Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
Date :

A c. Chambre des notaires du Québec

2017 QCCAI 115

 

Commission d’accès à l’information du Québec

Dossier :          1010217-J

Date :                Le 10 mai 2017

Membre :         Me Hélène Grenier

 

 

 

Me A

 

Demandeur

 

c.

 

CHAMBRE DES NOTAIRES DU QUÉBEC

 

Ordre professionnel

 

 

DÉCISION

DEMANDE D’EXAMEN DE MÉSENTENTE en vertu de l’article 42 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé[1].

OBJET DU LITIGE 

[1]             Le 25 septembre 2014, Me A adresse la demande d’accès suivante au directeur général de la Chambre des notaires du Québec (l’Ordre), monsieur Christian Tremblay :

 

« Objet : Lettre diffamatoire

 

Cher M. Tremblay,

 

Le président Guay m’a informé récemment, que vous avez reçu, il y a de cela plusieurs mois, une lettre que le Président lui-même a qualifiée de harcèlement à mon égard, de la part de Me L... F....

 

Depuis combien de temps êtes-vous en possession d’une telle lettre et pourquoi n’ai-je pas été informé immédiatement de son existence?

Serait-ce parce que vous avez estimé qu’elle était manifestement non-fondée?

 

N’êtes-vous pas au courant de la règle Audi alteram partem?

 

Peu importe la raison, j’exige copie de cette lettre, sans délai. »

[2]             Le 30 septembre 2014, la responsable de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (la responsable) de l’Ordre, Me Nathalie Parent, avise Me A que sa demande a été reçue le 25 septembre précédent et qu’il recevra une réponse au plus tard le 25 octobre 2014 parce qu’il est impossible de traiter cette demande dans le délai de 20 jours que prescrit la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels[2].

[3]             Le 24 octobre 2014, la responsable répond à Me A par courriel et par courrier recommandé; elle détermine alors que la lettre à laquelle il a demandé accès n’est pas détenue par l’Ordre dans le cadre du contrôle de l’exercice de la profession et que la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé s’applique à sa demande d’accès en vertu de l’article 108.2 du Code des professions[3].

[4]             La responsable refuse d’acquiescer à la demande d’accès de Me A en vertu des articles 39 et 40 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé et en vertu de l’article 108.4 du Code des professions. Elle indique enfin à Me A que Me L... F..., auteur de la lettre en question, n’a pas consenti à ce que celle-ci lui soit transmise.

[5]             Le 18 novembre 2014, Me A saisit la Commission d’accès à l’information (la Commission) d’une demande d’examen de mésentente.

[6]             Il expose essentiellement que les dispositions législatives invoquées au soutien du refus de la responsable ne s’appliquent pas à cette affaire.

[7]             Il souligne, entre autres, qu’en vertu des articles 38 à 40 du Code civil du Québec[4], l’Ordre doit avoir un intérêt sérieux et légitime pour constituer un dossier à son sujet et que la responsable ne mentionne aucun motif qui justifie la constitution de ce dossier en dehors du cadre du contrôle de l’exercice de la profession.

[8]             Maître A écrit aussi :

 

« Si ce n’est dans le cadre du contrôle de l’exercice de la profession dans quel cadre s’inscrit la démarche d’un notaire qui de plus est membre du Conseil d’administration de la Chambre des Notaires et qui communique avec son ordre professionnel pour commenter et se plaindre du comportement d’un autre notaire, son collègue. »

[9]             Maître A expose que la menace de recourir aux tribunaux dans cette affaire n’est qu’hypothétique; il rappelle enfin que l’identité de l’auteur de la lettre lui a été confirmée par la responsable alors que le contenu d’une partie de celle-ci lui a été révélé par le président de l’Ordre. À son avis, les articles 39 et 40 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé ne peuvent recevoir application.

LES FAITS

Preuve de l’Ordre 

Témoignage de Me L... F... :

[10]          Maître L... F... est notaire depuis juin 1992.

[11]          Il est membre du conseil d’administration de l’Ordre, à titre de l’un des représentants des notaires de Montréal.

[12]          Depuis le printemps 2014, Me F... préside aussi le comité sur les admissions. Ce comité se prononce sur les demandes d’équivalence, administre le programme de formation professionnelle et contrôle l’admission des candidats à ce programme.

