Décision

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Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal, section locale 301 c. Beaconsfield (Ville de)

2015 QCCA 1958

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-024712-143

(500-17-078230-136)

 

DATE :

Le 26 novembre 2015

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

FRANÇOIS PELLETIER, J.C.A.

JACQUES DUFRESNE, J.C.A.

MARIE-JOSÉE HOGUE, J.C.A.

 

 

SYNDICAT DES COLS BLEUS REGROUPÉS DE MONTRÉAL, section locale 301

APPELANT - demandeur

c.

 

VILLE DE BEACONSFIELD

INTIMÉE - mise en cause 

et

MARCEL MORIN en sa qualité d’arbitre de griefs

MIS EN CAUSE - défendeur

 

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 21 août 2014 par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable François P. Duprat), qui a rejeté l’objection préliminaire de l’intimée à l’égard de la sentence arbitrale prononcée par le mis en cause le 15 avril 2012 et rejeté la requête en révision judiciaire de l’appelant de la sentence arbitrale prononcée le 30 juin 2013, également par le mis en cause.

[2]           Ce pourvoi soulève de nouveau la question de savoir qui, de l’arbitre de griefs ou des instances spécialisées chargées d’appliquer la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles[1] (la « L.a.t.m.p. »), a compétence pour régler les différends émanant des dispositions de la convention collective relatives au retour au travail d’un salarié lorsque la CSST a déjà analysé la capacité et les limitations fonctionnelles de ce salarié et a déterminé que l’employeur, la Ville de Beaconsfield (« la Ville »), n’a aucun emploi convenable à lui offrir. Se pose également la question de savoir si le juge de première instance a eu raison de rejeter la requête en révision judiciaire du Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal, section locale 301 (le « Syndicat ») dans laquelle il soutient que l’arbitre a erré en décidant qu’en l’espèce les dispositions de la convention collective ne sont pas plus avantageuses pour le salarié que les dispositions contenues à la L.a.t.m.p., faisant ainsi en sorte qu’il décline compétence.

[3]           Le présent pourvoi a été entendu en même temps que l’affaire Ville de Montréal-Est c. Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal, section locale 301[2] et cela alors que l’affaire Université McGill c. McGill University Non Academic Certified Association (MUNACA)[3] était en délibéré devant cette Cour. Les procureurs y ont d’ailleurs fait expressément référence et ont traité abondamment des questions communes aux pourvois. La décision de la Cour a depuis été rendue. Les motifs détaillés de la juge Bich permettent de répondre aux questions soulevées dans le présent pourvoi.

[4]           Les faits ne sont pas contestés. Le juge de première instance les énonce clairement[4] :

[10] Le 1er décembre 2005, Monsieur Richard est transféré par le Comité de transition de l’agglomération de Montréal à la Ville de Beaconsfield, à titre d’auxiliaire.

[11] Le 20 juin 2008, Monsieur Richard est victime d’une lésion professionnelle et une réclamation est acceptée comme accident de travail par la CSST, le 17 juillet 2008.

[12] Le 8 septembre 2009, une rencontre est tenue entre un représentant de la CSST, l’employeur, l’employé ainsi qu’une thérapeute en réadaptation physique.

[13] Les objectifs de cette rencontre sont : évaluer les exigences de l’emploi pré-lésionnel eu égard aux limitations fonctionnelles, évaluer la possibilité d’adaptation de l’emploi pré-lésionnel et évaluer s’il y a présence d’un emploi convenable en fonction des limitations fonctionnelles.

[14] Dans un rapport du 16 septembre 2009, la thérapeute en réadaptation physique retient qu’il y a des limitations fonctionnelles suite à l’accident subi par Monsieur Richard.

[15] Le 14 octobre 2009, la CSST conclut que Monsieur Richard ne peut reprendre son emploi pré-lésionnel et qu’il n’y a pas d’emploi convenable à Beaconsfield qui respecterait les limitations fonctionnelles. Le dossier est donc transféré vers une recherche d’emploi ailleurs sur le marché du travail.

