Décision

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Bosnière c. Arbour

2022 QCCQ 8972

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

TERREBONNE

LOCALITÉ DE

SAINT-JÉRÔME

« Chambre civile »

 :

700-22-042664-200

 

DATE :

15 novembre 2022

 

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

CHANTALE BEAUDIN, J.C.Q.

 

 

 

CORRINE ADELINE BOSNIÈRE

- et -

RÉAL VÉZINA

Demandeurs/défendeurs reconventionnels

c.

LOUISE ARBOUR

- et -

NORMAND BEAULIEU

Défendeurs/demandeurs reconventionnels

 

 

 

JUGEMENT

 

 

[1]                Les demandeurs soutiennent que la maison acquise des défendeurs au prix de 580 000 $ est affectée de vices cachés. Ils réclament une diminution du prix de vente de 35 800,77 $ et 5 000 $ pour troubles, inconvénients et perte de jouissance.

[2]                Essentiellement, les demandeurs allèguent la découverte d’une infiltration d’eau par la toiture du garage, la dégradation prématurée du revêtement d’agrégat à l’avant de la maison de même que la détérioration prématurée du plancher en pierre de travertin de la cuisine et de la salle à manger.

[3]                Les défendeurs contestent la demande. Ils soutiennent que l’infiltration d’eau par la toiture du garage et la dégradation du revêtement d’agrégat est clairement dénoncée dans leur rapport d’inspection préachat. C’est donc en toute connaissance de cause qu'ils achètent l’immeuble. Si vice il y a, il est donc apparent.

[4]                Quant au plancher en pierre de travertin, celui-ci est en parfait état lors de la vente. Si dégradation il y a, elle résulte des multiples travaux de construction effectués dans la cuisine par les demandeurs, d'un nettoyage inadéquat et d'une absence d’entretien suivant les premiers désordres constatés.

[5]                Estimant que la demande est abusive, les défendeurs se portent demandeurs reconventionnels et réclament le remboursement des honoraires professionnels et des débours engagés pour se défendre, soit la somme de 20 000 $ à parfaire et 5 000 $ à titre de dommages-intérêts non pécuniaires[1].

[6]                Afin de trancher le présent litige, le Tribunal devra répondre aux questions suivantes :

  1. Les demandeurs ont-ils démontré que l’immeuble est affecté de vices cachés au moment de la vente ?
  2. Dans l'affirmative, quelle est la valeur de l'indemnité à laquelle les demandeurs ont droit ?
  3. Le recours des demandeurs est-il abusif et dans l’affirmative, à quelle compensation les défendeurs ont-ils droit ?

Analyse

[7]                Le vice est tout fait ou ensemble de faits qui entraine un déficit d’usage qui rend le bien impropre à l’usage auquel on le destine ou en diminue tellement l’utilité que l’acheteur ne l’aurait pas acheté au prix convenu. Toutefois, le terme « vice » exclut la détérioration physique résultant du passage du temps, de la durée de vie utile et de la vétusté du bien[2].

[8]                En matière de garantie légale de qualité, l’article 1726 du Code civil du Québec C.c.Q. ») impose au vendeur de garantir le bien qu’il vend contre les vices rendant ce bien ou ses accessoires impropres à leur usage.

[9]                Pour déterminer si cette garantie trouve application dans la présente affaire, il y a lieu d'examiner sommairement les principes qui la caractérisent de même que les conditions pour sa mise en œuvre.

[10]           Pour que soit acceptée une réclamation en diminution du prix de vente comme conséquence d'un vice, les quatre critères cumulatifs prévus à l’article 1726 C.c.Q. doivent être présents[3], à savoir :

  1. Le vice doit posséder une certaine gravité

[11]           Pour réussir, la preuve doit démontrer l’existence d’un vice d’une certaine gravité et qui nuit, en tout ou en partie, à l’usage de la chose vendue[4]. En effet, il n’est pas nécessaire que le vice empêche toute utilisation du bien, il suffit qu’il en réduise l’utilité.

[12]           Cependant est écarté le vice mineur ou de peu d'importance qui n'aurait pas empêché un acheteur raisonnable d'acquérir le bien ou n'aurait pas entrainé une réduction significative du prix convenu[5].

[13]           Afin d’apprécier la gravité du vice, le Tribunal peut notamment tenir compte du coût des travaux de réparation, de l’importance des inconvénients subis par l’acheteur, de la diminution de la valeur du bien et du temps que l’acheteur prend pour le faire réparer[6].

  1. Le vice doit être antérieur à la vente

[14]           La preuve doit également démontrer que le vice est présent au moment où l’acheteur acquiert le bien[7]. Cela inclut le vice qui existe à l'état latent ou « en germe » lors de la vente, mais dont la manifestation ne survient qu'après celle-ci.

[15]           Ainsi, est donc exclu le vice qui prend naissance après la vente et dont seul l’acheteur assume le risque ou le vice causé par un mauvais usage.

  1. Le vice doit être inconnu de l’acheteur

[16]           La connaissance du vice pour l’acheteur s’évalue en fonction d’une norme subjective[8]. Aucune présomption de connaissance ne pèse sur l’acheteur, qui est toujours présumé de bonne foi. Ainsi, le fardeau de prouver la connaissance réelle du vice repose donc sur le vendeur[9].

[17]           À cet égard, si la preuve démontre que l’acheteur est informé de l'existence d'un vice avant la vente, ce vice ne peut pas être « caché ». C'est le cas notamment où le vendeur, l'agent d'immeuble, un tiers, les documents contractuels, la fiche descriptive de l'immeuble ou le rapport d'inspection préachat dénoncent l'existence d'un vice quelconque[10].

  1. Le vice doit être caché  occulte »)

[18]           Le caractère caché du vice s'apprécie selon une norme objective, c'est-à-dire en évaluant l'examen fait par l'acheteur en fonction de celui qu'aurait fait un acheteur prudent et diligent de même compétence. On cherche donc à déterminer si un acheteur raisonnable placé dans les mêmes circonstances aurait constaté le vice[11].

