Vigneault et Foyer Ste-Anne-de-Marie inc. (F) |
2007 QCCLP 4703 |
______________________________________________________________________
______________________________________________________________________
Dossier 274695-05-0511
[1] Le 3 novembre 2005, madame Denise Vigneault (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 29 septembre 2005 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 28 avril 2005, déclare qu’à compter du 16 avril 2005, elle est justifiée de ne pas tenir compte des personnes mineures à charge de la travailleuse dans le calcul de ses indemnités de remplacement du revenu et déclare qu’à compter de cette date, l’indemnité journalière de la travailleuse s’élève à 15,42 $.
Dossier 276126-05-0511
[3] Le 22 novembre 2005, monsieur Réal Ouellette (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue le 17 novembre 2005 par la CSST à la suite d’une révision administrative.
[4] Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 15 septembre 2005, informe le travailleur qu’elle ne peut tenir compte des personnes majeures à charge dans le calcul de son indemnité de remplacement du revenu et établit que pour la période du 2 au 15 septembre 2005, l’indemnité journalière à recevoir est de 58,42 $.
[5] La Commission des lésions professionnelles a tenu une audience dans le dossier de madame Denise Vigneault le 7 mars 2006, laquelle est représentée par Me François Fiset et la CSST représentée par Me Isabelle Vachon.
[6] Me François Fiset a demandé au tribunal que la preuve recueillie dans le dossier de madame Denise Vigneault soit versée au dossier de monsieur Réal Ouellette, l’objet des contestations étant similaire. Me Isabelle Vachon ne s’est pas objectée à cette demande.
[7] Le tribunal a donc accepté de verser dans le dossier de monsieur Ouellette la preuve recueillie du dossier de madame Vigneault et ainsi rendre une décision concernant ces deux dossiers.
[8] Le tribunal a tenu une audience à Sherbrooke le 7 mars 2006, date à laquelle les présentes causes ont été prises en délibéré. Le tribunal a suspendu son délibéré suite à la désignation par la présidente de la Commission des lésions professionnelles, d’un banc de trois commissaires devant entendre des litiges portant sur la même question de droit. Le tribunal a procédé à son délibéré le 28 juin 2007.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[9] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la CSST ne pouvait modifier à la baisse le montant de l’indemnité de remplacement du revenu qui lui était versé en regard de son accident du travail sans contrevenir aux termes des articles 63 et 64 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
LES FAITS
Dossier 274695-05-0511
[10] Madame Denise Vigneault, la travailleuse, a subi un accident du travail le 16 avril 1994. À cette époque, elle est indemnisée sur la base du revenu brut assurable de 23 960,57 $ en tenant compte de sa situation familiale qui est une travailleuse avec trois personnes à charge incluant son conjoint.
[11] Le 8 mars 1996, la CSST lui retient un emploi convenable de commis de club vidéo, emploi qu’elle peut exercer à compter du 7 mars 1996 et établit que cet emploi peut lui procurer un revenu brut annuel estimé à 14 797,33 $. En conséquence, elle a droit à une indemnité de remplacement du revenu.
[12] Certains ajustements seront apportés par la CSST aux indemnités de remplacement du revenu de la travailleuse, toutefois sa situation familiale demeure inchangée.
[13] Le 28 avril 2005, la travailleuse est informée que son indemnité journalière de 17,55 $ qu’elle reçoit le 15 avril 2005 est modifiée et passera à 15,42 $ pour la période du 16 au 28 avril 2005. Elle est également informée que depuis le 16 avril 2005, le montant des indemnités de la travailleuse est établi sur la base d’un revenu assurable brut de 29 261,16 $ (soit 23 960,57 $ revalorisé depuis 1994) et ce, en tenant compte de sa situation familiale qui est « conjoint à charge ». La travailleuse conteste cette décision et soumet que la CSST devait continuer à considérer sa situation familiale telle qu’elle était au moment de la survenance de l’événement lésionnel du 16 avril 1994.
Dossier 276126-05-0511
[14] Le 1er septembre 1989, monsieur Réal Ouellette, le travailleur, subit un accident du travail.
