Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

Morin et Restaurant Le Barillet

2013 QCCLP 6745

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec

19 novembre 2013

 

Région :

Saguenay-Lac-Saint-Jean

 

Dossier :

488966-02-1211

 

Dossier CSST :

139766877

 

Commissaire :

Sophie Sénéchal, juge administratif

 

Membres :

André Beaulieu, associations d’employeurs

 

Georges Bouchard, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Diane Morin

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Restaurant Le Barillet

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 27 mai 2013, Restaurant Le Barillet (l’employeur) dépose une requête en révocation à l’encontre d’une décision de la Commission des lésions professionnelles du 12 avril 2013.

[2]           Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles accueille une requête déposée le 28 novembre 2012 par madame Diane Morin (la travailleuse), infirme une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) du 17 octobre 2012, rendue à la suite d’une révision administrative, déclare que la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 26 avril 2012 et qu’elle a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

[3]           À l’audience de la présente requête en révocation, tenue le 9 octobre 2013 à Saguenay, l’employeur est présent et représenté par procureur. La travailleuse est présente. La CSST, dûment intervenue, est absente. Cette dernière a avisé de son absence.

[4]           Le dossier est mis en délibéré à compter du 9 octobre 2013.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[5]           L’employeur demande la révocation de la décision de la Commission des lésions professionnelles du 12 avril 2013. Cette décision aurait été rendue en contravention à une règle de justice naturelle, soit celle concernant le droit d’être entendu.

[6]           Il demande ainsi la révocation de la décision du 12 avril 2013 et que les parties soient de nouveau convoquées devant la Commission des lésions professionnelles pour débattre la question de fond, soit l’existence ou non d’une lésion professionnelle le ou vers le 26 avril 2012.

L’AVIS DES MEMBRES

[7]           Le membre issu des associations d’employeurs et celui issu des associations syndicales sont d’avis de faire droit à la requête de l’employeur. Il y a lieu de révoquer la décision de la Commission des lésions professionnelles du 12 avril 2013. Cette décision est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider. Il y a manquement à une règle de justice naturelle, soit celle concernant le droit d’être entendu.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[8]           Le tribunal doit déterminer s’il y a lieu de révoquer la décision de la Commission des lésions professionnelles du 12 avril 2013.

[9]           Il faut d’abord rappeler le caractère final et sans appel d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles :

429.49.  Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.

 

Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.

 

La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

[notre soulignement]

 

 

[10]        Le législateur a toutefois prévu l’exercice d’un recours en révision ou révocation à l’encontre d’une telle décision.

[11]        Ce recours, qualifié d’exceptionnel, peut s’exercer en présence de motifs bien précis, lesquels sont énumérés à l’article 429.56 de la loi :

429.56.  La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :

 

1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[12]        Dans sa requête en révocation, l’employeur réfère aux deuxième et troisième paragraphes de l’article 429.56 de la loi pour dénoncer une violation à une règle de justice naturelle, soit le droit d’être entendu.

[13]        Le tribunal constate toutefois que la violation alléguée serait reliée non pas à l’absence de l’employeur à l’audience du 14 février 2013, mais plutôt à un manquement allégué de la part du premier juge administratif, au moment de cette audience.

 

 

[14]        Dans l’affaire Valois et Service d’entretien Macco ltée[2], la Commission des lésions professionnelles note cette différence quant à l’origine du manquement et en explique l’impact quant à l’application du deuxième ou troisième paragraphe de l’article 429.56 de la loi:

[49]      Cette erreur reprochée à la commissaire doit être analysée en regard du troisième motif prévu par l'article 429.56, soit la notion de vice de fond qui est de nature à invalider la décision, plutôt que du deuxième motif qui concerne le cas où une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre

 

[50]      La Commission des lésions professionnelles estime en effet que ce deuxième motif vise davantage la situation où une partie n'a pu se présenter à l'audience pour des raisons que le tribunal juge suffisantes.  Cette interprétation s'impose, ne serait-ce que s'il fallait y inclure les cas de violation des règles de justice naturelle par un commissaire, le dernier alinéa de l'article 429.56 n'aurait aucun sens puisque le commissaire à qui on reproche un tel manquement pourrait à la limite être saisi de la requête en révision ou en révocation de sa propre décision, situation qui ne peut se présenter si ces cas sont analysés dans le cadre du troisième motif de l'article 429. 56.