[19]           Ainsi, le vice qui aurait pu être constaté par un acheteur consciencieux sera considéré comme apparent. Un vice n'est donc pas « caché » du seul fait que l'acheteur ne l'a pas aperçu ou n'en a pas apprécié la gravité.

[20]           La détermination de ce qui est « caché » ou « apparent » est particulière à chaque cas.

[21]           Ainsi, le Tribunal prend notamment en considération le statut spécialisé, ou non, du vendeur et de l’acheteur[12], la nature du bien acheté[13], son âge[14], le prix payé[15], la nature du vice, le comportement des parties et tout autre élément qui particularise le litige[16].

[22]           Devant la connaissance d'indice suggérant qu'il existe un ou des problèmes dans le bien convoité, un acheteur ne peut pas rester passif. Il doit se renseigner sur la cause des problèmes avant d'acheter au risque de voir son recours rejeté.

[23]           À ce sujet, dans St-Louis c. Morin[17], la Cour d'appel nous enseigne que lorsque qu'un bien présente un indice permettant de soupçonner l’existence d’un potentiel vice, l’acheteur prudent et diligent, qu’il ait fait appel ou non à un expert, doit vérifier ou faire inspecter de façon plus approfondie. S’il ne le fait pas et qu’un vice est mis à jour, la conclusion que le vice n’est pas caché s’imposera.

[24]           En 2016, dans Leroux c. Gravano[18], la Cour d’appel réitère l’impact d’un indice matériel suffisant et positif qui soulève des soupçons et qui requiert de l’acheteur de pousser son examen.

[25]           En effet, pour demeurer prudent et diligent, l'acheteur qui fait appel à un expert doit suivre les recommandations et les mises en garde qui lui sont adressées sinon on ne peut plus parler de prudence et diligence[19].

[26]           Cependant, la jurisprudence a aussi établi qu'un vice révélé par des indices ou des informations reçues peut quand même être considéré comme un vice « caché » si le vendeur fournit, même de bonne foi, des informations fausses ou inexactes qui sont de nature à créer chez l'acheteur un sentiment de fausse sécurité[20].

Conditions de mise en œuvre : dénonciation du vice et mise en demeure

[27]           L'article 1739 C.c.Q. exige que l'acheteur qui constate un vice le dénonce par écrit au vendeur dans un délai raisonnable depuis sa découverte. L’exigence de transmission de cet avis vise à prévenir l’insécurité contractuelle de la vente due à la protection conférée par la garantie de qualité.

[28]           Conséquemment, la dénonciation est une condition de fond de l'exercice du droit à la garantie[21].

[29]           La conséquence juridique de l’omission de dénonciation varie selon la constatation ou non d’un préjudice réel du vendeur découlant de cette omission et de la gravité d’un tel préjudice[22]. Lorsque le préjudice réel constaté est grave, cela justifie le rejet du recours. Le fait de priver le vendeur de vérifier l’existence et l’ampleur du vice et la possibilité de le réparer est grave. Si le préjudice réel est mineur, cela peut justifier une réduction du montant pouvant être réclamé par l’acheteur pour les travaux correctifs.

[30]           À défaut de transmettre cette dénonciation, l’acheteur devra établir les circonstances qui constituent une exception à cette règle. Enfin, le défaut de transmettre la dénonciation sans circonstances particulières peut entrainer le rejet de l’action si le vendeur établit qu’il a subi un préjudice réel et grave de ce défaut[23].

[31]           Quant au délai de transmission, dans le cas d’un vice qui apparait de manière progressive, le délai court à partir du jour où l’acheteur a pu en soupçonner la gravité et l’étendue[24]. En matière de bien durable, les tribunaux considèrent généralement qu’un délai de six mois de la découverte du vice constitue un délai raisonnable[25].

[32]           Une mise en demeure[26] doit aussi être transmise afin d’informer le vendeur du manquement à son obligation et lui fournir l’occasion d’y remédier[27].

[33]           Cependant, la mise en demeure ne sera pas nécessaire si le vendeur a répudié sa responsabilité à l’égard du vice ou s'il y a urgence[28].

Le fardeau de la preuve

[34]           L’article 2803 C.c.Q. pose comme principe que celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention. Selon l’article 2804 C.c.Q., le fardeau de preuve qui incombe à la personne qui réclame est celui de la balance des probabilités.

[35]           Ainsi, pour conclure à la responsabilité des défendeurs en vertu de cette garantie, il revient aux demandeurs de prouver, selon la règle de la prépondérance, les quatre éléments constitutifs de la garantie et le respect des conditions de sa mise en œuvre.

[36]           La preuve en demande doit être claire et convaincante afin de satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités[29].

[37]           Puisque les défendeurs soulèvent la connaissance du vice par les demandeurs, ils doivent en faire la preuve.

[38]           Comme ils se portent demandeurs reconventionnels, les défendeurs doivent faire sommairement la preuve que les demandeurs ont abusé de leur droit d'ester en justice conformément à l'article 51 du Code de procédure civile C.p.c. »). S'ils réussissent, il revient aux demandeurs de démontrer que leur geste n'est pas exercé de manière excessive ou déraisonnable et qu’il se justifie en droit.

[39]           Les défendeurs doivent également faire la preuve de leur préjudice.

  1. Les demandeurs ont-ils démontré que l’immeuble est affecté de vices cachés au moment de la vente ?

[40]           Sans reprendre l’ensemble des témoignages et des faits mis en preuve lors de l’instruction, il y a lieu de revoir les éléments les plus pertinents retenus par le Tribunal.

[41]           Le 18 juin 2018, les demandeurs achètent des défendeurs une maison construite en 1992 pour le prix de 580 000 $ avec la garantie légale de qualité[30].

