Décision

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Décision

Nadeau c. Fleury

2020 QCTAL 3403

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Sherbrooke

 

No dossier :

428368 26 20181119 G

No demande :

2630445

 

 

Date :

02 octobre 2020

Devant le juge administratif :

Marc Landry

 

Normand Nadeau

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Sophie Fleury

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Le 19 novembre 2018, le locateur demande la résiliation du bail puisque la locataire contrevient au bail en ayant deux chiens plutôt qu’un, que le terrain est occasionnellement souillé de déjections animales et qu’un des deux chiens apparaît réagir fortement à la présence humaine sur le terrain ou sur le trottoir.

[2]      Le 8 septembre 2020, quelques jours avant l’audience, le locateur amende pour réclamer des dommages de 2 400 $. Il allègue laconiquement des troubles et inconvénients, les dommages causés à la pelouse par les deux chiens[1].

[3]      Malgré la notification de l’amendement faite la veille de l’audience, la locataire se déclare prête à procéder.

[4]      Il s’agit d’un bail du 1er juillet 2018 au 30 juin 2019 au loyer mensuel de 590 $.

[5]      Le bail autorise la présence d’un seul chien au logement, celui que la locataire dénonce au moment de la signature du bail, soit un golden retriever âgé de dix ans. Il est précisé que cette autorisation cesse au décès de l’animal. Et il n’y a pas de droit d’accès au terrain de l’immeuble.

[6]      La locataire quitte le logement en mai 2019.

[7]      La demande de résiliation de bail est devenue caduque et sans objet.


[8]      Demeure la demande de dommages-intérêts matériels et moraux en lien avec la présence des chiens au logement, objet de la demande originaire.

[9]      La locataire prend possession des lieux avec deux chiens plutôt qu’un, en contravention du bail, sans prévenir, mettant le locateur devant le fait accompli. Elle utilise aussi le terrain comme si elle bénéficiait d’un droit d’accès, pour les besoins de ses chiens, mais elle ramasse toujours les excréments, dit-elle. Il lui arrive de déléguer cette tâche aux locataires voisins.

[10]   Le locateur s’en aperçoit assez rapidement.

[11]   S’ensuivent quelques échanges de courriel et de lettres.

[12]   Dès le 5 juillet 2018, le locateur demande à la locataire de respecter le bail.

[13]   Le 22 août 2018, la locataire est mise en demeure de respecter les conditions du bail, dont celles relatives au droit de garder des animaux dans les conditions convenues et à l’absence de droit d’accès au terrain de l’immeuble (en ce qui concerne évidemment les besoins et déjections canines).

[14]   La question en litige est de déterminer[2] si le locateur démontre avoir subi des dommages matériels et moraux, puis de déterminer le montant approprié à titre d’indemnité, le cas échéant.

[15]   Pour réussir dans une demande en dommages-intérêts et obtenir une indemnité, il faut démontrer l’inexécution des obligations de son cocontractant (la faute), les dommages subis et le lien de causalité direct et immédiat entre les deux.

[16]   Les articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec prévoient que celui qui veut faire valoir un droit doit faire la preuve des faits au soutien de sa prétention, et ce, de façon prépondérante, la force probante du témoignage étant laissée à l'appréciation du Tribunal.

[17]   Il ne suffit donc pas d'alléguer. Il faut prouver ses prétentions par des faits et démontrer les faits par des preuves probantes et prépondérantes.

[18]   La locataire a manifestement contrevenu au bail. Elle n’a pas respecté ses obligations.

[19]   Cela dit, il y a lieu d’analyser la preuve relativement aux dommages allégués et au lien causal.

DOMMAGES MATÉRIELS

[20]   Le locateur prétend que l’urine des chiens de la locataire a brisé ou jauni la pelouse du terrain autour de l’immeuble. La preuve du locateur se limite à une affirmation générale de quelques mots. Il ne fournit aucune preuve photographique au soutien de sa prétention. Réensemencer lui a coûté 125 $. Il est difficile d’évaluer l’ampleur et la fréquence du problème supposément causé uniquement par les deux chiens de la locataire avec une preuve générale aussi mince.

[21]   La locataire conteste au niveau du lien de causalité. Elle invoque le fait que la pelouse est peu ou pas entretenue (si ce n’est la coupe du gazon). Il y a beaucoup de mauvaises herbes, des endroits plus passants où le gazon est absent. Elle produit quelques photos corroboratives au soutien de ses propos. La locataire témoigne avec honnêteté et son discours apparaît nuancé et crédible. Elle reconnaît assez facilement que ses chiens ont fait leurs besoins sur le terrain, mais elle ramasse à chaque fois les excréments, précise-t-elle. Des locataires voisins prennent la relève avec les chiens en son absence. La locataire ajoute aussi l’évidence de ne pas être la seule personne ou la seule locataire du coin à avoir des animaux qui peuvent faire leurs besoins. Elle termine en disant que des « trous jaunes » sur la pelouse, il y en avait déjà à son arrivée au logement.


[22]   La preuve du lien causal direct et immédiat entre le besoin de réensemencer le terrain à cause des chiens de la locataire est insuffisante. Il est manifeste au vu des photos produites par la locataire qu’il s’agit d’une pelouse peu entretenue et il relève de l’évidence que la locataire n’est pas la seule à avoir des chiens qui peuvent faire leurs besoins sur le terrain de l’immeuble. Et tout le monde sait que le jaunissement du gazon peut avoir plusieurs causes (sécheresse, insectes, manque d’aération du sol, urine, etc.).

