LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE
DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES
QUÉBEC MONTRÉAL, le 4 novembre 1996
DISTRICT D'APPEL DEVANT LE COMMISSAIRE: Me Neuville Lacroix
DE MONTRÉAL
RÉGION: AUDITION TENUE LE: 18 septembre 1996
îLE-DE-MONTRÉAL
DOSSIER:
69473-60-9505
DOSSIER CSST: À: Montréal
003432580
DOSSIER B.R.:
61696581
GILBERT RODIER
10 382, rue Verville
Montréal (Québec) H3L 3E5
PARTIE APPELANTE
et
CANADIEN PACIFIQUE
Case postale 6042, Succ. Centre Ville
Montréal (Québec) H3C 3E4
PARTIE INTÉRESSÉE
D É C I S I O N
Le 12 mai 1995, monsieur Gilbert Rodier, le travailleur, en appelle d'une décision du 27 mars 1995 du Bureau de révision de l'île - de-Montréal (le bureau de révision).
Par sa décision, le bureau de révision conclut, compte tenu de l'entente du 3 février 1993 entre l'employeur et le travailleur, où ce dernier, en échange d'une compensation financière, s'engageait à ne plus poursuivre son programme de réadaptation, que le travailleur n'avait pas droit aux indemnités de remplacement du revenu après le 3 février 1993, date correspondant à la renonciation du travailleur.
OBJET DE L'APPEL
Le travailleur demande à la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d'appel) d'infirmer la décision du bureau de révision, de déclarer qu'il a droit aux indemnités de remplacement du revenu conformément au programme de réadaptation mis en place pour le travailleur.
LES FAITS
Le 23 octobre 1989, le travailleur, qui était alors âgé de cinquante-neuf ans, est victime un accident du travail chez l'employeur, Canadien Pacifique. Il subit une fracture du bassin alors qu'il était en formation en vue de devenir opérateur de chariot élévateur. Auparavant, le travailleur était commis général de bureau depuis 1983 chez l'employeur.
On lui reconnaît une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles et on considère qu'il est admissible à la réadaptation.
Le 10 octobre 1991, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) détermine l'emploi de commis de bureau général comme emploi convenable. On ajoute que l'emploi n'étant pas actuellement disponible, le travailleur continuera de recevoir l'indemnité de remplacement du revenu jusqu'à ce qu'il occupe cet emploi mais pendant au plus un an à compter de la date de la capacité. On détermine une indemnité réduite de remplacement (IRR) de 22,81 $ par jour, indemnité qui sera révisée deux ans après la date de capacité d'exercer l'emploi convenable, soit le 15 octobre 1993.
Le 16 septembre 1991, l'employeur donne un avis à l'effet que les Ateliers Angus aboliraient certains postes à compter du 3 février 1992, au service de la mécanique du syndicat international des transports-communication (STI) dans l'ancienne région de l'Atlantique.
L'employeur avise la Commission en octobre 1991 qu'il ne pouvait reclasser le travailleur dans un poste respectant ses limitations fonctionnelles compte tenu de la fermeture de l'usine prévue pour le mois de janvier 1992.
Le 7 février 1992, intervient une entente spéciale entre l'employeur et le STI afin d'aider les employés admissibles qui sont représentés par le syndicat et qui seront défavorisés par la fermeture. Au terme de cette entente, un employé admissible est :
«un employé qui a accompli huit années de service cumulatif rémunéré au plus tard le 3 février 1992 et qui est admissible à la garanti d'emploi au terme de l'article 7 de l'entente sur la sécurité de l'emploi.»
Le travailleur ne possédait pas alors les huit ans d'expérience requis, son ancienneté datant du 2 novembre 1981.
Par ailleurs, le 9 juillet 1992, le médecin du travailleur, le docteur Denis Raymond, physiatre, avise la Commission que depuis la date de l'accident et depuis avril 1991, date où il a rédigé une atteinte permanente avec limitations fonctionnelles, il constate que l'état du travailleur s'est amélioré de façon très encourageante, bien au-delà de ce qui était prévisible en avril 1991. Il considère qu'on devrait pouvoir réviser les limitations fonctionnelles à la baisse de façon significative.
Par la suite, l'employeur, afin de permettre au travailleur de compléter ses huit années de service et être ainsi éligible à un montant forfaitaire de 100 000,00 $ suivant les termes de l'article 4 de l'entente spéciale, permet au travailleur de travailler du 19 novembre 1992 au 31 décembre 1992.
Le 29 janvier 1993, un projet d'entente est soumis au travailleur lui permettant de bénéficier des avantages prévus à l'article 4 de l'entente spéciale, à savoir qu'il recevrait une somme de 100 000,00 $ de l'employeur à titre d'indemnité de cessation d'emploi. Le travailleur signe cette entente le 3 février 1993 après avoir pu en discuter avec son représentant syndical. Le travailleur signe également un document où il avise la Commission que n'étant plus employé de CP Rail, il s'engage à mettre fin immédiatement au programme de réadaptation auprès de la Commission ou à ne poursuivre en aucun temps tout programme de réadaptation, suite à son accident du 23 octobre 1989. On demande de plus, dans ce document, de confirmer par lettre à son employeur que l'on met fin au programme de réadaptation et au versement des indemnités qui en découlent.