[13]          De 2011 à 2014, Me F... a présidé le comité de la formation continue et il en a été le vice-président de 2008 à 2011. Ce comité est formé de cinq personnes auxquelles s’ajoute une personne ressource; il propose des sujets de formation continue et des conférenciers au comité exécutif de l’Ordre et il organise les cours de perfectionnement que doivent suivre les membres de l’Ordre.

[14]          Maître Jean Lambert a été président de l’Ordre jusqu’en 2014; maître Gérard Guay a été élu à ce poste en avril 2014.

[15]          Maître A a adressé sa demande d’accès au directeur général de l’Ordre, monsieur Christian Tremblay, qui a pris sa retraite en 2015 et que l’Ordre a remplacé par monsieur Jacques Deforges.

[16]          Maître F... connaît Me A qui lui a enseigné lorsqu’il était étudiant en droit. Ils ont eu, depuis, une très bonne relation amicale jusqu’à ce que Me F... adresse au directeur général de l’Ordre, le 9 juin 2014, la lettre à laquelle Me A a demandé accès.

[17]          Le comité de la formation continue de l’Ordre n’a pas, pour autant, cessé de proposer les services de Me A comme conférencier depuis cette lettre.

[18]          Le président de l’Ordre a rencontré Me A au sujet de cette lettre, en présence du directeur général de l’Ordre; il a avisé Me F... que Me A avait demandé accès à la lettre.

[19]          Au printemps 2016, Me F... et Me A se sont rencontrés dans le cadre d’une médiation avec le président de l’Ordre pour trouver une solution à leur différend. Maître F... n’a pas, alors, consenti et il ne consent toujours pas à la divulgation de la lettre parce qu’il craint l’exercice, par Me A, d’un recours en diffamation ou en dommages ainsi que des conséquences à l’encontre des membres du comité de la formation continue de l’Ordre.

[20]          Maître F... n’est pas membre du comité exécutif de l’Ordre. Il a écrit la lettre qui est en litige à titre de président du comité de la formation continue. Il a adressé cette lettre au directeur général de l’Ordre qui lui avait demandé de le faire après que Me F... lui eut verbalement rapporté les faits sérieux qui y sont contenus.

[21]          Depuis cette lettre, Me F... n’a reçu aucune menace de la part de Me A qui ne lui a pas, non plus, signifié de mise en demeure.

[22]          L’Ordre n’a pas, quant à lui, cessé de retenir les services de Me A comme conférencier dans le cadre de la formation continue.

[23]          Le 19 février 2016, Me F... a consenti à ce que Me A puisse seulement lire la lettre du 9 juin 2014 à la condition que Me A signe au préalable une renonciation à tout recours contre lui, contre l’Ordre et contre toute personne mentionnée dans cette lettre (E-1); maître A n’a pas signé cette renonciation (E-2).

[24]          Maître F... a, pour sa part, refusé l’offre que Me A lui a faite et en vertu de laquelle Me F... aurait simplement reconnu avoir écrit la lettre parce qu’il avait surréagi à des propos exprimés par Me A, aveu à la suite duquel ils auraient signé une quittance mutuelle (D-1, en liasse).

[25]          Maître F... n’a pas reconnu avoir surréagi aux propos de Me A; s’il l’avait fait, il aurait ainsi reconnu que la situation qu’il avait soulevée dans la lettre n’avait aucune raison d’être et que sa perception des faits était déphasée. Maître F... s’est senti intimidé par Me A et il n’avait pas à s’excuser auprès de lui; il a donc refusé l’offre de Me A.

[26]          Maître F... témoigne ex parte sur les faits et circonstances qui l’ont conduit à adresser la lettre du 9 juin 2014 au directeur général de l’Ordre et qui expriment le contenu de ce document.

Témoignage de Me Nathalie Parent :

[27]          Maître Nathalie Parent est membre du personnel de l’Ordre depuis 2011.

[28]          En 2014, elle y exerçait les fonctions de directrice générale adjointe à la Direction des services juridiques et de responsable de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels.

