore été partagées.

III.        Jugement de première instance

[26]        S’interrogeant d’abord sur la question de savoir si les dispositions du Code civil du Québec en matière de mariage enfreignent la liberté de religion de l’appelant, sujet qu’elle aborde, comme l’appelant le propose dans ses procédures, par la lorgnette des art. 118 et 366 C.c.Q., la juge de première instance conclut par la négative :

[41]      La liberté de religion s’étend autant aux croyances à caractère religieux qu’aux pratiques du culte qui en découlent [renvoi omis]. Le sacrement du mariage est donc couvert par la liberté de religion.

[42]      Monsieur doit démontrer, dans une première étape, qu'il croit sincèrement à une pratique ou à une croyance en lien avec la religion [renvoi omis]. S’il fait cette démonstration, il doit dans une seconde étape, démontrer que la loi porte atteinte à sa liberté de religion. Il doit alors prouver que la conduite qu'il reproche à l'État nuit, de façon plus que négligeable ou insignifiante, à sa capacité de se conformer à cette pratique ou croyance [renvoi omis].

[43]      Monsieur croit sincèrement au sacrement du mariage, du point de vue religieux. Il est cependant en désaccord avec les conséquences économiques que le mariage entraîne du point de vue civil.

[44]      Cette conviction personnelle de Monsieur, à l’égard des conséquences économiques du mariage civil, n'a aucun lien avec sa religion et ne constitue pas une atteinte à sa liberté de religion.

[45]      Les dispositions contestées n’empêchent certainement pas Monsieur d’entretenir des croyances liées à sa religion. Elles ne l’ont pas non plus empêché « de se livrer à des pratiques » ayant un lien avec sa religion, en l’occurrence, de se marier.

[46]      Ainsi, Monsieur n’a pas démontré, par prépondérance de preuve, que les dispositions contestées aient nui, de façon plus que négligeable ou insignifiante, à sa capacité de se conformer à sa religion.

[47]      D’ailleurs, il n’existe aucune preuve au dossier qu’une personne dont les convictions religieuses lui imposent de se marier ait été empêchée de le faire compte tenu des conséquences civiles, de nature économique, découlant du Code civil. À nouveau, Monsieur lui-même s’est marié dans un contexte où ces dispositions législatives existaient.

[…]

[49]      En fait, ce ne sont pas les convictions religieuses de Monsieur qui sont heurtées par l’application des règles du patrimoine familial et de la société d’acquêts, mais l’évaluation qu’il en fait en tant que comptable.

[50]      Dans le cadre de son interrogatoire au préalable, faisant référence aux règles du patrimoine familial, Monsieur déclare :

Le mariage, pour moi, était aller (sic) chercher le sacrement religieux, tout simplement. Au niveau de ce que la loi nous impose d’un point de vue économique, ça ne tient pas la route. En tant que comptable, je comprends la structure d’une coentreprise, les avantages, on partage tout. Donc, la loi, ce qu’elle nous dit, c’est que vous faites une coentreprise, quelqu’un apporte quelque chose selon ses manières, l’autre apporte quelque chose, donc lorsqu’il y a dissolution, il y a un partage à 50-50. Ça fait pas de sens. Si quelqu’un apporte 5 puis lorsqu’on se sépare, il en retire 50, c’est incohérent.

[51]      Mais les règles du patrimoine familial n’entrent pas en conflit avec les convictions religieuses de Monsieur. Elles contreviennent à sa conception d’une structure économique rationnelle qui devrait régir les parties :

R.   Donc, je ne veux pas faire d’association entre notre structure économique et ma religion ou ma foi protestante. C’était A... en tant qu’individu, formation professionnelle de comptabilité, qui est capable de reconnaître une situation économique qui ne tient pas la route d’un point de vue économique.

Q.         C’est pas le A... croyant?

R.         Non.

[…]

R.         […] C’est ça la différence entre le mariage puis j’ai vraiment fait la différence entre le mariage civil, selon les règles, et le mariage religieux. Donc, civilement, économiquement, l’esprit de la loi, j’abonde, je partage cet esprit de loi mais la structure est, selon moi, erronée.

Q.         Mais juste pour toujours être sûr que j’ai bien compris, quelqu’un, un protestant qui se divorce pourrait, en accord avec ses principes religieux, assurer le confort matériel?

R.         Tout à fait.

(Le Tribunal souligne)

[52]      Le Tribunal conclut que les articles 118 et 366 C.c.Q. sont compatibles avec le droit à la liberté de religion protégé par l’article 2a) de la Charte canadienne et l’article 3 de la Charte québécoise.

[27]        La juge poursuit toutefois en ajoutant les observations suivantes sur la portée véritable des articles 118 et 366 C.c.Q. :

[53]      Le Tribunal ajoute être en désaccord avec la prémisse sur laquelle repose la théorie de Monsieur.

[54]      Monsieur [renvoi omis] soutient que les dispositions du Code civil font en sorte que tout ministre du culte, lorsqu’il célèbre un mariage religieux, célèbre en même temps un mariage civil.

[55]      La Procureure générale du Québec et Madame soutiennent plutôt qu’un ministre du culte peut célébrer un mariage religieux conforme à sa foi, sans nécessairement que ce mariage ait des conséquences civiles. Dans ce cas, bien que les époux soient mariés religieusement, les autorités civiles ne leur reconnaissent tout simplement pas le statut de gens mariés

[56]      L’article 366 C.c.Q. énonce quelles sont les personnes autorisées à célébrer des mariages civils. Les ministres du culte en font partie, suivant les conditions énoncées à l’alinéa 2 de l’article 366 C.c.Q.

[57]      L’article 118 C.c.Q. indique que la déclaration de mariage est faite sans délai au Directeur de l’état civil par celui qui célèbre le mariage.

[58]      Ces articles ont été adoptés dans le cadre de la réforme du Code civil de 1991 qui a entraîné la réorganisation du service de l’état civil [renvoi omis]. Cette réforme a été marquée, notamment, par un souci de laïcisation [renvoi omis].

[59]      Le service de l’état civil, pour des raisons historiques, a longtemps eu un caractère purement confessionnel, pour ensuite reposer sur deux structures parallèles : l’une religieuse, l’autre laïque. Ce système ne correspondait plus à la réalité de la société québécoise. L’absence de centralisation de l’information, l’incohérence dans l’application des règles et des procédures concernant l’état civil rendaient peu fiable l’information disponible [renvoi omis] :

Dans l’esprit d’un grand nombre de gens, la cérémonie religieuse et l’enregistrement d’une démarche légale que constitue l’enregistrement d’un fait civil étaient confondus, avec pour résultat que plusieurs déclaraient un même évènement à deux endroits et que d’autres ne le déclaraient pas du tout.

[60]      Bien que désormais seul le Directeur de l’état civil puisse tenir des registres et dresser les actes de l’état civil, les ministres du culte ont conservé le droit de célébrer des mariages civils. C’est ce que prévoit l’article 366 C.c.Q.

[61]      Cela ne veut pas dire qu’un mariage célébré par un ministre du culte a nécessairement des conséquences civiles.

[62]      Du point de vue de l’État, le mariage est une institution civile [renvoi omis]. 

[63]      Les conditions de fond du mariage sont de juridiction fédérale [renvoi omis] et sont régies par la Loi sur le mariage civil [renvoi omis] qui définit le mariage comme suit :

2. Le mariage est, sur le plan civil, l’union légitime de deux personnes, à l’exclusion de toute autre personne.

[64]      Les conditions relatives à la célébration du mariage sont de juridiction provinciale [renvoi omis].

[65]      Les articles 365 et suivants du Code civil établissent les formalités nécessaires pour qu’une union produise des effets civils.

[66]      Dans la mesure où des conjoints font appel à un ministre du culte pour célébrer un mariage uniquement religieux, le Tribunal ne voit pas pourquoi ce ministre du culte devrait faire parvenir au Directeur de l’état civil la déclaration de mariage. Certes, les parties ne seront pas alors mariées civilement et ne pourront nullement réclamer ce statut juridique du point de vue civil.

[67]      De l’avis du Tribunal, le Code habilite, sans obliger, les ministres du culte à célébrer des unions qui sont à la fois religieuses et civiles [renvoi omis] :

Le mariage est enfin un acte civil, bien qu’il puisse aussi être un acte religieux. Au Québec, la célébration du mariage est souvent à la fois civile et religieuse parce que « sont des célébrants compétents (greffier ou greffier adjoint de la Cour supérieure ou les ministres du culte autorisés par la loi à célébrer les mariages (art. 366 C.c.Q. »)). D’ailleurs, rien n’empêche que les cérémonies civiles et religieuses aient lieu séparément : chacune d’elles n’a alors que les effets attachés à chaque type de célébration. (…)

(Le Tribunal souligne)

[68]      La jurisprudence [renvoi omis], au Québec comme ailleurs au Canada, offre différents exemples de cas où un tribunal constate l’existence d’un mariage religieux auquel il ne peut attribuer de conséquences civiles.

[69]      De son côté, Monsieur appuie son interprétation du Code civil notamment sur un extrait des motifs du juge Beauregard dans le jugement de la Cour d’appel Droit de la famille — 102866 [renvoi omis] mieux connue sous le nom fictif de « Éric c. Lola ».

[70]      Selon Monsieur, ce passage confirme que le fait de se marier religieusement entraîne l’application des règles prévues au Code civil :

[186]     Si véritablement le législateur voulait offrir le choix entre s'exposer à payer des aliments et ne pas s'exposer à une telle obligation, pourquoi n'offre-t-il pas ce même choix aux personnes qui désirent avoir une cérémonie de mariage?

[187]     Si le législateur pouvait permettre que les conjoints de fait ne soient pas assujettis à l'obligation de fournir des aliments alors que les gens mariés le sont, les gens mariés, qui seront bientôt minoritaires, pourraient à leur tour prétendre qu'ils font l'objet d'une mesure discriminatoire.

(Le Tribunal souligne)

[71]      Tout d’abord, il convient de rappeler qu’il s’agit d’une opinion dissidente en partie et qui n’a pas été retenue par la Cour suprême [renvoi omis]. Ensuite, le juge Beauregard ne distingue pas, dans cet extrait, les mariages célébrés par un ministre du culte des mariages uniquement civils, qui imposent, eux aussi, une cérémonie. En aucun cas le juge Beauregard ne fait référence à un mariage qui n’aurait que des conséquences religieuses et non civiles.

[Sauf indication contraire, je souligne]

[28]        Notons que, dans la foulée de ces déterminations, la juge de première instance conclut également que l’interprétation à son avis erronée donnée par les célébrants catholiques à l’art. 118 C.c.Q. (à savoir qu’ils sont tenus de transmettre la déclaration de mariage au directeur de l’état civil) « n’a pas pour effet de rendre [la loi] invalide ni de contrevenir aux droits consacrés par les Chartes »[14], précisant que « [c]’est la loi elle-même et non l’interprétation erronée qui en est faite qui doit être étudiée »[15].

[29]        Par ailleurs, la juge statue ainsi sur la question du caractère discriminatoire des dispositions contestées :

[75]      Monsieur invoque que, contrairement aux non-croyants, il a en tant que croyant, l’obligation de se marier et donc de se soumettre aux conséquences civiles du mariage. Il n’aurait pas la possibilité, selon le droit québécois, de se marier à des fins religieuses seulement sans que son union n’emporte également des conséquences civiles. Le Code civil aurait pour effet d’éradiquer « le droit au libre choix des effets de sa conjugalité et à l’autonomie de la volonté des croyants » [renvoi omis].

[76]      Le fardeau [renvoi omis] de Monsieur consiste à démontrer que :

•     la loi établit une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue et, que

•     la distinction crée un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes. La distinction dont on se plaint doit découler de la loi elle-même [renvoi omis].

[77]      Monsieur prétend que la loi établit une distinction fondée sur la religion. Il propose, en fait, la comparaison entre deux groupes : les personnes non croyantes et les personnes croyantes qui sont tenues, pour pouvoir vivre ensemble, de se marier.

[78]      Le Tribunal ne voit pas, dans le cadre des dispositions visées, que le législateur ait de quelque façon que ce soit, fait de distinction entre ces deux groupes. Les mesures imposées par le législateur aux personnes mariées civilement ne sont pas différentes qu’une personne soit croyante ou pas.

[79]      Ces mesures n’ont aucun lien avec la religion. La distinction est entre les personnes mariées et les personnes non mariées. Monsieur n’invoque pas ici de discrimination en raison de l’état civil; il n’invoque que la religion.

[80]      Même si le Tribunal retenait que la loi crée une distinction fondée sur la religion, elle ne crée pas un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou d’un stéréotype.

[81]      En ce qui concerne la notion de « désavantage », le Tribunal note d’abord que le régime de protection accordé aux conjoints mariés est généralement considéré comme un avantage. La Cour suprême y réfère à plusieurs reprises en ces termes dans l’affaire Procureur général du Québec c. A [renvoi omis].

[82]      Même en supposant, pour les fins de l’exercice, que le législateur ait créé une distinction désavantageuse fondée sur la religion, le Tribunal est d’avis que cette distinction n’est pas discriminatoire puisque Monsieur n’a fait aucune preuve démontrant que la distinction désavantageuse invoquée perpétue un préjugé ou applique un stéréotype à l’égard des croyants.

[83]      Le Tribunal est donc d’avis que les articles 118 et 366 C.c.Q. sont compatibles avec le droit à l’égalité protégé par l’article 15 de la Charte canadienne et l’article 10 de la Charte québécoise.

[Je souligne]

[30]        Enfin, pour toutes ces raisons, la juge estime qu’il n’y a pas lieu de déclarer inexistant, sur le plan civil, le mariage des parties. Elle ajoute que :

[97]      Au surplus, au moment où il s'est marié, Monsieur savait que le mariage qui allait être célébré suivant les prescriptions du Code civil comportait des conséquences civiles. Malgré cela, il a choisi de se marier, sans contester le régime juridique en place.

[98]      Monsieur a adhéré, en toute connaissance de cause, au cadre juridique établi par le Code civil, composé d’un régime primaire d’ordre public et d’un régime matrimonial légal ou conventionnel. Le Tribunal est d’avis que Monsieur ne peut, a posteriori, invoquer les Chartes afin de se libérer de ses obligations.

[99]      Ainsi, dans l’arrêt Amselem [renvoi omis], les juges majoritaires écrivent :

[62]       (…) Une conduite susceptible de causer préjudice aux droits d’autrui ou d’entraver l’exercice de ces droits n’est pas automatiquement protégée. La protection ultime accordée par un droit garanti par la Charte doit être mesurée par rapport aux autres droits et au regard du contexte sous-jacent dans lequel s’inscrit le conflit apparent.

[100]    Or, même si le Tribunal devait considérer qu’il existe une atteinte à la liberté de religion de Monsieur ou au droit à l’égalité, celle-ci ne présenterait pas des inconvénients comparables à ceux que vivrait Madame si on la privait des avantages que lui accorde le Code civil et auxquels elle était en droit de s’attendre au moment de son mariage. D’ailleurs, s’il n’existait pas un tel enjeu, le Tribunal doute fort que Monsieur aurait invoqué les arguments constitutionnels.

[31]        La juge, qui ne se prononce pas sur l’art. 1 de la Charte canadienne ou l’art. 9.1 de la Charte québécoise, refuse également d’accorder à l’appelant les dommages-intérêts et honoraires extrajudiciaires qu’il réclame de la procureure générale du Québec.

IV.       Appel et prétentions des parties

[32]        L’appelant se pourvoit contre le jugement de première instance, produisant, en temps utile, une déclaration d’appel puis, peu après, une requête pour permission d’appeler de bene esse qui sera renvoyée aux juges chargés d’entendre le fond de l’affaire[16]. Son mémoire d’appel soulève les huit questions suivantes :

[1]  Une permission d'appeler était-elle requise aux termes des arts. 30 et 31 C.p.c.?

[2]  La juge de première instance a-t-elle erré en affirmant que le Code civil du Québec habilite, sans les y obliger, les ministres du culte à célébrer distinctement les unions religieuses et civiles au motif qu'il n'existerait aucune obligation pour ceux-ci de transmettre la déclaration de mariage au Directeur de l'état civil malgré les termes des articles 118 et 375 C.c.Q.?

[3]  La conjonction des articles 118, 375 et 366 C.c.Q. contrevient-elle au droit à la liberté de religion protégé par les articles 2a) de la Charte canadienne et 3 de la Charte québécoise?

[4]  La conjonction des articles 118, 375 et 366 C.c.Q. contrevient-elle au droit à l'égalité protégé par les articles 15 de la Charte canadienne et 10 de la Charte québécoise?

[5]  Dans l'affirmative, s'agit-il de limites raisonnables prescrites par une règle de droit dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique au sens de l'article 1er de la Charte canadienne et l'article 9 (sic) de la Charte québécoise?

[6]  La juge de première instance a-t-elle erré lorsqu'elle a conclu que le témoignage du Vice-Chancelier de l'Archevêché de Montréal n'était pas pertinent au litige?

[7]  La juge a-t-elle erré lorsqu'elle a conclu à l'irrecevabilité de la demande de déclaration d'inexistence du mariage?

[8]  La juge de première instance a-t-elle erré lorsqu'elle a conclu qu'il n'y aurait pas lieu d'accorder des dommages à l'Appelant, et ce, même si les dispositions du Code civil du Québec avaient été déclarées inconstitutionnelles?

[33]        Quant à la première question (droit d’appel), l’appelant estime bénéficier d’un appel de plein droit, s’agissant d’un « jugement final »[17] qui concerne les droits particuliers de l’État au sens de l’article 30, paragr. 1 C.p.c. Si ce n’est pas le cas et que l’article 31 C.p.c. s’applique, il y a lieu d’accorder la permission d’appeler et de trancher le pourvoi, dont le sujet est d’intérêt public.

[34]        La deuxième et la sixième questions sont liées (transmission de la déclaration de mariage au directeur de l’état civil). L’appelant fait valoir ici que la juge a erré en décidant que le ministre du culte habilité à célébrer un mariage en vertu de l’article 366 C.c.Q. n’est pas obligé de transmettre la déclaration de mariage au directeur de l’état civil. Il y serait au contraire tenu, comme le confirme le témoignage du vice-chancelier de l’archevêché de Montréal, témoignage que la juge aurait indûment exclu. Cette exigence ressort du reste des articles 118 et, ajoute-t-il (ce dont il n’avait pas été question en première instance), 375 C.c.Q., dispositions qui sont claires et dont le libellé « impose nécessairement, par l’emploi du ton impératif, l’obligation de transmission »[18].

[35]        Quant aux troisième et quatrième questions (violation de la liberté de religion et du droit à l’égalité), l’appelant reprend, tout en les affinant, les arguments présentés antérieurement quant à l’invalidité des articles 118, 366 et 375 C.c.Q. En bref, d’une part, ces dispositions seraient attentatoires à la liberté de religion garantie par les chartes canadienne et québécoise puisqu’elles imposent aux croyants une contrainte significative en les privant de la possibilité de fixer les règles de leur conjugalité, sauf à renoncer aux édits de leur religion : ainsi, celui ou celle qui appartient à une religion imposant le mariage comme seule modalité de la vie conjugale ne peut échapper aux conséquences (notamment patrimoniales) que le Code civil du Québec attache à tout mariage, sinon en enfreignant ses propres croyances par une union de fait ou alors en s’abstenant de toute vie maritale. Les non-croyants, pour leur part, ne sont pas assujettis à une telle contrainte.

[36]        De surcroît, et d’autre part, les dispositions en question seraient contraires au principe d’égalité reconnu par ces mêmes chartes en ce qu’elles établissent une distinction injustifiée, fondée en l’occurrence sur la religion, entre justiciables croyants et justiciables non-croyants, ces derniers bénéficiant, au chapitre de leur conjugalité, d’une liberté de choix dont les premiers sont privés : s’il refuse les conséquences juridiques du mariage, le non-croyant peut opter pour l’union de fait, alors que le croyant respectueux des préceptes religieux qui sont les siens, et donc tenu de se marier, ne le peut pas.

[37]        L’appelant répond par la négative à la cinquième question (celle de savoir si les dispositions contestées sont sauvegardées par les art. 1 de la Charte canadienne et 9.1 de la Charte québécoise). Il souligne que ni la procureure générale du Québec ni l’intimée, qui en avaient le fardeau, n’ont administré la moindre preuve à cet égard. Or, selon l’appelant, les dispositions contestées ne sont pas des règles de droit justifiées dans une société libre et démocratique, puisqu’elles ne répondent à aucune préoccupation urgente et réelle et n’ont pas de lien rationnel avec l’objectif du législateur. Elles ne constituent par ailleurs pas une atteinte minimale à la liberté de religion ou au principe d’égalité, aucune preuve n’établissant que « le législateur, dans le choix qu’il a fait d’amalgamer les effets juridiques et religieux du mariage, avait soupesé et étudié diverses options en vue de trouver celle qui soit la moins attentatoire aux droits fondamentaux en cause [renvoi omis], ou à tout le moins une option qui puisse être qualifiée comme se situant à l’intérieur d’une gamme de mesures raisonnables »[19]. De toute façon, selon l’appelant, il serait « difficile de concevoir comment un choix législatif qui consiste à imposer des conséquences civiles à un groupe de personnes constituerait une atteinte minimale »[20]. À l’inverse, suggère-t-il :

86.       Au contraire, il serait possible d’éviter une telle atteinte en (1) permettant aux couples mariés religieusement de se soustraire des effets juridiques du mariage moyennant un encadrement législatif clair tel que prôné par le Comité consultatif sur le droit de la famille [renvoi omis] ou (2) opérant un schisme complet entre l'Église et l'État de telle sorte que seul le mariage civil possède une valeur juridique et que les pratiques religieuses n'emportent plus aucune conséquence civile, au même titre que les baptêmes, les bar-mitsvas, etc., par exemple en retirant le droit des ministres du culte de célébrer des mariages civils.[21]

[38]        Dans l’état actuel des choses, les effets préjudiciables des dispositions contestées ne seraient pas proportionnels aux avantages prétendument recherchés et, précise l’appelant :

88.       Les avantages actuels de l'imposition uniforme de conséquences civiles et juridiques à tous les types de mariages, sans égard à leurs vocations multiples, résident nécessairement dans la protection des conjoints mariés économiquement faibles et l'effet pratique de la communication automatique des déclarations de mariage au Directeur de l'état civil. Or, si cet avantage de protection était si important pour la société, le législateur aurait imposé ce régime impératif aux conjoints de fait, ceux-ci représentant un fort pourcentage des couples modernes [renvoi omis].

89.       Par opposition, les effets préjudiciables consistent en l'impossibilité pour les couples croyants de bénéficier tant du libre choix des effets de la conjugalité et de l'autonomie de la volonté que du droit de professer librement leur religion, et ce, indépendamment les uns des autres, contrairement aux couples non-croyants.

[39]        Quant aux septième et huitième questions (inexistence du mariage des parties et réparations pécuniaires), l’appelant plaide principalement ce qui suit :

98.       Les dispositions réparatrices de la Loi constitutionnelle de 1982 doivent recevoir une interprétation libérale, qui exige que les tribunaux accordent des réparations complètes, adaptées à la situation et efficaces [renvoi omis]. Une exemption constitutionnelle ancillaire à une déclaration d'invalidité suspendue est nécessaire en l'espèce afin que justice soit rendue. Cette exemption constitutionnelle prend ici la forme d'une déclaration d'inexistence du mariage et d'une compensation pour l'atteinte à des droits protégés par les Chartes de même qu'un dédommagement pour les dommages moraux subis par l'Appelant dans le cadre du processus.

99.       Accessoirement, il y a lieu de se pencher sur l'argument relatif aux frais de justice. Le caractère exceptionnel du présent dossier est indéniable. Ce dossier a permis d'amener devant la Cour supérieure et dorénavant la Cour d'appel un débat qui touche toute personne croyante et l'institution que représente le mariage pour notre société moderne. Dans ce contexte, l'Appelant demande que tous ses frais de justice, incluant ses honoraires, lesquels sont actuellement de plus de 15 000,00 $ - sauf à parfaire, lui soient accordés devant toutes les instances [renvoi omis].

[40]        Les conclusions de son mémoire d’appel sont en conséquence les suivantes :

LA PARTIE APPELANTE DEMANDE À LA COUR D'APPEL DE :

(a)  ACCUEILLIR le présent appel;

(b)  INFIRMER le jugement de première instance;

(c)  DÉCLARER INCONSTITUTIONNELS les articles 118, 375 et 366 du Code civil du Québec, vu la violation des paragraphes 2 a) et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et 3 et 10 de la Charte des droits et libertés, sans être justifiés comme limite raisonnable dans une société libre et démocratique;

(d)  DÉCLARER le mariage civil célébré le 25 août 2001 à Ville A inexistant et sans effet;

(e)  ORDONNER au Directeur de l'état civil de retirer l'acte de mariage des parties de ses registres;

(f)   CONDAMNER la Procureure générale du Québec à verser à l'Appelant une compensation pour l'atteinte à ses droits garantis par les Chartes, estimée à 75 000,00 $ ou subsidiairement au montant à être déterminé de façon discrétionnaire par la Cour;

(g)  CONDAMNER la Procureure générale du Québec aux frais de justice, incluant les honoraires de l'Appelant, tant en première instance qu'en appel;

(h)  RENDRE toute autre ordonnance que la Cour estimera juste et nécessaire.[22]

[41]        On notera que l’appelant ne réclame plus la lecture large des dispositions législatives contestées, comme il le faisait en première instance.

[42]        De son côté, l’intimée s’en remet pour l’essentiel aux arguments de la procureure générale du Québec sur l’ensemble des questions de droit. Elle tient cependant à attirer l’attention de la Cour sur certains faits et, notamment, celui-ci :

17.       L’appelant mentionne qu’il a intenté ce recours au motif que « c’était pas mon objectif d’avoir le mariage civil compte tenu des dispositions légales, euh, je peux pas m’en sortir » [renvoi omis], puisque, en tant que comptable, il était « capable d’apprécier les anomalies économiques que le mariage civil et les impacts économiques que ça représentait » [renvoi omis] et que « c’était A..., en tant qu’individu, formation professionnelle de comptabilité qui est capable de reconnaître une situation économique qui ne tient pas la route d’un point de vue économique » [renvoi omis]. L’appelant mentionne en fait à au moins neuf (9) occasions, lors de son interrogatoire avant défense, que c’est le comptable en lui qui n’était pas d’accord avec ces impacts de la Loi [renvoi omis].

[43]        L’intimée soutient également n’avoir jamais admis, contrairement à ce que prétend l’appelant, la sincérité de la croyance religieuse de celui-ci, conviction qu’elle met d’ailleurs en doute et dont elle n’aurait pas vu la manifestation pendant leur vie commune. Enfin, elle précise que :

25.       Bien que l’intimée ne nie pas qu’elle et l’appelant aient instauré certaines règles économiques durant le mariage [renvoi omis], elle précise qu’elle n’a, en aucun moment, voulu éviter l’application de la Loi quant au partage du patrimoine familial et de la société d’acquêts au moment du divorce. En effet, l’intimée a mentionné que le mariage n’avait emporté pour elle aucun changement d’ordre économique durant le mariage [renvoi omis], et non lors de sa dissolution, ce qui est fort différent.

[44]        La procureure générale du Québec est d’accord avec l’appelant sur les deux premières questions.

[45]        Ainsi, à son avis, vu l’article 30, al. 1 C.p.c., l’appel est de plein droit, le jugement portant sur les droits particuliers de l’État au sens de l’article 76 C.p.c. Subsidiairement, la permission d’appeler devrait être accordée et les questions constitutionnelles tranchées immédiatement.

[46]        Par ailleurs, revenant sur le point de vue de l’avocat qui la représentait devant la Cour supérieure, la procureure générale soutient elle aussi que la juge a erré en déclarant que les ministres du culte qui célèbrent un mariage conformément à l’article 366 C.c.Q. ne sont pas tenus de transmettre la déclaration de mariage au directeur de l’état civil : ils ont au contraire cette obligation[23].

[47]        Pour le reste, la procureure générale estime que :

22.       Le mariage est donc un acte de nature civile peu importe qu’il ait été célébré de manière religieuse ou non. Les expressions « mariage civil » et « mariage religieux » utilisées dans le langage courant font seulement référence au type de célébration que les époux ont choisi.

[48]        C’est à l’institution sociale qu’est le mariage que le législateur s’intéresse :

28.       Les effets juridiques prévus au Code civil du Québec découlent de la finalité même de cette institution, laquelle a notamment pour but de baser la structure familiale sur des relations égalitaires entre époux et de préserver une certaine sécurité matérielle à l’égard de l’ensemble des membres de la famille en prévoyant, entre autres, les règles concernant le patrimoine familial et la résidence familiale [renvoi omis]. L'institution du mariage fait primer, de manière générale, les intérêts familiaux sur les intérêts individuels des époux [renvoi omis].

[49]        Après une brève revue historique du traitement de l’institution du mariage au Québec, la procureure générale écrit en outre que :

73.       Cependant, le mariage au Québec, malgré qu’il soit imprégné d’une forte tradition religieuse et qu’il puisse toujours être célébré par un ministre du culte, demeure une institution civile conférant des droits aux époux et prévoyant des obligations non seulement entre les époux, mais aussi à l’égard des tiers, dont l’État.

74.       Cela dit, la neutralité religieuse qui s’impose à l’État l’empêche de « s’ingérer dans le domaine de la religion et des croyances ».

[…]

77.       C’est pourquoi, aux yeux de l’État, le mariage est une institution juridique qui emporte des droits et des obligations sans égard aux raisons et aux motivations profondes des époux, qu’elles soient religieuses ou non.

78.       À l’inverse, l’institution civile du mariage ne se définit pas en fonction des valeurs ou des croyances de chacun.

[Renvois omis]

[50]        Pour exister en droit, explique la procureure générale, le mariage, institution définie par la Loi sur le mariage civil[24], doit être célébré de la manière prévue par le Code civil aux articles 365, 366, 368 à 374 et 376 à 377, ce qui inclut l’exigence d’un célébrant dûment habilité. Le législateur, par l’article 366 C.c.Q., confère à une pluralité d’individus (greffiers et greffiers adjoints de la Cour supérieure, notaires, maires ou membres de conseils municipaux ou de conseils d’arrondissements, fonctionnaires municipaux, ministres du culte, personnes désignées par une communauté mohawk, autres personnes) la compétence de procéder au mariage. Le célébrant doit simplement être désigné ou autorisé par le ministre de la Justice aux termes du premier ou du quatrième alinéa de l’art. 366 C.c.Q. et, s’agissant d’un ministre du culte, aux termes du second ou du troisième. De cette manière, le législateur élargit le champ de l’accès au mariage et tout mariage célébré selon ces conditions produit les mêmes conséquences juridiques, peu importe le rituel (religieux ou autre) suivi par ailleurs.

[51]        Cela étant, la procureure générale soutient que ni les articles 118, 366 et 375 ni les art. 391 et s. C.c.Q. n’enfreignent la liberté de religion de l’appelant. D’une part, souligne-t-elle, ce dont se plaint en réalité l’appelant n’est pas d’une atteinte à ses convictions religieuses, mais bien à ses convictions économiques. Comme l’écrit la juge, « l’appelant n’est pas parvenu à démontrer en quoi l’un ou l’autre des effets civils du mariage heurtent ses croyances religieuses »[25]. D’autre part, fait valoir la procureure générale :

37.       Quant au témoignage de l’appelant au sujet de l’importance du mariage, la première juge a à bon droit conclu que la loi n'a définitivement dressé aucun obstacle devant cette volonté, l’appelant ayant, comme il le souhaitait, uni sa destinée à celle de l’intimée au moyen d'un mariage religieux célébré par un prêtre catholique romain.

[Renvois omis]

[52]        Les dispositions contestées, de même que celles qui règlent les conséquences civiles du mariage, n’enfreindraient pas davantage les articles 15 de la Charte canadienne et 10 de la Charte québécoise et n’auraient rien de discriminatoire.

[53]        Tout d’abord, affirme la procureure générale, « si, comme le prétend l’appelant [renvoi omis], ses convictions religieuses l’obligeaient à se marier avec l’intimée, cette obligation ne découle pas de la loi »[26]. Les dispositions du Code civil ne créent pour leur part ni distinction ni exclusion fondée sur la religion et s’appliquent à tous les époux sans égard au fait que le mariage ait été célébré par un ministre du culte ou par une autre personne autorisée et sans différenciation quelconque fondée sur la religion des époux ou les motivations religieuses de leur décision de se marier.

[54]        Ensuite, les dispositions du Code civil n’imposent aucun désavantage aux époux croyants, sur la base de leur religion, et ne perpétuent aucun stéréotype ou préjugé à leur endroit. À ce propos, dans son mémoire, la procureure générale précise que :

52.       Ainsi, contrairement à la situation qui prévalait à l’égard des personnes en union libre, telle qu’elle a été examinée par la Cour suprême dans l’affaire Québec (Procureur général) c. A. [renvoi omis], il n’est assurément pas possible d’affirmer que les croyants qui se marient appartiennent à un groupe ayant historiquement été la cible de stigmatisation ou d’ostracisme. Bien au contraire, il est de commune renommée et de connaissance judiciaire que le mariage religieux a longtemps été le modèle dominant, voir hégémonique, au Québec, en tant que mode quasi exclusif d’organisation des rapports conjugaux [renvoi mis]. En ce sens, la première juge était bien fondée d’assimiler le régime de protection accordé aux conjoints mariés à un avantage [renvoi omis], et non pas à un inconvénient.

53.       Comme le mentionne le jugement de première instance [renvoi omis], l’appelant n’a administré aucune preuve et n’a fait aucune démonstration pour établir l’existence d’un désavantage préexistant ou historique, d’une vulnérabilité, de stéréotypes ou de préjugés subis par les gens dans sa situation.

[55]        De l’avis de la procureure générale, le fait que les ministres du culte puissent célébrer un mariage reconnu par l’État et auquel sont attachées les conséquences que le Code civil du Québec associe à ce type d’union ne constitue pas un désavantage contraire à l’article 15 de la Charte canadienne, pas plus qu’il ne compromet le droit, en pleine égalité, à la reconnaissance et à l’exercice d’un droit ou d’une liberté de la personne au sens des articles 10 et s. de la Charte québécoise.

[56]        Enfin, affirme la procureure générale, à supposer que l’on puisse voir dans les dispositions législatives contestées une atteinte à la liberté de religion ou au droit à l’égalité, cette atteinte serait justifiée en vertu tant de l’art. 1 de la Charte canadienne que de l’art. 9.1 de la Charte québécoise. Car c’est en vue de respecter la liberté de conscience et le droit à l’égalité de tous que le législateur, en 1968, a permis que le mariage soit célébré par un officier public et, plus tard, une autre personne autorisée, représentant l’État, sans en enlever la capacité aux ministres du culte qui en détenaient jusque-là, historiquement, le monopole. Si l’on s’en remet à ce propos aux travaux de l’Office de révision du Code civil à l’origine de cet élargissement, on y voit clairement une volonté d’ouvrir ainsi la loi aux exigences d’une société pluraliste. C’est pourquoi, plaide la procureure générale, le législateur « privilégia une position équilibrée consistant à permettre la célébration civile du mariage par un officier civil, mais en continuant de donner pleins effets civils au mariage célébré devant un ministre du culte “sans besoin de recourir à une célébration purement civile préalable ou à des formalités postérieures à la cérémonie religieuse” [renvoi omis] »[27].

[57]        Le fait que, par ailleurs, les célébrants soient tenus de transmettre la déclaration du mariage au directeur de l’état civil coïncide avec la volonté du législateur de centraliser les registres de l’état civil de façon à en assurer l’intégrité et la permanence.

[58]        Selon la procureure générale :

72.       Ce survol historique des dispositions 118, 366 et 375 C.c.Q. permet de constater qu'elles visent le double objectif suivant : la laïcisation des registres de l’état civil - dans le but de ne reconnaître qu'un unique officier de l’état civil [renvoi omis] et de moderniser la tenue desdits registres dans le respect de la liberté de conscience et le droit à l’égalité de tous - tout en continuant d'offrir aux époux qui le souhaitent la possibilité de se marier dans le cadre d'une cérémonie religieuse. Le tout s'inscrit dans le respect d'une tradition religieuse associée à la célébration des mariages depuis l’arrivée des premiers colons en Nouvelle-France [renvoi omis].

73. Cependant, le mariage, au Québec, malgré qu'il soit imprégné d'une forte tradition religieuse et qu'il puisse toujours être célébré par un ministre du culte, demeure une institution civile conférant des droits aux époux et prévoyant des obligations [renvoi omis] non seulement entre les époux [renvoi omis], mais aussi à l’égard des tiers, dont l’État [renvoi omis].

[59]        Pour le reste, les dispositions législatives contestées répondent aux conditions du test établi par l’arrêt Oakes[28].

[60]        De toute façon, ajoute la procureure générale, même si ce n’était pas le cas, l’appelant n’aurait pas droit aux réparations qu’il réclame : à supposer que la Cour conclue à l’inconstitutionnalité des dispositions contestées, cette détermination n’aurait d’effet que pour l’avenir et ne saurait affecter les mariages célébrés par un ministre du culte avant le prononcé de l’arrêt. Il ne pourrait donc être question de déclarer inexistant le mariage de l’appelant. Les autres réparations qu’il réclame sont sans fondement.

V.        Analyse

[61]        Les questions suivantes seront abordées dans l’ordre :

-           l’appelant peut-il faire appel de plein droit du jugement de la Cour supérieure ou doit-il en obtenir la permission et, le cas échéant, y a-t-il lieu d’accorder celle-ci?

-           les dispositions contestées entravent-elles la liberté de religion de l’appelant?

-           les dispositions contestées enfreignent-elles le droit à l’égalité que consacrent les art. 15 de la Charte canadienne et 10 de la Charte québécoise?

-           le cas échéant, ces dispositions sont-elles justifiées par l’art. 1 de la Charte canadienne et l’art. 9.1 de la Charte québécoise?

-           l’appelant a-t-il droit aux dommages qu’il réclame ainsi qu’au paiement de ses honoraires extrajudiciaires par la procureure générale du Québec?

A.        Exercice du droit d’appel : l’appelant peut-il faire appel de plein droit du jugement de la Cour supérieure ou doit-il en obtenir la permission et, le cas échéant, y a-t-il lieu d’accorder celle-ci?

[62]        L’instance en divorce mue entre les parties ayant fait l’objet d’une scission (voir supra, paragr. [26]), l’on doit répondre à ces questions en appliquant les principes énoncés par la Cour dans les arrêts Droit de la famille — 121718[29], Agence du revenu du Québec c. Châtelain[30] et Droit de la famille — 161983[31]. D’une part, l’appel dans les affaires régies par la Loi sur le divorce[32] est « formé […] selon la procédure habituelle applicable aux appels interjetés devant la cour d’appel/asserted […] according to the ordinary procedure governing appeals to the appellate court »[33], ce qui, au Québec, l’assujettit aux exigences usuelles du Code de procédure civile[34]. D’autre part, même lorsque le litige concerne les droits de l’État, seul le jugement mettant fin à l’instance est appelable de plein droit en vertu de l’art. 30, al. 1 C.p.c., tout autre jugement étant considéré comme interlocutoire et sujet à la permission qu’exige l’art. 31 C.p.c.[35]. Enfin, en cas de scission d’instance (y compris lorsque celle-ci survient dans le cadre d’une action en divorce), « le premier jugement qui décide du fond au cours d’une instance scindée, c’est-à-dire celui rendu après l’introduction de la demande en justice, mais avant celui y mettant fin, doit maintenant être portée en appel sans délai, avec la permission d’un juge d’appel conformément à l’article 31 n.C.p.c. »[36].