[16] Le 20 novembre 2009, le Syndicat dépose le grief dont l’arbitre a été saisi. Voici comment est présenté le grief :

            Nous sommes informés en date du 14 octobre 2009 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) que l’employeur, Ville de Beaconsfield, refuse de réintégrer l’employé, M. Richard, dans un emploi correspondant à ses limitations fonctionnelles contrevenant ainsi à son devoir d’accommodement en vertu de la Charte des droits et liberté de la personne ainsi que des dispositions de la sentence arbitrale Lavoie.

            Conséquemment, en vertu des dispositions de la sentence arbitrale Lavoie, nous demandons qu’il soit ordonné à l’employeur de cesser cette pratique, qu’il soit ordonné à l’employeur de réintégrer M. Richard dans tout emploi qu’il est en mesure d’accomplir avec tous ses droits et privilèges et qu’il soit également ordonné à l’employeur de rembourser à M. Richard le salaire perdu, aux taux du temps régulier et supplémentaire, rétroactivement au 13 octobre 2009 et pour tous les jours subséquents avec paiement des intérêts légaux ainsi que les indemnités prévues à l’article 100.12 du Code du travail, le tout payable dans les 90 jours du règlement. De plus, nous demandons qu’il soit ordonné à l’employeur de rembourser tous les bénéfices, avantages ainsi que les dommages et intérêts se rattachant à cette réclamation.

[17] Le 8 mars 2010, la CSST avise Monsieur Richard comme suit :

Comme vous ne pouvez occuper votre emploi habituel, nous avons évalué avec vous si un autre emploi ailleurs sur le marché du travail pouvait convenir. Ainsi nous avons retenu comme emploi convenable celui chauffeur classe 3.

[18] Le 17 février 2011, la CSST communique à nouveau avec Monsieur Richard. On lui confirme qu’il ne peut retourner travailler chez son employeur et que la CSST a retenu comme emploi convenable celui de nettoyeur d’édifices à bureaux. De fait, il appert que Monsieur Richard n’a pu compléter la formation pour obtenir un permis de chauffeur.

[19] Ni l’employeur ni le travailleur n’ont contesté les décisions de la CSST.

[références omises]

La décision arbitrale

[5]           L’arbitre, dans un premier temps, rejette une objection préliminaire soulevée par la Ville soutenant qu’il n’a pas juridiction puisque la CSST s’est déjà prononcée sur la possibilité pour le salarié de retourner au travail. Il se saisit donc du grief et analyse les dispositions pertinentes de la convention collective, concluant qu’elles ne sont pas plus avantageuses pour le salarié que celles qu’on retrouve à la Loi, ce qui le conduit à décliner compétence. Ces dispositions sont ainsi rédigées :

2.01 Aux fins de la présente convention collective de travail, les expressions suivantes ont la signification ci-après indiquée :

l) Fonction : poste ou groupe de postes de travail dont les tâches les plus importantes et les plus significatives sont équivalentes tel que décrit dans la nomenclature constituant les annexes A et B de la présente convention collective.

m) Poste : l’assignation particulière de l’employé dans le cadre général de sa fonction.

[...]

Dispositions relatives à la mise en application du droit de retour au travail d’un employé accidenté ou victime d’une maladie professionnelle.

9.34

a) Nonobstant les dispositions de l’article 19, dès qu’un employé titulaire est considéré apte au travail, suite à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, la Ville le réinstalle d’abord dans sa fonction s’il est en mesure de l’accomplir ou dans toute autre fonction qu’il est capable d’accomplir, sans diminution de salaire.

b) L’employé visé à l’alinéa précédent ayant des limitations permanentes et réintégré dans une fonction autre que la sienne ne peut être déplacé par un autre employé.

c) L’employé titulaire qui n’a pas recouvré un emploi conformément aux dispositions du présent alinéa ne peut être remercié de ses services.

d) Sous réserve du paragraphe c), à défaut d’emploi disponible, conforme à sa condition physique et ses qualifications, les dispositions de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles s’appliquent.

