R. c. CFG Construction inc. |
2019 QCCQ 1244 |
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COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
QUÉBEC |
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LOCALITÉ DE |
QUÉBEC |
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« Chambre criminelle et pénale » |
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N° : |
200-01-175428-139 |
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DATE : |
14 février 2019 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
HÉLÈNE BOUILLON, J.C.Q. |
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LA REINE |
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Poursuivante |
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c. |
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C.F.G. CONSTRUCTION INC. |
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Accusée |
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JUGEMENT |
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[1] La compagnie C.F.G. Construction inc. est accusée d’avoir causé la mort d’Albert Paradis par négligence criminelle.
[2] Le 11 septembre 2012, à Saint-Ferréol-les-Neiges, un accident mortel se produit sur le chantier du parc éolien de la Seigneurie de Beaupré. Un seul véhicule est impliqué : soit un camion lourd douze roues de type porte-conteneur, propriété de l’accusée C.F.G. Construction inc.
[3] À cette époque, la compagnie est sous-traitante pour Boréa Construction. Son mandat est de démolir une base d’éolienne, d’en retirer les tiges de métal et de les transporter à la récupération.
[4] L’accident a lieu sur un chemin forestier bidirectionnel descendant avec courbes dont le dénivelé moyen est de 11.9 % sur une distance de 700 mètres. La chaussée de gravier est en bon état.
[5] Le porte-conteneur est retrouvé au bas de la pente, à la sortie d’une courbe. Endommagé, il est dans le fossé, mais sur ses roues. La lourde cargaison d’armature d’acier qui venait tout juste d’être chargée se trouve par terre.
[6] La porte du camion (côté gauche) est entrouverte et abîmée. Le corps inanimé du conducteur est couché au sol.
[7] Il n’y a aucun témoin de l’événement.
[8] Albert Paradis est un camionneur d’expérience cumulant plus de 25 années dans le domaine. Il connaît le chantier Boréa pour y avoir effectué un chargement la veille.
[9] Il connaît aussi très bien le camion qu’il conduisait. Il l’utilisait presque tous les jours pour effectuer son travail à l’emploi de C.F.G. Construction inc. depuis 2010.
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[10] L’état mécanique de ce camion est au cœur de l’accusation. Essentiellement, le système de freinage.
[11] La preuve présentée se dévoile sous différentes formes et elle couvre plusieurs années. Elle sera examinée telles les nombreuses pièces d’un puzzle où une multiplicité d’éléments sont assemblés afin de reconstituer un portrait d’ensemble.
[12] La cohérence de cet ensemble sera analysée afin de déterminer si le haut standard de preuve requis, pour prouver l’accusation, est atteint.
[13] Le litige porte essentiellement sur l’appréciation de la crédibilité des témoins, la fiabilité à accorder à leur témoignage et sur l’évaluation de l’ensemble de la preuve afin de déterminer si les éléments essentiels de la négligence criminelle ont été démontrés hors de tout doute raisonnable.
[14] Mentionnons dès maintenant qu’en toute dernière analyse, les preuves contemporaines à l’accident et celles relatives à l’année précédente seront les plus déterminantes.
[15] L’accusée est une entreprise familiale qui œuvre à titre d’entrepreneur général et de consultant en génie civil et en démolition. Elle est immatriculée auprès du registraire des entreprises depuis 2000.
[16] Au moment de l’accident, le 11 septembre 2012, elle est toujours constituée des deux actionnaires fondateurs : Clément et Franky Glode, respectivement père et fils.
[17] Franky Glode, est le président de la compagnie. Il est ingénieur civil, il s’occupe davantage des projets et de l’administration. Il est plus souvent au bureau, plus rarement au garage. Il n’a pas de formation mécanique.
[18] Clément Glode, vice-président, est le responsable des chantiers, du terrain et du garage jusqu’à son décès en 2015.
[19] La compagnie exerce principalement dans le secteur public, parapublic et gouvernemental. La plupart de leurs contrats (95 %) sont obtenus à la suite d’appel d'offres public.
[20] Entre 2004 et 2009, C.F.G. Construction inc. prend de l’expansion. Une croissance rapide et importante qui mène cependant à des difficultés financières.
[21] En 2009, elle se place sous la protection de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité[1]. Un contact quotidien s’effectue avec le syndic au cours de la première année.
[22] L’accusée n’a plus de compte bancaire ni de carte de crédit. Les coûts de fonctionnement incluant les entretiens et les réparations des camions sont financés à même les cartes de crédit personnelles des membres de la direction.
[23] L’objectif, établit de pair avec le syndic de faillite, est de diminuer les dépenses au minimum : moins de personnel et moins d’équipement. La priorité est d’exécuter les travaux qui ne sont pas terminés : récupérer les sommes redevables et payer les soldes dus.
[24] Michel Tremblay est le contrôleur financier de la compagnie et à ce titre, il maintient à jour la comptabilité.
[25] Il fait état du chiffre d’affaires ainsi que des dépenses reliées aux entretiens et aux réparations de la flotte de machinerie et de véhicules. Au sujet du camion Volvo, il indique que les dépenses représentent près de 30 000 $ sur une période de deux ans, soit entre 2010 et 2012[2].
[26] Marie-Ève Bédard est l’adjointe administrative à la direction de C.F.G. Construction inc. depuis 2004. Elle est impliquée dans l’implantation et la création des formulaires du système ISO dès 2005.
[27] L’Organisation internationale de normalisation (ISO) est un système de qualité et d’amélioration continue qui permet de standardiser certaines façons de faire au sein d’une entreprise. Pour la compagnie, cette adhésion l’autorise à appliquer sur les nombreux appels d’offres des projets gouvernementaux qui exigent cette certification.
[28] La pièce D-11 représente l’ensemble des documents ISO implantés. Il s’agit des formulaires F-1300-1 à F-1300-8 ainsi que P-1300-1. Parmi eux, les cinq documents suivants sont les plus pertinents à la présente affaire :
F-1300-1 : Rapport de vérification/Bris mécanique
F-1300-3 : Avis de bris/Défectuosité mécanique
F-1300-4 : Registre des camionneurs
F-1300-6 : Suivi/Entretien régulier/Petit véhicule
F-1300-7 : Maintenance des équipements (fréquence biannuelle/suivi
entretien SAAQ)
[29] Certains de ces documents sont révisés tel qu’en atteste le procès-verbal de la rencontre de direction annuelle du 6 mars 2012[3]. Notamment, le formulaire F-1300-6[4] qui établit une procédure plus stricte quant à la maintenance des équipements afin de répondre aux manquements notés lors de l’inspection de la Société d’assurance automobile du Québec (SAAQ) de 2010.
[30] Marie-Ève Bédard affirme que C.F.G. Construction inc. était consciente de l’état de la machinerie et des véhicules qui n’étaient pas nécessairement « toute jeune ». La compagnie désirait améliorer et axer davantage d’efforts sur l’aspect « préventif » pour optimiser la productivité et éviter les « retards sur le chantier »[5].
[31] En 2012, les entretiens et les réparations des camions et de la machinerie s’effectuent au 1330, boulevard Charest Ouest à Québec.
[32] Le lieu ne possède pas de pont élévateur ni de fosse mécanique. Les mécaniciens doivent se coucher sur un lit roulant pour se glisser en dessous des véhicules afin d’effectuer les vérifications et travaux nécessaires. De plus, ils doivent fournir leurs propres outils[6].
[33] Yannick Émond est mécanicien depuis 1994. Il est embauché par Clément Glode en décembre 2011.
[34] Il travaille au garage du lundi au vendredi, de 7 h à 18 h : « Les samedis, c’était bien, bien rare, à part les contrats qu’on faisait, là, que c’était durant la fin de semaine. Ça, c’était sur des chantiers » dira-t-il[7].
[35] Selon la direction, Yannick Émond est le contremaître, le mécanicien responsable. Il est « 100 % décisionnel » pour toutes les réparations urgentes[8]. Il est aussi qualifié de « leader du garage ». Il détient l’autorité pour effectuer les entretiens requis et les réparations nécessaires tout en devant justifier les dépenses.
[36] Sa façon de travailler est conforme à ce que lui demande Clément Glode à qui il doit se référer lors de bris majeurs ou lorsqu’un camion ne peut plus circuler sur la route.
[37] Yannick Émond qualifie sa relation de travail avec son supérieur ainsi : « d’un boss qui voulait que l’ouvrage sorte, puis qui avait un mécanicien qui faisait que l’ouvrage sortait »[9].
[38] Une consigne lui est donnée : la machinerie et les camions doivent être dans les normes et en règle. Selon lui, ils sont sécuritaires dans la mesure où ils sont conformes aux exigences de la SAAQ.
[39] Il ne reçoit pas de directives spécifiques sur la qualité des réparations, ni sur les coûts d’entretien.
[40] Une carte de crédit lui est remise pour le paiement de pièces. Il doit toutefois consulter Clément Glode pour les dépenses supérieures à 1 000 $.
[41] Au sujet du processus ISO existant et révisé au printemps 2012, Yannick Émond confirme qu’il devait compléter un formulaire à chaque entretien et réparation. Il qualifie cette façon de faire d’« embryonnaire »[10] en 2012.
[42] Il parle de l’utilité des formulaires « Rapport de vérification/Bris mécanique » (F-1330-1)[11] et « Suivi/Entretien régulier/Petit véhicule » qui ont succédé l’utilisation du « cahier bleu »[12] dans lequel il notait les informations reliées aux réparations et aux entretiens de tous les véhicules.
[43] Régulièrement, il effectue les ajustements de freins, les graissages et une inspection visuelle des véhicules « au 7 à 10 jours ou au 7 à 12 jours »[13], dit-il.
[44] La présence d’un bris ou d’une défectuosité lui est transmise par les camionneurs à la suite d’inspection visuelle avant départ ou d’un problème manifesté.
[45] Franky Glode affirme que la sécurité des employés est importante au sein de C.F.G. Construction inc.
[46] La philosophie de l’entreprise englobait la sécurité du camionneur et prônait la possession d’une flotte de véhicules et de machinerie conforme et en bon état.
[47] Le président souligne en outre, la « cote satisfaisante » de la compagnie émise par la Commission des transports du Québec, organisme qui octroie les permis permettant aux véhicules lourds de circuler sur les routes[14].
[48] Ce dirigeant, qui n’avait pas la responsabilité spécifique du garage, admet avoir été « choqué » par ce qui s’y passait à certains moments. Il a essayé d’être plus présent et de prendre un certain « lead », notamment à la suite de l’inspection de la SAAQ en 2010[15].
[49] À ce propos il dira : « À travers ça, j'ai... j'ai essayé d'améliorer les choses aussi, là. J'essayais de faire tout en même temps, là, mais ce n'était pas... ce n'était pas parfait.»[16].
[50] Il appert que plusieurs façons de faire et problèmes liés à l’état des camions lui étaient inconnus.
[51] Il dit ignorer la pratique qui consistait à réparer les véhicules tout juste avant l’inspection annuelle[17].
[52] Il n’était pas avisé systématiquement des constats d’infraction émis en vertu du Code de la sécurité routière[18], ni des défectuosités constatées par les contrôleurs routiers sur sa flotte de camions[19]. Il ajoute que pour sa part, il se consacre à la gestion de l’exploitation et aux contrats.
[53] L’existence du constat d’entrave au travail d’un agent de la paix émis à l’égard de son contrôleur financier, en lien avec une vérification de l’un des camions, n’était pas porté à sa connaissance non plus. Tout comme l’événement au cours duquel Clément Glode conduit un camion qui n’avait pas le droit de circuler sur la route selon la SAAQ[20], ni celui où il laisse Michel Guérin conduire son camion alors qu’il comportait des défectuosités majeures.
[54] De surcroît, il affirme ne pas connaître l’attitude de Clément Glode face aux réparations devant être entreprises sur l’équipement et les camions.
[55] Comme président, il admet qu’il aurait été souhaitable qu’il soit mis au courant de ces situations.
[56] Il ajoute néanmoins que lorsque la machinerie et les camions étaient brisés, la compagnie « […] mettait les sous nécessaires pour les réparer pour qu’ils fonctionnent »[21].
[57] Invité à définir ce que signifie l’entretien des véhicules, il fait référence à l’entretien préventif puis à l’entretien des véhicules afin qu’ils soient fonctionnels, en ordre et sécuritaires pour exécuter les travaux[22].
[58] Ce patron maintient qu’en 2012, tout était conforme à ce qui avait été suggéré en 2010 par l’inspecteur de la SAAQ quant aux points que la compagnie devait améliorer[23].
[59] Il s’agit d’un porte-conteneur automatique, de marque Volvo et de l’année 1997. Ce véhicule lourd appelé « roll-off » est composé de 12 roues, 4 essieux et 8 systèmes de freins.
[60] Il est acheté par C.F.G. Construction inc. lors d’un encan du gouvernement du Québec en mai 2009 au montant de 17 000 $[24]. Il devient le camion no 108 de leur flotte d’équipement. Il est utilisé pour recevoir des rebuts de chantier de construction.
[61] Ce type de camion peut valoir à l’état neuf, entre 250 000 $ et 300 000 $.
[62] Son poids nominal brut est d’environ 17 200 kg[25]. Selon les chartes du ministère des Transports du Québec, la capacité maximale du camion est de 32 000 kg. Au moment de l’accident, son poids incluant le chargement est de 31 900 kg[26].
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[63] La prochaine section regroupe les éléments de preuve ayant trait au camion Volvo avant l’accident.
[64] Elle sera présentée au cours d’une chronologie à rebours des événements. Seuls certains éléments seront mentionnés.
[65] Le 11 septembre 2012, Albert Paradis se rend sur un chantier de Sainte-Foy tel qu’inscrit au registre des camionneurs[27].
[66] Maximilien Guillou, contremaître de C.F.G. Construction inc., présent sur les lieux, précise qu’Albert Paradis lui aurait fait part de son inconfort à se rendre à Saint-Ferréol-les-Neiges pour prendre un chargement avec son camion automatique. Le jeune contremaître lui aurait alors dit de sauter en bas du camion pour sauver sa vie s’il arrivait quelque chose.
[67] Albert Paradis se rend ensuite au chantier Boréa. À la guérite[28], il croise Jean-Michel Côté, camionneur pour une autre compagnie. Il lui parle de l’état général de son camion, des problèmes de freins qu’il a eus la veille et du fait qu’il s’est plaint à son employeur sans que rien ne change[29]. Il lui dit aussi : « En tout cas, si je meurs, vous allez savoir pourquoi »[30]. Lors de cette rencontre, Jean-Michel Côté constate une odeur de brûlé provenant du camion Volvo.
[68] Albert Paradis se rend ensuite à la base de l’éolienne à démonter[31]. Michaël Côté, un employé de l’accusée se trouve sur place. Il doit remplir le conteneur du camion à sa capacité maximale, une demande spécifique de Franky Glode mécontent d’apprendre que la veille, le chargement du Volvo était à moitié vide.