[63]        Par conséquent, l’appelant ne pouvait faire appel de plein droit du jugement de la juge Alary. Ce jugement, même s’il statue de manière finale sur les questions en jeu, n’en demeure pas moins un jugement prononcé en cours d’instance, sujet à l’art. 31 C.p.c. Toutefois, l’appelant ayant également présenté, dans les délais, une requête pour permission d’appeler de bene esse, ses droits à cet égard sont sauvegardés et il ne reste plus maintenant qu’à savoir s’il convient d’accueillir cette demande.

[64]        C’est le cas, vu la nature et l’importance des questions constitutionnelles en jeu, mais vu également la manière dont le dossier a cheminé. On peut regretter, en effet, qu’une scission ait été prononcée en l’espèce, même si elle paraissait peut-être opportune au premier abord (les suites civiles de l’affaire dépendant en théorie des réponses aux questions constitutionnelles). D’un autre côté, sur le plan pratique, la scission n’a engendré aucune économie de ressources ou de temps dans la mesure où les conséquences, notamment patrimoniales, du divorce des parties ou de la nullité/inexistence de leur mariage, selon le cas, n’auraient pas été particulièrement difficiles à déterminer, selon ce qu’on voit du dossier d’appel. Quoi qu’il en soit, il est, à l’évidence, trop tard pour revenir en arrière[37] et il convient donc d’accorder la permission sollicitée ainsi que de répondre aux questions constitutionnelles que soulève l’appel.

B.        Questions constitutionnelles : liberté de religion et droit à l’égalité

[65]        Avant d’aller plus loin, il est nécessaire de circonscrire le débat, ce que je m’efforcerai de faire en deux temps : en premier lieu, je rappellerai sommairement les règles qui, en droit québécois, encadrent le mariage et ses conséquences juridiques; en second lieu, je tenterai de définir l’objet véritable de la contestation de l’appelant.

1.         Encadrement juridique du mariage en droit québécois

[66]        On peut commencer par une généralité, qu’il n’est sans doute pas inutile de rappeler : l’institution du mariage, souvent qualifiée de fondamentale et essentielle à l’organisation de la société, est couramment un objet de droit[38], à l’interne[39] comme à l’international[40]; l’État y a un intérêt légitime, largement admis[41], et son histoire est indissociable de sa juridicisation[42]. Le cadre juridique, du moins dans les traditions occidentales, se superpose ainsi au cadre social (incluant le cadre religieux), reconnaît l’institution et, en même temps, la structure et la définit. Le mariage, comme phénomène d’anthropologie sociale, se trouve ainsi sinon absorbé par le droit, du moins délimité et déterminé par lui. C’est ce qu’on observe au Canada et au Québec, comme ailleurs.

[67]        Dans le préambule de la Loi sur le mariage civil[43], le Parlement énonce lui-même que :

Attendu :

[…]

que le mariage est une institution fondamentale au sein de la société canadienne et qu’il incombe au Parlement du Canada de la soutenir parce qu’elle renforce le lien conjugal et constitue, pour nombre de Canadiens, le fondement de la famille;

[…]

 

WHEREAS marriage is a fundamental institution in Canadian society and the Parliament of Canada has a responsibility to support that institution because it strengthens commitment in relationships and represents the foundation of family life for many Canadians;

[68]        On ne retrouve pas cette affirmation dans le Code civil du Québec, du moins pas expressément. Il s’infère néanmoins des dispositions de cet instrument, qui régit les institutions fondamentales du droit commun, que le législateur québécois partage les vues de son homologue fédéral sur le sujet.

[69]        J’ouvre ici une parenthèse : il est intéressant de noter que, malgré la compétence qui lui est dévolue en cette matière par l’art. 91, al. 1, paragr. 26 de la Loi constitutionnelle de 1867, le législateur canadien a longtemps fait l’économie d’une définition législative du mariage, de sorte que les justiciables canadiens et les tribunaux s’en sont remis à la définition traditionnelle préconfédérative, législative, coutumière ou jurisprudentielle, de celui-ci[44], celle d’une union et d’une communauté de vie entre un homme et une femme, formalisée par un échange de consentements devant la collectivité et caractérisée par un engagement s’inscrivant en principe dans la durée (définition conforme aux règles préconfédératives, y compris celles en vigueur au Québec)[45]. C’est en 2005[46] seulement que le Parlement adopte la Loi sur le mariage civil[47], dont l’art. 2 énonce que :

2.         Le mariage est, sur le plan civil, l’union légitime de deux personnes, à l’exclusion de toute autre personne.

2.         Marriage, for civil purposes, is the lawful union of two persons to the exclusion of all others.

[70]        Cette définition, très large, qui ouvre le mariage aux personnes de même sexe (alors qu’il était jusque-là réservé aux personnes de sexe différent, règle consacrée par voie prétorienne[48]), ne s’intéresse ni aux raisons ni aux motivations, religieuses ou autres, des personnes qui souhaitent s’unir ainsi. Dans ce cadre (sauf à inclure les unions de fait dans cette très vaste définition), l’usage du mot « légitime/lawful » renvoie aux exigences de fond prévues par le Parlement en cas de mariage, mais aussi aux conditions et formalités de la célébration du mariage qui relèvent des législateurs provinciaux en vertu du paragr. 92(12) de la Loi constitutionnelle de 1867. Ces conditions et formalités, dont l’inobservance peut entraîner l’inexistence ou l’invalidité du mariage, consacrent le caractère public de celui-ci par un engagement devant la communauté et devant un célébrant autorisé par l’État (provincial en l’occurrence[49]).

[71]        En ce sens, le mariage est simplement l’union de deux personnes (ce qui exclut le mariage polygame) aux conditions prévues respectivement par la loi fédérale ou provinciale, selon l’aspect dont il est question. La Cour suprême, dans le Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe[50], valide cette définition. On notera que tout en se défendant d’établir « les éléments objectifs essentiels de la définition “naturelle” du mariage »[51], au-delà de l’idée d’une union entre deux personnes consentantes à l’exclusion de toute autre, la Cour suprême souligne que « [n]otre droit a toujours reconnu que certaines relations conjugales sont fondées sur la qualité de la personne mariée, alors que d’autres ne le sont pas »[52].

[72]        La Loi sur le mariage civil de 2005 sera subséquemment modifiée par le Parlement de façon à y prévoir que le mariage requiert le consentement libre et éclairé de ces deux personnes à se prendre mutuellement pour époux (art. 2.1), nul ne pouvant cependant contracter mariage avant l’âge de 16 ans (art. 2.2) ou avant qu’un mariage antérieur ait été dissous ou annulé (art. 2.3). Soulignons que, en ce qui concerne le Québec, ces exigences figuraient déjà dans la Loi d’harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil, entrée en vigueur le 10 mai 2001[53] :

4.         Les articles 5 à 7, qui s’appliquent uniquement dans la province de Québec, s’interprètent comme s’ils faisaient partie intégrante du Code civil du Québec.

4.         Sections 5 to 7, which apply solely in the Province of Quebec, are to be interpreted as though they formed part of the Civil Code of Quebec.

5.         Le mariage requiert le consentement libre et éclairé d’un homme et d’une femme à se prendre mutuellement pour époux.

5.         Marriage requires the free and enlightened consent of a man and a woman to be the spouse of each other.

6.         Nul ne peut contracter mariage avant d’avoir atteint l’âge de seize ans.

6.         No person who is under the age of sixteen years may contract marriage.

7.         Nul ne peut contracter un nouveau mariage avant que tout mariage antérieur ait été dissous par le décès ou le divorce ou frappé de nullité.

7.         No person may contract a new marriage until every previous marriage has been dissolved by death or by divorce or declared null.

[73]        L’art. 5 ci-dessus a été modifié par la Loi sur le mariage civil et il énonce maintenant que :

5.         Le mariage requiert le consentement libre et éclairé de deux personnes à se prendre mutuellement pour époux.

5.         Marriage requires the free and enlightened consent of two persons to be the spouse of each other.

[74]        À ces conditions se greffent celles de la Loi sur le mariage (degrés prohibés)[54], qui proscrit le mariage entre personnes ayant, y compris par adoption, un rapport ascendant-descendant ou un rapport de frère, sœur, demi-frère ou demi-sœur[55]. Ces prohibitions constituent « la totalité des règles de droit applicables au Canada en matière d’empêchements au mariage fondés sur des liens de parenté/all of the prohibitions in law in Canada against marriage by reason of the parties being related » (art. 4).

[75]        Il n’y a pas de doute, par ailleurs, sur le fait que les dispositions législatives fédérales, qui s’intéressent au mariage dit « civil » (c.-à-d. celui que reconnaît le droit) reposent sur la prémisse qu’un tel mariage peut résulter d’une célébration religieuse, dont l’officiant est un ministre du culte. On rappellera à ce propos l’art. 3 de la Loi sur le mariage civil, dont le texte est le suivant :

3.         Il est entendu que les autorités religieuses sont libres de refuser de procéder à des mariages non conformes à leurs convictions religieuses.

3.         It is recognized that officials of religious groups are free to refuse to perform marriages that are not in accordance with their religious beliefs.

[76]        Cette disposition fait écho au préambule de la loi, qui énonce que :

Attendu :

[…]

que la présente loi n’a pas pour effet de porter atteinte à la garantie dont fait l’objet cette liberté, en particulier celle qui permet aux membres des groupes religieux d’avoir et d’exprimer les convictions religieuses de leur choix, et aux autorités religieuses de refuser de procéder à des mariages non conformes à leurs convictions religieuses;

[…]

 

WHEREAS nothing in this Act affects the guarantee of freedom of conscience and religion and, in particular, the freedom of members of religious groups to hold and declare their religious beliefs and the freedom of officials of religious groups to refuse to perform marriages that are not in accordance with their religious beliefs;

[77]        Dans le Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe[56], la Cour suprême conclura que l’art. 3 de la Loi sur le mariage civil (correspondant à l’art. 2 du projet de loi dont elle est saisie) outrepasse les limites de la compétence étroite que l’art. 91, al. 1, paragr. 26 de la Loi constitutionnelle de 1867 confère au Parlement en matière de mariage :

37        […] Cet article peut être perçu comme un effort en vue de rassurer les provinces et d’apaiser les craintes des autorités religieuses qui procèdent à des mariages. Si dignes d’attention soient ces préoccupations, seules les provinces peuvent édicter des exemptions aux règles en vigueur en matière de célébration, car de telles exemptions se rapportent nécessairement à la « célébration du mariage » visée au par. 92(12). L’article 2 de la Loi proposée ne relève donc pas de la compétence du Parlement.

[78]        Malgré cet avis, la disposition est demeurée dans la Loi sur le mariage civil, même si elle trouvait déjà son pendant dans l’art. 367 C.c.Q. :

367.     Aucun ministre du culte ne peut être contraint à célébrer un mariage contre lequel il existe quelque empêchement selon sa religion et la discipline de la société religieuse à laquelle il appartient.

367.     No minister of religion may be compelled to solemnize a marriage to which there is any impediment according to his religion and to the discipline of the religious society to which he belongs.

[79]        Indépendamment de son invalidité constitutionnelle, il demeure que l’art. 3 de la Loi sur le mariage civil semble confirmer implicitement que le Parlement, en définissant l’institution civile du mariage comme il le fait à l’art. 2 de cette loi, n’entend pas en exclure les mariages célébrés par des ministres du culte, ces derniers étant cependant exemptés de procéder à une union contraire à leurs convictions. S’il en était autrement, cette dispense aurait été inutile. Dans le champ limité de la compétence que lui réserve le paragr. 91(26) de la Loi constitutionnelle de 1867 de « légiférer relativement à la capacité de se marier »[57] (les professeurs Chevrette et Marx parlent d’une compétence restreinte à l’établissement du mariage-lien[58]), le Parlement a défini le mariage de manière inclusive et il a « établ[i] les exigences minimales rattachées à cette institution »[59], qui s’appliquent indifféremment aux unions célébrées par les personnes, laïques[60] ou religieuses, désignées par les provinces.

[80]        Pareillement, le Code civil du Québec embrasse tant le mariage à connotation religieuse que le mariage à connotation laïque, dans la mesure où l’un et l’autre sont célébrés conformément aux règles prescrites par les art. 365 et s. C.c.Q. (sans quoi - et sous certaines réserves dont je traiterai plus loin - il n’y a pas de mariage aux yeux de la loi). En vertu du paragr. 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867, qui réserve aux provinces la compétence sur les droits civils, le législateur québécois associe en outre les mêmes conséquences juridiques au mariage ainsi célébré, sans distinction entre le mariage à connotation religieuse et le mariage à connotation laïque.

[81]        Cette situation, qui n’est pas unique au Québec, mais commune à l’ensemble des provinces et territoires canadiens[61], s’explique par l’histoire de cette institution qu’est le mariage et l’évolution des mœurs à cet égard[62] : l’état du droit paraît ainsi avoir obéi surtout à des considérations pragmatiques collées sur les pratiques sociales[63], lesquelles ont d’abord été religieuses avant de ne l’être plus ou, plus exactement, de ne l’être plus exclusivement[64].

[82]        Ainsi, pendant longtemps, et sauf exception[65], il ne pouvait, au Québec, être de mariage entraînant des conséquences juridiques que célébré religieusement[66] : il n’y avait donc de mariage civil, c’est-à-dire reconnu par la loi et engendrant des conséquences juridiques, que religieux, les célébrants religieux agissant à ces fins comme officiers civils[67]. Cette symbiose, pourrait-on dire (le professeur Morin parle d’une « imbrication du droit et de la religion »)[68], se poursuit avec l’entrée en vigueur, en 1866, du Code civil du Bas Canada (qui confirmait lui-même un ordre établi de longue date[69]) et survit à l’entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 1867. Elle ne se relâche qu’en 1968, à la suite des recommandations de l’Office de révision du Code civil qui, soucieux de la liberté de conscience des individus dans une société qui s’est diversifiée, propose la reconnaissance du mariage célébré par un officier laïc[70]. S’ensuit l’adoption de la Loi concernant le mariage civil[71], qui modifie le Code civil du Bas Canada : l’art. 129 de celui-ci déclare dorénavant les protonotaires des différents districts judiciaires (et leurs adjoints) compétents à célébrer des mariages.

[83]        Mais alors qu’il ouvre ainsi la porte au mariage célébré par ces officiers, le législateur québécois, suivant d’ailleurs en cela la recommandation de l’Office de révision[72], ne retire pas aux ministres du culte leur habilitation à célébrer des mariages, pas plus qu’il ne soustrait les mariages qu’ils célèbrent aux droits et obligations issus du Code civil du Bas Canada : les ministres du culte demeurent des célébrants compétents au sens du nouvel art. 129 C.c.B.C. et sont investis ainsi de la qualité d’officier civil à ces fins, les mariages contractés devant eux produisant toutes les conséquences juridiques que le Code attache généralement au mariage. Le Code civil du Québec, qui entre en vigueur en 1994, ne dispose pas autrement, les ministres du culte étant toujours habilités à recevoir le consentement des parties qui se marient.

[84]        Certes, on parle volontiers de « mariage civil » (expression que l’Office de révision emploie lui-même) et de « mariage religieux », mais, dans l’ordre juridique, cette dualité ne renvoie qu’à la nature du rite de célébration, à sa modalité : l’institution elle-même demeure sujette au droit et le « mariage religieux » n’en est pas moins civil, au sens juridique du terme, que le mariage célébré par un laïc, le législateur y attachant les mêmes conséquences. En somme, est un mariage civil, c’est-à-dire reconnu par le droit et l’État, tout mariage célébré par l’une ou l’autre des personnes que la loi autorise à ce faire, ce qui inclut les ministres du culte visés par l’art. 366 C.c.Q. Comme l’écrivent les professeurs Pineau et Pratte, « [b]ien que pouvant être un acte religieux, le mariage est d’abord, au regard du droit [québécois], un acte civil »[73]. Castelli et Goubau disent autrement que « le mariage religieux entraîne le mariage civil »[74].

[85]        Ce n’est pas dire que, conceptuellement, on ne puisse distinguer le mariage civil du mariage religieux[75]. La Cour suprême elle-même, dans le Renvoi relatif au mariage des personnes du même sexe, parle de « mariage civil » et de « mariage religieux », précisant que ce qui est devenu la Loi sur le mariage civil[76] se rapporte à « l’institution civile du mariage »[77] et « vise uniquement le mariage civil, à l’exclusion du mariage religieux »[78]. Cela, sans doute, est vrai[79], mais n’a à ce jour pas empêché les provinces d’habiliter les ministres du culte à procéder à des mariages qui, pour avoir, dans l’ordre spirituel, une valeur religieuse, n’en auront pas moins, dans l’ordre juridique, une valeur civile, ce qui entraînera l’application de toute la gamme des conséquences imposées par le législateur provincial, québécois en l’occurrence. Cette possibilité est d’ailleurs, on l’a vu, implicitement acceptée par le législateur fédéral. Le fait qu’un mariage a ainsi un aspect religieux ne fait pas obstacle à sa reconnaissance par le législateur comme institution civile, dotée d’effets juridiques.

[86]        On peut donc au bout du compte constater que le législateur québécois, dans l’exercice de la compétence que lui confèrent les paragr. 92(12) et (13) de la Loi constitutionnelle de 1867, soucieux de ce qu’on a souvent qualifié d’institution sociale fondamentale[80], a décidé 1° de régir les conditions de la célébration de tout mariage, conditions que l’on retrouve aux art. 365 et s. C.c.Q. et auxquelles peuvent s’ajouter des rites personnels ou religieux, et 2° de réglementer de la même façon et d’attribuer les mêmes conséquences juridiques à tous les mariages célébrés conformément à ces dispositions, y compris lorsqu’ils le sont par un ministre du culte, dans la mesure où celui-ci est habilité à le faire aux termes de l’art. 366 C.c.Q.

[87]        Et comment le législateur québécois, plus précisément, régit-il la célébration du mariage? Quels sont les attributs civils du mariage et les droits ou obligations qui y sont rattachés? Sans aller dans tous les détails, voici un portrait général des dispositions pertinentes.

[88]        Le mariage, édicte l’art. 365 C.c.Q., doit être contracté publiquement devant un célébrant compétent, en présence de deux témoins. L’usage du terme « contracté/contracted » n’est pas insignifiant : le mariage, en effet, est peut-être une institution, mais il a aussi une dimension contractuelle, formaliste et solennelle[81].

[89]        L’art. 366 C.c.Q. définit comme suit le célébrant compétent, qui inclut, on le constatera, les ministres du culte répondant à certaines conditions et recevant ainsi l’habilitation de célébrant civil[82] :

366.     Sont des célébrants compé-tents pour célébrer les mariages, les greffiers et greffiers-adjoints de la Cour supérieure désignés par le ministre de la Justice, les notaires habilités par la loi à recevoir des actes notariés ainsi que, sur le territoire défini dans son acte de désignation, toute autre personne désignée par le ministre de la Justice, notamment des maires, d’autres membres des conseils municipaux et des conseils d’arrondissements et des fonctionnaires municipaux.

366.     Every clerk or deputy clerk of the Superior Court designated by the Minister of Justice, every notary authorized by law to execute notarial acts and, within the territory defined in the instrument of designation, any other person designated by the Minister of Justice, including mayors, members of municipal or borough councils and municipal officers, is competent to solemnize marriage.

            Le sont aussi les ministres du culte habilités à le faire par la société religieuse à laquelle ils appartiennent, pourvu qu’ils résident au Québec et que le ressort dans lequel ils exercent leur ministère soit situé en tout ou en partie au Québec, que l’existence, les rites et les cérémonies de leur confession aient un caractère permanent, qu’ils célèbrent les mariages dans des lieux conformes à ces rites et aux règles prescrites par le ministre de la Justice et qu’ils soient autorisés par ce dernier.

            In addition, every minister of religion authorized to solemnize marriage by the religious society to which he belongs is competent to do so, provided that he is resident in Québec, that he carries on the whole or part of his ministry in Québec, that the existence, rites and ceremonies of his confession are of a permanent nature, that he solemnizes marriages in places which conform to those rites and to the rules prescribed by the Minister of Justice and that he is authorized by the latter.

            Les ministres du culte qui, sans résider au Québec, y demeurent temporairement peuvent aussi être autorisés à y célébrer des mariages pour un temps qu’il appartient au ministre de la Justice de fixer.

            Any minister of religion not resident but living temporarily in Québec may also be authorized to solemnize marriage in Québec for such time as the Minister of Justice determines.

            Sont également compétentes pour célébrer les mariages sur le territoire défini dans une entente conclue entre le gouvernement et une communauté mohawk les personnes désignées par le ministre de la Justice et la communauté.

            In the territory defined in an agreement concluded between the Government and a Mohawk community, the persons designated by the Minister of Justice and the community are also competent to solemnize marriages.

[90]        Comme cette disposition est l’une de celles que conteste l’appelant, en voici le texte tel qu’il était au moment du mariage des parties, en août 2001, puis au moment où il institue son action en divorce, en novembre 2013, et entreprend sa contestation constitutionnelle, en novembre 2014 (les différences de chacun des versions avec le texte qui précède sont soulignées) :

Disposition en vigueur au moment du mariage des parties (août 2001)

366.     Sont des célébrants compétents pour célébrer les mariages, les greffiers et greffiers-adjoints de la Cour supérieure désignés par le ministre de la Justice.

366.     Every clerk or deputy clerk of the Superior Court designated by the Minister of Justice is competent to solemnize marriage.

            Le sont aussi les ministres du culte habilités à le faire par la société religieuse à laquelle ils appartiennent, pourvu qu’ils résident au Québec et que le ressort dans lequel ils exercent leur ministère soit situé en tout ou en partie au Québec, que l’existence, les rites et les cérémonies de leur confession aient un caractère permanent et qu’ils soient autorisés par le ministre responsable de l’état civil.

            In addition, every minister of religion authorized to solemnize marriage by the religious society to which he belongs is competent to do so, provided that he is resident in Québec, that he carries on the whole or part of his ministry in Québec, that the existence, rites and ceremonies of his confession are of a permanent nature and that he is authorized by the minister responsible for civil status.

            Les ministres du culte qui, sans résider au Québec, y demeurent temporairement peuvent aussi être autorisés à y célébrer des mariages pour un temps qu’il appartient au ministre responsable de l’état civil de fixer.

            Any minister of religion not resident but living temporarily in Québec may also be authorized to solemnize marriage in Québec for such time as the minister responsible for civil status determines.

            Sont également compétentes pour célébrer les mariages sur le territoire défini dans une entente conclue entre le gouvernement et une communauté mohawk les personnes désignées par le ministre de la Justice et la communauté.

            In the territory defined in an agreement concluded between the Government and a Mohawk community, the persons designated by the Minister of Justice and the community are also competent to solemnize marriages.

Disposition en vigueur au moment de l’institution de l’action (novembre 2013) et de la contestation constitutionnelle (novembre 2014)

366.     Sont des célébrants compé-tents pour célébrer les mariages, les greffiers et greffiers-adjoints de la Cour supérieure désignés par le ministre de la Justice, les notaires habilités par la loi à recevoir des actes notariés ainsi que, sur le territoire défini dans son acte de désignation, toute autre personne désignée par le ministre de la Justice, notamment des maires, d’autres membres des conseils municipaux ou des conseils d’arrondissements et des fonctionnaires municipaux.

366.     Every clerk or deputy clerk of the Superior Court designated by the Minister of Justice, every notary authorized by law to execute notarial acts and, within the territory defined in the instrument of designation, any other person designated by the Minister of Justice, including mayors, members of municipal or borough councils and municipal officers, is competent to solemnize marriage.

            Le sont aussi les ministres du culte habilités à le faire par la société religieuse à laquelle ils appartiennent, pourvu qu’ils résident au Québec et que le ressort dans lequel ils exercent leur ministère soit situé en tout ou en partie au Québec, que l’existence, les rites et les cérémonies de leur confession aient un caractère permanent, qu’ils célèbrent les mariages dans des lieux conformes à ces rites ou aux règles prescrites par le ministre de la Justice et qu’ils soient autorisés par ce dernier.

            In addition, every minister of religion authorized to solemnize marriage by the religious society to which he belongs is competent to do so, provided that he is resident in Québec, that he carries on the whole or part of his ministry in Québec, that the existence, rites and ceremonies of his confession are of a permanent nature, that he solemnizes marriages in places which conform to those rites or to the rules prescribed by the Minister of Justice and that he is authorized by the latter.

            Les ministres du culte qui, sans résider au Québec, y demeurent temporairement peuvent aussi être autorisés à y célébrer des mariages pour un temps qu’il appartient au ministre de la Justice de fixer.

            Any minister of religion not resident but living temporarily in Québec may also be authorized to solemnize marriage in Québec for such time as the Minister of Justice determines.

            Sont également compétentes pour célébrer les mariages sur le territoire défini dans une entente conclue entre le gouvernement et une communauté mohawk les personnes désignées par le ministre de la Justice et la communauté.

            In the territory defined in an agreement concluded between the Government and a Mohawk community, the persons designated by the Minister of Justice and the community are also competent to solemnize marriages.

[91]        Comme on le voit, les modifications successives de l’art. 366 C.c.Q. sont sans impact sur le présent débat. L’analyse qui sera faite des moyens des parties sera donc, par commodité, fondée sur le texte actuel de cette disposition législative, mais vaut tout autant pour ses versions antérieures.

[92]        Outre l’habilitation des célébrants (condition essentielle de l’existence du mariage), le législateur dicte aussi les formalités préparatoires à la célébration du mariage (publication d’un avis préalable du mariage, sauf dispense, art. 368 à 371 C.c.Q.), les modalités de l’opposition au mariage de personnes inhabiles (art. 372 C.c.Q.), les conditions de la célébration (vérification par le célébrant de l’identité des futurs époux, du respect des exigences de formation et de l’accomplissement des autres formalités, prévues par la loi, art. 373 C.c.Q.), ainsi que certains des aspects de la célébration elle-même (lecture de certaines dispositions législatives aux futurs époux et déclaration de ces derniers, art. 374 C.c.Q.; respect des conditions prévues par règlement, art. 376 et 376.1 C.c.Q.[83]).

[93]        Ces dispositions et les exigences qu’elles prescrivent ne peuvent être éludées puisqu’elles sont d’ordre public et que leur mise en œuvre est en partie assurée par le Code criminel, qui vient en renfort par ses art. 294 et 295 :

294  Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maxi-mal de deux ans quiconque, selon le cas :

294  Every person is guilty of an indictable offence and liable to imprisonment for a term of not more than two years who

a)  célèbre ou prétend célébrer un mariage sans autorisation légale;

(a)  solemnizes or pretends to solemnize a marriage without lawful authority; or

b)  amène une personne à célébrer un mariage, sachant que cette personne n’est pas légalement autorisée à le célébrer.

(b)  procures a person to solemnize a marriage knowing that he is not lawfully authorized to solemnize the marriage.

295  Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maxi-mal de deux ans quiconque, étant légalement autorisé à célébrer le mariage, célèbre sciemment un mariage en violation du droit fédéral ou des lois de la province où il est célébré.

295  Everyone who, being lawfully authorized to solemnize marriage, knowingly solemnizes a marriage in contravention of federal law or the laws of the province in which the marriage is solemnized is guilty of an indictable offence and liable to imprisonment for a term not exceeding two years.

[94]        Le Code criminel consolide ainsi les exigences québécoises en matière de célébration du mariage. D’une part, celui-ci ne peut être contracté que devant un célébrant compétent (art. 365 C.c.Q.), c’est-à-dire désigné au sens de l’art. 366 C.c.Q., et toute personne qui prétend célébrer un mariage sans détenir une telle autorisation commet un acte criminel (art. 294 C.cr.). D’autre part, tout célébrant autorisé doit respecter les formalités imposées au mariage par les art. 365 et s. C.c.Q., ainsi que les conditions prévues par la loi fédérale, sauf, là encore, à commettre un acte criminel (art. 295 C.cr.)[84].

[95]        Pour le reste, l’art. 380 C.c.Q. sanctionne de la manière suivante les manquements aux conditions de formation du mariage, de fond comme de forme :

380.     Le mariage qui n’est pas célébré suivant les prescriptions du présent titre et suivant les conditions nécessaires à sa formation peut être frappé de nullité à la demande de toute personne intéressée, sauf au tribunal à juger suivant les circonstances.

380.     A marriage which is not solemnized as prescribed by this Title and the necessary conditions for its formation may be declared null upon the application of any interested person, although the court may decide according to the circumstances.

            L’action est irrecevable s’il s’est écoulé trois ans depuis la célébration, sauf si l’ordre public est en cause, notamment lorsque le consentement de l’un des époux n’était pas libre ou éclairé.

            No action lies after the lapse of three years from the solemnization, except where public order is concerned, in particular if the consent of one of the spouses was not free or enlightened.

[96]        Je reviendrai ultérieurement sur cette disposition (voir infra, paragr. [117] et s.).

[97]        Par ailleurs, une fois le mariage contracté, il affecte l’état civil des époux (c.-à-d. leur statut juridique et leur état par rapport à la famille et à la société et dans celles-ci[85]) et il doit donc être déclaré au même titre que le divorce qui le défait, mais aussi la naissance, l’union civile ou le décès (art. 107 C.c.Q.). Les art. 118 et 375 C.c.Q. obligent donc le célébrant, qui qu’il soit, à faire parvenir une déclaration de mariage[86] au directeur de l’état civil, ce qui permettra à ce dernier de dresser l’acte de mariage. Comme l’appelant conteste spécifiquement ces dispositions, il convient de les reproduire ici en deux versions : celle qui était en vigueur au moment du mariage et, de même, au moment de l’institution de l’action en divorce et de la contestation constitutionnelle, puis celle qui est actuellement en vigueur[87]. Les voici :

Dispositions en vigueur au moment du mariage des parties (août 2001), puis au moment de l’institution de l’action (novembre 2013) et de la contestation constitutionnelle (novembre 2014)

118.     La déclaration de mariage est faite, sans délai, au directeur de l’état civil par celui qui célèbre le mariage.

118.     The declaration of marriage is made without delay to the registrar of civil status by the person having solemnized the marriage.

375.     Le célébrant établit la déclaration de mariage et la transmet sans délai au directeur de l’état civil.

375.     The officiant draws up the declaration of marriage and sends it without delay to the registrar of civil status.

Dispositions actuelles (les différences avec les textes antérieurs sont soulignées)

118.     La déclaration de mariage est faite par le célébrant au directeur de l’état civil dans les 30 jours suivant la célébration.

118.     The declaration of marriage is made to the registrar of civil status by the officiant within 30 days after the solemnization.

375.     Le célébrant établit la déclaration de mariage et la transmet dans les 30 jours suivant la célébration au directeur de l’état civil.

375.     The officiant draws up the declaration of marriage and sends it within 30 days after the solemnization to the registrar of civil status.

[98]        Ces modifications ne changent rien à la substance des art. 118 et 375 C.c.Q., si ce n’est que le délai précédemment laissé à la diligence des célébrants est maintenant fixé à 30 jours. De la même manière que pour l’art. 366 C.c.Q., l’analyse des moyens des parties sera donc fondée sur les textes actuels de ces dispositions, analyse qui vaudra tout autant pour les textes antérieurs.

[99]        L’obligation ainsi faite au célébrant, qui doit promptement transmettre la déclaration de mariage au directeur de l’état civil, résulte de ce que le législateur a centralisé les actes de l’état civil, et ce, afin d’en assurer l’accessibilité et la pérennité. Il importe donc que le célébrant informe diligemment le directeur de l’état civil du mariage des individus. À la réception de la déclaration, le directeur dresse un acte de l’état civil (art. 108 et 109 C.c.Q.), l’acte de mariage en l’occurrence (qui ne doit donc pas être confondu avec la déclaration qu’établit le célébrant), acte authentique (art. 107) qui fera en principe foi du mariage en question (art. 378). Et que faire si, pour une raison ou une autre, le célébrant ne transmet pas la déclaration de mariage au directeur de l’état civil ou que cette déclaration se perd? Mariage il y a néanmoins, le directeur de l’état civil étant dès lors autorisé à dresser l’acte de mariage conformément à l’art. 130 C.c.Q. :

130.     Lorsqu’une naissance, un mariage, une union civile ou un décès survenu au Québec n’est pas constaté ou déclaré, ou l’est incorrectement ou tardivement, le directeur de l’état civil procède à une enquête sommaire, dresse l’acte de l’état civil sur la foi de l’information qu’il obtient et l’insère dans le registre de l’état civil.

130.     Where a birth, marriage, civil union or death having occurred in Québec is not attested or declared or is attested or declared inaccurately or late, the registrar of civil status makes a summary investigation, draws up the act of civil status on the basis of the information he obtains and inserts the act in the register of civil status.

            En cas de déclaration tardive s’ajoutant à une autre déclaration sans la contredire, le directeur de l’état civil peut, avec le consentement de l’auteur de la déclaration précédente, apporter la modification correspondante à l’acte de l’état civil. Toutefois, s’il s’agit d’une déclaration de filiation, la modification est, en outre, conditionnelle au consentement de l’enfant âgé de 14 ans ou plus et à l’absence d’un lien de filiation établi en faveur d’une autre personne par un titre, une possession constante d’état ou une présomption légale; elle est aussi conditionnelle à l’absence d’objection d’un tiers dans les 20 jours d’un avis publié conformément aux règles fixées par règlement du gouvernement.

            Where a tardy declaration is made which adds to an earlier one without contradicting it, the registrar of civil status may, with the consent of the author of the earlier declaration, alter the act of civil status accordingly. However, in the case of a declaration of filiation, alteration of the act of civil status is conditional upon the consent of the child if he is 14 years of age or over and upon the absence of a bond of filiation established in favour of another person by an act, uninterrupted possession of status or a legal presumption; it is also conditional upon the absence of any objection from a third person within 20 days of the publication of a notice in accordance with the rules determined by government regulation.

 

[Je souligne]

[100]     L’acte de mariage dressé à la suite d’une telle enquête fera preuve de l’union des époux. L’art. 379 C.c.Q. prévoit pour sa part que la possession d’état, qui ne peut établir à elle seule le mariage, peut cependant suppléer aux défauts de forme de l’acte de mariage, s’il en est[88].

[101]     Vu certains des moyens de l’appelant, il convient de préciser immédiatement que, d’une part, les art. 118 et 375 C.c.Q. sont obligatoires et ne laissent pas aux célébrants la faculté, à la demande des époux par exemple, de ne pas transmettre la déclaration de mariage au directeur de l’état civil. D’autre part, il faut préciser aussi que ce n’est pas cette transmission qui engendre les effets juridiques du mariage et confère droits et obligations aux personnes mariées.

[102]     Sur le premier point, le libellé des art. 118 et 375 ne laisse à mon avis aucun doute sur leur caractère contraignant, ainsi que le reconnaissent maintenant toutes les parties. La force obligatoire de ces dispositions est mise en évidence par l’utilisation du temps présent dans l’une et l’autre (même si l’on n’y a pas employé le verbe « devoir »), de même que par leur tournure. Cette impérativité ne ressort pas seulement du texte, mais aussi du contexte général et de l’objectif de la réforme des registres de l’état civil, désormais unifiés et centralisés[89]. Le directeur de l’état civil n’étant pas omniscient, les déclarations de mariage doivent donc lui être acheminées (comme les déclarations d’union civile[90], les déclarations de naissance[91] ou les déclarations de décès[92]). Considérant par ailleurs la multiplicité croissante des célébrants autorisés par l’art. 366 C.c.Q., dont les ministres du culte, l’obligation s’impose naturellement.

[103]     La validité constitutionnelle du choix législatif d’inclure les ministres du culte au nombre des célébrants autorisés peut certainement faire l’objet d’un débat - d’où le présent litige - mais ce n’est pas là une discussion à laquelle on peut couper court en laissant à ces célébrants, agissant vraisemblablement à la demande des époux, la latitude de ne pas transmettre la déclaration de mariage au directeur de l’état civil. Les art. 118 et 375 C.c.Q. ne laissent aucune telle faculté au célébrant. Interpréter autrement ces dispositions et y voir une option plutôt qu’une obligation heurterait de plein fouet la volonté législative exprimée à travers le texte et le contexte.

[104]     De plus, dans la mesure où les art. 118 et 375 s’appliquent à tous les célébrants autorisés par l’art. 366 C.c.Q., et pas seulement aux ministres du culte visés par le deuxième et le troisième alinéa de cette disposition, il n’y aurait aucune raison de dispenser ceux-ci d’une obligation que le législateur impose manifestement à tous.

[105]     Dans un article publié à la suite du jugement de première instance[93], les professeurs Alain Roy et Michel Morin font d’ailleurs une démonstration convaincante du caractère obligatoire des art. 118 et 375 C.c.Q., qui s’imposent aux ministres du culte comme aux autres célébrants autorisés, démonstration qui repose tant sur la lettre de la loi que sur des éléments contextuels tels l’historique de ces deux dispositions, l’état du droit antérieur à l’entrée en vigueur du Code civil du Québec, le texte des autres dispositions que l’on retrouve sous les mêmes rubriques du Code civil, la logique, les objectifs et les impératifs de la réforme du registre de l’état civil ainsi que les débats parlementaires. Je me permets de reproduire longuement certains extraits de cet article :

3.         Les objectifs visés par la réforme

[…]

Certes, la centralisation entre les mains du directeur de l’état civil des fonctions relevant de l’établissement, de la tenue et de la garde des actes et du registre de l’état civil a nécessité la création d’une nouvelle formalité, soit la transmission par le célébrant d’une déclaration de mariage au directeur de l’état civil. D’aucuns insisteront sur le fait que les articles 118 et 375 du Code civil du Québec n’imposent pas en termes exprès une obligation d’agir, tels que « le célébrant doit transmettre sans délai la déclaration de mariage au directeur de l’état civil ». Peut-on en déduire qu’une telle obligation n’existe pas, qu’il appartiendrait plutôt au célébrant de décider, à la demande des conjoints ou de l’un d’eux, de ne pas déclarer le mariage au directeur de l’état civil et, partant, d’en limiter les effets à la sphère religieuse? Après avoir confié aux ministres du culte la responsabilité de tenir les registres d’état civil et les avoir obligés à en transmettre annuellement un exemplaire au protonotaire de la Cour supérieure, le législateur aurait-il profité de la réforme de 1994 pour dénouer subtilement le lien jusqu’alors indiscutable entre le religieux et le civil?

Comme nous l’avons vu, tant le Code civil du Bas Canada que le Code criminel sanctionnaient sans l’ombre d’un doute la célébration d’un mariage qui n’était pas suivie d’une inscription dans les registres religieux, parce que sa validité aurait pu être contestée par la suite. L’objectif d’une telle règle n’est pas difficile à déceler : il fallait à tout prix éviter que des conjoints croient être mariés civilement sans que ce ne soit le cas. Dès lors, il faut se demander s’il existe une indication quelconque d’une volonté législative d’abolir cette règle. À cet égard, les Commentaires du ministre de la Justice (ci-après « Commentaires ») constituent une source de renseignements précieuse. Sous l’article 118 C.c.Q. (situé au chapitre « Du registre et des actes de l’état civil » du Livre premier sur les personnes), on peut lire ce qui suit :

Même s’il n’est plus officier de l’état civil, celui qui célèbre un mariage a toujours la responsabilité de le déclarer au directeur de l’état civil. Cette déclaration est tout aussi importante, puisqu’elle tient lieu à la fois de constat et de déclaration. La corroboration du constat n’est pas nécessaire, puisque la déclaration est déjà signée non seulement par le déclarant et les personnes concernées, mais aussi par deux témoins conformément à l’article 121.

Cet article modifie le droit antérieur, en ce qu’il impose un délai de trente jours au célébrant pour faire la déclaration au directeur de l’état civil, alors qu’auparavant il dressait l’acte le jour même et transmettait annuellement un exemplaire de son registre au protonotaire.

