Denis et Association des handicapés gaspésiens |
2014 QCCLP 126 |
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[1] Le 22 février 2012, madame Shirley Denis (la travailleuse) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles (le tribunal) par laquelle elle conteste une décision rendue conjointement par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) et la Société d’assurance automobile du Québec (la SAAQ) le 31 janvier 2012.
[2] Cette décision est rendue à la suite d’un avis émis par le membre du Bureau d'évaluation médicale, lequel découle de l’examen de la travailleuse réalisé le 15 décembre 2011. L’essentiel de cette décision apparaît dans les passages suivants :
La CSST, étant liée par cet avis, rend la décision suivante :
- Votre lésion a entraîné une atteinte permanente. Vous avez donc droit à une indemnité pour dommages corporels. Une décision sera rendue prochainement quant au pourcentage de votre atteinte permanente et à l’indemnité qui vous sera accordée.
- Compte tenu de la date de consolidation de votre lésion et de l’absence de limitations fonctionnelles, nous concluons que vous êtes capable d’exercer votre emploi depuis le 16 août 2011. Nous avions déjà cessé de vous verser des indemnités de remplacement du revenu le 7 janvier 2012.
[...]
Société de l’assurance automobile du Québec
Nous vous reportons à la décision conjointe de la SAAQ et CSST du 26 janvier 2012 en ce qui concerne votre capacité au travail consécutive à votre accident d’automobile.
[3] Une audience est tenue le 3 septembre 2013, à Rimouski, à laquelle assistent la travailleuse et sa représentante. La SAAQ est également représentée. Pour sa part, le procureur de la CSST a avisé le tribunal de son absence à l’audience avant sa tenue. L’Association des handicapés gaspésiens (l’employeur) est absente lors de l’audience et n’y est pas représentée.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La travailleuse demande au tribunal d’infirmer la partie de la décision visée par le présent litige et de conclure qu’il découle de sa lésion professionnelle des limitations fonctionnelles. De façon plus précise, la travailleuse demande que soient reconnues les limitations fonctionnelles énumérées par le docteur Claude Hudon à son expertise réalisée le 16 août 2011, de même que les deux ajoutées par le docteur Serge Landry dans sa lettre rédigée le 13 mars 2013. En conséquence, suivant l’octroi de ces limitations fonctionnelles, la travailleuse demande au tribunal de déclarer qu’elle n’a pas la capacité d’exercer son emploi.
[5] Par ailleurs, la travailleuse confirme ne pas avoir contesté la décision rendue conjointement par la SAAQ et la CSST du 26 janvier 2012, laquelle statuait sur sa capacité à reprendre son emploi au regard de sa lésion découlant de son accident d’automobile. Ainsi, elle ne prétend pas, en l’instance, que son accident d’automobile la rendrait incapable d’exercer son emploi.
L’AVIS DES MEMBRES
[6] Le membre issu des associations syndicales et celui issu des associations d’employeurs partagent le même avis selon lequel la requête de la travailleuse devrait être rejetée. Ils considèrent que l’avis du membre du Bureau d'évaluation médicale doit être maintenu et que la preuve prépondérante ne permet pas de conclure que la lésion professionnelle entraîne des limitations fonctionnelles. Ils croient que la condition de la travailleuse a évolué et que l’examen réalisé par le docteur Gagnon est corroboré par celui du docteur Hudon réalisé le 4 janvier 2012. En fait, les éléments sur lesquels ce dernier s’appuyait pour octroyer à la travailleuse des limitations fonctionnelles, lors de son évaluation en août 2011, ne sont nullement retrouvés à son examen du 4 janvier 2012.
[7] Les membres issus des associations concluent donc à l’absence de limitations fonctionnelles en lien avec la lésion professionnelle. Par ailleurs, ils estiment ne pas être saisis d’une question en lien avec la partie de la décision qui concerne la SAAQ.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[8] La travailleuse occupe un emploi d’animatrice chez l’employeur lorsqu’elle subit un accident du travail le 25 novembre 2010. Le diagnostic retenu à titre de lésion professionnelle est une contusion et un hématome au membre inférieur gauche. Le 6 janvier 2011, elle subit un accident d’automobile lui causant une entorse cervicale et lombaire sur une condition préexistante, une contusion de la paroi antérieure du thorax et une costochondrite.
