[1.]Le 20 novembre1998, Monsieur Gaston Bourdon (le requérant) dépose une requête en révision à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision rendue par ce tribunal le 4 novembre 1998.
[2.]Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles confirme la décision rendue par le bureau de révision le 6 juin 1997 et déclare que le requérant n’a pas subi de lésion professionnelle le 30 octobre 1996 sous forme de rechute, récidive ou aggravation d’une lésion professionnelle subie le 19 octobre 1987.
[3.]Le requérant est présent et représenté lors de l’audience. L’employeur, Genfoot inc n’est pas présent à l’audition mais a transmis une lettre demandant à la Commission des lésions professionnelles de rejeter la requête.
OBJET DE LA REQUÊTE
[4.]Le requérant demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu’il y a un motif donnant ouverture à la révision ou la révocation de la décision rendue le 4 novembre 1998.
LES FAITS
[5.]L’historique des faits est bien rapporté dans la décision de la Commission des lésions professionnelles du 4 novembre 1998.
[6.]Pour les fins de la présente requête, il s’agit de rappeler que le requérant demande qu’on lui reconnaisse une rechute, récidive ou aggravation en date du 30 octobre 1996.
[7.]Pour rendre sa décision, la Commission des lésions professionnelles tient compte d’une tomodensitométrie datée du 18 avril 1997 qui révèle un bombement discal diffus en L4-L5, avec arthrose facettaire hypertrophique et le niveau L5-S1 est normal.
[8.]La Commission des lésions professionnelles indique par ailleurs :
«À l’audience le travailleur a témoigné. La Commission des lésions professionnelles retient de son témoignage que son état est stationnaire, ou à peu près, depuis la lésion professionnelle, que sa médication n’a pas changé depuis quelque temps et qu’il a ajouté, de sa propre initiative, du Tylenol extra fort dont il fait une grande consommation. Le type de douleur qu’il ressent est pratiquement le même depuis 1996. Le docteur Lefrançois ne lui offre pas de traitement et il est inopérable. Il n’a pas travaillé depuis l’événement initial.»
[9.]Lors de l’audition sur la présente requête, le requérant produit une nouvelle preuve.
[10.] De cette preuve documentaire et testimoniale présentée, la Commission des lésions professionnelles retient les éléments suivants.
[11.] Le requérant a subi une tomodensitométrie lombaire, effectuée le 25 novembre 1998, donc après l’audience et la date de la décision dont on demande la révision.
[12.] Le rapport de cet examen, effectué par la docteure Lorraine Durocher, radiologiste en chef du département de radiologie de l’Hotel-Dieu de Sorel, se lit comme suit :
«(...)
1. Absence d’hernie discale ou de sténose spinale au niveau L3-L4.
2. Au niveau L4-L5, il y a un bombement discal diffus et circonférentiel. Ceci s’accompagne d’une importante hypertrophie des ligaments jaunes et d’une arthrose hypertrophique modérément importante des facettes articulaires le tout entraînant une nette diminution du canal spinal à ce niveau comparativement aux deux autres niveaux. Ce canal mesure 10 x 10mm.
3. Il n’y a pas d’hernie discale ou de sténose spinale au niveau L5-S1.
4. Il y a une arthrose hypertrophique modérément marquée des facettes articulaires en L4-L5 telle que déjà mentionnée et également en L5-S1.
5. Calcifications pariétales de l’aorte abdominale distale.
Opinion :
Sténose spinale en L4-L5 secondairement à un bombement discal diffus, à une arthrose hypertrophique des facettes articulaires et à une hypertrophie des ligaments jaunes.»
[13.] Suite à cette tomodensitométrie, le requérant demande au docteur Pierre C. Milette, neuroradiologue, d’étudier la radiographie du rachis lombo-sacré effectuée le 26 mars 1997 à l’Hôpital du Sacré-Cœur, la tomodensitométrie du rachis lombo-sacrée du 10 avril 1997 effectuée au même établissement etla tomodensitométrie lombaire effectuée le 25 novembre 1998 à l’Hôtel-Dieu de Sorel.
[14.] Le docteur Milette a témoigné devant la Commission des lésions professionnelles pour expliquer son expertise radiologique.
[15.] Son étude des films radiologiques de la tomographie du 10 avril 1997 révèle :
«(...)