 

 

[nos soulignements]

 

 

[15]        Dans la décision Lebrasseur et Société de l’assurance automobile du Québec et CSST[3], la Commission des lésions professionnelles s’exprime dans le même sens :

[35]      Dans le présent dossier, la CSST ne précise pas en vertu de quel paragraphe de l’article 429.56 de la loi elle demande la révocation de la décision. La Commission des lésions professionnelles estime que la violation des règles de justice naturelle en raison du fait qu’un décideur ne permet pas à une partie de faire sa preuve et ses représentations lors d’une audience met en cause le 3e paragraphe du 1er alinéa de l’article 429.56 de la loi.

 

[36]      En accord avec la jurisprudence2 développée sur cet aspect, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que le 2e paragraphe de l’article 429.56 de la loi vise, avant tout, la partie qui n’était pas présente à l’audience pour des motifs que le tribunal juge suffisants.

 

[37]      Cela dit, en regard du 3e paragraphe du premier alinéa de l’article 429.56 de la loi, à savoir que la décision est entachée d’un vice de fond ou de procédure de nature à l’invalider, la Commission des lésions professionnelles constate que le législateur n’a pas défini cette notion. Toutefois, la jurisprudence développée par la Commission des lésions professionnelles l’a interprétée comme étant une erreur manifeste de fait ou de droit qui a

 

un effet déterminant sur le sort du litige3. Ce n’est que si une telle erreur existe que le recours en révision ou en révocation peut réussir, il ne peut donner lieu à une nouvelle appréciation de la preuve parce qu’il ne s’agit pas d’un nouvel appel4.

 

_______________

2              Valois et Service d’entretien Macco ltée, [2001] C.L.P. 823.

3              Produits forestiers Donohue et Villeneuve [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa [1998] C.L.P. 783.

4              Sivaco et C.A.L.P. [1998] C.L.P. 180 ; Charrette et Jeno Neuman & fils inc., C.L.P. 87190-76-9703, 99-03-26, N. Lacroix.

 

[nos soulignements]

 

 

[16]        Enfin, dans la décision Brazeau et Sonoco Flexible Packaging Canada Co[4], toujours dans une optique de préciser les circonstances dans lesquelles les deuxième et troisième paragraphes de l’article 429.56 s’appliquent, la Commission des lésions professionnelles indique:

[21]      Les reproches adressés le sont à l’endroit du premier juge administratif personnellement, en raison des décisions qu’il a prises et qui auraient eu pour effet, selon les allégués de la requête, d’entraver l’administration de la preuve du travailleur, d’une part, et en raison de la partialité qu’il aurait manifestée par son comportement favorable à l’employeur et défavorable à la partie adverse, d’autre part.

 

[22]      L’on se rappellera qu’à son deuxième alinéa, l’article 429.56 de la loi précité prévoit que « dans le cas visé au paragraphe 3º, la décision (…) ne peut être révisée ou révoquée par le commissaire qui l’a rendue ».

 

[23]      Aux yeux du soussigné, il s’agit là d’une autre disposition législative consacrant le droit fondamental des parties à la complète impartialité du décideur.  En effet, il apparaît clair que le législateur n’a pas voulu qu’un juge administratif soit appelé à statuer sur le bien-fondé de ses propres décisions non plus que sur la légitimité de son propre comportement.  Ce faisant, le législateur a voulu préserver l’image d’une justice exempte de tout conflit apparent d’intérêts chez le juge administratif et ainsi maintenir la confiance de l’administré dans les institutions appelées à décider de son sort.

 

[24]      Il serait inconvenant que dans un cas comme celui sous étude, le juge administratif concerné puisse, à toutes fins pratiques, se juger lui-même.