[15] Le 25 juillet 1994, la CSST détermine un emploi convenable de livreur et le 8 février 1995, dans une transaction, détermine que le salaire retenu pour l’emploi convenable est de 13 420,84 $. Le travailleur reçoit une indemnité réduite de remplacement du revenu à compter du 25 juillet 2005 et la CSST revalorise le revenu brut ayant servi au calcul de cette indemnité chaque année à la date anniversaire de la lésion professionnelle soit le 1er septembre.
[16] Le 1er septembre 2005, au moment de la revalorisation, la CSST applique les nouvelles mesures fiscales décrétées par le gouvernement en décembre 2004 en regard du soutien aux enfants. Ainsi, l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur dans son calcul ne tient plus compte des enfants mineurs à charge.
[17] Elle en informe le travailleur dans son avis de paiement du 1er septembre 2005. C’est ainsi que le travailleur est informé que le montant de son indemnité journalière sera de 58,42 $ à compter du 1er septembre 2005 au lieu de 61,64 $, et ce, même si son salaire brut annuel servant de calcul a été revalorisé de 1,70 %.
[18] En argumentation, le procureur des travailleurs a rappelé l’article 117 de la loi qui prévoit la revalorisation annuelle à la date d’anniversaire du début de l’incapacité du travailleur à exercer son emploi et que cette revalorisation signifie une modification à la hausse et non pas à la baisse. Il rappelle de même l’article 119 de la loi qui prévoit la façon de faire d’une telle valorisation. Il souligne également les articles 62, 63 et 64 de la loi qui prévoient le calcul des retenues à la source, le calcul de l’indemnité de remplacement du revenu et la méthode de révision d’une telle indemnité.
[19] Le représentant de la travailleuse précise que l’article 64 de la loi prévoit que la CSST, lors de sa révision d’indemnité de remplacement du revenu, doit considérer la situation familiale du travailleur telle qu’elle existait lorsque s’est manifestée la lésion professionnelle dont il a été victime. Ainsi, elle doit considérer la situation familiale telle qu’elle existait au moment de l’accident du travail, bien qu’il y ait lieu de considérer la table des indemnités de remplacement du revenu qui est en vigueur au moment de la révision.
[20] Le procureur de la travailleuse a également fait valoir les articles 49 et 50 de la loi qui prévoient les dispositions en regard de l’indemnité réduite de remplacement du revenu lorsque le travailleur est incapable d’exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle et devient incapable d’exercer à temps plein un emploi convenable et le calcul d’un tel revenu. L’article 117 de la loi prévoit aussi la revalorisation chaque année à la date anniversaire du début de l’incapacité du travailleur d’exercer son emploi du montant du revenu annuel qui sert de base au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu.
[21] Le procureur de la travailleuse a mentionné que l’interprétation et l’application que fait la CSST de l’article 64 de la loi lors de la revalorisation est contraire aux dispositions des articles de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, la CSST modifiant ces dispositions en fonction d’une nouvelle loi fiscale.
[22] Il mentionne également que la revalorisation n’est pas un mécanisme de révision et qu’en agissant ainsi, la CSST se sert de l’article 117 de la loi pour réviser, ce qui est, selon lui, incorrect.
[23] Pour sa part, la procureure de la CSST a notamment rappelé que depuis 2005, les règles fiscales ne tiennent plus compte des enfants à charge tout comme la table des indemnités appliquées par la CSST. L’article 64 de la loi précise que la CSST doit appliquer la table des indemnités de remplacement du revenu en vigueur en considérant si à l’époque il y avait des enfants à charge et qu’ils étaient mineurs.
[24] À partir de 2005, lorsqu’il y a des enfants mineurs à charge, on ne peut plus en tenir compte étant donné les nouvelles règles fiscales. La CSST analyse donc la situation du travailleur au moment de la survenance de sa lésion en actualisant, selon les règles fiscales en vigueur. D’ailleurs, elle rappelle que cette table est modifiée chaque année et a des impacts selon les modifications législatives adoptées par les gouvernements en regard de la Loi sur les impôts. Il y a donc nécessairement un effet direct sur les indemnités des travailleurs puisque si le revenu imposable diminue à cause des taux d’imposition, l’indemnité de remplacement du revenu augmente. À l’opposé, si le revenu imposable augmente, les indemnités diminueront avec plus ou moins d’effet sur le revenu brut annuel d’emploi retenu au départ.