Au niveau L4-L5, il existe une hernie discale postéro-latérale droite foraminale avec oblitération de la portion inférieure du trou de conjugaison du côté droit. Le matériel discal déplacé en direction du canal spinal comporte une calcification de 3 à 4 mm de diamètre qui se projette dans le recessus latéral droit de L5. Il existe aussi à ce niveau un épaississement des ligaments jaunes et, puisque le canal spinal est relativement petit, il résulte de tous ces facteurs une constriction modérée du fourreau dural et par conséquent des racines de la queue de cheval qu’il contient.
En L5-S1, il existe des tissus mous anormaux dans le canal spinal, dans l’espace épidural antérieur, à gauche de la ligne médiane. Ces tissus mous représentent probablement du matériel discal et celui-ci est visible jusque derrière la partie supérieure du corps vertébral S1 tout en refoulant le manchon radiculaire S1 gauche vers l’arrière. Il existe donc à ce niveau une hernie discale postérieure para-centrale gauche avec début de migration vers le bas, entre la face postérieure du corps vertébral S1 et le complexe ligamentaire vertébral commun postérieur (syn. : ligament longitudinal postérieur).
(...)»
[16.] Son étude des films radiologiques de la tomographie du 25 novembre 1998 :
«(...)
Il est apparu depuis l’examen précédent une hernie postérieure para-médiane gauche du disque L3-L4 comprimant légèrement la partie gauche de la face antérieure du fourreau dural.
Au niveau L4-L5, l’aspect de la hernie discale et de son effet compressif sur le fourreau dural ne s’est pas modifié de façon appréciable.
Par contre, il y a eu modification de l’aspect de la hernie du disque L5-S1 qui refoulait le manchon radiculaire S1 vers l’arrière. Le manchon a repris sa position normale. Par ailleurs, l’examen montre actuellement à ce niveau une petite hernie postérieure plus centrale avec légère tendance à la migration vers le haut, derrière la partie postéro-inférieure du corps vertébral L5.
(...)»
[17.] Le docteur Milette explique qu’il y a eu une erreur dans l’interprétation des films du 10 avril1997 puisque la radiologiste a omis de décrire la présence d’une hernie discale au niveau L5-S1.
[18.] Il y a également une erreur dans l’interprétation des films du 25 novembre 1998 puisque la radiologiste n’a pas décrit de hernie au niveau L3-L4, ni au niveau L5-S1.
[19.] Ensuite, le docteur Jean Desrochers, médecin traitant du travailleur, a déposé une expertise médicale et a témoigné lors de l’audience.
[20.] Pour les fins de la présente requête la Commission des lésions professionnelles retient qu’il est médecin chef de l’urgence de l’Hôtel-Dieu de Sorel et que c’est lui-même qui a demandé, en novembre 1998, d’effectuer une nouvelle tomographie.
[21.] Le travailleur a témoigné sur les coûts engendrés par la présente requête.
[22.] Enfin les notes sténographiques de l’audience tenue le 21 octobre 1998 ont été déposées.
ARGUMENTATION
[23.] Le travailleur soutient qu’il y a un premier motif à révision selon l’article 429.56 1er paragraphe de la Loi sur les accidents du travail et maladies professionnelles ( L.R.Q., ch. A-3.001) ( la Loi ) puisque la preuve présentée constitue un fait nouveau en ce sens qu’elle démontre que la preuve présentée au premier commissaire comportait une erreur médicale faussant ainsi la décision qui a été rendue.
[24.] Il soutient que l’on peut également considérer qu’il s’agit d’un vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision tel que prévu au paragraphe 3 de l’article 429.56 puisque la Commission des lésions professionnelles n’avait pas l’interprétation nécessaire pour rendre sa décision. La situation du requérant, qui a été présentée à la Commission des lésions professionnelles, était faussée par la mauvaise interprétation médicale et donc ne constituait pas sa véritable situation. Le requérant n’a pas à être pénalisé pour l’erreur commise par un médecin.
[25.] Le requérant soulève enfin, comme dernier motif, que le commissaire a mal interprété le témoignage du travailleur puisque ce dernier a témoigné à l’effet qu’il y avait une aggravation de sa condition.
OPINION DES MEMBRES
[26.] Monsieur Vianney Michaud, membre issu des associations syndicales, est d’avis d’accueillir la requête puisque le requérant a démontré, par le témoignage du radiologiste, qu’il y a eu une erreur dans l’interprétation de la radiologie et que ceci constitue un fait nouveau.