[69] Une fois le conteneur rempli, Albert Paradis émet des commentaires sur la lourdeur de sa cargaison et, un peu plus tard, au sujet de ses freins défaillants. Michaël Côté lui dit que la décision de continuer lui revient en tant que conducteur.
[70] Dans les instants qui suivent, juste avant l’ultime descente, la victime a une dernière discussion avec sa conjointe. Il lui fait part de ses appréhensions et de la lourdeur de son chargement. Il lui dit : « si je ne suis pas là (à la maison à 5 h 30), c’est parce que je vais être mort.» Il conclut en prédisant à sa femme : « qu’elle sera la dernière personne à lui avoir dit… qu’elle l’aimait. »[32].
[71] Le 10 septembre 2012, le registre des camionneurs rempli par Albert Paradis indique que le camion passe deux heures au garage le matin, soit de 6 h 15 à 8 h 15[33].
[72] Un bon de commande daté du 10 septembre 2012 révèle une commande de deux « fiting » et d’une « hose » pour le Volvo (no 108)[34].
[73] Aucun autre élément de la preuve de la poursuite ne permet de savoir ou de connaître les motifs de cette commande ou la nature des bris constatés sur le camion, la veille de l’accident, mis à part les propos suivants émis par Albert Paradis à sa conjointe, le 10 septembre 2012 :
Je n’ai plus de brakes sur mon camion, ma hose à brakes, elle a pété puis, il dit, j’ai averti Frankie et le mécanicien pour qu’il la répare[35].
[…]
[…] le mécanicien m’a dit qu’il l’avait tapée […][36].
[74] Et également ce qu’il dit à Jean-Michel Côté le 11 septembre 2012 à l’effet qu’il en avait parlé à son employeur sans que rien ne change.
[75] Après avoir quitté le garage, toujours la veille de l’accident, Albert Paradis se rend sur le chantier Boréa en après-midi. David Trottier, signaleur routier, voit le camion Volvo avec son chargement. Il constate, en haut de la pente, qu’il ne tient pas en place. Il avise par radio sa collègue Suzette Paquette qui se trouve en bas de celle-ci. Il lui crie de se tasser du chemin.
[76] La signaleuse confirme avoir reçu cet appel radio de son collègue qui l’intime de se déplacer parce que le camion bleu qui s’en vient est dangereux et qu’il n’a pas de freins.
[77] Madame Paquette s’éloigne si bien qu’elle ne voit pas la descente. Un peu plus tôt au cours de la journée, elle l’avait vu circuler « très, très, très lentement » et de façon « très prudente »[37] dit-elle.
[78] John Burke travaille comme apprenti mécanicien (deuxième année diesel) au garage de l’accusée en septembre 2012. Sa fonction est d’exécuter le travail demandé par son contremaître et ami Yannick Émond ou par Clément Glode.
[79] À plusieurs reprises, Albert Paradis lui fait mention que ses freins sont défectueux et qu’ils vont très mal.
[80] Il a l’occasion de conduire le camion Volvo peu de temps avant l’accident. Voici ce qu’il dit à ce sujet :
Dans les semaines qui ont précédé le décès de monsieur Albert Paradis, j’avais fait une livraison d’un équipement chez la compagnie Simplex, j’avais été livré un lift à ciseaux pour la compagnie qu’on avait loué, puis lorsque je me suis déplacé avec le camion, j’ai constaté que les freins étaient très très défectueux puis que la seule chose que les freins faisaient, c’était de ralentir le camion et non de l’arrêter brusquement.
[…]
Bien, quand j’ai constaté que les freins étaient aussi dangereux, à mon opinion personnelle, j’ai immédiatement dit à mon contremaître qu’il était hors de question que je reprenne ce véhicule pour aucune considération tant et aussi longtemps que les freins allaient pas être ajustés, changés ou dramatiquement réparés[38].
[81] Un peu plus loin il dira :
[…] quand j’ai fait la livraison, j’ai constaté que monsieur Albert Paradis disait effectivement la vérité à propos des freins de son camion[39].
[82] À son retour au garage, John Burke discute de cette problématique avec Yannick Émond qui lui demande d’ajuster les freins. Il se rend compte qu’un « seal » de roue coule et qu’il y a de l’huile sur les sabots, sur les « pads de brakes ». Lorsqu’il suggère de les changer, Yannick Émond lui demande plutôt de les essuyer et les reposer. John Burke explique les avoir essuyés et avoir aussi brûlé l’excédent d’huile avec les torches à la demande de son contremaître[40].
Moi personnellement puis Rémi Beaulieu, qui était aussi un aide-mécanicien qui travaillait dans le garage avec nous, m’a aidé à réparer un seal de roue, parce que quand j’ai ajusté les freins, j’ai détecté qu’il y avait un seal de roue qui coulait dans une des roues du camion, puis quand on a détecté qu’il y avait un seal de roue, bien, mon contremaître m’a demandé de le changer. Ça fait qu’on l’a changé, puis les bandes de freins étaient pleines d’huile puis j’ai fait part à mon contremaître que les bandes de freins étaient pleines d’huile, que ça me prenait des nouvelles bandes de freins, mon contremaître m’a fait comme réponse que j’avais juste à les essuyer puis les remettre en place.
[83] La date exacte de cet événement est difficile à déterminer avec précision. Une facture laisse comprendre qu’elle serait le 5 ou 6 septembre 2012. Le registre des camionneurs indique un bris à cette date en après-midi.
[84] Le 28 février 2012, le camion Volvo subit son inspection annuelle obligatoire exigée par la SAAQ et effectuée par Ressort d’auto et de camions Rock inc.[41]. Les défectuosités identifiées, qui amènent sa non-conformité au Code de la sécurité routière[42], sont les suivantes : feux réflecteurs absents, phares de jour avant qui ne s’allument pas, support de chargement arrière « craquelé », butée de direction cassée, récepteur de freinage mal localisé et régleur de jeu anormal.
[85] En résumé, on y retrouve six défectuosités mineures dont deux concernent les freins.
[86] Le camion est ramené au garage, les réparations exigées par le mandataire ont lieu et le lendemain (le 29 février 2012), la certification de conformité requise pour circuler sur la route est obtenue[43].
[87]
Une note apparaît toutefois en bas du rapport de vérification mécanique :
« 125-usé ». Dans la légende
de ce rapport, le numéro 125 signifie : garnitures des freins.
[88] Le mécanicien qui a procédé à l’inspection du camion, Yves Labrecque, explique la signification de cette inscription :
Ça veut dire qu'elles étaient pas mal toutes usées. Parce que s'il y en avait eu une ou deux (2), elles auraient été marquées. Mettons si ça avait été «20» ou «32», il y aurait eu deux (2) roues de marquées, mais vu qu'elles étaient pas mal toutes usées, c'est toute la gang qui le sont[44].
[89] Il ajoute aussi un peu plus loin :
Oui, que ses breaks vont être à changer dans X temps, là, dans pas grand temps[45].
[…]
Bien, «pas grand temps» ça veut dire que peut-être que dans quinze (15) jours, un mois elles sont finies, là. Parce que s'il n'est pas rendu à la limite pour le changer, on ne peut pas le marquer, même s'il est sur le bord, tu ne peux pas. S'il passe au gage, on ne peut pas le marquer[46].
[90] Daniel Guérin a travaillé pour l’accusée à l’été 2009, pour une période de trois mois. Il était conducteur du camion Volvo. Il fait état des différents problèmes mécaniques qu’il a vécus avec celui-ci, notamment au niveau des freins.
[91] Le matin du 11 septembre 2012, alors qu’il est sur un chantier à Montréal, Franky Glode a une communication téléphonique avec Albert Paradis. Une brève conversation « peut-être une minute » parce qu’il « faisait son travail aussi en même temps », au cours de laquelle il lui demande d’aller « vider la boîte des éoliennes »[47].
[92] Devant la Cour, Franky Glode mentionne que s’il avait su, il n’aurait jamais permis qu’Albert Paradis se rende au chantier avec son camion.
[93] La journée du 11 septembre 2012, Jean-François Godon, camionneur de l’accusée, aurait également eu une conversation téléphonique avec lui.
[94] Au cours cet échange, Albert Paradis l’informe qu’on l’envoie chercher une boîte de métal « en haut » et « qu’il n’a pas de freins ». Jean-François Godon lui demande s’il vient de « briser », s’il vient d’avoir un bris. La réponse est négative.
[95] Jean-François Godon assure lui avoir rétorqué fermement et deux fois plutôt qu’une : « Albert, va pas aux éoliennes, revire ça de bord, on s'en va au garage. Je vais envoyer Jean avec l'autre camion aller chercher la boîte demain »[48].
[96] Par la suite, confronté à différentes preuves techniques permettant de douter de sa version, il se reprend de la façon suivante :
Oui, il y a eu des conversations verbales avec Albert. Il me semble bien que j'aie eu une conversation téléphonique. Si ce n'est pas la journée... mais dans la semaine ou très proche, il y a eu des conversations concernant les breaks puis les éoliennes[49].
[97] Au cours de son témoignage, Yannick Émond reconnaît le bon de commande pour le camion Volvo daté du 10 septembre 2012, soit la veille de l’accident. Par contre, il ne fournit aucune explication sur la nature du bris et des réparations nécessaires à cette date. Le rapport comptable confirme également cet achat de pièces[50] inscrit au 11 septembre 2012.
[98] Yannick Émond fait état d’une réparation à un système de freinage le 5 ou 6 septembre 2012. Le budget détaillé[51] de la compagnie révèle également un achat d’un « seal » et d’un « booster » en date du 5 septembre 2012. Un rapport de vérification mécanique et réparations indique des travaux réalisés en date du 6 septembre 2012[52].
[99] Le mécanicien responsable du garage qualifie l’état mécanique du Volvo de « quand même en shape »[53] au cours de l’année 2012.
[100] Même si son état extérieur révèle qu’il était vieux et usagé, il a été conservé dans un « état de bon fonctionnement » jusqu’à l’accident. Pour lui, cela signifie qu’il est réglementaire selon les normes de sécurité routière.
[101] Ce camion est aussi décrit de la façon suivante par le mécanicien :
Le camion était automatique, un camion automatique ne se retient pas de par lui-même, tandis qu’un véhicule... le camion qui était manuel, bien, le chauffeur de camion, bien, il pouvait baisser ses vitesses comparativement à un automatique.
[…]
Bien, c’est que l’usure des freins était plus grande sur le camion Volvo que sur les autres à cause de la... du type de camion.
[…]
Bien, que si exemple au lieu de faire un an avec un set de freins, bien, on faisait... donc, on en faisait peut-être huit mois, neuf mois[54].
[102] Il éprouve de la difficulté à déterminer à quelle fréquence les changements de freins du camion Volvo ont été effectués :
Hé! C’est vraiment dur à déterminer parce que sur les huit sets de freins, s’il y en a un qui est plus usé que l’autre, on va passer plus souvent à en changer un, qu’on ne fera pas les huit en même temps. Si on aurait... mettons si on décollerait avec huit freins neufs on serait un grand bout à ne pas toucher aux freins, mais vu qu’on en changeait... on changeait toujours elle qui était la plus maganée, puis que les autres étaient encore dans les normes d’épaisseur de la SAAQ, on les laissait là. Ça fait que de là le délai entre les changements de freins est assez dur à déterminer[55].
[103] Dès le moment où il a commencé à travailler chez C.F.G. Construction inc., un des premiers commentaires qu’il a entendu d’Albert Paradis concernait l’absence de freins de son camion.
[104] Pour lui, ce camionneur était un « chialeux »[56], un homme jamais content du camion qu’il conduisait et qui s’en plaignait tout le temps. Cette « rengaine », qu’il considère sans fondement, concernait davantage les freins que la chaleur de l’habitacle de son camion[57].
[105] Malgré tout, il allait toujours vérifier les ajustements et l’épaisseur des « lining » des freins. Il précise :
Que les freins... que les freins, on faisait des petits réajustements de freins minimes sans jamais qu’on n’était en dehors des normes, là. On les réajustait plus souvent... on les réajustait souvent parce que monsieur Albert nous disait toujours que le camion ne freinait pas.
[106] Il ajoutera aussi :
Ça fait qu’en tenant toujours les ajustements de freins les plus proches possible en étant dans les règlements... réglementaires, bien, c’était toujours la même phrase qui revenait - que le camion, il ne freinait pas[58].
[107] Il est arrivé qu’il change une pièce à la suite d’un commentaire d’Albert Paradis. Il fournit l’exemple d’une roue qui faisait de la « boucane » et du « seal » de roue défectueux.
[108] Lorsqu’Albert Paradis ramenait son camion en fin de journée, il pouvait constater une « senteur » au niveau des freins, lui laissant croire à de la surchauffe. Il explique que la surchauffe peut mener à une diminution de l’efficacité des freins parce que les « lining » et les « drums » réagissent à la chaleur. Cette situation peut aussi occasionner une surchauffe des « seals » de roues qui ne retiendront plus l’huile dans le compartiment à huile[59].
[109] Yannick Émond se dit économe dans les changements de pièces, tel que le démontre le passage suivant de son témoignage au sujet de pneus usés :
Ça fait que quand on était capable de les user jusqu’à la conformité, bien, on se rendait jusque-là[60].
[110] Sur les fiches de vérifications avant départ d’Albert Paradis, la mention « pneus usés » [61] revient souvent. Il explique :
Parce qu’un pneu sur les essieux de traction, on peut aller jusqu’à 2/32 d’usure, à 2/32 d’usure c’est vraiment usé, là, on ne voit presque plus le trait de pneu, mais à 6/32 ça paraît, ça paraît usé, c’est usé, mais ils sont encore dans les normes de la SAAQ. Ça fait que peut-être que pour lui il les trouvait peut-être très usés, mais de par la SAAQ on était encore 4/32 «over» de la limite pour faire des changements de pneus[62].
[111] Ainsi, il essaie de conserver, pour ne pas gaspiller, toutes les pièces de mécanique le plus longtemps possible, jusqu’à ce qu’elles ne soient plus conformes, il indique :
[…] le plus proche possible de la limite avant de les changer tant pour les freins que pour les pneus ou toutes autres pièces : parce qu’on ne change pas pour rien, des pièces qui sont bonnes […] s’il reste 1/32 à user, on va le laisser user[63].
[112] Pour le mécanicien, conformité et sécurité signifieraient la même chose.
[113] Yannick Émond affirme qu’il notait quotidiennement tous les renseignements au sujet des entretiens, d’abord dans un « cahier bleu »[64] et par la suite, dans le formulaire F-1300-6[65] qui l’a remplacé et dans lequel on retrouve 13 suivis et entretiens réguliers du camion Volvo entre le 20 mars 2012 et le 5 septembre 2012. Il s’agit de graissages et d’ajustements de freins.