[9] Le tribunal estime opportun de faire une brève mise en contexte. En fait, la décision en litige a déjà fait l’objet d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles portant sur un moyen préliminaire, le 1er février 2013[1]. Il est alors question de la validité du processus ayant mené à l’obtention d’un avis du membre du Bureau d'évaluation médicale afin de statuer sur la date de consolidation, l’évaluation de l’atteinte permanente ainsi que l’existence ou l’évaluation des limitations fonctionnelles en lien avec la lésion professionnelle survenue le 25 novembre 2010.
[10] Par cette décision, rendue le 1er février 2013, la Commission des lésions professionnelles conclut, en lien avec la date de consolidation et l’évaluation de l’atteinte permanente, qu’il n’existe pas d’opinions divergentes et qu’un avis auprès du membre du Bureau d'évaluation médicale n’est pas justifié pour ces questions. Le processus d’évaluation médicale et l’avis du membre du Bureau d'évaluation médicale sont déclarés irréguliers quant à ces questions.
[11] Ainsi, la Commission des lésions professionnelles conclut, à sa décision, que la lésion professionnelle de la travailleuse, survenue le 25 novembre 2010, est consolidée le 16 août 2011 et qu’elle entraîne une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique de la travailleuse de 24 %. Ce pourcentage d’atteinte permanente est constitué de 20 % pour préjudice esthétique et 4 % pour douleurs et perte de jouissance de la vie.
[12] Toutefois, il est conclu différemment quant à la validité du processus pour la question de l’existence ou l’évaluation des limitations fonctionnelles. La Commission des lésions professionnelles s’exprime ainsi au regard de cette question :
[52] Bref, c’est à bon droit et de manière tout à fait justifiée que le médecin-conseil de la CSST a communiqué avec le docteur Landry pour lui demander de soumettre des éclaircissements. Le docteur Landry n’ayant finalement pas donné suite à cette demande, la CSST pouvait soumettre sa contestation des limitations fonctionnelles au Bureau d’évaluation médicale. Car il demeurait un différend entre le médecin désigné par la CSST et le médecin ayant charge de la travailleuse sur cette question : le libellé des limitations fonctionnelles n’était pas le même dans les deux rapports. Cela s’ajoutait en outre à l’imprécision importante affectant les limitations rédigées par le docteur Landry.
[53] Dans ce contexte, le tribunal conclut donc à la validité du processus d’évaluation médicale ainsi qu’à la validité de l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale sur la question des limitations fonctionnelles. Ce moyen préliminaire soumis par la procureure de la travailleuse étant rejeté, les parties seront convoquées pour être entendues sur le fond du litige, soit la question de l’existence et de la nature des limitations fonctionnelles découlant le cas échéant de la lésion professionnelle subie par la travailleuse le 25 novembre 2010.
[...]
CONVOQUERA les parties pour être entendues sur le fond du litige en ce qui concerne l’existence et la nature des limitations fonctionnelles découlant de la lésion professionnelle.
[13] Cela explique la tenue de l’audience du 3 septembre 2013. En lien avec le présent litige, le tribunal doit essentiellement décider de l’existence, et le cas échéant, l’évaluation des limitations fonctionnelles en lien avec la lésion professionnelle survenue le 25 novembre 2010 et les conséquences qui en découlent. En effet, tenant compte des conclusions recherchées par la travailleuse, du dispositif de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 1er février 2013 et du fait que la décision rendue par la SAAQ le 26 janvier 2012 n’est pas contestée par la travailleuse, le présent tribunal estime que ce n’est qu’en lien avec la lésion professionnelle qu’il doit se prononcer.