[42]           La preuve démontre qu’avant d’acheter, les demandeurs visitent à plus d'une reprise la maison, ils prennent connaissance de la déclaration du vendeur et ils procèdent à une inspection préachat[31].

[43]           Les demandeurs prennent possession de la maison le 22 juin 2018, mais n’y emménagent qu’à la fin juillet 2018.

[44]           Dès la prise de possession, les demandeurs relatent qu’ils remarquent des signes de dégradation du revêtement du plancher de la cuisine et de la salle à manger, mais n’en informent pas les défendeurs.

[45]           La preuve révèle qu’au courant de l'hiver 2018-2019, alors que Mme Bosnière déneige près de la porte d'entrée principale, elle constate la présence d'agrégat qui se détache au bas du mur. Au mois de mars 2019, elle remarque un renflement du revêtement de l’agrégat au même endroit où l’agrégat se détachait, puis sa perforation. Les demandeurs n'informent pas les défendeurs. D’abord, ils bouchent le trou avec du plastique et par la suite, avec du béton[32].

[46]           À la fin février 2019, Mme Bosnière remarque que le plâtre au bas d’un mur du garage est noirci et humide. Les demandeurs font appel à un expert, soit l’ingénieur Éric Nadon, lequel visite les lieux une première fois le 18 avril 2020. Après investigation, M. Nadon les informe notamment de la présence d’une infiltration d’eau active par le toit du garage.

[47]           C’est ainsi que le 13 mai 2019, les demandeurs dénoncent par écrit la présence d’une infiltration d’eau par le toit du garage et l’état du revêtement du plancher[33].

[48]           Ils soutiennent alors que les vices suivants affectent la maison :

  1. Infiltrations d’eau par la toiture du garage;
  2. Dégradation prématurée du plancher de la cuisine et de la salle à manger.

[49]           Moins de deux semaines après la réception de la dénonciation, les défendeurs demandent à M. Daniel Sincerny, inspecteur en bâtiment, de se rendre sur les lieux afin de constater l’état du plancher et l’infiltration d’eau par la toiture du garage.

[50]           Ce n'est que le 16 août 2019 que M. Nadon est appelé à se rendre une seconde fois sur les lieux afin d'examiner « un dommage ponctuel au niveau du revêtement d'agrégat (stucco) près de la porte d'entrée principale ».

[51]           Le 18 septembre 2019, par l’entremise de leur avocat, les demandeurs dénoncent que « au courant de l’été 2019 », ils constatent une dégradation importante du revêtement d’agrégat causée par la configuration des gouttières et l’accumulation de neige[34]. Or, le témoignage des demandeurs révèle pourtant que ce constat survient en mars 2019 et non « au courant de l'été ».

[52]           La preuve démontre que la déclaration du vendeur[35] ne donne aucun signe annonciateur d’un quelconque problème à la toiture du garage, au revêtement d’agrégat ou au plancher de la cuisine et de la salle à manger.

[53]           Cela dit, le Tribunal analysera chacun des vices soulevés par les demandeurs à la lumière des principes applicables.

Infiltration d’eau par la toiture du garage et dégradation de l’agrégat

     La découverte

[54]           Dès la prise de possession, les demandeurs exécutent des travaux dans le garage. M. Vézina relate qu'ils y font appliquer un revêtement de plancher en époxy. Il ajoute que des fissures dans le bas d’un mur sont bouchées et une couche de peinture est appliquée.

[55]           Or, dès le printemps suivant, Mme Bosnière constate que le plâtre du bas d'un mur du garage est noirci. Ils font appel à un expert, soit l’ingénieur Éric Nadon, lequel visite les lieux une première fois le 18 avril 2020.

[56]           Selon M. Nadon, l’étanchéité de la jonction du toit du garage et du mur du bâtiment principal est à l’origine des cernes d’humidité constatés par les demandeurs. Les cernes résultent de la présence d’eau qui s'infiltre dans le mur.

[57]           M. Nadon explique qu'il vérifie le comble de la toiture du garage. Il constate la présence de plusieurs cernes d’humidité au coin avant droit du toit à la jonction avec le bâtiment principal. Il en recherche donc la cause.

[58]           Muni d’une simple échelle, M. Nadon inspecte visuellement la toiture à l’endroit où se sont manifestés les cernes d’humidité. Il constate que du scellant dans la partie inférieure de la toiture du garage est manquant et qu’il y voit un jour entre certains solins métalliques. Un test d’arrosage ciblé lui permet de recréer momentanément une infiltration d’eau dans le mur du garage[36].

[59]           Pour remédier à la situation, il recommande des travaux visant à assurer l’étanchéité de la jonction du toit du garage avec le bâtiment principal en corrigeant les solins et en calfeutrant adéquatement les différentes jonctions.

[60]           Puis, lors de sa visite du 16 août 2019, M. Nadon constate la présence d'un dommage au revêtement d'agrégat à proximité de la porte d'entrée principale. Ce dommage est localisé en ligne directe sous la gouttière dont l'eau n'est pas évacuée par une descente pluviale.

[61]           Il pratique une ouverture exploratoire de l'intérieur dans la salle d'eau et constate que le contreplaqué en copeau est affecté par l'humidité puisque noirci à sa base. Il y constate également la présence d'un trou et d’une accumulation de ce qui semble être des croquettes pour animal.

[62]           M. Nadon constate également quelques cernes d'humidité au pontage sous la salle d'eau, à l'endroit même où se trouve le dommage à l'agrégat.

[63]           Selon les demandeurs, il s’agit de vices cachés. Qu'en est-il ?

[64]           Les demandeurs n’ont pas fait entendre leur inspecteur préachat, mais ils ont produit son rapport[37]. À la lecture de ce rapport, on y apprend que l’inspecteur utilise un code de couleurs afin d’en faciliter la lecture et de permettre au lecteur de saisir son appréciation des éléments inspectés.

