Jardins du Haut St-Laurent (1990) |
2013 QCCLP 6309 |
______________________________________________________________________
______________________________________________________________________
[1] Le 26 octobre 2012, Jardins du Haut St-Laurent (1990) (l'employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste la décision rendue le 21 septembre 2012 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 31 juillet 2012 et déclare que l’imputation du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par madame Caroline Béland (la travailleuse), le 13 septembre 2010, demeure inchangée.
[3] L'employeur a demandé et obtenu la permission de procéder par écrit dans le dossier, renonçant ainsi à l’audience prévue le 23 juillet 2013 à Lévis.
[4] Le 1er août 2013, la Commission des lésions professionnelles reçoit de l'employeur une argumentation écrite ainsi qu’une copie du suivi médical en regard de la lésion professionnelle subie par la travailleuse le 13 septembre 2010 impliquant son trapèze ainsi qu’un extrait de littérature médicale sur la fibromyalgie.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5]
L'employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de
déclarer qu’il a droit à un partage des coûts dans ce dossier suivant
l’application de l’article
LES FAITS
[6] La travailleuse, aujourd’hui âgée de 44 ans, exerce la fonction de préposée aux bénéficiaires pour l'employeur depuis le mois de février 2009.
[7] Le 27 septembre 2010, la travailleuse complète une formule « Réclamation du travailleur » concernant un arrêt de travail survenu le 13 septembre 2010 à la suite d’un événement qu’elle rapporte en ces termes :
Nous étions en train d’installer une patiente sur le bord du lit. J’ai placé mon bras droit derrière son dos et ma main gauche dans sa main. Suzanne a pris les pieds et moi le dos et nous avons pivoté la patiente et j’ai ressenti une douleur dans le bas du dos. J’ai continué et vers 9 h 15 la douleur était rendu trop forte à 10 h 15. Marie m’a remplacé.
[8] Le 13 septembre 2010, la travailleuse consulte le docteur Larose qui pose le diagnostic d’entorse lombaire, condition pour laquelle il lui prescrit un arrêt de travail ainsi que des anti-inflammatoires.
[9] Par la suite, la travailleuse est prise en charge par son médecin de famille le 22 septembre 2010. À cette occasion, le docteur Bolduc reprend le diagnostic d’entorse lombaire et ajoute que cette lésion est survenue lors d’un retour progressif au travail pour une entorse cervicale sur fond de douleurs chroniques. Il ajoute comme modalité thérapeutique des traitements de physiothérapie.
[10] Le 3 octobre 2010, le docteur Bolduc reprend son diagnostic d’entorse lombaire chez la travailleuse et souligne qu’il y a une histoire de longue guérison en raison d’un syndrome douloureux avec faiblesse. Il autorise une assignation temporaire à compter de ce jour.
[11] Lors des consultations médicales subséquentes, le docteur Bolduc reprend le diagnostic d’entorse lombaire et cette mention quant aux douleurs chroniques que présente la travailleuse.
[12] Dans son rapport médical du 10 décembre 2010, le docteur Bolduc réfère cette fois à une faible tolérance de la travailleuse lorsqu’elle est affectée au département plus lourd.
[13] Le 17 mars 2011, le docteur Bolduc ajoute au diagnostic celui de dorsalgie sur entorse lombaire chez une personne qui a un fond de douleurs chroniques et, le 13 mai 2011, parle cette fois d’entorse cervicale, toujours sur fond de douleurs chroniques.
[14] Le 16 juin 2011, le docteur Bolduc pose le diagnostic d’entorse dorsolombaire sur fond de fibromyalgie et prescrit un Tens à la travailleuse.
[15] Le 10 octobre 2011, le docteur Bolduc parle cette fois d’entorse interscapulaire C7-D1 soulagée par le Tens. Il envisage un retour au travail régulier à compter du mois de décembre.