[14] La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi) ne définit pas la notion de limitations fonctionnelles. Au cours de l’évolution de la jurisprudence au sein de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles et de la Commission des lésions professionnelles, certaines précisions et distinctions sont reprises comme celles exposées dans l’affaire Les ferrailleurs du Québec inc. et Lévesque Sweeney[3] :
[47] Il faut en outre distinguer les limitations fonctionnelles des séquelles fonctionnelles : ces dernières tiennent plutôt de l’atteinte permanente, en ce qu’elles décrivent une anomalie, une restriction ou une réduction de la fonction caractéristique d’un organe, d’une structure anatomique ou d’un système par rapport à ce qui est considéré normal au plan anatomique, physiologique ou psychique3. Ainsi, la limitation de la flexion ou de l’extension de la colonne lombaire constitue une telle restriction. La limitation fonctionnelle en découlant pourrait quant à elle, par exemple, consister dans le fait d’éviter les mouvements répétés de flexion et d’extension du rachis.
[48] En outre, la présence de séquelles fonctionnelles n’est pas toujours nécessaire à la reconnaissance de limitations fonctionnelles. Ainsi, il s’avère que les limitations fonctionnelles sont souvent, outre subjectives, de nature préventive4. Qu’il suffise de mentionner celles consistant à éviter l’exposition à certains contaminants, à éviter les vibrations de basse fréquence ou les contrecoups à la colonne vertébrale, à éviter de marcher sur un terrain accidenté ou glissant ou à éviter l’usage d’un véhicule tout-terrain. Ces limitations ne réfèrent pas directement à une incapacité du travailleur, mais plutôt à sa vulnérabilité découlant de sa lésion professionnelle.
[49] Ainsi, certaines limitations fonctionnelles s’imposent en raison d’une impossibilité, d’une incapacité physique du travailleur. Mais d’autres s’imposent en raison de la vulnérabilité, de la fragilité du travailleur à la suite de sa lésion professionnelle, pour éviter la manifestation ou l’augmentation de la douleur et le risque de récidive, rechute ou aggravation.
[50] Il est donc possible de reconnaître des limitations fonctionnelles dans un contexte de symptômes douloureux persistants, indépendamment de la présence de séquelles fonctionnelles. Par contre, dans ce dernier cas, l’ensemble des éléments médicaux et testimoniaux doit concorder, et la douleur doit, dans la mesure du possible, être objectivée médicalement et justifiée par plausibilité raisonnable, les allégations du travailleur devant notamment être fiables, cohérentes, concordantes et compatibles avec la pathologie dont il est affecté5.
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3 Voir notamment : Côté et C.S. Brooks Canada inc., [1993] C.A.L.P. 300; Richard et Fabspec inc., [1998] C.L.P. 1043
4 Voir notamment : Lacasse et Centre hospitalier Ste-Jeanne D’Arc, C.A.L.P. 22507-60-9010, 27 février 1992, M. Lamarre; Renaud et Groupe U.C.S., [1994] C.A.L.P. 219; White et Man Ashton inc., [1994] C.A.L.P. 508; Les Coffrages Industriels ltée et Couto, [1997] C.A.L.P. 1164; Entreprises agricoles et forestières de la péninsule inc. et Després, C.L.P. 162554-01B-0105, 19 août 2002, L. Desbois; Plomberie Pichette inc. et De Varennes, C.L.P. 263472-32-0506, 9 janvier 2006, G. Tardif; Compagnie A et M… G..., C.L.P. 370193-62-0902, 30 mars 2010, M. Auclair
5 Voir notamment : Plomberie Laroche inc. et Gagné, [2005] C.L.P. 446; Pavage CSF et Salvo, C.L.P. 278253-71-0512, 21 mars 2007, F. Juteau
[15] Afin de trancher le présent litige, il est approprié de faire un retour sur les différentes évaluations produites par les médecins qui ont examiné la travailleuse pour décider s’il découle des limitations fonctionnelles de sa lésion professionnelle et, le cas échéant, les identifier.