[29]          Maître Parent a pris connaissance de la demande d’accès de Me A vers le 25 septembre 2014 et elle a demandé à Me F... s’il consentait à la divulgation de la lettre qu’il avait adressée au directeur général de l’Ordre; maître F... lui a répondu qu’il refusait, par souci de protection pour l’Ordre et pour lui-même. Cette lettre est restée détenue à la Direction générale de l’Ordre uniquement.

[30]          Dans le cadre du traitement de la demande d’accès de Me A, Me Parent a discuté avec le président et le directeur général de l’Ordre afin d’obtenir la lettre de Me F... et de connaître le contexte qui y avait donné lieu.

[31]          Dans sa demande d’accès adressée au directeur général de l’Ordre, Me A référait à la lettre de Me F... comme étant une lettre diffamatoire et il faisait référence à du harcèlement; la demande de Me A avait donc un potentiel de risque de poursuite contre l’Ordre et contre Me F... ou de mise en application de la « Politique en matière de civilité et harcèlement en milieu de travail » que l’Ordre a adoptée et qui confère certaines responsabilités au directeur général en cas de harcèlement (E-3, en liasse).

[32]          Maître A n’a pas envoyé de mise en demeure résultant de la lettre de Me F...; il a formulé une demande d’accès à cette lettre et il a saisi la Commission d’un recours pour contester le refus de l’Ordre de lui en fournir copie. Maître Parent n’a pas communiqué avec Me A.

[33]          Lorsqu’elle a traité la demande d’accès, Me Parent savait que Me A avait poursuivi l’Ordre en diffamation et atteinte à la réputation, en 1997, et que cette affaire avait été réglée hors cour (E-4).

[34]          Maître Parent ignore si un cas de harcèlement peut être traité par le syndic de l’Ordre.

Preuve de Me A

Témoignage de Me A :

[35]          Maître A est notaire depuis 1966 ou 1967; il a étudié le droit à l’Université McGill et il est détenteur d’un diplôme de maîtrise et de doctorat en droit de l’Université de Montréal.

[36]          Il est professeur à la Faculté de droit de l’Université de Montréal depuis 1974; ses nombreux écrits et opinions ont été cités dans plus de 225 jugements, notamment dans des jugements de la Cour suprême du Canada.

[37]          Maître A donne des conférences partout dans le monde, incluant le Québec. Il enseigne principalement aux futurs notaires ainsi qu’aux notaires auxquels il donne des cours de perfectionnement.

[38]          Il connaît Me F...; il a été surpris de sa lettre.

[39]          Maître A reconnaît qu’à l’occasion, durant les cours de perfectionnement aux notaires, Me F... a critiqué son comportement à cause des questions qu’il posait aux conférenciers. Or, les notaires sont invités à poser leurs questions; de plus, Me A intervient pour corriger un conférencier qui tient des propos dont l’inexactitude est plutôt dangereuse pour la profession; dans un ou deux cas, l’intervention de Me A a pu créer un malaise chez un conférencier qui n’a pu répondre à sa question.

[40]          À une ou deux occasions, Me F... a indiqué à Me A que ses interventions avaient dérangé les notaires et le conférencier. Maître A lui a répondu qu’il intervenait pour protéger les notaires et qu’une quinzaine de notaires l’avaient remercié d’être intervenu; maître A lui a aussi demandé de choisir des conférenciers qui savent répondre aux questions des notaires.

[41]          Maître A se rappelle avoir critiqué un conférencier sur un ton qui était peut-être incorrect, en présence d’autres personnes; il agissait alors dans le seul but d’améliorer la situation. Il aurait apprécié que Me F... discute avec lui de cet incident plutôt que de s’en plaindre par lettre.

[42]          Bien qu’il reconnaisse que l’Ordre lui demande encore de donner des cours de perfectionnement, Me A considère que l’Ordre l’a, à l’occasion, écarté de ces cours. Son offre de participer au comité de perfectionnement a été refusée; ce refus l’a conduit à en faire la critique à Me F.... Maître A a aussi demandé à Me F... pourquoi l’Ordre lui avait préféré un autre conférencier pour donner un cours de perfectionnement dans une matière où il est le seul expert.