Les Commentaires indiquent comme « source » de l’article 118 C.c.Q. les articles 47 et 64 du Code civil du Bas Canada, ainsi que l’article 90 du Livre premier du projet de l’Office de révision du code civil. Les auteurs de ce document expliquent ainsi l’objet de cette dernière disposition :

Il a paru souhaitable d’imposer au célébrant plutôt qu’aux parties l’obligation de transmettre au Directeur la déclaration de mariage. Le célébrant représente un élément de stabilité administrative au moment du mariage. Cette situation diffère de celle de la naissance où l’accoucheur ne transmet au Directeur que le constat alors que la déclaration est transmise par les parents.

Notons que l’article 118 C.c.Q. tire son origine de la Loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des personnes, des successions et des biens. Lors de l’étude détaillée du projet de loi devant la Sous-commission des institutions, un haut fonctionnaire du ministère de la Justice, le notaire André Cossette, explique en ces termes l’objet de cet article :

Le Président (M. Gagnon) : Cela va? L’article 124 est adopté. L’article 125, Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel : “Celui qui célèbre un mariage le déclare au directeur de l’état civil dans les trente jours de la célébration.”

Le Président (M. Gagnon) : Commentaire.

M. Cossette : Même s’il n’est plus officier de l’état civil, celui qui célèbre un mariage conserve la responsabilité de le déclarer au directeur de l’état civil. Cette déclaration est tout aussi importante, puisqu’elle tient lieu à la fois de constat et de déclaration. La corroboration du constat n’est pas nécessaire puisque la déclaration est déjà signée non seulement par le déclarant, c’est-à-dire l’auteur de la déclaration, et les personnes concernées, mais aussi par deux témoins.

Le Président (M. Gagnon) : Cela va? L’article 125 est adopté.

Les Commentaires sous l’article 375 C.c.Q. (situé au chapitre « Du mariage et de sa célébration » du Livre deuxième sur la famille) vont d’ailleurs dans le même sens :

Cet article reprend substantiellement l’article 419 C.C.Q. (1980) en lui apportant les modifications de concordance requises par les dispositions des articles 118 à 121 du Livre premier de ce code et le nouveau mode de nomination des personnes habiles à célébrer les mariages en application de l’article 366.

Il oblige le célébrant à établir la déclaration de mariage et à la transmettre, dans un certain délai, au directeur de l’état civil.

Que peut-on conclure de ces commentaires et échanges, sinon qu’il n’a jamais été question d’accorder au célébrant la faculté de ne pas transmettre la déclaration de mariage au directeur de l’état civil?

4.         Les indications fournies par le texte du Code

La seule lettre des articles pertinents du Code civil du Québec peut-elle suffire à contredire ces commentaires, qui conduiraient normalement à conclure que l’état du droit n’a pas été modifié? Nous ne le croyons pas. Conformément au style de rédaction sobre et élégant généralement privilégié dans un code civil, les obligations imposées au célébrant sont parfois formulées d’une manière descriptive plutôt qu’impérative. Ainsi, le célébrant « s’assure de l’identité des futurs époux, ainsi que du respect des conditions de formation du mariage et de l’accomplissement des formalités prescrites par la loi » (C.c.Q., art. 373), puis il « fait lecture aux futurs époux, en présence des témoins, des dispositions des articles 392 à 396 », il « demande à chacun des futurs époux et reçoit d’eux personnellement la déclaration qu’ils veulent se prendre pour époux » et il « les déclare alors unis par le mariage (C.c.Q., art. 374) ». Imagine-t-on un seul instant que le célébrant ait la liberté de ne pas respecter ces formalités? D’ailleurs, comme le précise l’article 380 C.c.Q., le non-respect des formalités prescrites par le code peut, dans certains cas, être sanctionné par la nullité du mariage. Comment justifier une telle sanction autrement que par le caractère obligatoire dont ces formalités sont assorties, peu importe la manière dont celles-ci ont été libellées?[94]

[Renvois omis].

[106]     Par conséquent, avec les plus grands égards pour la juge de première instance, qui fut amenée à trancher ainsi notamment en raison de l’argumentaire présenté à l’époque par la procureure générale, qui a, depuis, changé son fusil d’épaule, je conclus que les art. 118 et 375 C.c.Q. sont obligatoires et que tout célébrant autorisé d’un mariage, y inclus le ministre du culte visé par l’art. 366 C.c.Q., est tenu d’établir la déclaration de mariage et de la transmettre au directeur de l’état civil dans le délai requis, celui-ci pouvant au besoin recourir aux prescriptions de l’art. 130 C.c.Q. en cas de défaut ou de retard[95].

[107]     Ce qui me ramène au second point annoncé plus haut (supra, paragr. [104]) : la transmission de la déclaration au directeur de l’état civil et l’acte de mariage qui s’ensuit permettent d’établir l’existence du mariage (art. 378 C.c.Q.), mais ce n’est pas, en elle-même, cette transmission qui génère les effets[96] du mariage; ce ne sont pas non plus les art. 118 et 375 C.c.Q. qui imposent des conséquences juridiques au mariage ou les enclenchent. Il ne faut pas confondre ici l’acte juridique (le mariage) et le moyen d’en faire la preuve (l’acte de mariage, établi sur la foi de la déclaration de mariage)[97]. Comme on l’a vu[98], le directeur de l’état civil peut d’ailleurs dresser l’acte de mariage même en l’absence d’une telle déclaration, conformément à l’art. 130 C.c.Q. Si le mariage produit des effets juridiques de toutes sortes (patrimoniaux et extrapatrimoniaux) dès sa célébration, c’est plutôt en raison des art. 391 et s., 427, 432, 516, 585 C.c.Q. et autres, qui expriment la volonté du législateur d’associer ces conséquences au mariage.

[108]     Le législateur québécois rattache les mêmes droits et les mêmes obligations à tout mariage contracté selon les exigences des art. 365 et s. C.c.Q., ce qui inclut le mariage célébré par un ministre du culte possédant les qualités requises par l’art. 366, al. 2 ou 3 C.c.Q. (c’était le cas du prêtre qui a célébré le mariage des parties et qui a transmis la déclaration de leur mariage au directeur de l’état civil). Un tel mariage produit, comme tous les autres, les conséquences que prévoit d’abord l’art. 391 C.c.Q. :

391.     Les époux ne peuvent déroger aux dispositions du présent chapitre, quel que soit leur régime matrimonial.

391.     In no case may spouses derogate from the provisions of this chapter, whatever their matrimonial regime.

[109]     Sous la rubrique « Effets du mariage » (chapitre quatrième du Titre premier (« Du mariage ») du Livre deuxième (« De la famille ») du Code civil du Québec), cette disposition renvoie aux droits et devoirs des époux (art. 392 à 400[99]), à la résidence familiale (401 à 413[100]) ainsi qu’au patrimoine familial (414 à 426[101]) et à la prestation compensatoire (art. 427 à 430), établissant un régime obligatoire (dit « régime primaire »), auquel les époux ne peuvent en principe se soustraire.

[110]     Autre disposition en principe impérative, l’art. 585 prescrit pour sa part l’obligation alimentaire que se doivent les époux (et autres) :

585.     Les époux et conjoints unis civilement de même que les parents en ligne directe au premier degré se doivent des aliments.

585.     Married or civil union spouses, and relatives in the direct line in the first degree, owe each other support.

[111]     Le régime matrimonial légal - la société d’acquêts -, imposé par l’art. 432 C.c.Q. en l’absence du contrat de mariage prévu par l’art. 431, est également un effet (au sens large) attaché à l’union des époux (encore qu’il soit possible d’y échapper par le moyen de l’art. 438, qui permet aux époux de modifier leur régime matrimonial, ou par la renonciation prévue par l’art. 467).

[112]     Autre conséquence juridique, le mariage validement conclu, à titre d’institution d’intérêt public reconnue par le droit, ne peut être rompu du gré des parties, du moins aux yeux de l’État, et ne l’est que par le décès ou le divorce (sujet qui relève du Parlement[102]), comme le prévoit l’art. 516 C.c.Q.[103].

[113]     Dans un autre ordre d’idées, on doit parler aussi de ces autres règles que sont, par exemple, la présomption de paternité liée au mariage[104], la dévolution successorale entre époux[105] (qui varie selon que des enfants soient nés ou non du mariage et à laquelle on peut déroger par la voie testamentaire), le droit de l’époux au maintien dans le logement loué[106], l’insaisissabilité provisoire des droits d’assurance[107] ou l’exception à la prescription entre époux[108], qui sont autant de conséquences juridiques du mariage. Enfin, la contestation de l’appelant étant limitée aux dispositions du Code civil du Québec, il ne sera pas fait mention ici des diverses lois provinciales ou fédérales qui accordent des droits ou avantages aux époux ou leur imposent certaines obligations[109].

[114]     On doit enfin reparler de l’art. 380 C.c.Q. (supra, paragr. [98]), qui prévoit la nullité du mariage célébré en violation des exigences de fond prévues par la loi fédérale ou des formalités prévues par la loi québécoise. C’est d’une nullité particulière qu’il s’agit, qui n’est en pratique reconnue qu’avec réticence (certainement lorsqu’il s’agit du non-respect des conditions de forme)[110] et qui n’implique pas nécessairement ce qu’en d’autres contextes on appellerait la remise en état des parties. Ainsi, cette nullité ne prive pas les enfants, s’il en est[111], des avantages qui leur sont assurés par la loi du fait du mariage ou, le cas échéant, par le contrat de mariage (art. 381 C.c.Q.). Plus encore, aux termes des art. 382-384, 388 et 389 C.c.Q., elle ne prive pas non plus l’époux de bonne foi de ces effets du mariage que sont le partage des biens et le droit à une prestation compensatoire ou au soutien alimentaire :

382.     Le mariage qui a été frappé de nullité produit ses effets en faveur des époux qui étaient de bonne foi.

382.     A marriage that has been declared null produces its effects in favour of spouses who were in good faith.

            Il est procédé notamment à la liquidation de leurs droits patrimoniaux qui sont alors présumés avoir existé, à moins que les époux ne conviennent de reprendre chacun leurs biens.

            In particular, the liquidation of the patrimonial rights that are then presumed to have existed is proceeded with, unless the spouses each agree to take back their property.

383.     Si les époux étaient de mauvaise foi, ils reprennent chacun leurs biens.

383.     If the spouses were in bad faith, they each take back their property.

384.     Si un seul des époux était de bonne foi, il peut, à son choix, reprendre ses biens ou demander la liquidation des droits patrimoniaux qui lui résultent du mariage.

384.     If only one spouse was in good faith, that spouse may either take back his or her property or apply for the liquidation of the patrimonial rights resulting to him or her from the marriage.

388.     Le tribunal statue, comme en matière de séparation de corps, sur les mesures provisoires durant l’instance, sur la garde, l’entretien et l’éducation des enfants; en prononçant la nullité, il statue sur le droit de l’époux de bonne foi à des aliments ou à une prestation compensatoire.

388.     The court decides, as in proceedings for separation from bed and board, as to the provisional measures pending suit, the custody, maintenance and education of the children and, in declaring nullity, it decides as to the right of a spouse in good faith to support or to a compensatory allowance.

389.     La nullité du mariage éteint le droit qu’avaient les époux de se réclamer des aliments, à moins que, sur demande, le tribunal, au moment où il prononce la nullité, n’ordonne à l’un des époux de verser des aliments à l’autre ou, s’il ne peut statuer équitablement sur la question en raison des circonstances, ne réserve le droit d’en réclamer.

389.     Nullity of marriage extinguishes the right which the spouses had to claim support unless, on a demand, the court, in declaring nullity, orders one of them to pay support to the other or, being unable, owing to the circumstances, to decide the question equitably, reserves the right to claim support.

            Le droit de réclamer des aliments ne peut être réservé que pour une période d’au plus deux ans; il est éteint de plein droit à l’expiration de cette période.

            The right to claim support may not be reserved for a period of over two years; it is extinguished by operation of law at the expiry of that period.

[115]     On mesure à cela la force des conséquences juridiques que le législateur québécois attache au mariage et qui résistent même, pour partie, à sa nullité, et l’on mesure aussi, du coup, la vigueur de la volonté législative à l’égard de cette institution sociale fondamentale, « élément structurant de la société, en étroite relation avec la famille »[112] et qui le demeure pour l’État québécois, malgré le déclin souvent remarqué de sa popularité en faveur de l’union de fait.

[116]     Le mariage est à l’intersection du privé et du public; il est un acte privé, personnel, mais il a également une fonction publique, qui relève de l’ordre social (ce qui explique notamment que le consentement des parties au mariage doive être attesté publiquement et en personne); il a un aspect contractuel, mais confère un statut dont l’État veut assurer l’encadrement juridique dans le respect de certaines valeurs, et ce, dans l’intérêt public[113]. Ces valeurs, qui ont évolué au cours des ans, sont aujourd’hui celles de l’égalité des époux (comme conjoints autant que dans la direction de la famille) et de l’équité des rapports qui s’instaurent entre eux (notamment sur le plan économique), ainsi que de la protection de l’époux vulnérable.

[117]     Ce survol étant fait, examinons maintenant l’objet du débat soulevé par l’appelant.

2.         Objet véritable de la contestation de l’appelant

[118]     La contestation de l’appelant, du moins dans ses conclusions[114], vise ostensiblement les art. 118, 366 et 375 C.c.Q., qui attenteraient à sa liberté de religion et à son droit d’être traité sans distinction fondée sur la religion. Or, en quoi, précisément, le fait d’autoriser les ministres du culte à célébrer des mariages reconnus par l’État et traités, sur le plan juridique, comme tout mariage, ou de les obliger à transmettre la déclaration de mariage au directeur de l’état civil, comme tout autre célébrant, enfreint-il ces droits fondamentaux?

[119]     Malgré le résumé que j’ai tenté d’en faire plus haut[115], la réponse que l’appelant donne à cette question ne ressort pas clairement de son mémoire, ni des observations présentées en son nom lors de l’audience d’appel. C’est qu’en effet, et cela appert en définitive des arguments qu’il fait valoir, ce que l’appelant remet en cause, en réalité, n’est pas tant la validité des art. 118, 366 et 375 C.c.Q. que le choix même qu’a fait le législateur québécois d’attacher certaines conséquences juridiques au mariage, peu importe le rituel de la célébration de celui-ci, et, plus exactement, la décision qu’il a prise d’imposer ces conséquences au mariage célébré religieusement, reconnaissant ainsi en une telle union un mariage au sens juridique du terme.

[120]     Ce ne serait toutefois pas la nature des conséquences ainsi associées au mariage qui choquerait l’appelant, constitutionnellement parlant. Plutôt, renchérissant sur son plan d’argumentation de novembre 2015[116], il explique dans son mémoire que :

58.       Ce ne sont donc pas les effets civils du mariage, tels que l'application du patrimoine familial, la protection de la résidence familiale ou les obligations alimentaires, qui entrent en conflit avec les convictions religieuses de l'Appelant comme le prétend la juge de première instance. En fait, une telle conclusion n'est pas supportée par l'argumentation présentée en première instance. Au contraire, ce sont plutôt ses convictions religieuses qui sont entravées par l'application pratique du régime des articles 118, 375 et 366 C.c.Q., lequel emporte un amalgame des effets civils et religieux, puisqu'il oblige l'Appelant à renoncer à l'un de ses droits.

59.       Que l'Appelant soit en accord ou non avec les règles telles qu'énoncées par le législateur importe peu : ce qui importe, ce sont les droits de l'Appelant de professer librement sa religion et de choisir volontairement la forme et les effets de sa conjugalité civile, distinctement et indépendamment l'un de l'autre.

60.       Plus simplement exposé, cela signifie que toute personne croyante en l'institution religieuse du mariage ne peut, en raison de l'obligation des ministres du culte de déclarer tous les mariages qu'ils célèbrent à l'État, choisir de vivre sa conjugalité en union de fait et de bénéficier ainsi de l'autonomie de la volonté et de la liberté contractuelle que l'État reconnaît aux conjoints de fait, et ce, contrairement aux couples non croyants. En assortissant le mariage d'effets juridiques impératifs qui en font une association socioéconomique, l'État porte ainsi atteinte à la liberté de croyance des couples pour qui le mariage est une institution religieuse.

[Je souligne]

[121]     Autrement dit, l’appelant revendique le droit de choisir les règles de sa conjugalité sur le plan juridique, droit dont il serait privé, en tant que croyant, par le fait que l’État associe des conséquences au mariage célébré religieusement, comme à tout autre mariage. Le croyant ne peut donc choisir de se marier religieusement, respectant ainsi les principes de sa foi, tout en étant, aux yeux de l’État, en union de fait. Il y aurait là une atteinte au droit à l’égalité, atteinte résultant d’une distinction fondée sur la religion. Qui plus est, parce que les dispositions que le Code civil consacre au mariage « en font une association socioéconomique », l’État enfreindrait la liberté de croyance de ceux et celles pour qui le mariage est une institution purement religieuse[117]. C’est de cela que les mémoires discutent, pour l’essentiel, et ce fut également là le sujet principal de l’audience d’appel.

[122]     Ce positionnement tranche assez avec la thèse que l’appelant défendait précédemment. Il ressort en effet de ses deux interrogatoires préalables, tout comme de l’argumentaire produit en septembre 2015 et des actes de procédure antérieurs à novembre 2015, que ses objections constitutionnelles tenaient principalement à la constitution et au partage du patrimoine familial. À cette époque, il paraissait s’en prendre surtout à « la structure économique du mariage [qui ne fait] pas de sens »[118] et « ne tient pas la route »[119]. C’est une préoccupation dont il minimise l’importance lors de son témoignage devant la juge de première instance, sinon qu’il réaffirme avoir toujours séparé sa vie civile de sa vie religieuse et n’avoir jamais voulu de l’union économique établie par le Code civil du Québec[120]. Il faut dire qu’au moment du procès, les parties ont, de façon informelle, partagé leurs biens (sauf les régimes de retraite). Il n’est donc pas étonnant que l’appelant ait réaligné sa théorie de la cause en conséquence.

[123]     Ce que conteste l’appelant serait donc, en définitive, le choix législatif de reconnaître au mariage célébré par un ministre du culte les attributs de tout mariage et de lui associer les mêmes droits et obligations. Cela explique sans doute pourquoi l’appelant, que ce soit dans son mémoire ou à l’audience, parle peu des conséquences juridiques du mariage comme telles et qu’on ne sache pas exactement ce qui, dans les dispositions que le Code civil y consacre, enfreindrait sa croyance religieuse. En fait, l’appelant s’oppose par principe au rattachement de tout effet juridique au mariage célébré religieusement[121], ce qui, en plus d’attenter à sa liberté de religion, serait discriminatoire par comparaison avec les personnes qui vivent sans contraintes religieuses et peuvent donc choisir librement de vivre leur conjugalité en union de fait et d’organiser leurs relations, sur tous les plans, comme elles l’entendent. C’est cette liberté-là que revendique l’appelant.

[124]     Et c’est l’inconstitutionnalité du choix législatif actuel qu’il se propose de contrer, pour ce qu’on peut en comprendre, en suggérant que les art. 118, 366, al. 2 et 3[122], et 375 soient déclarés invalides : cette invalidité serait en quelque sorte le remède à l’inconstitutionnalité qu’il invite la Cour à constater. En supprimant ces dispositions (et plus exactement en les déclarant inopérantes), on exclurait le mariage célébré par un ministre du culte du cercle des mariages visés par le Titre premier du Livre deuxième du Code civil du Québec, ce qui en ferait, aux fins du droit, une union de fait.

[125]     Il est, à vrai dire, difficile de savoir ce que souhaite exactement l’appelant, sur le plan pratique. Les conclusions de son mémoire ne concordent pas tout à fait avec sa demande initiale, laquelle réclamait plutôt, afin de remédier au caractère à son avis liberticide et discriminatoire du régime juridique du mariage, une réparation qui aurait consisté en une lecture large des art. 118 et 366 C.c.Q. (il ne visait pas encore l’art. 375), de manière à faire en sorte que les ministres du culte, si les époux le désirent, ne soient pas contraints de transmettre une déclaration de mariage au directeur de l’état civil[123]. Dans la mesure où ce n’est pas la transmission de la déclaration qui engendre les conséquences juridiques du mariage, cette conclusion semblait douteuse, et c’est sans doute la raison pour laquelle il n’y aspire plus.

[126]     Quoi qu’il en soit, vu que je proposerai le rejet de l’appel, je n’estime pas utile de m’interroger davantage sur la formulation de ces conclusions, leur sens ou leur portée.

[127]     Finalement, on notera aussi que l’appelant ne conteste pas la législation fédérale (civile ou criminelle) en matière de mariage.

* *

[128]     Ces questions préliminaires étant tranchées, l’encadrement général du mariage rappelé et l’objet du débat défini, il convient d’examiner maintenant le fond de l’affaire, à savoir la constitutionnalité de l’association d’effets juridiques au mariage célébré par un ministre du culte, comme à tout autre mariage. Une remarque s’impose cependant, en guise de préambule.

[129]     On peut bien être d’avis que le législateur devrait régir autrement les relations maritales, doter la conjugalité de fait d’un statut juridique analogue, en totalité ou en partie, à celui du mariage (à l’instar d’autres juridictions) ou permettre aux époux d’y renoncer ou de renoncer au régime primaire, par exemple, ou aux conjoints de fait d’adhérer à celui-ci, et ainsi de suite[124]. Certains sont d’avis que, tout bien intentionné qu’il soit, l’encadrement juridique du mariage laisse peu de place à l’autonomie des individus et à leur liberté contractuelle[125]. D’autres font valoir que si la protection des conjoints vulnérables a une importance capitale dans l’organisation des rapports conjugaux et familiaux, il conviendrait de ne pas la réserver aux époux, mais de l’étendre aux conjoints de fait, qui vivent aujourd’hui, assez souvent, la dynamique relationnelle à laquelle on a voulu remédier dans le cas des personnes mariées[126]. D’autres encore pourraient, peut-être, souhaiter que le législateur sorte de ce champ et le laisse à la réglementation d’autres ordres normatifs ou alors que, suivant le modèle français, il ne reconnaisse de mariage et ne lui attribue conséquemment d’effets, sur le plan juridique, que célébré par un officier de l’État[127] ou, du moins, par un laïc autorisé par l’État.

[130]     Ce n’est toutefois pas parce qu’il pourrait faire autrement que le régime actuel du mariage, tel qu’établi par le législateur québécois, est contraire à la Charte canadienne ou à la Charte québécoise. Si l’appelant doit avoir gain de cause sur ce point, ce ne peut être que parce qu’il aura démontré que ce régime, ainsi qu’il l’allègue, enfreint sa liberté de religion et son droit à l’égalité. Qu’en est-il?

3.         Les dispositions contestées entravent-elles la liberté de religion de l’appelant?

[131]     Comme on l’a vu, l’appelant soutient que les non-croyants, contrairement aux croyants, peuvent librement choisir entre le mariage balisé par le législateur et l’union de fait, ce qui n’est pas le cas des croyants. Ceux-ci, en raison de leurs convictions religieuses, doivent contracter mariage sans pouvoir se soustraire aux obligations légales de toutes sortes qui y sont associées ni, au contraire des conjoints de fait, décider librement - et contractuellement - des modalités et conséquences de leur conjugalité. L’État se trouve de ce fait à imposer aux croyants une contrainte que n’ont pas les non-croyants et qui rend plus lourd et plus onéreux le fait pour les croyants, dont l’appelant, de pratiquer leur religion et de s’y conformer : il y aurait en cela une atteinte directe et non négligeable à la liberté de religion de l’appelant et à celle des croyants en général.

[132]     À mon avis, cette proposition ne saurait tenir. D’une part, l’appelant, sauf à l’alléguer, n’a pas établi en effet ce en quoi les mesures contestées nuisent à sa capacité de se conformer à ses croyances religieuses; d’autre part, et sur un plan plus général, on ne peut voir dans les conséquences juridiques rattachées au mariage célébré par un ministre du culte compétent au sens de l’art. 366 C.c.Q. une entrave à la liberté qu’a chacun de croire, de pratiquer et de professer ses croyances ni une obligation d’agir contrairement à celle-ci, et pas davantage une forme, directe ou indirecte, de coercition. S’il me fallait résumer mon point de vue sur le sujet, je ferais miennes les deux phrases suivantes de la juge Wilson dans R. c. Jones[128] :

[…] Il existe un grand nombre d'institutions dans notre société qui possèdent un aspect tant civil que religieux, par exemple, le mariage. L'aspect religieux auquel on peut croire ne nous exempte pas de notre obligation de nous conformer à l'aspect civil.

[133]     Cet aspect civil, en l’occurrence, n’enfreint pas la liberté de religion de l’appelant et je conclus donc que les dispositions du Code civil régissant le mariage (et notamment les art. 391 et s., 427, 432, 516 et 585 C.c.Q.) ne sont pas contraires, sous ce rapport, aux art. 2 de la Charte canadienne et 3 de la Charte québécoise. Je m’explique.

[134]     Les art. 2 de la Charte canadienne et 3 de la Charte québécoise disposent que :

Charte canadienne des droits et libertés

2.  Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

2.  Everyone has the following fundamental freedoms:

a)  liberté de conscience et de religion;

(a)  freedom of conscience and religion;

b)  liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de presse et des autres moyens de communication;

(b)  freedom of thought, belief, opinion and expression, including freedom of the press and other media of communication;

c)  liberté de réunion pacifique;

(c)  freedom of peaceful assembly; and

d)  liberté d’association.

(d)  freedom of association.

Charte des droits et libertés de la personne

3.         Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d’association.

3.         Every person is the possessor of the fundamental freedoms, including freedom of conscience, freedom of religion, freedom of opinion, freedom of expression, freedom of peaceful assembly and freedom of association.

 

[Je souligne]

[135]     Dans R. c. Big M Drug Mart[129], le juge en chef Dickson définit ainsi la liberté de religion garantie par l’al. 2a) de la Charte canadienne, définition qui sera qualifiée de visionnaire[130] et qui peut être transposée à l’art. 3 de la Charte québécoise :

            Une société vraiment libre peut accepter une grande diversité de croyances, de goûts, de visées, de coutumes et de normes de conduite. Une société libre vise à assurer à tous l'égalité quant à la jouissance des libertés fondamentales et j'affirme cela sans m'appuyer sur l'art. 15 de la Charte. La liberté doit sûrement reposer sur le respect de la dignité et des droits inviolables de l'être humain. Le concept de la liberté de religion se définit essentiellement comme le droit de croire ce que l'on veut en matière religieuse, le droit de professer ouvertement des croyances religieuses sans crainte d'empêchement ou de représailles et le droit de manifester ses croyances religieuses par leur mise en pratique et par le culte ou par leur enseignement et leur propagation. Toutefois, ce concept signifie beaucoup plus que cela.

            La liberté peut se caractériser essentiellement par l'absence de coercition ou de contrainte. Si une personne est astreinte par l'État ou par la volonté d'autrui à une conduite que, sans cela, elle n'aurait pas choisi d'adopter, cette personne n'agit pas de son propre gré et on ne peut pas dire qu'elle est vraiment libre. L'un des objectifs importants de la Charte est de protéger, dans des limites raisonnables, contre la coercition et la contrainte. La coercition comprend non seulement la contrainte flagrante exercée, par exemple, sous forme d'ordres directs d'agir ou de s'abstenir d'agir sous peine de sanction, mais également les formes indirectes de contrôle qui permettent de déterminer ou de restreindre les possibilités d'action d'autrui. La liberté au sens large comporte l'absence de coercition et de contrainte et le droit de manifester ses croyances et pratiques. La liberté signifie que, sous réserve des restrictions qui sont nécessaires pour préserver la sécurité, l'ordre, la santé ou les mœurs publics ou les libertés et droits fondamentaux d'autrui, nul ne peut être forcé d'agir contrairement à ses croyances ou à sa conscience.

            Une majorité religieuse, ou l'État à sa demande, ne peut, pour des motifs religieux, imposer sa propre conception de ce qui est bon et vrai aux citoyens qui ne partagent pas le même point de vue. La Charte protège les minorités religieuses contre la menace de « tyrannie de la majorité ».

[…]

            À mon avis, la garantie de la liberté de conscience et de religion empêche le gouvernement d'obliger certaines personnes à accomplir ou à s'abstenir d'accomplir des actes par ailleurs irrépréhensibles simplement à cause de l'importance sur le plan religieux que leur attribuent d'autres personnes. L'élément de contrainte d'ordre religieux est peut-être un peu plus difficilement perceptible (surtout pour ceux dont les croyances sont ainsi imposées), lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, ce qu'on rend obligatoire n'est pas l'accomplissement d'un acte mais l'abstention de l'accomplir. Quoi qu'il en soit, j'estime que cela équivaut à l'exercice d'une contrainte.[131]

[Je souligne]

[136]     Était en jeu dans cette affaire, on s’en souviendra, la validité de la Loi sur le dimanche[132], loi dont le juge en chef Dickson, après une longue analyse, estime qu’elle « astreint l’ensemble de la population à un idéal sectaire chrétien »[133], « exerce une forme de coercition contraire à l’esprit de la Charte et à la dignité de tous les non-chrétiens »[134] et « fait appel à des valeurs religieuses enracinées dans la moralité chrétienne et les transforme, grâce au pouvoir de l’État, en droit positif applicable aux croyants comme aux incroyants »[135].

[137]     L’enseignement de l’arrêt Big M Drug Mart fut repris maintes fois par la Cour suprême. Ainsi, dans Syndicat Northcrest c. Amselem[136] (autre arrêt phare), le juge Iacobucci, au nom des juges majoritaires, écrit ce qui qui suit après avoir rappelé les propos du juge Dickson dans Big M Drug Mart ainsi que dans R. c. Edwards Books and Art Ltd.[137] :

46        Pour résumer, la jurisprudence de notre Cour et les principes de base de la liberté de religion étayent la thèse selon laquelle la liberté de religion s’entend de la liberté de se livrer à des pratiques et d’entretenir des croyances ayant un lien avec une religion, pratiques et croyances que l’intéressé exerce ou manifeste sincèrement, selon le cas, dans le but de communiquer avec une entité divine ou dans le cadre de sa foi spirituelle, indépendamment de la question de savoir si la pratique ou la croyance est prescrite par un dogme religieux officiel ou conforme à la position de représentants religieux.

47        Toutefois, cette liberté vise aussi des conceptions — tant objectives que personnelles — des croyances, « obligations », préceptes, « commandements », coutumes ou rituels d’ordre religieux. En conséquence, la protection de la Charte québécoise (et de la Charte canadienne) devrait s’appliquer tant aux expressions obligatoires de la foi qu’aux manifestations volontaires de celle-ci. C’est le caractère religieux ou spirituel d’un acte qui entraîne la protection, non le fait que son observance soit obligatoire ou perçue comme telle. L’examen du caractère obligatoire d’une pratique religieuse est une démarche non seulement inappropriée mais également semée d’embûches.

[…]

58        […] L’alinéa 2a) de la Charte canadienne n’interdit que les entraves ou obstacles à une pratique religieuse qui ne sont pas négligeables. Cette position a été confirmée et adoptée par le juge en chef Dickson, qui s’exprimait pour la majorité dans Edwards Books, précité, p. 759 :

[…]

59        Par conséquent, le demandeur n’a qu’à démontrer que la disposition législative ou contractuelle (ou la conduite) contestée entrave d’une manière plus que négligeable ou insignifiante sa capacité d’agir en conformité avec ses croyances religieuses. Il faut maintenant déterminer ce que cela signifie.

60        À ce stade-ci, on doit généralement se contenter de dire que chaque cas doit être examiné au regard du contexte qui lui est propre pour déterminer si l’entrave est plus que négligeable ou insignifiante. Il importe toutefois de se demander ce qu’implique l’examen du contexte.

[Je souligne, sauf au paragr. 59]

[138]     Comme le résume succinctement le juge Gascon dans Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville)[138] :

[69]      Cet extrait montre que la liberté de conscience et de religion protège d’un côté le droit de croire, de professer ouvertement ses croyances et de les manifester. De l’autre, elle garantit que nul ne peut être contraint d’adhérer, directement ou indirectement, à une religion particulière ou d’agir de manière contraire à ses croyances (J. Woehrling, « L’obligation d’accommodement raisonnable et l’adaptation de la société à la diversité religieuse » (1998), 43 R.D. McGill 325, p. 371; voir aussi les propos du juge LeBel dans Congrégation des témoins de Jéhovah de St-Jérôme-Lafontaine c. Lafontaine (Village), 2004 CSC 48, [2004] 2 R.C.S. 650, par. 65, bien que dissident il n’a pas été contredit par la majorité sur ce point).

[139]     À cela s’ajoute la dimension collective de la liberté de religion, « le droit de se rassembler avec d’autres pour professer cette croyance étant d’une importance capitale »[139].

[140]     Dans Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony[140], qui renvoie également à Big M Drug Mart, la juge en chef McLachlin rappelle en ces termes le test qui permet de déterminer s’il existe ou non une atteinte à la liberté de religion :

[32]      Il est établi qu’une mesure contrevient à l’al. 2a) de la Charte lorsque : (1) le plaignant entretient une croyance ou se livre à une pratique sincères ayant un lien avec la religion; et que (2) la mesure contestée nuit d’une manière plus que négligeable ou insignifiante à la capacité du plaignant de se conformer à ses croyances religieuses : Syndicat Northcrest c. Amselem, 2004 CSC 47, [2004] 2 R.C.S. 551, et Multani. Une atteinte « négligeable ou insignifiante » est une atteinte qui ne menace pas véritablement une croyance ou un comportement religieux. Voici ce que dit à cet égard le juge en chef Dickson dans R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713, p. 759 :

L’alinéa 2a) a pour objet d’assurer que la société ne s’ingérera pas dans les croyances intimes profondes qui régissent la perception qu’on a de soi, de l’humanité, de la nature et, dans certains cas, d’un être supérieur ou différent. Ces croyances, à leur tour, régissent notre comportement et nos pratiques. La Constitution ne protège les particuliers et les groupes que dans la mesure où des croyances ou un comportement d’ordre religieux pourraient être raisonnablement ou véritablement menacés. Pour qu’un fardeau ou un coût imposé par l’État soit interdit par l’al. 2a), il doit être susceptible de porter atteinte à une croyance ou pratique religieuse. Bref, l’action législative ou administrative qui accroît le coût de la pratique ou de quelque autre manifestation des croyances religieuses n’est pas interdite si le fardeau ainsi imposé est négligeable ou insignifiant : voir à ce sujet l’arrêt R. c. Jones, [1986] 2 R.C.S. 284, le juge Wilson, à la p. 314. [Je souligne.]

[141]     Et la juge en chef d’ajouter :

[34]      […] La preuve d’un coût ou fardeau imposé par l’État ne suffirait pas; il faut démontrer que ce fardeau est « susceptible de porter atteinte à une croyance ou pratique religieuse » : Edwards Books, p. 759. […]

[142]     La Cour suprême, cette fois sous la plume du juge Rothstein, ne dit pas autrement dans Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott[141], où elle formule d’une manière presque identique les deux étapes de l’analyse à laquelle doit se livrer le tribunal qui examine une allégation d’entrave à la liberté de religion :

[155]    Il est établi qu’une mesure contrevient à l’al. 2a) de la Charte lorsque les deux conditions suivantes sont réunies : (1) le plaignant entretient sincèrement une croyance ou se livre sincèrement à une pratique ayant un lien avec la religion; (2) la mesure contestée entrave la capacité du plaignant de se conformer à ses croyances religieuses : Hutterian Brethren of Wilson Colony, par. 32; Syndicat Northcrest c. Amselem, 2004 CSC 47, [2004] 2 R.C.S. 551, par. 46 et 56-59; Multani, par. 34. L’atteinte doit être plus que négligeable ou insignifiante et elle doit menacer des convictions ou des pratiques religieuses concrètes.[142]

[Je souligne]

[143]     La juge en chef McLachlin et le juge Rowe, dans Ktunaxa Nation c. Colombie-Britannique (Forests, Lands and Natural Resource Operations)[143], expliquent pour leur part que :

[61]      Lorsqu’un intéressé fait valoir qu’une mesure législative ou une action de l’État viole sa liberté de religion, la première étape consiste à juger si l’allégation relève de l’al. 2a). Dans la négative, il n’est pas nécessaire de chercher à savoir si la décision est le fruit d’une mise en balance proportionnée de la liberté de religion et d’autres facteurs : Amselem, par. 181.

[62]      L’arrêt de principe sur l’étendue de la liberté de religion garantie par la Charte est Big M Drug Mart. Au nom des juges majoritaires de la Cour, le juge Dickson (plus tard Juge en chef) a décrit l’al. 2a) comme protégeant « le droit de croire ce que l’on veut en matière religieuse, le droit de professer ouvertement des croyances religieuses sans crainte d’empêchement ou de représailles, et le droit de manifester ses croyances religieuses par leur mise en pratique et par le culte ou par leur enseignement et leur propagation » (p. 336).

[63]      Ainsi défini, l’al. 2a) comporte deux volets : la liberté d’avoir des croyances religieuses et celle de manifester ces croyances. Cette définition a été reprise dans des arrêts ultérieurs : École secondaire Loyola c. Québec (Procureur général), 2015 CSC 12, [2015] 1 R.C.S. 613, par. 58; Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, [2015] 2 R.C.S. 3, par. 68; Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott, 2013 CSC 11, [2013] 1 R.C.S. 467, par. 159; Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, 2006 CSC 6, [2006] 1 R.C.S. 256, par. 32; Amselem, par. 40.

[…]

[67]      La portée de la liberté de religion est exprimée dans ces instruments [internationaux] sous l’angle des deux volets du droit : la liberté de croire et la liberté de manifester une croyance. La définition donnée par notre Cour dans Big M Drug Mart et systématiquement appliquée par la suite concorde avec cette conception de la portée du droit. Il s’agit alors de savoir si la revendication des Ktunaxa s’inscrit dans cette portée.

(3)        Application en l’espèce

[68]      Pour démontrer qu’il y a atteinte au droit à la liberté de religion, le demandeur doit établir (1) qu’il croit sincèrement à une pratique ou à une croyance ayant un lien avec la religion, et (2) que la conduite qu’il reproche à l’État nuit d’une manière plus que négligeable ou insignifiante à sa capacité de se conformer à cette pratique ou croyance : voir Multani, par. 34.

[Je souligne]

[144]     La revendication de l’appelant s’inscrit-elle dans la portée de la liberté de religion? On doit répondre à cette question par la négative, et ce, pour des raisons analogues à celles de la juge de première instance, qui a procédé, comme il se doit, à l’analyse en deux temps que prescrit la Cour suprême.

[145]     Ainsi, dans un premier temps, il faut déterminer si l’appelant, sur le plan subjectif, entretient sincèrement une croyance ou se livre sincèrement à une pratique ayant un lien avec la religion. L’appelant affirme de telles croyances, encore qu’il ne les ait pas définies précisément (lacune dont on peut dire immédiatement qu’elle sera déterminante), sinon en ce qui concerne sa conception du mariage comme sacrement. Sa sincérité a toutefois été reconnue par la juge de première instance[144] et je la tiendrai pour avérée.

[146]     Dans un second temps, l’appelant ne démontre toutefois pas ce en quoi le fait pour le législateur d’attacher des conséquences juridiques au mariage célébré par un ministre du culte (le sien le fut par un prêtre catholique) nuirait à sa capacité d’entretenir les croyances en question, de les professer ouvertement, de les mettre en pratique, de les enseigner, de les propager ou de s’y conformer. Le fardeau de preuve qui lui incombe à cet égard est celui que définissent les motifs majoritaires de la juge Deschamps dans S.L. c. Commission scolaire des Chênes[145] :

[23]      À l’étape de la preuve de l’atteinte, cependant, il ne suffit pas que la personne déclare que ses droits sont enfreints. Il lui incombe de prouver l’atteinte suivant la prépondérance des probabilités. Cette preuve peut certes prendre toutes les formes reconnues par la loi, mais elle doit néanmoins reposer sur des faits objectivement démontrables. Par exemple, dans Edwards Books, la loi obligeait les détaillants qui observaient le samedi à fermer un jour de plus que ceux qui observaient le dimanche. Dans Amselem, l’atteinte résultait d’une interdiction d’ériger toute construction sur les balcons d’un immeuble détenu en copropriété alors que les appelants croyaient que leur religion les obligeait à habiter leur propre souccah.