[114] Le mécanicien recense ensuite les réparations effectuées sur le camion 12 roues entre décembre 2011 et septembre 2012 : elles sont nombreuses. Sans les énumérer, notons que la grande majorité d’entre elles concerne diverses réparations à la suite de bris mécaniques (pneus, pompes hydrauliques, pompe à gaz, etc.)[66].
[115] Se prononçant sur le bon état de la flotte des véhicules en général, Yannick Émond dit : « Ce n’est peut-être pas parfait, mais les camions sont sécuritaires ». Questionné sur ce que signifie « peut-être pas parfait », il spécifie que ce commentaire concerne les questions esthétiques. En bref, il adhère à la suggestion du ministère public à l’effet que l’état mécanique des camions était parfait et qu’il n’y avait rien à reprocher à cette compagnie exemplaire en matière d’entretien et de sécurité mécanique[67].
[116] Il émet ensuite la nuance suivante : « De par ce qu’on était capable de faire avec la machinerie qu’ils avaient, l’usure qu’on avait. […] on ne peut pas faire un truck neuf... d’un truck usagé un truck neuf. »[68].
[117] Jean-François Godon confirme cette vision. Il mentionne que l’entretien général des camions se situe à un pourcentage qu’il estime à 80-85 % en 2008 et qu’il était supérieur en 2012.
[118] Pour sa part Franky Glode, le président de l’accusée, n’a jamais eu conscience que le camion Volvo pouvait avoir des défaillances mécaniques. Il pouvait se douter qu’il était en réparation lorsqu’il était au garage, sans plus.
[119] Albert Paradis ne lui a jamais fait part des problèmes de son véhicule, sauf la présence de chaleur dans l’habitacle. Franky Glode considère qu’il était un employé qui faisait un bon travail et qui aimait son camion.
[120] Le 27 février 2012, en prévision de l’inspection annuelle obligatoire, Yannick Émond effectue une inspection dite « au peigne à poux »[69] du camion Volvo. Il définit cette expression de la façon suivante : « il s’agit d’une évaluation, de A à Z, qui devrait permettre de déceler toutes les défectuosités et de les réparer avant l’inspection. » Cette qualification s’applique aux inspections annuelles et biannuelles.
[121] Un « kit » de freins neufs est entre autres acheté pour cette occasion et près de 3 000 $ sont dépensés[70].
[122] Malgré tout, le 28 février 2012, certaines composantes défectueuses sont révélées au cours de l’inspection de la SAAQ.
[123] Pour le mécanicien, cette situation est normale :
[…] au garage on ne voit pas tout, ont est pas des dieux. Pis eux autres, ils ont des pits, ils sont installés autrement. Ils sont capables de marcher debout en dessous du camion au lieu d’être couché sous un lit roulant. Ça fait qu’ils ont trouvé d’autres choses qu’il y avait, que le camion n’était pas conforme[71].
[124] À la suite des réparations, le véhicule est certifié conforme le lendemain avec une mention dans la section remarque : « 125- usés soit au niveau des garnitures de frein »[72]. Yannick Émond s’exprime à ce sujet :
Bien, «usé», c’est... au moins, si on aurait eu un pourcentage. S’il nous aurait marqué «usé à quatre-vingt-dix pour cent (90 %)», là on aurait su que le break était presque rendu à bout d’âge. Mais «usé»... s’il y a dix pour cent (10 %) de parti sur le... d’usure, bien, c’est un frein usé[73].
[125] Selon la preuve décrite dans le rapport d’enquête de la Sûreté du Québec et sans reprendre ce qui a déjà été mentionné, l’accident se produit alors que le porte-conteneur chargé de métal descend une pente abrupte sur un chemin forestier. Il aurait glissé avec son chargement sur le côté conducteur pour ensuite faire un tour complet et s’immobiliser sur ses roues de façon perpendiculaire au chemin.
[126] Après l’accident, la scène est rapidement protégée. Le reconstitutionniste de la Sûreté du Québec arrive sur les lieux 1 h 30 plus tard. De nombreuses photos sont prises sur place[74].
[127] Un rapport d’accident de véhicules routiers de la SAAQ est également rédigé[75].
[128] Le lendemain, le camion est remorqué afin de subir les différentes expertises techniques suivantes.
[129] Cette inspection[76] a été effectuée par Gilles Gagnon, mécanicien qualifié qui travaille pour le garage Cummins inc., accrédité par la SAAQ pour exécuter les vérifications mécaniques de véhicules lourds.
[130] Ce témoin, expert en vérification mécanique, possède une grande expérience dans le domaine. Au quotidien, son travail consiste exclusivement à inspecter les camions, à décrire les défectuosités et à s’assurer qu’elles soient réparées, s’il y a lieu.
[131] Il effectue l’inspection mécanique du camion Volvo le 13 septembre 2012.
[132] L’une des évaluations consiste à mesurer sa capacité de freinage à l’aide d’un appareil nommé « freinomètre ». Le résultat du test indique un manque majeur de puissance de freinage. Il est décrit de la façon suivante :
L’essieu no 1 : il est situé à l’avant et sert à la conduite avec l’essieu no 2. La puissance de freinage est qualifiée de bonne. L’ajustement des freins est toutefois différent à gauche versus à droite (une différence de freinage de 18 %), sans que cette situation ne soit problématique.
L’essieu no 2 : il comporte une différence de freinage plus importante (30 %), un ajustement qui n’est pas parfait, mais qui, tout en étant limite, demeure dans les normes.
L’essieu no 3 : il sert à la propulsion du camion avec l’essieu no 4. Il n’est pas balancé convenablement. Il y a une différence de 80 % alors que le déséquilibre maximal est de 30 %. Le frein de la roue droite est beaucoup trop serré. Cette situation peut créer une surchauffe. La surchauffe peut créer un bris d’étanchéité pouvant entrainer de l’écoulement d’huile sur les coussins des freins amenant d’importants problèmes. Il s’agit d’une défectuosité majeure. Cet ajustement exige une maintenance.
L’essieu no 4 : il possède une puissance de freinage nettement inférieure à la norme malgré un ajustement normal qui n’ajoute aucune puissance. Il s’agit d’une deuxième défectuosité majeure. Selon l’expert, la capacité de freinage de l’essieu no 4 ne sert à rien, car elle ne peut retenir le véhicule ou même aider à le retenir puisqu’elle ne possède aucune force.
Concernant les freins de stationnement ou les freins d’urgence : il y en a 4 à l’arrière, un par roue. Sur les essieux nos 3 et 4, la pression exercée par les ressorts est pratiquement inexistante. La pression est presque nulle sur 3 des 4 roues des essieux nos 3 et 4. Seule la roue droite de l’essieu no 3 avait surchauffée. L’expert constate la présence d’huile à l’intérieur. Du côté gauche du 3e essieu, il aperçoit la présence d’une perte d’huile dans le tambour. L’ajustement n’est pas serré, il n’y a pas eu de friction et aucun indice de freinage n’est présent. Ces deux tambours contaminés par l’huile constituent aussi des défectuosités majeures[77].
[133] À la suite de l’analyse, l’efficacité du système de freinage du véhicule est établie à 53 %. D’après l’expert, cette insuffisance de puissance signifie qu’elle était nettement inférieure aux normes.
[134] Les conséquences des différents écarts de freinage existants sur le camion sont importantes : une meilleure capacité des roues de traction, mais une capacité de freinage presque nulle au niveau de celles de propulsion. L’expert explique que cette situation peut mener à une perte de contrôle et à une incapacité à diriger le camion. « Deux secondes et c’est la catastrophe » ajoute-t-il[78].
[135] En sus de ces constats, l’examen révèle plusieurs défectuosités supplémentaires.
[136] Les longueurs des tiges de freins étaient excessivement sorties (roues 22, 23, 31, 32, et 33)[79] entraînant une diminution significative de puissance de freinage.
[137] Même s’il s’agit d’une autre défectuosité majeure, elle n’a pas été comptabilisée comme telle dans le rapport puisqu’une autre défectuosité reliée au régleur de jeu avait déjà été considérée.
[138] À ce sujet, l’expert explique que s’il découvre une seconde composante déficiente faisant partie d’un même système comportant déjà une défectuosité majeure, il préfère ne pas l’inscrire afin de ne pas les « doubler » ou les additionner, même s’il s’agit d’une autre défectuosité présente importante.
[139] Au fur et à mesure de l’inspection, il constate que les freins sont mal ajustés et que les tambours ainsi que les garnitures sont contaminés par la présence d’huile. Plusieurs essieux étaient en cause. Les garnitures des roues 22, 33 et 32 des essieux de propulsion étaient encrassées. L’expert considère qu’il s’agit d’une accumulation de contaminants dans le système de freinage qui perdurait depuis longtemps[80].
[140] Les défectuosités mécaniques majeures constatées lors de cette inspection sont toutes reliées au système de freinage, mise à part la colonne de conduite. Cette dernière a toutefois été exclue compte tenu de la possibilité qu’elle soit associée à l’accident.
[141] En résumé, 14 défectuosités majeures préexistantes sont recensées et elles sont toutes reliées au système de freinage du camion :
Trois freins de service sont inefficaces : les premier et deuxième essieux de traction gauche et le deuxième essieu de traction droit.
Trois garnitures sont encrassées : le premier essieu de traction droit et ceux de droite et de gauche du deuxième essieu de traction.
Cinq régleurs de jeu fonctionnent mal : le deuxième essieu de direction droit, le deuxième essieu de traction droit, le premier essieu de traction droit, le premier essieu de traction gauche et le deuxième essieu de traction gauche.
Trois tambours sont encrassés : le premier essieu traction droit, le premier essieu traction gauche et deuxième essieu traction droit[81].
[142] De nombreuses défectuosités mineures ont aussi été remarquées lors de l’évaluation du camion. Quelques-unes peuvent être dues à l’accident, d’autres pas. Elles ont été détaillées et expliquées au cours du procès[82].
[143] À la suite de sa vérification mécanique du camion Volvo, l’expert conclut :
Je dirais de l’état général du véhicule, là, de ce que j’ai constaté, ce véhicule-là n’aurait jamais dû être sur la route, jamais.
[144] Il ajoute :
C’est le même principe qu’un fusil chargé, excusez-moi l’expression, Votre Honneur, c’est le même principe que ça, ça va bien tant que ça ne part pas. Quand c’est parti, ça peut être fatal.
Puis quand je vous dis que ce véhicule-là n’aurait jamais dû être sur la route, c’est parce qu’il y avait trop de problèmes qui pourraient occasionner des situations dangereuses[83].
[145] Il complète :
Le fait que tous les freins soient désajustés au bout, au maximum, quand la personne freine un coup ou deux, la quantité d’air qui est prise pour freiner, là, elle est plus grande. Quand vos réservoirs sont trop bas, le système d’urgence embarque, déclenchant le ressort pour « braker », freiner le camion. C’est déjà gros. Si ce système-là qui est le dernier recours ne fonctionne pas, c’est complètement... c’est aberrant, on ne met pas ça sur la route, c’est trop dangereux pour le monde, la sécurité de l’opérateur et des gens qui l’entoure. Ça c’est mon avis personnel.
[146] Pascal Deroy, mécanicien chez Paré Centre du camion Volvo, a effectué une expertise du frein moteur du camion[84]. Il s’agit du frein complémentaire au frein de service.
[147] Il constate que le connecteur du contacteur du frein moteur fonctionne très bien, électriquement. Le piston semble également en bon état. Toutefois, il n’est pas en mesure d’évaluer l’étanchéité du système (présence ou absence de fuites).
[148] Le
connecteur du contacteur du frein moteur était cassé et tenait avec des
« ty- rap ». Il
indique :
Bien, c'est commun, oui, de voir des camions arriver avec des Ty-Rap comme ça, parce que souvent les gars, ils essaient de se réparer comme ils peuvent quand ils sont brisés dans le chemin ou dans le bois, peu importe. Mais à ce moment-là, nous autres, souvent on le remplace avec la bonne pièce qui va là, c'est des pièces qui se vendent séparément[85].
[149] Il explique que le commutateur du frein moteur était en position fermé à son arrivée et que lors de la conduite, c’est le chauffeur qui décide d’enclencher soit à « On », soit à « Off » ce système[86].
[150] Il conclut en indiquant qu’il n’est pas en mesure de dire si, de façon interne, le système de frein moteur fonctionnait bien, mais mécaniquement, c’était le cas.
[151] Il ajoute toutefois que l’efficacité de ce système est discutable.
Bien, c'est un système qui aide à ralentir. Par contre, je ne dirais pas que c'est un système qui va faire traîner les roues sur un véhicule, là. Tu sais, c'est une aide au chauffeur à ralentir, mais de là à dire que c'est le meilleur système, personnellement au niveau Volvo, " asteure " avec les nouvelles technologies, non. C'est sûr que c'est mieux que rien[87].
[152] Le test a été effectué le 12 septembre 2012. Les remarques du préposé de service sont les suivantes :
Préparer ordinateur avec câble de communication - me rendre chez Cummins, brancher sur véhicule - vérifier code, code 23-12 inactif depuis 23 ignitions - ce code signifie un manque de communication entre la transmission et le sélecteur de vitesse - enlever ECU pour apporter au garage pour imprimer données - brancher ECU sur ordinateur au garage, imprimer le code inactif - sortir et imprimer Transhealth report, CI est rouge. Cela signifie que selon l’ECU, il y a de l’usure sur le set de clutch #1, usure, mais pas mal fonction, car aucun code qui révèle un problème de clutch - retour Cummins pour donner les prints et réinstaller ECU[88].
[153] Selon la légende apparaissant dans le document, « ECU » signifie transmission electronic control unit. Quant à la grille d’interprétation, la couleur rouge indique que la transmission doit être changée le plus rapidement possible.
[154] Il s’agit d’un rapport général[89] de deux pages dont la première comporte des renseignements tels que l’identification des lieux de l’accident, du camion impliqué, de son propriétaire ainsi que du conducteur. La deuxième page traite des causes probables de l’accident dont la première identifiée concerne les freins défectueux et la seconde, d’autres défauts mécaniques.
[155] À la demande de la Sûreté du Québec, des contrôleurs routiers se rendent sur les lieux de l’accident le matin du 12 septembre 2012. Ils assistent l’expert Gagnon lors de l’évaluation du camion au garage Cummins inc. le lendemain.
[156] Les conclusions de leur rapport[90] sont similaires à celles du mandataire de la SAAQ, soit que l’état du système de freinage du véhicule a été influencé par des ajustements non conformes des bandes de freins et par la contamination des tambours et des bandes par l’huile. Ces défectuosités, bien présentes sur le véhicule avant l’accident, ont diminué significativement la capacité de freinage de ses roues arrière.
[157] François Gourdeau est contrôleur routier et enquêteur pour la SAAQ. Lors de son témoignage, il dépose divers documents dont le registre des propriétaires et des exploitants de véhicules lourds émis par la Commission des transports du Québec[91]. Ce document fait état de l’évaluation du comportement de la compagnie C.F.G. Construction inc. entre le 28 septembre 2010 et le 27 septembre 2012. Il révèle les événements liés à la sécurité des véhicules, à celles des opérations et à la conformité aux normes de charge.