Par la suite, l’employé est couvert par les dispositions du régime d’assurance-salaire, s’il y a lieu.

e) Dans le cas de l’employé auxiliaire accidenté, les dispositions du présent alinéa s’appliquent jusqu’à concurrence du nombre de jours d’emploi pendant lesquels il aurait travaillé s’il était demeuré au travail compte tenu de l’article 19.

9.35

La Ville et le Syndicat, s’entendent sur le principe de réintégration inter-unité syndicale suite à un accident de travail ou à une maladie professionnelle et, conviennent de négocier des modalités qui permettent ces réintégrations.

La Ville et le Syndicat s’entendent sur les principes suivants :

a) un employé d’une autre unité d’accréditation syndicale, qui ne peut être réintégré dans un emploi convenable de son unité d’accréditation suite à des blessures subies ou à une maladie résultant de l’exercice de ses fonctions, peut être réassigné dans une fonction de la présente unité d’accréditation qu’il est apte à occuper;

b) un employé titulaire couvert par la présente accréditation syndicale qui ne peut être réintégré dans un emploi convenable dans cette unité suite à des blessures subies ou à une maladie résultant de l’exercice de ses fonctions, peut être réintégré dans un emploi ou dans une fonction dans une autre unité d’accréditation syndicale qu’il est apte à occuper.

[6]           Le Syndicat se pourvoit en révision judiciaire de cette décision arbitrale par laquelle l’arbitre décline compétence. La Ville quant à elle soulève le fait que la sentence du 15 avril 2012 doit être révisée puisque l’arbitre avait dû décliner compétence.

[7]           Le juge, appliquant la norme de la décision correcte à cette partie de son analyse, conclut, premièrement, que l’arbitre a eu raison de rejeter l’objection préliminaire de la Ville puisqu’il avait compétence pour déterminer si les dispositions de la convention collective confèrent au salarié des droits plus étendus que ceux que lui confère la Loi. Il analyse ensuite la décision relative au caractère plus ou moins avantageux des dispositions de la convention collective en y appliquant, cette fois, la norme de la décision raisonnable et conclut que la décision de l’arbitre à cet égard n’est pas déraisonnable. Il rejette ainsi la requête en révision judiciaire du Syndicat. C’est contre cette décision que se pourvoit le Syndicat.

Analyse

[8]           Soulignons immédiatement que le juge s’est bien dirigé lorsqu’il a appliqué deux normes de contrôle différentes à son analyse, selon la décision qu’il révisait. La norme de contrôle de la décision correcte est applicable à la révision de la sentence traitant de la compétence de l’arbitre de se saisir du grief alors que celle de la décision raisonnable est applicable à la révision de la décision arbitrale traitant du caractère plus ou moins avantageux des dispositions contenues à la convention collective. Les propos de notre collègue la juge Bich, dans McGill[5], sont éloquents et s’appliquent tout autant en l’espèce:

[22] À mon avis, l'affaire soulève une problématique à deux volets :

- L'article 4 L.a.t.m.p. permet-il aux parties à une convention collective de prévoir, au bénéfice du travailleur, des conditions plus avantageuses que celles de la L.a.t.m.p. et, dans l'affirmative, qui a compétence pour régler les mésententes résultant de telles dispositions conventionnelles?

- En l'espèce, et dans la mesure où la première question recevrait une réponse affirmative, la convention collective unissant les parties contient-elle pareille disposition?

[23] Le premier volet se rattache 1° à l'interprétation de la L.a.t.m.p., loi d'ordre public, 2° aux rapports entre cette loi et la convention collective, 3° à la compétence (au sens vires du terme) de l'arbitre de se saisir de questions relatives à un salarié victime d'une lésion professionnelle et, conséquemment, 4° aux champs d'intervention respectifs de la CSST et de la CLP, d'une part, et de l'arbitre de griefs, d'autre part. Il s'agit là d'éléments indissociables, le dernier dépendant entièrement des trois premiers. Le débat portant en définitive sur les compétences respectives d'instances potentiellement concurrentes, il y a lieu d'appliquer la norme de la décision correcte.