[43]          Maître A a appris l’existence de la lettre de Me F... par le président de l’Ordre qui lui a dit que Me F... avait écrit une lettre diffamatoire ou de harcèlement à son sujet, lettre que le directeur général de l’Ordre conservait « dans sa poche » depuis trois mois. Maître A a donc demandé au directeur général de lui fournir une copie de cette lettre qu’il n’avait pas vue, lettre dont le contenu avait, selon Me A, peut-être été influencé par le directeur général.

[44]          Maître A ne connaît pas encore l’usage qu’il fera de cette lettre.

[45]          En 2016, il a pris part à une séance de médiation avec Me F..., en présence du président de l’Ordre. Il a alors indiqué que ce qu’il avait fait, dans un contexte donné, avait peut-être été inapproprié et il s’en est excusé auprès de Me F.... Il a aussi déploré que Me F... ait écrit la lettre puisque Me F... savait que Me A avait agi pour le seul bien des notaires et il a demandé à Me F... de s’excuser d’avoir écrit la lettre.

[46]          Le procureur de Me F... a par la suite proposé à Me A de lire la lettre (E-1) à la condition de renoncer, au préalable et par écrit, à l’exercice de tout recours découlant de la lettre; maître A a refusé cette proposition de règlement (E-2) parce qu’il n’avait pas vu la lettre et parce que Me F... refusait de s’excuser d’avoir écrit cette lettre alors que Me A lui avait demandé de s’en excuser.

[47]          Maître A juge qu’il est à 99% probable qu’il n’intentera pas de recours au sujet de cette lettre contre Me F...; il n’a pas l’intention de poursuivre l’Ordre.

[48]          Maître A reconnaît avoir, en 1997, déposé devant la Cour supérieure une requête en diffamation et pour atteinte à sa réputation contre l’Ordre qui l’avait exclu d’un programme de réforme avec l’Ukraine alors qu’il dirigeait ce programme; les parties ont réglé ce litige (E-4).

[49]          Maître A assiste à la plupart des cours de perfectionnement de l’Ordre; il assiste aux cours de formation continue, même s’il en est exonéré en raison des cours qu’il donne.

[50]          Personne ne lui a demandé de se taire et de cesser de s’en prendre aux conférenciers alors qu’il assistait à des cours de perfectionnement.

[51]          Maître A intervient auprès des conférenciers dans le but d’éviter que les notaires soient tenus responsables d’erreurs professionnelles, notamment d’erreurs professionnelles qu’il a pu constater dans sa pratique.

[52]          Il ne se rappelle pas que les reproches qui lui ont été faits par Me F... ou d’autres membres du comité de la formation continue aient porté sur son ton, sur la façon dont il s’était adressé à des conférenciers et sur le fait que ceux-ci s’étaient sentis attaqués personnellement; il n’a pas senti que ses interventions étaient des attaques dirigées contre des conférenciers personnellement.

[53]          Maître F... a dit à Me A qu’il dérangeait les conférenciers. Maître A considère qu’il ne dérange pas lorsqu’il pose des questions difficiles à un conférencier et lorsqu’il persiste dans sa position; il ignore ce que Me F... entend par « déranger » parce que Me F... ne le lui a pas expliqué.

[54]          Maître A s’est senti écarté comme conférencier à une occasion et il a voulu en connaître la raison; il a indiqué à Me F... que cette situation s’expliquait soit parce qu’il était sur une « liste noire », soit parce que le comité de la formation continue ignorait qui étaient les principaux acteurs dans le domaine concerné. Maître A ne se rappelle pas si Me F... lui a répondu qu’il n’y avait pas de « liste noire » et il veut bien croire que cette liste n’existe pas.

[55]          Maître A ne se souvient pas de son ton ou de ses paroles lorsqu’il s’est adressé à des conférenciers; il n’a cependant pas crié.

ANALYSE 

Les dispositions législatives applicables :

[56]          Comme l’ont bien indiqué les parties dans leurs arguments écrits, la lettre à laquelle Me A a demandé accès est une plainte qui a été portée à son sujet. Par son témoignage, Me L... F... a démontré qu’il était l’auteur de cette plainte qu’il a adressée au directeur général de l’Ordre, le 9 juin 2014, à titre de confrère notaire de Me A et à titre de président du comité de la formation continue de l’Ordre.