 

[25]      C’est pourtant à un tel résultat qu’il serait possible d’arriver si l’on concluait que les allégations d’atteinte au droit d’être entendu du travailleur constituent une matière visée par le deuxième paragraphe du premier alinéa de l’article 429.56 de la loi.  Car, de la sorte, le premier juge administratif pourrait très bien statuer lui-même sur le sort de la requête en révocation du travailleur.

 

[26]      Avec respect pour l’opinion contraire, pareille issue irait à l’encontre de la volonté explicite du législateur.

 

[nos soulignements]

 

[17]        Dans la cause sous étude, puisque la violation alléguée d’une règle de justice naturelle découlerait d’un manquement par le premier juge administratif, au moment de l’audience du 14 février 2013, il convient alors d’analyser la présente requête en révocation en regard du troisième paragraphe de l’article 429.56.

[18]        C’est la règle du droit d’être entendu qui est en cause.

[19]        Dans l’affaire Hall c. C.L.P.[5], la juge Courteau rappelle l’importance de cette règle de justice naturelle tout en indiquant qu’une partie peut toutefois y renoncer :

Le droit d’être entendu, soit le respect de la règle audi alteram partem, est la première règle de justice naturelle qui doit être observée. Un tribunal chargé de trancher une question doit entendre les deux parties13.

 

(…)

 

L’intervention de la Cour supérieure en révision judiciaire d’une décision qui a violé un principe de justice naturelle est certes une règle fondamentale. Toutefois, cette règle n’a pas un caractère absolu.

 

(…)

 

Eu égard plus particulièrement à la règle audi alteram partem, les tribunaux reconnaissent qu’un individu peut y renoncer, soit expressément, soit implicitement, ou par sa négligence16.

 

_______________

13             Harelkin c. Université de Régina, [1979] 2 R.C.S. 561.

16             Beacon Plastics Ltd c. C.R.O., [1964] BR. 177.

 

[nos soulignements]

 

 

[20]        Le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour le justiciable d’obtenir une convocation, celui de faire des représentations, de présenter une preuve, d’interroger ou de contre-interroger[6].

[21]        Bref, l’on doit donner aux parties impliquées le droit de faire valoir leurs moyens ou leur point de vue[7].

 

[22]        Il est pertinent de préciser que le droit de se faire représenter constitue l’une des composantes du droit d’être entendu.

[23]        La Loi sur la justice administrative[8] consacre le droit d’être entendu à ses articles 10 et 12 :

10. L'organisme est tenu de donner aux parties l'occasion d'être entendues.

 

Les audiences sont publiques. Toutefois, le huis clos peut être ordonné, même d'office, lorsque cela est nécessaire pour préserver l'ordre public.

 

1996, c. 54, a. 10.

 

 

12. L'organisme est tenu:

 

1° de prendre des mesures pour délimiter le débat et, s'il y a lieu, pour favoriser le rapprochement des parties;

 

de donner aux parties l'occasion de prouver les faits au soutien de leurs prétentions et d'en débattre;

 

si nécessaire, d'apporter à chacune des parties, lors de l'audience, un secours équitable et impartial;

 

de permettre à chacune des parties d'être assistée ou représentée par les personnes habilitées par la loi à cet effet.

 

1996, c. 54, a. 12.

 

 

[nos soulignements]

 

 

[24]        Ainsi, l’organisme exerçant une fonction juridictionnelle, telle la Commission des lésions professionnelles, est tenu de donner aux parties l’occasion de se faire entendre, ce qui implique non seulement de donner aux parties l’occasion de prouver les faits au soutien de leur prétention et d’en débattre, mais également, si nécessaire, d’apporter à chacune des parties, lors de l’audience, un secours équitable et impartial de même que leur permettre à chacune d’être assistée ou représentée par les personnes habilitées par la loi à cet effet.

[25]        D’ailleurs, de tels principes fondamentaux sont repris par le législateur dans la loi qu’est chargée d’appliquer la Commission des lésions professionnelles.