Suite à cette lettre, l'employeur demande à la Commission le 22 mars, le 29 mars, le 16 avril et le 10 mai 1993 de donner suite à la lettre du 3 février 1993 demandant de cesser le programme de réadaptation du travailleur et le paiement des indemnités qui s'y rattachent. Le 23 septembre 1993, la Commission révise l'indemnité de remplacement du revenu du travailleur et le fixe à 25,40$ par jour. Finalement, ce n'est que le 29 mars 1994 que la Commission avise le travailleur qu'elle interrompt le paiement des indemnités réduites de remplacement du revenu suite à l'entente intervenue le 3 février 1993.
Le travailleur demande la révision de cette décision et le 27 mars 1995 le bureau de révision confirme la décision de la Commission.
ARGUMENTATION DES PARTIES
Le représentant du travailleur prétend que le programme de réadaptation étant terminé, le travailleur ne pouvait signer une entente qui mettait fin à l'indemnité de remplacement réduite, ceci étant contraire aux dispositions de l'article 4 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001) (la loi).
De plus, il soumet que la décision du 29 mars 1994 est une reconsidération de la décision de la Commission du 23 septembre 1993 qui avait, dans le cadre de la révision de l'indemnité de remplacement du revenu prévu à l'article 54 de la loi, modifié l'indemnité réduite de remplacement du revenu à 25,40 $ par jour à compter du 15 octobre 1993. Il soumet que la Commission était hors délai pour reconsidérer cette décision.
Pour le représentant du travailleur, l'entente relative à la cessation d'emploi ne peut empêcher le travailleur de recevoir l'indemnité de remplacement du revenu.
Quant au procureur de l'employeur, il soumet que dès le 3 février 1993 il a demandé à la Commission de cesser le programme de réadaptation et le versement des indemnités qui s'y rattachent, vue l'entente intervenue le 3 février 1993. Il ajoute qu'il s'agit d'une entente qui est plus favorable pour le travailleur que le versement de l'IRR, que le montant de l'indemnité réduite fait partie du programme de réadaptation du travailleur et que ce dernier pouvait y renoncer dans les circonstances. Enfin, il souligne que la Commission n'était pas hors délai pour reconsidérer sa décision puisque la demande a été formulé dès le mois de février, tout au plus au mois de mars 1993, et que l'employeur ne peut être tenu responsable du délai que la Commission a pris pour rendre sa décision, malgré les nombreux rappels de l'employeur à la Commission pour obtenir une décision à cet égard.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La Commission d'appel doit déterminer si la décision du 29 mars 1994 de la Commission était une reconsidération illégale et si le travailleur pouvait renoncer à l'IRR qui lui avait été accordée, en contre-partie de l'indemnité de 100 000,00 $ qui lui a été versée par l'employeur.
L'article 365 stipule :
365. La Commission peut reconsidérer sa décision dans les 90 jours, si celle-ci n'a pas fait l'objet d'une décision par un bureau de révision, pour corriger toute erreur.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'une partie, si sa décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel, reconsidérer cette décision dans les 90 jours de la connaissance de ce fait.
À première vue, la décision rendue par la Commission l'a été hors du délai de 90 jours de la connaissance du fait essentiel, puisque, tout au plus, à compter de mars 1993, la Commission était informée de l'entente intervenue. Elle aurait donc du, dans les 90 jours, rendre sa décision de reconsidération. Cette décision n'a été rendue qu'en mars 1994.
Faut-il en conclure que parce que la décision a été rendue après le délai de 90 jours qu'il s'agit là d'une reconsidération illégale?
La Commission d'appel dans la décision de Sidbec Dosco inc. et C.S.S.T[1] écrivait ce qui suit:
«La Commission d'appel estime, et ceci, malgré le libellé ambigu de la disposition législative qui, soulignons-le, est de droit nouveau, que lorsque le pouvoir de reconsidération est exercé à la demande de l'employeur, le délai de 90 jours vise le délai écoulé entre la connaissance, par l'employeur, du fait essentiel allégué par lui et le montant de sa demande.
En tout respect pour le bureau de révision, la Commission d'appel estime qu'appliquer ce délai au temps écoulé entre la demande de reconsidération et la réponse de la Commission peut mener à une situation absurde. La Commission n'aurait qu'à ne jamais répondre à une demande de reconsidération à l'intérieur d'un délai de 90 jours, pour annihiler toute possibilité pour un employeur d'obtenir la reconsidération d'une décision.»