[158] Il dépose également un document s’intitulant « Contrôle routier - titulaire et registre SAAQ »[92], qui concerne précisément le camion Volvo et réfère à toutes les défectuosités existantes à la suite des inspections mécaniques effectuées sur ce véhicule depuis 2008, soit celles prescrites par la loi ou par les contrôleurs routiers de façon aléatoire.
[159] Quant au registre nommé « Entreprises d’intérêt », il cible les propriétaires qui ont fait vérifier leurs véhicules chez un mandataire en vérification mécanique et sur lequel, un nombre élevé de défectuosités majeures ou mineures ont été décelées[93]. L’accusée, est une entreprise d’intérêt en date du 11 septembre 2012 pour Contrôle routier Québec, une agence affiliée à la SAAQ.
[160] Il dépose également deux documents faisant état des interceptions par Contrôle routier Québec des véhicules de l’accusée pour les années 2011 et 2012[94] et le rapport d’inspection en entreprise du 8 février 2010[95].
[161] Ce rapport[96] comporte une section au sujet de l’environnement de la collision, du véhicule impliqué, de la reconstitution et une description des expertises techniques effectuées amenant certaines conclusions qui reprennent essentiellement les éléments de la preuve identifiés précédemment.
[162] Concernant la cinématique de la collision, elle établit deux facteurs ayant causé le renversement.
1. Le freinage asymétrique : Le camion a freiné plus d’avant que d’arrière et davantage du côté passager que celui du conducteur[97].
2. Le chargement : Le niveau élevé du chargement de métal dans le conteneur a provoqué un risque plus important de renversement vu l’élévation du centre de masse[98].
[163] Dave Beaulieu, directeur du Centre de formation en transport de Charlesbourg, possède une expertise importante dans le domaine du transport. Il est déclaré expert en conduite de véhicules lourds.
[164] À la demande de la Sûreté du Québec, il effectue des essais de freinage sur les lieux de l’accident. Il reproduit le plus fidèlement possible les conditions de la descente du 11 septembre 2012. Le camion utilisé pour ces essais était équipé de quatre caméras.
[165] Quatre descentes sont effectuées :
1er : Sans frein complémentaire et sans arrêt;
2e : Sans frein complémentaire avec trois arrêts complets;
3e : Avec le frein complémentaire à pleine puissance;
4e : Avec le frein complémentaire à la plus faible puissance.
[166] Les conclusions de l’expert[99] sont les suivantes :
Après avoir effectué les quatre descentes, il est pertinent de dire que la descente peut s'effectuer sans problème avec des freins en bon état.
Une bonne technique de conduite ne peut compenser les freins en mauvais état.
La technique de descente vient en deuxième position après l'état des freins.
Avec des freins en bonne condition, la chaleur était peu perceptible, même après 4 descentes. Donc, nous avons fait la démonstration que la descente était possible avec un camion équipé d'un système de freinage adéquat ainsi qu'une bonne technique de conduite[100].
[167] Laurent Fortier est déclaré expert en génie mécanique[101]. Il émet son opinion sur certains éléments de preuve. Il n’a pas fait d’expertise sur le camion Volvo, ni été sur les lieux de l’accident.
[168] Il exprime un désaccord quant à la mention, au rapport de reconstitution[102], qui indique « non déterminé » au sujet du port de la ceinture de sécurité. Il estime qu’elle se déduit de l’éjection du conducteur de son camion.
[169] Cet élément, qu’il considère important, lui permet de distinguer l’accident du décès qui, selon lui, serait intimement lié à l’éjection. Il élabore à propos de la protection qu’offre l’intérieur d’un véhicule en cas de collision.
[170] Il doute également de certaines des constatations émises par le policier expert reconstitutionniste dont celles à l’effet que le véhicule était situé à l’extrême gauche du chemin à la fin de sa descente et quant à l’endroit du premier impact de la cabine du véhicule au sol[103].
[171] Questionné au sujet de l’efficacité générale du système du freinage et du résultat de 53% obtenu lors des tests (frein de service ou mécanique), il explique que les véhicules lourds ont d’autres sources de freinage, dont la transmission.
[172] Il distingue les trois sources de freinage existants : l’utilisation de la transmission, du frein de service (appelé aussi frein mécanique) et du frein moteur (appelé frein complémentaire ou Jacob).
[173] Quant au module de contrôle électronique, l’expert estime que la transmission était fonctionnelle au moment de l’accident puisqu’il y avait seulement qu’une usure du système d’embrayage, sans la présence de code d’anomalie. De plus, aucune irrégularité du frein moteur n’a été constatée, même si certains tests n’ont pu être réalisés.
[174] Il donne son opinion relativement aux quatre essais de descente effectués avec un camion similaire.
[175] Selon lui, les freins de service ont très peu été utilisés lors de la descente :
[…] si on n’utilise pas la première vitesse, on diminue donc la force de freinage de la transmission. En diminuant la force de freinage de la transmission, il faut que la force de freinage vienne d’ailleurs. Si le frein moteur n’est pas activé, selon votre question, on a donc uniquement deux dispositifs de freinage : la transmission et les freins de service.
Si vous diminuez la force de freinage de la transmission, vous augmentez donc la charge ou l’énergie à dissiper par le frein de service et ultimement, comme on disait tantôt, si on leur fait dissiper plus d’énergie, de l’énergie c’est de la chaleur. La seule façon qu’un frein ralentit un véhicule, c’est en convertissant le mouvement en chaleur.
Donc, si on... si on freine moins avec la transmission, il faut qu’on freine plus avec les freins. Il n’y a pas d’autres options pour ralentir le camion[104].
[176] Un peu plus loin, il ajoute :
Donc, pour répondre à votre question, quand on mentionne dans la conclusion qu’un... que des freins de service en bon état ne peuvent pas compenser pour... c’est-à-dire qu’une technique de conduite adéquate ne peut pas compenser des freins qui ne fonctionnent pas parfaitement ou qui ne sont pas - je ne me souviens pas le mot exact — des freins en mauvais état, bien, moi, je constate que vraiment la technique de conduite c’est l’élément primordial dans ce cas-ci[105].
[177] Son opinion sur les causes de l’accident est la suivante :
Selon... selon mon opinion et les documents que j’ai consultés, notamment le rapport d’expertise du CFTC, il m’appert évident que la technique de conduite utilisée par le conducteur n’était pas alignée avec la technique de conduite adéquate, tel que démontré par le conseiller pédagogique.
Donc ultimement, considérant que les freins de service d’un camion sont la troisième source de freinage, selon moi la cause principale ou le facteur contributif principal est associé à une technique de conduite inadéquate. Et ça, c’est pour l’aspect accident.
Comme je vous disais tantôt, pour l’aspect mortel ou l’issue fatale, bien, à ce moment-là, on doit considérer le fait que monsieur n’était plus à bord et que monsieur était donc éjecté du camion[106].
[178] Le contre-interrogatoire nous apprend que le témoin a basé son expertise sur certains documents qui n’ont pas été déposés en preuve et qu’il n’a pas consulté en entier celle admise au cours du procès.
[179] L’expert ne sait pas si les freins complémentaires sont optionnels sur un camion lourd. Ni si « l’exhaust brake » est aussi efficace comme système de frein complémentaire que le frein « Jabob ».
[180] Il ne possède pas l’information à savoir si la transmission a été utilisée au moment de l’accident, ni si les freins ont surchauffés. Il admet l’existence d’un problème de freinage du camion Volvo au niveau des freins arrière.
[181] Cinq jours après l’accident, Jean-François Godon mentionne être allé sur les lieux de l’accident avec Clément et Franky Glode. Ils auraient fait des tests dans la côte avec un « pick-up » malgré qu’elle soit fermée. Monsieur Godon n’aurait pas vu de trace de freinage près de l’endroit de l’accident et selon lui, cette absence est « louche »[107].
[182] La première partie de ce jugement a principalement traité de la preuve se rapportant au camion Volvo impliqué dans l’accident mis à part quelques informations à propos de la compagnie accusée. Pourtant, la preuve présentée est plus vaste.
[183] Il y a lieu d’aborder les éléments suivants : les témoignages de certains employés de l’accusée.
[184] Patrick Fournier a travaillé comme soudeur pour C.F.G. Construction inc. d’avril à septembre 2012, une période contemporaine à l’accident. Il témoigne de son environnement et de ses conditions de travail inadéquates, des défaillances au niveau de la sécurité au garage, de la pression que lui fait subir son employeur ainsi que de l’utilisation d’acier rouillé usagé.
[185] Michel Guérin y a travaillé à deux périodes différentes. Douze mois en 2009 et trois semaines en 2012[108]. En 2009, il quitte la compagnie pour des motifs liés à l’état de son camion. Des réparations étaient requises depuis un certain temps et Franky Glode, informé de la situation, lui mentionne qu’elles ne seront pas effectuées, faute d’argent.
[186] Au printemps 2012, sollicité à nouveau par un membre de la direction, il décide de reprendre le travail après avoir obtenu l’assurance que la situation avait changée. Il démissionne trois semaines plus tard constatant l’absence d’amélioration au niveau de la mécanique et du climat de travail[109].
[187] Stéphane Lajoie a travaillé pour l’accusée de mars 2011 à janvier 2012. Il explique les motifs de son départ liés aux problèmes de sécurité et d’entretien des camions. Situations qu’il dénonçait sans que n’intervienne de changements. « La job avant et la sécurité après », lui fait-on comprendre[110]. Il raconte un événement d’octobre 2011 (transport à Baie-Comeau), au cours duquel, il éprouve un problème majeur avec ses pneus, situation pourtant dénoncée au préalable à Michel Tremblay, un membre de la direction. Il qualifie cette compagnie d’ « irresponsable » face à l’entretien et au respect des normes de sécurité[111]. Il précise :
[…] bien souvent, comme je disais tantôt : la job avant puis la sécurité après. Souvent c'était ça. Parce qu'on parlait souvent de problèmes de pneus sur la broche, de problèmes de conduite, de freins, ces choses-là[112].
[188] Le témoignage de Patrick Thomassin concerne les verbalisations d’Albert Paradis reliées aux trous dans sa cabine. Certains documents[113] confirment la présence de ce bris sur le camion Volvo en juin 2011.
[189] Enfin, traitons d’une objection laissée en suspens. Lors de l’audition du 31 janvier 2018, la poursuite a posé une question à Franky Glode au sujet de l’une des conclusions d’une décision de la Régie du bâtiment du Québec de suspendre la licence d’entrepreneur de l’accusée.
[190] Le Tribunal ne connaît pas les faits au soutien de cette décision. Il semble ainsi risqué d’accepter la mise en preuve à ce sujet. L’effet préjudiciable dépasse la valeur probante. L’objection de la défense est maintenue.
[191] Quant à la preuve présentée, il y a lieu de s’interroger sur la valeur probante à accorder à certains témoignages dont la crédibilité et/ou la fiabilité et la pertinence de leur propos ont été mises en doute au cours du procès.
[192] Tommy Junior Albert Paradis est le fils de la victime. Pascal Paré est le conjoint de Jessy Paradis, l’une des filles d’Albert Paradis. Ils ont livré des témoignages convaincants au sujet de ses verbalisations. Toutefois, puisque la défense ne nie pas ses nombreuses dénonciations à propos de l’état du camion Volvo et de ses freins (témoignage de Yannick Émond), cette preuve ne revêt plus la pertinence qu’elle pouvait posséder au moment de son admissibilité, avant la présentation de la défense.
[193] La valeur probante du témoignage de Denis Ménard est affectée par certains éléments qui s’entrelacent, dont ceux soutenus en défense lors du débat au sujet de son admissibilité notamment : il est un ancien employé de C.F.G. Construction inc., mécontent de ce qu’il a vécu au sein de la compagnie; il a vécu une relation d’amitié avec la victime jusqu’à son décès, il relate les propos entendus d’Albert Paradis en des termes généraux; enfin, une admission[114] consignée au dossier laisse planer un doute sur la véracité de certaines de ces affirmations. La combinaison de ces éléments amène à la prudence. Pour ces motifs, son témoignage ne sera pas retenu.
[194] Daniel Guérin a conduit le camion Volvo en 2009. Il a vécu de nombreuses difficultés reliées à son état mécanique. Cependant, en mai 2009, la compagnie venait d’acquérir le camion et plus de trois ans séparent cette période de l’accident. Pour ces motifs, le Tribunal estime, en évaluant sa valeur probante qu’il y a lieu de ne pas considérer cette preuve, sans égard à sa crédibilité.
[195] François Nadeau travaille six mois (juin à décembre 2009) comme camionneur chez C.F.G. Construction inc. La pertinence de ce témoignage est présente, en raison des différents problèmes mécaniques éprouvés et de la réaction des dirigeants face à ces situations. Toutefois, considérant l’écart de temps entre ces événements et la période en cause, il ne sera pas considéré.
[196] Jocelyn Thiffault et Gervais Paradis ont travaillé pour la compagnie Truck Master. Tous deux sont incertains de leur période d’emploi. La preuve présentée en défense identifie clairement les années 2008 et 2009[115]. Compte tenu de l’absence de proximité temporelle en lien avec ces réparations et les faits en litige, cette preuve ne sera pas considérée.
*
[197] Les témoignages suivants sont retenus après analyse.
[198] Sylvie Dionne, Patrick Fournier, Patrick Thomassin et Michel Guérin ont livré des témoignages crédibles, fiables et convaincants. Le Tribunal a tenu compte des éléments soulevés en défense.
[199] Le Tribunal a tenu compte des éléments soulevés en défense.
[200] François Gourdeau a témoigné de façon claire et convaincante. Il possède une grande expérience dans son domaine.
[201] John Burke a fait preuve de transparence et de franchise. Son témoignage est clair et convaincant. L’absence de fiabilité soulevée quant à la chronologie de ce qu’il raconte se révèle non fondée.
[202] Jean-Michel Côté, David Trottier et Suzette Paquette sont des témoins crédibles dont les propos n’ont pas été remis en cause pour l’essentiel.
[203] L’expert Gilles Gagnon a subi un contre-interrogatoire serré sur un volet de son témoignage, à savoir une différence entre les indications contenues dans un document interprétatif préparé par la compagnie du freinomètre et ses explications des résultats[116].
[204] Le Tribunal estime que ces différences, en apparence, doivent être replacées dans leur contexte. Le document qui a servi à confronter le témoin, n’est ni le guide d’interprétation du bulletin technique de la SAAQ, ni un extrait de ce document. Il s’agit plutôt d’un document dit maison, s’inspirant des normes de fabrication de la compagnie qui vend l’appareil.
[205] La défense a également ciblé les différences quant au nombre de défectuosités majeures retrouvées selon le rapport d’expertise. Il semble utile de spécifier que le chiffre 14 constitue la combinaison de celles trouvées aux freins du camion et aux défaillances révélées lors des essais de freinage[117].