[16] Le 25 novembre 2010, la travailleuse tombe d’une échelle et s’inflige une contusion au membre inférieur gauche de même qu’un hématome. Le suivi médical est assuré par différents médecins en cours d’évolution, dont entre autres, le docteur Serge Landry, omnipraticien, lequel est identifié comme étant le médecin qui a charge de la travailleuse.
[17] En raison de l’infection de l’hématome, la travailleuse est dirigée en orthopédie. Le 6 décembre 2010, le docteur Jules Boivin, chirurgien orthopédiste, procède à une incision et un drainage de l’abcès à la jambe gauche sous anesthésie générale. Le 25 janvier 2011, le docteur Nault mentionne que la plaie n’est pas fermée mais qu’elle est belle. Le 17 février 2011, le docteur Jean Cournoyer, chirurgien orthopédiste, procède à une nouvelle incision et un drainage sous anesthésie locale, cette fois.
[18] Le 21 mars 2011, le docteur Nault rédige un rapport médical final consolidant la lésion à cette date. Il indique que la plaie est guérie et qu’il prévoit que la lésion entraînera une atteinte permanente. Il ne coche toutefois aucune case (oui ou non) pour la question des limitations fonctionnelles.
[19] Le 22 mars 2011, le docteur Landry rédige un rapport médical d'évolution indiquant que la travailleuse présente encore de la douleur à la marche. Selon lui, la lésion n’est pas consolidée. Le 3 mai 2011, répondant à une demande de la CSST sous la forme d’une information médicale complémentaire écrite, le docteur Landry indique que la travailleuse continue à ressentir une sensibilité à la palpation et à la flexion du genou, de même qu’une hypoesthésie. Il espère une amélioration dans les prochains mois.
[20] La travailleuse est examinée le 16 août 2011 par le docteur Claude Hudon, chirurgien orthopédiste et médecin désigné de la CSST. Il rapporte les plaintes subjectives de la travailleuse, notamment une douleur au niveau de la jambe gauche irradiant jusqu’au pied, sous forme de picotements, de brûlements, d’élancements, de sensation de pression et de tiraillement local, associée à des crampes du mollet gauche diurnes et nocturnes. La douleur est augmentée par la station debout et à la marche. La travailleuse considère pouvoir marcher durant 15 à 20 minutes, mais présente des difficultés sur un terrain accidenté ou glissant. Elle explique éprouver de la difficulté à demeurer debout, à emprunter les escaliers, à adopter une position à genoux et accroupie. La travailleuse exprime au docteur Hudon qu’elle ne peut ni sauter, ni courir et qu’elle présente une certaine difficulté à se relever de la position assise.
[21] À l’examen physique de la travailleuse, le docteur Hudon rapporte que la station debout unipodale et bipodale est stable, la démarche se fait avec une boiterie légère à modérée aux dépens du membre inférieur gauche. Elle peut marcher sur la pointe des pieds, sur les talons, mais éprouve de la difficulté à sautiller sur place, à adopter la position accroupie et à s’en relever. Il s’attarde longuement à décrire la cicatrice et note que la palpation de cette région est rapportée comme douloureuse. Au niveau de l’atteinte permanente, il octroie des pourcentages uniquement pour des préjudices esthétiques. Aucun déficit anatomophysiologique n’est octroyé. Quant aux limitations fonctionnelles, le docteur Hudon s’exprime ainsi :
EXISTENCE DE LIMITATIONS FONCTIONNELLES RÉSULTANT DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES
Compte tenu du diagnostic retenu de contusion et d’hématome de la jambe gauche, compte tenu que la lésion est consolidée,
compte tenu que l’examen objectif appuie les plaintes subjectives,
compte tenu de l’absence de condition personnelle au niveau des membres inférieurs,
la travailleuse présente des limitations fonctionnelles résultant des lésions professionnelles.
ÉVALUATION DES LIMITATIONS FONCTIONNELLES RÉSULTANT DE LA LÉSION PROFESSIONNELLE
La travailleuse présente des restrictions classe II de l’I.R.S.S.T. pour les membres inférieurs, à l’effet qu’elle doit éviter les activités qui impliquent de:
Ø Soulever, porter, pousser, tirer de façon répétitive ou fréquente des charges dépassant environ 15 kilos.