[16]
Le 4 novembre 2011, le docteur Paul-O. Nadeau, chirurgien orthopédiste,
examine la travailleuse à la demande de l'employeur afin d’émettre son opinion
sur les cinq sujets prévus à l’article
[17] Après avoir tenu compte de l’historique, de l’état actuel de la travailleuse et l’avoir examinée, le docteur Nadeau conclut que cette dernière présente une entorse dorsale, lésion qu’il consolide au jour de son examen sans autre traitement, sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles.
[18] Le 19 janvier 2012, le docteur Bolduc remplit un rapport final où il consolide l’entorse dorsolombaire à ce jour sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles.
[19]
Appelé à disposer des litiges portant sur les cinq sujets prévus à
l’article
[20] Dans son avis, le docteur Paradis retient, pour sa part, le diagnostic d’entorse dorsolombaire, lésion qu’il consolide au 4 novembre 2011 sans autre traitement, sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles.
[21] Le 26 mars 2012, la représentante de l'employeur demande à la CSST d’être désimputée des coûts dans ce dossier après le 4 novembre 2011.
[22]
Le 12 juillet 2012, la représentante de l'employeur demande cette fois à
la CSST un partage des coûts suivant l’application de l’article
[23] Le 31 juillet 2012, la CSST informe l'employeur qu’elle refuse cette demande de partage de coûts au motif qu’il n’a pas démontré que la travailleuse était déjà handicapée lors de la survenance de la lésion professionnelle le 13 septembre 2010, décision que ce dernier porte en révision le 9 août 2012.
[24] Le 21 septembre 2012, la CSST, à la suite d’une révision administrative, confirme sa décision rendue le 31 juillet 2012, d’où la contestation déposée à la Commission des lésions professionnelles par l'employeur le 26 octobre 2012.
[25] À cette preuve s’ajoute le suivi médical de la travailleuse effectué auprès du docteur Bolduc pour une entorse du trapèze qu’elle s’est infligée le 14 décembre 2009. Dans ce suivi, il est fait mention de la présence d’une fibromyalgie associée à une entorse avec fond de douleurs chroniques.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[26] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l'employeur a droit à un partage du coût des prestations dues à la travailleuse en raison de sa lésion professionnelle survenue le 13 septembre 2010.
[27]
En matière d’imputation de coûts, le législateur a prévu, au 1er
alinéa de l’article
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
[…]
__________
1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[28] Afin de ne pas pénaliser l’employeur dans certaines circonstances, le législateur a prévu certaines exceptions, dont l’article 329 sur lequel le présent employeur se fonde.
329. Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.
L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.
[29] Outre le délai que doit respecter l’employeur pour faire une demande de partage de coûts suivant l’article 329, délai qui, par ailleurs, a été respecté par ce dernier dans le présent dossier, il doit démontrer que le travailleur était déjà handicapé lorsque s’est manifestée sa lésion professionnelle.
[30] L’expression « travailleur déjà handicapé » n’étant pas définie à la loi, la Commission des lésions professionnelles et antérieurement la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles ont cherché à circonscrire cette expression, ce qui a donné lieu à des interprétations souvent divergentes.
[31] Cependant, depuis la décision Municipalité Petite-Rivière-Saint-François et CSST[2], la Commission des lésions professionnelles s’est majoritairement ralliée à l’interprétation qui a été faite de cette expression de « travailleur déjà handicapé ».
[32]
Ainsi, le travailleur déjà handicapé, au sens de l’article
[33] Afin d’apprécier l’impact de cette déficience sur la survenance de la lésion professionnelle ou ses conséquences, la Commission des lésions professionnelles, dans la cause Hôpital Général de Montréal[4], énumère certains critères :
- la gravité du fait accidentel;
- le diagnostic de la lésion professionnelle;
- la durée de la période de consolidation de la lésion;
- la nature des soins et des traitements;
- l’existence ou non de séquelles découlant de la lésion;
- l’âge du travailleur.
[34] Les paramètres juridiques ayant été établis, qu’en est-il maintenant du bien-fondé de la demande de l’employeur?
[35] Dans le dossier à l’étude, la Commission des lésions professionnelles retient de la preuve médicale que la travailleuse est connue pour être porteuse d’une fibromyalgie ainsi que d’un syndrome douloureux chronique avant que ne survienne sa lésion professionnelle du 13 septembre 2010.