[206] Les explications de l’expert Gagnon sont convaincantes et ne diminuent en rien la valeur accordée à son témoignage, tant sur le plan de l’honnêteté que celui de la fiabilité.
[207] Dave Beaulieu, directeur du Centre de formation en transport de Charlesbourg, expert en conduite de véhicules lourds, possède une expertise importante dans le domaine du transport. Devant la Cour, il a fait une démonstration claire, convaincante et fiable de ses compétences sur le sujet.
[208] Des deux responsables du garage en 2012, seul Yannick Émond témoigne au procès en raison du décès de Clément Glode en 2015.
[209] Sa version offre quelques révélations étonnantes qui en diminuent le poids.
[210] Mais c’est en considérant son témoignage en relation avec l’ensemble de la preuve que la réelle mesure de la valeur de son propos peut être prise, principalement face aux entretiens du camion.
[211] Le formulaire F1300-6 (Suivi entretien/Régulier du 24 février 2012)[118] contient des espaces prévus pour l’inscription du kilométrage, des dates de graissage et des ajustements de freins de l’ensemble de la flotte de camions.
[212] Pour le Volvo, elles débutent le 20 mars 2012 et se terminent le 6 septembre 2012. Nous relevons treize dates au cours de cette période.
[213] Ce document comporte de nombreuses irrégularités.
[214] Tout d’abord, le kilométrage des camions n’est pas inscrit à l’endroit prévu à cette fin. Il s’agit pourtant d’un formulaire émis avec la collaboration de Yannick Émond, celui qui devait le remplir.
[215] Ensuite, certaines inscriptions sont antérieures à la date d’émission du document, soit le 24 février 2012 : elles remontent à décembre 2011, janvier et début février 2012.
[216] La plupart du temps, il s’écoule un délai supérieur, entre les entretiens, à celui spécifié par le mécanicien au cours de son témoignage.
[217] Certaines dates ne se suivent pas sur la ligne prévue à cette fin. Par exemple, les entretiens du camion Kenworth auraient eu lieu, le 25 avril 2012, le 18 mai 2012, le 3 mai 2012, pour revenir ensuite au 18 mai 2012.
[218] D’autres journées sont répétitives : pour le camion Kenworth, deux fois le 28 février 2012, pour le Fardier, deux fois le 10 février 2012 et deux fois, le 1 juin 2012.
[219] Plus étonnant encore, l’inscription datée du 30 septembre 2012, sans mention particulière, indique un entretien qui aurait eu lieu deux jours après la saisie du document par les policiers (28 septembre 2012).
[220] Au surplus, les dates inscrites ne concordent pas avec l’horaire de travail du mécanicien contremaître (7 h à 18 h du lundi au vendredi) qui mentionne, lorsque contre-interrogé à ce sujet, qu’il travaillait rarement la fin de semaine. S’exclamant même, quelque peu irrité : « C’est arrivé deux fois dans une année. C’est souvent, ça? »[119].
[221] Pourtant, sur le formulaire F-1330-6[120], nous constatons non pas deux, mais bien 17 journées réparties sur 16 fins de semaine (en considérant l’ensemble des camions) dans un contexte de difficultés financières importantes. Presqu’à toutes les deux fins de semaine sur une période d’environ 9 mois. Voici le détail :
Date |
Journée |
Véhicule |
15 janvier 2012 |
Dimanche |
Fardier (flot) |
21 janvier 2012 |
Samedi |
Kenworth |
10 mars 2012 |
Samedi |
Fardier Woorking floor |
18 mars 2012 |
Dimanche |
Non mentionné |
15 avril 2012 |
Dimanche |
Non mentionné |
22 avril 2012 |
Dimanche |
Volvo |
28 avril 2012 |
Samedi |
Kenworth W900 |
26 mai 2012 |
Samedi |
Kenworth |
10 juin 2012 |
Dimanche |
Volvo |
30 juin 2012 |
Samedi |
Kenworth W900 |
30 juin 2012 |
Samedi |
Kenworth |
30 juin 2012 |
Samedi |
Fardier Woorking floor |
15 juillet 2012 |
Dimanche |
Fardier (flot) |
12 août 2012 |
Dimanche |
Fardier (flot) |
1 septembre 2012 |
Samedi |
Freightliner |
1 septembre 2012 |
Samedi |
Fardier (flot) |
30 septembre 2012 |
Dimanche |
Freightliner |
[222] Outre les irrégularités majeures présentes, à l’intérieur même de ce document hautement pertinent, d’autres anomalies soutenues par Yannick Émond ressortent en regard de la preuve relative aux entretiens du camion Volvo. Il s’agit de graissages complets et d’ajustements de freins à des dates, cette fois-ci, trop rapprochées.
[223] En effet, en croisant les dates de certains documents un graissage complet et une vérification de freins auraient eu lieu les 6 et 8 août 2012 et les 5 et 6 septembre 2012[121]. Les explications du contremaître à ce sujet sont loin d’être convaincantes. Il y a davantage.
[224] Dès l’entrée en fonction de Yannick Émond en décembre 2011 jusqu’au 20 mars 2012 (pour la période antérieure à l’utilisation du formulaire F-1300-6), aucune inscription de ce type d’entretien n’apparaît pour le camion Volvo dans le « cahier bleu » pourtant prévu à cette fin et nulle part ailleurs[122], mis à part la journée de la certification par la SAAQ, du 28 février 2012, tel que décrit précédemment.
[225] Enfin, un sujet que l’on peut qualifier de surprenant : l’absence de lien tissé entre le témoignage de Yannick Émond et le bon de commande de deux « fitings » et d’une « hose » daté de la veille de l’accident, achat pour le camion Volvo[123].
[226] D’abord, ce bon de commande qui correspond à une inscription dans le budget détaillé/coûts engagé[124] de l’accusée, démontre un achat de 170,53 $ pour le camion Volvo en date du 11 septembre 2012, sans qu’aucun autre détail ne soit inscrit sur la ligne prévue à cette fin.
[227] De plus, une mention au registre des camionneurs[125] rempli quotidiennement par Albert Paradis, indique pour la journée du 10 septembre 2012 (la veille de l’accident) entre 6 h 15 et 8 h 15 le matin : « bris garage, 2 heures ».
[228] Les rapports des vérifications mécaniques[126] saisis par les policiers au garage le 28 septembre 2012, concernant le camion Volvo, s’arrêtent au 6 septembre 2012. Aucun rapport pour les journées suivantes, dont celle du 10 septembre 2012.
[229] Les propos d’Albert Paradis, mentionnés à sa femme le 10 septembre 2012, correspondent avec les pièces identifiées au bon de commande à cette même date :
Je n’ai plus de brakes sur mon camion, ma hose à brakes, elle a pétée, puis j’ai averti Frankie et le mécanicien pour qu’il la répare.
[…]
Ils n’ont pas réparé ma hose, j’ai pu de brake, le mécanicien m’a dit qu’il l’avait tapée[127].
[230] Aucune explication de Yannick Émond sur cet aspect. Le mécanicien parle du bon de commande en question[128], soit de son existence, mais pas des raisons l’ayant justifié, ni si des réparations ont eu lieu cette journée-là ou si elles étaient prévues plus tard à la réception des pièces commandées.
[231] Cette absence d’information étonne. Cependant, il serait bien hasardeux de conclure que le mécanicien responsable a voulu dissimuler ce qui s’est réellement passé au garage le 10 septembre 2012 au matin, la veille de l’accident, ou toutes autres conclusions du même type, notamment parce que la question directe ne lui a pas été posée.
[232] Il est toutefois permis de retenir l’absence d’un document pertinent dans la fiche du camion Volvo, alors qu’il devait légalement s’y retrouver, afin d’attester de sa présence au garage la veille de l’accident et les réparations effectuées.
[233] Tenant compte de l’ensemble des considérations énoncées plus haut, le Tribunal ne croit pas le mécanicien responsable du garage lorsqu’il affirme qu’il a fait les entretiens appropriés sur le camion Volvo et qu’il a prêté attention aux demandes répétées d’Albert Paradis quant à ses freins. La crédibilité de ce témoin et la fiabilité de son témoignage sont grandement affectées.
[234] Pour sa part, le président Franky Glode indique que la sécurité des employés était importante au sein de la compagnie. Malheureusement, son propos n’est pas appuyé par l’ensemble de la preuve.
[235] Au garage, les documents pertinents (formulaires et cahier bleu) ne sont pas toujours utilisés pour l’inscription des entretiens et réparations et lorsqu’ils le sont, ils ne sont pas remplis adéquatement. Des défaillances majeures dans leur classement existent aussi. Malgré ce que Franky Glode peut dire de la gestion documentaire, elle se rapproche davantage de la qualification d’« embryonnaire » employée par Yannick Émond que de ce qu’il soutient.
[236] Lorsqu’il maintient qu’en 2012 tout était conforme à ce qui avait été demandé en 2010, par un inspecteur de contrôle routier Québec, cette affirmation ne peut être retenue.
[237] Les renseignements et documents relatifs à l’entretien du véhicule ne sont pas conformes, ni ceux attestant de la réparation des défectuosités constatées.
[238] D’ailleurs, ce rapport d’inspection en entreprise de 2010[129] précise les dispositions du Règlement sur les normes de sécurité des véhicules routiers du Code de la sécurité routière[130] devant s’appliquer pour les véhicules lourds. Les articles 200 et 201 traitent du contenu d’un dossier ainsi que de celui de la fiche d’entretien. Ces dispositions, toujours en vigueur en 2012, n’ont pas été respectées pour plusieurs des éléments essentiels comme mentionné précédemment, incluant l’exigence d’un registre des mesures de garnitures de frein pour tout véhicule ayant un poids nominal brut d’au moins 7 258 kg, ce qui est le cas du camion Volvo.
[239] Pour certains sujets abordés, le témoignage de ce dirigeant, pourtant bien articulé, est tout sauf transparent. Il est en retenu et même contradictoire sous quelques aspects, notamment lorsqu’il est contre-interrogé, au sujet de Rémi Beaulieu sur l’entretien du camion Volvo et à propos d’une infraction d’avoir fait une fausse déclaration pour l’obtention d’une licence en vertu de la Loi sur le bâtiment,[131] pour n’identifier que ceux-là.
[240] Il est également contradictoire avec le témoignage de Michel Tremblay quant à sa connaissance du constat d’entrave au travail d’un agent de la paix[132].
[241] De plus, le Tribunal s’interroge sur la vraisemblance de son affirmation à l’effet qu’il ignorait l’attitude de son coactionnaire, vice-président et père, Clément Glode, au sujet de l’entretien des véhicules. Tous deux ont pourtant travaillé ensemble pendant près de 8 ans.
[242] Jean-François Godon, camionneur toujours à l’emploi de l’accusée, a livré un témoignage qui n’est pas retenu par le Tribunal. Il comporte de nombreuses contradictions avec des éléments de preuve, des invraisemblances qui affaiblissent la fiabilité et la crédibilité de son propos ainsi qu’une contradiction majeure et déterminante sur un sujet pertinent.
[243] Il suffit de se rappeler son affirmation claire et sans équivoque à l’effet qu’il avait parlé à Albert Paradis, juste avant l’accident, à son retour du chantier Boréa vers midi, allant même jusqu’à prononcer les paroles exactes de cette discussion.
[244] Confronté à l’absence de ses propres coordonnées téléphoniques aux relevés téléphoniques de Monsieur Paradis et à l’absence de son nom au registre de la guérite du chantier pour cette même journée, il finira par admettre :
Il me semble bien que j'aie eu une conversation téléphonique. Si ce n'est pas la journée... mais dans la semaine ou très proche, il y a eu des conversations concernant les breaks puis les éoliennes[133].
[245] Jean-François Godon a également fait valoir sa théorie personnelle à l’effet qu’ « […] Albert s’était jeté en bas du camion pour avoir de la CSST pour l’hiver » et « […] qu’il a peut-être écrasé ça (sur la pédale à gaz) dans le fond aussi »[134]. Nous y reviendrons plus loin.
[246] Quelques mots au sujet de la crédibilité de l’expert de la défense, Laurent Fortier.
[247] Cet expert s’est basé sur des documents qui n’ont pas été déposés en preuve et sur une partie seulement de ce qui a été admis lors du procès. La valeur probante de son témoignage est grandement affectée par son manque de rigueur et ses omissions. Au surplus, il semble se méprendre, à certains égards, sur le rôle qu’il occupe devant le Tribunal.
[248] Les témoignages de Michel Tremblay et Marie-Ève Bédard sont considérés comme crédibles et fiables.
[249] Pour conclure cette partie relative aux faits, le Tribunal ne peut adhérer à la thèse soutenue par la défense à l’effet que la preuve présentée démontre que l’accusée a entretenu de façon adéquate les freins du camion Volvo en 2012.
[250] L’ensemble de la preuve s’en éloigne. Néanmoins, ce premier constat factuel ne détermine pas les questions en litige reliées aux éléments essentiels de l’accusation.
[251] La présence de plusieurs défectuosités mécaniques trouvées sur un camion, la preuve d’une négligence dans les entretiens et les réparations ainsi que la conséquence mortelle résultant de l’accident, ne signifie pas que l’infraction criminelle est prouvée.
[252] Les dispositions législatives pertinentes à l’accusation du Code criminel en vertu des articles suivants :
Négligence criminelle
219(1) Est coupable de négligence criminelle quiconque :
a) soit en faisant quelque chose;
b) soit en omettant de faire quelque chose qu’il est de son devoir d’accomplir,
montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.
219(2) Définition de « devoir » - Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.
Obligation de la personne qui supervise un travail
217.1 Il incombe à quiconque dirige l’accomplissement d’un travail ou l’exécution d’une tâche ou est habilité à le faire de prendre les mesures voulues pour éviter qu’il n’en résulte de blessure corporelle pour autrui.
Organisations : infractions de négligence
22.1 S’agissant d’une infraction dont la poursuite exige la preuve de l’élément moral de négligence, toute organisation est considérée comme y ayant participé lorsque
a) d’une part, l’un de ses agents a, dans le cadre de ses attributions, eu une conduite - par action ou omission - qui, prise individuellement ou collectivement avec celle d’autres de ses agents agissant également dans le cadre de leurs attributions, vaut participation à sa perpétration;
b) d’autre part, le cadre supérieur dont relève le domaine d’activités de l’organisation qui a donné lieu à l’infraction, ou les cadres supérieurs, collectivement, se sont écartés de façon marquée de la norme de diligence qu’il aurait été raisonnable d’adopter, dans les circonstances, pour empêcher la participation à l’infraction.
[253] La responsabilité pénale d’une personne morale relevait de la Common law jusqu’à certaines modifications du Code criminel entré en vigueur le 31 mars 2004.
[254] Ces modifications législatives ont apporté des changements importants au Code criminel, notamment l’ajout des notions de « cadre supérieur », d’« organisation » et d’« agent » prévu à l’article 2.