[24] À l'instar du juge de première instance, et comme on le verra, je conclurai que l'article 4 autorise l'insertion à la convention collective de dispositions plus avantageuses pour le travailleur, dispositions dont l'interprétation et l'application relèvent de la compétence arbitrale.

[25] Le second volet requiert plutôt l'application de la norme de la décision raisonnable. Comme le rappelle l'arrêt Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), sous la plume majoritaire du juge Gascon, il est tout à fait possible que les diverses questions que soulève un litige doivent être examinées en fonction de normes différentes. C'est ici le cas. Ayant conclu que c'est de l'arbitre que relève l'application de l'article 4, 2e al., L.a.t.m.p., c'est encore à lui que reviendra de répondre à la question de décider si, en l'espèce, la convention collective contient bel et bien une disposition plus avantageuse pour le salarié que la L.a.t.m.p. et, le cas échéant, de la mettre en œuvre. La détermination du sens et de la portée, dans les faits, d'une disposition conventionnelle particulière est en effet au cœur de la mission que lui confie le législateur et, sur ce point, sa sentence ne pourra être révisée que sous l'angle de la décision raisonnable, aucune des exceptions prévues par la jurisprudence n'étant pertinente.

[26] La question de savoir si une convention collective particulière comporte, dans les faits, une disposition accordant au travailleur plus de droits que la L.a.t.m.p. n'est en effet pas une question constitutionnelle, elle ne se rapporte pas à la compétence de tribunaux concurrents et elle n'a pas les caractéristiques de la question de droit revêtant une importance capitale pour le système juridique et étrangère à la compétence du tribunal spécialisé. Il ne s'agit pas non plus d'une question de compétence stricto sensu (c.-à-d. au sens vires du terme) : l'arbitre chargé de statuer sur cette question ne s'arroge pas de compétence en décidant que la convention contient une disposition plus avantageuse que la L.a.t.m.p., pas plus qu'il ne refuse d'exercer sa compétence lorsqu'il statue que la convention n'en contient pas. Dans les deux cas, il exerce sa compétence décisionnelle et, en révision judiciaire, on ne peut que se demander s'il a statué de manière raisonnable.

[références omises]

La compétence de l’arbitre de griefs

[9]           Appliquant le critère de la décision correcte, le juge a eu raison de conclure que l’arbitre avait compétence pour se saisir du grief déposé par le Syndicat. L’arbitre a compétence sur les différends relatifs à la convention collective, qu’il s’agisse de son interprétation ou de son application. Lorsque, sur un même sujet, la convention collective offre aux salariés plus de droits que ceux que la Loi leur accorde, l’arbitre demeure compétent pour se saisir et décider des différends relatifs à ces droits « additionnels » ou « plus avantageux ». Les propos de la juge Bich dans l’affaire McGill méritent encore d’être cités :

[63] Le législateur confie en effet à l'arbitre de griefs une mission particulière, spécialisée et exclusive sur « toute mésentente relative à l'interprétation ou à l'application d'une convention collective » (« any disagreement respecting the interpretation or application of a collective agreement »), c'est-à-dire tout grief au sens de l'article 1 C.t., peu importe l'objet de ce grief. Si une telle mésentente porte sur l'interprétation et l'application de dispositions conventionnelles accordant au travailleur des droits qui s'ajoutent à ceux que lui confère la L.a.t.m.p., elle est sujette à la procédure de grief, qui culmine avec l'arbitrage. Pour paraphraser le juge Bastarache, au nom de la Cour suprême, dans Regina Police Assn. Inc. c. Regina (Ville) Board of Police Commissioners, l'essence du litige concernant une matière visée par la convention collective et qui n'existe que grâce à celle-ci, l'arbitre a compétence et, même, compétence exclusive.

            [références omises]

Les dispositions de la convention collective sont-elles plus avantageuses?