[65]           Ainsi, lorsque l’élément inspecté ne présente pas d’anomalie notable, mais qu’un entretien ou une surveillance doit tout de même être porté, l’inspecteur y attribue la couleur vert/jaune.

[66]           Lorsque l’élément inspecté présente un défaut apparent qui demande une attention à court ou moyen terme afin d’éviter la détérioration prématurée de certaines parties de la propriété ou tous autres dommages collatéraux, il attribue la couleur jaune. On retrouve aussi sous cette notation des éléments ou des défauts de construction pouvant affecter l’intégrité du bâtiment ou son usage à moyen ou long terme s’ils sont négligés ainsi que les situations pouvant affecter la santé ou réduire la sécurité des occupants.

[67]           Cependant, lorsque l’élément inspecté révèle des défauts apparents majeurs demandant une attention immédiate et qui affectent l’immeuble ou qui en diminuent l’usage ou la valeur, il attribue la couleur rouge. Cette notation est également utilisée lorsque l'inspecteur note des vices apparents qui peuvent ne pas sembler sérieux, mais qui peuvent indiquer la présence possible d'un vice caché plus sérieux et nécessiter l'intervention d'un expert en la matière.

[68]           Par ce rapport, les demandeurs sont informés que l'inspection révèle 5 éléments recevant la notation rouge qui requiert donc une attention immédiate et une action à court terme, de même que 25 éléments recevant la notation jaune.

[69]           La preuve démontre qu'avant l'achat, les demandeurs sont informés par leur inspecteur notamment des éléments suivants :

      Photographie démontrant sous les gouttières la présence de coulisse d'eau sur le revêtement d'agrégats de la façade[38].

      Photographie démontrant la présence de coulisses d'eau visibles sous les gouttières, et ce, de chaque côté du mur recouvert d'agrégats[39].

      Photographie démontrant une gouttière sans descente pluviale[40].

      Rouge : « Limiter l'apport d'eau et d'humidité excessive près du revêtement d'agrégat en façade. Faire évaluer les dommages potentiels en particulier près des gouttières »[41].

      « Les revêtements extérieurs en agrégat ou stucco demandent un suivi particulier. Ce type de revêtement doit être étanche à l'eau puisqu'il n'est pas fondamentalement conçu pour évacuer l'eau qui pourrait pénétrer derrière la couche de finition extérieure. En plus de voir son aspect général devenir de moins en moins esthétique, cela peut entrainer des dommages importants à la structure, derrière le revêtement.

Voir à corriger la jonction avec les gouttières par l'ajout d'un solin adéquat. Profitez des travaux pour vérifier l'état des matériaux »[42].

      Photographies démontrant la présence de cernes à la jonction du toit du garage, en façade du garage et localisation des cernes révélés[43].

      Jaune : « Surveiller l'évolution des cernes d'eau dans l'entretoit pour déterminer si la problématique est active ou non ».

      « Un cerne d'eau dans l'entretoit apparait habituellement suite à une infiltration d'eau. Ce cerne peut nous indiquer qu'une infiltration s'est produite il y a plusieurs années, comme elle peut avoir eu lieu il y a quelques jours. Bien que les cernes relevés ne semblaient pas résulter d'un problème récurrent et que la surface était sèche et non détériorée, il est malgré tout, recommandé de porter une attention périodique. Si la situation s'aggrave, corrigez les éléments occasionnant ce problème. Dans le doute des corrections à apporter, consultez l'un de nos experts qualifiés afin de déterminer l'ampleur du problème, les causes réelles et les interventions à apporter »[44].

      Jaune : « Compléter l'installation du réseau de gouttières. Éloigner les descentes pluviales et faire un entretien régulier ».

      « […] Il est recommandé de compléter l'installation d'un réseau de gouttières en s'assurant que les déversoirs des descentes éloignent l'eau du bâtiment en y installant des rallonges ou des dalles de déflexion au besoin ».

      Photographie de cernes visibles sous la salle d'eau[45].

      Jaune-vert : « Vérifier l'historique de cernes d'eau visible sous le plancher de la salle d'eau ».

[70]           À ce sujet, lors de son témoignage et dans son rapport, M. Nadon confirme que l’inspecteur préachat a bel et bien observé des traces d’infiltration d’eau à l’endroit même où l’infiltration s’est produite dans l'entretoit du garage. Il ajoute cependant que celui-ci ne précise pas s'il s’agissait d’une infiltration d’eau active ou non.

[71]           M. Nadon exprime également que la présence de coulisses sous les gouttières est un indice qui augmente les risques de dommages en raison de la présence possible d'humidité sur l’agrégat.

[72]           Quant au fait qu'il faut limiter l'apport d'eau et d'humidité excessive près du revêtement d'agrégat en façade, ce pourquoi l’inspecteur attribue la notation rouge, M. Vézina relate qu'il ne voit pas là une urgence d’agir.

[73]           Pour M. Vézina, il est clair que l'eau déborde des gouttières car elles ont besoin d'être nettoyées. Il ne semble pas considérer que le réseau de gouttières est pourtant incomplet. Il reconnait qu’il ne pose aucune question aux défendeurs ou aux courtiers immobiliers à ce sujet.

[74]           De plus, M. Vézina affirme qu'il ne voyait pas pourquoi il aurait dû faire évaluer les dommages potentiels comme recommandé, car pour lui, la situation lui apparait « quasi normale ». Il réitère qu’il est d'avis que la constatation de coulisses visibles sur l'agrégat du mur avant et près des gouttières résulte de leur débordement car elles ont besoin d'être nettoyées.

[75]           Son intervention se limite donc à nettoyer les gouttières en avant. Il ne complète pas l'installation du réseau de gouttières recommandée, mais il déplace les sorties des gouttières existantes. Il ne fait pas évaluer les dommages potentiels.

[76]           Quant aux cernes constatés dans l'entretoit du garage, M. Vézina témoigne qu'il tient pour acquis que si c'est sec c'est parce que la toiture a été refaite en 2009 et que le problème était réglé.