[24]      Il s’ensuit que, dans l’examen d’une atteinte à la liberté de religion, la question n’est pas de savoir si la personne croit sincèrement qu’il y a une atteinte à sa pratique ou croyance religieuse, mais celle de savoir s’il existe une pratique ou croyance religieuse à laquelle il est porté atteinte. La partie subjective de l’analyse concerne uniquement l’établissement d’une croyance sincère ayant un lien avec la religion, incluant la croyance en une obligation de se conformer à une pratique religieuse. Comme pour tous les autres droits et libertés protégés par la Charte canadienne et la Charte québécoise, la preuve de l’atteinte requiert une analyse objective des règles, faits ou actes qui en entravent l’exercice. Décider autrement aurait pour effet de permettre à la personne de conclure elle-même à l’existence d’une atteinte à ses droits et de se substituer ainsi au tribunal dans ce rôle.

[Je souligne]

[147]     Tout d’abord, comme le constate du reste la juge de première instance, l’existence des règles juridiques que dénonce aujourd’hui l’appelant, mais qu’il connaissait à l’époque, ne l’a pas empêché de se marier et de respecter ainsi sa conviction religieuse en la matière[146]. S’il existe une entrave à sa liberté de religion, ce n’est donc pas celle-là.

[148]     Ensuite, à l’exception de ce qui concerne certains des aspects économiques du mariage et, particulièrement, le patrimoine familial, l’appelant n’a pas non plus été en mesure d’identifier, parmi les effets que le législateur attache au mariage (et j’entends encore ici le mot « effets » au sens large, et non seulement au sens des art. 391 à 430 C.c.Q.), celui ou ceux qui contrarieraient l’une ou l’autre de ses croyances religieuses, pas plus que, à l’inverse, il n’a indiqué laquelle ou lesquelles de ses croyances religieuses seraient brimées par les dispositions que le Code civil du Québec consacre au mariage. Comme on l’a vu plus tôt, son mémoire a mis l’accent sur les art. 118, 366 et 375 C.c.Q., sans s’intéresser véritablement aux autres dispositions du Code civil, dont il ne fut question lors de l’audience d’appel que de façon très générale.

[149]     Or, là est pourtant le nœud de l’affaire. En quoi la décision du législateur d’attacher des effets (parfois impératifs) au mariage, incluant celui qui est célébré religieusement, porte-t-elle atteinte aux croyances de l’appelant? Qu’est-ce qui, dans le fait que les époux ont, en mariage, les mêmes droits et obligations, se doivent mutuellement respect, fidélité, secours ou assistance ou doivent faire vie commune (art. 392 C.c.Q.) ou qu’ils conservent leur nom (art. 393 C.c.Q.), assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille ainsi que l’autorité parentale (art. 394 C.c.Q.), choisissent de concert la résidence familiale (art. 395 C.c.Q.) et contribuent aux charges du mariage à proportion de leurs facultés respectives (art. 396 C.c.Q.), heurte les croyances religieuses de l’appelant? Et quelles croyances, d’ailleurs, ces règles heurtent-elles? En quoi l’art. 432 C.c.Q., qui prescrit le régime de la société d’acquêts en l’absence d’un contrat de mariage, serait-il contraire à l’une ou l’autre croyance de l’appelant (on rappellera ici que les parties ont choisi de ne pas conclure un contrat de mariage, alors qu’elles avaient toute liberté de le faire en vertu de l’art. 431 C.c.Q.)? De quelle manière l’art. 516 C.c.Q., qui restreint les cas de dissolution du mariage au décès et au divorce, constitue-t-il une atteinte aux croyances de l’appelant? De quelle atteinte s’agirait-il? À quelle croyance? Nous l’ignorons. La même question peut être posée en ce qui concerne la présomption de paternité issue du mariage (art. 525 C.c.Q.), la dévolution successorale non testamentaire (art. 653 et s. C.c.Q.), le droit au maintien dans les lieux loués (art. 1938 C.c.Q.), la suspension de la prescription (art. 2906 C.c.Q.), éléments que l’appelant n’a du reste pas évoqués dans le cadre du pourvoi.

[150]     Quant aux régimes du patrimoine familial (art. 414 et s. C.c.Q.), de la prestation compensatoire (art. 427 et s. C.c.Q.) et de l’obligation alimentaire mutuelle des époux (art. 585 C.c.Q.), l’on ne sait pas davantage à quelle croyance de l’appelant ils portent atteinte, ni ce en quoi ils y portent atteinte. Certes, l’appelant, au cours de l’instance de divorce, a soutenu que la structure économique du mariage, telle que, à son avis, l’impose le législateur québécois, « ne tient pas la route », mais sans jamais spécifier ce qui attenterait à l’une ou l’autre de ses croyances religieuses, croyances que, faut-il le répéter, il ne précise pas. Il s’explique plutôt de la manière suivante - et je reproduirai ci-dessous un extrait de son interrogatoire préalable du 20 mars 2015, dont la juge de première instance cite également une portion au paragr. 50 de son jugement :

R.        En fait, au niveau de... C'est simple, lorsqu'on regarde les règles entourant le mariage où est-ce que les apports et la séparation lors de la dissolution n'ont aucune cohérence. Quelqu'un peut contribuer 1%, l'autre 99%, s'ils se séparent c'est 50-50. D'un point de vue économique, ça tient pas la route. On est deux comptables, on est capables de compter, donc ça tenait pas la route. Donc, c'est pour ça que j'avais précisé à madame qu'on allait séparer 50-50 puis ç'a été l'entente pratique et tacite, qu'on a eue au cours de nos 12 années de vie commune.

Q.        Dans le fond, quand vous parlez des règles de la loi quant au mariage, je comprends qu'elles ne convenaient pas à madame non plus?

R.        Bien, effectivement, elles convenaient pas puis c'était une entente qu'on avait eue parce que, en toute franchise, elle s'est jamais opposée, elle était d'accord puis la pratique, la structure économique qu'on avait en place reflète cette entente-là puis elle était mise dès le départ, même avant qu'on se soit mariés pour dire ça va être 50-50. Madame payait sa voiture, je payais ma voiture, elle avait des produits à s'acheter pour elle, elle les achetait, elle voulait faire une opération au laser pour ses yeux, elle m'a pas demandé quoi que ce soit, elle a pris son argent, elle a été se faire une opération au laser.

Si je me réfère à la loi qui veut que le mariage est une coentreprise, c'est pas ça une coentreprise, les actionnaires vont agir dans l'intérêt des deux, les décisions vont être mises en commun.

Si je me réfère à la loi c'est que les revenus du couple appartiennent aux deux. Donc, si madame prend l'argent pour se faire une opération au laser, l'argent, techniquement le revenu de madame et l'argent du couple, puis elle prend l'argent pour faire une opération laser, les avantages sont pour elle alors que moi, je souffre parce qu'elle aurait pu mettre cet argent-là sur la maison, l'hypothèque du patrimoine familial pour réduire la dette.

Donc, la structure économique du mariage faisait pas de sens. J'étais au courant un peu, pas dans tous les détails mais j'étais au courant comment ça fonctionnait un peu puis c'est pour ça que j'ai été clair avec madame que tout devrait être séparé 50-50, qu'on achetait tout à deux, on signait tout à deux, il y a rien qui se faisait sans que les deux soient consentants puis on avait la feuille Excel qui nous permettait de suivre.

Q.        Donc, je comprends que vous, vous avez voulu, pas éviter, je veux pas utiliser de terme péjoratif mais fonctionner d'une autre manière que les règles traditionnelles, si on peut dire?

R.        Le mariage, pour moi, était aller (sic) chercher le sacrement religieux, tout simplement. Au niveau de ce que la loi nous impose d’un point de vue économique, ça ne tient pas la route. En tant que comptable, je comprends la structure d’une coentreprise, les avantages, on partage tout. Donc, la loi, ce qu’elle nous dit, c’est que vous faites une coentreprise, quelqu’un apporte quelque chose selon ses manières, l’autre apporte quelque chose, donc lorsqu’il y a dissolution, il y a un partage à 50-50. Ça fait pas de sens. Si quelqu’un apporte 5 puis lorsqu’on se sépare, il en retire 50, c’est incohérent.[147]

[151]     Lors du procès, l’appelant parlera encore du fait qu’il ne voulait pas « d’union économique selon les règles de base du mariage civil »[148] et que l’entente de vie commune entre les parties était réglée par le principe du partage 50-50 :

On était deux (2) personnes, deux (2) professionnels, donc, on a décidé de tout partager pour faire le suivi avant le mariage et après le mariage, nous avions une feuille Excel où on mettait toutes les dépenses: la robe de mariage; tout ce qui a été encadré avant le mariage a été partagé cinquante-cinquante (50-50).

La maison, lorsqu'on a voulu faire l'acquisition pour emménager, c'était cinquante-cinquante (50-50) indépendamment de la mise de fonds des personnes, on achetait la moitié de l'actif et chacun devait s'assurer de payer la moitié de cet actif-là.

Donc, on a poursuivi ça jusqu'à la naissance de notre fille. Donc, c'était cinquante-cinquante (50-50), du moment où est-ce qu'on a décidé de se marier en 'quatre-vingt-dix-neuf ('99) jusqu'à la naissance de notre fille.[149]

[…]

[152]     Certains ajustements ont été faits par les parties pendant le congé de maternité de l’intimée, dont les revenus étaient alors moindres et, par la suite :

Bien, en fait, les frais de notre fille, notre fille c’est un engagement commun encore une fois, là, notre vision était cinquante-cinquante (50-50). Donc, madame, à son retour au travail, payait cinquante pour cent (50 %) des choses, moi je payais cinquante pour cent (50 %) des choses. Encore une fois, avec la feuille Excel on suivait les dépenses. Donc, les couches, Materna ou toutes les choses que (inaudible), - ce qu'elle aurait de besoin, excusez-moi, c'était payé cinquante-cinquante (50-50). C'était une vision égalitaire dans notre cas.[150]

[153]     Après le retour au travail de l’intimée, comme celle-ci avait décidé de conserver un emploi moins prenant, pour consacrer plus de temps à l’enfant, l’appelant témoigne de ce que les parties auraient convenu de ce qui suit :

[…] qu'on va continuer à partager les gros actifs partageables en cas de séparation, en cas de séparation, cinquante-cinquante (50-50), mais les frais courants, parce que t'as un peu moins de revenus, vont être partagés à, ...vont être partagés à, - les frais courants vont être partagés au prorata des salaires.

On n'avait pas des salaires tellement différents, à partir de deux mille cinq (2005), là, les salaires étaient pas énormes, on parlait peut-être soixante-quarante (60-40) environ qu'on faisait au prorata des salaires.[151]

[154]     Au cours de leur union, les parties ont donc, en gros, respecté ce principe égalitaire, qu’elles auraient également mis en œuvre dans le cadre de l’instance en divorce, en divisant entre elles le patrimoine familial (sauf les régimes de retraite) et la société d’acquêts, étant entendu qu’elles étaient copropriétaires des actifs les plus importants de l’un et de l’autre[152]. Quant à la prestation compensatoire, pour ce qu’on peut en voir du dossier d’appel, les circonstances de l’union des parties ne paraissent pas s’y prêter, l’intimée, qui semble autonome financièrement, ne l’ayant pas réclamée et, à ce qu’on sache, ne réclamant pas non plus, à ce jour, de pension alimentaire.

[155]     Ainsi que le note la juge de première instance, si les réticences de l’appelant à l’endroit des règles régissant les rapports économiques entre époux - sur lesquelles il se méprend d’ailleurs assez largement, comme le montrent les passages ci-dessus - sont d’ordre religieux, cela ne ressort aucunement de ses propos. La juge note également le passage suivant de l’interrogatoire préalable, qui le confirme et que je reprends dans son intégralité[153] :

R.        Donc, je ne veux pas faire d’association entre notre structure économique et ma religion ou ma foi protestante. C’était A... en tant qu’individu, formation professionnelle de comptabilité, qui est capable de reconnaître une situation économique qui ne tient pas la route d’un point de vue économique.

Q.        C’est pas le A... croyant?

R.        Non.

[…]

R.        […] C’est ça la différence entre le mariage puis j’ai vraiment fait la différence entre le mariage civil, selon les règles, et le mariage religieux. Donc, civilement, économiquement, l’esprit de la loi, j’abonde, je partage cet esprit de loi mais la structure est, selon moi, erronée.

Q.        Mais juste pour toujours être sûr que j’ai bien compris, quelqu’un, un protestant qui se divorce pourrait, en accord avec ses principes religieux, assurer le confort matériel?

R.        Tout à fait. Et je sais pas s'il y a des écrits là-dessus mais c'est sûr que par charité chrétienne, effectivement, c'est envisageable.

Q.        C'est compatible?

R.        Oui, c'est envisageable.[154]

[156]     La juge en conclut que, bien qu’elles soient sincères, « ce ne sont pas les convictions religieuses de Monsieur qui sont heurtées par l’application des règles du patrimoine familial et de la société d’acquêts, mais l’évaluation qu’il en fait en tant que comptable »[155] ainsi que « sa conception d’une structure économique rationnelle qui devrait régir les parties »[156].

[157]     À mon avis, cette détermination factuelle n’est entachée d’aucune erreur révisable et elle est amplement soutenue par la preuve. L’appelant est en désaccord avec les choix politiques et juridiques du législateur québécois en matière de mariage et préférerait la liberté et l’autonomie dont jouissent les conjoints de fait, mais que ce désaccord soit fondé sur des considérations religieuses ne ressort pas de la preuve. L’appelant l’affirme, certes, mais en invoquant génériquement la liberté de religion et sans identifier la ou les croyances qui, chez lui, se trouveraient entravées par ces choix (ou par l’une ou l’autre des dispositions législatives relatives au mariage) ou dont la pratique serait rendue plus onéreuse. Il n’est pas non plus en mesure de montrer comment il aurait été, en raison de ces choix et de ces dispositions, astreint par l’État à une conduite contraire à sa ou ses croyances religieuses et que, par conséquent, il n’aurait pas adoptée de lui-même.

[158]     La situation de l’appelant à cet égard se distingue des cas de figure qu’on trouve habituellement dans la jurisprudence : la Loi sur le dimanche imposait l’observance d’un jour férié chrétien aux commerçants non chrétiens ou non croyants, brimant le droit de ceux-ci - et de leurs clients - de conduire leurs affaires comme ils l’entendent[157]; la déclaration de copropriété à laquelle avait souscrit M. Amselem lui interdisait d’ériger sur sa propriété la souccah qu’il souhaitait y installer conformément à sa croyance religieuse[158]; M. Multani se trouvait privé par la commission scolaire de porter sur sa personne un objet pour lui sacré[159]; les membres de la nation Ktunaxa contestaient l’aménagement d’un projet immobilier sur un site religieux dont ils exigeaient la préservation[160]; M. Whatcott attaquait la validité d’une disposition législative qui avait notamment pour effet d’interdire le discours anti-homosexuel qu’il se sentait tenu de propager pour des raisons religieuses[161]; Mme N.S. désirait conserver son niqab alors qu’elle témoignait, afin de se conformer à une croyance religieuse selon laquelle elle ne peut paraître en public à visage découvert[162]; les membres de la communauté huttérite, soucieux de ne pas enfreindre le second commandement de leur foi, qui interdit la fabrication d’images ou de représentations, ne voulaient pas se soumettre à la photo obligatoire accompagnant le permis de conduire[163]; l’école Loyola se trouvait obligée d’enseigner la religion catholique d’une manière contraire aux préceptes de cette religion et « selon des modalités définies par l’État plutôt que d’après sa propre conception du catholicisme »[164], et autres encore.

[159]     Rien de tel en l’espèce, sauf peut-être sur un point.

[160]     L’appelant soutient en effet que le mariage n’a pour lui qu’une vocation religieuse et que sa valeur est celle du sacrement. Le législateur, postule-t-il, considère plutôt le mariage comme une association économique, une sorte de coentreprise, conception à laquelle il n’adhère pas[165]. Peut-on voir dans ces visions respectives du mariage une opposition qui ferait en sorte, la seconde s’imposant par la force de la loi, d’enfreindre, de contredire et d'affecter la première et de priver par conséquent l’appelant d’entretenir, de manifester ou de pratiquer sa croyance?

[161]     Il faut, ici encore, répondre par la négative.

[162]     D'abord, si l’on doit reconnaître en effet que le Code civil du Québec s’intéresse aux aspects économiques du mariage, et particulièrement à ceux de sa dissolution, je ne crois pas que l’on puisse affirmer pour autant que le législateur québécois a du mariage une conception purement économique ou ne voit dans le mariage qu’une association économique dont il réglerait simplement les différents éléments. Certainement, le mariage a d’importants effets patrimoniaux, mais la lecture des dispositions du Code civil montre une institution qui n’est pas restreinte à ces effets-là, qui, au contraire, est (encore) socialement structurante et qui participe à la protection des personnes et des familles, au respect de leur dignité, de leur autonomie et de leur liberté. Le mariage a donc aussi d’importants effets extrapatrimoniaux (vie commune, secours mutuel, fidélité, direction morale, etc.) qui ne sont pas moins cruciaux dans la décision que prennent les parties de s’unir dans le cadre de cette institution, puis dans l’aménagement de leurs rapports personnels[166].

[163]     Il est vrai que, dans Québec (Procureur général) c. A[167], le juge LeBel, s’appuyant sur plusieurs auteurs, paraît cautionner l’idée que :

[79]      Par cette réforme, les conjoints qui décident de se marier adhèrent obligatoirement à « un modèle associationniste » (B. Moore, « Culture et droit de la famille : de l’institution à l’autonomie individuelle » (2009), 54 R.D. McGill 257, p. 268) qui emporte une volonté de partage : Droit de la famille — 977, p. 908. Il devient ainsi possible de conclure qu’« [e]n 1989, [le législateur] transforme le mariage en une association principalement économique en créant un patrimoine familial » : M. Tétrault, « L’union civile : j’me marie, j’me marie pas », dans Lafond et Lefebvre, 101, p. 111.

[80]      Au Québec, le mariage devient alors non seulement une union, mais aussi « [c]omme notre Cour l’a conclu dans Moge (à la p. 870), [...] une “entreprise commune”, une association socio-économique » : Bracklow c. Bracklow, [1999] 1 R.C.S. 420, par. 49. À partir de la réforme législative créant le patrimoine familial, toute personne qui choisit de se marier est réputée vouloir créer cette association socio-économique organisée sur la base d’un certain nombre de dispositions d’ordre public prescrivant les effets du mariage, tels la réglementation des actes posés en regard de la résidence familiale et la contribution proportionnelle aux charges du mariage. En contrepartie de cette obligation de former une association économique, la nouvelle définition du mariage prévoit des mécanismes d’ordre public destinés à répartir les conséquences patrimoniales découlant de la dissolution de l’association, tels le partage du patrimoine familial et l’octroi d’une pension alimentaire post-rupture. A contrario, les personnes ne voulant pas s’assujettir à ces effets ou ne désirant pas créer d’entreprise commune ou d’union économique au contenu partiellement prédéterminé peuvent choisir de demeurer en union libre, hors du mariage.

[164]     Mais le juge LeBel n’affirme pas que le mariage, aux yeux du législateur, n’a que cette dimension : renvoyant aux propos qu’il tient dans M.T. c. J.-Y.T.[168], il rappelle ainsi que le mariage « représente d’abord une union de personnes »[169]. Il écrit également qu’à partir de l’entrée en vigueur de la loi qui établit le patrimoine familial, « le mariage devient non seulement une union de personnes mais aussi une union économique égalitaire emportant un certain nombre de conséquences patrimoniales »[170]. Il réitère un peu plus loin que le « mariage devient alors non seulement une union, mais aussi […] une “entreprise commune” »[171], pour conclure enfin que le législateur « propose une nouvelle définition du mariage, qui inclut désormais une union ou une association économique »[172] et qu’il établit « un régime primaire impératif de nature à la fois patrimoniale et extrapatrimoniale »[173]. Sans doute le mariage implique-t-il - on serait tenté de dire tout naturellement - une union ou un partenariat économique, mais il n’est pas que cela et ses autres dimensions ressortent clairement des dispositions du Code civil du Québec (et notamment des art. 392 et s.). À la vérité, cela n’a rien de bien nouveau : le mariage, depuis longtemps, a une dimension économique[174], de même que l’union de fait, d’ailleurs, qui implique elle aussi un partenariat : c’est là une réalité de la vie conjugale et familiale. On ne saurait pour autant l’y réduire[175].

[165]     Quoi qu’il en soit, à supposer même, aux fins de la discussion, que le mariage ait désormais pour le législateur une vocation principalement économique alors qu’il s’agit d’un sacrement pour l’appelant, cette différence de vues ne constitue pas une entrave à la liberté de religion de ce dernier, qui n’est aucunement empêché d’entretenir cette croyance et de s’y conformer. À la limite, cette différence serait de l’ordre de l’atteinte négligeable et insignifiante qui ne peut être considérée comme une entrave ou une restriction[176]. Pour paraphraser la juge en chef McLachlin dans Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony[177], rien dans la conception que le législateur se ferait du mariage comme association économique ne menace ici véritablement la croyance ou le comportement religieux de l’appelant.

[166]     Quant aux art. 118, 366 et 375 C.c.Q., l’appelant n’a pas non plus établi ce en quoi ils constitueraient une entrave à sa liberté de religion.

[167]     D’une part, l’art. 366 C.c.Q. paraît de prime abord plutôt inclusif puisqu’il permet en pratique à toute personne, y compris les ministres du culte habilités à ce faire par la société religieuse à laquelle ils appartiennent, de célébrer un mariage qui sera reconnu par l’État, et ce, à condition d’être désignée à cette fin par le ministre de la Justice. Les mariages peuvent donc être validement célébrés par une multiplicité de personnes considérées comme des célébrants compétents au sens de l’art. 365 C.c.Q., dont les ministres du culte. L’habilitation conférée à ceux-ci par la loi (et le règlement applicable), comme aux autres célébrants de l’art. 366, fait en sorte que les unions qu’ils célèbrent sont reconnues comme « légitimes/lawful » au sens de la Loi sur le mariage civil[178], constituant ainsi des mariages auxquels s’attachent les conséquences prescrites par le Code civil du Québec. En quoi, en elle-même, l’habilitation des ministres du culte comme célébrants autorisés à célébrer des mariages ainsi reconnus par la loi attenterait-elle à la liberté de religion de l’appelant, c’est-à-dire à l’une de ses croyances en tant que telle (et, d’ailleurs, quelle serait la croyance ainsi enfreinte)? Il ne l’a pas établi.

[168]     Sans compter que la demande de l’appelant, à cet égard, soulève une difficulté à laquelle il ne propose pas de solution. Il réclame en effet que l’art. 366 C.c.Q., du moins dans ses alinéas 2 et 3, soit déclaré invalide et inopérant, ce qui constitue un remède systémique et général. Or, on conçoit aisément que des croyants et, de même, les sociétés religieuses dont les célébrants sont visés par ces dispositions pourraient à leur tour estimer leur liberté de religion bafouée par l’exclusion résultant d’une déclaration du caractère inopérant des alinéas 2 et 3 de l’art. 366 C.c.Q.[179]. Comme l’écrit le professeur Richard Moon, « […] the complete removal of religion from the public sphere may be experienced by religious adherents as the exclusion of their worldview and the affirmation of a non-religious or secular perspective »[180]. Même s’il ne s’agit pas ici de bannir la religion de l’espace public en général, exclure les ministres du culte d’avoir part à cette institution publique qu’est le mariage reconnu par l’État pourrait être considéré comme une atteinte à la liberté de religion des croyants en question, à celle des sociétés religieuses auxquelles ils appartiennent et à celle de leurs ministres, d’autant qu’il s’agirait de retirer ici une habilitation dont ces derniers jouissent depuis plus de 150 ans (pour ne parler que de la période commençant avec l’entrée en vigueur du Code civil du Bas Canada). Mais c’est là, peut-être, une préoccupation sur laquelle il faudra revenir au chapitre de l’application des art. 1 de la Charte canadienne et 9.1 de la Charte québécoise.

[169]     Y aurait-il enfin dans cette extension aux ministres du culte de l’autorité légale de célébrer un mariage une atteinte au principe de la neutralité religieuse de l’État[181], que reconnaît notre droit[182]?

[170]     Dans Mouvement laïque québécois, le juge Gascon, dans ses motifs majoritaires, souligne que :

[72]      Comme l’indique le juge LeBel, l’évolution de la société canadienne a engendré une conception de la neutralité suivant laquelle l’État ne doit pas s’ingérer dans le domaine de la religion et des croyances. L’État doit plutôt demeurer neutre à cet égard. Cette neutralité exige qu’il ne favorise ni ne défavorise aucune croyance, pas plus du reste que l’incroyance (S.L., par. 32). Elle requiert de l’État qu’il s’abstienne de prendre position et évite ainsi d’adhérer à une croyance particulière.

[171]     Il ajoute que :

[75]      […] L’État ne peut agir de façon à créer un espace public privilégié qui serait favorable à certains groupes religieux mais hostile à d’autres. Il s’ensuit que l’État ne peut non plus favoriser, par l’expression de sa propre préférence religieuse, la participation des croyants à l’exclusion des incroyants, et vice versa.

[76]      Somme toute, en raison de l’obligation qu’il a de protéger la liberté de conscience et de religion de chacun, l’État ne peut utiliser ses pouvoirs d’une manière qui favoriserait la participation de certains croyants ou incroyants à la vie publique au détriment des autres. Il lui est interdit d’adhérer à une religion à l’exclusion des autres. L’article 3 de la Charte québécoise lui impose l’obligation de demeurer neutre sur ce plan. L’obligation de neutralité de l’État est devenue aujourd’hui une conséquence nécessaire de la consécration de la liberté de conscience et de religion dans la Charte canadienne et dans la Charte québécoise.

[172]     Or, en autorisant les ministres du culte visés par l’art. 366, al. 2 et 3 C.c.Q. à célébrer un mariage, comme le peut toute autre personne autorisée par la même disposition (c.-à-d. n’importe qui, en réalité) et en appliquant les mêmes règles juridiques aux mariages célébrés par les uns ou les autres, le législateur n’enfreint pas ce devoir de neutralité religieuse : il ne favorise ni ne défavorise une croyance, pas plus que l’incroyance, il n’y adhère pas, il n’exprime pas de préférence, il n’exclut personne, il respecte la dignité de chacun. Il ne s’ingère pas non plus dans le domaine de la croyance ni celui de la conscience individuelle. Les droits et obligations qu’il associe au mariage et au statut d’époux se rapportent à des préoccupations de nature civique.

[173]     On pourrait peut-être reprocher à l’État québécois, cependant, de fixer en ces termes les conditions auxquelles un ministre du culte peut être autorisé à célébrer un mariage, conditions qui sont fixées aujourd’hui par une Entente concernant l’octroi des désignations et autorisations à titre de célébrant compétent pour célébrer un mariage ou une union civile[183] :

Le processus d’autorisation des ministres du culte à célébrer des mariages ou des unions civiles comporte deux étapes :

1.         la reconnaissance, par le Directeur, de la société religieuse à laquelle appartient le ministre du culte;

2.         L’autorisation à célébrer des mariages et des unions civiles accordées par le Directeur au ministre du culte.


 

RECONNAISSANCE DE LA SOCIÉTÉ RELIGIEUSE

1.         Aux fins de l’application des alinéas 2 et 3 de l’article 366 du Code civil, le Directeur peut reconnaître une société religieuse s’il est satisfait :

a.   d’être en présence d’une religion;

b.   que l’existence, les rites et les cérémonies de cette confession ont un caractère permanent;

c.   que les mariages ou les unions civiles sont célébrés dans des lieux conformes aux rites de leur confession et aux règles prescrites par le ministre de la Justice.

[…]

CRITÈRES APPLICABLES À UNE DEMANDE D’AUTORISATION À CÉLÉBRER LES MARIAGES ET LES UNIONS CIVILES

[…]     

4.         Le Directeur peut accorder une autorisation à célébrer les mariages et les unions civiles si le ministre du culte qu’il entend autoriser :

a.   appartient à une société religieuse reconnue par le Directeur de l’état civil et n’est pas autorisé à célébré des mariages et des unions civiles auprès d’une autre société religieuse;

b.   est habilité à célébrer des mariages et, le cas échant, les unions civiles par sa société religieuse;

c.   réside au Québec ou, conformément au troisième alinéa de l’article 366 du Code civil, ne réside pas au Québec mais y demeure temporairement;

d.   exerce son ministère dans un ressort situé en tout ou en partie au Québec;

e.   célèbre les mariages ou les unions civiles dans des lieux qui sont conformes aux rites de leur confession, à l’ordre public, au caractère public et solennel de la célébration d’un mariage ou d’une union civile et aux règles prescrites par le ministre de la Justice;

f.    le cas échéant, a généralement respecté les conditions de fond et de forme importantes relatives au mariage ou à l’union civile lors de célébrations antérieures, notamment l’affichage de l’avis de publication dans le délai prescrit ou la vérification de l’absence d’autre lien de mariage.

5.         Le Directeur effectue une recherche d’antécédents judiciaires pour chaque demande. Dans le cas où la recherche d’antécédents judiciaires révèle la présence d’une condamnation pour un acte criminel, rendue au cours des trois années précédant la demande d’autorisation ou la présence d’une condamnation pour une infraction poursuivie par voie sommaire, rendues au cours de l’année précédant la demande d’autorisation, le Directeur évalue lui-même si cette condamnation est liée ou non à l’exercice de la fonction de célébrant et décider d’accorder ou non l’autorisation.

[174]     On pourrait concevoir que le ministre du culte à qui l’on refuse une autorisation parce qu’il n’appartient pas à une société religieuse reconnue par le directeur de l’état civil voie là une atteinte à sa liberté de religion ou une forme de discrimination, tout autant que la personne qui aurait souhaité que son mariage soit célébré par un tel ministre du culte et, de même, la société religieuse visée. On pourrait s’inquiéter aussi de la neutralité de l’État dans un processus qui l’amène, par l’intermédiaire du directeur de l’état civil, à décider par exemple de ce qui est une religion ou n’en est pas (encore que le présent dossier ne révèle rien de la manière dont cette exigence, comme les autres, est appliquée et qu’il serait donc téméraire de formuler une opinion à ce sujet[184]). Mais ce ne sont pas là des questions auxquelles il est utile de répondre en l’espèce, vu les prétentions de l’appelant.

[175]     En effet, les réponses à ces questions, qui n’ont pas été abordées ni même soulevées par les parties, ne changent à mon avis rien au fait que l’État, en choisissant d’inclure les ministres du culte au nombre des personnes qu’il habilite à célébrer un mariage auquel s’appliqueront toutes les règles impératives, supplétives ou facultatives prévues par le Code civil, ne commet pas d’accroc au principe de la neutralité religieuse. Au contraire, il adopte « une approche réaliste et non absolutiste, la neutralité de l’État [étant] assurée lorsque celui-ci ne favorise ni ne défavorise aucune conviction religieuse; en d’autres termes, lorsqu’il respecte toutes les positions à l’égard de la religion, y compris celle de n’en avoir aucune, tout en prenant en considération les droits constitutionnels concurrents des personnes affectées »[185]. Sous ce rapport, l’art. 366, al. 2 et 3 C.c.Q. ne peut être contesté. Là-dessus, le modèle français, évoqué précédemment (voir supra, paragr. [132]), ne paraît pas offrir le seul paradigme conforme au principe de la neutralité religieuse de l’État.

[176]     D’autre part, et pour revenir aux dispositions législatives auxquelles s’en prend expressément l’appelant, celui-ci n’explique pas non plus ce en quoi les art. 118 et 375 C.c.Q., qui obligent tout célébrant d’un mariage, y compris le ministre du culte, à transmettre la déclaration de mariage au directeur de l’état civil, enfreignent en eux-mêmes sa liberté de religion. Il n’y a là qu’une règle technique (quoiqu’essentielle à la tenue des registres de l’état civil), dont l’application au ministre du culte ne ferait problème que dans la mesure où l’on conclurait à l’inconstitutionnalité des conséquences juridiques que le législateur québécois attache au mariage contracté devant un tel célébrant.

[177]     En fin de compte, on doit donc constater que les réticences de l’appelant à l’endroit du régime juridique du mariage, à supposer même qu’elles soient d’ordre religieux (ce qui n’est pas le cas), sont purement théoriques. Ainsi, sauf par une invocation générale de la liberté de religion, l’appelant est incapable d’identifier la ou les croyances religieuses sur lesquelles il fonde sa contestation. En ce sens, et quoique le contexte soit différent, il se trouve dans une situation analogue à celle que décrivait la juge Abella dans Bruker c. Marcovitz[186] :

[68]      Je me demande d’abord si M. Marcovitz croyait sincèrement, en toute bonne foi, que le fait d’accorder le get était un acte auquel il s’opposait par croyance ou conscience religieuse. Je ne vois pas vraiment quel aspect de ses croyances religieuses l’a empêché d’accorder le get. En fait, il n’a jamais fourni de motif religieux à l’appui de son refus d’accorder le get. […]

[Je souligne]

[178]     De la même manière, l’appelant n’a jamais fourni de motif religieux à l’appui de ses prétentions, sinon par un appel général à la liberté de religion, comme M. Marcovitz l’avait fait également. C’est là un premier et insurmontable obstacle à sa revendication.

[179]     Par ailleurs, la preuve au dossier révèle aussi que, pendant toute la durée de leur union, les parties ont, dans les faits, géré leur conjugalité comme elles l’ont voulu, leur entente concordant d’ailleurs largement avec les dispositions législatives applicables, sans incompatibilité substantielle. Autrement dit, les convictions personnelles de l’appelant, notamment au regard de l’aspect économique de sa conjugalité, se sont exprimées ici sans contrainte particulière, ce qui n’est pas étonnant dans la mesure où le modus vivendi des parties (partage 50-50 ou au prorata des revenus entre parties autonomes financièrement, gagnant des traitements semblables et n’ayant pas de biens avant le mariage) correspond essentiellement au régime législatif. Pour le reste, et au risque de me répéter, rien dans les dispositions législatives que le Code civil consacre au mariage n’a, selon la preuve, empêché l’appelant de professer librement sa religion, c’est-à-dire de l’embrasser, de la proclamer, de la pratiquer ou de la disséminer.

[180]     En somme, il n’y a pas ici d’atteinte identifiable à la liberté de religion de l’appelant.

[181]     Finalement, j’estime nécessaire de reproduire de nouveau, ci-dessous[187], un passage du mémoire de l’appelant, qui illustre bien le caractère théorique, voire rhétorique, des entraves qu’il allègue :

58.       Ce ne sont donc pas les effets civils du mariage, tels que l'application du patrimoine familial, la protection de la résidence familiale ou les obligations alimentaires, qui entrent en conflit avec les convictions religieuses de l'Appelant comme le prétend la juge de première instance. En fait, une telle conclusion n'est pas supportée par l'argumentation présentée en première instance. Au contraire, ce sont plutôt ses convictions religieuses qui sont entravées par l'application pratique du régime des articles 118, 375 et 366 C.c.Q., lequel emporte un amalgame des effets civils et religieux, puisqu'il oblige l'Appelant à renoncer à l'un de ses droits.

59.       Que l'Appelant soit en accord ou non avec les règles telles qu'énoncées par le législateur importe peu : ce qui importe, ce sont les droits de l'Appelant de professer librement sa religion et de choisir volontairement la forme et les effets de sa conjugalité civile, distinctement et indépendamment l'un de l'autre.

[Je souligne]

[182]     Ce n’est donc pas, déclare ici l’appelant, qu’il soit en désaccord avec les règles du patrimoine familial, de la protection de la résidence familiale et de l’obligation alimentaire ou que ces règles enfreignent ses croyances religieuses, c’est que, dit-il, il ne peut « professer librement sa religion et […] choisir volontairement la forme et les effets de sa conjugalité civile, distinctement et séparément » de ses choix religieux. Il y a, dans ces deux propositions une forme d’antinomie : si le cadre juridique établi par le législateur n’est pas incompatible avec ses convictions religieuses particulières, comment l’appelant peut-il néanmoins y voir une atteinte à sa liberté de religion? C’est que, faut-il comprendre, il demeurerait une question de principe : en associant des effets juridiques au mariage célébré religieusement, le législateur impose une forme de coercition, au moins virtuelle, aux croyants en général et les empêche de choisir librement le mode de leur conjugalité, à la différence des non-croyants. Il y aurait en cela un fardeau indirect imposé à tous ceux et celles qui, afin se conformer à leurs croyances religieuses, ne peuvent vivre d’union conjugale qu’à l’intérieur d’un mariage, fardeau auquel ne sont pas assujettis les non-croyants, mais qui pèse sur les épaules des croyants.

[183]     L’on ne peut, dans les circonstances, faire droit à cet argument, là encore à défaut d’une preuve suffisante de la nature des croyances en cause.

[184]     Comme on l’a vu de la jurisprudence[188], celui ou celle qui prétend à la violation de la liberté de religion identifie généralement une croyance subjective précise, servant de fondement factuel à la détermination de l’existence ou de l’inexistence d’une violation de la liberté de religion tout comme il établit l’effet restrictif ou coercitif de la loi, de la mesure ou de la décision contestée sur sa capacité d’observer cette croyance, en ce qu’il ne peut se conformer pleinement à celle-ci sans enfreindre la loi ou vice versa. Il n’y a rien de cela en l’espèce : l’allégation propre à l’appelant, redisons-le, ne repose sur aucune croyance identifiable ou identifiée et il ne propose pas davantage de fondement factuel à la question générale et de principe qu’il prétend soulever au nom de l’ensemble des croyants. Or, comment pourrait-on, sans ce fondement factuel, conclure que l’imposition des mêmes règles au mariage célébré religieusement et au mariage célébré autrement entrave non seulement la liberté de religion de l’appelant mais, plus généralement, celle des croyants québécois, peu importe leur religion (et sans même savoir si chaque religion impose le mariage comme seule modalité de l’union conjugale ou de la vie commune ou si tous les croyants partagent la même conviction que l’appelant à cet égard)?

[185]     Dans MacKay c. Manitoba[189], affaire dans laquelle des justiciables, invoquant la liberté d’expression, contestaient certaines dispositions d’une loi manitobaine sur le financement électoral, le juge Cory, au nom de la Cour suprême, écrit ceci :

            Les affaires relatives à la Charte porteront fréquemment sur des concepts et des principes d'une importance fondamentale pour la société canadienne. Par exemple, les tribunaux seront appelés à examiner des questions relatives à la liberté de religion, à la liberté d'expression et au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne. Les décisions sur ces questions doivent être soigneusement pesées car elles auront des incidences profondes sur la vie des Canadiens et de tous les résidents du Canada. Compte tenu de l'importance et des répercussions que ces décisions peuvent avoir à l'avenir, les tribunaux sont tout à fait en droit de s'attendre et même d'exiger que l'on prépare et présente soigneusement un fondement factuel dans la plupart des affaires relatives à la Charte. Les faits pertinents présentés peuvent toucher une grande variété de domaines et traiter d'aspects scientifiques, sociaux, économiques et politiques. Il est souvent très utile pour les tribunaux de connaître l'opinion d'experts sur les répercussions futures de la loi contestée et le résultat des décisions possibles la concernant.