[10]        Le juge ayant, à bon droit, conclu à la compétence de l’arbitre, il faut maintenant déterminer s’il a eu raison de conclure que l’arbitre a toutefois rendu une décision raisonnable lorsqu’il a déterminé que les dispositions collectives ne sont pas plus avantageuses que les dispositions contenues à la L.a.t.m.p. Pour ce faire, il faut rappeler le raisonnement adopté par l’arbitre pour parvenir à cette conclusion. Il se retrouve aux paragraphes 174 à 181 de la sentence arbitrale :

[174] Ceci étant dit, les dispositions de la convention collective sont-elles plus avantageuses que celles de la LATMP? La partie syndicale a identifié les clauses 9.34 et 9.35 comme étant plus avantageuses. Comme le souligne avec justesse le procureur de la Ville, la clause 9.35 ne vise que les employés titulaires de sorte que le plaignant, un employé auxiliaire, ne peut aucunement en revendiquer l'application. Reste la clause 9.34 qui vise au premier chef l'employé titulaire. Le sous-alinéa e) concerne l'employé auxiliaire :

e)     Dans le cas de l'employé auxiliaire accidenté, les dispositions du présent alinéa s'appliquent jusqu'à concurrence du nombre de jours d'emploi pendant lesquelles il aurait travaillé s'li était demeuré au travail compte tenu de l'article 19.

[175] Toutefois, cet alinéa ne peut être lu indépendamment du reste des alinéas précédents qui sont ainsi libellés :

a)     Nonobstant les dispositions de l'article 19, dès qu'un employé titulaire est considéré apte au travail, suite à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, la Ville le réinstalle d'abord dans sa fonction s'il est en mesure de l'accomplir, ou dans toute autre fonction qu'il est capable d'accomplir, sans diminution de salaire.

b)     L'employé visé à l'alinéa précédent ayant des limitations permanentes et réintégré dans une fonction autre que la sienne ne peut est déplacé par un autre employé.

c)     L'employé titulaire qui n'a pas recouvré un emploi conformément aux dispositions du présent alinéa ne peut être remercié de ses services.

d)     Sous réserve du paragraphe c), à défaut d'emploi disponible, conforme à sa condition physique et ses qualifications, les dispositions de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles s'appliquent.

Par la suite, l'employé est couvert par les dispositions du régime d'assurance-salaire, s'il y a lieu.

[176] Comme « l'employé auxiliaire signifie l'employé qui est embauché temporairement pour accomplir des tâches temporaires ou régulières », il n'est pas assuré d'obtenir du travail de façon continue comme l'employé titulaire. La protection que lui offre la clause 9.34 est limitée par le travail qu'il est appelé à exécuter en fonction de son ancienneté. Il est donc sujet à des mises à pied qui mettront fin aux avantages prévus à ladite clause.

[177] L'utilisation du terme « fonction » à la clause 9.34 serait pour le Syndicat une disposition plus avantageuse puisque ce terme serait plus large qu'un emploi prélésionnel, un emploi équivalent ou un emploi convenable au sens de la LATMP. Ce terme est défini à la clause 2.01 1) de la convention collective:

« Fonction » : poste ou groupe de postes de travail dont les tâches les plus importantes et les plus significatives sont équivalentes tel que décrit dans la nomenclature constituant les annexes « A » et « 8 » de la présente convention ».

[178] Cette définition est en lien avec celle de « poste » à 2 m) :

« ( ... ) l'assignation particulière de l'employé dans le cadre général de sa fonction ».

[179] Or comme le souligne le procureur de la Ville, le terme « fonction » n'est présent qu'aux alinéas a) et b) de l'article 9.34, les alinéas c) et d) référant plutôt à la notion d'« emploi ».

[180] Le présent Tribunal n'a pas à reprendre le travail effectué par la CSST. L'état du droit est suffisamment fixé sur cette question de la juridiction exclusive de la CSST sur les matières dont elle a compétence. Il lui incombait d'examiner si le plaignant était capable d'occuper son emploi prélésionnel. Il occupait alors un poste et la CSST a considéré qu'il n'était plus en mesure d'occuper son emploi prélésionnel. Elle a poursuivi son analyse pour déterminer s'il était en mesure d'occuper un emploi équivalent ou encore un emploi convenable auprès de la Ville, son Employeur. La CSST n'a pu arriver aux conclusions auxquelles elle est arrivée sans nécessairement examiner si le plaignant était capable d'accomplir une autre fonction. Cet exercice (la réadaptation professionnelle) ne s'est pas fait en vase clos, mais en collaboration avec l'employé concerné.