[255] Ainsi, la responsabilité des personnes morales est désormais fondée sur la faute d’un de leurs « cadres supérieurs ». Et la responsabilité de ce « cadre supérieur » pourra être imputée à l’organisation.
[256] Afin de déterminer si un employé est un « cadre supérieur », il faut considérer les fonctions qu’il exerce et les responsabilités qui lui incombent dans le champ d’activités qui lui a été délégué. La notion de « cadre supérieur » n’inclut pas seulement les hauts dirigeants et le conseil d’administration d’une compagnie[135].
[257] Les crimes de négligence pénale ne se laissent pas cerner facilement[136]. À ce propos, le juge Sopinka écrivait que ce domaine du droit, tant ici que dans les autres pays de Common law, s’est révélé l’un des plus difficiles et des plus incertains de tout le droit criminel[137].
[258] La principale difficulté, en matière de responsabilité criminelle objective, provient probablement du fait que l’actus reus et la mens rea des infractions de cette nature sont des notions qui se côtoient étroitement, d’où le risque de les confondre, l’une avec l’autre, en raison du critère objectif qu’elle partage.
[259] La négligence criminelle constitue une infraction fondée sur une faute relevant de l’insouciance par opposition à l’intention de commettre une infraction. Elle tient à l’omission d’envisager un risque dont une personne raisonnable se serait rendu compte.
[260] Plusieurs décisions rappellent l’importance de distinguer l’écart marqué et important qui entraîne la responsabilité criminelle en matière de négligence, de la conduite négligente en matière civile.
[261] Ainsi, un simple écart par rapport à la norme respectée par une personne raisonnablement prudente satisfait à la norme préliminaire de la négligence civile, mais n’est pas suffisant pour établir la responsabilité pénale.
[262] L’infraction de causer la mort par négligence criminelle nécessite plutôt la preuve des éléments essentiels suivants :
a) un comportement (acte ou omission de faire une chose qu’il est de son devoir d’accomplir) qui dénote une insouciance téméraire ou déréglée pour la vie d’autrui ou la sécurité (actus reus);
b) révélant un écart marqué et important par rapport à la norme que respecterait une personne normalement prudente dans les circonstances où l’auteur a eu conscience du risque grave sans pour autant l’écarter ou ne lui a accordé aucune attention (prévisibilité objective de lésions corporelles) (mens rea); et
c) qui cause la mort d’un être humain[138].
[263] Enfin, s’impose la nécessité d’une preuve, hors de tout doute raisonnable, que la conduite du délinquant est à tous égards hors norme.
[264] Les défectuosités mécaniques constatées après l’accident, mais préexistantes à celui-ci, résultent clairement d’une omission d’assurer un entretien convenable. C’est donc le paragraphe b) de l’article 219(1) C.cr. qui s’applique.
[265] L’accusée avait le devoir légal, comme tout propriétaire de véhicules lourds circulant sur la voie publique, de s’assurer que le camion Volvo pouvait être utilisé sans risque de mettre en péril la sécurité d’autrui.
[266] Le Tribunal croit que cette première partie ne nécessite pas de s’y attarder plus longuement, compte tenu des nombreuses obligations légales[139] de l’accusée et de la preuve quant à l’état du camion au moment de l’accident.
[267] L’entretien des freins du camion Volvo est défaillant sous plusieurs aspects en contravention des obligations légales de l’accusée. En omettant de les respecter a-t-elle démontré, compte tenu des circonstances, une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la sécurité et de la vie d’autrui?
[268] D’entrée de jeu, le Tribunal n’hésite pas à affirmer que la preuve met en lumière davantage qu’une simple omission ponctuelle dans l’entretien des freins et bien plus que certaines faiblesses dans la gestion des dossiers.
[269] Selon l’auteur Hugues Parent :
L’insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui est donc synonyme d’indifférence, de détachement ou de désintéressement. C’est l’action ou l’omission qui trahit une absence totale de considérations à l’endroit des conséquences prévisibles[140].
Malgré son caractère objectif, l’évaluation du comportement de l’accusée ne se fait pas dans un vide factuel, mais dans le cadre de toutes les circonstances de l’affaire[141].
[…]
Si les caractéristiques personnelles de l’accusé, autres que l’incapacité, ne sont pas pertinentes sur le plan de la détermination de la norme applicable, il en va autrement de la nature de l’activité pratiquée, laquelle amènera une fluctuation de la norme effectivement appliquée. Participer à une poursuite policière dans un quartier résidentiel exige en effet une plus grande prudence que de faire de la soudure dans un entrepôt désaffecté. Certaines activités étant réservées à certaines catégories d’individus, l’appréciation « in abstracto » du comportement de l’accusé devra se faire dans le cadre de l’activité pratiquée[142].
[270] Les activités de C.F.G. construction inc. font partie d’un domaine fort règlementé qui implique le respect de nombreuses règles qui l’encadrent, non sans raison. En effet, la mise en service d’un porte-conteneur lourdement chargé comporte des risques pour les conducteurs et les usagers de la route.
[271] L’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l’intégrité physique du travailleur. Il doit notamment fournir un matériel sécuritaire et assurer son maintien en bon état[143].
[272] Subséquemment, l’obligation de diligence de l’accusée se particularise par la nature même du travail en cause. Elle nécessite qu’une attention soit portée aux circonstances particulières dans lesquelles elle s’exerce : notamment sur les routes, les autoroutes, les chantiers de construction, les chemins de terre et de gravier, les pentes et les courbes, en ville ou en campagne et lors de températures variables.
[273] Nous comprenons que la norme de prudence doit être élevée.
[274] Les freins font partie des systèmes mécaniques les plus importants d’un véhicule, particulièrement pour un porte-conteneur qui les sollicite davantage dû au poids de ses chargements.
[275] En tout temps, une attention particulière aurait dû être accordée à ce système essentiel du camion automatique.
[276] L’inspection mécanique après l’accident, expertise non contredite, établit que les freins sont à 53% de leur capacité maximale, soit à moitié inopérants. Les défectuosités majeures sur ce même système sont en nombre alarmant, soit de 14. Une seule aurait suffi à devoir retirer le véhicule de la circulation[144]. Le chargement est pour sa part au maximum de sa capacité[145].
[277] Analysées de façon contextuelle, ces défectuosités préexistantes à l’accident résultent de manquements importants lors des entretiens et des réparations effectués sur le camion Volvo, qui l’ont rendu intrinsèquement dangereux : sorties de tiges non barrées, leviers d’ajustement dépassant l’ajustement maximal, garnitures et tambours encrassés par une accumulation de contaminants de longue date dans le système de freinage selon l’expert en vérification mécanique.
[278] Le matin du 11 septembre 2012, l’état du camion était connu par le mécanicien de la compagnie, tout comme l’étaient les conditions difficiles du chemin forestier (pentes abruptes, courbes et revêtement de gravier).
[279] Le poids important du chargement était une demande spécifique de la direction, mécontente du demi-voyage de la veille.
[280] Une personne raisonnable n’aurait jamais permis que ce camion circule sur la route, elle rend encore plus hors norme la décision de l’envoyer chercher des rebuts d’acier sur un chemin forestier avec la consigne de le charger au maximum.
[281] Le comportement en cause révèle une indifférence et un détachement face au danger qui trahit une absence totale de considération à l’endroit des conséquences pourtant prévisibles.
[282] Au cours de l’année 2012, au sein du garage de C.F.G. Construction inc. règne une façon de faire où les économies de bout de chandelle régissent les dépenses puisées à même les cartes de crédit personnelles des dirigeants.
[283] La situation financière précaire de l’accusée, placée sous la protection de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité[146] depuis 2 ans, n’est certainement pas étrangère à cette façon lacunaire de diriger.
[284] Mais, elle n’est ni la seule ou même, la plus importante.
[285] Yannick Émond est le mécanicien responsable du garage. Compte tenu de la fonction qu’il exerce et des responsabilités qui lui incombent, il est un « cadre supérieur » dont la faute pourrait être imputée à l’accusée. Il a, d’une certaine façon, accepté ce qui était attendu de lui par son patron Clément Glode.
[286] Il réparait le camion Volvo d’une façon compartimentée, sans démontrer de préoccupation pour l’ensemble du fonctionnement des systèmes mécaniques en cause, alors que toutes les composantes sont reliées les unes aux autres.[147]
[287] Un travail en silo, fragmenté, de pièces à changer seulement lorsqu’elles sont « usées à la corde ». Une vision étroite et restreinte, vouée à son interprétation de la « conformité » sans égard au danger que peut représenter cette manière de réparer.
[288] Le camion Volvo était pourtant un véhicule vieillissant qui demandait davantage de soins que d’autres plus récents.
[289] Cette façon de faire a éradiqué l’état mécanique réel dans lequel il se trouvait démontrant une indifférence et un détachement qui trahit une absence totale de considération à l’endroit des conséquences prévisibles. Un comportement qui n’est conforme à aucune norme de prudence ou de diligence.
[290] D’ailleurs, lorsqu’il fait référence aux plaintes d’Albert Paradis, certains de ses propos l’illustrent :
C’est qu’en tenant toujours les ajustements de freins les plus proches possible, en étant dans les règlements, c’était toujours la même phrase qui revenait. Soit que le camion ne freinait pas[148].
[Soulignement ajouté]
[291] Cette phrase dévoile une partie de l’ampleur de la situation. En bien peu de mots, elle réussit à démontrer l’une des raisons pour lesquelles les freins du camion étaient dans cet état au moment de l’accident. Elle confirme aussi pourquoi le mécanicien peine à faire la différence entre sécurité et conformité.
[292] L’économie extrême recherchée ne pouvait s’accorder avec la notion de sécurité puisqu’une attention particulière frôlant la lésinerie, était apportée à l’absence de gaspillage des pièces, surtout concernant les freins et les pneus.
[293] À tous les niveaux, une absence de rigueur et de professionnalisme se dégageait du travail effectué au garage. Les exemples, nombreux dans la preuve, le démontrent trop bien : l’endroit, un local inadéquat et désuet, l’utilisation, de la carte de crédit personnelle des dirigeants pour payer les achats nécessaires aux réparations, le critère d’usure appliqué (notamment aux freins et aux pneus), la culture qui prévalait, l’absence de preuve fiable d’entretien[149] du camion Volvo, la tenue déficiente des dossiers pourtant exigée par règlement (des documents absents ou remplis partiellement), les formulaires ISO encore qualifiés d’embryonnaire en 2012 par celui chargé de les remplir, l’absence d’implication valable du président à la suite de sa connaissance des façons de faire problématiques au garage notamment quant à l’état des véhicules.
[294] John Burke a travaillé à cet endroit entre le mois d’août et septembre 2012. Il qualifie le lieu d’un « garage de fond de cour »[150] qui mettait sa sécurité personnelle et sa carrière à risque. Il confirme ce que d’autres éléments de preuve démontrent : des réparations de base, au strict minimum.
[295] Michel Guérin a été à l’emploi de l’accusée à deux périodes différentes. Lors de la seconde, il démissionne après seulement trois semaines constatant qu’aucune amélioration n’avait eu lieu depuis 2009. Il s’agit d’un témoignage qui va dans la même direction que certains éléments de preuve existants à ce sujet.
[296] La défense plaide avoir fait preuve de diligence dans l’entretien et les réparations du camion Volvo.
[297] Avec égard, le Tribunal ne peut adhérer à ce qui est soutenu. L’accusée fait référence aux sommes importantes investies pour le camion en maintenance, entretien et réparation. Divers documents ont été produits dont les fiches de vérification avant départ, de vérification de bris mécaniques, d’achats et de changements de pièces[151].
[298] Il est vrai que la preuve révèle un investissement d’une somme de 30 000 $ pour le camion au cours des deux années précédant l’accident. Ceci nécessite toutefois les observations suivantes qui en affaiblissent la portée.
[299] Seules des factures totalisant la somme de 19 000 $ pour cette période ont été retrouvées dans la fiche du camion, endroit où pourtant elles devaient être.
[300] La presque totalité des dépenses encourues fait suite à des bris, occasionnant l’arrêt de ce camion.
[301] De plus, étant donné l’âge de ce porte-conteneur, soit de 1997, la compagnie était sûrement consciente de la nécessité de nombreuses réparations à venir et des sommes considérables à investir. Particulièrement, tenant compte que le prix payé (17 000 $) représente un ratio de 7 % de sa valeur à l’état neuf et des conditions difficiles dans lesquelles il allait œuvrer.
[302] Ces réparations ne sont pas synonymes de l’entretien du système de freinage.
[303] L’analyse détaillée des factures[152], démontre que sur les huit freins du camion, un seul a été changé depuis la certification annuelle du 29 février 2012, soit le 5 ou le 6 septembre 2012 à la suite des commentaires de John Burke.
[304] Au surplus, ce dernier affirme qu’il n’y avait aucun entretien préventif au garage pendant la période où il était présent, c’est-à-dire à la fin de l’été 2012[153].
[305] Ceci est conforme à l’admission au dossier à l’effet qu’aucun document d’inspection préventive n’a été saisi ou trouvé lors des perquisitions effectuées au garage ainsi qu’au siège social de la compagnie[154].
[306] Les défaillances de l’accusée dans l’entretien et les réparations n’ont été ni temporaires ou sans importance. Elles se sont prolongées dans le temps en plus de comporter un haut niveau de négligence. L’ensemble du système de freinage était dans un état de déséquilibre à la suite de réparations parcellaires insuffisantes.
[307] L’accusée avait pourtant reçu les nombreux avertissements d’Albert Paradis et une semaine avant l’accident, ceux de John Burke. Le rapport de certification annuel de février 2012 faisait également état de l’usure de l’ensemble de ceux-ci.
[308] À cette époque, Franky Glode menait plusieurs batailles de front. Des préoccupations financières jugées prioritaires l’ont accaparé. Elles ont pris l’avantage sur le bon fonctionnement du garage, l’état des équipements, mais surtout, sur la sécurité des travailleurs.
[309] Même s’il n’avait pas la responsabilité directe du garage, Franky Glode aurait essayé d’être plus présent et de prendre un certain « lead », depuis 2010[155].
[310] La série d’événements mentionnés aux paragraphes 50 à 55 sont autant de situations qui auraient dû non seulement l’interpeller, mais surtout, l’amener à provoquer rapidement, à titre de dirigeant, des changements majeurs au niveau de l’attitude et des façons de faire au garage.
[311] Le comportement en cause révèle plutôt une indifférence et un détachement face au danger qui trahit une absence totale de considération à l’endroit des conséquences pourtant prévisibles.
[312] L’ensemble de la preuve démontre, hors de tout doute raisonnable, que l’omission d’entretenir les freins en l’espèce, révèle une insouciance déréglée ou téméraire pour la vie ou la sécurité d’autrui.
[313] Le principe qui suit se dégage des arrêts qui traitent du lien de causalité :
La poursuivante doit démontrer que la conduite d’un accusé a contribué de façon appréciable à la mort d’une victime (ou à des lésions corporelles) sans égard à la condition dans laquelle elle se trouvait alors, et indépendamment des événements antérieurs ou contemporains[156].