 

[26]        Les articles 429.13 et 429.17 le reflètent bien :

429.13.  Avant de rendre une décision, la Commission des lésions professionnelles permet aux parties de se faire entendre.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

429.17.  Les parties peuvent se faire représenter par une personne de leur choix à l'exception d'un professionnel radié, déclaré inhabile à exercer sa profession ou dont le droit d'exercer des activités professionnelles a été limité ou suspendu en application du Code des professions (chapitre C-26) ou d'une loi professionnelle.

__________

1997, c. 27, a. 24; 2005, c. 17, a. 32.

 

[nos soulignements]

 

 

[27]        Quant à l’application de ces règles fondamentales, il y a lieu de rappeler les propos livrés par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire De Parada et Wal-Mart Canada[9] :

[94]      L’article 429.56 de la loi prévoit qu’avant de rendre sa décision, le tribunal «permet aux parties de se faire entendre». L’article 429.17 de la loi consacre, pour sa part, le droit «de se faire représenter par une personne de son choix». Ces deux dispositions codifient ainsi la règle de justice naturelle audi alteram partem également consacrée par les Chartes des droits.

 

[95]      Mais, de telles règles ne créent aucune garantie absolue de représentation ou d’assistance par un tiers, lorsque la partie elle-même y renonce38.

 

[96]      Plutôt, lorsqu’il y a renonciation à la représentation ou à l’assistance d’un tiers, comme en l’espèce, le tribunal doit moduler sa gestion de l’audience en vue d’assurer la justice, l’équité et l’impartialité du processus, et ce, en adoptant les mesures qui lui semblent appropriées.

 

[97]      Ce qui nous amène à nous pencher sur la gestion de l’audience que la première juge administrative a considéré opportune en l’espèce.

 

[98]      Dans le présent cas, la transcription permet de constater, d’une part, que la travailleuse n’a pas demandé la remise de l’audience pour le motif qu’elle n’était pas représentée ou assistée et que, d’autre part, la première juge administrative s’est assurée que la requérante comprenait bien l’objet de chacune des facettes du litige soumis au tribunal : […]

 

______________

38        Crépeault et Personnel clé, C.L.P. 187076-31-0207, 7 avril 2003, P. Simard, révision rejetée, 17 mai 2004, G. Marquis ; Archivex inc. et Daneau, C.L.P. 189312-72-0208, 20 octobre 2003, Anne Vaillancourt.

 

[nos soulignements]

[28]        Ainsi, le droit d’être entendu est la première règle de justice naturelle qui doit être observée. Ce droit n’est pas absolu puisqu’une personne peut y renoncer expressément, implicitement ou par sa négligence.

[29]        En ce qui a trait au droit d’être représenté par la personne de son choix, une composante de ce droit d’être entendu, une personne peut donc également y renoncer. Et si une partie y renonce expressément, implicitement ou par sa négligence, il s’avère indiqué de moduler la gestion de l’audience en vue d’assurer la justice, l’équité et l’impartialité du processus. Ceci, non pas dans une optique de pallier l’absence d’un représentant pour la partie, mais de s’assurer qu’elle puisse faire valoir ses moyens, ce que vise le droit d’être entendu.

[30]        Qu’en est-il dans le présent dossier?

[31]        Il convient d’abord de rappeler qu’à l’époque pertinente, la travailleuse occupe un poste de cuisinière à l’établissement de l’employeur, lequel opère un restaurant.

[32]        Elle produit une réclamation à la CSST pour faire reconnaître une lésion professionnelle en date du 26 avril 2012.

[33]        Il est question d’une lésion affectant son pied droit.

[34]        Le 19 septembre 2012, la CSST rend une décision par laquelle elle refuse la réclamation de la travailleuse. Cette dernière en demande la révision.

[35]        Le 17 octobre 2012, la CSST rend une décision à la suite d’une révision administrative. Elle confirme son refus de reconnaître l’existence d’une lésion professionnelle le 26 avril 2012.

[36]        Le 28 novembre 2012, la travailleuse dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre de cette décision.