C'est d'ailleurs la situation dans laquelle on se retrouverait dans l'espèce si on devait adopter une autre interprétation. Dans la décision de Teinturiers Élite inc. et C.S.S.T. et Yvon
Cournoyer[2], la Commission d'appel adoptait la même interprétation.
La Commission d'appel considère que dès que l'entente est intervenue entre le travailleur et l'employeur, il s'agissait là d'un fait essentiel qui fut porté à la connaissance de la Commission dans les 90 jours et que celle-ci pouvait donc reconsidérer sa décision.
Par contre, le travailleur soumet qu'il ne pouvait, en vertu des dispositions de l'article 4 de la loi, renoncer aux bénéfices de l'indemnité réduite de remplacement du revenu. L'article 4 énonce ce qui suit :
4. La présente loi est d'ordre public.
Cependant, une convention ou une entente ou un décret qui y donne effet peut prévoir pour un travailleur des dispositions plus avantageuses que celles que prévoit la présente loi.
Lorsque la Commission décide de mettre fin au paiement de l'IRR le 29 mars 1994, le travailleur est alors âgé de soixante-quatre ans. Le montant de l'IRR a été établi à 25,40 $ par jour, soit une somme annuelle de 9 271,00 $. De plus, aux termes de l'article 56 de la loi, cette indemnité de remplacement est réduite de 25 % à compter du soixante-cinquième anniversaire de naissance du travailleur, de 50 % à compter de la deuxième année et de 75 % à compter de la troisième année suivant cette date.
Il est clair que l'indemnité réduite de remplacement du revenu du travailleur est beaucoup moins élevée que l'indemnité offerte par l'employeur de 100 000,00 $. On ne peut donc prétendre que l'entente intervenue entre le travailleur et l'employeur serait contraire aux dispositions de l'article 4, puisqu'il est plus avantageux pour le travailleur d'accepter l'indemnité de cessation d'emploi que de continuer à recevoir le versement de l'indemnité réduite de remplacement du revenu.
Le travailleur, en toute connaissance de cause, a décidé de mettre fin à tout programme de réadaptation et à ne poursuivre en aucun temps tout programme de réadaptation suite à son accident du 23 octobre 1989.
Même si la Commission met en place des mesures de réadaptation, le travailleur peut toujours y renoncer et cela n'est pas contraire aux dispositions de la loi.
L'article 183 de la loi énonce :
183. La Commission peut suspendre ou mettre fin à un plan individualisé de réadaptation, en tout ou en partie, si le travailleur omet ou refuse de se prévaloir d'une mesure de réadaptation prévue dans son plan.
A cette fin, la Commission doit donner au travailleur un avis de cinq jours francs l'informant qu'à défaut par lui de se prévaloir d'une mesure de réadaptation, elle appliquera une sanction prévue par le premier alinéa.
Par analogie, on peut en déduire que si la Commission peut, en vertu de cet article, mettre fin à un plan individualisé de réadaptation si le travailleur refuse de s'en prévaloir, on peut en conclure qu'un travailleur peut de lui-même mettre fin à son programme de réadaptation.
Le travailleur a renoncé aux bénéfices du programme de réadaptation mis de l'avant par la Commission. La Commission, par sa décision du 29 mars 1994, a, à toutes fins pratiques, pris acte de cette renonciation du travailleur et, en conséquence, a mis fin au versement de l'IRR, tel que le prévoyait le document du travailleur et l'entente intervenue.
La Commission d'appel considère que le travailleur n'a aucunement été désavantagé par l'entente intervenue entre son employeur et lui puisque l'employeur lui a permis de travailler deux mois afin de compléter sa période d'ancienneté, ce qui lui permettait de recevoir l'indemnité de cessation d'emploi. En contre-partie, la renonciation du travailleur à la mesure de réadaptation n'a aucunement pour effet de le désavantager.
Enfin, le travailleur est toujours libre de renoncer à une mesure de réadaptation proposée par la Commission. Il est alors présumé que ce dernier n'en a plus besoin. D'ailleurs, le travailleur avait lui-même soumis un rapport de son médecin traitant qui considérait que les limitations fonctionnelles du travailleur devaient être modifiées puisque sa condition s'était nettement améliorée.
Tous ces éléments permettent de conclure que le travailleur estimait qu'il n'avait plus besoin de mesures de réadaptation et qu'il a volontairement renoncé à ces mesures.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE l'appel de monsieur Gilbert Rodier;
CONFIRME la décision du bureau de révision du 27 mars 1995.
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Neuville Lacroix
commissaire
Monsieur Benoit Grégoire
(Centre d'aide aux travailleurs et travailleuses
accidentés de Montréal)
2570, rue Nicolet, local 102
Montréal (Québec) H1W 3L5
Représentant de la partie appelante
Me Dominique Joyal
(Canadien Pacifique)
Case postale 6042, succ. Centre-Ville
Bureau 344
Montréal (Québec) H3C 3E4
Représentant de la partie intéressée
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.