[181] Quant à l'argument du Syndicat voulant que la CSST ne puisse considérer un emploi ou une fonction qui ne permettrait pas au travailleur d'utiliser l'ensemble de ses qualifications professionnelles ou qui ne tiendrait pas compte de son parcours professionnel, il convient de s'en référer d'abord aux définitions d'emploi équivalent et d'emploi convenable de la LATMP. Ces définitions sont suffisamment larges pour ne pas enfermer le décideur dans un carcan de sorte que l'ensemble des qualifications professionnelles ne doit pas nécessairement être présent dans la recherche d'emploi équivalent ou d'emploi convenable. Il en est de même du parcours professionnel du travailleur et des caractéristiques semblables au regard de la notion d'emploi équivalent. Comme le souligne le procureur patronal, l'article 9.34 de la convention collective réfère à une fonction que le salarié est « capable d'accomplir » ce qui sous-entend qu'il a les qualifications pour effectuer le travail. En quoi est-ce plus avantageux que ce que prévoit la LATMP? La partie syndicale n'a pas démontré un tel avantage. Une lecture attentive de l'article 9.34 permet de constater qu'à défaut d'être en mesure de « réinstaller l'employé dans toute autre fonction qu'il est capable d'accomplir » c'est le régime prévu à la LATMP qui s'applique. En somme, les parties n'ont fait que paraphraser ce qui est prévu dans la Loi.

[11]        Cet extrait permet de voir que l’arbitre a interprété les expressions emploi équivalent et emploi convenable contenues à la L.a.t.m.p. de façon indûment large en faisant abstraction de la limite qu’elles contiennent voulant que cet emploi tienne compte des qualifications professionnelles du salarié et lui permette de les utiliser. Les propos de notre collègue Bich dans McGill[6] sont encore ici éclairants :

[43] Soulignons enfin que l'emploi convenable, qu'il s'exerce chez l'employeur ou ailleurs, n'est pas défini en fonction de la seule capacité du travailleur à l'occuper. Ce n'est donc pas parce qu'un travailleur est en mesure d'accomplir les tâches d'un emploi que celui-ci peut aussitôt être qualifié d'emploi convenable. Aux termes de l'article 2 L.a.t.m.p., il s'agit plutôt d'un emploi, qui, bien sûr, permet au travailleur d'user de sa capacité résiduelle de travail, dans le respect de ses limitations fonctionnelles, mais qui lui permet aussi d'utiliser ses qualifications professionnelles, tout en présentant une possibilité raisonnable d'embauche. Il doit en outre s'agir d'un emploi approprié. Voici comment la CLP résumait assez récemment la notion d'« emploi convenable », dont la détermination requiert un exercice de pondération éminemment factuel et hautement personnalisé :

 

[65]       Pour être « convenable », un emploi doit respecter les conditions suivantes :

-     être approprié, soit de respecter dans la mesure du possible les intérêts et les aptitudes du travailleur;

-     permettre au travailleur d’utiliser sa capacité résiduelle, soit, plus particulièrement de respecter ses limitations fonctionnelles, qu’elles soient d’origine professionnelle ou personnelle;

-     permettre au travailleur d’utiliser ses qualifications professionnelles dans la mesure du possible, en tenant compte de sa scolarité et de son expérience de travail;

-     présenter une possibilité raisonnable d’embauche;

-     ne pas comporter de danger pour la santé, la sécurité ou l’intégrité du travailleur étant donné sa lésion.