[25] Il peut donc y avoir, selon certains cas, une baisse de l’indemnité de remplacement du revenu malgré l’indexation.
[26] Elle allègue que la CSST a donc appliqué correctement les dispositions législatives en vigueur au moment où elle a rendu ses décisions.
L’AVIS DES MEMBRES
[27] Conformément à l’article 429.50 de la loi, le commissaire soussigné a demandé aux membres qui ont siégé auprès de lui leur avis sur la question faisant l’objet de la contestation ainsi que les motifs de cet avis.
[28] Le membre issu des associations d'employeurs est d’avis que la CSST a appliqué correctement les dispositions de la loi et que les montants d’indemnités de remplacement du revenu déterminés au travailleur suite à leur revalorisation sont secondaires à l’application des mesures fiscales en vigueur au moment d’une telle revalorisation, qui ne prévoit plus de déductions fiscales pour les enfants mineurs à charge.
[29] Il précise cependant que les dispositions fiscales apportent une aide financière aux contribuables qui remplacent les prestations familiales, le crédit d’impôt non remboursable pour enfants à charge et la réduction d’impôt à l’égard de la famille.
[30] Le membre issu des associations syndicales est d’avis contraire. Il est d’opinion que l’interprétation faite par la CSST des dispositions de la loi a pour effet de changer le statut familial dont bénéficiaient les travailleurs aux fins de déterminer le montant de l’indemnité de remplacement du revenu auquel ils ont droit contrevenant ainsi aux dispositions de l’article 64 de la loi qui précise que la CSST doit considérer la situation familiale du travailleur telle qu’elle existait lorsque s’est manifestée la lésion professionnelle dont il a été victime.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[31] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si les revalorisations annuelles de l’indemnité de remplacement du revenu des travailleurs effectuées par la CSST sont conformes ou non aux dispositions de la loi.
[32] Aux fins de l’analyse de cette problématique, il y a lieu de regarder les dispositions législatives suivantes.
[33] Le travailleur incapable d’exercer son emploi a droit à une indemnité de remplacement du revenu :
44. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.
Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.
__________
1985, c. 6, a. 44.
[34] Le montant de cette indemnité est prévu à l’article 45 de la loi :
45. L'indemnité de remplacement du revenu est égale à 90 % du revenu net retenu que le travailleur tire annuellement de son emploi.
__________
1985, c. 6, a. 45.
[35] Pour transposer le revenu brut annuel d’emploi en revenu net retenu et ainsi calculer l’indemnité de remplacement du revenu, la CSST doit appliquer les dispositions de l’article 63 de la loi, lequel se lisait ainsi en 2005 :
63. Le revenu net retenu que le travailleur tire annuellement de son emploi est égal à son revenu brut annuel d'emploi moins le montant des déductions pondérées par tranches de revenus que la Commission détermine en fonction de la situation familiale du travailleur pour tenir compte de:
1° l'impôt sur le revenu payable en vertu de la Loi sur les impôts (chapitre I-3) et de la Loi de l'impôt sur le revenu (Lois révisées du Canada (1985), chapitre 1, 5e supplément);
2° la cotisation ouvrière payable en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi (Lois du Canada, 1996, chapitre 23); et
3° la cotisation payable par le travailleur en vertu de la Loi sur le régime de rentes du Québec (chapitre R-9).
La Commission publie chaque année à la Gazette officielle du Québec la table des indemnités de remplacement du revenu, qui prend effet le 1er janvier de l'année pour laquelle elle est faite.
Cette table indique des revenus bruts par tranches de 100 $, des situations familiales et les indemnités de remplacement du revenu correspondantes.