[37]        Le 12 décembre 2012, la Commission des lésions professionnelles envoie un avis aux parties les convoquant à une audience devant avoir lieu le 14 février 2013, à 11 heures, à Saguenay.

[38]        Le 12 février 2013, soit deux jours avant l’audience prévue, une avocate de la firme ADP produit une comparution pour l’employeur. Par la même occasion, elle demande une remise de l’audience du 14 février 2013. Elle explique qu’elle n’est pas disponible à la date prévue puisqu’elle est déjà convoquée à une audience devant la Commission des lésions professionnelles à Trois-Rivières, pour un autre dossier.

[39]        Le jour même, le premier juge administratif refuse cette demande de remise et consigne les motifs suivants à son procès-verbal:

Délai de la demande trop beaucoup trop court

Préjudice pour l’autre partie, négligence de la part de l’E de se constituer un procureur

préjudice pour le tribunal qui aura pas remplacer le dossier. Mme Diane Morin en désaccord. [sic]

 

 

[40]        Le 13 février 2013, l’avocate avise la Commission des lésions professionnelles qu’elle cesse d’occuper pour l’employeur.

[41]        C’est dans ce contexte que le 14 février 2013, à l’heure prévue pour l’audience, la travailleuse et monsieur Michel Tremblay, propriétaire du restaurant, sont présents.

[42]        Au début de cette audience, monsieur Tremblay formule une nouvelle demande de remise, laquelle est de nouveau refusée.

[43]        À ce stade-ci, il convient  de référer à l’extrait suivant de la décision du premier juge administratif :

[8]        Dans un premier temps, le tribunal tient à préciser qu’il a refusé une demande de remise présentée le 12 février 2013 par ADP santé et sécurité au travail, demande présentée au motif que Me Sannie Dumouchel n’est pas disponible étant déjà convoquée à une autre audience. Cette demande est refusée, car tardive et cause un préjudice à la travailleuse et au tribunal.

 

[9]        Suite à ce refus, un appel logé au tribunal par madame Aurora Gutierrez informe le tribunal qu’il s’agit d’une erreur : c’est l’employeur lui-même qui aurait dû faire la demande prétextant un autre motif. Or, le jour de l’audience, l’employeur déclare qu’il est présent à la demande de son procureur afin de présenter une demande de remise au motif qu’il n’avait pas de procureur : ce qui est curieux, puisque le 13 février 2013, ADP santé et sécurité au travail fait parvenir au tribunal une lettre indiquant qu’il a cessé d’occuper dans le dossier. L’employeur a été à même d’entendre la preuve et de faire des commentaires à l’audience. La demande de remise est à nouveau refusée.

 

[nos soulignements]

 

 

[44]        La soussignée a également écouté les enregistrements de l’audience, dont copie intégrale a été produite par le procureur de l’employeur au soutien de la présente requête en révocation.

[45]        Ainsi, en début d’audience, on constate effectivement que monsieur Tremblay formule une demande de remise. Il désire être représenté par un avocat.

[46]        Il explique qu’il n’a plus d’avocat, en raison d’un problème administratif chez ADP.

[47]        Le premier juge lui demande à quel moment a-t-il contacté son avocat.

[48]        Les explications de monsieur Tremblay sont quelque peu confuses. Il précise être membre d’une mutuelle de prévention et qu’il n’a rien demandé. C’est la mutuelle qui lui fournit un avocat. Il répète à quelques reprises qu’il n’est pas capable de se représenter seul.

[49]        Le premier juge administratif explique la situation à la travailleuse. Il lui indique notamment que s’il refuse la demande de remise, ce qu’il a l’intention de faire, le dossier va procéder sur la question de fond. Une décision sera rendue. Il avise toutefois la travailleuse qu’il est fort probable qu’ADP fasse une requête en révision ou révocation à l’encontre de sa décision, invoquant que l’employeur n’a pas eu droit à une défense pleine et entière. Le cas échéant, la travailleuse sera obligée de revenir à la Commission des lésions professionnelles pour se défendre.