[57]          Maître A prétend que le régime applicable à sa demande est, en vertu de l’article 108.1 du Code des professions, celui que prescrit la Loi sur l’accès parce qu’à son avis, cette plainte s’inscrit dans le cadre du contrôle de l’exercice de la profession de notaire :

 

108.1. Les dispositions de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (chapitre A-2.1), à l’exception des articles 8, 28, 29, 32, 37 à 39, 57, 76 et 86.1 de cette loi, s’appliquent aux documents détenus par un ordre professionnel dans le cadre du contrôle de l’exercice de la profession comme à ceux détenus par un organisme public.

 

Elles s’appliquent notamment aux documents qui concernent la formation professionnelle, l’admission, la délivrance de permis, de certificat de spécialiste ou d’autorisation spéciale, la discipline, la conciliation et l’arbitrage de comptes, la surveillance de l’exercice de la profession et de l’utilisation d’un titre, l’inspection professionnelle et l’indemnisation ainsi qu’aux documents concernant l’adoption des normes relatives à ces objets.

[58]          Selon lui, il est difficile de concevoir qu’une plainte formulée par un membre de l’Ordre ne s’inscrit pas dans cette fonction primordiale de contrôle puisqu’elle concerne la conduite d’un autre membre de l’Ordre en tant que professionnel et lors de réunions professionnelles.

[59]          Maître A prétend aussi qu’on ne saurait déduire qu’il admet l’application de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé à sa demande du fait qu’il se soit conformé au processus de demande d’examen de mésentente vers lequel la responsable l’a dirigé.

[60]          L’Ordre prétend que la demande est assujettie au régime prévu par cette loi parce qu’en vertu de l’article 108.2 du Code des professions, la plainte visée par cette demande n’est pas détenue par l’Ordre dans le cadre du contrôle de l’exercice de la profession de notaire :

108.2. La Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé (chapitre P-39.1) s’applique aux renseignements personnels détenus par un ordre professionnel, autres que ceux détenus dans le cadre du contrôle de l’exercice de la profession, comme à ceux détenus par une personne qui exploite une entreprise.

[61]          Le témoignage de Me F... démontre qu’il considère avoir été intimidé par Me A et qu’il s’en est plaint au directeur général de l’Ordre, faits à l’appui. Le témoignage de Me A démontre qu’il considère que sa conduite durant les cours de perfectionnement aux notaires ou à l’endroit de Me F... n’aurait pas dû faire l’objet d’une plainte.

[62]          Le témoignage de Me A démontre aussi que cette plainte a été traitée selon la « Politique en matière de civilité et harcèlement en milieu de travail » (E-3, en liasse). En effet, Me A a été avisé de l’existence et de la teneur des allégations de la plainte portée contre lui par Me F..., conformément à cette politique; il a aussi été avisé que cette plainte était traitée par le directeur général de l’Ordre à qui il a adressé sa demande d’accès.

[63]          Le témoignage de Me Parent démontre que cette plainte, qui est relative au comportement inapproprié de Me A, a été uniquement conservée à la Direction générale de l’Ordre pour y être traitée de façon administrative, non pas en discipline, par le syndic.

[64]          Ces témoignages démontrent que l’Ordre, dont les représentants ont discuté avec Me F... et Me A au sujet de la plainte, a considéré que celle-ci ne portait pas sur des faits qui se situent dans le cadre du contrôle de l’exercice de la profession de notaire et qu’il y avait lieu de la traiter administrativement, en vertu de la « Politique en matière de civilité et harcèlement en milieu de travail » (E-3, en liasse).

[65]          L’Ordre a aussi, et avec raison, distingué les documents qui concernent la formation professionnelle, lesquels sont détenus dans le cadre du contrôle de l’exercice de la profession, des documents qui dénoncent le comportement de Me A durant les cours de perfectionnement aux notaires et à l’endroit de Me F... parce que ce comportement ne se situe pas dans ce cadre.

[66]          Dans ce contexte, et en vertu de l’article 108.2 du Code des professions, précité, la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé s’applique aux renseignements personnels qui sont contenus dans la plainte.

La plainte :

[67]          La plainte de Me F... est essentiellement constituée de renseignements personnels.