Ø Travailler en position accroupie.
Ø Rester debout plusieurs heures.
Ø Monter fréquemment plusieurs escaliers.
Ø Marcher en terrain accidenté ou glissant.
Ø Travailler dans une position instable (ex : échafaudages, échelles et escaliers).
[22] L’expertise du docteur Hudon est soumise au docteur Landry, lequel remplit son rapport complémentaire le 2 septembre 2011. Il mentionne ce qui suit en lien avec les limitations fonctionnelles :
Ne peut pousser tirer, porter charges ± lourdes
travailler accroupie et faire
travail demandant de prendre cette position
rester debout ± longtemps ou assis
monter [illisible] escalier
ou marcher ± longtemps ou sur
surface inégale, [illisible]
monter échelle, escabeau…… [sic]
[23] Le 31 octobre 2011, le médecin-conseil de la CSST demande au docteur Landry des précisions quant aux limitations fonctionnelles. Finalement, il ne répondra pas à cette demande. Considérant une divergence d’opinions entre les docteurs Hudon et Landry au chapitre des limitations fonctionnelles, un avis auprès du membre du Bureau d'évaluation médicale est alors requis. Ce processus est déclaré valide par la décision rendue le 1er février 2013 par la Commission des lésions professionnelles.
[24] Le docteur Serge Gagnon, orthopédiste et membre du Bureau d'évaluation médicale, examine la travailleuse le 15 décembre 2011. Au chapitre de l’état actuel, soit les plaintes subjectives de cette dernière, il rapporte qu’elle mentionne la persistance d’une impression de brûlure au niveau de sa jambe gauche avec irradiation jusqu’au pied. Elle lui relate une augmentation des symptômes lors de toutes activités et se dit très handicapée par cette douleur. Elle rapporte également un gonflement au niveau du pied.
[25] À l’examen objectif de la travailleuse, le docteur Gagnon note qu’elle mesure 5 pieds 4 pouces et pèse 224 livres. Il indique que son état général semble excellent, qu’elle se déplace et se mobilise de façon strictement normale lors de son entrée dans le bureau et pendant l’examen. Il note que la travailleuse circule très bien sur la pointe des pieds et sur les talons, mais elle lui dit que cela augmente beaucoup sa douleur. À l’examen en station debout, le docteur Gagnon indique qu’il n’y a absolument aucune déformation au niveau des deux membres inférieurs. Les réflexes rotuliens et achilléens sont égaux et symétriques. Le signe du tripode est strictement négatif. Aucune particularité à l’examen des chevilles et des pieds n’est notée et il précise l’absence de gonflement ou d’œdème.
[26] Le docteur Gagnon rapporte que l’inspection du membre inférieur gauche montre une légère plaque brunâtre au tiers moyen avec une très légère dépression, mais sans asymétrie importante au niveau des deux jambes. Il décrit la cicatrice chirurgicale et la considère bien guérie et non vicieuse. Il ajoute ce qui suit :
Il faut noter qu’il n’y [a] absolument aucune réaction inflammatoire au pourtour de ces cicatrices, aucun trouble de la sensibilité et la palpation profonde n’est que très peu douloureuse.
Le reste de l’examen orthopédique des deux membres inférieurs est tout à fait sans particularité. [sic]
[27] Au chapitre de sa discussion, le docteur Gagnon écrit entre autres :
Il s’agit donc en résumé d’une dame actuellement âgée de 40 ans qui le 25 novembre 2010, lors d’une chute s’est infligée une contusion avec hématome à la face antérieure de sa jambe gauche.
Elle a présenté une infection consécutive de l’hématome qui a nécessité deux drainages chirurgicaux.
Par la suite, il y a eu guérison complète de la plaie telle que documentée par le Dr Nault lors d’un rapport final du 23 mars 2011.