[50]        Il laisse alors le choix à la travailleuse en précisant qu’il refuserait cette demande de remise et qu’il procèderait sur la question de fond. Il réitère les conséquences possibles d’un refus de la demande de remise, soit qu’ADP dépose une requête en révision ou révocation.

[51]        S’adressant à la travailleuse, il dit : « La décision vous appartient ». La travailleuse lui répond : « Non, je reste là puis je dis ce que j’ai à dire ».

[52]        Le premier juge administratif informe alors monsieur Tremblay que sa demande de remise est refusée.

[53]        Ce dernier demande ce qu’il doit faire : « Euh..Je reste ici? ». Le premier juge administratif lui répond : « Si vous voulez - vous avez le droit d’être ici. »

[54]        Le premier juge administratif explique par la suite à la travailleuse son fardeau de preuve et l’invite à témoigner pour livrer sa version des faits. La travailleuse témoigne pendant quelques minutes.

[55]        Le premier juge administratif demande à monsieur Tremblay s’il a des questions. Ce dernier en profite pour réitérer son inconfort et sa confusion par rapport à la situation dans laquelle il se retrouve.

[56]        Sans être assermenté, il est questionné brièvement par les membres issus.

[57]        Par la suite, le premier juge administratif revient sur la demande de remise. Il précise qu’il ne doute pas de la bonne foi de l’employeur, mais soumet que la façon dont la demande a été faite « c’est pas nette ».

[58]        L’audience se termine avec une suspension afin que le premier juge administratif puisse aller faire une photocopie d’un document remis par la travailleuse.

[59]        Il importe de mentionner qu’à l’audience de la présente requête en révocation, le tribunal a entendu le témoignage de monsieur Tremblay. Ce dernier est venu confirmer les circonstances ayant mené à sa demande de remise formulée au premier juge administratif à l’audience du 14 février 2013.

[60]        Tenant compte du cadre légal préalablement exposé et des circonstances rapportées, le tribunal est d’avis qu’il y a lieu de révoquer la décision de la Commission des lésions professionnelles du 12 avril 2013.

[61]        L’extrait de la décision du 12 avril 2013 ou l’écoute des enregistrements de l’audience ne permet pas de comprendre les motifs ayant conduit au refus de la demande de remise formulée par monsieur Tremblay le 14 février 2013.

[62]        Au paragraphe 8 de sa décision du 12 avril 2013, le premier juge administratif réfère à la première demande de remise. Il précise que cette demande a été refusée. Il résume les motifs du refus. De tels motifs apparaissent d’ailleurs à son procès-verbal du 12 février 2013.

[63]        Au paragraphe 9 de sa décision du 12 avril 2013, le premier juge administratif traite de la seconde demande de remise, soit celle en cause. Une lecture de ce paragraphe ne permet pas de comprendre les motifs pouvant justifier le refus de la demande.

[64]        Quant à l’écoute des enregistrements, elle ne permet pas de connaître davantage de tels motifs.

[65]        Avec respect, il y a lieu de conclure à une absence de motivation de la décision de refuser la demande de remise formulée par monsieur Tremblay le 14 février 2013.

[66]        Cette absence de motivation affecte directement le droit d’être entendu de l’employeur, surtout que la remise était demandée dans une optique de pouvoir se constituer un nouvel avocat.

[67]        Tel qu’indiqué, le droit d’être entendu est la première règle de justice naturelle qui doit être observée.

[68]        Ce droit n’est pas absolu puisqu’une partie peut y renoncer. Cette renonciation peut être expresse, implicite ou s’inférer du comportement négligent de la partie.

[69]        Dans la cause sous étude, on constate l’absence d’analyse à ce sujet. On ne peut comprendre les raisons qui permettraient de conclure que l’employeur aurait renoncé à son droit d’être entendu et particulièrement, son droit d’être représenté par un avocat.

[70]        Les circonstances rapportées sont plutôt à l’effet contraire.