[77]           Pourtant, le rapport de l'inspecteur préachat est on ne peut plus clair. Un cerne d'eau apparait habituellement après une infiltration d'eau. Celle-ci peut être survenue il y a quelques années, comme elle peut avoir eu lieu il y a quelques jours.

[78]           Or, les demandeurs ne questionnent personne à ce sujet, pas plus qu'ils ne cherchent à découvrir la cause de cette infiltration d'eau qui a laissé une trace. M. Vézina explique qu'il ne fait rien car il est convaincu de son appréciation de la situation.

[79]           L'avocat des demandeurs soulève que nonobstant le fait que l'inspecteur attribue la cote rouge aux problèmes liés aux gouttières, l'inspecteur ne note pas d'indices positifs d'un vice.

[80]           Or, le Tribunal ne peut occulter la notation rouge attribuée par l'inspecteur comme le suggère l’avocat des demandeurs. Une notation rouge signifie expressément la constatation de défauts apparents majeurs demandant une attention immédiate et qui affecte l’immeuble ou qui en diminue l’usage ou la valeur.

[81]           De l'avis du Tribunal, le rapport d'inspection préachat contient des indications et des indices clairs, sérieux et préoccupants laissant soupçonner la présence d'un potentiel vice. Pensons aux cernes dans l'entretoit du garage, la présence de coulisses d'eau sur l'agrégat conjugué au fait que le réseau de gouttières est incomplet, et ce, plausiblement depuis 1992.

[82]           Le rapport d'inspection préachat recommande clairement de faire évaluer les dommages potentiels, en particulier près de gouttières. Ce rapport confirme que les vices affectant la maison étaient existants au moment de l'achat.

[83]           Il y avait là des signes qui auraient suscité chez tout acheteur raisonnable la réaction de pousser l'investigation plus loin, ce que les demandeurs n'ont pas fait. Ils n'ont même pas communiqué avec les défendeurs pour avoir de l'information supplémentaire sur ces défauts relevés par leur inspecteur, défauts qui ne pouvaient être ignorés.

[84]           Le Tribunal est d'avis que dans les circonstances, l'infiltration d'eau et la dégradation de l'agrégat sont des vices apparents.

La dégradation du plancher de travertin

     Avant la vente en juin 2018

[85]           La preuve démontre que la cuisine et la salle à manger ont fait l’objet d’une rénovation complète en 2011. Pour ce faire, les défendeurs font appel à « Cuisine BCBG », soit une entreprise avec 25 ans d’expérience dans le domaine et qui se compose de designers-cuisinistes, chargés de projet et ingénieurs.

[86]           C’est lors de ces rénovations que le revêtement de plancher est remplacé par de la tuile en pierre naturelle, soit du travertin.

[87]           La preuve non contredite démontre qu’aucun carreau de travertin n’a été changé depuis 2011, mais que la couleur du coulis est légèrement plus foncée dans les endroits plus passants.

     Lors des visites et à l’inspection préachat

[88]           Mme Bosnière visite la maison à deux reprises avant l'inspection préachat. Elle y retourne une troisième fois pour assister à l'inspection. Pour sa part, M. Vézina visite la maison une fois avant l'inspection préachat et une seconde fois lors de cette inspection.

[89]           Mme Bosnière explique que « c'est émotionnel » en voyant les planchers de la cuisine et de la salle à manger recouverts de travertin. Elle est européenne et cela lui rappelle le travertin qui est très présent en Europe. Elle voit immédiatement le potentiel de cette maison, elle a un « coup de cœur ».

[90]           Lors de leurs visites, les demandeurs affirment qu'ils ne remarquent rien d'anormal au revêtement du plancher de travertin. Le rapport d’inspection préachat ne comporte aucune mention quant à l’état du plancher de travertin.

     Après l’achat

[91]           Moins de deux semaines après la prise de possession, les demandeurs enlèvent le dosseret en céramique pour le remplacer par un autre. Ils retirent les pierres qui recouvrent la colonne entre la cuisine et la salle à manger.

[92]           En septembre 2018, ils remplacent la fenêtre et la porte donnant accès au solarium attenant à la cuisine par une porte-patio de 10 pieds de long[46].

[93]           La preuve démontre qu'entre le jour de la prise de possession et le moment où ils dénoncent un problème avec le revêtement du plancher de travertin, il y a eu beaucoup de va-et-vient et de travaux exécutés dans la maison.

     La dénonciation

[94]           C'est le 13 mai 2019, soit 11 mois après l’achat, que les demandeurs dénoncent par écrit deux vices majeurs[47]. Cette dénonciation soulève notamment le problème de détérioration du plancher de « céramique »[48].

[95]           Les demandeurs y allèguent que la détérioration s’est amorcé « dès la prise de possession et a accéléré dernièrement ».

[96]           Les demandeurs soutiennent que les « céramiques craquées n’étaient pas visibles étant donné la présence d’un tapis sur le sol ». Or, ce tapis est en fait une petite carpette qui n’est pas fixée au plancher.

[97]           D'ailleurs, les photos prises lors de l’inspection, mais non jointes au rapport préachat, permettent de constater que l’inspecteur a déplacé le tapis. Il est donc possible d’y voir le bon état général du revêtement de plancher, notamment dans la section de la cuisinière[49].

     L'opinion des experts

[98]           C'est le 18 avril 2019 que l’ingénieur Éric Nadon est appelé par les demandeurs à donner « son avis sur la détérioration des joints de céramique »[50]. Dans son premier rapport, il indique que la superficie approximative du plancher est 500 pieds carrés. Il note que certains joints sont évidés et/ou fissurés et correspondent aux endroits les plus passants.

[99]           M. Nadon écrit alors dans son rapport que « quelques tuiles » sont fissurées, alors que « quelques tuiles » bougent légèrement sous son poids.