Nous notons à l’examen objectif aujourd’hui, une nette disproportion entre les signes objectifs et subjectifs. Il est très difficile d’expliquer médicalement la persistance d’une symptomatologie douloureuse aussi handicapante et nous ne retrouvons à l’examen objectif, aucun signe inflammatoire, aucun signe dysesthésique ni aucune pathologie articulaire périphérique.
Il faut noter que madame ne reçoit aucun traitement depuis longtemps et dit prendre uniquement une médication analgésique.
[...]
Limitations fonctionnelles
En tenant compte de l’examen objectif de ce jour où il ne persiste qu’un préjudice esthétique,
Je pense donc qu’il n’y a absolument aucune limitation fonctionnelle résultant de l’événement du 25 novembre 2010.
[28] Le docteur Hudon examine de nouveau la travailleuse le 4 janvier 2012. Cet examen est réalisé pour la SAAQ et en lien avec l’accident d’automobile survenu le 6 janvier 2011. Dans l’historique, il mentionne que la travailleuse a subi un accident du travail affectant sa jambe gauche.
[29] Au chapitre des plaintes subjectives, le docteur Hudon rapporte, entre autres, que la travailleuse se plaint de lombosacralgie centrale avec irradiation à la fesse droite, à la région postérieure de la cuisse jusqu’au mollet droit, sous forme d’élancement, de tiraillement et de spasme intermittents. Elle allègue qu’elle ne peut demeurer longtemps dans la même position et ne pouvoir manipuler de charge excédant 5 kilos. Elle se dit capable de circuler en automobile durant deux heures. Elle n’a pas d’engourdissement ni de faiblesse au niveau des membres inférieurs. Le docteur Hudon précise sa source de cette manière « CF feuille d’évaluation des problèmes à la colonne dorso-lombaire et aux membres inférieurs »[sic]. La travailleuse ajoute également qu’elle prend des analgésiques sur une base régulière aux quatre à six heures.
[30] Le docteur Hudon note à son examen physique que la travailleuse mesure 5 pieds et 4 pouces et pèse 224 livres. Elle n’a pas présenté de signe d’inconfort durant le questionnaire. Elle se déshabille et se rhabille sans difficulté.
[31] À l’examen des membres inférieurs, le docteur Hudon ne rapporte pas de déformation, d’atrophie musculaire ni d’inégalité de longueur. La démarche est normale et la station debout unipodale ainsi que bipodale est stable. Il indique que la travailleuse peut marcher sur la pointe des pieds, sur les talons, sautiller sur place, adopter la position accroupie et s’en relever.
[32] La sensibilité au toucher des membres inférieurs est normale dans les dermatomes de D12 à S1, sauf pour une zone d’hypoesthésie alléguée intéressant toute la jambe gauche, à partir de 5 cm du genou incluant la cheville et le pied gauches, ce qui ne correspond pas à un territoire anatomique. Le docteur Hudon note que la force musculaire segmentaire est adéquate et symétrique de D12 à S1. Les réflexes ostéotendineux, rotuliens et achilléens sont présents et égaux bilatéralement.
[33] Le 31 janvier 2012, la CSST rend sa décision conjointement avec la SAAQ à la suite de l’avis rendu par le membre du Bureau d'évaluation médicale. Ce dernier considère que la lésion professionnelle subie par la travailleuse le 25 novembre 2010 n’entraîne aucune limitations fonctionnelles. Conséquemment, puisque sa lésion est consolidée, la travailleuse est déclarée capable d’exercer son emploi depuis le 16 août 2011. Cette décision fait l’objet du présent litige.
[34] Enfin, avant de statuer sur la question en litige, il y a lieu de rapporter la lettre signée le 13 mars 2013 par le docteur Landry, laquelle est adressée à la représentante de la travailleuse et qui se lit ainsi :
Madame,
Pour faire suite à votre lettre du 25 février dernier, Madame Denis nous dit avoir une augmentation de la douleur au niveau de la plaie et au pourtour de celle-ci si marche environ 15 minutes à une demi-heure, peut aller à la cheville, ce qui la fait boiter.