Lorsque le revenu brut d'un travailleur se situe entre deux tranches de revenus, son indemnité de remplacement du revenu est déterminée en fonction de la tranche supérieure.
___________
1985, c. 6, a. 63; 1993, c. 15, a. 88; 1997, c. 85, a. 3; 2001, c. 9, a. 124.
[36] Si, après la consolidation de la lésion, le travailleur demeure incapable d’exercer son emploi, mais devient capable d’exercer un emploi convenable, comme c’est le cas des travailleurs en l’espèce, le travailleur aura droit à une indemnité réduite :
49. Lorsqu'un travailleur incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle devient capable d'exercer à plein temps un emploi convenable, son indemnité de remplacement du revenu est réduite du revenu net retenu qu'il pourrait tirer de cet emploi convenable.
Cependant, si cet emploi convenable n'est pas disponible, ce travailleur a droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 jusqu'à ce qu'il occupe cet emploi ou jusqu'à ce qu'il le refuse sans raison valable, mais pendant au plus un an à compter de la date où il devient capable de l'exercer.
L'indemnité prévue par le deuxième alinéa est réduite de tout montant versé au travailleur, en raison de sa cessation d'emploi, en vertu d'une loi du Québec ou d'ailleurs, autre que la présente loi.
__________
1985, c. 6, a. 49.
[37] La façon de calculer le revenu que pourrait générer l’emploi convenable est prévue à l’article 50 de la loi:
50. Aux fins de déterminer le revenu net retenu que le travailleur pourrait tirer de l'emploi convenable qu'il devient capable d'exercer à plein temps, la Commission évalue le revenu brut annuel que le travailleur pourrait tirer de cet emploi en le situant dans une tranche de revenus et en considérant le revenu inférieur de cette tranche comme étant celui que le travailleur pourrait tirer de cet emploi convenable.
Cependant, si la Commission croit que le revenu brut annuel que le travailleur pourrait tirer de l'emploi convenable qu'il devient capable d'exercer à plein temps est supérieur au maximum annuel assurable établi en vertu de l'article 66, elle considère que ce revenu brut annuel est égal au maximum annuel assurable.
La Commission publie chaque année à la Gazette officielle du Québec la table des revenus bruts annuels d'emplois convenables, qui prend effet le 1er janvier de l'année pour laquelle elle est faite.
Cette table est faite par tranches de revenus dont la première est d'au plus 1 000 $ à partir du revenu brut annuel déterminé sur la base du salaire minimum en vigueur le 1er janvier de l'année pour laquelle la table est faite, la deuxième de 2 000 $ et les suivantes de 3 000 $ chacune jusqu'au maximum annuel assurable établi en vertu de l'article 66 pour cette année.
Le revenu supérieur de la première tranche de revenus est arrondi au plus bas 500 $.
__________
1985, c. 6, a. 50.
[38] Cette indemnité réduite peut être révisée par la CSST dans les circonstances prévues aux articles 54 et 55 de la loi.
[39] Dans tous les cas, lorsque le travailleur a droit à une indemnité de remplacement du revenu (complète ou réduite) pour plus d’un an, cette indemnité est revalorisée chaque année, à la date anniversaire de la lésion professionnelle :
117. Le montant du revenu brut annuel qui sert de base au calcul de l'indemnité de remplacement du revenu, y compris aux fins de l'article 101, et le montant du revenu brut annuel que la Commission évalue en vertu du premier alinéa de l'article 50 sont revalorisés chaque année à la date anniversaire du début de l'incapacité du travailleur d'exercer son emploi.
__________
1985, c. 6, a. 117.
[40] Cette revalorisation s’effectue en multipliant le montant revalorisé par le rapport entre l’indice des prix à la consommation de l’année courante et celui de l’année précédente (article 119 de la loi). Ce calcul est prévu aux articles 120 à 123 de la loi.