[27.] Monsieur Mario Lévesque, membre issu des associations d’employeurs, est d’avis de rejeter la requête puisqu’il n’y a eu aucune erreur médicale et aucun motif légal donnant ouverture à la requête.
MOTIFS DE LA DÉCISION
[28.] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a un motif donnant ouverture à une requête en révision.
[29.] L’article 429.56 de la Loi permet, à la Commission des lésions professionnelles, de réviser ou révoquer une décision qu’elle a rendue. Cette disposition remplace, depuis le 1er avril 1998, l’ancien article 406 de la Loi qui prévoyait que la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles pouvait, pour cause, réviser ou révoquer une décision qu’elle a rendue.
[30.] Cette nouvelle disposition, par opposition à l’ancienne qui laissait au tribunal le soin de déterminer les causes donnant ouverture au recours, définit les critères donnant ouverture à la révision ou à la révocation d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:
1 lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2 lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3 lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
________
1997, c. 27, a. 24.
[31.] Cette disposition doit être lue en conjugaison avec le troisième alinéa de l’article 429.49 qui édicte le caractère final et sans appel des décisions de la Commission des lésions professionnelles :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
________
1997, c. 27, a. 24.
[32.] La Commission des lésions professionnelles a traduit l’intention du législateur dans les termes suivants :
«(...)
Le législateur a voulu ainsi assurer la stabilité des décisions de la Commission des lésions professionnelles et la sécurité juridique des parties qui y sont visées. Ainsi, toute requête en révision qui viserait, à toutes fins utiles, à faire réévaluer par un autre commissaire la preuve dont disposait le premier commissaire doit être écartée. Il en est de même si une partie tentait, à l’occasion d’une telle requête, de compléter ou bonifier la preuve qu’elle avait précédemment présentée. Conclure autrement viderait de son sens le troisième alinéa de l’article 429.49 qui édicte, ainsi qu’il a été dit, le caractère final et sans appel des décisions de la Commission des lésions professionnelles.
(...)»[1]
[33.] Dans le présent dossier, la Commission des lésions professionnelles considère qu’il n’y a aucun motif donnant ouverture à la présente requête. Il s’agit manifestement d’un cas où le requérant est insatisfait de la décision qui a été rendue et tente, par le biais de ce recours, de bonifier ou de compléter la preuve qui aurait dû être faite lors de la première audience.
[34.] Plus spécifiquement, le requérant allègue les paragraphes premier et troisième de l’article 429.56.
Découverte d’un fait nouveau qui, s’il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente.
[35.] La jurisprudence constante de la Commission des affaires sociales établit que pour satisfaire aux exigences du premier paragraphe de l’article 24 de la Loi sur la Commission des affaires sociales, L.R.Q. c,C-34, lequel est identique au premier paragraphe de l’article 429.56, le requérant doit établir de façon prépondérante :
1. la découverte postérieure d’un fait nouveau;
2. la non-disponibilité de cet élément au moment où s’est tenue l’audition initiale ;
3. le caractère déterminant qu’aurait eu cet élément sur le sort du litige, s’il eût été connu en temps utile.
[36.] Chacun de ces trois critères doit être rempli pour satisfaire aux exigences de cette disposition. Dans le présent dossier, aucun de ces trois critères n’est rencontré.
[37.] La nouvelle tomographie présentée démontrant, selon le requérant, une aggravation de sa condition et l’expertise du docteur Milette démontrant une « soi-disant » erreur médicale sont toutes deux postérieures à la date de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles. On ne parle donc pas de la découverte postérieure d’un fait nouveau mais plutôt de la création postérieure d’un fait nouveau. Force est d’admettre que la nuance est importante. Le premier critère n’est pas rempli.
[38.] Pour fin de discussion examinons le deuxième critère. Aucun motif n’a été énoncé pour expliquer à la Commission des lésions professionnelles pourquoi ces éléments ne pouvaient être disponibles avant l’audition. Pourtant il est logique de conclure que si le requérant, après avoir reçu la décision de la Commission des lésions professionnelles a pu obtenir un rendez-vous à l’intérieur d’un mois pour passer une nouvelle tomographie, il est manifeste qu’il aurait pu faire cette démarche avant l’audition tenue en première instance. Il est également manifeste qu’il aurait pu demander l’expertise au docteur Milette toujours avant cette même audition. La non-disponibilité de l’élément de preuve avant l’audition implique nécessairement que cet élément ne pouvait être obtenu avant l’audition. Ce deuxième élément n’est donc pas rencontré.