[314] Il convient de citer cet énoncé de l’arrêt R. c. Nette[157] en 2001 et réitéré en 2012 dans l’arrêt R. c. Maybin[158]:
Il n’est pas nécessaire que les actes illégaux de l’accusé soient la cause unique, ni même la cause directe de la mort; le tribunal doit décider si ses actes ont contribué de façon appréciable à la mort.
[315] La causalité nécessite donc l’examen de la preuve afin de déterminer comment la victime est décédée et comment l’accusée a contribué à ce résultat.
[316] La défense soutient que le lien de causalité entre l’omission de l’accusée et la mort de la victime est, soit inexistant ou, à tout le moins, insuffisant.
[317] Plusieurs actes intermédiaires sont relevés dont la technique de conduite inappropriée de la victime, sa décision de quitter le camion juste avant son renversement et le droit de refus[159] (de conduire) qu’elle n’a pas utilisé.
[318] Mais, traitons en premier lieu, de deux autres allégations soutenues par différents employés de l’accusée, soit la distraction lors de la descente fatale (en mangeant ou en parlant au téléphone) et la théorie tristement saugrenue à l’effet que le conducteur ait volontairement choisi de provoquer l’accident, ayant en tête le double objectif/avantage suivant : détruire le camion dont il se plaint constamment et recevoir des prestations de la CSST tout l’hiver[160].
[319] Ces deux assertions sont hypothétiques. Aucun élément de preuve ne permet de soutenir l’imprudence ou l’acte délibéré. Au contraire, Albert Paradis était un camionneur prudent et consciencieux. De surcroît, le matin même de l’accident, un contremaître de chantier de C.F.G. Construction inc. avoue lui avoir conseillé de sauter en bas de son camion alors qu’il lui exprimait son malaise de se rendre aux éoliennes pour prendre un chargement de métal[161].
[320] Passons maintenant aux trois autres prétentions avancées. La première : l’utilisation d’une technique de conduite inappropriée lors de la descente avec un camion lourdement chargé.
[321] Il n’y a aucun témoin des événements. Aucune trace de freinage sur la chaussée. Seule la présence de marques de dérapage dans la courbe sont remarquées au bas de la pente, parfaitement compatibles avec les défectuosités majeures du système de freinage observées sur le camion après l’accident, mais préexistantes, et se manifestant par une absence de puissance sur les freins arrière causant un déséquilibre entre les forces de freinage[162].
[322] Voici ce qu’en dit le reconstitutionniste de la Sûreté du Québec :
Les seules traces de dérapage que j’ai observées, c’est les traces des deux (2) essieux directeurs qui frottent au sol, mais les essieux arrière, les deux (2) essieux arrière, les essieux de tracteur, je n’ai pas observé de traces de dérapage pour ces essieux-là[163].
[323] L’expert de la défense soutient que les freins de service d’un camion (le système de freinage principal) doivent être considérés comme la troisième source de freinage après l’utilisation de la transmission (pour rétrograder) et de celle du frein moteur (frein complémentaire).
[324] Selon lui, le conducteur aurait effectué soit un mauvais choix ou une mauvaise utilisation des systèmes de freinage disponibles. Ceci serait la cause de l’accident.
[325] Lorsque le camion accidenté est arrivé au garage du mandataire de la SAAQ, la transmission était embrayée en quatrième vitesse. Elle semblait fonctionner malgré un manque de communication entre la transmission et le sélecteur de vitesse ainsi que la présence d’usure sur le premier embrayage[164].
[326] Pour sa part, le commutateur du frein moteur était en position fermée. Son étanchéité n’a pu être vérifiée, mais il fonctionnait très bien de façon électrique[165].
[327] La preuve ne nous permet pas de déterminer si Albert Paradis a pu tenter, sans succès, d’utiliser la transmission et/ou le frein moteur après avoir vraisemblablement constaté la défaillance du système de frein de service.
[328] Comme le souligne la défense avec justesse, certaines données inconnues existent en regard des circonstances entourant l’accident. D’où l’importance d’examiner avec attention la preuve existante afin d’en apprécier la valeur et le poids à lui accorder.
[329] Revenant à la cause de l’accident émise par l’expert de la défense, il semble assez réducteur de retenir la technique de conduite inadéquate de la victime alors que la preuve de l’état de fonctionnement des sources de freinage ne s’avère pas concluante. Le rapport de lecture du module électronique indique un manque de communication entre la transmission et le sélecteur de vitesse. Un code de couleur indique que la transmission doit être changée le plus rapidement possible et qu’il y a de l’usure sur le « set de clutch no 1 »[166]. En outre, le système de frein complémentaire du Volvo (exhaust break) n’est pas un procédé efficace[167].
[330] Qui plus est, la preuve liée au système de frein principal, milite et converge dans la direction d’une défaillance mécanique majeure plutôt qu’une mauvaise technique de conduite. L’opinion solide de Dave Beaulieu, expert en conduite de véhicules lourds, pour qui la descente de cette pente peut s’effectuer sans problème avec des freins en bon état, affirme qu’une bonne technique de conduite ne peut compenser pour des freins en mauvais état[168].
[331] Il est certainement utile d’ajouter que même si le Tribunal avait foi en cette prétention de conduite inappropriée, le lien de causalité n’en aurait pas été affecté compte tenu de l’état de la jurisprudence sur la question[169]. En effet, la façon de réagir et de conduire, en présence de freins principaux défaillants, ne peut diminuer la responsabilité de l’accusée en deçà de la norme requise.
[332] Maintenant, quant à la seconde prétention avancée : la décision de quitter le camion juste avant son renversement.
[333] Plusieurs éléments de preuve convergent vers le fait que la victime ait pu quitter le véhicule lourd, juste avant son renversement : Albert Paradis est retrouvé au sol, près de son camion, la ceinture de sécurité de son siège n’est pas bouclée et la porte côté conducteur est entrouverte. Il s’agit d’une possibilité raisonnable à envisager.
[334] Mais comment l’expliquer? Et pourquoi?
[335] S’il est déjà difficile de prévoir le comportement humain en général, il l’est davantage d’identifier avec exactitude, parmi l’éventail et la diversité des réactions possibles en pareille circonstance, celle qui a eu préséance dans son esprit au cours de la descente.
[336] Même si la victime avait choisi de sauter du camion qu’elle ne contrôlait plus, l’état du système de freinage a contribué de manière appréciable à sa mort.
[337] Cette action devant l’évidence d’un accident ne peut être perçue comme un acte intermédiaire. Le lien est direct, sans interruption. Un geste, en réaction à l’état des freins.
[338] L’omission de l’accusée d’assurer un entretien approprié à ce système est la cause exclusive, directe, du geste de la victime entrainant sa mort.
[339] Enfin, quelques mots au sujet du droit de refus qui aurait dû être invoqué.
[340] Il est soutenu par plusieurs témoins incluant le dirigeant de l’accusée, qu’Albert Paradis aurait dû refuser de se rendre au chantier Boréa, de prendre le chargement de métal et de descendre la pente, s’il trouvait que ses freins étaient défectueux et qu’ils mettaient en danger sa vie ou celle d’autrui.
[341] À l’évidence, le refus de travail, cette dénonciation ultime que quelque chose ne va pas, qu’un danger existe, n’est pas aussi simple à faire ou à dire qu’on semble le laisser croire.
[342] À preuve, Albert Paradis dénonçait régulièrement l’état des freins de son véhicule lourd.
[343] Sa décision de gagner sa vie pour faire vivre sa famille, de faire le travail demandé, malgré ses craintes et ses appréhensions, ne peut signifier un transfert complet de responsabilité et décharger la compagnie du respect de ses obligations légales de maintenir le camion dans un état sécuritaire. Albert Paradis était camionneur, pas mécanicien.
[344] Le 11 septembre 2012, son travail au parc éolien était connu de l’accusée, tout comme l’étaient les conditions difficiles de ce chantier et la lourdeur de la cargaison.
[345] Rappelons qu’il est d’ailleurs interdit à l’exploitant de demander, d’imposer ou de permettre au conducteur de conduire dans le cas où le fait de conduire compromet ou risque de compromettre la sécurité ou la santé du public, du conducteur ou des employés de l’exploitant[170].
[346] Pour conclure cette partie, tous les actes intermédiaires avancés par la défense, en regard de la possibilité de rupture du lien de causalité ne le rompent pas, ne l’ébranlent pas et ils constituent, des hypothèses que la preuve ne soutient pas[171].
[347] L’ensemble de la preuve démontre que la conduite de l’accusée a contribué, hors de tout doute raisonnable, de manière plus qu’appréciable, à la mort d’Albert Paradis.
[348] La preuve de l’actus reus de l’infraction ne permet pas à elle seule, de conclure raisonnablement à l’existence de l’élément de faute requis. La conduite constituant un écart marqué et important, par rapport à la norme de prudence, est le seul facteur qui peut étayer raisonnablement cette conclusion[172].
[349] On ne saurait prétendre sérieusement que l’accusée, par l’intermédiaire de ses cadres supérieurs, a agi sciemment de manière à ce que les freins du camion conduit par Albert Paradis ne répondent plus, ni qu’elle ait souhaité le tragique résultat de l’accident.
[350] La faute morale se situe ailleurs, sur un autre plan.
[351] Elle tient à l’omission d’envisager ou d’éviter un risque qu’une personne raisonnable aurait envisagé ou évité dans les circonstances (soit l’accusée a eu conscience d’un risque, sans pour autant l’écarter, soit elle ne lui a accordé aucune attention)[173].
[352] Généralement, les inférences tirées de l’ensemble de la preuve permettront de déterminer si l’état d’esprit blâmable a été prouvé. Comme l’indiquait la juge Charron dans l’arrêt Beatty, le juge des faits doit considérer la totalité de la preuve, y compris les éléments relatifs à l’état d’esprit véritable d’un accusé[174].
[353] Souvent confondue avec l’actus reus de l’infraction, la faute en matière de négligence criminelle « provient d’un relâchement de la volonté, par l’effet duquel la raison manque de la sollicitude qu’elle peut et doit avoir »[175].
[354] Que révèle la preuve à ce sujet?
[355] Depuis longtemps, Albert Paradis dénonçait la problématique qu’il vivait avec les freins de son camion. Il en parlait non seulement à son entourage, mais il avisait régulièrement l’un des cadres supérieurs de l’accusée. Ces éléments ressortent de la preuve de la poursuite, mais également de celle présentée en défense.
[356] Il l’exprimait tant qu’il en était qualifié de « chialeux » par le responsable de l’état de son camion.
[357] De l’agacement et une forme de contrariété se distinguent même lorsqu’il témoigne au sujet de ces demandes répétées.
[358] Force est de constater que les plaintes d’Albert Paradis ne recevaient une certaine attention que lorsqu’elles étaient appuyées par des éléments extérieurs : les commentaires de John Burke, un bris mécanique, une odeur de brûlé ou de la fumée, par exemple.
[359] Pourtant, le mécanicien maintient qu’après chaque plainte, il allait vérifier si les ajustements de « breaks étaient adéquats »[176].
[360] Cette affirmation est inconciliable avec l’état des freins du camion constaté par John Burke peu de temps avant l’accident et, contradictoire avec les défectuosités préexistantes trouvées, le 13 septembre 2012. Elle n’est pas supportée par la preuve documentaire présentée en défense non plus.
[361] Elle est compatible avec les propos d’Albert Paradis rapportés notamment par Sylvie Dionne :
Bien, des fois, il me disait qu’il leur avait dit que c’était réparé, mais en fin de compte, quand il partait sur la route, il disait qu’ils avaient rien fait.
[362] La répétition des demandes se référant au même problème récurrent, identifié par le camionneur (sur une période d’environ 9 mois), aurait dû mener le mécanicien à pousser plus loin ses vérifications.
[363] Aucun essai routier ou demande d’essai routier dans le but d’évaluer les freins et de prendre la réelle mesure des plaintes d’Albert Paradis n’a été demandé ou effectué par le mécanicien responsable. Nous avons vu précédemment, les commentaires accablants émis par John Burke sur le piètre état du système de freinage lorsqu’il conduit le camion de façon fortuite.
[364] Le constat est troublant. Les demandes répétées d’Albert Paradis n’ont pas été prises avec tout le sérieux qui était requis alors que les freins constituent un organe de sécurité indispensable pour un camion lourd.
[365] Ses préoccupations ont été négligées. Ceci témoigne d’un désintéressement important face aux réalités quotidiennes, pourtant clairement exprimées, du conducteur d’un camion lourd, vétuste, au système de freinage automatique.
[366] Déjà, en février 2012, six défectuosités sont constatées lors d’une inspection de la SAAQ, dont deux reliées au système de freinage malgré des réparations importantes effectuées juste avant.
[367] À la suite de cette inspection, aucune action n’est prise par le mécanicien responsable quant aux garnitures de frein identifiées comme usées, prétextant que ce document ne comportait pas assez de précisions. Une fois de plus, il aurait été de son devoir et de sa responsabilité de faire les vérifications nécessaires.
[368] L’accusée a fait référence à maintes reprises, à la philosophie de l’entreprise où la santé et la sécurité des employés étaient au cœur de ses préoccupations. Ce qui est avancé ici ne trouve écho nulle part dans la preuve.
[369] Résonne plutôt sa préoccupation première : faire fonctionner/rouler l’équipement et les véhicules afin qu’ils puissent exécuter le travail attendu en minimisant les coûts.
[370] L’accusée était une entreprise d’intérêt[177] pour l’agence Contrôle routier Québec, signifiant la présence d’un nombre élevé de défectuosités mécaniques décelées à cette époque pour l’ensemble de sa flotte de camion.
[371] De façon plus spécifique au camion Volvo, la même agence possédait un dossier signalant les nombreuses défectuosités mécaniques repérées lors des inspections annuelles et des interventions des contrôleurs routiers entre 2008 à 2012.
[372] Si le comportement de l’entreprise a évolué dans le temps et que l’un de ses dirigeants, Franky Glode, a pu réaliser l’existence de certaines lacunes au garage, ses interventions ponctuelles n’ont pas réussi à redresser significativement la situation en 2012.
[373] Les locaux désuets et les installations inadéquates, n’ont pas été compensés par une saine gestion documentaire et une conduite rigoureuse face aux entretiens et réparations. La déficience se trouve à tous les niveaux.
[374] Enfin, les propos du « cadre supérieur », ce mécanicien responsable du garage concernant la cause de l’accident sont dérangeants. Questionné à ce sujet, il écarte d’emblée une problématique mécanique en soulignant ceci : « il ne peut pas être mécanique l’accident parce que la veille il avait réussi à descendre avec, ça fait qu’il devait bien aller le camion. »[178].