            Les décisions relatives à la Charte ne doivent pas être rendues dans un vide factuel. Essayer de le faire banaliserait la Charte et produirait inévitablement des opinions mal motivées. La présentation des faits n'est pas, comme l'a dit l'intimé, une simple formalité; au contraire, elle est essentielle à un bon examen des questions relatives à la Charte. Un intimé ne peut pas, en consentant simplement à ce que l'on se passe de contexte factuel, attendre ni exiger d'un tribunal qu'il examine une question comme celle-ci dans un vide factuel. Les décisions relatives à la Charte ne peuvent pas être fondées sur des hypothèses non étayées qui ont été formulées par des avocats enthousiastes.[190]

[186]     Le juge Cory renvoie à ce propos aux commentaires du juge en chef Dickson dans Edwards Books[191], où l’on contestait, au nom de la liberté de religion, la validité d’une loi ontarienne imposant la fermeture des commerces le dimanche, commentaires que l’on peut appliquer à l’espèce. Refusant de statuer sur l’effet que la loi pouvait avoir sur les personnes qui, pour des raisons religieuses, observent un jour de repos ou de dévotion autre que le samedi ou le dimanche, le juge en chef Dickson écrit notamment que :

            En l'absence d'une preuve forte quant à la nature de l'observance du mercredi par les hindous ou de celle du vendredi par les musulmans, je ne veux pas, et d'ailleurs je ne suis pas en mesure de le faire, évaluer les effets de la Loi sur les membres de ces groupes religieux. Le dossier ne comporte que la déposition de Bhulesh Lodhia, le détaillant hindou qui a témoigné au procès de Longo Brothers. Monsieur Lodhia a reconnu que la religion hindoue ne comporte aucun jour de sabbat, mais il a ajouté que le mercredi est considéré comme [traduction] « un jour de prière, aussi c'est le jour où nous préférerions fermer si nous avions le choix ». Je déduis de ce témoignage qu'il n'y a aucun précepte religieux qui interdit à ces fidèles de travailler le mercredi, mais qu'il existe une certaine obligation morale de prier ce jour-là. Je ne sais pas avec certitude si toute la journée doit être passée en prière ou si seulement une ou plusieurs parties de la journée doivent être réservées à cette fin. La mesure dans laquelle la Loi porte atteinte aux pratiques religieuses des hindous n'a pas été établie de manière suffisante pour justifier la conclusion que la Loi porte atteinte à leurs libertés religieuses, particulièrement dans le cadre des présentes affaires où aucun des détaillants n'est membre de cette confession.

            La preuve soumise concernant la foi islamique est encore moins suffisante. Elle est entièrement contenue dans l'échange suivant intervenu au cours de l'interrogatoire principal de M. Lodhia :

[traduction]  Q. ... Vous êtes hindou, quelle est, à votre connaissance, le jour du sabbat dans la religion musulmane?

R. Je crois que c'est le vendredi.

            Ce n'est pas là un motif suffisant pour justifier une contestation constitutionnelle. La question de savoir si la Loi enfreint la liberté de religion des hindous ou des musulmans est une question à laquelle on devrait donc s'abstenir de répondre dans les présents pourvois.[192]

[Je souligne]

[187]     Pareillement, en l’absence d’une preuve factuelle suffisante, il ne convient pas de répondre à la question que soulève l’appelant de savoir si le Code civil du Québec, au chapitre du mariage, brime ou non la liberté religieuse des personnes croyantes en général ou même simplement celle des croyants catholiques (comme l’appelant, initialement de cette foi) ou baptistes (dénomination à laquelle il appartient maintenant).

[188]     Bref, pour toutes ces raisons, l’appelant ne s’est pas déchargé du fardeau qui lui incombait de démontrer que la mesure contestée (en l’occurrence l’imposition d’effets juridiques divers au mariage célébré par un ministre du culte autorisé en vertu de l’art. 366 C.c.Q.) entrave concrètement sa capacité de se conformer à ses croyances religieuses (croyances qu’il n’a pas identifiées), c’est-à-dire, pour emprunter à l’arrêt Ktunaxa Nation, de démontrer que cette mesure entrave sa liberté d’entretenir des croyances religieuses, de les manifester et de s’y conformer[193]. Il n’a pas établi davantage l’existence d’une forme indirecte de contrôle, qui restreindrait ses possibilités d’action, alourdirait l’exercice de ses croyances ou le mènerait à les enfreindre. Il n’a pas établi non plus que les dispositions législatives qu’il conteste, que ce soit par leur objet ou leur effet, lui auraient imposé un comportement contraire à ses convictions religieuses et l’obligation de se conduire d’une manière incompatible avec celles-ci. De fait, selon la preuve au dossier, ces dispositions n’ont pas empêché l’appelant d’agir selon ses convictions, sans contrainte particulière sur le plan spirituel, moral ou autre. Il n’a pas non plus fait la démonstration requise en ce qui concerne, de manière générale, les personnes croyantes.

[189]     Enfin, et dans un autre registre, on ne peut voir dans les dispositions législatives que le Code civil du Québec consacre au mariage un régime qui, au contraire de la Loi sur le dimanche dont il était question dans Big M Drug Mart, « astreint l’ensemble de la population à un idéal sectaire chrétien »[194], « exerce une forme de coercition contraire à l’esprit de la Charte et à la dignité de tous les non-chrétiens »[195] ou « fait appel à des valeurs religieuses enracinées dans la moralité chrétienne et les transforme, grâce au pouvoir de l’État, en droit positif applicable aux croyants comme aux non-croyants »[196]. On ne peut pas y voir non plus, que ce soit par son objet ou son effet, une forme de « parrainage par l’État d’une tradition religieuse »[197] ou une volonté de « favoris[er] une religion plutôt qu’une autre »[198].

[190]     Que le droit québécois du mariage ait, à une certaine époque, été imprégné de valeurs chrétiennes (et, même, catholiques) et de règles calquées sur certains canons religieux est indéniable, comme le rappellent les paragr. [84] et s. des présents motifs. Mais s’il demeure des traces de ce passé, traces qui rejoignent d’ailleurs des conceptions purement séculières en la matière, le Code civil du Québec, au chapitre du mariage et des effets de celui-ci, a coupé avec lui, n’a aucune vocation religieuse et s’appuie sur des principes strictement civils. Le religieux a cessé de tenir le civil en état et les travaux de l’Office de révision du Code civil l’attestent, tout comme les travaux subséquents rattachés aux réformes relatives aux droits des femmes mariées ou à l’instauration du patrimoine familial et de la prestation compensatoire, par exemple, de même que les travaux parlementaires ayant entouré l’adoption du Code civil du Québec[199]. On pourra s’en remettre d’ailleurs, à ce sujet, à l’exposé historique du juge LeBel aux paragr. 52 et s. de l’arrêt Québec (Procureur général) c. A[200].

[191]     Certes, les dispositions du Code civil peuvent se superposer à un cadre religieux et coïncider avec lui (et c’est d’ailleurs l’exemple qu’en donne, devant la juge de première instance, le témoin Giordano, qui présente la cérémonie du mariage catholique romain, laquelle juxtapose le rite religieux et le rite civil imposé par les art. 365 et s. C.c.Q.[201]). Pareillement, certains des effets juridiques voulus par le législateur peuvent concorder avec les conséquences que telle ou telle religion chrétienne attache au mariage. Cela ne signifie toutefois pas que le Code civil impose un carcan religieux aux époux ni « un idéal sectaire chrétien ». Ce n’est du reste pas ce dont se plaint l’appelant. De toute façon, comme l’écrit le juge en chef Dickson dans Edwards Books, « une loi d’inspiration laïque ne porte pas atteinte à la liberté de ne pas se conformer à des dogmes religieux simplement parce que certaines de ses dispositions coïncident avec les préceptes d’une religion »[202].

[192]     Tout cela pour dire que, afin d’assurer l’égalité de toutes les personnes mariées et les mêmes bénéfices à tous ceux qui optent, peu importe leur raison, pour ce mode de conjugalité, le législateur a adopté des règles applicables à tout mariage, sans égard au rite de sa célébration, règles dont certaines sont impératives et d’autres facultatives ou supplétives. L’appelant n’a pas fait la démonstration, ce dont il avait le fardeau, que ce choix législatif et les effets ainsi liés au mariage entravaient sa liberté de religion, muselaient l’affirmation ou l’expression de ses croyances religieuses ou le contraignaient à adopter un comportement contraire à celles-ci. Il n’a pas davantage fait cette démonstration en ce qui concerne les personnes croyantes en général.

[193]     Un dernier commentaire, enfin, avant de clore la présente section. D’aucuns pourraient peut-être soutenir que si le législateur québécois, au moyen de son Code civil, s’intéresse au mariage célébré selon un rite religieux en ce qu’il le traite comme tout autre mariage et lui attribue, sur le plan civil, les mêmes conséquences, c’est qu’il ne veut pas d’une conjugalité assujettie à la seule normativité religieuse, et ce, parce qu’il estime que celle-ci ne procure pas aux époux et à la famille la protection qu’il juge nécessaire. Il voudrait donc suppléer à ce qu’il perçoit comme les déficiences de cette normativité. Il y aurait là une immixtion directe et délibérée dans la mise en œuvre par les croyants de leurs convictions religieuses et une ingérence de l’État laïc dans une matière religieuse, immixtion qui refléterait un préjugé négatif à l’endroit des religions et constituerait une atteinte à la liberté de religion.

[194]     L’argument ne convainc pas.

[195]     D’une part, le narratif qui le sous-tend est contraire à l’histoire de la régulation du mariage au Québec, telle qu’exposée précédemment, qui ne montre pas de méfiance à l’endroit de la normativité religieuse.

[196]     D’autre part, on peut sans doute reconnaître que, soit dit très respectueusement, les religions, qui s’inscrivent dans un contexte socioculturel, n’ont pas toutes ni toujours été des vecteurs d’égalité entre les conjoints[203] et, en particulier, entre hommes et femmes, le mariage s’inscrivant parfois dans une dynamique de sujétion de l’épouse. De même, et pour prendre un autre exemple ressortissant lui aussi de la connaissance d’office, certaines d’entre elles montrent peu de sympathie à l’endroit de la conjugalité non hétérosexuelle. Mais c’est aussi le cas de bien des individus qui, pour des raisons n’ayant rien à voir avec la religion, n’observent pas ou ne respectent pas le principe d’égalité que promeut pourtant la loi, s’agissant d’une valeur fondamentale de notre société et une composante première de l’ordre public.

[197]     Pour des raisons d’ordre et d’intérêt public, afin de garantir et protéger ce principe d’égalité, y compris en mariage (ce qui fait d’ailleurs spécifiquement l’objet de l’art. 47 de la Charte québécoise), principe qui inclut celui de l’égalité homme-femme (que proclame le troisième alinéa du préambule de la Charte québécoise et qui s’y affiche comme un des « fondements de la justice, de la liberté et de la paix »), le Code civil du Québec accorde à toute personne mariée, sur le plan civil strictement, des droits qui pourront être mis en œuvre par les tribunaux indépendamment des croyances (religieuses ou autres) qu’elle peut entretenir par ailleurs, croyances que cette attribution de droits n’affecte nullement, mais auxquelles elle s’ajoute dans l’ordre normatif juridique. Rien dans la preuve administrée en première instance et reproduite au dossier d’appel n’indique que la volonté législative de mettre en œuvre le principe d’égalité en mariage découle d’une préoccupation à l’endroit des personnes mariées religieusement ou des religions.

[198]     Et s’il semble y avoir conflit entre le principe d’égalité que promeut le législateur et la liberté de religion, ce n’est là qu’une apparence qui se dissipe en adoptant le raisonnement des juges Iacobucci et Bastarache dans Université Trinity Western c. College of Teachers[204]. Leurs propos reposent sur l’idée que, indépendamment de l’analyse fondée sur l’art. 1 de la Charte canadienne, les droits et libertés fondamentaux ne sont pas absolus et que certaines limites ne constituent pas des atteintes dans la mesure où il s’agit d’assurer en même temps la mise en œuvre d’un autre droit tout aussi fondamental :

29        À notre avis, nous sommes en présence d’une situation dans laquelle il y a lieu de régler tout conflit éventuel en délimitant correctement les droits et valeurs en cause. Essentiellement, une bonne délimitation de la portée des droits permet d’éviter un conflit en l’espèce. Ni la liberté de religion ni la protection contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ne sont absolues. Comme le juge L’Heureux-Dubé l’a affirmé à ce propos, au nom des juges majoritaires, dans l’arrêt P. (D.) c. S. (C.), [1993] 4 R.C.S. 141, p. 182 :

Comme la Cour l’a réitéré à maintes occasions, la liberté de religion, comme toute liberté, n’est pas absolue. Elle est limitée de façon inhérente par les droits et libertés des autres. Alors que les parents sont libres de choisir et de pratiquer la religion de leur choix, ces activités peuvent et doivent être restreintes lorsqu’elles contreviennent au meilleur intérêt de l’enfant, sans pour autant violer la liberté de religion des parents. [Nous soulignons.]

30        De même, les juges Iacobucci et Major ont tiré la conclusion suivante dans l’arrêt B. (R.) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, [1995] 1 R.C.S. 315, par. 226 :

Tout comme il existe des limites à la liberté d’expression (p. ex., l’al. 2b) ne protège pas les actes violents: R. c. Zundel, [1992] 2 R.C.S. 731, aux pp. 753 et 801; R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697, aux pp. 732 et 830), il y a également des limites à la portée de l’al. 2a), particulièrement lorsqu’on a recours à cette disposition pour préserver une activité qui menace le bien-être physique et psychologique d’autrui. En d’autres termes, bien que la liberté de croyance puisse être vaste, la liberté d’agir suivant ces croyances est beaucoup plus restreinte, et c’est cette liberté qui est en cause en l’espèce. [Nous soulignons.]

31        En outre, la Charte doit s’interpréter comme un tout, de manière à éviter de privilégier un droit au détriment d’un autre. Comme le juge en chef Lamer l’a affirmé, au nom de notre Cour à la majorité, dans l’arrêt Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 R.C.S. 835, p. 877 :

Il faut se garder d’adopter une conception hiérarchique qui donne préséance à certains droits au détriment d’autres droits, tant dans l’interprétation de la Charte que dans l’élaboration de la common law. Lorsque les droits de deux individus sont en conflit, [. . .] les principes de la Charte commandent un équilibre qui respecte pleinement l’importance des deux catégories de droits.

[199]     On peut appliquer le même raisonnement à l’espèce : dans la mesure où les dispositions du Code civil du Québec visent à instaurer un cadre égalitaire entre conjoints, tant sur le plan extrapatrimonial que patrimonial, conformément à certaines valeurs sociales et juridiques fondamentales, il n’y a pas d’atteinte à la liberté de religion de l’appelant : bien que la liberté de croyance puisse être vaste, la liberté d’agir suivant ces croyances (comme ce serait le cas d’une opinion ou d’une objection de conscience) - et en l’occurrence d’échapper ici au principe d’égalité qui sous-tend l’encadrement juridique du mariage dans le Code civil - est plus restreinte.

[200]     La juge L’Heureux-Dubé, dissidente dans Université Trinity Western c. College of Teachers, aurait pour sa part fait de la résolution du conflit entre deux libertés ou droits fondamentaux un élément de l’analyse régie par l’art. 1 de la Charte canadienne[205]. C’est aussi l’approche qu’on retiendra dans l’arrêt Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott[206] (liberté d’expression/droit à l’égalité). De toute manière, peu importe le stade où l’on examine la question, le résultat serait ici le même.

* *

[201]     Parlant de l’art. 1 de la Charte canadienne, et vu la conclusion à laquelle j’en viens ci-dessus, il n’est pas nécessaire de se demander si les dispositions du Code civil du Québec relatives au mariage sont justifiées dans le cadre d’une société libre et démocratique. Je discuterai néanmoins de la question plus loin (voir infra, paragr. [243] et s.), à titre subsidiaire, après avoir examiné les prétentions des parties au chapitre du droit à l’égalité.

4.         Les dispositions contestées enfreignent-elles le droit à l’égalité que consacrent les art. 15 de la Charte canadienne et 10 de la Charte québécoise?

[202]     S’il n’est pas attentatoire à la liberté de religion de l’appelant, le Code civil mettrait-il néanmoins en place un régime discriminatoire? C’est ce que soutient l’appelant, qui avance que les dispositions que ce code consacre au mariage sont discriminatoires pour cause de religion et enfreignent le droit à l’égalité que protègent l’art. 15, paragr. 1 de la Charte canadienne et l’art. 10 de la Charte québécoise, dont voici le texte :

Charte canadienne

 

15. (1)  La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

15. (1)  Every individual is equal before and under the law and has the right to the equal protection and equal benefit of the law without discrimination and, in particular, without discrimination based on race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability.

[…]

(…)

Charte québécoise

 

10.       Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.

10.       Every person has a right to full and equal recognition and exercise of his human rights and freedoms, without distinction, exclusion or preference based on race, colour, sex, gender identity or expression, pregnancy, sexual orientation, civil status, age except as provided by law, religion, political convictions, language, ethnic or national origin, social condition, a handicap or the use of any means to palliate a handicap.

            Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.

            Discrimination exists where such a distinction, exclusion or preference has the effect of nullifying or impairing such right.

[203]     Selon l’appelant, en attachant des effets civils au mariage, mais pas à l’union de fait, le Code civil du Québec crée indûment deux catégories de personnes dont les droits ne sont pas les mêmes. Les non-croyants, en effet, sont entièrement libres de leurs choix conjugaux : ils peuvent se marier ou opter pour l’union de fait. Dans le premier cas, ils auront donc accepté de se soumettre aux règles que le législateur applique au mariage; dans le second, ils auront conservé la liberté pleine et entière de déterminer les effets de leur conjugalité. Par contraste, les croyants sont privés de ce choix : ils ne peuvent vivre leur conjugalité qu’en mariage et se trouvent dès lors forcés de se soumettre aux règles que le législateur associe à tout mariage. Il y aurait là discrimination fondée sur la religion au sens des art. 15 de la Charte canadienne et 10 de la Charte québécoise.

[204]     Je ne peux souscrire à cette conclusion, ni du reste aux prémisses sur lesquelles elle est fondée. Que conjoints de fait et conjoints mariés soient traités différemment par le Code civil du Québec n’est évidemment pas contestable, mais - et je dis cela sous réserve des enseignements de la Cour suprême dans Québec (Procureur général) c. A[207] - ne suffit pas à établir l’existence d’un traitement discriminatoire au sens des Chartes, discrimination qui serait en l’espèce fondée sur la religion et qui opposerait croyants et non-croyants, seul motif allégué par l’appelant.

[205]     Rappelons d’abord les fins que poursuivent les art. 15 de la Charte canadienne et 10 de la Charte québécoise.

[206]     L’art. 15 de la Charte canadienne entend favoriser et valoriser l’égalité réelle des êtres humains, une égalité inhérente à la dignité de chaque personne, en proscrivant les traitements législatifs, réglementaires ou, plus globalement, étatiques qui, par leur objet ou leur effet, sont directement, indirectement ou systémiquement préjudiciables ou défavorables à certains individus ou groupes (y compris en omettant de tenir compte d’un désavantage préexistant) et fondés, au moins en partie, sur les caractéristiques personnelles qu’énonce la disposition ou autres caractéristiques analogues[208]. Selon les motifs majoritaires de la juge Abella dans Centrale des syndicats du Québec c. Québec (Procureure générale)[209], l’examen d’une demande fondée sur le paragr. 15(1) de la Charte canadienne exige une analyse en deux étapes (dont la première comporte elle-même deux volets) :

[22]      Pour l’examen d’une demande fondée sur le par. 15(1), la jurisprudence de notre Cour établit une démarche en deux étapes : à première vue ou de par son effet, la loi contestée établit-elle une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue, et, dans l’affirmative, impose-t-elle « un fardeau ou [nie-t-elle] un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage », y compris le désavantage « historique » subi? (Québec (Procureur général) c. A, [2013] 1 R.C.S. 61, par. 323-324 et 327; Première Nation de Kahkewistahaw c. Taypotat, [2015] 2 R.C.S. 548, par. 19-20.)

[207]     Dans le même arrêt, la juge Côté, dans des motifs concourants, s’exprime ainsi :

[117]    Pour l’application du par. 15(1), la principale question est de savoir si la mesure législative contestée va à l’encontre de cette garantie d’égalité réelle prévue par la Charte (Withler, par. 2). Il faut donc appliquer le cadre d’analyse en deux volets élaboré par la Cour et se poser les deux questions suivantes : (1) la loi crée-t-elle une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue et (2) cette distinction crée-t-elle un désavantage discriminatoire, notamment par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes? (Kapp, par. 17; Withler, par. 30 et 61; Québec c. A, par. 324). La principale considération de l’analyse doit être l’effet de la loi (Andrews, p. 165; Québec c. A, par. 319).[210]

[208]     Le fardeau de preuve incombant à la personne qui allègue une violation du paragr. 15(1) de la Charte canadienne est modelé sur ces deux étapes de l’analyse, selon le standard de la prépondérance[211].

[209]     Aux termes de l’art. 10 de la Charte québécoise, qui poursuit pareillement l’objectif d’assurer la dignité humaine et l’égalité réelle dans une société plurielle, il y a discrimination lorsqu’une norme, une pratique ou un acte (public ou privé) établit, directement, indirectement ou systémiquement, par son objet ou son effet, une distinction, exclusion ou préférence fondée sur l’un des motifs énumérés et qui a pour conséquence de détruire ou de compromettre le droit à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne[212] ou des droits mentionnés aux art. 10.1 à 19[213]. En découle le fardeau de preuve suivant, qui échoit à la personne alléguant discrimination sans qu’il lui soit besoin d’établir une intention discriminatoire, preuve qui doit répondre au standard de la prépondérance des probabilités :

[35]      Dans un premier temps, l’art. 10 requiert du demandeur qu’il apporte la preuve de trois éléments, soit « (1) une “distinction, exclusion ou préférence”, (2) fondée sur l’un des motifs énumérés au premier alinéa et (3) qui “a pour effet de détruire ou de compromettre” le droit à la pleine égalité dans la reconnaissance et l’exercice d’un droit ou d’une liberté de la personne » : Forget, p. 98; Ford, p. 783-784; Devine c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 790, p. 817; Bergevin, p. 538.

[36]      Si ces trois éléments sont établis, selon le degré de preuve que nous préciserons plus loin, il y a alors « discrimination prima facie » ou « à première vue ». Il s’agit du premier volet de l’analyse.[214]

[210]     Il importe par ailleurs de préciser, en ce qui concerne le troisième élément de ce fardeau de preuve, que :

[53]      Finalement, le demandeur doit démontrer que la distinction, l’exclusion ou la préférence affecte l’exercice en pleine égalité de l’un de ses droits ou libertés garantis par la Charte. Ainsi, contrairement à la Charte canadienne, la Charte ne protège pas le droit à l’égalité en soi; ce droit n’est protégé que dans l’exercice des autres droits et libertés garantis par la Charte : voir, entre autres, Ruel c. Marois, [2001] R.J.Q. 2590 (C.A.), par. 129; Velk c. McGill University, 2011 QCCA 578, 89 C.C.P.B. 175, par. 42; voir aussi Ford, p. 786-787.

[54]      Cela signifie que le droit à l’absence de discrimination ne peut à lui seul fonder un recours et doit nécessairement être rattaché à un autre droit ou à une autre liberté de la personne reconnus par la loi. Il ne faut toutefois pas confondre cette exigence avec la portée autonome du droit à l’égalité; la Charte n’exige pas une « double violation » (droit à l’égalité et, par exemple, liberté de religion), ce qui rendrait l’art. 10 superflu : voir, entre autres, D. Robitaille, « Non-indépendance et autonomie de la norme d’égalité québécoise : des concepts “fondateurs” qui méritent d’être mieux connus » (2004), 35 R.D.U.S. 103.[215]

[Je souligne]

[211]     Le second volet de l’analyse prescrite par l’art. 10 de la Charte québécoise se rapporte aux justificatifs qui peuvent être établis par la partie défenderesse (par ex., celui de l’art. 20 de la Charte québécoise).

[212]     Bref, tant la Charte canadienne que la Charte québécoise visent l’éradication des différences de traitement fondées, en totalité ou en partie, sur un motif prohibé (ou analogue dans le cas de la Charte canadienne), lorsque ces différences sont préjudiciables (encore que la portée de l’art. 10 soit moindre que celle de l’art. 15). Comme l’écrit la juge Abella dans Québec (Procureur général) c. A[216] :

[331]    Les arrêts Kapp et Withler nous fournissent une analyse souple et contextuelle visant à déterminer si la distinction a pour effet de perpétuer un désavantage arbitraire à l’égard du demandeur, du fait de son appartenance à un groupe énuméré ou analogue. Comme l’indique clairement l’arrêt Withler, les facteurs contextuels varient dans chaque cas — il n’existe pas de « modèle rigide » :

[…]

[213]     Notons enfin que, lorsqu’on parle d’un traitement « fondé » sur un motif prohibé, l’on ne renvoie pas à un lien causal au sens civil du terme : on se demande plutôt s’il existe un « lien entre le motif prohibé de discrimination et la distinction, l’exclusion ou la préférence dont [l’individu] se plaint ou, en d’autres mots, [si] ce motif a été un facteur dans la distinction, l’exclusion ou la préférence »[217].

[214]     Qu’en est-il en l’espèce?

[215]     Pour répondre à cette question, il est préalablement nécessaire de se pencher sur l’arrêt Québec (Procureur général) c. A[218]. La Cour suprême y statue en effet sur la différence de traitement que le Code civil du Québec établit entre époux et conjoints de fait, différence examinée sous l’angle de l’état matrimonial, motif analogue à ceux que prohibe expressément le paragr. 15(1) de la Charte canadienne. Certes, le motif de discrimination invoqué ici n’est pas le même, mais les conclusions de cet arrêt sont néanmoins déterminantes aux fins de l’analyse des prétentions des parties.

[216]     Les juges de la Cour suprême se divisent sur l’affaire. Ainsi, quatre d’entre eux, sous la plume du juge LeBel, concluent que la distinction n’enfreint pas l’art. 15, sans qu’il soit besoin d’en examiner la justification en vertu de l’art. 1 de la Charte canadienne. « L’égalité réelle, explique le juge LeBel, n’est pas violée par la seule imposition d’un désavantage », mais bien « par l’imposition d’un désavantage injuste ou répréhensible, ce qui se produit, le plus souvent, lorsque ce désavantage perpétue un préjugé ou applique un stéréotype »[219]. Or, il estime que les dispositions du Code civil, qui opèrent une distinction entre époux et conjoints de fait, distinction qui peut entraîner des désavantages pour les seconds, n'expriment cependant ni préjugé à leur endroit, c’est-à-dire une attitude ou une opinion défavorable ou l’établissement d’une hiérarchie, ni un stéréotype fondé sur des caractéristiques personnelles prohibées par le paragr. 15(1) de la Charte canadienne. Sans doute les conjoints de fait ont-ils été, historiquement, victimes de stigmatisation, mais, selon le juge LeBel, ce n’est plus le cas, la distinction mise en place par le Code civil ne résultant pas d’une préférence législative pour le mariage ni d’un mépris pour l’union de fait et n’ayant pas « pour effet de transmettre un message ou de projeter une image ou une croyance négative au sujet des conjoints de fait »[220]. Elle ne repose pas non plus sur l’application d’un stéréotype[221].

[217]     Les cinq autres juges de la Cour suprême sont pour leur part d’avis que l’arrangement prescrit par le Code civil du Québec établit une distinction qui désavantage les conjoints de fait en les privant, comme l’explique la juge Deschamps (qui écrit également au nom des juges Cromwell et Karakatsanis), de « toutes les mesures de protection accordées en cas de rupture de la relation familiale aux personnes mariées ou unies civilement »[222]. Ainsi que l’écrit de son côté la juge Abella, « l’exclusion totale des conjoints de fait du bénéfice des mesures de protection juridique reconnues par le Code civil aux conjoints unis formellement en matière de soutien alimentaire et de partage des biens constitue une violation du par. 15(1) de la Charte canadienne »[223]. Le législateur a jugé nécessaire d’établir un tel régime pour protéger les époux vulnérables - souvent des épouses - et pour éviter le déséquilibre et l’injustice qui résultent, au moment de la rupture, des choix faits (ou imposés) pendant la vie conjugale, et ce, afin de faire primer un objectif social d’égalité véritable. Or, cet objectif est tout aussi pressant dans le cas des conjoints de fait. En refusant à ces derniers la protection et les avantages accordés aux gens mariés, le législateur les défavorise, sur la seule base de leur état matrimonial. Le Code civil a sur eux une incidence négative, ce qui suffit pour conclure à un désavantage, sans qu’il soit besoin d’établir préjugé ou stéréotype, lesquels ne sont que des indices susceptibles d’indiquer une transgression de l’art. 15. La juge en chef McLachlin partage cet avis[224].

[218]     Toutefois, si, aux yeux de ces cinq juges, la distinction entre le traitement que le Code civil réserve aux époux, d’une part, et aux conjoints de fait, d’autre part, enfreint le paragr. 15(1) de la Charte canadienne en établissant une distinction fondée sur l’état matrimonial, ils ne s’entendent pas sur l’application de l’art. 1 : la juge en chef McLachlin estime que les dispositions législatives contestées sont entièrement justifiées par cette disposition, la juge Deschamps (ainsi que ses collègues Cromwell et Karakatsanis) également, sauf en ce qui concerne l’obligation alimentaire, alors que la juge Abella conclut qu’elles ne le sont aucunement. Au final, l’opinion de la juge en chef et celle du juge LeBel et de ses trois collègues convergent, validant ainsi le régime établi par le Code civil du Québec et la différence de traitement qu’il instaure entre les époux et les conjoints de fait. S’agissant du partage des biens, la juge Deschamps et ses collègues vont dans le même sens.

[219]     Comme je l’indiquais plus haut, bien qu’il ne repose pas sur l’analyse du même motif de discrimination, cet arrêt, qui lie notre cour, n’est pas sans conséquence sur le présent débat.

[220]     Il ne sera pas besoin de s’arrêter longuement, ce qui s’impose à l’évidence, sur la différence du traitement que le législateur accorde respectivement aux époux, unis par les liens du mariage, et aux conjoints de fait, qui ne le sont pas. Cela est acquis. Mais le régime que le Code civil du Québec réserve ainsi aux époux (comme aux personnes unies civilement) opère-t-il, comme le soutient l’appelant, une distinction entre croyants (lorsque, religieusement tenus de se marier, ils ne peuvent se soustraire à ce régime) et non-croyants (qui le peuvent, en choisissant l’union de fait)?

[221]     En réalité, il n’est pas essentiel de répondre à cette question, du moins pour le moment, puisque, même si l’on supposait qu’il existe une telle distinction fondée sur la religion, elle n’emporte pas de désavantage ou de préjudice au sens où l’entend la jurisprudence.

[222]     Dans Québec (Procureur général) c. A, la juge en chef McLachlin ainsi que les juges Deschamps, Abella, Cromwell et Karakatsanis reconnaissent en effet, comme on vient de le voir, que les dispositions que le Code civil du Québec consacre au mariage, et tout particulièrement en ce qui concerne les aspects patrimoniaux du régime primaire, constituent un avantage et offrent une protection fondée sur un important objectif social d’égalité : s’il y a discrimination, c’est en ce que cet avantage n’est pas ouvert aux conjoints de fait, qui s’en trouvent privés[225]. Le juge LeBel et ses collègues Fish, Rothstein et Moldaver sont également d’avis que la distinction entre époux et conjoints de fait « peut entraîner des désavantages pour les personnes se trouvant exclues de l’encadrement légal découlant du mariage […] »[226], même s’ils en viennent par ailleurs à la conclusion que ce désavantage - et, en corollaire implicite, l’avantage consenti aux époux - ne signale ni préjugé, ni stéréotype, ni image négative et n’est donc pas discriminatoire.

[223]     On ne peut pas conclure autrement dans le présent dossier : pour les raisons exposées par la Cour suprême, l’encadrement juridique du mariage, certainement sur le plan patrimonial, constitue un avantage pour les époux et ne peut être considéré comme ayant sur eux un effet préjudiciable. Or, comme le rappelle aussi le juge LeBel dans l’arrêt Québec (Procureur général) c. A, citant le juge Bastarache dans Gosselin c. Québec (Procureur général)[227], « il est absurde de penser qu’un demandeur puisse prouver qu’un objet ou effet bénéfique ou bénin contrevient au par. 15(1) »[228]. Le même commentaire s’applique à l’art. 10 de la Charte québécoise.

[224]     Cela étant, l’appelant ne franchit pas la dernière étape du test imposé par la jurisprudence, que l’on examine les choses sous l’angle de l’art. 15 de la Charte canadienne ou celui de l’art. 10 de la Charte québécoise : le régime que le Code civil réserve aux époux ne les désavantage pas et ne perpétue, ne renforce ou n’accentue aucun tel désavantage pas plus qu’il ne compromet (élément essentiel à l’application de l’art. 10 de la Charte québécoise) l’exercice de leurs libertés et droits fondamentaux, et ce, en pleine égalité. Au contraire, il les favorise, notamment sur le plan patrimonial, et il ajoute à leurs droits en instaurant un régime qui met en œuvre un principe fort d’égalité et de protection. Quant aux aspects extrapatrimoniaux, on ne peut voir ce en quoi ils constitueraient un désavantage, un préjudice ou un fardeau et, d’ailleurs, l’appelant ne l’a pas allégué. Enfin, on ne peut pas dire non plus que l’encadrement législatif offert par le Code civil du Québec résulte d’un préjugé ou d’un stéréotype à l’endroit des personnes mariées, ou qu’il le perpétue, ni qu’il projette du mariage ou des époux, mariés religieusement ou séculièrement, une image négative ou qu’il les stigmatise de quelque façon ou omet de tenir compte d’un désavantage préexistant.

[225]     Bref, l’appelant ne peut, au nom de la religion ou de la liberté de religion, se plaindre de jouir de l’avantage ou du privilège conféré aux époux et dont ne profitent pas les conjoints de fait. L’analyse pourrait donc s’arrêter là : il n’y a pas de discrimination car la distinction que dénonce l’appelant n’emporte pas de désavantage.

[226]     Toutefois, de façon subsidiaire, je poursuivrai l’examen des prétentions de l’appelant en revenant d’abord sur la distinction qu’établirait le Code civil du Québec entre croyants et non-croyants. Rappelons en effet que n’est pas la distinction législative entre époux et conjoints de fait que conteste l’appelant, dont le raisonnement repose au contraire sur la préservation même de cette distinction : il souhaite se soustraire aux conséquences juridiques du mariage et aspire sur le plan civil au statut des conjoints de fait. À son avis, c’est en conférant ces conséquences juridiques au mariage célébré par un ministre du culte que le Code civil établit une distinction indue fondée sur la religion, c’est-à-dire une distinction entre les croyants, dont la foi ne permet la vie conjugale qu’en mariage, et les non-croyants, qui ont la liberté de choisir entre le mariage et l’union de fait. Or, à mon avis, cette distinction, et je le dis en tout respect, est artificielle.

[227]     D’abord, comme l’était l’allégation de l’appelant au chapitre de la liberté de religion, la distinction invoquée ici est singulièrement abstraite. Ainsi oppose-t-on les croyants et les non-croyants, comme si chacun de ces groupes faisait bloc, en ignorant les différences qui peuvent exister entre les croyants selon leur foi et en imputant aux non-croyants une liberté de choix qui n’existe pas nécessairement dans la réalité. On suppose, dans le cas des croyants, que leur vie conjugale est nécessairement conditionnée par l’exigence d’un mariage. Cela est sans doute vrai selon la croyance catholique ou baptiste que professe l’appelant, mais aucune preuve n’a été faite de la manière dont le mariage et l’union de fait (ou l’équivalent) sont traités par d’autres religions ou d’autres croyants. Quant aux non-croyants, on présume qu’ils n’entretiennent aucune conviction particulière à l’endroit de l’institution du mariage et ne se sentent liés par aucune obligation morale, sociale ou personnelle à cet égard, ce qui leur permet d’opter à leur gré pour l’union de fait. Or, sans preuve aucune, il est hasardeux, me semble-t-il, de formuler la distinction en ces termes. À la limite, peut-être pourrait-on distinguer les croyants qui entretiennent la croyance religieuse selon laquelle la vie conjugale, c’est-à-dire la vie commune, n’est permise qu’en mariage des non-croyants qui n’ont aucune conviction particulière (morale, culturelle, philosophique, etc.) à l’endroit du mariage, mais, là encore, cela paraît bien général.

[228]     Quoi qu’il en soit, puisque, ainsi que l’écrit la juge Abella dans Québec (procureur général) c. A, « l’hétérogénéité d’un groupe […] n’est pas fatale à une plainte de discrimination »[229], le fait que tous les croyants ne soient pas atteints de la même façon n’est pas un obstacle et je poursuis donc.

[229]     Cela dit, qu’il s’agisse de la distinction large que propose l’appelant ou de la distinction plus étroite que l’on envisage ci-dessus, encore faut-il qu’elle résulte de l’objet ou de l’effet de la loi. Or, si la religion a déjà pu influencer la manière dont le législateur québécois encadre le mariage, ce n’est plus le cas : il impose désormais son cadre séculier à tout mariage, peu importe la manière dont celui-ci est célébré. De plus, il n’y a pas d’intention ou d’objectif religieux et pas davantage d’intention ou d’objectif antireligieux derrière la volonté législative exprimée dans le Code civil du Québec : en imposant les mêmes conditions de célébration et les mêmes conséquences juridiques à tout mariage, le législateur n’a pas entendu cibler particulièrement les croyants de quelque foi, ni les assujettir pour cette raison à un fardeau dont seraient exempts leurs concitoyens non-croyants ou les priver d’un avantage dont jouiraient ces derniers. L’objet de la loi n’a en outre aucune connotation religieuse ni antireligieuse.

[230]     Mais l’absence d’intention, on le sait, ne suffit pas en matière de discrimination : s’agirait-il ici d’une discrimination indirecte ou systémique, par l’effet de dispositions législatives apparemment neutres, mais qui pèseraient plus lourd sur les croyants, et notamment sur l’appelant, que sur les non-croyants? L’identité de traitement, on le sait, n’est pas toujours porteuse d’égalité : pour atteindre l’égalité réelle, il faut dans certains cas traiter différemment les personnes qui sont dans une situation différente. Serait-ce ici le cas?

[231]     À cela on doit répondre que l’appelant n’a pas réussi à montrer - et je reprends ici la formulation des juges Wagner et Côté dans Bombardier Inc.[230] - le lien qui existerait entre le motif prohibé de discrimination (la religion en l’occurrence) et le fait pour le législateur d’avoir assorti d’effets civils divers l’ensemble des mariages, peu importe le rite de leur célébration, et d’avoir imposé par ailleurs à toute célébration, même religieuse, des formalités minimales uniformes (dont la transmission de la déclaration de mariage). En fait, on pourrait vouloir raisonner ici a contrario : ne serait-ce pas le fait d’exclure les mariages célébrés religieusement du champ du Code civil qui serait discriminatoire?

[232]     En effet, si les ministres du culte n’étaient plus autorisés à célébrer des mariages au sens du Code civil ou si le législateur écartait les mariages célébrés religieusement du Titre premier (« Du mariage ») du Livre deuxième (« De la famille ») du Code civil, il se trouverait, comme il le fait déjà pour les conjoints de fait, à priver du bénéfice de la loi et des avantages offerts par celle-ci les personnes qui auraient consacré leur union conjugale de cette manière. Cette exclusion causerait préjudice aux personnes mariées religieusement, en leur étendant, qu’elles le veuillent ou non, le traitement désavantageux des conjoints de fait, que le Code civil ignore[231]. De leur côté, les personnes mariées non religieusement ou mariées par tout célébrant autre qu’un ministre du culte[232] continueraient de profiter des règles établies par le Code civil. On pourrait donc être marié, au sens civil du terme, par un ami ou un parent ou par n’importe quelle autre personne autorisée, mais non par un ministre du culte, selon un rite religieux.