[36] Cette fibromyalgie est médicalement reconnue comme étant une pathologie qui touche davantage les femmes et peut atteindre approximativement 2 % de la population en général[5].
[37] Dès lors, la Commission des lésions professionnelles n’a aucune hésitation à reconnaître cette fibromyalgie et/ou syndrome de douleurs chroniques comme étant une déviance par rapport à la norme biomédicale, le pourcentage de la population atteinte de ce type de pathologie étant en soi minime. De plus, ne fait pas une fibromyalgie ou un syndrome douloureux chronique qui veut.
[38] Qu’en est-il maintenant des conséquences de cette déviation par rapport à la norme biomédicale par rapport à la lésion professionnelle survenue le 13 septembre 2010.
[39] À ce titre, la Commission des lésions professionnelles retient de la preuve que le 13 septembre 2010, la travailleuse, accompagnée d’une collègue de travail, déplace une patiente. À cette occasion, elle place son bras droit derrière la patiente et, de sa main gauche, prend la main de la patiente. Sa collègue prend les pieds de la patiente et lorsqu’elle pivote cette dernière, la travailleuse ressent cette douleur à la région lombaire.
[40] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que l’effort déployé par la travailleuse dans les circonstances qui viennent d’être décrites est en soi suffisant pour s’infliger une entorse au niveau de la charnière dorsolombaire et ne voit pas en quoi la fibromyalgie et/ou le syndrome de douleurs chroniques ont pu jouer un rôle dans l’apparition de cette pathologie.
[41] Il en est toutefois autrement en ce qui a trait à la période de consolidation de la lésion.
[42] En effet, la période de consolidation de la lésion d’une entorse dorsolombaire est, suivant l’annexe I utilisée par la CSST sur les conséquences moyennes des lésions professionnelles les plus fréquentes en termes de durée de consolidation, habituellement de cinq semaines.
[43] Or, dans le dossier à l’étude, la période de convalescence s’est échelonnée du 13 septembre 2010 au 4 novembre 2011, soit une période de près de 60 semaines.
[44] Dès lors, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que cette prolongation de la durée de consolidation de la lésion est vraisemblablement attribuable à cette déviation que présente la travailleuse sous forme de fibromyalgie et/ou syndrome douloureux chronique, du moins c’est ce qu’il nous est permis de croire des mentions faites par le docteur Bolduc de ces mêmes pathologies et de l’évolution médicale qui lui est associée.
[45] Par ailleurs, la Commission des lésions professionnelles retient de la preuve que la travailleuse ne conserve pas de séquelles de cette entorse dorsolombaire suivant l’opinion obtenue du Bureau d'évaluation médicale le 26 janvier 2012.
[46] Ainsi, et suivant cette même annexe I préalablement mentionnée, la Commission des lésions professionnelles est d’avis de faire droit à la demande de partage de coûts formulée par l’employeur, le 12 juillet 2012, dans une proportion de 10 % à son dossier financier et 90 % aux employeurs de toutes les unités.
[47]
En conclusion, la Commission des lésions professionnelles reconnaît que
l'employeur a droit à un partage des coûts en application de l’article
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête déposée à la Commission des lésions professionnelles par Jardins du Haut St-Laurent (1990), l'employeur, le 26 octobre 2012;
INFIRME la décision rendue le 21 septembre 2012 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que l'employeur a droit à un partage des
coûts suivant l’article
DÉCLARE que le partage doit être fait dans une proportion de 10 % du coût des prestations dues à madame Caroline Béland, la travailleuse, en raison de sa lésion professionnelle survenue le 13 septembre 2010 au dossier de l'employeur et 90 % aux employeurs de toutes les unités.
|
|
|
Claude Lavigne |
|
|
|
|
|
|
|
|
Madame Julie Boucher |
|
MÉDIAL CONSEIL SANTÉ SÉCURITÉ INC. |
|
Représentante de la partie requérante |
|
|
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.