[71]        L’employeur fait partie d’une mutuelle qui lui fournit plusieurs services, dont ceux d’un avocat en cas d’une audience devant la Commission des lésions professionnelles. Jusqu’au 13 février 2013, l’employeur est représenté par un avocat du moins, c’est l’information fournie à monsieur Tremblay par la mutuelle. À compter du 13 février 2013, l’employeur n’a plus de représentant puisque l’avocate avise qu’elle cesse d’occuper. C’est ainsi que le 14 février 2013, monsieur Tremblay demande une remise afin que l’employeur puisse se constituer un nouvel avocat.

[72]        Dans un tel contexte, on ne peut certes parler d’une renonciation expresse ou implicite à son droit d’être représenté. De plus, la comparution tardive du 12 février 2013, combinée à une première demande de remise, ne découle pas d’un comportement négligent de l’employeur. Ce dernier s’est plutôt retrouvé au dépourvu, surtout à la suite du retrait de représentation de l’avocate le 13 février 2013, soit la veille de l’audience. Et à cette audience du 14 février 2013, il formule clairement le désir d’être représenté par un avocat.

[73]        Avec respect, la lecture de la décision du 12 avril 2013 et l’écoute des enregistrements ne permettent pas de constater que la question de la renonciation (expresse, implicite ou pouvant s’inférer de la négligence de la partie) ait été analysée d’une quelconque façon. 

[74]        L’écoute des enregistrements permet plutôt de constater que le premier juge administratif explique les conséquences possibles de son refus de la demande de remise sans toutefois donner les raisons justifiant un tel refus.

[75]        Ceci a des répercussions évidentes sur le droit d’être entendu de l’employeur et particulièrement son droit d’être représenté.

[76]        De plus, l’écoute des enregistrements permet de constater que monsieur Tremblay fait montre d’une certaine confusion ou désorganisation face au fait de se représenter seul.

[77]        À la suite du refus de la remise, aucune explication particulière ne lui est fournie quant au déroulement de l’audience. Pourtant, dans les circonstances, cela aurait été souhaitable afin d’assurer la justice, l’équité et l’impartialité du processus. C’est ce qu’enseigne l’article 12 de la Loi sur la justice administrative[10] et ce que rappellent les propos livrés par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire De Parada et Wal-Mart Canada, précitée.

[78]        Ceci, non pas dans une optique de pallier l’absence d’un avocat, mais bien de s’assurer que la partie, se représentant seule, puisse être informée minimalement du déroulement de l’audience et puisse ainsi faire valoir ses moyens, ce que vise le droit d’être entendu.

[79]        Dans ces circonstances, le tribunal conclut qu’il y a eu manquement à une règle de justice naturelle et ce faisant, considère que la décision du 12 avril 2013 est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider.

[80]        Il y a donc lieu de révoquer la décision du 12 avril 2013 et de convoquer à nouveau les parties devant la Commission des lésions professionnelles afin que soit débattue la question de fond, soit l’existence ou non d’une lésion professionnelle le ou vers le 26 avril 2012.

 

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

RÉVOQUE la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 12 avril 2013;

CONVOQUERA les parties à une nouvelle audience afin que soit débattue la question de fond, soit l’existence ou non d’une lésion professionnelle le ou vers le 26 avril 2012.

 

 

 

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SOPHIE SÉNÉCHAL

 

 

 

 

 

Me Jean-Sébastien Cloutier

NORTON ROSE FULBRIGHT CANADA

Représentant de la partie intéressée

 

 

Me Hélène Bérubé

VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON

Représentante de la partie intervenante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           [2001] C.L.P. 823.

[3]           C.L.P. 208251-09-0305, 15 décembre 2004, D. Beauregard.

[4]           2011 QCCLP 8265.

[5]           [1998] C.L.P. 1076 (C.S.).

[6]           Gilles PÉPIN et Yves OUELLETTE, Principes de contentieux administratif, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1982, p. 237-238.

[7]           Patrice GARANT avec la collab. de Philippe GARANT et Jérôme GARANT,  Droit administratif, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010, p. 609, 621, 634-636.

[8]          L.R.Q., c. J-3.

 

[9]           2011 QCCLP 3303.

[10]         Précitée, note 8.

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