[68]          Ces renseignements personnels concernent Me F... en ce qu’il y livre son propre témoignage, ou déclaration, sur des faits reprochés à Me A; ce témoignage et celui que Me A a rendu devant la Commission sur ces faits diffèrent grandement.

[69]          Maître F... y livre ses sentiments, sa perception des faits reprochés, son opinion sur la nature de ces faits ainsi que son évaluation de leur fréquence et du caractère préjudiciable de leurs conséquences.

[70]          Ces renseignements personnels concernent tout à la fois Me A parce qu’il est la personne à l’égard de laquelle Me F... s’est plaint.

[71]          Enfin, quelques renseignements personnels contenus dans cette plainte concernent des tierces personnes qui sont identifiées par leur nom et qui appuient la démarche de Me F... au sujet de Me A.

L’application de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé :

[72]          Maître A prétend subsidiairement avoir le droit de recevoir communication de la plainte de Me F... en vertu de l’article 27 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé :

 

27. Toute personne qui exploite une entreprise et détient un dossier sur autrui doit, à la demande de la personne concernée, lui en confirmer l’existence et lui donner communication des renseignements personnels la concernant.

 

Lorsque le requérant est une personne handicapée, des mesures d’accommodement raisonnables doivent être prises, sur demande, pour lui permettre d’exercer le droit d’accès prévu par la présente section.

[73]          Il demande à la Commission d’examiner la mésentente qui résulte du refus de la responsable d’acquiescer à sa demande du 25 septembre 2014; la Commission examine ce refus en fonction du contexte dans lequel il a été rendu le 24 octobre 2014, en réponse à la demande d’accès du 25 septembre précédent.

[74]          Lorsque Me A a fait sa demande d’accès à la plainte de Me F..., il venait d’être informé par le président de l’existence et de la teneur des allégations de cette plainte de harcèlement portée à son égard en vertu de la « Politique en matière de civilité et harcèlement en milieu de travail »; il a, dès lors, pris position en qualifiant la plainte de « lettre diffamatoire » et il a exigé d’en recevoir copie dans son intégralité.

[75]          Lorsqu’elle a rendu sa décision, le 24 octobre 2014, la responsable avait pris connaissance de la plainte. Elle avait été informée du contexte litigieux qui y avait donné lieu et qui opposait Me A et Me F...; elle était aussi au fait des requêtes en diffamation et atteinte à la réputation que Me A avait déposées contre l’Ordre, devant la Cour supérieure, en 1997 (E-4).

[76]          Devant la Commission, Me F... a maintenu la pertinence ou la justesse de sa plainte de harcèlement ainsi que le caractère sérieux de celle-ci parce qu’il considérait avoir été victime d’intimidation de la part de Me A; il a aussi confirmé qu’il n’avait pas consenti à la communication de cette plainte parce que, connaissant bien Me A, il craignait qu’il exerce un recours en diffamation ou en dommages notamment contre lui ou d’autres personnes et il voulait éviter les représailles injustifiées de Me A.

[77]          Pour sa part et devant la Commission, Me A a témoigné de son désaccord avec les allégations de la plainte dont la teneur lui avait été communiquée. Il a atténué, voire justifié, son comportement et les effets de celui-ci et il a défendu sa réputation.

[78]          Maître A a affirmé avoir été surpris que Me F... se soit plaint; il a ajouté qu’il lui avait, en vain, réclamé des excuses.

[79]          Il a traité, à son avantage, des faits qui lui ont été reprochés, soulignant au passage les lacunes qu’il avait perçues chez d’autres et qui expliquaient son comportement; il a habilement travaillé à se réhabiliter, à modifier les situations pour convaincre qu’il en était autrement et pour faire croire qu’il avait été traité injustement, notamment par Me F....

[80]          Maître A est à l’origine des faits qui lui sont reprochés; il les connaît bien parce qu’il y a pris une part active, ce qui a mis un terme à son amitié de longue date avec Me F.... Il veut cependant connaître les détails que Me F... a fournis pour étoffer sa plainte de harcèlement, plainte qu’il juge diffamatoire.

[81]          Le témoignage de Me A confirme enfin qu’en 1997, il avait déposé devant la Cour supérieure une requête en diffamation et pour atteinte à sa réputation parce que l’Ordre l’avait exclu d’un programme qu’il dirigeait; cette affaire a été réglée quelques mois plus tard (E-4).