[41] Que ce soit lors de la révision de l’indemnité ou de la revalorisation de celle-ci, la CSST doit appliquer et retenir les tables des indemnités de remplacement du revenu et la situation familiale prévues par l’article 64 de la loi:
64. Lorsque la Commission révise une indemnité de remplacement du revenu, détermine un nouveau revenu brut en vertu de l'article 76 ou revalorise le revenu brut qui sert de base au calcul de cette indemnité, elle applique la table des indemnités de remplacement du revenu qui est alors en vigueur, mais en considérant la situation familiale du travailleur telle qu'elle existait lorsque s'est manifestée la lésion professionnelle dont il a été victime.
__________
1985, c. 6, a. 64.
[42] Le 27 avril 2007, un banc de trois commissaires rendait une décision regroupant deux dossiers dont les litiges sont similaires à ceux du présent dossier.
[43] Dans cette décision, les commissaires Boudreault, Mercure et Lemay[2] s’exprimaient ainsi :
[25] Selon les dispositions de la loi précitées, la CSST doit, pour effectuer son calcul, tenir compte :
1) du revenu brut annuel retenu lors de la lésion professionnelle ;
2) du revenu brut annuel retenu que pourrait rapporter l’emploi convenable, dans le cas de l’indemnité de remplacement du revenu réduite (art. 50) ;
3) de l’indice des prix à la consommation (art. 119) ;
4) de la situation familiale du travailleur au moment de la lésion professionnelle (art. 64).
[26] Comme toute forme d’indemnité de remplacement du revenu est égale à 90 % du revenu net retenu (art. 45), la CSST doit nécessairement calculer celle-ci selon l’article 63 de la loi. En effet, c’est le seul article de la loi qui prescrit comment ce calcul doit se faire et la CSST est tenue de respecter la méthode prévue.
[27] Les alinéas 2, 3 et 4 de cet article stipulent que la CSST publie chaque année une table des indemnités de remplacement du revenu, laquelle indique les revenus bruts par tranche de 100 $, les situations familiales et les indemnités de remplacement du revenu correspondantes (soit 90 % du revenu net retenu).
[28] Cette table, modifiée à chaque année, aura donc divers impacts selon les modifications législatives adoptées par les deux paliers de gouvernement : fédéral (Loi de l’impôt sur le revenu, Loi sur l’assurance-emploi) et provincial (Loi sur les impôts, Loi sur le régime de rentes et depuis janvier 2006, Loi sur l’assurance parentale).
[30] Il faut souligner d’autre part que ce revenu brut annuel d’emploi, qui est celui que le travailleur gagnait au moment de la lésion professionnelle, demeurera toujours le même, sous réserve de la revalorisation, peu importe les changements aux conditions de travail qui auraient pu le modifier si le travailleur avait continué d’occuper cet emploi.2
[31] Devant donc prendre en considération ces quatre éléments lors de la revalorisation, la CSST doit utiliser la méthode prévue à l’article 64 de la loi pour procéder au calcul. Cet article indique que la CSST doit appliquer la table des indemnités en vigueur au moment de la revalorisation, laquelle est adoptée par règlement et tient compte des modifications législatives effectuées par les gouvernements fédéral et provincial, et retenir la situation familiale du travailleur comme elle existait lorsque s’est manifestée la lésion professionnelle.
____________
2 Fortier et Hôpital St-Julien, [1991] C.A.L.P. 01; Cyr et Bombardier inc., [1993] C.A.L.P. 1545 ; Labrie et Multisodas inc., C.L.P. 88635-01-0705, 19 juin 1998, J.-G. Roy; Auclair et Déco signalisation inc., C.L.P. 205331-63-0304, 8 septembre 2003, J.-M. Charrette; Thériault et Provigo (Div. Maxi & Cie), C.L.P. 115392-63-9904, 28 novembre 2000, R.-M. Pelletier.
[33] Est-ce que la revalorisation du revenu brut qu’effectue chaque année la CSST en vertu des articles 117 et 119 de la loi, qui a amené la CSST à calculer à nouveau l’indemnité de remplacement du revenu en appliquant le Règlement sur la table des indemnités de remplacement du revenu pour l’année 2005[3] qui ne prévoit plus la situation familiale de « travailleur avec enfant mineur à charge », est contraire à l’article 64 qui exige que la CSST tienne compte d’une telle situation familiale?