[233]     Il y aurait là, sûrement, une distinction, fondée sur la religion et désavantageuse pour les personnes croyantes, qui leur serait préjudiciable et qui serait conséquemment discriminatoire au sens du paragr. 15(1) de la Charte canadienne. Elle le serait aussi aux fins de l’art. 10 de la Charte québécoise, puisque le retrait d’un tel bénéfice aux personnes qui se sont mariées religieusement attenterait tout aussi sûrement à leur liberté de religion et à leur dignité, au sens des art. 3 et 4 de cette même charte.

[234]     Mais, pourrait-on être tenté de rétorquer, les croyants désireux d’obtenir les droits prévus par le Code civil remédieront aisément à ce désavantage en se mariant devant un officier laïc (avant ou après leur cérémonie religieuse). Peut-être, mais, outre les problèmes décrits dans l’affaire Québec (Procureur général) c. A[233] (lorsque le rapport des forces entre les parties n’est pas égal, l’approche volontariste est souvent un mirage, du moins pour l’un des deux conjoints), on pourrait voir dans le fait d’astreindre les personnes croyantes à une célébration laïque, si elles souhaitent les effets civils du mariage, une atteinte à leur droit à l’égalité, mais également à leur liberté de religion : la situation serait, encore qu’à l’inverse, aussi fausse qu’elle l’était à l’époque où il n’y avait de mariage que célébré religieusement, ce qui gênait les non-croyants obligés de se plier à un rituel sans signification pour eux et d’agir contre leur conscience[234].

[235]     De surcroît, dans l’hypothèse où, donnant préséance à la liberté de choix sur le principe d’égalité et la protection qui s’ensuit, l’on soustrairait les personnes mariées selon un rite religieux aux règles que le Code civil consacre au mariage, il n’y aurait pas de raison que l’on n’en dispense pas aussi ceux et celles qui, par suite d’une conviction intime forgeant leur liberté de conscience, de croyance ou d’opinion, sont également assujettis contre leur gré au régime juridique du Code civil du Québec : les croyances séculières de ce genre - qu’on pourrait même qualifier de convictions politiques - ne sont pas moins importantes que les croyances religieuses[235] (elles sont d’ailleurs protégées par les al. 2a) et 2b) de la Charte canadienne et 3 de la Charte québécoise) et ne pas les considérer, alors qu’on tiendrait compte des réserves religieuses, serait discriminatoire, cette fois à l’endroit des non-croyants[236], et certainement de ceux ou celles qui sont foncièrement opposés aux effets juridiques que le législateur associe au mariage, mais qui, pour des raisons morales, civiques, politiques, culturelles ou affectives sont attachés à cette institution et ne veulent pas d’une union de fait.

[236]     Ce constat, d’ailleurs, remet en question la pertinence de la distinction que l’appelant dénonce. En effet, il est des non-croyants qui peuvent aussi bien, pour diverses raisons, se sentir tenus de se marier (le mariage, même non religieux, ayant une très forte valeur symbolique) et qui sont pareillement privés de la liberté que réclame l’appelant, quoique sur un plan moral plutôt que religieux. La religion ne paraît donc pas être le point d’arrimage du désavantage que fait valoir l’appelant et l’on cherche en vain le « lien » qu’aurait avec le motif prohibé, c’est-à-dire la religion, le fait d’imposer aux personnes mariées, peu importe la manière de leur mariage, les mêmes règles civiles.

[237]     À vrai dire, tout cela illustre bien la véritable nature du débat qui, d’une certaine manière, oppose la liberté revendiquée par certains (dont l’appelant) à la protection que, de son côté, le législateur estime nécessaire à des fins d’ordre public social, notamment afin de mettre en œuvre l’art. 47 de la Charte québécoise. Nombreux sont ceux et celles qui préféreraient, en mariage, la liberté patrimoniale des conjoints de fait, et ce, pour des raisons tenant chez les uns à des croyances religieuses, chez les autres à des convictions ou des croyances non religieuses. Mais précisément en raison des inconvénients sociaux qu’engendre une telle liberté, le législateur a choisi de faire primer le principe fondamental de l’égalité et d’en assurer la réalisation en mariage, assujettissant donc toutes les personnes mariées au régime que l’on connaît maintenant (mêmes exigences de célébration minimales, mêmes effets de droit), et ce, sans égard aux préférences individuelles et à la provenance, religieuse, culturelle, morale, etc. de celles-ci. Même si on pouvait, comme certains[237], être d'avis que le législateur fait ainsi peu de cas de l'autonomie des individus et de leur liberté contractuelle, ce choix, qui n’est pas fondé sur la religion, n’est pas discriminatoire et les conséquences juridiques du mariage ne le sont pas davantage, du moins pas sur la base de la religion. Qu’elles soient croyantes ou non et sans égard aux raisons religieuses ou autres qui ont pu motiver leur mariage, toutes les personnes mariées ont droit à la même protection, au même bénéfice de la loi (art. 15 de la Charte canadienne) et, à cet égard, jouissent en pleine égalité des droits et libertés de la personne (art. 10 de la Charte québécoise), sans distinction fondée sur la religion. Que cette protection suppose des obligations mutuelles entre les époux n’est pas non plus discriminatoire. Ce qui est contraire au paragr. 15(1) de la Charte canadienne, selon les juges majoritaires de la Cour suprême, est plutôt le fait que cette protection ne soit pas étendue aux conjoints de fait (ce qui, selon la juge en chef McLachlin, est toutefois sauvegardé par l’art. 1 de la Charte canadienne).

[238]     Pour toutes ces raisons, je conclus que le Code civil du Québec, en assujettissant tous les mariages aux mêmes règles, n’établit pas, intentionnellement ou par les effets de sa régulation, de distinction fondée sur la religion et confère plutôt aux époux, qu’ils s’unissent devant un célébrant religieux ou séculier, un avantage qui ne saurait être considéré comme une mesure désavantageuse ou préjudiciable, et donc discriminatoire, au sens des art. 15 de la Charte canadienne ou 10 de la Charte québécoise. Il n’y a de ce point de vue qu’une seule institution du mariage, sans égard aux modalités de sa célébration ou aux motifs des époux, et c’est cette institution que régit le Code civil, d’une manière qu’on pourrait qualifier d’inclusive, c’est-à-dire sans distinction désavantageuse fondée sur un motif prohibé.

[239]     Vu cette conclusion, je n’aborderai qu’à titre subsidiaire les art. 1 de la Charte canadienne et 9.1 de la Charte québécoise.

5.         Le cas échéant, les dispositions contestées sont-elles justifiées par l’art. 1 de la Charte canadienne ou l’art. 9.1 de la Charte québécoise?

[240]     Supposons que, malgré les avantages qu’elles comportent en pratique et l’absence de toute démonstration d’un préjudice concret, l’imposition de formalités et l’attribution d’effets juridiques au mariage célébré par un ministre du culte ou l’inclusion d’une telle union dans le chapitre que le Code civil du Québec consacre au mariage restreignent la liberté de religion de l’appelant ou lui imposent, en raison de sa religion, un désavantage compromettant son droit à l’égalité, et ce, en le privant de la liberté de choix des non-croyants (ou, du moins, de certains d’entre eux) ou encore, comme il le prétend aussi, en lui imposant une vision économique d’une institution ayant pour lui strictement valeur de sacrement. S’agirait-il là de restrictions justifiées par l’art. 1 de la Charte canadienne de même qu’au regard des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens au sens de l’art. 9.1 de la Charte québécoise[238]? Ces dispositions énoncent que :

Charte canadienne

 

1.         La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

1.         The Canadian Charter of Rights and Freedoms guarantees the rights and freedoms set out in it subject only to such reasonable limits prescribed by law as can be demonstrably justified in a free and democratic society.

Charte québécoise (texte actuel, en vigueur depuis le 16 juin 2019)

9.1.      Les libertés et droits fondamentaux s’exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de la laïcité de l’État, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec.

9.1.      In exercising his fundamental freedoms and rights, a person shall maintain a proper regard for democratic values, State laicity, public order and the general well-being of the citizens of Québec.

            La loi peut, à cet égard, en fixer la portée et en aménager l’exercice.

            In this respect, the scope of the freedoms and rights, and limits to their exercise, may be fixed by law.

Charte québécoise (texte en vigueur de 1982 au 15 juin 2019)

9.1.      Les libertés et droits fondamentaux s’exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec.

9.1.      In exercising his fundamental freedoms and rights, a person shall maintain a proper regard for democratic values, public order and the general well-being of the citizens of Québec.

            La loi peut, à cet égard, en fixer la portée et en aménager l’exercice.

            In this respect, the scope of the freedoms and rights, and limits to their exercise, may be fixed by law.

[241]     C’est là un sujet dont la juge de première instance n’a pas traité, puisqu’elle a conclu que la loi n’enfreignait pas la liberté de religion ni le droit de l’appelant à l’égalité.

[242]     Dans Frank c. Canada (Procureur général)[239], le juge en chef Wagner rappelait récemment la teneur du test applicable à l’art. 1 de la Charte canadienne :

[38]      Deux critères fondamentaux doivent être respectés pour que la restriction d’un droit garanti par la Charte soit justifiée en vertu de l’article premier. En premier lieu, l’objectif de la mesure doit être urgent et réel pour justifier l’imposition d’une restriction à un droit garanti par la Charte. Il s’agit d’une condition préalable, dont l’analyse s’effectue sans tenir compte de la portée de l’atteinte, du moyen retenu ou des effets de la mesure (R. c. K.R.J., 2016 CSC 31, [2016] 1 R.C.S. 906, par. 61). En deuxième lieu, le moyen par lequel l’objectif est réalisé doit être proportionné. L’analyse de la proportionnalité comporte trois éléments : (i) le lien rationnel avec l’objectif, (ii) l’atteinte minimale au droit, et (iii) la proportionnalité entre les effets de la mesure (y compris une mise en balance de ses effets préjudiciables et de ses effets bénéfiques) et l’objectif législatif énoncé (Oakes, p. 138-139; Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1, [2015] 1 R.C.S. 3, par. 139; K.R.J., par. 58). L’examen de la proportionnalité se veut à la fois normatif et contextuel, et oblige les tribunaux à soupeser les intérêts de la société et ceux de particuliers et de groupes (K.R.J., par. 58; Oakes, p. 139).[240]

[243]     Il ajoutait ce qui suit au sujet du fardeau de preuve :

[39]      Lors de l’examen fondé sur l’article premier, le fardeau incombe à la partie qui demande le maintien de la restriction — en l’espèce, le PGC (Oakes, p. 136-137). Pour s’acquitter de ce fardeau, le PGC doit satisfaire à la norme de preuve qui s’applique en matière civile, c’est-à-dire la preuve selon la prépondérance des probabilités (Oakes, p. 137; RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, par. 137-138).

[244]     Quant à l’art. 9.1 de la Charte québécoise, sous la réserve indiquée plus haut[241], il s’apparente à l’article premier de la Charte canadienne, comme l’explique le juge Gascon dans Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville)[242] :

[89]      Par ailleurs, lorsque la pratique contestée est encadrée par une disposition à caractère législatif comme c’est le cas en l’espèce, l’État peut en justifier les effets discriminatoires. Ainsi, lorsqu’une loi ou un règlement contrevient, par ses effets, à l’obligation de neutralité de l’État, ce dernier peut invoquer l’art. 9.1 de la Charte québécoise :

[…]

[90]      Cet article 9.1 offre à l’État la possibilité de démontrer que la disposition dont les effets attentent à la liberté de conscience et de religion d’un individu constitue une limite raisonnable et justifiée à cette liberté dans le cadre d’une société libre et démocratique. En ce sens, l’article renvoie aux critères élaborés par la Cour dans son interprétation de l’article premier de la Charte canadienne (Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, p. 980; Ford, p. 769-771). La disposition contestée doit donc satisfaire aux critères de l’analyse justificative énoncée dans l’arrêt Oakes. Selon cette analyse, il incombe à l’État de démontrer, par une preuve prépondérante, que (1) l’objectif législatif est suffisamment important, c’est-à-dire qu’il se rapporte à des préoccupations urgentes et réelles, et (2) les moyens choisis pour le réaliser sont proportionnels. Ce deuxième critère exige la démonstration de trois éléments : (i) les moyens choisis ont un lien rationnel avec l’objectif; (ii) ils attentent le moins possible au droit en question; (iii) ils n’empiètent pas sur les droits individuels ou collectifs au point où l’objectif est supplanté par la gravité de l’empiétement (Edwards Books, p. 768-769).

[245]     Cela étant, l’État a-t-il établi qu’il y a dans le fait que les dispositions du Code civil relatives au mariage s’appliquent au mariage célébré par un ministre du culte, et donc au « mariage religieux », une limite raisonnable et justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique?

[246]     Un commentaire préliminaire s’impose à cet égard. Afin de justifier les dispositions contestées, la procureure générale du Québec, dans son mémoire, s’en est remise essentiellement aux textes législatifs eux-mêmes, à quelques arrêts ainsi qu’à certains ouvrages ou articles de doctrine. Elle a joint à son mémoire un cahier de sources substantiel, ses observations orales sur les dispositions justificatives ayant été, lors de l’audience d’appel, assez succinctes. Devant ce qui, en d’autres circonstances, aurait pu ne pas suffire, mais qui suffit ici, j’emprunterai de nouveau à la Cour suprême, parlant de la démonstration requise par l’article premier de la Charte canadienne : « La logique et la raison ne suffisent pas toujours, mais elles suffisent parfois »[243]. Le contexte était différent, mais le propos est tout à fait approprié à l’espèce. À cela on doit adjoindre ce qui relève de la connaissance d’office, dont les tribunaux ne doivent faire usage qu’avec prudence, mais qui permettra de considérer quelques faits répondant aux conditions de l’art. 2808 C.c.Q. et à l’enseignement de la Cour suprême en la matière[244].

a.         Objectif urgent et réel

[247]     Dans R. c. K.R.J.[245], la juge Karakatsanis écrit que :

[61]      La règle de droit qui restreint un droit constitutionnel doit le faire conformément à un objectif suffisamment important qui se concilie avec les valeurs d’une société libre et démocratique. L’examen du respect de cette condition s’effectue sans tenir compte de la portée de l’atteinte au droit, du moyen retenu ou du lien entre les répercussions positives et négatives de la règle de droit.

[248]     À mon avis, tant par la réglementation des conditions de la célébration du mariage que par l’attribution de conséquences juridiques à celui-ci, y compris lorsqu’il est contracté devant un ministre du culte, le législateur poursuit un objectif important, c’est-à-dire urgent (en ce sens qu’on ne saurait l’ignorer) et réel, essentiel à l’organisation de la société. Il en va de même de la réforme du registre de l’état civil, qui a entraîné l’adoption des art. 118 et 375 C.c.Q.

[249]     Sur le premier point, je ne reprendrai pas ici ce que j’écrivais plus haut (voir supra, paragr. [69] à [71]), sinon pour dire que la régulation de l’institution du mariage, dans ses formes et aspects divers, est une préoccupation fondamentale des systèmes de droit occidentaux, inscrite également dans le droit international. L’organisation et la structuration de l’institution ne sont pas toujours les mêmes, la loi visant parfois plus large et s’intéressant également à l’union de fait[246], mais cela n’altère pas l’intérêt légitime de l’État pour le mariage.

[250]     Je ne reprendrai pas non plus l’histoire de la réglementation du mariage au Québec, qui passe du religieux au séculier, tout en maintenant l’habilitation civile des célébrants religieux, aux conditions maintenant prévues par l’art. 366, al. 2 et 3 C.c.Q. Que la régulation actuelle n’exclue pas le mariage célébré par un ministre du culte est, d’une part, le reflet de cette histoire, mais, d’autre part, illustre aussi la juridicisation de l’institution : le mariage, union de deux personnes à l’exclusion de toute autre et qui s’inscrit en principe dans la durée, est l’une de ces institutions civiles (c.-à-d. « propres à la vie en société organisée »[247]) que le Code civil du Québec a pour but et fonction d’encadrer, ainsi que l’énonce clairement sa disposition préliminaire, et qui produit ses effets dans l’ordre juridique. Cet encadrement vise toutes les déclinaisons de l’institution, y compris lorsque le mariage est motivé par des considérations religieuses ou célébré par un ministre du culte, lequel doit toutefois être autorisé à ce faire[248].

[251]     Ce n’est pas que le législateur veuille ainsi « s’ingérer dans le domaine de la religion ou celui des croyances »[249], c’est plutôt que, justement, il tient à ce que la réglementation civile du mariage et les valeurs dont elle est porteuse s’appliquent à tous les époux, sans égard aux motivations, religieuses, culturelles, morales ou autres, de ceux-ci, et ce, précisément pour assurer leur mise en œuvre générale, sans distinction, exclusion ou préférence[250]. C’est ce qui explique que, depuis 1968, ayant ouvert la célébration du mariage aux « officiants » civils, le législateur n’a pas cru opportun de la retirer aux ministres du culte.

[252]     Les législateurs des autres provinces et territoires canadiens font de même, donnent tous valeur civile au mariage célébré par un ministre du culte autorisé[251] et le reconnaissent au même titre que les mariages célébrés autrement, à l’instar de la Grande-Bretagne et des différents états des États-Unis, pour ne mentionner que ces exemples. C’est là un positionnement « qui se concilie avec les valeurs d’une société libre et démocratique »[252]. Que d’autres sociétés démocratiques, la France par exemple, aient, en raison d’un contexte sociohistorique différent, légiféré autrement et ne reconnaissent de mariages que célébrés par un officier de l’État - séculier donc - n’altère pas cette conclusion, la liberté et la démocratie n’ayant évidemment pas qu’un seul visage.

[253]     L’objectif de réguler du mariage en tant qu’institution civile, peu importe la manière dont il est contracté, est donc un objectif important, urgent et réel, entièrement compatible avec les exigences d’une société libre et démocratique.

[254]     Il l’est aussi dans la finalité qu’il poursuit aujourd’hui à travers cette régulation, à savoir de promouvoir et de mettre en œuvre le principe d’égalité, fondement tout aussi important des sociétés libres et démocratiques et composante de l’ordre public actuel.

[255]     L’appelant met en doute le sérieux de cette finalité en faisant observer que, s’il s’agissait là d’une visée véritablement importante, le législateur l’étendrait aux conjoints de fait, dont la situation actuelle (qui vise un nombre très important, et même désormais majoritaire de couples) génère les difficultés mêmes auxquelles le mariage donnait précédemment lieu et auxquelles on a voulu remédier[253].

[256]     On peut bien penser à cet égard qu’il serait en effet logique, voire nécessaire, d’étendre les dispositions du Code civil aux conjoints de fait - et c’est du reste la proposition à laquelle souscrivent les juges Abella et Deschamps (cette dernière aux fins de l’obligation alimentaire seulement) dans l’affaire Québec (Procureur général) c. A[254]. Mais, précisément, rien dans le fait que ces conjoints ne bénéficient pas du régime réservé aux époux ne justifie d’exclure les mariages célébrés par un ministre du culte du ressort du Code civil du Québec et de réduire ainsi davantage la portée de l’objectif d’un législateur qui, du moins en ce qui concerne le régime primaire, souhaite assurer, je le répète, l’égalité et la protection des époux (et notamment celles des femmes, historiquement désavantagées sur le plan conjugal, comme le reconnaissent les juges de la Cour suprême dans Québec (Procureur général) c. A), dans une forme de solidarité concrète.

[257]     Sur le second point, le rapatriement des registres de l’état civil dans le giron exclusif de l’État obéit lui aussi à une préoccupation répondant aux exigences des art. 1 de la Charte canadienne et 9.1 de la Charte québécoise. L’obligation de neutralité de l’État, mais également les impératifs d’une gestion efficace des registres de l’état civil, composés d’actes authentiques faisant foi de l’état des sujets de droit, ne pouvaient plus s’accommoder de ce qu’ils demeurent, même pour partie, entre les mains de sociétés religieuses et ne pouvaient se satisfaire davantage du maintien de registres parallèles, comme ce fut le cas jusqu’à l’entrée en vigueur du Code civil du Québec. La situation à laquelle le législateur a ainsi remédié s’explique par l’histoire et, en retirant complètement la tenue des registres de l’état civil aux sociétés religieuses, on a mis fin à ce qui était devenu une anomalie[255].

[258]     Bref, le fait que le législateur régisse le mariage célébré par un ministre du culte et lui attache les mêmes effets qu’à tout autre mariage répond à un objectif urgent et réel. Bien qu’on soit sur un autre plan, c’est également le cas de la réforme des registres de l’état civil, qui a mené à l’adoption des art. 118 et 375 C.c.Q.

b.         Proportionnalité

[259]     Comme le rappelle également la juge Karakatsanis dans R. c. K.R.J.[256] :

[67]      Une certaine déférence s’impose lorsqu’il s’agit d’apprécier la proportionnalité d’une règle de droit. Comme l’écrit la Cour dans le récent arrêt Carter :

À ce stade de l’analyse, les tribunaux doivent faire preuve d’une certaine déférence à l’endroit du législateur. La proportionnalité ne nécessite pas la perfection : Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott, 2013 CSC 11, [2013] 1 R.C.S. 467, par. 78. L’article premier exige seulement que les limites soient « raisonnables ». [par. 97]

[260]     À mon avis, tant le choix législatif d’habiliter les ministres du culte à célébrer des mariages que celui d’attacher les mêmes conséquences juridiques (obligatoires, facultatives ou supplétives) aux mariages célébrés par de tels officiants, comme par toute autre personne autorisé, présentent un lien rationnel avec l’objectif poursuivi par le législateur. Ils constituent en outre une atteinte minimale à la liberté de religion et au droit à l’égalité de l’appelant et de toutes les personnes qui sont dans sa situation, les effets bénéfiques des mesures contestées l’emportant sur leurs effets préjudiciables.

[261]     Il en va de même de la réforme du registre de l’état civil, d’où résultent les art. 118 et 375 C.c.Q.

[262]     En ce qui concerne les effets civils du mariage et l’habilitation des ministres du culte, l’espèce constitue l’un des rares cas où, en raison de la manière dont l’appelant a formulé sa contestation, on doit conclure que le moyen choisi par le législateur pour atteindre son objectif se confond presqu’entièrement avec cet objectif lui-même. On pourrait presque parler d’une tautologie.

[263]     Le législateur québécois, avec l’adoption du Code civil du Bas Canada, consolidant la situation qui existe alors, reconnaît dans le mariage une institution civile fondamentale, dont il régit la formalisation et les effets en vue d’organiser l’une des cellules de base de la société - le couple, assise de la famille -, dans laquelle s’incarnent certaines valeurs sociales essentielles : c’est là son objectif. Dans la poursuite de celui-ci, il a donc, dès l’origine, « civilisé » le mariage célébré par les ministres du culte, seuls officiants à l’époque en vertu de la tradition et des règles existantes. L’expansion laïque donnée à la célébration du mariage à compter de 1968 a simplement étendu ce régime civil, modifié au gré des ans, aux mariages célébrés séculièrement, sans qu’il soit jamais question de « déjuridiciser » le mariage célébré par un ministre du culte. C’est la démarche que le Code civil du Québec a reprise et qu’il a renforcée par des réformes fondées sur des principes et des valeurs d’égalité et de protection des époux vulnérables.

[264]     Il y a en ce sens, manifestement, un lien rationnel direct entre les mesures prises par le législateur québécois, et qui figurent dans le Code civil du Québec, et cet objectif, c’est-à-dire la régulation et l’institutionnalisation de tous les mariages, dans une perspective d’organisation sociale. Les mesures en question favorisent en effet logiquement la réalisation de cet objectif[257]. Par ailleurs, ces mesures ne paraissent pas arbitraires et reposent au contraire sur la réalité sociohistorique de l’institution du mariage au Québec et un long processus de réflexion en plusieurs étapes.

[265]     Je conclus aussi à l’existence d’une atteinte minimale aux droits de l’appelant. Comme on le sait, l’atteinte alléguée est la suivante : la liberté de religion et le droit à l’égalité de l’appelant (et des croyants en général) seraient enfreints parce que, en étendant les effets civils du mariage aux unions célébrées par un ministre du culte, le Code civil du Québec priverait l’appelant (et les croyants[258]) de la possibilité de choisir les effets de sa conjugalité, au contraire des non-croyants, qui peuvent librement déterminer la leur en optant pour l’union de fait.

[266]     Selon la juge Karakatsanis dans K.R.J.[259], l’analyse de l’atteinte minimale obéit aux principes suivants :

[70]      La question à trancher à cette deuxième étape est celle de savoir si les nouvelles dispositions portent atteinte le moins possible au droit constitutionnel, c’est-à-dire si « la restriction du droit est raisonnablement adaptée à l’objectif » (Carter, par. 102). Ce n’est que lorsqu’il existe d’autres moyens moins préjudiciables de réaliser l’objectif de l’État « de façon réelle et substantielle » qu’une loi ne satisfait pas à l’exigence de l’atteinte minimale (Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, [2009] 2 R.C.S. 567, par. 55).[260]

[Je souligne]

[267]     L’application de ce critère n’est pas sans soulever ici une difficulté conceptuelle, qui tient à la nature même du débat qui nous occupe. Le législateur a pour objectif de régir l’institution du mariage dans tous ses états et d’imposer à tous les époux un régime juridique commun, en partie impératif : c’est là un objectif urgent et réel, historiquement et juridiquement justifié. Il va dès lors de soi que le fait de ne pas en exclure les mariages dits religieux, c’est-à-dire célébrés par un ministre du culte, est non seulement rationnellement lié à l’objectif poursuivi mais constitue également une restriction raisonnablement adaptée à cet objectif.

[268]     En fait, il n’existe pas d’autres moyens de réaliser l’objectif que recherche ici l’État[261] : l’exclusion des mariages célébrés par un ministre du culte (exclusion que souhaite l’appelant afin d’avoir accès au régime consensuel applicable aux conjoints de fait) contrecarrerait substantiellement cet objectif et, comme nous l’avons déjà vu[262], pourrait elle-même être considérée comme discriminatoire en ce qu’elle priverait les personnes croyantes mariées ou désireuses de se marier devant un ministre du culte des bénéfices de la loi ou les assujettirait à des formalités supplémentaires si elles veulent en jouir (c.-à-d. l’obligation de contracter un mariage laïc antérieur ou postérieur à la célébration religieuse). Pour ces mêmes raisons, une telle exclusion, comme on l’a vu également[263], attenterait aussi à leur liberté de religion. De plus, l’exclusion générale[264] des ministres du culte de l’art. 366 C.c.Q. porterait de la même façon atteinte à la liberté de religion de ceux-ci, à celle des sociétés religieuses auxquelles ils appartiennent tout comme à celle de leurs adhérents et les remarques faites plus haut à ce sujet sont tout aussi valables ici, de même que le commentaire du professeur Moon[265].

[269]     De surcroît, en excluant ces mariages du champ d’application du Code civil, on octroierait à certains époux, sur la base de la religion, une faculté - notamment celle de se soustraire aux effets impératifs du régime primaire - dont ne bénéficieraient pas les époux mariés devant un célébrant laïc. De dire que ces derniers auraient pu choisir l’union de fait ne répond pas à l’argument : la liberté et l’autonomie de la volonté en mariage comportant des avantages (même si le législateur a jugé que les protections devaient l’emporter), les époux unis devant un célébrant laïc pourraient se plaindre de la préférence qui serait alors accordée, sur la base de la religion, à ceux dont le mariage a été célébré par un ministre du culte[266].

[270]     Bref, on tomberait de Charybde en Scylla, en quelque sorte, et si un choix doit être fait à cet égard, il relève du législateur qui pourrait, à la faveur d’une réforme, privilégier d’autres objectifs et adapter ses moyens en conséquence. D’ici là, l’atteinte aux droits de l’appelant (s’il en est[267]) ne saurait être qualifiée que de minimale.

[271]     D’ailleurs, soulignons que, même là où l’on souhaite la réforme de l’institution, on ne suggère habituellement pas l’exclusion du mariage célébré par un officiant religieux : c’est plutôt le réaménagement des rapports entre époux ou l’extension de certaines protections (parfois des mêmes protections) aux conjoints de fait qui est envisagée. Là-dessus, on lira avec intérêt les lois provinciales mentionnées à la note infrapaginale 246, qui ne font pas de distinctions fondées sur la religion. De son côté, quoiqu’il n’aille pas dans la même direction que les autres provinces canadiennes, le rapport du Comité consultatif sur le droit de la famille qui a proposé, en 2015, une révision des effets juridiques de la conjugalité, ne s’intéresse pas à la dimension religieuse de l’affaire[268].

[272]     Finalement, et toujours au chapitre de l’atteinte minimale, il faut observer que le régime établi par le Code civil compose aussi avec le respect de la volonté contractuelle et de l’autonomie des parties au mariage, alors que celles-ci sont libres de stipuler comme elles l’entendent sur une variété de sujets, incluant, par exemple, leur régime matrimonial ou leurs dispositions testamentaires. Elles peuvent également renoncer à certains des effets du régime primaire : l’art. 423 C.c.Q. permet aux époux de renoncer au partage du patrimoine familial, notamment dans le cadre de l’instance de divorce, par déclaration judiciaire; les art. 467 et 469 C.c.Q. le permettent en ce qui concerne la société d’acquêts (et encore, par application de ces dispositions, en ce qui concerne les régimes communautaires, art. 492 C.c.Q.). Le Code civil du Québec n’impose donc pas aux époux un cadre rigide, au contraire, et la liberté contractuelle ainsi que l’autonomie des volontés y occupent une place importante. C’est évidemment une liberté et une autonomie dont jouissent les époux dont le mariage a été célébré devant un ministre du culte reconnu par l’art. 366 C.c.Q.

[273]     Compte tenu des objectifs d’égalité et de protection que poursuit cependant le législateur, il paraît donc y avoir là un compromis acceptable, les dispositions actuelles du Code civil, tant dans leurs effets impératifs que supplétifs ou facultatifs, s’inscrivant à l’intérieur d’une gamme de mesures raisonnables. Comme l’écrit la Cour suprême dans RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général)[269], les tribunaux ne concluront pas à une atteinte inacceptable « simplement parce qu’ils peuvent envisager une solution de rechange qui pourrait être mieux adaptée à l’objectif et à la violation », enseignement que rappelait le juge en chef Wagner dans Frank c. Canada (Procureur général)[270] et qui s’impose particulièrement quand on entreprend de réguler une institution sociale telle le mariage. Dans Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony[271], la juge en chef McLachlin souligne elle aussi que, dans l’évaluation de l’atteinte minimale, « les tribunaux font preuve d’une certaine déférence à l’égard de la législature, surtout en ce qui concerne les questions sociales complexes où la législature est peut-être mieux placée que les tribunaux pour choisir parmi une gamme de mesures »[272], bien que cette déférence ne soit « aveugle ni absolue »[273]. Si, dans cette affaire, l’universalisation de la photo obligatoire afin « de préserver l’intégrité du système de délivrance des permis de conduire en réduisant au minimum le risque qu’ils soient utilisés pour la perpétration de vol d’identité, ce qui devrait prévenir la fraude et toute autre utilisation du système à mauvais escient »[274] a été considérée comme une atteinte minimale au regard d’un « régime législatif complexe »[275], on ne voit pas comment conclure autrement en ce qui concerne le mariage, institution encore plus complexe, qui fait l’objet d’un régime législatif sophistiqué comportant un exercice d’équilibrage délicat entre des intérêts concurrents. Parler d’équilibrage nous amène d’ailleurs directement à la dernière étape de l’analyse du critère de la proportionnalité.

[274]     Qu’en est-il en effet de la pondération des effets bénéfiques et des effets préjudiciables du choix législatif? Comme l’explique la Cour suprême dans l’arrêt Carter c. Canada (Procureur général) : « À ce stade de l’analyse prescrite par l’arrêt Oakes, il faut mettre en balance l’incidence de la loi sur les droits protégés et l’effet bénéfique de la loi au plan de l’intérêt supérieur du public »[276]. Dans Frank, le juge en chef Wagner précise encore que :

[76]      Lors de la dernière étape du test de l’arrêt Oakes, il faut se demander si, dans l’ensemble, il y a proportionnalité entre les effets de la mesure qui porte atteinte à la Charte et l’objectif législatif (Oakes, p. 139; Hutterian Brethren, par. 72-73). Alors que les volets précédents du test établi dans Oakes portent sur l’objectif de la mesure, à cette étape, l’évaluation se rattache à un examen de ses effets (Hutterian Brethren, par. 76); le tribunal doit décider, sous l’angle normatif, si l’atteinte au droit en question peut se justifier dans une société libre et démocratique.

[275]     À mon avis, la question se résout en l’espèce par l’affirmative : dans les circonstances, les effets bénéfiques de la mesure (c.-à-d. l’assujettissement de tout mariage au Code civil du Québec, y compris celui que célèbre le ministre du culte habilité en vertu de l’art. 366 C.c.Q.), l’emportent, sur le plan de l’intérêt supérieur du public, sur ses effets préjudiciables, lesquels sont, en pratique, limités, surtout si l’on en prend pour exemple la situation particulière de l’appelant (la seule, d’ailleurs, qui a fait l’objet d’une certaine preuve). Bref, les moyens choisis par le législateur « n’empiètent pas sur les droits individuels ou collectifs au point où l’objectif est supplanté par la gravité de l’empiétement »[277].

[276]     Ils tiennent compte aussi du fait inéluctable que l’affirmation par un des époux de sa liberté de religion pourrait être désavantageuse pour l’autre, qui n’entretient pas nécessairement les mêmes croyances ou ne voit pas d’inconvénient au traitement juridique du mariage ou, même, y tient (c’est ici le cas de l’intimée) : la volonté législative d’associer des conséquences juridiques au mariage tient également compte de cette dynamique et les effets bénéfiques qui en découlent ne peuvent pas être ignorés.

[277]     Au final, supposant même, aux fins de la discussion, que les dispositions du Code civil en matière de mariage aient un effet préjudiciable sur la liberté de religion ou le droit à l’égalité de l’appelant, et considérant l’objectif du législateur, je reprendrai à mon compte une phrase des juges majoritaires dans Trinity Western University c. Barreau du Haut-Canada[278] : il n’y a pas ici de « solution de rechange raisonnable susceptible de réduire l’incidence sur les protections conférées par la Charte tout en favorisant suffisamment la réalisation de [cet objectif] »[279]. Encore une fois, le contexte de cet arrêt diffère du nôtre (notamment parce qu’il n’y était pas question de la validité d’un acte législatif), mais le propos est entièrement transposable à l’espèce, d’autant que l’exclusion des ministres du culte de l’art. 366 C.c.Q. ou la non-application des art. 380 à 521 C.c.Q. et autres dispositions dudit code aux mariages célébrés par de telles personnes créerait elle-même une situation potentiellement discriminatoire, mais cette fois à l’endroit des non-croyants ou de certains d’entre eux.

[278]     Enfin, en ce qui concerne la réforme du registre de l’état civil, qui a entraîné l’adoption des art. 118 et 375 C.c.Q. et l’obligation pour tous les célébrants, incluant les ministres du culte autorisés par l’art. 366 C.c.Q., de transmettre la déclaration de mariage au directeur de l’état civil, elle remplit en tous points les exigences du critère de la proportionnalité. Les articles 118 et 375 C.c.Q. ont un lien rationnel avec l’objectif urgent et réel identifié précédemment (la centralisation entre les mains de l’État des registres de l’état civil et de la tenue des actes de l’état civil) et ils en favorisent logiquement et concrètement la réalisation. L’on conçoit d’ailleurs difficilement comment, dans la mesure où les ministres du culte sont habilités à célébrer les mariages régis par le Code civil, ils pourraient être exemptés de l’obligation de transmettre la déclaration requise au directeur de l’état civil, afin que celui-ci puisse dresser l’acte de mariage. Les bénéfices généraux de la mesure l’emportent sur des inconvénients qu’on peine d’ailleurs à identifier et qui ne pourraient qu’être d’ordre administratif, ce qui ne constitue pas une atteinte. De toute façon, il s’agit là de dispositions accessoires au débat : à partir du moment où l’on conclut que les dispositions du Code civil du Québec régissant le mariage (supposé qu’elles restreignent la liberté de religion ou le droit à l’égalité de l’appelant et de certains croyants) sont justifiées dans une société libre et démocratique en vertu des art. 1 de la Charte canadienne et 9.1 de la Charte québécoise (en ce qui concerne la liberté de religion), la validité de leurs conséquences sur l’état civil et celle des art. 118 et 375 C.c.Q. s’ensuivent.

C.        L’appelant a-t-il droit aux dommages qu’il réclame ainsi qu’au paiement de ses honoraires extrajudiciaires par la procureure générale du Québec?

[279]     Il va sans dire que, même si j’avais conclu à l’inconstitutionnalité des dispositions contestées au regard de la liberté de religion ou du droit à l’égalité, je n’aurais pas condamné la procureure générale du Québec au versement des 75 000 $ que lui réclame l’appelant en vertu de l’art. 24 de la Charte canadienne, somme destinée à compenser les dommages moraux subis « dans le cadre du processus »[280]. Cette demande, que la juge de première instance a d’ailleurs rejetée[281], est en effet irrecevable : la déclaration d’inconstitutionnalité constitue, en vertu de l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, la réparation appropriée et aucune des exceptions parcimonieusement reconnues par la jurisprudence n’a été établie. Le juge LeBel, pour la Cour suprême, écrit à ce propos que :

19        En pareil cas, des principes bien établis de droit public excluent la possibilité de recours en dommages-intérêts lorsque des lois sont déclarées constitutionnellement invalides, que ce soit pour des violations des règles relatives au partage des pouvoirs législatifs à l’intérieur de la fédération canadienne ou pour leur non-conformité à la Charte canadienne. Dans ce domaine, la jurisprudence de notre Cour a été constante. Sa position a été récemment exposée dans les commentaires du juge Gonthier dans l’arrêt Mackin c. Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances), [2002] 1 R.C.S. 405, 2002 CSC 13, par. 78-79 :

      Selon un principe général de droit public, en l’absence de comportement clairement fautif, de mauvaise foi ou d’abus de pouvoir, les tribunaux n’accorderont pas de dommages-intérêts pour le préjudice subi à cause de la simple adoption ou application d’une loi subséquemment déclarée inconstitutionnelle (Welbridge Holdings Ltd. c. Greater Winnipeg, [1971] R.C.S. 957; Central Canada Potash Co. c. Gouvernement de la Saskatchewan, [1979] 1 R.C.S. 42)...

        Dans notre régime parlementaire, il est impensable que le Parlement puisse être déclaré responsable civilement en raison de l’exercice de son pouvoir législatif. La loi est la source des devoirs, tant des citoyens que de l’Administration, et son inobservation, si elle est fautive et préjudiciable, peut pour quiconque faire naître une responsabilité. Il est difficilement imaginable cependant que le législateur en tant que tel soit tenu responsable du préjudice causé à quelqu’un par suite de l’adoption d’une loi. (Notes infrapaginales omises.)

      … Or, l’immunité restreinte accordée à l’État constitue justement un moyen d’établir un équilibre entre la protection des droits constitutionnels et la nécessité d’avoir un gouvernement efficace. Autrement dit, cette doctrine permet de déterminer si une réparation est convenable et juste dans les circonstances. Par conséquent les raisons qui sous-tendent le principe général de droit public sont également pertinentes dans le contexte de la Charte. Ainsi, l’État et ses représentants sont tenus d’exercer leurs pouvoirs de bonne foi et de respecter les règles de droit « établies et incontestables » qui définissent les droits constitutionnels des individus. Cependant, s’ils agissent de bonne foi et sans abuser de leur pouvoir eu égard à l’état du droit, et qu’après coup seulement leurs actes sont jugés inconstitutionnels, leur responsabilité n’est pas engagée. Autrement, l’effectivité et l’efficacité de l’action gouvernementale seraient exagérément contraintes. Les lois doivent être appliquées dans toute leur force et effet tant qu’elles ne sont pas invalidées. Ce n’est donc qu’en cas de comportement clairement fautif, de mauvaise foi ou d’abus de pouvoir que des dommages-intérêts peuvent être octroyés (Crown Trust Co. c. The Queen in Right of Ontario (1986), 26 D.L.R. (4th) 41 (C. div. Ont.)). [Je souligne.]