[375] Il dira un peu plus loin, d’une façon tout aussi troublante, qu’aucune hypothèse reliant l’état mécanique du camion à la cause de l’accident n’a été soulevée : « […] parce qu’on avait travaillé après le jeudi d’avant et qu’il était en forme. »[179].
[376] Il aurait pourtant dû savoir que l’état mécanique d’un camion n’est pas figé dans le temps, qu’il peut « être en ordre » aujourd’hui et inutilisable demain. C’est la logique qui sous-tend d’ailleurs l’exigence des entretiens préventifs et des inspections régulières.
[377] Enfin, quelques mots au sujet de la déclaration de Guillaume Grenier[180] admise en preuve à la suite d’un voir-dire. Cette déclaration comporte de nombreux éléments qui démontrent un haut niveau de fiabilité. Elle appuie plusieurs des constats effectués par le Tribunal dans la présente partie. Par ailleurs, compte tenu de l’analyse et des conclusions qui précèdent, même en l’absence de cette preuve, le Tribunal en serait venu à la même conclusion.
[378] Pour conclure cette section, mentionnons que l’ensemble des mesures prises par l’accusée ne démontre pas de préoccupation envers la sécurité de son employé Albert Paradis, malgré le discours général et officiel tenu en ce sens.
[379] Son attitude passive et négligente à l’égard de l’état des freins du camion Volvo, dénoncée à maintes reprises, trahit un détachement complet face à la réalité des conducteurs de poids lourds, une indifférence par rapport à la norme sociale protégée et aux conséquences pourtant prévisibles.
[380] Nous sommes en présence d’une preuve, hors de tout doute raisonnable, d’un écart marqué et important par rapport à la norme de prudence que respecterait une personne raisonnablement prudente, placée dans les circonstances où l’accusée a eu connaissance du risque grave et évident, sans pour autant l’écarter et ne lui a accordé aucune attention.
*
[381] En résumé, la compagnie avait l’obligation légale de s’assurer que son « cadre supérieur » avait les compétences pour accomplir son travail. Elle devait lui donner des directives précises quant aux entretiens, aux réparations et à la tenue des dossiers. Elle devait également, lui fournir un environnement de travail adéquat et de l’équipement nécessaire. Tout ceci est éloigné de la situation qui existait au garage en 2012.
[382] Une personne raisonnable, placée dans les circonstances de l’accusée, aurait été consciente de l’imprudence de laisser circuler le camion Volvo sur la route. Son état mécanique lamentable entraînait un risque déréglé et téméraire pour la sécurité du camionneur et de toute personne croisant son chemin.
[383] De plus, la preuve démontre que le comportement de l’accusée a contribué de façon appréciable et importante à la mort d’Albert Paradis.
[384] Le degré d’écart présent révèle un continuum de négligence se situant bien loin de l’inattention momentanée ou ponctuelle pouvant entraîner une responsabilité civile[181]. Elle se situe plutôt à un échelon supérieur, à celui de l’écart marqué et important imprégnant tant l’élément matériel que moral. Elle s’écarte largement de la conduite d’une personne raisonnablement prudente, placée dans les mêmes circonstances.
[385] La conduite des véhicules lourds est une activité strictement règlementée. Ceux qui décident d’œuvrer dans ce secteur normalisé parce que dangereux et qui ne satisfont pas à la norme de diligence requise, ne peuvent être considérés comme moralement innocents[182].
[386] Aucun doute raisonnable ne subsiste face aux différents volets de la preuve présentée en défense.
[387] Un désolant constat doit être émis envers la compagnie accusée : des préoccupations financières, un laxisme présent au garage, voire même encouragé, une attitude de détachement et d’indifférence face aux entretiens et réparations des freins du camion Volvo ont balayé toute préoccupation de sécurité, et ce, bien au-delà de la simple négligence. Ces omissions ont causé la mort du camionneur Albert Paradis.
[388] L’analyse de l’ensemble de la preuve démontre que la conduite de l’accusée a été, à tous égards, hors norme.
[389] POUR CES MOTIFS LE TRIBUNAL :
[390] DÉCLARE que la preuve présentée est hors de tout doute raisonnable sur tous les éléments essentiels de l’infraction telle que portée.
[391] EN CONSÉQUENCE, l’accusée est déclarée coupable de cette infraction.
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Hélène Bouillon, J.C.Q. |
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Me Thomas Jacques |
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Procureur aux poursuites criminelles et pénales |
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Me Charles Levasseur Me Sarah Brouillette |
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Procureurs de l'accusée |
[1] Loi sur la faillite et l'insolvabilité, L.R.C. 1985, c. B-3.
[2] Notes sténographiques du 1 février 2018, p. 47.
[3] Référence à la pièce D-14 et aux notes sténographiques du 31 janvier 2018, p. 203-204 et 241-242.
[4] Référence à la pièce D-11.
[5] Notes sténographiques du 31 janvier 2018, p. 272.
[6] Notes sténographiques du 1 février 2018, p. 53.
[7] Notes sténographiques du 2 février 2018, p. 80 et 82.
[8] Notes sténographiques du 30 janvier 2018, p. 82.
[9] Notes sténographiques du 1 février 2018, p. 108.
[10] Notes sténographiques du 2 février 2018, p. 87 et 88.
[11] Référence à la pièce D-11.
[12] Référence à la pièce P-28.
[13] Notes sténographiques du 1 février 2018, p. 169.
[14] Référence à la pièce P-30.
[15] Notes sténographiques du 30 janvier 2018, p. 311-312.
[16] Id., p. 312.
[17] Id., p. 313 à 314.
[18] RLRQ c. C-24.2.
[19] Notes sténographiques du 30 janvier 2018, p. 309.
[20] Id.
[21] Id., p. 298.
[22] Id., p. 78-79.
[23] Référence à la pièce P-37.
[24] Référence à la pièce P-20.
[25] Référence à la pièce P-31.
[26] Notes sténographiques du 9 janvier 2018, p. 64.
[27] Référence à la pièce P-21.
[28] Référence à la pièce P-42.
[29] Notes sténographiques du 4 décembre 2017, p. 166.
[30] Id., p. 167.
[31] Référence à la pièce D-13.
[32] Notes sténographiques du 6 décembre 2017, p. 130-131.
[33] Référence à la pièce P-21.
[34] Référence à la pièce P-25.
[35] Notes sténographiques du 6 décembre 2017, p. 128.
[36] Id., p. 129.
[37] Notes sténographiques du 5 décembre 2017, p. 32.
[38] Notes sténographiques du 6 décembre 2017, p. 70-71.
[39] Id., p. 72.
[40] Notes sténographiques du 6 décembre 2017, p. 96.
[41] Référence à la pièce P-9.
[42] RLRQ, préc., note 18.
[43] Référence à la pièce P-9.
[44] Notes sténographiques du 19 décembre 2017, p. 82.
[45] Id., p. 100.
[46] Id., p. 83.
[47] Notes sténographiques du 30 janvier 2018, p. 225-230.
[48] Notes sténographiques du 31 janvier 2018, p. 123.
[49] Id., p. 186.
[50] Référence aux pièces P-25 et D-16.
[51] Référence à la pièce D-16.
[52] Référence à la pièce P-24.
[53] Notes sténographiques du 1 février 2018, p. 216.
[54] Notes sténographiques du 1 février 2018, p. 223-225.
[55] Id., p. 227.
[56] Notes sténographiques du 2 février 2018, p. 53.
[57] Id., p. 54.
[58] Notes sténographiques du 1 février 2018, p. 219.
[59] Id., p. 222.
[60] Notes sténographiques du 2 février 2018, p. 97.
[61] Référence à la pièce P-23.
[62] Notes sténographiques du 1 février 2018, p. 231.
[63] Notes sténographiques du 2 février 2018, p. 98.
[64] Référence à la pièce P-28.
[65] Référence à la pièce P-27.
[66] Référence à la pièce P-24.
[67] Notes sténographiques du 2 février 2018, p. 35.
[68] Id., p. 34-36.
[69] Notes sténographiques du 2 février 2018, p. 115.
[70] Référence à la pièce D-16.
[71] Notes sténographiques du 2 février 2018, p. 65.
[72] Référence à la pièce P-9.
[73] Notes sténographiques du 2 février 2018, p. 75.
[74] Référence à la pièce P-4.
[75] Référence à la pièce P-5 (annexe D).
[76] Référence aux pièces P-5 (annexe E), P-15, P-16 et P-17.
[77] Référence à la pièce P-17.
[78] Notes sténographiques du 8 janvier 2018, p. 100.
[79] Référence à la pièce P-17.
[80] Notes sténographiques du 8 janvier 2018, p. 208.
[81] Référence aux pièces P-5 (annexe E), P-16 et P-17.
[82] Référence aux pièces P-16 et P-17.
[83] Notes sténographiques du 8 janvier 2018, p. 126-128.
[84] Référence aux pièces P-5 (annexe F) et P-10.
[85] Notes sténographiques du 19 décembre 2018, p. 134-135.
[86] Id., p. 147.
[87] Notes sténographiques du 19 décembre 2018, p. 130.
[88] Référence à la pièce P-5 (annexe G).
[89] Id., (annexe D).
[90] Référence à la pièce P-29.
[91] Référence à la pièce P-30.
[92] Référence à la pièce P-33.
[93] Référence à la pièce P-36.
[94] Référence aux pièces P-38 et P-39.
[95] Référence à la pièce P-37.
[96] Référence aux pièces P-5 et P-6.
[97] Notes sténographiques du 4 décembre 2017, p. 62.
[98] Notes sténographiques du 4 décembre 2017, p. 63.
[99] Référence aux pièces P-1, P-5 (annexe H) et P-12.
[100] Notes sténographiques du 20 décembre 2018, p. 33.
[101] Référence à la pièce D-18.
[102] Référence à la pièce P-5.
[103] Id., (annexe E).
[104] Notes sténographiques du 5 février 2018, p. 53.
[105] Id., p. 55.
[106] Id., p. 58-59.
[107] Notes sténographiques du 31 janvier 2018, p. 148.
[108] Référence à la pièce P-18, rapports d’inspection du véhicule de Michel Guérin, mars et avril 2012.
[109] Notes sténographiques du 12 décembre 2017, p. 70-73
[110] Notes sténographiques du 13 décembre 2017, p. 166.
[111] Notes sténographiques du 13 décembre 2017, p. 177.
[112] Id., p. 166.
[113] Référence à la pièce P-33.
[114] Notes sténographiques du 12 janvier 2018, p. 54.
[115] Référence à la pièce D-15.
[116] Référence à la pièce P-17.
[117] Id.
[118] Référence à la pièce P-27.
[119] Notes sténographiques du 2 février 2018, p. 88.
[120] Référence à la pièce P-27.
[121] Référence aux pièces P-26, P-27, P-27 et D-17.
[122] Référence à la pièce P-28.
[123] Référence à la pièce P-25, p. 1.
[124] Référence à la pièce D-16.
[125] Référence à la pièce P-21.
[126] Référence à la pièce P-24.
[127] Référence aux pièces P-25 et D-16 ainsi qu’aux notes sténographiques du 6 décembre 2017, p. 128 et 135.
[128] Référence à la pièce P-25.
[129] Référence à la pièce P-23.
[130] Règlement sur les normes de sécurité des véhicules routiers, RLRC, c. C-24.2, r 32.
[131] Loi sur le bâtiment, L.R.Q., c. B-1.1.
[132] Notes sténographiques du 30 janvier 2018, p. 315 et du 1 février 2018, p. 80.
[133] Notes sténographiques du 31 janvier 2018, p. 186.
[134] Id., p. 145, 153-154.
[135] R. c. Pétroles Global inc., [2012] J.Q. no 5437.
[136] Gendreau c. R., 2015, QCCA 1910.
[137] R. c. Anderson, [1990] 1 R.C.S. 265.
[138] R. c. Javanmardi, 2018 QCCA 856.
[139] Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46; Code de la sécurité routière, préc., note 18 ; Loi sur la santé et la sécurité du travail, RLRQ, L.R.Q., c. S-2.1.
[140] Hugues PARENT, Traité de droit criminel, t. 2 « La culpabilité », 3e éd. Montréal, Éditions Themis, 2014, p. 408.
[141] Id.
[142] Id.
[143] Loi sur la santé et la sécurité du travail, préc., note 139, art. 51.
[144] Loi sur la santé et la sécurité du travail, préc., note 139, art. 534.
[145] Référence à la pièce P-31.
[146] Loi sur la faillite et l'insolvabilité, préc., note 1.
[147] Référence à la pièce P-14.
[148] Notes sténographiques du 1 février 2018, p. 219.
[149] Code de la sécurité routière, préc., note 18, art. 200-201.
[150] Notes sténographiques du 6 décembre 2017, p. 77.
[151] Référence aux pièces D-16 et D-17.
[152] Référence aux pièces P-25.
[153] Notes sténographiques du 6 décembre 2017, p. 73.
[154] Procès-verbal suite du 12 janvier 2018.
[155] Notes sténographiques du 30 janvier 2018, p. 311.
[156] Fontaine c. R. 2017 QCCA 1730; R. c. Smithers, [1978] 1 R.C.S. 506; R. c. Nette, [2001] 3 R.C.S. 488; R. c. Maybin, [2012] 2 R.C.S. 30.
[157] R. c. Nette, préc., note 156.
[158] R. c. Maybin, préc., note 156.
[159] Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail, à l’époque CSST.
[160] Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail, à l’époque CSST.
[161] Notes sténographiques du 6 décembre 2018, p. 44.
[162] Référence aux pièces P-5 (annexe E), P-16 et P-17.
[163] Notes sténographiques du 4 décembre 2017, p.106.
[164] Référence à la pièce P-5 (annexe G).
[165] Référence aux pièces P-5 (annexe F) et P-10.
[166] Référence à la pièce P-5 (annexe G).
[167] Id., (annexe F).
[168] Référence à la pièce P-12.
[169] R. c. Nette, préc., note 156; R. c. Maybin, préc., note 156; Sarazin c. R., 2018 QCCA 1065.
[170] Code de la sécurité routière, préc., note 18.
[171] Rhéaume c. R., 2019 QCCA 73; Cormier c. R., 2019 QCCA 76.
[172] R. c. Roy, [2012] 2 R.C.S. 60.
[173] Gisèle CÔTÉ-HARPER, Pierre RAINVILLE et Jean TURGON, Traité de droit pénal canadien, 4e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1998, par. 443.
[174] R. c. Beatty, [2008] 1 R.C.S. 49.
[175] Hugues PARENT, préc., note 140, p. 419; Thomas D’AQUIN, Somme théologique, t. 3, Paris, Éditions du cerf, 1999, quest. 53, art. 1, p. 353.
[176] Notes sténographiques du 2 février 2018, p. 133.
[177] Référence à la pièce P-36.
[178] Notes sténographiques du 2 février 2012, p. 19.
[179] Id., p. 19.
[180] Référence à la pièce P-40.
[181] R. c. Hundal, [1993] 1 R.C.S. 867.
[182] R. c. Beatty, préc., note 174.
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