Décision

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Crochetière Pétrin, s.e.n.c.r.l. c. Girard

2015 QCCQ 2997

COUR DU QUÉBEC

« Division de pratique »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

« Chambre civile »

No :

500-22-198989-132

 

DATE :

9 avril 2015

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

DANIEL DORTÉLUS

 

 

 

 

 

CROCHETIÈRE PÉTRIN S.E.N.C.R.L.

Requérante

c.

ANNY GIRARD

Intimée

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           Voici les motifs du jugement rendu oralement rejetant la requête pour être relevé du défaut de produire l'inscription pour enquête et audition, présentée par Crochetière Pétrin, selon l'article 110.1 du Code de procédure civil (« C.p.c. »)[1].

1.         LE CONTEXTE

[2]           La demanderesse, qui est un bureau d'avocat, poursuit son ex-cliente pour des honoraires impayés.

 

[3]           Le contexte factuel pour la demande de prolongation du délai d'inscription est décrit dans la requête en ces termes :

« 1.       Le 14 janvier 2013, la demanderesse a signifié à la défenderesse une requête introductive d'instance de la nature d'une action sur compte pour services professionnels impayés, le tout tel qu'il appert du dossier de la Cour;

2.          Tel qu'il appert au dossier de la Cour, la demanderesse avait jusqu'au 22 juillet 2013 pour produire son inscription pour enquête et audition;

3.          Le 10 mai 2013, par un jugement rendu sur requête par le greffier spécial Vincent Michel Aubé, la présente action a été réunie avec le dossier portant le numéro de Cour 500-22-198989-130, le tout tel qu'il appert au plumitif, pièce P-1;

4.          Le 30 août 2013, l'inscription au mérite a été déposée dans le dossier portant le numéro de Cour 500-22-198989-130 et la cause a été fixée pour enquête et audition du 6 au 8 mai 2015;

5.          Le 30 août 2013, la demanderesse a déposé son inscription dans le présent dossier, mais celle-ci s'est vue refusée parce que faite hors délai, le tout tel qu'il appert au dossier de la Cour;

6.          Conséquemment, la demanderesse a été dans l'impossibilité d'inscrire la présente cause pour enquête et audition en raison de l'erreur de ses procureurs, lesquels ont omis d'inscrire avant l'échéance du délai d'inscription et ce, notamment, en raison d'une confusion avec le dossier 500-22-198990¬130 avec lequel il avait été réuni;

7           En effet, en raison de la réunion des deux actions, les procureurs soussignés étaient sous l'impression que le délai d'inscription était le même;

8.          La demanderesse est donc bien fondée de requérir que cette Cour la relève de son défaut et qu'elle prolonge le délai d'inscription au mérite pour une période supplémentaire de 15 jours à compter du présent jugement ;

9.          Le temps d'audition pour la cause fixée du 6 au 8 mai 2015 dans le dossier 500-22-198989-130 ne s'en verrait pas affecté vu la nature du présent dossier et le montant de la réclamation;

10.        Il est de l'intérêt de la justice que la demanderesse soit relevée de son défaut;

11.        La défenderesse n'a subira aucun préjudice si la demande devait être accueillie; »

 

 

2.         principes de droit applicable

[4]           L'article 110.1 C.p.c.[2] énonce :

« 110.1 Les demandes en justice doivent, si elles sont contestées oralement, être entendues ou fixées pour enquête et audition et, dans ce dernier cas, être référées sur ordonnance au greffier pour fixation d'audition ou, si elles sont contestées par écrit, être inscrites pour enquête et audition, dans le délai de rigueur de 180 jours à compter de la signification de la requête. Toutefois ce délai de rigueur est d'un an en matière familiale.

Le tribunal peut, sur demande soumise lors de la présentation de la requête introductive d'instance, prolonger ces délais de rigueur lorsque la complexité de l'affaire ou des circonstances spéciales le justifient. Si, au jour de la présentation, les parties ne sont pas en mesure d'évaluer le délai nécessaire pour permettre la fixation de l'audition ou l'inscription de la cause, elles peuvent en tout temps avant l'expiration du délai de rigueur en demander la prolongation pour les mêmes motifs.

Le tribunal peut également relever une partie des conséquences de son retard si cette dernière démontre qu'elle a été, en fait, dans l'impossibilité d'agir dans le délai prescrit.

La décision doit, dans tous les cas, être motivée. »

(Soulignements ajoutés)

[5]           Le Tribunal ne peut relever la société Crochetière Pétrin de son défaut qu'en présence d'une preuve démontrant qu'elle a été dans l'impossibilité d'agir, c'est ce qu'enseigne la Cour d'appel dans plusieurs arrêts[3], en application de l'article 110.1 C.p.c..

[6]           Il appartient à Crochetière Pétrin d'administrer la preuve qu'elle a été dans l'impossibilité d'agir, ce qu'elle n'a pas réussi à faire.

[7]           Aucune déclaration sous serment de l'avocat, dont l'erreur est alléguée, n'accompagne la requête pour être relevée du défaut, lors de sa présentation.

[8]           Au soutien de la requête, il n'y a qu'un affidavit non détaillé pour attester que tous les faits allégués dans la requête sont vrais. Il est à noter que l'erreur alléguée n'est pas celle de l'avocate affiante, qui présente la requête.

[9]           Dans son témoignage, Mme Girard affirme que l'avocat, dans l'autre dossier connexe, avait porté la situation du défaut d'inscription dans ce dossier, à l'attention de l'avocat de Crochetière Pétrin qui occupait dans les deux dossiers.