(Voir aussi : Guimond c. Québec (Procureur général), [1996] 3 R.C.S. 347.)

[…]

22        Notre Cour a adopté toutefois une position nuancée quant aux rapports entre le droit de la responsabilité civile et le droit public. Elle reconnaît que des principes généraux de droit public peuvent faire obstacle totalement à l’application du régime de droit commun en responsabilité civile ou en modifier partiellement les règles de fonctionnement (Prud’homme, précité, par. 31). Dans le présent cas, les règles gouvernant les immunités rattachées à l’action législative ou réglementaire font obstacle à la reconnaissance d’un principe voulant que l’incompatibilité d’une norme législative ou réglementaire avec la Charte québécoise permette de considérer les actes accomplis en application de cette norme comme fautifs et susceptibles d’entraîner la responsabilité d’une administration publique ou de ses fonctionnaires. La règle d’immunité interdit de les considérer comme des actes fautifs dans le vocabulaire du droit civil ou des « actes de négligence » au sens de la common law.[282]

[280]     Cela règle l’issue de la demande de l’appelant (qui n’a, notons-le au passage, administré aucune preuve sur les dommages moraux alléguées).

[281]     Finalement, l’appelant réclame également ce qu’on pourrait qualifier de « provision pour frais » et soutient que :

99.       Accessoirement, il y a lieu de se pencher sur l’argument relatif aux frais de justice. Le caractère exceptionnel du présent dossier est indéniable. Ce dossier a permis d’amener devant la Cour supérieure et dorénavant la Cour d’appel un débat qui touche toute personne croyante et l’institution que représente le mariage dans notre société moderne. Dans ce contexte, l’Appelant demande que tous ses frais de justice, incluant ses honoraires, lesquels sont actuellement de plus de 15 000,00 $ - sauf à parfaire, lui soient accordés devant toutes les instances.

[282]     Cette demande (que la juge de première instance a également écartée) ne remplit pas les conditions fixées par les arrêts Colombie-Britannique (Ministre des Forêts) c. Bande indienne Okanagan[283]; Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Commissaire des Douanes et du Revenu)[284]; Carter c. Canada (Procureur général)[285]; Association des parents de l’école Rose-des-vents c. Colombie-Britannique (Éducation)[286]. On peut citer un passage de ce dernier arrêt :

[84]      Comme la Cour l’a récemment souligné dans l’arrêt Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 R.C.S. 331, la norme d’octroi de dépens spéciaux est élevée; seuls des cas exceptionnels justifient pareil traitement (par. 139). La Cour a affirmé que le critère relatif aux dépens spéciaux était une modification du critère applicable à la provision pour frais énoncé dans Colombie-Britannique (Ministre des Forêts) c. Bande indienne Okanagan, 2003 CSC 71, [2003] R.C.S. 371. Le critère d’octroi de dépens spéciaux établi dans Carter comporte deux conditions :

Premièrement, l’affaire doit porter sur des questions d’intérêt public véritablement exceptionnelles. Il ne suffit pas que les questions soulevées n’aient pas encore été tranchées ou qu’elles dépassent le cadre des intérêts du plaideur qui a gain de cause : elles doivent aussi avoir une incidence importante et généralisée sur la société. Deuxièmement, en plus de démontrer qu’ils n’ont dans le litige aucun intérêt personnel, propriétal ou pécuniaire qui justifierait l’instance pour des raisons d’ordre économique, les demandeurs doivent démontrer qu’il n’aurait pas été possible de poursuivre l’instance en question avec une aide financière privée…

Lorsque ces critères sont respectés, le tribunal a le pouvoir discrétionnaire de déroger à la règle habituelle en matière de dépens et d’octroyer des dépens spéciaux. [par. 140 et 141]

La Cour a ajouté que seuls les frais dont on établit le caractère « raisonnable et prudent » seront couverts par les dépens spéciaux (par. 142).

[283]     En l’espèce, non seulement l’appelant a-t-il un intérêt personnel et pécuniaire dans l’affaire, qui justifiait l’instance - et la contestation constitutionnelle - pour des raisons d’ordre économique, mais, surtout, il n’a pas fait la preuve de son impécuniosité ou de son incapacité à financer le débat par ses propres moyens ou par une aide financière privée.

[284]     Par ailleurs, en l’absence d’abus de la procureure générale du Québec dans sa défense des dispositions législatives contestées ou dans la conduite de l’instance, et malgré la volte-face relative aux art. 118 et 375 C.c.Q., la demande de l’appelant ne peut davantage être accordée en vertu de l’art. 54 C.p.c. (qu’il n’a d’ailleurs pas invoqué).

D.        Récapitulatif

[285]     En résumé :

-           Les art. 118 et 375 C.c.Q. obligent le célébrant visé par l’art. 366, al. 2 et 3 C.c.Q., comme tout autre célébrant, à transmettre la déclaration de mariage au directeur de l’état civil.

-           L’appelant n’a pas établi ce en quoi les dispositions du Code civil du Québec qui régissent la célébration ainsi que les droits et obligations issus du mariage, et qui s’imposent au mariage consacré par un ministre du culte comme au mariage contracté devant un laïc (officier de l’État ou autre), enfreignent ou restreignent sa liberté de religion, que garantissent l’al. 2a) de la Charte canadienne et l’art. 3 de la Charte québécoise. Se contentant d’une allégation générale en ce sens, il n’a en effet pas démontré comment ces dispositions, ensemble ou séparément, l’empêchaient d’entretenir, d’exprimer, de professer, de mettre en œuvre ou de disséminer l’une ou l’autre de ses croyances, ou lui imposaient un fardeau plus lourd ou le gênaient à cet égard, croyances qu’il n’a du reste pas identifiées.

-           L’appelant n’a pas établi ce en quoi ces mêmes dispositions du Code civil du Québec, par leur objectif ou leurs effets, attenteraient à son droit à l’égalité en lui imposant un traitement désavantageux, et ce, sur la base de la religion, motif prohibé par les art. 15 de la Charte canadienne et 10 de la Charte québécoise. D’ailleurs, le fait de bénéficier du cadre juridique instauré par le législateur en faveur des époux, par opposition à celui des conjoints de fait, qui n’ont pas droit à la même protection, ne peut être considéré comme un désavantage, et moins encore comme un désavantage reposant sur un préjugé ou un stéréotype négatif ou projetant une image négative des époux.

-           Subsidiairement, à supposer que l’on considère que ces dispositions du Code civil entravent la liberté de religion de l’appelant ou attentent à son droit à l’égalité, elles sont justifiées dans une société libre et démocratique, au sens des art. 1 de la Charte canadienne et 9.1 de la Charte québécoise. Leur objectif répond à une préoccupation urgente et réelle, qui tient à l’encadrement d’une institution sociale fondamentale, le mariage, reflétant des valeurs également fondamentales - aujourd’hui celles de l’égalité et de la protection des époux vulnérables. Elles sont par ailleurs proportionnées à cet objectif en ce qu’elles ont un lien rationnel avec lui et n’attentent que minimalement aux droits de l’appelant, leurs effets bénéfiques, dans l’intérêt public social, étant largement supérieurs à leurs effets préjudiciables.

-           Il n’y a pas lieu d’accorder une réparation pécuniaire à l’appelant, dont la demande à cet égard est mal fondée.

-           Il n’y a pas lieu de condamner la procureure générale au paiement des honoraires extrajudiciaires de l’appelant.

VI.       Conclusion

[286]     Pour ces raisons, je recommande de rejeter l’appel.

[287]     Quoique le débat se soit fait dans le cadre d’une instance de divorce, matière familiale, je suggère toutefois de déroger à la règle qu’énonce l’art. 340, al. 2 C.p.c. et de condamner l’appelant aux frais de justice en faveur de l’intimée. Celle-ci a en effet été entraînée dans un débat constitutionnel inattendu. L’instance en divorce, affaire assez standard vu les circonstances des parties, a ainsi engendré un litige complexe, qui a requis des ressources considérables et qui n’en est pas encore à sa fin. Les parties devront en effet retourner devant la Cour supérieure pour finaliser leur divorce et les mesures accessoires à celui-ci. L’appelant succombant en l’espèce, il devra assumer les frais de justice.

[288]     En ce qui concerne la procureure générale du Québec, j’estime qu’elle a également droit aux frais de justice, cette fois en vertu de la règle usuelle de l’art. 340, al. 1 C.p.c.

 

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 



[1]     Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) (« Charte canadienne »).

[2]     RLRQ, c. C-12 (« Charte québécoise »).

[3]     Droit de la famille — 16244, 2016 QCCS 410 (avis de jugement daté du 2 février 2016).

[4]     Demande en divorce amendée du 3 juin 2014, sous-paragr. 10e)i.

[5]     Dans l’original de l’acte de procédure ainsi modifié, le paragraphe qui suit et les conclusions reproduites plus loin sont soulignés. Afin d’alléger la lecture, ce soulignement a été omis, la transcription étant textuelle pour le reste.

[6]     Demande en divorce amendée #2 du 19 décembre 2014, paragr. 10e).

[7]     Plan d’argumentation du demandeur, 11 septembre 2015, p. 42.

[8]     Dans l’original de l’acte de procédure ainsi modifié, tous les paragraphes qui suivent sont soulignés. Afin d’alléger la lecture, ce soulignement a été omis.

[9]     Plan d’argumentation de l’appelant, 11 novembre 2015, paragr. 74.

[10]    Voir le jugement prononcé le 17 février 2015 par le juge Donald Bisson, qui scinde l’instance et prévoit une audience sur le fond de la question constitutionnelle le 21 octobre 2015 et une audience sur les autres aspects du dossier les 10 et 11 février 2016 (cette dernière audience n’aura pas lieu vu le développement du présent dossier).

[11]    Plan d’argumentation de l’appelant, 11 novembre 2015. La chose ressort également du témoignage de l’appelant devant la Cour supérieure, notes sténographiques du 21 octobre 2015, p. 20 à 23.

[12]    Mémoire de l’intimée, paragr. 28.

[13]    Id., paragr. 29.

[14]    Jugement de première instance, paragr. 94.

[15]    Ibid.

[16]    Droit de la famille — 16580, 2016 QCCA 450 (j. unique).

[17]    Mémoire de l’appelant, paragr. 26.

[18]    Id., paragr. 36. On notera en passant que l’art. 375 C.c.Q. est invoqué pour la première fois dans la déclaration d’appel. Comme il coïncide avec l’art. 118 C.c.Q., cet ajout n’est pas problématique.

[19]    Mémoire de l’appelant, paragr. 84.

[20]    Id., paragr. 85.

[21]    Id., paragr. 86.

[22]    Signalons au passage que ces conclusions diffèrent de celles de la demande introductive remodifiée et qu’elles ajoutent également un élément à celles qui figurent dans les procédures d’appel.

[23]    Mémoire de la procureure générale du Québec, paragr. 27 in fine.

[24]    L.C. 2005, ch. 33.

[25]    Mémoire de la procureure générale du Québec, paragr. 36.

[26]    Mémoire de la procureure générale du Québec, paragr. 45.

[27]    Mémoire de la procureure générale du Québec, paragr. 66.

[28]    R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103.

[29]    2012 QCCA 1229.

[30]    2016 QCCA 1690.

[31]    2016 QCCA 1314.

[32]    L.R.C. (1985), ch. 3 (2e suppl.).

[33]    Id., art. 21, paragr. 6.

[34]    Droit de la famille — 121718, supra, note 29, paragr. 18 et s.

[35]    Agence du revenu du Québec c. Châtelain, supra, note 30, paragr. 37 et s.

[36]    Droit de la famille — 161983, supra, note 31, paragr. 21. Dans le même sens, voir aussi : Club de golf Val-Bélair inc. c. Construction CRD inc., 2016 QCCA 1324, paragr. 5; Phillips c. Douek, 2018 QCCA 1975, paragr. 1.

[37]    Saisie d’une demande de permission d’appeler du premier jugement prononcé sur le fond d’une instance scindée, la Cour (tout comme un ou une de ses juges) peut, lorsqu’elle accorde cette permission, suspendre le pourvoi jusqu’au prononcé du jugement mettant fin à l’instance. À ce propos, voir : Droit de la famille — 161983, supra, note 31, paragr. 28-29; Club de golf Val-Bélair inc. c. Construction CRD inc., supra, note 36, paragr. 7; Larose c. Tremblay, 2018 QCCA 1294 (j. unique), paragr. 3; Hydro-Québec c. Construction Polaris inc., 2018 QCCA 1243 (j. unique), paragr. 4 et s. Considérant le degré d’avancement de l’instance d’appel, une telle façon de faire serait ici manifestement inappropriée et il aurait été impensable de suspendre le pourvoi afin que le débat se poursuive en première instance, puis reprenne devant la Cour une fois le jugement final prononcé par la Cour supérieure.

[38]    Même lorsque celui-ci est coutumier, ce dont les sociétés occidentales contemporaines se sont éloignées en faveur d’un encadrement législatif (quoiqu’il en demeure des traces dans le rituel même du mariage, indice de juridicité, comme le fait remarquer le professeur Kasirer, tel qu’il était alors, dans : Nicholas Kasirer, « Convoler en justes noces », dans Pierre-Claude Lafond et Brigitte Lefebvre (dir.), L’union civile : nouveaux modèles de conjugalité et de parentalité au 21e siècle, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, 29, p. 36). Sur le plan historique, la même juridicisation de l’institution du mariage s’observe au Québec, et même au temps de la Nouvelle-France. À ce sujet, voir : Benjamin-Antoine Testard de Montigny, Histoire du droit canadien, Montréal, Eusèbe Senécal, imprimeur-éditeur et relieur, 1869, qui répertorie notamment quelques arrêts du Conseil Supérieur de Québec en matière de mariage (ouvrage consulté sur le site de la Bibliothèque et Archives nationales : http://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2022057, consulté le 29 août 2019).

[39]    Outre le Code civil du Québec, on pourra ici donner l’exemple des législations en vigueur dans les autres provinces canadiennes. Voir : Marriage Act, R.S.N.L. 1990, c. M-1.02, et Family Law Act, R.S.N.L. 1990, c. F-2; Marriage Act, R.S.P.E.I. 2000, c. M-3, et Family Law Act, R.S.P.E.I. 2000, c. F-2.1; Marriage Act, R.S.N.S. 1989, c. 436, Matrimonial Property Act, R.S.N.S. 1989, c. 275, et Parenting and Support Act, R.S.N.S. 1989, c. 160; Loi sur le mariage, L.R.N.-B. 2011, c. 188, Loi sur les biens matrimoniaux, L.R.N.-B. 2011, c. 107, et Loi sur les services à la famille, L.N.-B. 1980, c. F-2.2, notamment aux art. 103 et 111 et s.; Marriage Act, R.S.O. 1990, c. M.3, et Family Law Act, R.S.O. 1990, c. F.3; Loi sur le mariage, C.P.L.M. c. M50, Loi sur les biens familiaux, C.P.L.M. c. F25, et Loi sur l’obligation alimentaire, C.P.L.M. c. F20; Marriage Act, S.S. 1995, c. M-4.1, Family Property Act, S.S. 1997, c. F-6.3, et Family Maintenance Act, S.S. 1997, c. F-6.2; Marriage Act, R.S.A. 2000, c. M-5, Matrimonial Property Act, R.S.A. 2000, c. M-8, et Family Law Act, R.S.A. 2000, c. F-4.5; Marriage Act, R.S.B.C. 1996, c. 282, et Family Law Act, R.S.B.C. 1996, c. 25. En ce qui concerne les territoires, voir : Loi sur le mariage, L.T.N-O. 2017, ch. 2, et Loi sur le droit de la famille, L.T.N.-O. 1997, ch. 18; Loi sur le mariage, L.R.T.N.-O. 1988, ch. M-4 (dupliquée par la Loi sur le Nunavut, L.C. 1993, ch. 28, art. 29), et Loi sur le droit de la famille, L.T.N.-O. 1997, ch. 18 (édictée par la Loi sur le Nunavut, L.C. 1993, ch. 28); Loi sur le mariage, L.R.Y. 2002, ch. 146, et Loi sur le patrimoine familial et l'obligation alimentaire, L.R.Y. 2002, ch. 83.

[40]    Voir par ex. : Déclaration universelle des droits de l’homme, Rés. A.G. 217A (III), Doc. N.U. A/1810 (1948) 71, art. 16; Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 16 décembre 1966, 993 R.T.N.U. 12, ratifié par le Canada le 19 mai 1976, art. 10; Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 19 décembre 1966, 999 R.T.N.U. 171, ratifié par le Canada le 19 mai 1976, art. 23.

[41]    Voir là-dessus les propos du j. Gonthier (diss.) dans Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418, paragr. 40 et s. (qu’on soit d’accord ou pas avec certaines des affirmations qu’on trouve dans ces passages). Cela dit, certains remettent en cause l’accent que le droit met sur la conjugalité maritale et envisagent un élargissement du concept. Voir à ce sujet : Nicholas Bala, « The History & Future of Marriage in Canada », (2005) 4 J.L. & Equality 20, p. 39 et s., référant notamment aux travaux de la Commission du droit sur la conjugalité (Commission du droit du Canada, Au-delà de la conjugalité : la reconnaissance et le soutien des rapports de nature personnelle entre adultes, Ottawa, Commission du droit du Canada, 2001.

      De façon générale, sur le mariage comme objet de droit (dans sa célébration ou ses conséquences) et l’intérêt étatique en la matière, certainement dans ce qu’il est convenu d’appeler les droits occidentaux modernes, voir : Jean Hauser et Danièle Huet-Weiller, La famille - Fondation et vie de la famille, 2e éd., Traité de droit civil, sous la dir. de Jacques Ghestin, Paris, L.G.D.J., 1993, notamment aux paragr. 104-107, 128, 163; Jean Carbonnier, Droit civil, vol. 1, « Introduction - Les personnes - La famille, l’enfant, le couple », Paris, Quadrige/Presses universitaires de France, 1955, 1956, notamment aux p. 1139 à 1145. Plus généralement, sur l’histoire du mariage comme institution et objet de droit, voir : Paul Ourliac et J. de Malafosse, Histoire du droit privé, t. 3, « Le droit familial », Paris, Presses universitaires de France, 1968, notamment aux p. 1-278; Jean Gaudemet, Le mariage en Occident, Paris, Éditions du Cerf, 1987, notamment aux p. 23-149 et 313-334; Alfred Dufour, « Les origines intellectuelles et les caractéristiques institutionnelles et axiologiques du droit matrimonial occidental moderne », (1991) 22 R.G.D. 765; Mary Ann Glendon, State, Law and Family : Family Law in Transition in the United States and Western Europe, Amsterdam-New York-Oxford, North Holland Publishing Co., 1977; Lynn D. Wardle, « The Bonds of Matrimony and the Bonds of Constitutional Democracy », (2003) 32 Hofstra Law Review 349 (citant notamment Aristote, selon qui la première préoccupation « of the responsible legislator would be to set rules to regulate marriages », p. 359).

[42]    Une juridicisation qui, d’ailleurs, dans maintes juridictions, affecte également l’union de fait, qui n’est pas « hors droit », mais bien réglée autrement. Ainsi, au Québec, quoique les conjoints de fait ne bénéficient pas des effets associés au mariage (sauf à contracter en ce sens), ils sont néanmoins titulaires de droits assimilables à ceux des époux dans certaines matières sociales et fiscales, dont on peut donner quelques exemples : le conjoint de fait peut ainsi consentir aux soins requis par l’état de santé de son conjoint majeur inapte (art. 15 C.c.Q.); il jouit, comme l’époux, du droit au maintien dans les lieux loués et devient locataire du logement précédemment occupé par le couple, malgré la cessation de la cohabitation (art. 1938 C.c.Q.); il peut, à certaines conditions, obtenir la rente de conjoint survivant prévue par le Régime de rentes du Québec (art. 91 et s. de la Loi sur le Régime de rentes du Québec, RLRQ, c. R-9); il a droit à certaines allocations ou prestations (Loi sur l’aide aux personnes et aux familles, RLRQ, c. A-13.1.1); il profite de certains avantages fiscaux (doublés parfois d’obligations) ou d’indemnités ou mesures en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (RLRQ, c. A-3.001) ou la Loi sur l’assurance-automobile, RLRQ, c. A-25, etc.

[43]    Supra, note 24.

[44]    Art. 129 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[45]    Voir à ce propos : Halpern v. Canada (Attorney General) (2003), 65 O.R. (3d) 161 (C.A. Ont.); Hendricks c. Québec (Procureur général), [2002] R.J.Q. 2506 (C.S.), paragr. 82 et s. Voir aussi, sur l’art. 129 de la Loi constitutionnelle de 1867 et la compétence fédérale en matière de mariage : Hugo Cyr, « La conjugalité dans tous ses états : la validité constitutionnelle de “l’union civile” sous l’angle du partage des compétences législatives, dans P.-C. Lafond et B. Lefebvre, supra, note 38, 193, p. 224-225 et note infrap. 79. En ce qui concerne le Québec, les règles préconfédératives énoncées par le Code civil du Bas Canada furent abrogées par l’art. 3 de la Loi d’harmonisation n°1 du droit fédéral avec le droit civil, L.C. 2001, ch. 4.

[46]    Il est vrai que, en 2001, par la Loi d’harmonisation n° 1 du droit fédéral avec le droit civil, le Parlement avait déjà consacré implicitement une définition du mariage, réservant celui-ci aux individus de sexe différent (selon la classification masculin/féminin) :

5.  Le mariage requiert le consentement libre et éclairé d’un homme et d’une femme à se prendre mutuellement pour époux.

5.  Marriage requires the free and enlightened consent of a man and a woman to be the spouse of the other.

 

[47]    Supra, note 24.

[48]    Voir par ex. (en ordre chronologique) : Re North and Matheson (1974), 20 R.F.L. 112; 52 D.L.R. (3d) 380 (Co. Ct. Man.); Layland v. Ontario (Minister of Consumer & Commercial Relations) (1993), 140 O.R. (3d) 658 (Div. Ct. Ont.); Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513, notamment à la p. 536 (motifs du j. La Forest); EGALE Canada Inc. c. Canada (Attorney General), 2001 BCSC 1365, inf. pour d’autres motifs par 2003 BCCA 251.

[49]    Au sujet de la compétence des provinces, en vertu du paragr. 92(12) de la Loi constitutionnelle de 1867, de désigner les personnes autorisés à célébrer un mariage valide, voir : Reference Re Marriage Legislation in Canada, [1912] A.C. 880 (C.P.); Gilham v. Steele, [1953] 2 D.L.R. 89 (C.A. C.-B.).

[50]    [2004] 3 R.C.S. 698.

[51]    Id., paragr. 27. Voir également le paragr. 28.

[52]    Id., paragr. 33.

[53]    Sur les raisons constitutionnelles de l’introduction de ces dispositions dans la Loi d’harmonisation n° 1 du droit fédéral avec le droit civil, voir : Mireille D.-Castelli et Dominique Goubau, Le droit de la famille au Québec, 5e éd., Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 2005, p. 19.

[54]    L.C. 1990, ch. 46.

[55]    À ce propos, voir : Jean Pineau et Marie Pratte, La famille, Montréal, Éditions Thémis, 2006, paragr. 54 et s.

[56]    Supra, note 50.

[57]    Renvoi relatif aux mariage entre personnes du même sexe, supra, note 50, paragr. 18.

[58]    François Chevrette et Herbert Marx, Droit constitutionnel, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1982, p. 657. La distinction entre le mariage-lien (ou mariage-contrat), le mariage-état et le mariage-institution a aussi été explorée par le texte suivant : Jean Goulet, « La constitutionnalité du Bill 16 : un essai de détermination du droit substantif en matière de mariage », (1965) 6 C. de D., 3, p. 6-7.

[59]    Renvoi relatif aux mariage entre personnes du même sexe, supra, note 50, paragr. 16.

[60]    Les présents motifs utiliseront les termes « laïc/laïque » et « séculier/séculière » de façon interchangeable.

[61]    Voir notamment : Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, 5e éd. suppl. (éd. à feuilles mobiles, 2 mai 2019), vol. 2, Toronto, Thomson Reuters, 2007, 2016, paragr. 42.9, p. 42-25.

[62]    L’histoire du droit du mariage dans les autres provinces canadiennes emprunte sensiblement le même cours qu’au Québec. Voir : Nicholas Bala, supra, note 41, p. 20-23.

[63]    À ce propos, voir par ex. : Robert Leckey, « Profane Matrimony », (2006) 21 Canadian Journal of Law and Society 1 (qui traite aussi de la tension entre normes religieuses et normes juridiques).

[64]    Voir le portrait historique général que l’on dresse de la réglementation du mariage au Québec dans : Comité consultatif sur le droit de la famille, Pour un droit de la famille adapté aux nouvelles réalités conjugales et familiales, Québec, Ministère de la Justice, 2015, p. 12 et s. Voir aussi : Benoît Moore, « Le droit de la famille et les minorités », (2003-2004) 34 R.D.U.S. 229, p. 233 et s.; R. Leckey, supra, note 63, p. 11 et s.

[65]    À ce sujet, voir : Michel Morin, « De la reconnaissance officielle à la tolérance des religions : l’État civil et les empêchements du mariage de 1628 à nos jours », dans Jean-François Gaudreault-DesBiens (dir.), Le droit, la religion et le raisonnable, Montréal, Éditions Thémis, 2009, 53, notamment à la p. 67. Voir aussi : Johnstone c. Connolly, (1869) Rapports judiciaires revisés de la province de Québec 266, [1869] J.Q. no 1 (LexisNexis) (Cour du Banc de la Reine, appel). Cette affaire relève du droit international privé et contient d’intéressantes remarques sur la juridicisation du mariage (les juges majoritaires, sous les plumes concourantes des j. Badgley et Mackay, y reconnaissent en Bas Canada la validité et les effets d’un mariage célébré en 1803 selon les coutumes autochtones en vigueur dans le Nord-Ouest).

[66]    Et même, pendant la période coloniale française, uniquement selon le rite catholique, les mariages célébrés selon d’autres rites religieux n’ayant été reconnus que par la suite, graduellement. Voir : Pierre-Gabriel Jobin, « Loi concernant le mariage civil », (1969) 10 C. de D. 211.

[67]    À ce propos, voir ainsi: B.-A. Testard de Montigny, supra, note 38, p. 260 :

CHAPITRE II. DES FORMALITÉS RELATIVES A LA CÉLÉBRATION DU MARIAGE. En France, avant le code, il n'y avait que les curés et les prêtres par eux autorisés, qui eussent le droit de célébrer les mariages dans leurs paroisses respectives. Le Code Napoléon a civilisé cette célébration qu'il a confiée à un fonctionnaire purement civil. Nos statuts provinciaux ont chargé de ce devoir les ministres du culte des différentes dénominations religieuses, lesquels sont officiers civils pour ces fins. 35 G. III. c. 4. s. 1. S.R.B.C. c. 20 ss. 16,17.

[68]    M. Morin, supra, note 65, p. 73. On aurait pu être tenté de parler d’une mainmise du religieux sur le civil, mais l’affirmation aurait mérité quelques nuances, notamment en ce qui concerne la période coloniale française. Voir M. Morin, supra, note 65, notamment aux p. 56-60. Sur l’intégration du religieux au civil, voir également : Ernest Caparros, « La “civilizatio” du droit canonique: une problématique du droit québécois », (1977) 18 C. de D. 711.

[69]    P.-G. Jobin, supra, note 66, p. 213. Plus généralement, voir : Office de révision du Code civil, Rapport préliminaire du Comité de l’état civil et de la célébration du mariage, Montréal, 1966. Sur l’état du droit antérieur à 1866, on lira avec intérêt le jugement de la Cour supérieure, sous la plume du j. Louis-Amable Jetté, dans Laramée c. Evans, (1881) 25 L.C.J. 261 (C.S.), notamment aux p. 265 à 275, jugement qui s’intéresse également à la situation consacrée par le Code civil du Bas Canada (p. 275 à 278).

[70]    L’Office de révision écrit ainsi que (Office de révision du Code civil, Rapport préliminaire du Comité de l’état civil et de la célébration du mariage, supra, note 69, p. 1) :

        Si l’opinion publique accepte le mariage civil, c’est que la diversité des options religieuses individuelles, surtout dans les grandes villes et dans certaines régions de la province, rend une telle mesure opportune. On la reconnaît volontiers comme un acte de stricte justice à l’égard de ceux qui, dans une société pluraliste, sont pour quelque motif empêchés ou gênés de s’adresser à un ministre du culte pour faire célébrer leur mariage. Il est en effet évident pour qui s’y arrête, que la liberté de conscience est difficilement respectée dans le système actuellement en vigueur qui restreint aux prêtres, curés et ministres le pouvoir de célébrer le mariage (art. 44 et 129 C. civ.).

[71]    S.Q. 1968, c. 82, entrée en vigueur le 1er avril 1969 ((1969) 101 G.O.Q. II, 1847).

[72]    Voici ce qu’explique l’Office de révision à ce propos (Office de révision du Code civil, Rapport préliminaire du Comité de l’état civil et de la célébration du mariage, supra, note 69, p. 1 et 3) :

        En proposant l’insertion au Code civil d’un article nouveau destiné à rendre possible la célébration du mariage civil, le Comité a voulu respecter la liberté de chacun sans bouleverser pour autant les habitudes et les traditions de la plus grande partie de la population. C’est pourquoi il suggère, d’une part, de n’éliminer aucune des formes actuellement existantes et, d’autre part, de maintenir la règle d’une cérémonie unique [renvoi omis]. De cette façon, le mariage célébré devant un ministre du culte continuera de recevoir, comme par le passé, pleins effets civils, sans besoin de recourir, comme cela se fait dans d’autres pays, à une célébration purement civile préalable [renvoi omis] ou à des formalités postérieures à la cérémonie religieuse. En même temps, ceux qui préfèrent se marier devant un officier qui ne soit pas aussi ministre d’une confession religieuse pourront le faire sans difficulté et sans craindre qu’il soit porté atteinte à leur liberté de conscience qu’on se doit de respecter [renvoi omis].

[73]    J. Pineau et M. Pratte, supra, note 55, paragr. 18 in fine.

[74]    M. D.-Castelli et D. Goubau, supra, note 53, p. 66 in fine.

[75]    Voir par exemple l’article suivant qui commente le jugement dont appel et examine la question de cette dualité civil-religieux : Harith Al-Dabbagh, « Terre et ciel dans le droit québécois du mariage - Commentaire sur le jugement Droit de la famille — 16244 », (2016) 75 R. du B. 65.

[76]    Supra, note 24.

[77]    Renvoi relatif au mariage des personnes du même sexe, supra, note 50, paragr. 16.

[78]    Id., paragr. 1. Voir aussi le paragr. 55 : « L’effet de la Loi proposée est limité au mariage sur le plan civil […] ».

[79]    Et l’est au moins depuis l’arrêt du Conseil privé dans Despatie v. Tremblay, [1921] 1 A.C. 702, qui reconnaît la validité d’un mariage aux fins du Code civil du Bas Canada, même s’il a été célébré en contravention d’un empêchement religieux dont on ne retrouve pas l’équivalent dans la loi. Je n’en retiendrai ici qu’un court passage : « In the Code, marriage is treated as an act of civil status » (p. 721).

[80]    Voir par ex. : Miron c. Trudel, supra, note 41, paragr. 26 (motifs diss. du j. Gonthier); Nouvelle-Écosse (Procureur général) c. Walsh, [2002] 4 R.C.S. 325, paragr. 195 (motifs concourants du j. Gonthier); Droit de la famille — 18207, 2018 QCCA 175, paragr. 19. Voir également : Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513, p. 536, (motifs du j. La Forest). Le juge La Forest, dans cette affaire, parle par ailleurs « d’une réalité biologique et sociale », ce qui lui permet d’écrire encore que le mariage serait « de par sa nature, hétérosexuel », vision subséquemment repoussée : c’est en raison précisément de son importance comme institution sociale que le législateur fédéral a choisi de ne plus priver les personnes de même sexe du droit d’y accéder.

[81]    Sur le double caractère du mariage comme contrat et institution, voir : J. Pineau et M. Pratte, supra, note 55, paragr. 19-22; M. D.-Castelli et D. Goubau, supra, note 53, p. 15-16. Voir également : Michel Tétrault, Droit de la famille, vol. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010, p. 32-34.

[82]    Le texte de la disposition ici reproduite résulte de modifications issues de la Loi apportant diverses modifications législatives pour renforcer la protection des personnes, L.Q. 2016, c. 12, art. 5, disposition qui, conformément à l’art. 50, est entrée en vigueur le 8 juin 2016.

[83]    Voir : Règlement sur la célébration du mariage et de l’union civile, RLRQ, c. CCQ, r. 3.1, qui remplace depuis le 18 octobre 2018 les Règles sur la célébration du mariage civil ou l’union civile, RLRQ, c. CCQ, r. 3, entrées en vigueur le 27 mars 2003, qui succédaient elles-mêmes aux Règles sur la célébration du mariage civil (A.M. 1440, 94-07-06, (1994) 126 G.O.Q. II, 4282), en vigueur au moment du mariage des parties.

[84]    Notons que le Code criminel renforce également la Loi sur le mariage civil, supra, note 24, et les conditions de fond qui y sont imposées au mariage : aux termes de l’art. 293.1, est coupable d’un acte criminel passible d’une peine d’emprisonnement de cinq ans la personne qui célèbre un rite ou une cérémonie de mariage, y aide ou y participe sachant que l’un des conjoints n’y consent pas; l’art. 293.2 C.cr. sanctionne pareillement la personne qui célèbre un rite ou une cérémonie de mariage, y aide ou y participe, sachant que l’un des conjoints a moins de 16 ans. Le Code criminel proscrit également la bigamie (art. 290) ou la polygamie (art. 293 - voir : Reference re : Section 293 of the Criminal Code of Canada, 2011 BCSC 1588) de même que le mariage feint (art. 292).

[85]    Centre Paul-André Crépeau de droit privé et comparé, Dictionnaire de droit privé - Les familles, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais inc., 2016, p. 56, « état civil ».

[86]    Déclaration dont le contenu est régi par les art. 119 à 121 C.c.Q.

[87]    Le texte actuel est lui aussi issu de la Loi apportant diverses modifications législatives pour renforcer la protection des personnes, supra, note 82, art. 3 (modification de l’art. 118 C.c.Q.) et 11 (modification de l’art. 375 C.c.Q.). Conformément à l’art. 50 de cette loi, ces modifications sont entrées en vigueur le 1er janvier 2018 ((2017) 149 G.O.Q. II, 5085).

[88]    Sur l’art. 130 C.c.Q., voir : Édith Deleury et Dominique Goubau, Le droit des personnes physiques, 5e éd. par Dominique Goubau, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, paragr. 386; Alain Roy et Michel Morin, « La célébration du mariage doit respecter les prescriptions du Code civil du Québec, qu’elle revête ou non un caractère religieux », (2016) 46 R.D.U.S. 183, p. 201. Voir également : Droit de la famille — 191637, 2019 QCCA 1336, paragr. 16. Sur l’art. 379 C.c.Q., voir : J. Pineau et M. Pratte, supra, note 55, paragr. 74.

[89]    Je reviendrai plus loin sur cette réforme, dont les tenants et aboutissants sont bien expliqués par l’ouvrage suivant : É. Deleury et D. Goubau, supra, note 88, paragr. 364 et s. Voir aussi : Monique Ouellette, « Livre premier : Des personnes », dans Barreau du Québec et Chambre des notaires du Québec, La réforme du Code civil, t. 1, Sainte-Foy, P.U.L., 1983, 11, p. 77 et s.; Anne-Marie Bilodeau, « Quelques aspects de l’influence religieuse sur le droit de la personne et de la famille au Québec », (1984) 15 R.G.D. 572, p. 576 et s. Voir enfin : Office de révision du Code civil, Rapport sur l’état civil, Montréal, 1973; Assemblée nationale, Sous-commission des institutions, Journal des débats, 34e lég., 1re sess., vol. 31, 29 août 1991, SCI-115, SCI-127 et SCI-128 (G. Rémillard, ministre de la Justice).

[90]    Art. 121.1 à 121.3 et 521.3 C.c.Q.

[91]    Art. 113 à 117 C.c.Q.

[92]    Art. 125 et 126 C.c.Q.

[93]    A. Roy et M. Morin, supra, note 88.

[94]    A. Roy et M. Morin, supra, c, p. 194-200.

[95]    La même obligation incombe-t-elle au ministre du culte qui célèbre l’union religieuse de personnes qui se seraient précédemment mariées devant un célébrant laïc et qui seraient donc déjà des époux aux fins du Code civil? Les parties n’ont pas abordé cette question. Le témoin Giordano admet que, ayant célébré un tel mariage, il n’a pas envoyé la déclaration de mariage au directeur de l’état civil (témoignage de Francesco Giordano, notes sténographiques du 21 octobre 2015, p. 65). Le Code civil ne traite pas de ce cas de figure. Les auteurs Roy et Morin sont d’avis qu’en pareil cas « [l]es exigences du Code civil du Québec ayant été remplies antérieurement, elles n’ont pas lieu d’être lors de la deuxième cérémonie » (A. Roy et M. Morin, supra, note 88, p. 201). Signalons à titre purement informatif que la Loi sur le mariage des Territoires du Nord-Ouest, supra, note 39, prévoit une telle hypothèse :

4. (1)  Les personnes qui se sont mariées lors d’une cérémonie civile conformément à la présente loi peuvent faire célébrer leur mariage lors d’une seconde cérémonie, à des fins religieuses.

4. (1)  Persons who were married in a civil ceremony in accordance with this Act may have a second ceremony to solemnize their marriage for religious purposes.

(2)  La seconde cérémonie est accessoire à la cérémonie civile antérieure; elle ne l’emporte pas sur cette dernière et n’est pas enregistrée.

(2)  The second ceremony is supplemental to and does not supersede the prior civil ceremony, and it shall not be registered.

(3)  La licence de mariage obtenue pour la cérémonie civile antérieure suffit aux fins de la seconde cérémonie; de plus, la seconde cérémonie n’a pas à être tenue dans les trois mois de la délivrance de la licence.

(3)  The marriage licence obtained for the prior civil ceremony is sufficient for the purposes of the second ceremony, and the second ceremony need not be performed within three months from the issue of the license.

 

[96]    J’emploie ici le mot « effet » au sens large, et non au sens que lui donnent les art. 391 à 430 C.c.Q., dispositions placées sous la rubrique « effets du mariage » (chapitre quatrième du Titre premier du livre Deuxième du Code civil du Québec).

[97]    Étant entendu que celui ou celle qui prétendrait à l’existence d’un mariage dont il n’existerait ni déclaration ni acte devrait en établir l’existence par preuve prépondérante, ce qui ne serait pas nécessairement aisé.

[98]    Supra, paragr. [102] et [103].

[99]    Ces dispositions énoncent, en gros, les règles suivantes : égalité des époux, qui se doivent mutuellement respect, fidélité, secours et assistance et qui doivent faire vie commune (art. 392, sous réserve de l’art. 82); conservation du nom de chaque époux (art. 393); direction morale et matérielle conjointe de la famille ainsi que de l’autorité et de la responsabilité parentale (art. 394); choix concerté de la résidence familiale (art. 395); contribution des époux aux charges du mariage à proportion de leurs facultés respectives, ce dont chacun peut s’acquitter par son activité au foyer (art. 396); obligations des époux à l’égard des dettes contractées pour la famille (art. 397-399); recours au tribunal en cas de désaccord (art. 400). Notons que le principe de l’égalité des époux est également affirmé et protégé par l’art. 47 de la Charte québécoise :

47.  Les conjoints ont, dans le mariage ou l’union civile, les mêmes droits, obligations et responsabilités.

47.  Married or civil union spouses have, in the marriage or civil union, the same rights, obligations and responsibilities.