La douleur augmente dans les escaliers, donc ne peut les utiliser plusieurs fois. La douleur diminue en position assise, mais aurait douleur lombaire augmentée debout et assise 15 minutes à une demi-heure en positions fixes.
La flexion du tronc telle passer le balai etc... exacerbe la douleur lombaire et à la hanche droite; donc la patiente ne peut travailler en position accroupie ou fléchie, ou rester en position fixe de 15 minutes à une demi-heure, ni marcher sur terrain inégal ou en position instable. Quant à la capacité de forcer, je vous réfère à l’expertise du Docteur Hudon, celui-ci étant habilité à détailler celle-ci. [sic]
[35] Le tribunal rappelle que le docteur Landry, médecin qui a charge de la travailleuse, est d’opinion que cette dernière conserve des limitations fonctionnelles de sa lésion professionnelle. Il les détaille dans son rapport complémentaire du 2 septembre 2011, mais elles sont jugées imprécises et divergentes de celles retenues par le docteur Hudon. La demande de précisions qui lui est acheminée par la CSST demeure sans réponse. Le 13 mars 2013, il fournit certaines précisions sous la forme d’une lettre adressée à la représentante de la travailleuse.
[36] À la lecture de cette lettre, le tribunal ne peut conclure que le docteur Landry la rédige après avoir revu la travailleuse. Ces précisions apportées sont-elles uniquement fondées sur ses notes ou sur les dires de la travailleuse? À quand remonte sa dernière rencontre avec la travailleuse? A-t-il été en mesure de comparer l’état de la travailleuse entre le 2 septembre 2011 et le 13 mars 2013? Peut-il objectiver médicalement des signes de la douleur alléguée par la travailleuse? Il est difficile pour le tribunal de considérer ce document comme prépondérant pour décider de la présence ou non de limitations fonctionnelles. D’autant plus que la nécessité d’obtenir un avis auprès du membre du Bureau d'évaluation médicale découle de son rapport complémentaire. Cela étant, restent l’opinion du docteur Hudon et l’avis du docteur Gagnon.
[37] L’analyse de la preuve prépondérante permet au tribunal de retenir l’avis du membre du Bureau d'évaluation médicale et de conclure qu’il ne découle aucune limitations fonctionnelles de la lésion professionnelle subie par la travailleuse le 25 novembre 2010.
[38] Tout d’abord, le tribunal souligne que seuls des préjudices esthétiques sont reconnus à titre d’atteinte permanente découlant de la lésion professionnelle. Certes, il est possible d’octroyer des limitations fonctionnelles dans un contexte de symptômes douloureux persistants, indépendamment de la présence de séquelles fonctionnelles, mais cette douleur doit être corroborée par les éléments au dossier et justifiée par sa plausibilité raisonnable. Les allégations de la travailleuse doivent être fiables, cohérentes, concordantes et compatibles avec la preuve prépondérante.
[39] En l’espèce, le tribunal est d’avis que les éléments au dossier ne permettent pas de conclure ainsi. Certes, lorsque le docteur Hudon examine la travailleuse le 16 août 2011, il note qu’elle présente une boiterie aux dépens du membre inférieur gauche, des difficultés à sautiller sur place ainsi qu’à adopter et à se relever de la position accroupie. Il indique également que la travailleuse « allègue » une zone d’hypoesthésie intéressant toute la jambe gauche jusqu’au pied.
[40] Pour sa part, le docteur Gagnon, membre du Bureau d'évaluation médicale, examine la travailleuse le 15 décembre 2011, soit près de quatre mois après l’expertise réalisée par le docteur Hudon. À ce moment, la travailleuse se déplace et se mobilise de façon strictement normale. Elle allègue, contrairement à l’examen du docteur Hudon réalisé au mois d’août 2011, que la démarche sur la pointe des pieds et des talons augmente de beaucoup sa douleur. Comme souligné par la représentante de la travailleuse, aucun élément ne permet de conclure que le test de sautillement est alors réalisé, mais le docteur Gagnon mentionne tout de même que le reste de l’examen orthopédique des deux membres inférieurs est tout à fait sans particularité.