[82]          L’Ordre invoque d’abord l’article 39 (2°) de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé pour justifier le refus d’acquiescer à la demande d’accès de Me A :

 

39. Une personne qui exploite une entreprise peut refuser de communiquer à une personne un renseignement personnel la concernant lorsque la divulgation du renseignement risquerait vraisemblablement:

1°  […]

2°  d’avoir un effet sur une procédure judiciaire dans laquelle l’une ou l’autre de ces personnes a un intérêt.

[83]          Comme en a témoigné Me A, cette plainte était détenue « dans la poche » du directeur général de l’Ordre; maître Parent a, pour sa part, confirmé le traitement confidentiel de cette plainte qui était conservée à la Direction générale de l’Ordre et qui devait être traitée confidentiellement en vertu de la « Politique en matière de civilité et harcèlement en milieu de travail ».

[84]          Tant lors de la réception de la demande d’accès qu’au cours de son traitement par Me Parent, la divulgation de cette plainte confidentielle équivalait à la divulgation prématurée des éléments du témoignage de Me F... dans le cadre de procédures en diffamation ou en dommages que Me A pouvait alors intenter puisque ce dernier considérait déjà que la plainte était diffamatoire, que les services qu’il avait offerts pour donner certains cours de perfectionnement et pour participer au comité de perfectionnement de l’Ordre avaient été injustement refusés et puisqu’il considérait en subir préjudice; la divulgation de cette plainte équivalait aussi à la divulgation, tout aussi prématurée que défavorable à Me F..., d’autres éléments de la preuve à être administrée en défense.

[85]          Le lien entre la plainte et ces procédures judiciaires, qui risquaient alors d’être intentées et qui peuvent encore l’être, est clair : la plainte constitue le témoignage que Me F... rendrait en défense, en temps et lieu, selon les règles applicables à ces procédures.

[86]          L’Ordre pouvait donc refuser de communiquer à Me A les renseignements qui le concernent et qui sont contenus dans la plainte de harcèlement portée contre lui le 9 juin 2014 parce que la divulgation de ces renseignements risquait vraisemblablement d’avoir un effet sur les procédures en diffamation ou en dommages que Me A pouvait alors intenter; ce risque était d’autant plus vraisemblable qu’à la connaissance de Me Parent, Me A avait déjà, en 1997, intenté des procédures de cette nature après avoir été exclu d’un comité de l’Ordre.

[87]          L’Ordre invoque aussi l’article 40 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé pour justifier le refus d’acquiescer à la demande d’accès de Me A :

 

40. Toute personne qui exploite une entreprise et détient un dossier sur autrui doit refuser de donner communication à une personne d’un renseignement personnel la concernant lorsque sa divulgation révélerait vraisemblablement un renseignement personnel sur un tiers ou l’existence d’un tel renseignement et que cette divulgation serait susceptible de nuire sérieusement à ce tiers, à moins que ce dernier ne consente à sa communication ou qu’il ne s’agisse d’un cas d’urgence mettant en danger la vie, la santé ou la sécurité de la personne concernée.

[88]          La plainte de Me F... comprend substantiellement des renseignements personnels qui, tout à la fois, concernent Me F... et Me A; certains, parmi ces renseignements, concernent aussi d’autres personnes.

[89]          Maître A ne connaît pas la plainte dans tous ses détails; il l’a démontré lorsqu’il a témoigné ne pas vouloir renoncer à intenter des procédures avant d’avoir pris connaissance des renseignements que Me F... y avait inclus.

[90]          La divulgation de cette plainte, conservée de manière confidentielle, révélerait donc vraisemblablement des renseignements personnels sur Me F... et sur d’autres personnes.

[91]          La plainte de Me F... parle d’elle-même; elle a été déposée en vertu de la « Politique en matière de civilité et harcèlement en milieu de travail » de l’Ordre et Me F..., qui la maintient, a témoigné de son caractère sérieux, pertinent et juste. La plainte de Me F... laisse entendre que Me A avait sérieusement nui à Me F... et à d’autres personnes par son comportement.

