M.L. c. Université de Montréal |
2012 QCCAI 262 |
Commission d’accès à l’information du Québec |
|
Dossier : 11 01 65 et 11 02 10 |
|
Date : Le 30 mai 2012 |
|
Membre: Me Lina Desbiens |
|
|
M… L… |
|
Demanderesse |
|
c. |
|
UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL |
|
Organisme |
DÉCISION |
DEMANDES DE RÉVISION en matière d’accès en vertu de l’article 135 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels[1].
[1] Le 29 novembre 2010, Mme M… L… (la demanderesse) s’adresse à l’Université de Montréal (l’Université) pour obtenir le rapport de Mme Pauline Roy relativement à une plainte de harcèlement qu’elle a déposée.
[2] Le 21 décembre 2010, l’Université lui transmet le rapport élagué de certains passages qui ont été masqués en vertu des articles 14 , 53 et 88 de la Loi sur l’accès.
[3] Une demande de révision est déposée à la Commission d’accès à l’information (la Commission) le 27 janvier 2011. Le dossier porte le numéro 11 01 65.
[4] Le 16 décembre 2010, la demanderesse s’adresse une seconde fois à l’Université pour obtenir une copie du rapport du vice-recteur à la recherche à la suite de ses plaintes en lien avec un cours suivi et d’autres irrégularités survenues à la faculté des sciences infirmières de l’Université.
[5] L’Université répond le 20 janvier 2011 en transmettant une copie de la lettre du vice-recteur à la recherche au recteur en lien avec ces événements, dont certains passages ont été masqués en vertu des articles 14 , 53 et 88 de la Loi sur l’accès.
[6] Une demande de révision est déposée à la Commission d’accès à l’information (la Commission) le 27 janvier 2011. Le dossier porte le numéro 11 02 10.
[7] Une audience se tient à Montréal le 15 mars 2012 et toutes les parties sont présentes. Les deux dossiers sont réunis pour audition.
AUDIENCE
[8] La demanderesse est une étudiante de l’Université. Il y a eu un conflit entre elle et ses professeurs dans le cadre d’un cours de maîtrise suivi à la faculté des sciences infirmières. Ce conflit a donné lieu à la production des documents demandés en l’espèce. Les demandes d’accès et les réponses de l’Université sont déposées (O-1 à O-4). Les deux demandes d’accès sont liées.
[9] La demanderesse a porté plainte pour harcèlement psychologique, discrimination et évaluation abusive conformément à la Politique contre le harcèlement de l’Université (D-2) et une autre plainte pour manquements à l’éthique en application de la Politique de l’Université de Montréal sur la probité intellectuelle en recherche (D-1).
[10] Les documents demandés sont les résultats des enquêtes effectuées à la suite de ces plaintes.
[11] Mme Diane Baillargeon témoigne pour l’Université. Elle est directrice de la gestion documentaire et des archives de l’Université. Elle a traité les demandes d’accès et préparé la réponse pour le responsable de l’accès désigné par l’Université, le secrétaire général.
[12] Elle explique que les documents ont été élagués pour protéger les témoignages des tiers et les opinions des professeurs mis en cause. Ceux-ci n’ont pas consenti à la communication de ces renseignements. Elle a considéré qu’il y avait un risque de préjudice pour les étudiants et professeurs concernés qui doivent continuer à se côtoyer.
[13] En outre, dans le cadre de son enquête, Mme Pauline Roy a assuré la confidentialité à ceux qui y ont collaboré sur une base volontaire.
[14] Les deux documents sont déposés sous pli confidentiel. L’audience se poursuit à huis clos et hors la présence de la demanderesse afin de permettre à la Commission de prendre connaissance du contenu des documents en litige[2].
[15] La demanderesse témoigne. Elle soutient que ses plaintes concernent le non-respect par des employés de l’Université des règlements internes de l’institution, des règles de l’éthique dans l’utilisation de sujets humains, de la déontologie, des conventions internationales et de la loi. Elle ajoute que le fait de ne pas avoir les rapports complets l’empêche d’agir relativement à l’objet même de ses plaintes.
ANALYSE
[16] Les deux demandes d’accès (O-1 et O-3) sont présentées en vertu des articles 9 et 83 de la Loi sur l’accès.
9. Toute personne qui en fait la demande a droit d'accès aux documents d'un organisme public.
Ce droit ne s'étend pas aux notes personnelles inscrites sur un document, ni aux esquisses, ébauches, brouillons, notes préparatoires ou autres documents de même nature.
83. Toute personne a le droit d'être informée de l'existence, dans un fichier de renseignements personnels, d'un renseignement personnel la concernant.
Elle a le droit de recevoir communication de tout renseignement personnel la concernant.
Toutefois, un mineur de moins de 14 ans n'a pas le droit d'être informé de l'existence ni de recevoir communication d'un renseignement personnel de nature médicale ou sociale le concernant, contenu dans le dossier constitué par l'établissement de santé ou de services sociaux visé au deuxième alinéa de l'article 7.