[23]   Le Tribunal n’a aucun doute sur la véracité et l’exactitude des propos du témoignage de la locataire, tout comme pour ceux du locateur par ailleurs.

[24]   La preuve de la locataire est toutefois plus précise et détaillée. Elle est prépondérante.

[25]   Comme le locateur a le fardeau de la preuve, le Tribunal estime que sa preuve n’est pas plus forte que celle de la locataire. C’est donc lui qui supporte le manque de preuve en tant que demandeur.

[26]   Cette partie de la demande du locateur est donc rejetée.

DOMMAGES MORAUX POUR LES TROUBLES ET INCONVÉNIENTS

[27]   Le locateur prétend qu’un des deux chiens lui est apparu plus réactif à la présence humaine. Les chiens retriever sont reconnus pour pouvoir être démonstratifs, voire exubérants pour certains.

[28]   Au-delà de l’affirmation de réactivité à la présence humaine, il n’y a aucune démonstration sérieuse de l’agressivité d’un des chiens dans la preuve du locateur. Aucun locataire n’est venu témoigner d'une quelconque appréhension vis-à-vis de l’animal. Il n’y a pas de preuve sérieuse et probante du fait que les chiens de la locataire ont été la source de troubles de voisinage dans l’immeuble.

[29]   Il n’y a pas de preuve du fait que le locateur a dû ramasser régulièrement des excréments. Sa preuve se limite au constat général de la présence d’excréments, sans plus. On ne peut tirer plus d’inférence quant à l’ampleur et la fréquence réelles du problème.

[30]   Comme mentionné plus haut, la locataire n’est pas la seule à avoir des animaux qui peuvent faire leurs besoins sur le terrain de l’immeuble.

[31]   L’ensemble de la preuve du locateur ne démontre pas une gestion particulièrement lourde, exceptionnelle ou anormale du problème.

[32]   Le locateur invoque aussi le harcèlement subi du fait de la locataire.

[33]   Qu’il suffise ici de dire que le harcèlement du locateur par le locataire (contrairement à l’inverse) échappe complètement à la juridiction[3] du Tribunal et que, de toute façon, le harcèlement évoqué par le locateur ne correspond pas à la définition jurisprudentielle retenue de la notion juridique d’harcèlement[4].

HONORAIRES D’AVOCAT ET AUTRES FRAIS

[34]   Les honoraires des avocats consultés afin d’obtenir des conseils, une opinion juridique ou pour préparer un procès constituent des dommages indirects, alors que seuls les dommages directs et immédiats sont retenus par la loi (articles 1607 et 1613 du Code civil du Québec).

[35]   Exceptionnellement, les honoraires d’avocat peuvent être accordés dans les situations d’abus d’ester en justice ou de procédures abusives, où le lien causal est alors considéré comme direct et immédiat par les tribunaux, ce qui n’est pas le cas en espèce[5].

[36]   Les frais de justice qui peuvent être accordés, dans la mesure où un demandeur a gain de cause, sont établis par le Règlement sur les frais[6] et les montants adjugés ne correspondent pas nécessairement aux sommes déboursées.

[37]   Les prétentions du locateur étant rejetées, celui-ci ne peut se voir octroyer les frais de la cause.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[38]   REJETTE la demande.

 

 

 

 

 

 

 

 

Marc Landry

 

Présence(s) :

le locateur

la locataire

Date de l’audience :  

16 septembre 2020

 

 

 


 



[1] Le locateur réclame aussi pour un bris relié au bain, une demande de plombier. Le locateur est avisé lors de l’audience que cette partie de l’amendement n’est pas autorisée et qu’il ne peut procéder à ces sujets puisque cela contrevient à l’article 21 du Règlement sur la procédure qui interdit tout amendement lorsqu’il en résulte une demande nouvelle sans rapport avec la demande originaire.

[2] Il ne s’agit plus de déterminer, comme le demande la demande originaire du locateur, si la résiliation du bail est justifiée, car la locataire n’a pas respecté le bail et que cela cause un préjudice sérieux, puisque celle-ci a quitté le logement. La résiliation du bail est devenue caduque.

[3] Voir l’arrêt de la Cour d’appel Kerassinis c. Boretsky, 2012 QCCA 886.

[4] Huot c. Martineau, [2005] J.L. 75 (C.S), requête pour permission d'appeler rejetée (C.A., 2005-03-07), 200-09-005027-47; Adair-Martin c. Immeubles Stephen, R.L. Laval 35-950105-028 G, le 4 mai 1995, Jean Bisson j.adm. Voir aussi : Gavrina c. Capital BLF inc., 2016 QCCS 850, rejet d'appel 2016 QCCA 994; D. Lamy, Le harcèlement entre locataires et propriétaires, Éditions Wilson et Lafleur Ltée, 2004, pp. 206 à 208; Me Pierre Pratte, Le harcèlement envers les locataires et l'article 1902 du Code civil du Québec, 1996, Revue du Barreau, Tome 56, no.1, 3-37, pages 8-10.

[5] Viel c. Les Entreprises Immobilières du Terroir Ltée, SOQUIJ AZ-50124437, J.E. 2002-937, [2002] R.J.Q. 1262, [2002] R.D.I. 241 (C.A.).

[6] Tarif des frais exigibles par le Tribunal administratif du logement, c. T-15.01, r. 6.

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