[39.] Pour contrer le fait que les deux premiers critères ne sont pas rencontrés et ce, à sa face même, le représentant du requérant a insisté pour que la Commission des lésions professionnelles accepte d’analyser la nouvelle preuve; celle-ci démontrera que le fait nouveau réside dans le fait que le docteur Milette a découvert une erreur médicale contenue dans la preuve présentée au premier commissaire. La Commission des lésions professionnelles a donc analysé cette nouvelle preuve mais a pu constater que l’argument ne tient pas.
[40.] Notons d’abord que la Commission des lésions professionnelles ne considère pas qu’il y a eu erreur dans la preuve médicale présentée au premier commissaire.
[41.] En effet, et avec tout le respect que la Commission des lésions professionnelles porte au docteur Milette et même en prenant en considération sa spécialité, il n’en demeure pas moins qu’il émet une opinion quant à l’interprétation qu’il faut donner à la tomographie du 10 avril 1997. Cette interprétation est différente de celle donnée par la première radiologiste. La Commission des lésions professionnelles doit régulièrement trancher entre deux interprétations données à un même examen ou à deux opinions médicales différentes. On ne peut toutefois qualifier d’erronée l’opinion qui n’est pas retenue.
[42.] Par ailleurs, s’il avait obtenu cette expertise du docteur Milette avant la première audition, le requérant aurait pu alléguer les opinions divergentes et le premier commissaire aurait eu à trancher.
[43.] Le premier commissaire aurait pu conclure, malgré l’opinion du docteur Milette, à l’absence de rechute, récidive ou aggravation car il aurait très bien pu retenir l’opinion des deux autres radiologistes si le tout lui avait été présenté.
[44.] Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles considère que le requérant lui a présenté une opinion médicale différente, mais ne lui a pas démontré la présence d’une erreur médicale. Par surcroît même si le requérant avait réussi à démontrer la présence d’une erreur médicale, il aurait été confronté avec le même problème à savoir que cette erreur aurait pu être démontré en temps utile, soit lors de la première audition. Il n’aurait donc pas rempli le deuxième critère exigé pour la démonstration d’un fait nouveau.
Vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision.
[45.] Depuis l’adoption de l’article 429.56 de la Loi la Commission des lésions professionnelles a eu à interpréter la notion de vice de fond de nature à invalider la décision. Il ressort de la jurisprudence que cette notion doit être assimilée à l’erreur manifeste de droit ou de fait ayant un effet déterminant sur l’objet de la contestation.[2]. Toutefois dans le présent dossier, nous l’avons déjà mentionné, rien ne permet de conclure à la démonstration d’une erreur manifeste. On ne peut donc conclure à un vice de fond
[46.] Quant au dernier moyen soulevé par le requérant, soit que le premier commissaire a mal interprété son témoignage, il ne peut s’agir d’une erreur manifeste de la part du commissaire.
[47.] La Commission des lésions professionnelles a lu les notes sténographiques déposées et n’a constaté aucune erreur dans l’interprétation qu’il en a faite. Il s’agit par ailleurs du privilège du premier commissaire d’apprécier les témoignages qui sont rendus devant lui et il n’appartient pas au réviseur de substituer son appréciation des faits à celle du décideur initial. D’ailleurs le requérant n’a pas insisté sur ce motif de révision.
PAR CES MOTIFS LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de monsieur Gaston Bourdon.
|
|
|
|
|
Commissaire |
|
|
LUC RACICOT, AVOCAT 439, rue Notre-Dame Saint-Lambert (Québec) J4P 2K5
|
|
|
|
Représentant de la partie requérante |
|
|
|
[1] Entre autres;
Lessard et Produits miniers Stewart inc, 88727-08-9708, du 19 mars 1999, J.G.Roy,
commissaire;
Tassé et Hôpital Marie-Enfant, 85021-63-9612, du 5 mars 1999, J.G.Roy, commissaire;
Fournier et Pourvoirie au pays de Réal Massé inc et CSST,
7354 - 63‑9704, du 5 mars 1999, J.G.Roy, commissaire;
[2] Donahue inc et Villeneuve [1998] CLP 733 .
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.