[17] La Commission a pris connaissance de la version intégrale des documents en litige.
Dossier 11 01 65
[18] Le premier document est un rapport d’enquête rédigé par Mme Pauline Roy. Il fait suite à la plainte formelle pour harcèlement déposée par la demanderesse, à l’encontre de deux professeures, en vertu de la Politique contre le harcèlement de l’Université.
[19] Les éléments suivants ont été masqués : le nom des personnes rencontrées, certains propos de ces personnes qui ont été rapportés et l’analyse qu’en a faite Mme Roy.
[20] L’Université s’appuie sur les articles 53 , 54 et 88 de la Loi sur l’accès pour refuser l’accès à certaines parties des documents en litige qui sont composées essentiellement de renseignements personnels concernant des tiers.
53. Les renseignements personnels sont confidentiels sauf dans les cas suivants:
1° la personne concernée par ces renseignements consent à leur divulgation; si cette personne est mineure, le consentement peut également être donné par le titulaire de l'autorité parentale;
2° ils portent sur un renseignement obtenu par un organisme public dans l'exercice d'une fonction juridictionnelle; ils demeurent cependant confidentiels si l'organisme les a obtenus alors qu'il siégeait à huis-clos ou s'ils sont visés par une ordonnance de non-divulgation, de non-publication ou de non-diffusion.
54. Dans un document, sont personnels les renseignements qui concernent une personne physique et permettent de l'identifier.
88. Sauf dans le cas prévu par le paragraphe 4° de l'article 59, un organisme public doit refuser de donner communication à une personne d'un renseignement personnel la concernant lorsque sa divulgation révélerait vraisemblablement un renseignement personnel concernant une autre personne physique ou l'existence d'un tel renseignement et que cette divulgation serait susceptible de nuire sérieusement à cette autre personne, à moins que cette dernière n'y consente par écrit.
[21] Le rapport d’enquête a été fait à la suite d’une plainte déposée par la demanderesse et contient des renseignements personnels la concernant. La demanderesse a droit d’accès à ses renseignements personnels en vertu de l’article 83 de la Loi sur l’accès.
[22] Toutefois, ce document contient également des renseignements personnels concernant les professeures visées par la plainte et les personnes rencontrées dans le cadre de l’enquête qui doivent également être protégés en vertu des articles 53 et 54 de la Loi sur l’accès invoqués par l’Université.
[23] Le droit d’accès de la demanderesse à ses renseignements personnels doit être concilié avec le droit des autres personnes concernées à la protection de leurs renseignements personnels.
[24] Ainsi, les renseignements personnels concernant la demanderesse lui seront accessibles et ceux concernant d’autres personnes devront être protégés. Quant aux renseignements personnels concernant à la fois la demanderesse et d’autres personnes, ils lui seront également accessibles, en vertu de l’article 88 de la Loi sur l’accès, si leur communication ne peut nuire à ces autres personnes.
[25] En l’espèce, les noms de personnes rencontrées par l’enquêteur qui ont été masqués dans le rapport sont confidentiels en vertu des articles 53 et 54 de la Loi sur l’accès. Ce ne sont pas des renseignements personnels concernant la demanderesse au sens de l’article 88 de la Loi sur l’accès.
[26] Même si certaines de ces personnes sont des employées de l’Université, il ne s’agit pas de renseignements visés par l’article 57 al. 1 (2) qui confère un caractère public à certains renseignements personnels des membres du personnel d’un organisme public. Cet article stipule :
57. Les renseignements personnels suivants ont un caractère public:
[…]
2° le nom, le titre, la fonction, l'adresse et le numéro de téléphone du lieu de travail et la classification, y compris l'échelle de traitement rattachée à cette classification, d'un membre du personnel d'un organisme public;
[27] En effet, les renseignements ne sont pas reliés à leur fonction au sein de l’Université, mais plutôt à leur conduite alors qu’elles étaient en fonction[3], conduite qui pourrait être sous évaluation disciplinaire.
[28] Dans la section du rapport intitulé « Le mandat », on explique que l’enquête portera notamment sur « l’existence de comportements prohibés par le Règlement disciplinaire concernant les membres du personnel enseignant et les étudiants dont l’application est du ressort du Comité de discipline prévu aux Statuts de l’Université ». De plus, on ajoute que : « Cette enquête préalable doit mener à la rédaction d’un rapport suffisamment étayé pour permettre au recteur de décider si cette affaire doit ou non être soumise, pour une enquête plus approfondie, au Comité de discipline de l’Université ».
[29] Le rapport d’enquête étant une étape préalable à l’intervention du Comité de discipline de l’Université, les renseignements concernant les personnes visées par la plainte n’ont pas un caractère public et sont des renseignements personnels qui les concernent.
[30] Par ailleurs, l’Université allègue que les témoignages rapportés par Mme Roy et les opinions de cette dernière seraient des renseignements personnels concernant à la fois la demanderesse et des tiers qui doivent être protégés par l’article 88 de la Loi sur l’accès.
