Droit de la famille — 20639 |
2020 QCCS 1460 |
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COUR SUPÉRIEURE |
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(Chambre de la famille) |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
BEDFORD |
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N° : |
460-04-006165-193 |
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DATE : |
7 mai 2020 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
CLAUDE VILLENEUVE, J.C.S. |
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I… D… |
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Demanderesse |
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c. |
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F… F… |
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Défendeur |
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JUGEMENT |
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[1] Les parties exercent la garde partagée de leurs enfants X (8 ans) et Y (7 ans)[1].
[2] Depuis l’annonce du Gouvernement du Québec, en date du 27 avril dernier, de rouvrir, sur une base facultative, les écoles primaires à compter du 11 mai 2020, les parties diffèrent d’opinion au sujet de l’opportunité de retourner les enfants à l’école dans le contexte de la pandémie liée à l’éclosion de la Covid-19.
[3] En effet, Monsieur doit recommencer à se rendre sur les lieux de son travail avec la reprise partielle des activités économiques et il souhaite que les enfants retournent à l’école, d’autant plus que ceux-ci sont en situation d’échec scolaire.
[4] À l’inverse, Madame ne travaille pas et elle veut garder les enfants à la maison pour éviter toute contamination potentielle au virus en raison de sa condition de santé personnelle précaire. Elle s’engage à donner aux enfants un suivi éducatif à domicile et, si Monsieur ne peut en faire autant, elle offre même d’exercer la garde des enfants à temps plein[2].
[5] Dans le contexte particulier de la présente affaire, la position de Monsieur est retenue et les enfants retourneront à l’école dès le 11 mai 2020, à moins de nouvelles directives gouvernementales à l’effet contraire.
[6] Voici pourquoi.
[7] Premièrement, il n’appartient pas aux tribunaux, mais plutôt aux autorités gouvernementales compétentes, d’évaluer les risques potentiels de contamination de la population en situation de pandémie et de prendre les mesures qui s’imposent pour limiter la propagation d’un virus.
[8] L’adoption des nombreux arrêtés ministériels récents démontre que le gouvernement prend les mesures qui s’imposent au fur et à mesure de l’évolution de la situation[3].
[9] Lorsque le gouvernement décide de lever partiellement les mesures de confinement liées à la Covid-19 afin de permettre, entre autres, la reprise des activités académiques au niveau primaire, il n’y a pas lieu pour le Tribunal de remettre en question cette décision, à moins que l’une ou l’autre des parties démontre, par une preuve prépondérante, qu’il serait contraire aux intérêts particuliers de leurs enfants de recommencer à fréquenter l’école, en raison, par exemple, de leur état de santé.
[10] Cette preuve n’a pas été faite.
[11] Deuxièmement, il convient de rappeler que les décisions concernant un enfant doivent être prises dans son intérêt et le respect de ses droits (article 33 C.c.Q.), et non dans le seul intérêt de ses parents.
[12] Or, en vertu des articles 1 et 14 de la Loi sur l’instruction publique[4], chaque enfant qui réside au Québec a non seulement le droit de recevoir des services éducatifs[5], mais il a aussi l’obligation de fréquenter une école[6], et ce, à compter du premier jour du calendrier scolaire de l’année scolaire suivant celle où il a atteint l’âge de 6 ans jusqu’au dernier jour du calendrier scolaire de l’année scolaire au cours de laquelle il atteint l’âge de 16 ans[7].
[13] De leur côté, les parents doivent prendre les moyens nécessaires pour que leur enfant remplisse son obligation de fréquentation scolaire[8]. Ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles qu’un enfant sera dispensé de cette obligation[9].
[14] La pandémie liée à l’éclosion de la Covid-19 constitue certainement une situation extraordinaire menant à des mesures exceptionnelles.
[15] Mais il ne s’agit que de mesures temporaires qui n’ont pas pour effet de modifier les dispositions de la Loi sur l’instruction publique.
[16] Il est exact que le gouvernement a décrété que le retour en classe à compter du 11 mai 2020 n’était pas « obligatoire ». Cependant, cela n’enlève pas pour autant aux enfants leur droit de recevoir des services éducatifs.