[100]       Questionné à ce sujet, il explique être incapable de préciser s'il s'agit de 4, 5 ou 10 tuiles. Il justifie cette imprécision au fait que son mandat premier ne visait pas à faire une expertise du revêtement. M. Nadon écrit dans son rapport qu'il est alors d’avis que les travaux correctifs qui s’imposent consistent à reprendre plusieurs joints à plusieurs endroits et à réparer ou remplacer quelques tuiles[51].

[101]       Contrairement à M. Nadon, lors de sa visite, M. Sincerny note que le plancher est rigide et qu'aucun carreau n'est décollé[52]. Il y constate cependant du coulis fissuré ou manquant, et ce, plus particulièrement face à la porte-patio, devant l'évier de la cuisine, devant la cuisinière et devant le réfrigérateur. Les photographies jointes à son rapport illustrent bien ses constatations.

[102]       Pour sa part, l'expert Paul Croteau, ingénieur qui possède un doctorat en ingénierie et mécanique des charpentes de l’Université Berkeley de Californie, est appelé par les défendeurs pour évaluer la structure du plancher. Il visite les lieux le 21 novembre 2019[53].

[103]       Calcul à l’appui, M. Croteau explique que malgré le poids important de l’ilot de la cuisine, qu’il a volontairement exagéré, les solives respectent les normes et sont d’une résistance suffisante. Il estime que l’ajout de solive sous l’ilot n’est donc pas nécessaire, pas plus que le doublage des solives.

[104]       M. Croteau ne constate aucune tuile qui bouge sous son poids. À l'instar de M. Sincerny, il constate la présence de coulis fissurés principalement dans les endroits passants[54].

[105]       M. Croteau indique que bien que son mandat soit d’évaluer la structure, il a identifié trois zones de fissuration, soit devant l’évier, le réfrigérateur et la porte menant vers le sous-sol. Pour M. Croteau, des matériaux « ça fissure », c’est dans la normalité des choses. Il est d’opinion que la structure du plancher n’est pas à l’origine des fissures et de la dégradation de certains joints.

[106]       La preuve démontre également que M. Marc-André LaGarde, entrepreneur général et expert dans le domaine de la construction résidentielle, visite les lieux à la mi-novembre 2019 et en arrive aux mêmes constats visuels que M. Sincerny et M. Croteau quant à l'état du revêtement de plancher.

[107]       M. LaGarde remarque que le coulis est anormalement blanc à certains endroits et il indique qu'il soupçonne un lavage intensif.

[108]       La preuve d'expert tant en demande qu'en défense ne révèle aucune détresse structurale ou déflexion significative des solives et de la poutre maîtresse du plancher qui peut expliquer la situation.

[109]       Lorsque M. Nadon est questionné si entre sa visite d'avril 2019 et d'août 2019 il remarque plus de tuiles fissurées ou endommagées, il répond qu'il est incapable de faire un comparable entre les deux visites. Cependant, il ajoute qu'il n'a pas vu plus de fissures sur les tuiles, mais que ce sont les joints de coulis qui présentent une évolution au niveau de la détérioration.

[110]       Or, la preuve démontre que les quelques rares endroits sur les 500 pieds carrés de travertin où l'on décèle des fissures dans les joints de coulis ou dans les carreaux sont devant les endroits passants, tels que devant l'évier, la cuisinière, le réfrigérateur ou la porte menant au sous-sol.

[111]       Dans son second rapport, M. Nadon écrit[55] :

Dans tous les cas, nous sommes d'avis que la condition des joints et de plusieurs tuiles n'est pas acceptable pour un bâtiment de ce type rénové en 2011 et que les travaux correctifs qui s'imposent consiste à reprendre les joints à plusieurs endroits et à réparer/remplacer plusieurs tuiles.

[Notre soulignement]

[112]       Bien qu'il indique que les travaux correctifs consistent à reprendre les joints et à réparer ou remplacer plusieurs tuiles, il recommande notamment de dégarnir tout le revêtement, de vérifier la charpente et de procéder à la pose « d'un nouveau revêtement de céramique selon les règles de l'art ».

[113]       Pourtant, M. Nadon est d'avis qu'il s'agit d'un problème lié à la pose et non à la structure.

[114]       En fait, ce que la preuve révèle, c'est que M. Nadon a transmis son rapport pour commentaires à M. Vézina avant de le signer. C'est M. Vézina qui lui suggère que « le scénario de réparer la céramique ne devrait pas être recommandé compte tenu que le plancher est à refaire, qu'il y a trop de céramique à changer »[56].

[115]       À la lumière de la preuve présentée, le Tribunal est d'avis que la preuve de la présence d'un vice d'une certaine gravité n’a pas été faite.

[116]       Certes, il y a quelques joints fissurés ou dont le coulis s'effrite, mais ils sont localisés dans les endroits les plus passants. Quant aux tuiles fissurées, selon le témoignage de M. Nadon, leur nombre est inférieur à 10 sur un plancher de 500 pieds carrés installé il y plus de 7 ans.

[117]       En fait, la preuve révèle que la raison pour laquelle les demandeurs décident d'enlever tout le travertin et de refaire la structure sous le plancher est liée au fait que l'entrepreneur choisi refuse de garantir son travail s'il est appelé à changer que les quelques tuiles fissurées et refaire le coulis.

[118]       Vu ce qui précède, le Tribunal est d'avis qu'il ne s'agit pas d'un vice au sens de l'article 1726 C.c.Q.

  1. Dans l'affirmative, quelle est la valeur de l'indemnité à laquelle les demandeurs ont droit ?

[119]       Vu le sort du recours des demandeurs, il ne serait pas normalement nécessaire de répondre à cette question.

[120]       Cependant, puisque la preuve des dommages a été faite, le Tribunal indique que s'il avait fait droit au recours des demandeurs, il n'aurait pas fait droit à la réclamation telle que présentée.

[121]       Non seulement certaines factures sont de la nature d'un devis avec des options pour des travaux complémentaires, mais en plus les preuves de paiements ne concordent pas avec les factures.