[34] Pour répondre à cette question, il faut prendre en considération qu’en décembre 2004, le gouvernement provincial adoptait une nouvelle mesure fiscale de « Soutien aux enfants », laquelle remplace l’allocation familiale, la réduction d’impôt à l’égard des familles et le crédit d’impôt pour enfant à charge à compter du 1er janvier 2005[4]. Cette loi ne modifiant pas la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, la méthode de calcul du revenu net retenu demeure donc la même.
[35] Comme la CSST adopte par règlement chaque année une table des indemnités de remplacement du revenu, c’est donc en tenant compte de ces modifications fiscales de 2005 que le règlement fut adopté. Cette table indique, selon le statut familial des travailleurs et le nombre de personnes à charge, le montant de l’indemnité de remplacement du revenu[5] qui leur est payable selon leur revenu brut annuel. L’indemnité de remplacement du revenu tient donc compte des différentes lois fiscales et des différentes situations familiales énumérées.
[36] La nouveauté de cette table est que l’on n’y parle plus de personne à charge, comme c’était le cas depuis 1985, mais de personne majeure à charge. C’est donc dire que le revenu net obtenu pour établir le montant de l’indemnité de remplacement du revenu ne tient plus compte des enfants mineurs à charge déclarés par les travailleurs au moment où s’est manifestée la lésion professionnelle.
[37] Dans une décision rendue le 4 décembre 1987[6], la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles estime que l’expression « situation familiale du travailleur » que l’on retrouve à l’article 63 de la loi est indissociable des mots « pour tenir compte de l’impôt sur le revenu payable en vertu de la Loi sur les impôts et de la Loi concernant les impôts sur le revenu ».
[38] Ainsi, selon cette décision, les situations familiales énoncées au Règlement sur la table des indemnités de remplacement du revenu sont celles établies en fonction des personnes à la charge du travailleur au sens des lois fiscales.
[39] Si l’on applique ce raisonnement aux cas sous étude, à partir du moment où une personne ne peut plus être considérée comme étant une personne à charge au sens de ces lois, elle ne fait plus partie des situations familiales à prendre en considération dans le calcul de l’indemnité de remplacement du revenu. Formulé autrement, il faut comprendre que si la situation familiale de contribuable avec enfant mineur à charge n’existe plus en vertu des lois sur l’impôt, elle n’existe pas plus en vertu de la présente loi. Si la situation familiale ne donne plus aucun droit en vertu de la Loi sur l’impôt, elle n’en donne plus en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
[40] Cependant, cette situation familiale existe (contribuable avec enfant(s) mineur(s) à charge) et donne des droits en vertu d’une nouvelle loi, soit la loi qui introduit des mesures de soutien aux familles, en l’occurrence, une aide financière (le « paiement de Soutien aux enfants » - non imposable) à toutes les familles qui ont un enfant de moins de 18 ans à leur charge.
[41] Toutefois, dans les cas sous étude, on l’a vu, ces modifications législatives entraînent, vu les tables adoptées qui ne tiennent plus compte des enfants mineurs à charge, une baisse de l’indemnité de remplacement du revenu.
[42] Vu la définition du concept de revalorisation, cela peut surprendre puisqu’il semble qu’il ne peut être question que d’une augmentation de l’indemnité de remplacement du revenu et jamais d’une baisse[7]. En fait, ce principe est exact dans la mesure où c’est le revenu brut qui va être indexé, comme l’indique clairement l’article 117, donc augmenté. Ce n’est pas l’indemnité de remplacement du revenu qui doit être indexée. Mais comme ce revenu brut doit être traduit en revenu net pour établir l’indemnité de remplacement du revenu qui correspond à 90 % de ce revenu net (art. 45), il y a donc le nécessaire passage par les tables d’indemnités alors en vigueur et adoptées en conformité avec les déductions prévues par l’article 63.
[43] Il en est de même pour le revenu brut annuel estimé de l’emploi convenable, ce qui, par soustraction, donnera le montant de l’indemnité de remplacement du revenu réduite (art. 49). Cela explique pourquoi, comme en l’espèce, malgré l’indexation, l’indemnité diminue.