[17] Quand les deux parents jugent, d’un commun accord[10], qu’il est plus approprié pour leur enfant de poursuivre sa scolarisation à la maison (tout en bénéficiant d’un encadrement pédagogique à distance), ils doivent prendre les moyens qui s’imposent pour y parvenir.
[18] Si un des parents ne peut, dans un contexte de garde partagée, offrir à son enfant un enseignement à domicile pour des motifs acceptables et raisonnables, il n’y a pas lieu de priver l’enfant de son droit de fréquenter son école lorsqu’il lui est possible de le faire.
[19] Par ailleurs, il faut éviter de changer les modalités de la garde à moins que la situation des enfants et des parties commande un tel changement, ce qui n’est pas le cas dans la présente affaire parce que les enfants évoluent bien, de façon générale, en garde partagée.
[20] Troisièmement, dans le contexte où les parties reconnaissent que les deux enfants ont des difficultés d’apprentissage, il serait même contraire à leur intérêt respectif de ne pas fréquenter l’école jusqu’en septembre prochain.
[21] D’ailleurs, le communiqué de presse déposé par Madame (pièce P-8) précise ce qui suit : « (…) Les élèves qui présentent des retards ou des difficultés d’apprentissage sont toutefois fortement encouragés à effectuer un retour en classe dès que possible afin de pouvoir bénéficier d’un soutien pédagogique optimal ».
[22] Si les enfants étaient déjà en situation d’échec avant la pandémie, et ce, en dépit des plans d’intervention scolaires mis en place par l’école, le Tribunal ne voit pas comment l’enseignement que Madame leur donnerait à domicile pourrait leur venir en aide, surtout qu’elle n’a pas de formation en enseignement.
[23] Quatrièmement, il est peu probable que la situation qui prévaut actuellement soit très différente en septembre prochain.
[24] Dès lors, bien que la façon d’enseigner avec des mesures de distanciation sociale puisse fort probablement être très différente de ce qui se faisait avant, il n’y a pas de raison de ne pas faire confiance au personnel enseignant et aux institutions scolaires.
[25] Enfin, les réticences exprimées par certains membres du personnel enseignant face à la situation, bien que compréhensibles, ne doivent pas miner les efforts déployés par le gouvernement ni la volonté de la population de reprendre un cours de vie normale en dépit du contexte.
[26] ORDONNE que les enfants X et Y recommencent à fréquenter l’École A à compter du 11 mai 2020, à moins de nouvelles directives gouvernementales à l’effet contraire;
[27] Sans frais de justice.
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__________________________________CLAUDE VILLENEUVE, j.c.s. |
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Me Carl Dessaints |
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(Me Carl Dessaints Avocat inc.) |
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Avocat de la demanderesse |
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Me Robert Jodoin |
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(Jodoin & Associés Avocats) |
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Avocat du défendeur |
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Date d’audience : |
6 mai 2020 |
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[1] À compter du 12 avril 2019, la garde était partagée du vendredi au vendredi. La séquence est cependant la suivante depuis le 11 octobre 2019 : lundi et mardi avec la demanderesse; mercredi et jeudi avec le défendeur et une fin de semaine sur deux, du vendredi au dimanche, en alternance entre les parties.
[2] Lors de l’instruction, il sera précisé que l’état de santé de Madame n’est pas un empêchement à la garde partagée même si le milieu de vie paternel est plus à risque de contracter le coronavirus.
[3] La reprise des contacts avec les personnes âgées est même autorisée, sous certaines conditions, avec l’Arrêté numéro 2020-032 de la ministre de la Santé et des Services sociaux en date du 5 mai 2020.
[4] Loi sur l'instruction publique, RLRQ c I-13.3 (la « L.I.P. »).
[5] Art. 1 de la L.I.P.
[6] Art. 14 de la L.I.P.
[7] À moins que l’enfant obtienne avant l’âge de 16 ans un diplôme décerné par le ministre.
[8] Art. 17 de la L.I.P.
[9] Par exemple, dans les cas énoncés à l’art. 15 de la L.I.P.
[10] En cas de désaccord, il appartient au Tribunal de statuer dans l’intérêt de l’enfant (article 604 C.c.Q.).
AVIS :
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