[122]       À la lumière de ce qui précède, le Tribunal, usant de son pouvoir discrétionnaire, aurait accordé une somme de 4 000 $ taxes incluses pour les travaux liés à l'infiltration d'eau par la toiture du garage et les dommages à l'agrégat.

[123]       Le Tribunal n'aurait pas accordé la somme de 1 839,60 $ pour les travaux liés à l'étanchéité et à l'installation de nouveau pare-air considérant que ce problème n'a jamais été dénoncé aux défendeurs et qu'ils n'ont jamais été mis en demeure. Cette demande est donc irrecevable[57].

[124]       Quant au revêtement de plancher, le Tribunal, usant de son pouvoir discrétionnaire, aurait accordé la somme de 1 500 $ taxes incluses afin que permettre le remplacement des quelques tuiles fissurées et de refaire le coulis.

[125]       Vu l'absence totale de preuve que les défendeurs connaissaient les vices, aucune compensation n'aurait été accordée pour les dommages-intérêts[58].

  1. Le recours des demandeurs est-il abusif et dans l’affirmative, à quelle compensation les défendeurs ont-ils droit ?

[126]       Les défendeurs soutiennent que le recours des demandeurs constitue un abus de procédure puisqu'ils n’ont aucun droit de réclamer quelque somme que ce soit en vertu de la garantie légale de qualité. Ils demandent le remboursement des honoraires d’avocats et des autres frais encourus pour se défendre face à ce recours.

[127]       L’article 51 C.p.c. donne aux tribunaux le pouvoir de sanctionner les abus. Il prévoit que :

51. Les tribunaux peuvent à tout moment, sur demande et même d’office, déclarer qu’une demande en justice ou un autre acte de procédure est abusif.

L’abus peut résulter, sans égard à l’intention, d’une demande en justice ou d’un autre acte de procédure manifestement mal fondé, frivole ou dilatoire, ou d’un comportement vexatoire ou quérulent. Il peut aussi résulter de l’utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable ou de manière à nuire à autrui ou encore du détournement des fins de la justice, entre autres si cela a pour effet de limiter la liberté d’expression d’autrui dans le contexte de débats publics.

[128]       Au nom de la Cour d’appel, le juge Chamberland écrit dans Biron c. 150 Marchand Holdings inc.[59] :

[103] Il est maintenant acquis que la notion de « détournement des fins de la justice », bien que visant nécessairement les poursuites-bâillons, englobe bien d’autres situations; par exemple, lorsque la procédure est utilisée à des fins de vengeance ou de représailles; ou dans un but oblique qui a peu à voir avec la volonté d’obtenir justice.

[]

[126] L’article 51 C.p.c. couvre une panoplie de situations et le spectre de ces situations est large, mais, dans tous les cas, la barre est haut placée et elle doit le demeurer au risque de banaliser ce qu’est une procédure abusive et de constituer un frein à l’accès à la justice. Les procédures manifestement mal fondées et celles qui ne visent qu’à faire taire l’autre partie doivent être sanctionnées. Il en va de même de la partie qui utilise la procédure de manière excessive ou déraisonnable ou de manière à nuire à autrui. Mais, je le répète, la barre de l’abus de procédure doit demeurer haut placée.

[129]       Dans l'affaire Viel[60], la Cour d'appel indique qu'en matière d'abus du droit d'ester en justice, il faut éviter de conclure à l'abus dès que la thèse mise de l'avant est quelque peu fragile.

[130]       En l’espèce, le Tribunal est d'avis que les défendeurs n'ont pas fait la preuve sommaire qu’un abus de procédure a été commis par les demandeurs.

[131]       Il est vrai que le Tribunal rejette le recours des demandeurs, mais la preuve ne permet pas de conclure qu'ils ont agi avec témérité dans cette affaire ou qu’ils avaient l’intention de nuire, ou encore que les allégations au soutien de leur demande étaient frivoles ou dilatoires, ou qu'ils ont introduit un recours de manière excessive ou déraisonnable[61].

[132]       La demande reconventionnelle est donc rejetée.

[133]       En principe, en vertu de l'article 340 C.p.c., les frais de justice sont dus à la partie qui a eu gain de cause, à moins que le Tribunal n'en décide autrement. Ceux-ci incluent les frais d'expertise afférents à la préparation du rapport, du témoignage et du temps passé par l'expert pour témoigner ou, dans la mesure utile, pour assister à l'instruction.

[134]       Le Tribunal peut mitiger les frais relatifs aux expertises faites à l'initiative des parties. À cet égard, la jurisprudence donne certaines balises, notamment la hauteur des frais d'expertise par rapport à l'enjeu de la cause, le temps consacré ou le dédoublement des tâches ainsi que le caractère raisonnable des frais d'expertise ou encore lorsque l'expertise est inutile[62].

[135]       Le Tribunal est d'avis que l'expertise de M. Croteau fut utile au Tribunal afin de déterminer du vice relatif au plancher de travertin. Les frais réclamés de M. Croteau ne sont pas déraisonnables.

[136]       Cependant, l'expertise de M. LaGarde n'a pas été de grande utilité au Tribunal, lequel a fait des constatations visuelles accessibles pour n’importe quel témoin ordinaire. De l’admission de Mme Arbour, le rôle de M. LaGarde en a été plus un de conseiller ou de personne-ressource qui l’a aidé à comprendre le jargon de la construction et la situation. Les frais réclamés pour ce témoin ne sont donc pas justifiés.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[137]       REJETTE la demande des demandeurs;

[138]       AVEC LES FRAIS DE JUSTICE, incluant les frais de l’expert Paul Croteau pour la préparation et la rédaction de son rapport au montant 3 809,12$[63] de même que les frais relatifs à sa préparation et son témoignage à l’audience au montant de 2 496,68 $[64];


[139]       REJETTE la demande reconventionnelle, sans frais.