[44] Cela n’implique pas, de l’avis du tribunal, que ces nouvelles dispositions fiscales aient un effet rétroactif sur la situation familiale des travailleuses même si, en 1993 (ou 1996) et en 2005, dans le cas de madame Phillips, elle avait un enfant mineur à charge et que ses prestations ont été calculées, de 1990 à 2004, comme « célibataire avec une personne à charge » et en 2005, comme « célibataire sans personne majeure à charge ».
[45] En effet, la situation familiale est cristallisée dans le temps, peu importe ce qui arrive ensuite (ex : l’enfant devient majeur, le travailleur a d’autres enfants, en adopte, divorce, a un conjoint, etc.). En effectuant la revalorisation en 2005, il ne s’agissait pas de modifier la situation familiale de madame Philips ou de madame Richard, mais de l’actualiser en fonction des modifications apportées à d’autres lois, comme ce fut le cas d’ailleurs en 1994, lorsque furent introduites les situations de « conjoint à charge » et de « conjoint non à charge » que l’on ne retrouvait pas auparavant.
[46] Certes, à première vue, on peut penser que les situations familiales énumérées aux nouvelles tables depuis 2005 ne respectent pas la lettre de l’article 64, mais elles en respectent certainement l’esprit, puisque l’article 64 ne peut se lire seul, il faut inévitablement retourner à l’article 63.
[50] La Commission des lésions professionnelles estime donc que ce ne sont pas les situations familiales des travailleuses qui ont été modifiées en 2005, mais les lois fiscales qui ne leur donnent plus droit à certaines déductions et qui ont un effet sur le calcul de leur indemnité de remplacement du revenu. Elles sont toujours indemnisées sur la base d’un enfant mineur à charge ou, en d’autres termes, sans enfant majeur à charge, ce qui correspond à leur réalité respective au moment de la survenance de la lésion professionnelle.
[51] Les calculs effectués lors de la revalorisation annuelle sont donc conformes à la loi.
[44] Le présent tribunal partage les motifs énoncés par les commissaires Boudreault, Mercure et Lemay dans la décision précitée qui s’applique dans les présents dossiers.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Dossier 274695-05-0511
REJETTE la requête de madame Denise Vigneault, la travailleuse;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 29 septembre 2005 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le calcul de l’indemnité de remplacement du revenu effectué dans l’avis de paiement du 28 avril 2005 est conforme à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
Dossier 276126-05-0511
REJETTE la requête de monsieur Réal Ouellet, le travailleur;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 17 novembre 2005 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le calcul de l’indemnité de remplacement du revenu fait dans l’avis de paiement du 15 septembre 2005 est conforme à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
|
|
|
Me Denis Rivard |
|
Commissaire |
|
|
|
|
Me François Fisette |
|
Gérin, Leblanc & ass. |
|
Représentant des parties requérantes |
|
|
|
|
|
Me Isabelle Vachon |
|
Panneton Lessard |
|
Représentant de la partie intervenante |
|
|
|
|
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Richard, Phillips et Fils Spécialisés Cavalier inc. et C.H. rég. Lanaudière, Service santé 5C, C.L.P. 262882-05-0505 et 277688-05-0512, 27 avril 2007
[3] Règlement sur la table des indemnités de remplacement du revenu pour l’année 2005, (2004) 136, G.O. II, 5544.
[4] Loi donnant suite au discours sur le budget du 30 mars 2004 afin d’introduire des mesures de soutien aux familles ainsi qu’à certains autres énoncés budgétaires (projet de loi 70) L.Q. 2005, c. 1 et Loi sur les impôts, L.R.Q., c. I-3.
[5] 90 % du revenu net retenu pour 2005.
[6] Hôtel-Dieu de Rivière-du-Loup et Lafresnaye, [1987] C.A.L.P. 660 .
[7] Leblanc et Comptoir Emmaus Inc., 250361-31-0411, 28 février 2005, P. Simard.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.