[41] Le tribunal ne peut rejeter l’avis du membre du Bureau d'évaluation médicale uniquement sur la base de détails sans lien immédiat avec l’examen objectif réalisé. En effet, la représentante de la travailleuse souligne une erreur du docteur Gagnon quant à l’origine de l’expertise du docteur Hudon et sur le fait que la CSST lui ait demandé de corriger son bilan des séquelles. La valeur et la qualité de l’examen médical objectif réalisé par le docteur Gagnon ne sont aucunement remises en doute par ces éléments.
[42] En outre, le tribunal souligne que le docteur Gagnon rapporte une nette disproportion entre les signes objectifs et subjectifs. Il précise même qu’il lui est très difficile d’expliquer médicalement la persistance d’une symptomatologie douloureuse aussi handicapante car il ne retrouve, à son examen objectif, aucun signe inflammatoire, aucun signe dysesthésique ni aucune pathologie articulaire périphérique. Il précise également que la travailleuse ne présente aucun trouble de la sensibilité au pourtour des cicatrices et que la palpation profonde n’est que très peu douloureuse.
[43] Enfin, le tribunal est d’avis qu’il y a lieu de tenir compte que le docteur Hudon examine la travailleuse de nouveau le 4 janvier 2012, donc de façon contemporaine à l’examen du docteur Gagnon. Cette évaluation est réalisée dans le cadre du dossier SAAQ de la travailleuse et dirigée en fonction des lésions qui en découlent, mais l’examen objectif des membres inférieurs demeure essentiellement le même. En effet, les épreuves physiques de la marche sur la pointe des pieds, sur les talons, le sautillement, la possibilité de prendre et de se relever de la position accroupie, sont les mêmes que ce soit pour évaluer la condition lombaire ou pour évaluer les membres inférieurs. Or, l’examen du docteur Hudon réalisé le 4 janvier 2012 est tout à fait révélateur.
[44] En effet, le docteur Hudon note à cette date, que la station debout unipodale et bipodale est stable et que la démarche est normale. La travailleuse n’accuse donc plus la boiterie qu’il observait en août 2011. Ensuite, il indique que celle-ci peut marcher sur la pointe des pieds, sur les talons, sautiller sur place, adopter la position accroupie et s’en relever. Encore là, il ne retrouve aucun élément sur lequel il s’appuyait pour octroyer à la travailleuse des limitations fonctionnelles dans le cadre de sa lésion professionnelle. Il rapporte encore que la travailleuse « allègue » une zone d’hypoesthésie intéressant toute la jambe gauche jusqu’au pied, mais aucun élément ne permet de l’objectiver.
[45] Force est de constater que l’examen des membres inférieurs de la travailleuse réalisé par le docteur Hudon, le 4 janvier 2012 est superposable à celui du docteur Gagnon, membre du Bureau d'évaluation médicale et corrobore ses conclusions. Ceci étant, le tribunal est d’avis que la preuve médicale prépondérante ne supporte pas l’octroie de limitations fonctionnelles en lien avec la lésion professionnelle subie par la travailleuse le 25 novembre 2010.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de madame Shirley Denis, la travailleuse;
CONFIRME la décision rendue conjointement par la Commission de la santé et de la sécurité du travail et la Société d’assurance-automobile du Québec le 31 janvier 2012;
DÉCLARE qu’aucune limitations fonctionnelles ne découle de la lésion professionnelle subie par la travailleuse le 25 novembre 2010;
DÉCLARE en conséquence que la travailleuse est capable d’exercer son emploi depuis le 16 août 2011.
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Louise Guay |
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Me Corinne Lestage |
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MICHAUD, JONCAS, BOUSQUET & ASS. |
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Représentante de la partie requérante |
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Me Gaétan Gauthier |
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VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON |
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Représentant de la partie intervenante |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.