 

 

__________________________________

CHANTALE BEAUDIN, J.C.Q.

 

Me Marie-Ève Zuniga

Lane Avocats

Avocate des demandeurs

 

Me Marc Lanteigne

De Granpré Jolicoeur

Avocat des défendeurs

 

Date du délibéré :

13 mai 2022

 


[1]  Les défendeurs réclament le remboursement dhonoraires d'experts, mais ceux-ci font partie des frais de justice voir l’article 339 du Code de procédure civile.

[2]  Jeffrey Edwards, La garantie de qualité du vendeur en droit québécois, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2008, p. 149, par. 334.

[3]  Leroux c. Gravano, 2016 QCCA 79, par. 40.

[4]  ABB Inc. c. Domtar Inc., 2007 CSC 50, par. 47 et 52.

[5]  125385 Canada inc. c. Groupe Collège LaSalle inc., 2006 QCCA 522, par. 2.

[6]  Beaudet c. Bastien, 2007 QCCQ 13454, par. 47.

[7]  Id., par. 54 et 57.

[8]  ABB Inc. c. Domtar Inc., préc., note 4, par. 54 et 57.

[9]  Id., par. 54.

[10]  Jeffrey Edwards, La garantie de qualité du vendeur en droit québécois, préc., note 2, p. 171-172.

[11]  ABB Inc. c. Domtar Inc., préc., note 4, par. 54.

[12]  Id., par. 42.

[13]  Paulin c. Gauthier, 2014 QCCA 1897, par. 4.

[14]  St-Louis c. Morin, 2006 QCCA 1643, par. 31.

[15]  Jeffrey Edwards, La garantie de qualité du vendeur en droit québécois, préc., note 2, p. 171-172.

[16]  Placement Jacpar Inc. c. Benzakour, 1989 CanLII 976 (QC CA); Bélanger c. Alarie, 2018 QCCS 2919, par. 77.

[17]  Préc., note 14.

[18]  Préc., note 3.

[19]  Garcia Lorenzo c. Migas (Migas Home Inspections), 2016 QCCA 1661, par. 15; Vermette c. Boisvert, 2017 QCCS 3159, par. 114 (demande en rejet d'appel rejetée, 500-09-026981-175, 2017 QCCA 1655); Vo c. Lacaille, 2017 QCCQ 14333, par. 105; Goodhart c. Pelletier, 2017 QCCS 4148, par. 124.

[20]  Placement Jacpar Inc. c. Benzakour, préc., note 16; Bélanger c. Alarie, préc., note 16, par. 77; Racine c. Gobeil, 2014 QCCA 731, par. 7.

[21]  Claude Joyal inc. c. CNH Canada Ltd., 2014 QCCA 588, par. 24-28 (demande pour autorisation d'appeler rejetée, C.S.C., 500-17-061489-103, 2014 CanLII 38978).

[22]  Id., par. 35-37.

[23]  Id., par. 31.

[24]  Bartolone c. Cayer, 2018 QCCA 137, par. 2.

[25]  Claude Joyal inc. c. CNH Canada Ltd., préc., note 21, par. 40-46; Jeffrey Edwards, La garantie de qualité du vendeur en droit québécois, préc., note 2, p. 123.

[26]  Art. 1594 C.c.Q.

[27]  Claude Joyal inc. c. CNH Canada Ltd., préc., note 21, par. 21-34; Jeffrey Edwards, La garantie de qualité du vendeur en droit québécois, préc., note 2, p. 203.

[28]  Art. 1597 C.c.Q.; Bérubé c. Lemay, 2018 QCCA 395, par. 23.

[29]  F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, par. 46.

[30]  Pièces P-1 et P-2.

[31]  Pièces P-2 et P-3.

[32]  Interrogatoire de Réal Vézina du 25 novembre 2020, no 41-44.

[33]  Pièce P-5.

[34]  Pièce P-6.

[35]  Pièce P-2.

[36]  Témoignage de M. Éric Nadon; Pièce P-7.

[37]  Pièce P-3.

[38]  Pièce P-3, p. 17.

[39]  Id., p. 26.

[40]  Id.

[41]  Id., p. 7 et 25.

[42]  Id., p. 16.

[43]  Id., p. 25.

[44]  Id., p. 24.

[45]  Id., p. 27.

[46]  Pièces D-5 et D-6, p. 27.

[47]  Pièce P-5.

[48]  Dans les écrits et les témoignages, plusieurs utilisent à mauvais escient le mot « céramique » lorsqu'ils réfèrent au revêtement du plancher de la cuisine et de la salle à manger, alors qu'il s'agit de carreaux de travertin, soit une pierre naturelle.

[49]  Pièce D-4.

[50]  Pièce D-6.

[51]  Pièce D-6, p. 8.

[52]  Pièce D-8, p. 12.

[53]  Pièce D-13, p. 2.

[54]  Id.

[55]  Pièce P-7, p. 9.

[56]  Pièce D-9.

[57]  Bayard c. McCourt, 2005 CanLII 36891 (QCCQ), par. 33; Chabot c. 134585 Canada inc. (Constructions Joubert et Chartrand), 2019 QCCQ 7394, par. 20, 21, 22, 23 et 36.

[58]  Art. 1728 C.c.Q.

[59]  2020 QCCA 1537.

[60]  Viel c. Entreprises immobilières du terroir ltée, 2002 CanLII 41120, par. 82.

[61]  Parisien c. Hôtel du Lac Tremblant inc., 2018 QCCA 2217, par. 7; Sinotte c. Gagnon, 2014 QCCA 1755, par. 24; par. 109-111.

[62]  Art. 339-341 C.p.c.; T.S. c. Lacombe, 2022 QCCS 3693, par. 228 et 229; Chan c. Chan, 2022 QCCS 2941, par. 14 et 32.

[63]  Pièce D-18 : Facture 2497.

[64]  Avis de communication du 10 mai 2020, facture no 1551.

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