[31] D’une part, les opinions et analyses de Mme Roy concernant la demanderesse ont été faites dans le cadre de son mandat relatif à la plainte de harcèlement déposée par la demanderesse. Elles ne peuvent être qualifiées de renseignements personnels confidentiels à l’égard de Mme Roy. Il s’agit d’une opinion professionnelle et non d’une opinion personnelle qui permettrait de révéler un renseignement à son égard.
[32] Quant aux propos des tiers que Mme Roy a rapportés, ce sont des renseignements personnels qui concernent à la fois la demanderesse et ces tiers. En application de l’article 88 de la Loi sur l’accès, l’Université doit démontrer que leur divulgation serait susceptible d’identifier les tiers et de leur nuire sérieusement pour refuser leur communication.
[33] Il ressort du témoignage de Mme Baillargeon que le seul élément justifiant son refus est le fait qu’il s’agit de professeurs et d’étudiants et qu’ils doivent continuer à côtoyer la demanderesse.
[34] En l’espèce, la Commission ne considère pas qu’il s’agit d’une preuve suffisante démontrant un risque de nuisance sérieuse pouvant être causée à ces personnes.
[35] En conséquence, seuls les noms des personnes rencontrées reproduits à différents endroits dans le rapport et la note de bas de page 13 qui ne concerne pas la demanderesse sont confidentiels et devront être masqués dans le rapport de Mme Roy. Les opinions de ces personnes devront cependant être transmises.
Dossier 11 02 10
[36] Le second document est une lettre du vice-recteur à la recherche adressée au recteur de l’Université qui fait suite à la plainte de la demanderesse concernant des allégations de manquement à l’éthique en application de la Politique de l’Université de Montréal sur la probité intellectuelle en recherche (D-1).
[37] Les éléments masqués dans le document transmis sont : le nom des personnes impliquées ou membres d’un comité de l’Université ainsi que des éléments qui pourraient permettre d’identifier ces personnes.
[38] L’Université allègue que les éléments masqués sont des renseignements personnels au sens des articles 53 , 54 et 88 de la Loi sur l’accès.
[39] À la différence du document visé dans le dossier 11 01 65, il ne s’agit pas d’une plainte qui concerne la demanderesse directement. Outre le fait qu’elle soit identifiée comme plaignante, les renseignements personnels qui s’y trouvent ne la concernent pas au sens des articles 83 et 88 de la Loi sur l’accès. L’accessibilité au document doit donc être évaluée en tenant compte de cette prémisse.
[40] Il ressort de la version intégrale du document que les renseignements masqués sont des noms de personnes dont certaines sont à l’emploi de l’Université ainsi que des informations qui permettent de les identifier. Les commentaires concernant l’application de l’article 57 al. 1 (2) de la Loi sur l’accès fait dans le dossier 11 01 65 trouvent application ici quant aux professeurs. En effet, les renseignements concernant ces personnes ne se réfèrent pas à leur fonction au sein de l’Université, mais plutôt à leur conduite alors qu’elles étaient en fonction, conduite faisant l’objet d’une plainte. Ces renseignements n’ont donc pas un caractère public en vertu de la Loi sur l’accès.
[41] Toutefois, le nom du comité et de sa présidente saisis de la plainte mentionnés dans le paragraphe « Processus » ont un caractère public au sens de l’article 57 al. 1 (2) et sont accessibles. En effet, la présidente est une personne agissant dans l’exercice de ses fonctions en application de la Politique de l’Université de Montréal sur la probité intellectuelle en recherche. Ainsi, dans cette section, seuls les noms des personnes visées par la plainte sont confidentiels.
[42] Il en est de même dans la section « Conclusion », seul le nom d’une des personnes visées par la plainte et le numéro du cours qui permettrait de l’identifier sont confidentiels, et ce, même si la demanderesse connaît ces renseignements puisqu’il s’agit de renseignements personnels dont l’Université doit assurer la confidentialité. Pour le reste, l’information qui avait été masquée est accessible.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION :
[43] ACCUEILLE EN PARTIE la demande de révision 11 01 65 et;
[44] ORDONNE à l’Université de communiquer à la demanderesse, dans les 30 jours de la réception de la présente décision, le rapport d’enquête de Mme Pauline Roy en application de la Politique contre le harcèlement de l’Université de Montréal en masquant le nom des personnes rencontrées;
[45] ACCUEILLE EN PARTIE la demande de révision 11 02 10 et;
[46] ORDONNE à l’Université de Montréal de communiquer à la demanderesse, dans les 30 jours de la réception de la présente décision, la lettre du 6 décembre 2010 du vice-recteur à la recherche au recteur, en masquant uniquement le nom des personnes visées par la plainte ainsi que le nom et le numéro du cours qui pourraient permettre d’identifier ces personnes;
[47] REJETTE quant au reste les demandes de révision 11 01 65 et 11 02 10.
LINA DESBIENS
Me Nakin Plaski
Avocate de l’organisme
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.