[10]        Le témoignage de Mme Girard affaiblit en quelque sorte la véracité des faits allégués dans la requête et l'affidavit qui y est annexé, lequel ne comporte pas d'allégations factuelles portant sur l'impossibilité d'agir.

[11]        Madame Girard soulève avec justesse que la requérante, Crochetière Pétrin, en tant que société d'avocats est censée connaître la loi et que c'est par négligence grossière qu'elle a attendu 19 mois pour demander en mars 2015, d'être relevée de son défaut d'inscrire, qui expirait le 22 juillet 2013.

[12]        Les prétentions de Mme Girard ne sont pas dénuées de fondement, car si l’erreur de l’avocat permet au Tribunal de relever une partie des conséquences de son défaut, encore faut-il que cette erreur ne s'apparente pas à une négligence grossière.

[13]        En effet, attendre 19 mois pour demander d'être relevé de son défaut d'inscrire est un indice de mauvaise gestion du dossier qui s'apparente plus à la négligence grossière qu'à l'erreur.

[14]        Dans l'arrêt Lévesque c. St-Élien[4] la Cour d'appel traite de la distinction entre l'erreur et la négligence grossière en ces termes :

« [33]       Bien que la simple erreur de l'avocat puisse constituer l'impossibilité en fait d'agir dont parle le troisième alinéa de l'article 110.1 C.p.c, il en va autrement de la négligence grossière comme l'illustrent les extraits suivants des affaires Maritime Insurance Company, Presto Construction et Générateurs de brouillard MDG :

Extraits du jugement de la juge Carole Julien de la Cour supérieure dans l'affaire Maritime insurance Company , confirmé par notre Cour

[18] Il faut distinguer l'erreur de l'avocat de la négligence grossière.  À titre d'exemple, un malentendu entre deux avocats, une erreur sur la date, une erreur administrative ou une distraction sont assimilés à des impossibilités en fait d'agir, excusant la partie de son défaut d'inscrire dans le délai de 180 jours.

 

 

[19] À l'inverse, les oublis fragrants [sic], la mauvaise gestion des dossiers, la négligence grossière des procureurs ne peuvent constituer des impossibilités en fait d'agir et ne peuvent servir de critères pour relever une partie de son défaut d'inscrire dans le délai requis.   […]

[…]

[29] Ainsi, les tribunaux n'hésitent pas à rejeter les demandes en prolongation du délai d'inscription, alors même que cela aurait pour effet de priver la partie requérante de tout droit d'action éventuel, lorsque le dossier révèle une erreur grossière de la part du procureur ou un droit d'action mal fondé.

[30] La négligence d'un procureur ne peut être assimilée à une impossibilité d'agir et ce, malgré l'assouplissement de ce critère lors de la dernière réforme.  La négligence d'un procureur est caractérisée par une attitude de laisser-aller en regard des délais procéduraux et par une absence de suivi sur une période de temps significative.  Les tribunaux sanctionnent sévèrement de telles négligences en rejetant les demandes basées sur l'article 110.1 C.p.c. et ce, malgré la prescription du recours entraînant une perte de droits pour la partie négligente.  [Notes omises.]

Extrait du jugement de la juge Hélène Langlois de la Cour supérieure dans l'affaire Presto Construction, confirmé par notre Cour

[10] La revue des décisions sur la question montre cependant que les tribunaux font une distinction quant aux conséquences d'un tel défaut pour une partie selon qu'il résulte de l'erreur de son avocat ou de sa négligence grossière ou de sa mauvaise gestion du dossier «car si toute erreur du procureur, sans égard à sa nature et à son importance, devait constituer une impossibilité d'agir par le justiciable, la règle impérative … ne constituerait plus qu'un énoncé de principe se trouvant en pratique neutralisée dans presque tous les dossiers dans lesquels le justiciable est représenté par avocat …» (Maritime Insurance Company c Transport Fafard inc., AZ50311954, par.20 (C.S.) confirmé en appel AZ-50347697).

Extrait de l'arrêt de notre Cour dans l'affaire Générateurs de brouillard MDG

[6] La présente situation n'est donc pas un cas d'erreur anodine corrigée avec diligence. Au contraire, il s'agit d'une erreur constatée par un avocat qui en comprend les conséquences, lequel a choisi de la reléguer au second plan. Aussi, même s'il est vrai qu'une partie, en principe, ne doit pas être privée de ses droits par l'erreur de son avocat, il en va autrement lorsque, comme en l'espèce, l'erreur de l'avocat constitue de la négligence pure et simple. »

(Soulignements de la Cour)

[15]        L'application de ces principes à la trame factuelle en l'espèce, amène à la conclusion que la contestation de la requête est bien fondée, car Crochetière Pétrin n'a pas réussi à démontrer qu'elle était dans l'impossibilité d'agir. En conséquence, la requête doit échouer.

[16]        POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[17]        REJETTE la requête de la demanderesse pour être relevée du défaut d’inscrire pour enquête et audition.

 

 

 

__________________________________

DANIEL DORTÉLUS, J.C.Q.

Me Dominique Bougie

Étude légale : Crochetière Pétrin S.E.N.C.R.L.

Avocate de la demanderesse

 

La défenderesse se représente elle-même

 

Date d’audience :

26 mars 2015

 



[1]     Code de procédure civile, RLRQ c C-25, art. 110.1.

[2]     Précité, note 1.

[3]     6270791 Canada inc. c. Cusacorp Management Ltd., 2010 QCCA 1814; Générateurs de brouillard MDG ltée c. Larivière, 2011 QCCA 564; Garramone c. Basilière, 2012 QCCA 576.

[4]     Lévesque c. St-Élien, 2012 QCCA 1057.

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