[92]          Lorsqu’elle a refusé d’acquiescer à la demande d’accès, Me Parent s’était entretenue avec le président et le directeur général de l’Ordre ainsi qu’avec Me F...; elle avait obtenu leurs commentaires au sujet de cette plainte et de son contexte et Me F... lui avait répondu qu’il ne consentait pas à la communication de celle-ci par souci de protection pour l’Ordre et pour lui-même. Maître Parent pouvait donc honnêtement croire que la divulgation de cette plainte confidentielle révélerait vraisemblablement des renseignements personnels sur Me F... et sur des tiers et qu’elle était susceptible de nuire sérieusement à Me F... et à ces tiers, d’autant plus que Me A référait à cette plainte comme étant une « lettre diffamatoire ».

[93]          Le témoignage de Me Parent et celui de Me F... démontrent que ce dernier n’a pas consenti à la communication de sa plainte qui, en vertu de la « Politique en matière de civilité et harcèlement en milieu de travail » de l’Ordre, doit être traitée confidentiellement afin d’éviter que son auteur soit victime de représailles.

[94]          Par ailleurs, aucune preuve ne démontre que les tiers, qui sont identifiés dans la plainte pour soutenir Me F..., ont consenti à la divulgation des quelques renseignements personnels qui les concernent aussi.

[95]          Aucune preuve ne démontre enfin que lorsqu’elle a reçu et traité la demande d’accès, Me Parent se trouvait devant un cas d’urgence mettant en danger la vie, la santé ou la sécurité de quiconque.

[96]          Compte tenu de l’ensemble du contexte qui s’imposait à elle, Me Parent devait, au nom de l’Ordre, refuser d’acquiescer à la demande d’accès de Me A en vertu de l’article 40, précité.

[97]          L’Ordre invoque enfin l’article 108.4 (4°) du Code des professions pour justifier son refus de donner communication des renseignements qui constituent la plainte que Me F... a déposée contre Me A :

108.4 Un ordre professionnel doit refuser de confirmer l’existence ou de donner communication d’un renseignement dont la divulgation est susceptible :

1°  […]

2°  […]

3°  […]

4°  de causer un préjudice à la personne qui est l’auteur du renseignement ou qui en est l’objet;

5°  […].

[98]          Il prétend que cette disposition ne l’autorise pas à confirmer l’existence ou à donner communication de renseignements qui mettent en cause le comportement d’un professionnel qui peut être identifié et dont la divulgation est susceptible de causer un préjudice à la personne qui est l’auteur de ces renseignements.

[99]          La preuve démontre que Me F... a déposé, en vertu de la « Politique en matière de civilité et harcèlement en milieu de travail » de l’Ordre, une plainte de harcèlement dénonçant le comportement de Me A, plainte dont le sérieux, la justesse et la pertinence ont été réaffirmés par son auteur.

[100]       La preuve démontre qu’en vertu de cette politique, la plainte doit être traitée de façon confidentielle afin d’éviter que son auteur soit victime de représailles.

[101]       La preuve démontre que Me A a considéré avoir été injustement traité par Me F... et qualifié la plainte de « lettre diffamatoire ».

[102]       La preuve relative à l’application de l’article 40, précité, démontre que lorsque Me Parent a reçu et traité la demande d’accès, la divulgation de cette plainte était susceptible de causer des représailles à Me F..., c’est-à-dire de lui nuire sérieusement ou de lui causer préjudice.

[103]       En réponse à la demande d’accès du 25 septembre 2014, Me Parent devait protéger les renseignements personnels qui constituent cette plainte et aussi refuser de les communiquer en vertu de l’article 108.4 (4°) du Code des professions.

[104]       Somme toute, et compte tenu de la preuve, la divulgation de cette plainte en réponse à la demande d’accès de Me A n’était pas possible en vertu des règles qui régissent la protection des renseignements personnels détenus par l’Ordre.

POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION :

[105]       REJETTE la demande d’examen de mésentente.

 

 

 

 

Hélène Grenier

Juge administratif

 

Me Douglas Mitchell

Procureur du demandeur

 

Me Claude G. Leduc

Procureur de l’Ordre



[1]   RLRQ, c. P-39.1.

[2]   RLRQ, c. A-2.1, ci-après la Loi sur l’accès.

[3]   RLRQ, c. C-26.

[4]   CCQ-1991.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.