       Ils assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille et l’éducation de leurs enfants communs.

       Together they provide the moral guidance and material support of the family and the education of their common offspring.

 

[100]   Les époux ne peuvent grever de charges la résidence familiale ou les biens servant à l’usage du ménage, ni en disposer seuls (art. 401-406); chaque époux peut faire une déclaration de résidence familiale (art. 407); recours des époux (art. 408-413).

[101]   Le patrimoine familial est formé de certains biens, sans égard au droit de propriété de l’un ou l’autre époux, biens qui, advenant la dissolution du mariage, doivent être divisés également (en valeur ou en nature), sauf exception (incluant la possibilité d’une renonciation, art. 423, al. 2 et 424).

[102]   Conformément à l’attribution constitutionnelle prévue par l’art. 91, al. 1, paragr. 26 de la Loi constitutionnelle de 1867. Voir : Loi sur le divorce, supra, note 32.

[103]   On pourrait aussi, dans une certaine mesure, voir dans cette conséquence un élément définitionnel du mariage, institution qui s’inscrit en principe dans la durée et la stabilité, du moins dans maintes traditions.

[104]   Art. 525 ainsi que 538.3 et 539.1 C.c.Q.

[105]   Voir notamment les art. 653 et s. C.c.Q.

[106]   Art. 1938 C.c.Q.

[107]   Art. 2457 C.c.Q.

[108]   Art. 2906 C.c.Q.

[109]   De la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, supra, note 42, à la Loi sur les impôts, RLRQ, c. I-3, en passant par la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières, RLRQ, c. D-15.1, et bien d’autres, nombre de lois provinciales accordent des droits particuliers aux époux (et accordent parfois les mêmes droits aux conjoints de fait). C’est aussi le cas de plusieurs lois fédérales (Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.); Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C., (1985), ch. O-9, Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3, et autres).

[110]   À ce propos, voir le commentaire suivant : N. Kasirer, supra, note 38, p. 32-33.

[111]   Ce qui est ici le cas, les parties ayant un enfant.

[112]   J. Pineau et M. Pratte, supra, note 55, paragr. 16.

[113]   Sur la double nature du mariage, tout à la fois contrat et institution, voir notamment les ouvrages cités à la note 81, supra.

[114]   Voir les conclusions de son mémoire d’appel, supra, paragr. [43].

[115]   Supra, paragr. [38] et s.

[116]   Voir supra, paragr. [21].

[117]   Proposition qui semble inspirée d’une phrase que l’on trouve dans l’article suivant : Alain Roy, « Affaire Éric c. Lola - Une fin aux allures de commencement », (2013) 1 C.P. du N. 259. Parlant de la loi québécoise, « qui définit le mariage, dans tous les cas, en termes d’association économique » (p. 295), le professeur Roy écrit : « À défaut d’assouplir sa position, l’État québécois pourrait bien subir un autre affront constitutionnel. En imposant une définition aussi restrictive du mariage, ne porte-t-il pas atteinte à la liberté de croyance religieuse des couples pour qui le mariage est aussi une institution religieuse? » (p. 295-296).

[118]   Interrogatoire préalable de l’appelant, notes sténographiques du 20 mars 2015, p. 21.

[119]   Interrogatoire préalable de l’appelant, notes sténographiques du 20 mars 2015, p. 21, l. 22. Voir aussi p. 19, l. 9-11 lorsque l’appelant affirme que « les dispositions légales du mariage, d’un point de vue économique, ne tenaient pas la route ».

[120]   Témoignage de l’appelant, notes sténographiques du 21 octobre 2015, p. 13.

[121]   L’appelant ne paraît pas s’en prendre aux effets supplétifs ou facultatifs du mariage, auxquels il peut échapper (pensons ici au régime matrimonial ou à la dévolution successorale ou à la faculté prévue par l’art. 467 C.c.Q.), mais on notera tout de même que le remède qu’il propose (déclarer inopérantes les dispositions qui habilitent les ministres du culte à célébrer des mariages reconnus par le droit) aurait pour effet de soustraire les justiciables concernés à toutes les règles du mariage, sans égard à leur caractère impératif ou non.

[122]   Précisons sur ce point que l’appelant, dans les conclusions de son mémoire, demande que l’art. 366 C.c.Q. soit déclaré inconstitutionnel dans son entièreté (voir supra, paragr. [43]) et non seulement les deuxième et troisième alinéas de cette disposition, qui incluent les ministres du culte au nombre des célébrants compétents. Manifestement, il ne s’en prend toutefois qu’à ces deux alinéas, ce qui correspond d’ailleurs à ce qu’expose le paragr. 86 (notamment in fine) de son mémoire (reproduit au paragr. [40] supra).

[123]   Voir la demande introductive d’instance amendée du 11 novembre 2015. La version précédente de cet acte de procédure (demande introductive d’instance amendée du 19 décembre 2014) réclamait plutôt que soit déclarée inconstitutionnelle la « loi sur le partage du patrimoine familial, dans le cadre de mariages religieux, donc par conséquent ses effets juridiques » (voir supra, paragr. [15]).

[124]   Sur les possibilités s’ouvrant à un législateur qui souhaiterait réformer le droit de la conjugalité et celui de la famille, on lira le rapport suivant : Comité consultatif sur le droit de la famille, supra, note 64, notamment aux p. 99-138. Voir aussi, dans un autre sens : Benoît Moore, « Passé et avenir de l’union de fait : entre volonté et solidarité », dans XXe Conférence des juristes de l’État, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, 65. La consultation des lois des autres provinces canadiennes en la matière est également source de réflexion.

[125]   Voir en ce sens, par ex. : Comité consultatif sur le droit de la famille, supra, note 64, p. 114-115.

[126]   C’est le point de vue qu’exprime la juge Abella dans Québec (Procureur général) c. A, [2013] 1 R.C.S. 61, paragr. 283-285.

[127]   L’art. 165 du Code civil français prescrit en effet que :

165.        Le mariage sera célébré publiquement lors d'une cérémonie républicaine par l'officier de l'état civil de la commune dans laquelle l'un des époux, ou l'un de leurs parents, aura son domicile ou sa résidence à la date de la publication prévue par l'article 63, et, en cas de dispense de publication, à la date de la dispense prévue à l'article 169 ci-après.

      L’art. 34-1 précise que :

34-1.       Les actes de l'état civil sont établis par les officiers de l'état civil. Ces derniers exercent leurs fonctions sous le contrôle du procureur de la République.

[128]   [1986] 2 R.C.S. 284, p. 313 (l’affaire concerne une loi prévoyant une obligation de fréquentation scolaire à laquelle résiste un parent pour des motifs religieux). Dissidente sur l’issue du pourvoi, qui comportait deux aspects distincts, l’un relié à l’al 2a) de la Charte canadienne, l’autre à l’art. 7, la juge Wilson exprime cependant le point de vue majoritaire sur la question de savoir si la loi en cause enfreint la liberté de religion du justiciable, question à laquelle elle répond par la négative. Son opinion sur le sujet est partagée par les juges Beetz, McIntyre et Le Dain. Le juge en chef Dickson ainsi que les juges Lamer et La Forest concluent pour leur part que si la disposition législative heurtait en effet les croyances de l’individu, il y aurait atteinte à l’al. 2a), atteinte qui serait toutefois justifiée en vertu de l’art. 1 de la Charte canadienne.

[129]   [1985] 1 R.C.S. 295.

[130]   École secondaire Loyola c. Québec (Procureur général), [2015] 1 R.C.S. 613, paragr. 58 (motifs majoritaires de la j. Abella).

[131]   R. c. Big M Drug Mart, supra, note 129, p. 336-337 et 350.

[132]   S.R.C. 1970, ch. L-13.

[133]   R. c. Big M Drug Mart, supra, note 129, p. 337.

[134]   Ibid.

[135]   Ibid.

[136]   [2004] 2 R.C.S. 551.

[137]   [1986] 2 R.C.S. 713.

[138]   [2015] 2 R.C.S. 3.

[139]   Congrégation des témoins de Jéhovah de St-Jérôme-Lafontaine c. Lafontaine (Village), [2004] 2 R.C.S. 650, paragr. 9 (motifs de la j. en chef McLachlin).

[140]   [2009] 2 R.C.S. 567.

[141]   [2013] 1 R.C.S. 467.

[142]   Dans le même sens, voir également : Trinity Western University c. Barreau du Haut-Canada, [2018] 2 R.C.S. 453, paragr. 32.

[143]   [2017] 2 R.C.S. 386.

[144]   Jugement de première instance, paragr. 43.

[145]   [2012] 1 R.C.S. 235.

[146]   Jugement de première instance, paragr. 45.

[147]   Interrogatoire préalable de l’appelant, notes sténographiques du 20 mars 2015, p. 19 à 22.

[148]   Témoignage de l’appelant, notes sténographiques du 21 octobre 2015, p. 13.

[149]   Témoignage de l’appelant, notes sténographiques du 21 octobre 2015, p. 11.

[150]   Témoignage de l’appelant, notes sténographiques du 21 octobre 2015, p. 18.

[151]   Témoignage de l’appelant, notes sténographiques du 21 octobre 2015, p. 19.

[152]   Si l’on s’en remet aux procédures reproduites au dossier d’appel, le patrimoine familial aurait été constitué d’une résidence familiale, d’un droit d’usage de type « time sharing » dans une unité de copropriété [au Pays A], de meubles meublants, de deux véhicules automobiles, de régimes de retraite, aucune dette ne grevant ces biens (excluant les régimes de retraite, l’intimée évalue à 247 800 $ la valeur partageable des biens du patrimoine dont l’appelant est propriétaire et à 236 800 $ celle des biens de ce patrimoine dont elle est elle-même propriétaire, le tout selon l’« État du patrimoine familial de la défenderesse », en date du 16 février 2015, reproduit dans son mémoire). Au nombre des acquêts, on aurait compté quelques biens non identifiés dont chaque partie aurait conservé la propriété.

      L’instance de divorce n’étant pas close, il ne s’agit par ailleurs pas ici de se prononcer sur la validité ou la justesse du partage auquel se seraient livrées les parties, ce qui relève de la Cour supérieure.

[153]   Jugement de première instance, paragr. 51.

[154]   Interrogatoire préalable de l’appelant, notes sténographiques du 20 mars 2015, p. 37 et 40.

[155]   Jugement de première instance, paragr. 49.

[156]   Id., paragr. 51.

[157]   R. c. Big M Drug Mart, supra, note 129. Voir aussi: R. c. Edwards Books and Art Ltd., supra, note 137, qui concerne le Retail Business Holidays Act, R.S.O. 1990, c. R.30.

[158]   Syndicat Northcrest c. Amselem, supra, note 136.

[159]   Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, [2006] 1 R.C.S. 256.

[160]   Ktunaxa Nation c. Colombie-Britannique (Forests, Lands and Natural Resource Operations), supra, note 143.

[161]   Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott, supra, note 141.

[162]   R. c. N.S., [2012] 3 R.C.S. 726.

[163]   Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, supra, note 140.

[164]   École secondaire Loyola c. Québec (Procureur général), supra, note 130, paragr. 63.

[165]   L’appelant appuie notamment sa proposition sur les commentaires du professeur Alain Roy (A. Roy, supra, note 117). Il invoque également certains extraits du rapport du Comité consultatif sur le droit de la famille, qui, de manière générale, critique une « définition aussi restrictive du mariage », qui laisserait « bien peu de place aux valeurs d'autonomie de la volonté et de liberté qui fondent l'approche du Comité en matière conjugale » (Comité consultatif sur le droit de la famille, supra, note 64, p. 114).

[166]   À ce propos, voir par ex. : M. Tétrault, supra, note 81, p. 131-151. Voir aussi, particulièrement sur la vie commune : Nicholas Kasirer, « The Dance is One », dans Sylvio Normand (dir.), Mélanges offerts au professeur François Frenette. Études portant sur le droit patrimonial, Québec, Presses de l’Université Laval, 13; (2008) 20:1 Law and Literature 69.

[167]   Supra, note 126.

[168]   [2008] 2 R.C.S. 781.

[169]   Id., paragr. 21 (voir Québec (Procureur général) c. A, supra, note 126, paragr. 78).

[170]   Québec (Procureur général) c. A, supra, note 126, paragr. 78 (italique ajouté).

[171]   Id., paragr. 80 (italique ajouté).

[172]   Id., paragr. 81 (italique ajouté).

[173]   Id., paragr. 229.

[174]   Dimension économique que le législateur gérait autrefois en fonction de la puissance maritale et de l’incapacité féminine et qu’il gère maintenant sur la base d’un principe d’égalité par l’établissement d’une solidarité des époux, qui s’exprime notamment au moment de la dissolution de l’union.

[175]   On peut relire à ce sujet, et en particulier sur la vocation institutionnelle du mariage : J. Pineau et M. Pratte, supra, note 55, paragr. 16 et s.

[176]   Voir par ex. : R. c. Edwards Books and Art Ltd., supra, note 137, p. 759 (motifs du j. en chef Dickson); Syndicat Northcrest c. Amselem, supra, note 136, paragr. 59-60; Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, supra, note 140, paragr. 32; Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott, supra, note 141, paragr. 155 in fine; Trinity Western University c. Barreau du Haut-Canada, supra, note 142, paragr. 32.

[177]   Supra, note 140, paragr. 32 in fine.

[178]   Supra, note 24.

[179]   La consultation de la liste des sociétés religieuses ayant obtenu pour leurs célébrants l’habilitation requise par l’art. 366 C.c.Q. montre leur intérêt à la célébration de mariages qui, pour avoir été consacrés selon des rites religieux, n’en seront pas moins reconnus par la loi. Les critères de reconnaissance applicables sont exposés dans le document suivant : Ministre de la Justice et Directeur de l’état civil, Entente concernant l’octroi des désignations et autorisations à titre de célébrant compétent pour célébrer un mariage ou une union civile, 20 et 21 décembre 2017, annexe 2.

[180]   Richard Moon, « Government Support for Religious Practice », dans Richard Moon (dir.), Law and Religious Pluralism in Canada, Vancouver, UBC Press, 2008, 217, p. 231.

[181]   C’est une question que soulève l’article suivant, par ex. : B. Moore, supra, note 64, p. 235-237.

[182]   Principe reconnu par la jurisprudence (voir par ex. : Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), supra, note 138), la laïcité de l’État est désormais consacrée par les art. 1 à 3 de la Loi sur la laïcité de l’État, L.Q. 2019, c. 12, loi faisant toutefois l’objet d’une contestation constitutionnelle (Hak c. Procureure générale du Québec, C.S.M. 500-17-108353-197). Cette contestation a donné lieu à un jugement refusant une demande de sursis des art. 6 et 8 de la loi (Hak c. Procureure générale du Québec, 2019 QCCS 2989, requête pour permission d’appeler accueillie le 1er août 2019 : Hak c. Procureure générale du Québec, 2019 QCCA 1404). Les art. 1 à 3 de cette loi énoncent que :

1.  L’État du Québec est laïque.

1.  The State of Québec is a lay State.

2.  La laïcité de l’État repose sur les principes suivants :

2.  The laicity of the State is based on the following principles :

     1°  la séparation de l’État et des religions;

     (1)  the separation of State and religions;

     2°  la neutralité religieuse de l’État;

     (2)  the religious neutrality of the State;

     3°  l’égalité de tous les citoyens et citoyennes;

     (3)  the equality of all citizens; and

     4°  la liberté de conscience et la liberté de religion.

     (4)  freedom of conscience and freedom of religion.

 

3.  La laïcité de l’État exige que, dans le cadre de leur mission, les institutions parlementaires, gouvernementales et judiciaires respectent l’ensemble des principes énoncés à l’article 2, en fait et apparence.

[…]

3.  State laicity requires parliamentary, government and judicial institutions to comply with all the principles listed in section 2, in fact and in appearance, in pursuing their missions.

[…]

[Je souligne]

      La même loi ajoute également le passage suivant au préambule de la Charte québécoise :

18.  La Charte des droits et libertés de la personne (chapitre C-12) est modifiée par l’insertion, après le troisième alinéa du préambule, de l’alinéa suivant :

18.  The Charter of human rights and freedoms (chapter C-12) is amended by inserting the following paragraph after the third paragraph of the preamble:

« Considérant l’importance fondamentale que la nation québécoise accorde à la laïcité de l’État; ».

“Whereas the Québec nation considers State laicity to be of fundamental importance;”.

      L’art. 9.1 de la Charte québécoise est également modifié par l’ajout, dans le premier alinéa, d’une mention de la laïcité de l’État.

[183]   Supra, note 179, annexe 2.

[184]   Voir par ex. : B. Moore, supra, note 64, notamment à la p. 236. En 1993, la professeure Monique Ouellette notait déjà ce qui suit (mais sans en dire davantage) au sujet de l’art. 366, al. 2 (Monique Ouellette, Livre deuxième : De la famille », dans Barreau du Québec et Chambre des notaires du Québec, supra, note 89, 149, p. 153) :

Il appartient au ministre d’évaluer la permanence des rites et cérémonies selon des critères qui ne sont pas précisés. Ce pouvoir discrétionnaire pourrait, en théorie, amener des contestations fondées sur la Charte des droits et libertés.

      La consultation de la « Liste des sociétés religieuses pour lesquelles au moins un célébrant est actif », liste publique tenue par le directeur de l’état civil, paraît indiquer une vision extensive de ce que constitue une religion ou un culte, qui n’exclut pas l’entrepreneuriat. Peut-être est-ce là la façon que l’État a choisie afin de ne pas s’immiscer dans le débat sur la définition des religions et des sociétés religieuses. On suppose que le législateur pourrait aussi considérer la possibilité d’ajouter de nouvelles catégories de célébrants autorisés et modifier en conséquence l’art. 366 C.c.Q.

[185]   S.L. c. Commission scolaire des Chênes, supra, note 145, paragr. 32 (motifs majoritaires de la j. Deschamps).

[186]   [2007] 3 R.C.S. 607 (motifs majoritaires).

[187]   Voir aussi supra, paragr. [123].

[188]   Supra, paragr. [161].

[189]   [1989] 2 R.C.S. 357.

[190]   Id., p. 361-362.

[191]   R. c. Edwards Books and Art Ltd., supra, note 137.

[192]   R. c. Edwards Books and Art Ltd., supra, note 137, p. 767-768.

[193]   Ktunaxa Nation c. Colombie-Britannique (Forests, Lands and Natural Resource Operations), supra, note 143, paragr. 63 et 67.

[194]   R. c. Big M Drug Mart, supra, note 129, p. 337.

[195]   Ibid.

[196]   Ibid.

[197]   Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), supra, note 138, paragr. 64.

[198]   Ibid.

[199]   Voir ainsi, pour n’en donner que deux exemples : Office de révision du Code civil, Rapport sur le droit de la famille, Montréal, 1974 (les auteurs du rapport précisent que celui-ci est « fondé sur le principe de l’égalité des époux », thème qui revient constamment et sous-tend les propositions du comité du droit des personnes et de la famille); Journal des débats, 33e lég., 2e sess., vol. 30, no 125, 8 juin 1989, p. 6483 et s. (Mme Monique Gagnon-Tremblay, ministre déléguée à la Condition féminine, présente le projet de loi 146 (Loi modifiant le Code civil du Québec et d’autres dispositions législatives afin de favoriser l’égalité économique des époux), qui institue notamment le patrimoine familial, et ses propos ne laissent aucun doute sur les objectifs d’un législateur qui, dès la grande réforme de 1980 (qui établissait entre autres la prestation compensatoire), entend « consacrer le mariage comme une véritable institution de partenariat servant de base à l’organisation de la famille sous l’enseigne de l’égalité des conjoints » (p. 6489) et voit dans le principe selon lequel « les époux ont en mariage les mêmes droits et les mêmes obligations […] la pierre angulaire des relations entre conjoints » (p. 6483).

[200]   Supra, note 126.

[201]   Étant entendu qu’aucun célébrant religieux ne peut être contraint de célébrer un mariage contre lequel il existe un empêchement selon sa religion (art. 367 C.c.Q., qui va, on l’a déjà noté, dans le même sens que l’art. 3 de la Loi sur le mariage civil).

[202]   R. c. Edwards Books and Art Ltd., supra, note 137, p. 761.

[203]   L’affaire Bruker c. Marcovitz, supra, note 186, en donne un exemple.

[204]   [2001] 1 R.C.S. 772.

[205]   Université Trinity Western c. College of Teachers, supra, note 204, paragr. 94 (motifs dissidents de la j. L’Heureux-Dubé, citant divers arrêts de la Cour suprême).

[206]   Supra, note 141.

[207]   Supra, note 126.

[208]   Voir notamment : Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, paragr. 51, tenant compte du remaniement effectué dans R. c. Kapp, [2008] 2 R.C.S. 483, au chapitre de la dignité.

[209]   [2018] 1 R.C.S. 522. La Cour suprême se penche dans cette affaire sur la question de savoir si l’art. 38 de la Loi sur l’équité salariale, RLRQ, c. E-12.001, enfreint ou non l’art. 15 de la Charte canadienne. Cinq des juges, sous la plume de la j. Abella, concluent à l’existence d’une atteinte à cette disposition constitutionnelle, leurs quatre autres collègues concluant à son inexistence. Quatre des cinq juges majoritaires estiment toutefois que l’atteinte est justifiable en vertu de l’art. 1 de la Charte canadienne, la j. en chef McLachlin étant pour sa part d’avis contraire sur ce point.

[210]   Voir aussi : Québec (Procureure générale) c. Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux, [2018] 1 R.C.S. 464 (motifs majoritaires de la j. Abella).

[211]   Première Nation de Kahkewistahaw c. Taypotat, [2015] 2 R.C.S. 548, paragr. 21 et 34; Québec (Procureur général) c. A, supra, note 126, paragr. 154, 186 et 236 (motifs du j. LeBel) et 323 (motifs de la j. Abella).

[212]   Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), supra, note 138, paragr. 63; (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), [2015] 2 R.C.S. 789, paragr. 29 et s. Voir par analogie : Stewart c. Elk Valley Coal Corp., [2017] 1 R.C.S. 591, paragr. 24 (arrêt fondé sur les dispositions équivalentes du Human Rights, Citizenship and Multiculturalism Act de l’Alberta).

[213]   Dispositions qui ne sont pas en jeu dans le présent dossier.

[214]   (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), supra, note 212, paragr. 56, 59 et 65.

[215]   Id.

[216]   Supra, note 126.

[217]   Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), supra, note 212, paragr. 52 (voir aussi le paragr. 56). Cette affaire concerne l’art. 10 de la Charte québécoise, mais le langage des juges majoritaires, sous la plume conjointe des juges Wagner, maintenant juge en chef, et Côté, est transposable à l’art. 15 de la Charte canadienne, leurs motifs renvoyant indifféremment à des précédents fondés sur l’une ou l’autre disposition. Voir aussi : Stewart c. Elk Valley Coal Corp., supra, note 212, paragr. 50 (motifs concordants des j. Moldaver et Wagner, plus tard j. en chef) et 111 et s. (motifs dissidents du j. Gascon).

[218]   Supra, note 126.

[219]   Québec (Procureur général) c. A, supra, note 126, paragr. 180.

[220]   Id., paragr. 255 (et 256).

[221]   Id., paragr. 269 et s.

[222]   Id., paragr. 382.

[223]   Id., paragr. 285.

[224]   Id., paragr. 416.

[225]   Même s’ils ont la possibilité, par contrat, de régir leur situation conjugale, ce qui, dans les faits, demeure souvent impraticable, ainsi que l’explique la j. Abella dans ses motifs. Voir aussi : B. Moore, supra, note 124, notamment aux p. 75 et s.

[226]   Québec (Procureur général) c. A, supra, note 126, paragr. 242.

[227]   [2002] 4 R.C.S. 429.

[228]   Id., paragr. 243 (reproduit au paragr. 151 de l’arrêt Québec (Procureur général) c. A).

[229]   Québec (procureur général) c. A, supra, note 126, paragr. 354.

[230]   Supra, note 212.

[231]   Sauf aux art. 15 (consentement du conjoint de fait à l’administration des soins requis par une personne majeure inapte), 555 (consentement spécial à l’adoption en faveur du conjoint de fait), 1938 (droit au maintien dans les lieux loués) et 1958 C.c.Q. (reprise du logement en cas de copropriété indivise).

[232]   Rappelons ici que le célébrant compétent au sens des art. 366, paragr. 1 et 4 C.c.Q. peut être un greffier ou greffier adjoint de la Cour supérieure, un notaire, une personne désignée par le ministre de la Justice et une communauté mohawk ainsi que toute autre personne désignée par ce même ministre, qui peut délivrer une autorisation aux officiers ou fonctionnaires municipaux, mais aussi à une personne répondant à certaines conditions (avoir la citoyenneté canadienne ou résider au Québec, être majeure et capable d’exercer pleinement ses droits civils, être capable de s’exprimer en français ou en anglais, avoir respecté les conditions de forme ou de fond relatives au mariage lors d’une célébration antérieure, le cas échéant). Voir : Ministre de la Justice et Directeur de l’état civil, Entente concernant l’octroi des désignations et autorisations à titre de célébrant compétent pour célébrer un mariage ou une union civile, supra, note 179, annexe 1, art. 1.

[233]   Supra, note 126, paragr. 334 des motifs de la j. Abella, citant la j. McLachlin, telle qu’elle était alors, dans Miron c. Trudel, supra, note 41, paragr. 153 :

153         […] En théorie, la personne est libre de choisir de se marier ou non. Cependant, en pratique, la réalité pourrait bien être tout autre. Il n'est pas toujours possible d'obtenir la sanction de l'union par l'État par un mariage civil. La loi, l'hésitation à se marier de l'un des partenaires, les contraintes financières, religieuses ou sociales sont autant de facteurs qui empêchent habituellement des partenaires, qui par ailleurs fonctionnent comme une unité familiale, de se marier officiellement. Bref, l'état matrimonial échappe souvent au contrôle de la personne. À ce point de vue, l'état matrimonial n'est pas différent de la citoyenneté, qui a été reconnue comme un motif analogue dans l'arrêt Andrews; la personne exerce un contrôle limité, mais non exclusif sur son état matrimonial.

[234]   Voir supra, note 70.

[235]   Voir à ce propos : Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), supra, note 138, paragr. 70 in fine.

[236]   Ce commentaire fait écho, d’une certaine façon, à celui du juge Beauregard dans Droit de la famille — 102866, 2010 QCCA 1978 (infirmé quant au résultat par la Cour suprême dans Québec (Procureur général) c. A, supra, note 126), paragr. 187 : « Si le législateur pouvait permettre que les conjoints de fait ne soient pas assujettis à l'obligation de fournir des aliments alors que les gens mariés le sont, les gens mariés, qui seront bientôt minoritaires, pourraient à leur tour prétendre qu'ils font l'objet d'une mesure discriminatoire».

[237]   Il semble que ce soit le cas du Comité consultatif sur le droit de la famille, supra, note 64, notamment aux p. 114-115.

[238]   Une précision est ici nécessaire. Comme le souligne la Cour suprême dans Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, p. 781, l’art. 9.1 de la Charte québécoise ne s’applique pas à une violation de l’art. 10, du moins pas directement. La Cour suprême indique en effet dans Devine c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 790, p. 818, qu’il s’y applique en quelque sorte indirectement, par le truchement suivant :

Bien qu'il soit exact que l'art. 9.1 ne s'applique pas au principe d'égalité enchâssé à l'art. 10, il s'applique à la garantie de liberté d'expression enchâssée à l'art. 3. Chaque fois qu'il est allégué qu'une distinction fondée sur un motif interdit par l'art. 10 a pour effet de compromettre ou de détruire un droit que prévoit l'art. 3, la portée de cet article doit être déterminée à la lumière de l'art. 9.1. Lorsque, comme en l'espèce, l'art. 9.1 a pour effet de limiter la portée de la liberté d'expression que garantit l'art. 3, l'art. 10 ne peut être invoqué pour contourner les limites raisonnables à cette liberté et y substituer une garantie absolue de liberté d'expression. Par ailleurs, une fois définie la portée de la liberté d'expression, l'art. 9.1 ne peut être invoqué pour justifier une limite à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, du droit que garantit l'art. 3. […]

      Dans le même sens, voir également : François Chevrette, « La disposition limitative de la Charte des droits et libertés de la personne : le dit et le non-dit », (1987) 21 R.J.T. 461, p. 470.

      Ce propos est transposable à l’espèce, le motif prohibé étant celui de la religion, dont la liberté est garantie par l’art. 3 de la Charte québécoise.

      Par contraste, l’art. 1 de la Charte canadienne peut justifier des restrictions au droit que garantit l’art. 15.

[239]   2019 CSC 1.

[240]   Dans le même sens, voir par ex. : R. c. Morrison, 2019 CSC 15; R. c. Boudreault, 2018 CSC 58, paragr. 96 (motifs majoritaires de la j. Martin); R. c. K.R.J., [2016] 1 R.C.S. 906, paragr. 58 (motifs majoritaires de la j. Karakatsanis); Canada (Procureur général) c. Chambre des notaires du Québec, [2016] 1 R.C.S. 336, paragr. 89; Carter c. Canada (Procureur général), [2015] 1 R.C.S. 331, paragr. 94.

[241]   Voir supra, note 238.

[242]   Supra, note 138.

[243]   B.C. Freedom of Information and Privacy Association c. Colombie-Britannique (Procureur général), [2017] 1 R.C.S. 93, paragr. 58.

[244]   Voir par ex. : R. c. Le, 2019 CSC 34, paragr. 71, 83-88 (motifs majoritaires des j. Brown et Martin); Québec (Procureur général) c. A, supra, note 126, paragr. 237-239 et jurisprudence y citée (motifs du j. LeBel).

[245]   Supra, note 240.

[246]   C’est le cas des autres provinces canadiennes, dans une mesure qui peut varier. La Colombie-Britannique, par exemple, donne aux conjoints de fait, au terme d’une cohabitation de deux ans (ou moins si un enfant est né de l’union), les mêmes droits alimentaires et patrimoniaux que les couples mariés (Family Law Act, R.S.B.C. 1996, c. 25). La Saskatchewan et le Manitoba ont des régimes analogues à celui-là (Family Maintenance Act, S.S. 1997, c. F-6.2; Family Property Act, S.S. 1997, c. F-6.3; Loi sur l’obligation alimentaire, C.P.L.M. c. F20; Loi sur la propriété familiale, C.P.L.M., c. H80). Aux termes du Family Law Act (R.S.A. 2000, c. F-4.5), l’Alberta reconnaît certains droits alimentaires et des droits de propriété limités aux « adultes interdépendants », définis par l’Adult Interdependent Relationships Act (R.S.A. 2000, c. A-4.5). En vertu du Family Law Act, R.S.O. 1990, c. F-3, l’Ontario reconnaît un droit au soutien alimentaire chez les conjoints de fait, qui doivent avoir cohabité au moins trois ans, ou moins dans le cas où un enfant est né de leur union. Pour le reste, les conjoints de fait peuvent recourir aux remèdes d’équité comme l’« unjust enrichment » (on pourra comparer avec l’enrichissement sans cause du droit québécois, en vertu des dispositions générales du Code civil en matière d’obligations). La Nouvelle-Écosse, qui reconnaît une obligation de soutien alimentaire entre conjoints de fait, ne leur reconnaît pas de droit sur les biens familiaux, à moins qu’ils n’aient signé et enregistré auprès de l’État (en l’occurrence le Vital Statistics Office) une déclaration de « domestic partnership » (Vital Statistics Act, R.S.N.S. 1989, c. 494, art. 52-59), laquelle les assimile à des époux aux fins de diverses lois dont le Matrimonial Property Act, R.S.N.S. 1989, c. 275). Le Nouveau-Brunswick, Terre-Neuve-et-Labrador ainsi que l’Île-du-Prince-Édouard prévoient un soutien alimentaire entre conjoints de fait, mais aucun droit particulier en matière de biens (sinon les règles usuelles, notamment en matière d’« unjust enrichment »). Le Yukon prévoit lui aussi un soutien alimentaire pour les conjoints de fait répondant à certaines conditions, mais ne leur offre pas de protection particulière en matière de biens (Loi sur le patrimoine familial et l’obligation alimentaire, L.R.Y. 2002, ch. 83). Les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut confèrent des droits patrimoniaux et alimentaires semblables aux époux et aux conjoints de fait (Loi sur le droit de la famille, L.T.N.-O. 1997, ch. 18, telle que dupliquée pour le Nunavut par l’article 29 de la Loi sur le Nunavut, L.C. 1993, ch. 28).

[247]   Le Grand Robert de la langue française, version numérique, Dictionnaires Le Robert, 2017, « civil ».

[248]   C’était le cas dès l’adoption du Code civil du Bas Canada, art. 129 et 42 à 45.

[249]   Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), supra, note 138, paragr. 72.

[250]   On notera avec intérêt que, dans un long article sur les rapports entre l’État séculier et la religion, les professeurs Jukier et Woehrling, qui examinent la question des effets juridiques du mariage religieux, identifient quatre problématiques : celle du mariage des personnes de même sexe, celle du mariage polygame, celle de l’octroi du divorce civil conditionnellement à la suppression d’obstacles religieux et celle de l’arbitrage religieux des différends conjugaux ou familiaux. Ils soulignent par ailleurs que, partout au Canada, le mariage religieux engendre des effets civils, ce qui n’est pas présenté comme un problème auquel il faudrait s’attarder, mais qui paraît plutôt s’accorder à la vision d’une « sécularité ouverte » décrite dans le même article (Rosalie Jukier et José Woehrling, « Religion and the Secular State in Canada », dans Javier Martinez-Torron et W. Cole Durham, Jr. (General Reporters), Donlu D. Thayer, ed., Religion and the Secular State, Madrid: servicio publicaciones facultad derecho Universidad Complutense Madrid, 2015, 155-191).

[251]   Voir : Marriage Act, R.S.N.L. 1990, c. M-1.02, art. 4-10; Marriage Act, R.S.P.E.I. 2000, c. M-3, art. 3-8; Marriage Act, R.S.N.S. 1989, c. 436, art. 4-7 et 10-11; Loi sur le mariage, L.R.N.-B. 2011, c. M-3, art. 2-5.1, 11 et 27; Marriage Act, R.S.O. 1990, c. M.3, art. 4, 20-22; Loi sur le mariage, C.P.L.M. c. M50, art. 2-4; Marriage Act, S.S., 1995, c. M-4.1, art. 3 et 5-7; Marriage Act, R.S.A. 2000, c. M-5, art. 3-7; Marriage Act, R.S.B.C. 1996, c. 282, art. 2-5, 7, 8, 12; Loi sur le mariage, L.T.N.-O. 2017, ch. 2, art. 9 et s. Voir aussi, en Grande-Bretagne : Marriage Act 1949, (R-U), 12, 13 & 14 Geo. VI, c. 76; Marriage (Scotland) Act 1977, (R-U), 1977, c. 15, art. 8-12; Marriage (Wales) Act 2010, (R-U), 2010, c. 6, art. 2; Marriage (Northern Ireland) Order 2003, S.R. & O. 2003/413, art. 9. Pour quelques exemples d’états américains (Californie, Floride, Massachusetts, New York et Texas), voir: Cal Fam Code § 400 (Deering 2019); Fla Stat tit XLIII § 741.07 (2018); NY Dom Rel Law § 11 et 12 (Consol. 2019); Mass Gen Laws ch. 207, §38 (2017); Tex Fam Code Ann tit 1 § 2.202 (LexisNexis 2019).

[252]   R. c. K.R.J., supra, note 240, paragr. 61 (j. Karakatsanis), reproduit au paragr. [250].

[253]   Mémoire de l’appelant, paragr. 88, cité supra, paragr. [41].

[254]   Supra, note 126. C’est également le point de vue d’un certain nombre de commentateurs, dont le professeur Moore, aujourd’hui juge de notre cour : Benoît Moore, « Variations chromatiques : l’union de fait entre noir et blanc », dans Generosa Bras Miranda et Benoît Moore (dir.), Mélanges Adrian Popovici : les couleurs du droit, Montréal, Éditions Thémis, 2010, 97, notamment aux p. 118 et s. Voir aussi : B. Moore, supra, note 124.

[255]   Sur les grands axes de la réforme du registre de l’état civil et les difficultés auxquelles on a remédié par cette réforme, voir supra, note 89.

[256]   Supra, note 240.

[257]   Voir à ce propos : Frank c. Canada (Procureur général), supra, note 239, paragr. 59 et 64 (motifs majoritaires du j. en chef Wagner).

[258]   Il importe de rappeler ici qu’aucune preuve n’a été faite au sujet des croyants en général, qui peuvent appartenir à des fois différentes ou entretenir des croyances différentes de celles de l’appelant, y compris sur la légitimité de l’union de fait ou sur les dispositions mêmes du Code civil du Québec.

[259]   Supra, note 240.

[260]   Dans le même sens, voir aussi : Carter c. Canada (Procureur général), supra, note 240, paragr. 102.

[261]   S’agissant des époux, car, bien sûr, le législateur pourrait aussi, à l’instar des autres provinces canadiennes, décider d’étendre aux conjoints de fait, en totalité ou en partie, le régime applicable aux époux. L’appelant, toutefois, n’a rien suggéré de tel.

[262]   Voir supra, paragr. [235] à [237].

[263]   Voir supra, paragr. [171].

[264]   Je parle ici d’une exclusion « générale », puisque, dans l’état actuel de l’art. 366 C.c.Q., il se peut qu’une personne se présentant comme un ministre du culte ne soit pas autorisée par le ministre de la Justice à célébrer un mariage à ce titre, notamment pour la raison que ce qu’on présente comme un culte n’en serait pas un ou que la société à laquelle appartient cette personne ne prône pas une « religion ». On a vu précédemment les réserves que l’on peut entretenir à cet égard (voir supra, paragr. [176] et [177]). Ce n’est cependant pas de cela dont il est question ici, l’appelant souhaitant plutôt une exclusion générale des ministres du culte de l’art. 366 et l’exclusion du mariage célébré par un tel ministre du champ de la réglementation civile du mariage.

[265]   Supra, paragr. [171].

[266]   Voir également, supra, paragr. [238].

[267]   À ce propos, voir supra, paragr. [243].

[268]   Comité consultatif sur le droit de la famille, supra, note 64.

[269]   [1995] 3 R.C.S. 199, paragr. 160.

[270]   Supra, note 239, paragr. 66 in fine. Dans le même sens, voir : Centrale des syndicats du Québec c. Québec (Procureure générale), note 209, paragr. 54 (motifs majoritaires de la j. Abella).

[271]   Supra, note 140.

[272]   Id., paragr. 53 (motifs majoritaires de la j. en chef McLachlin). Dans le même sens, voir aussi : Carter c. Canada (Procureur général), supra, note 240, paragr. 97-98.

[273]   Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, supra, note 140, paragr. 55.

[274]   Id., paragr. 56.

[275]   Ibid.

[276]   Supra, note 240, paragr. 122.

[277]   Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), supra, note 138, paragr. 90.

[278]   Supra, note 142.

[279]   Id., paragr. 42 (motifs majoritaires des j. Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner et Gascon).

[280]   Mémoire de l’appelant, paragr. 98 in fine.

[281]   Jugement de première instance, paragr. 103 et 104.

[282]   Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Communauté urbaine de Montréal, [2004] 1 R.C.S. 789.

[283]   [2003] 3 R.C.S. 371, paragr. 40.

[284]   [2007] 1 R.C.S. 38, paragr. 35-38.

[285]   Supra, note 240, paragr. 138-142.

[286]   [2015] 2 R.C.S. 139.

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