[44] Sur la question du caractère approprié de l'emploi, la CLP a par ailleurs maintes fois rappelé que cette « caractéristique vise à tenir compte de diverses réalités individuelles qui ont pour effet de particulariser la situation d’un travailleur et qui ne peuvent être couvertes par les autres caractéristiques servant à qualifier un emploi de « convenable » (par exemple, certaines contraintes personnelles ou sa capacité de gain).

[45] Une précision s'impose, qui se rattache à un sujet que j'aborderai plus loin. Il ressort de la jurisprudence relative à l'emploi convenable que l'on n'imposera bien sûr pas au travailleur un emploi qui dépasse ses qualifications professionnelles. C'est d'ailleurs là l'un des motifs les plus fréquents de contestation, devant la CLP, des décisions de la CSST en matière d'emploi convenable. Mais qu'en est-il de l'inverse? Peut-on considérer comme convenable au sens de l'article 2 L.a.t.m.p. l'emploi qui ne permet pas l'utilisation, c'est-à-dire la mise à profit, des qualifications professionnelles de l'individu? Plus exactement, peut-on considérer comme convenable l'emploi qui respecte les limitations fonctionnelles du travailleur et présente des possibilités d'embauche, mais ne fait appel qu'aux plus élémentaires de ses qualifications professionnelles? Autrement dit, et pour emprunter un exemple-choc au jugement de première instance, la CSST peut-elle décider que l'emploi de préposé à l'entretien est un emploi convenable pour le travailleur dont l'emploi prélésionnel est celui de professeur?

[46] La question n'est pas sans importance puisque le fait d'être en mesure d'exercer à temps plein un emploi convenable entraîne la réduction de l'indemnité de remplacement du revenu, et ce, peu importe que, dans les faits, le travailleur occupe ou non cet emploi convenable déterminé (voir les art. 47, 49, 1er al., et 50 L.a.t.m.p., sous réserve du délai de grâce d'une année que prévoit le 2e al. de l'art. 49). La détermination d'un emploi convenable a donc sur le travailleur un impact majeur, d'où l'intérêt de savoir si l'emploi convenable peut être un emploi qui ne met aucunement à profit des qualifications professionnelles d'un individu. La question intéresse tout autant l'employeur, puisque l'obligation qui lui incombe en vertu de l'article 170 L.a.t.m.p. est limitée à l'« emploi convenable » et non pas à tout emploi disponible dans son entreprise (sans parler de la question de l'imputation des coûts résultant de la lésion professionnelle - art. 326 et s. L.a.t.m.p.).

[47] Considérant la définition que la L.a.t.m.p. donne à l’emploi convenable et considérant la jurisprudence de la CLP en la matière, on doit répondre à cette question par la négative. Si le législateur avait voulu que le travailleur victime d'une lésion professionnelle d'où découlent des limitations fonctionnelles soit tenu d'exercer tout emploi que sa capacité de travail résiduelle lui permet d'accomplir, c'est de cette façon qu'il aurait défini l'« emploi convenable » et non pas en fonction des critères qu'il énumère à l'article 2 L.a.t.m.p. et qu'appliquent les décisions de la CLP.

[références omises]

[12]        Ici, l’arbitre assimile la notion d’emploi convenable et la notion d’emploi équivalent contenues à la L.a.t.m.p. à la notion de « toute autre fonction qu’il est capable d’accomplir » contenue à la convention collective. En ce faisant, il fait abstraction tant des termes employés dans la Loi que de la façon dont la CSST elle-même les interprète et les applique. Cette interprétation, incorrecte, l’amène à décliner compétence. Il s’agit là d’une décision déraisonnable puisqu’elle procède d’une conception erronée des expressions d’emploi convenable et d’emploi équivalent. Il y a donc lieu d’accueillir l’appel du jugement rejetant la requête en révision judiciaire du Syndicat.

[13]        Dans la mesure où l’arbitre mis en cause a déjà dû se prononcer quant au sens à donner aux dispositions législatives pertinentes ainsi qu’à celles de la convention collective, il est préférable que le dossier soit retourné à un autre arbitre. Ceci évitera que l’une ou l’autre des parties puisse douter de sa neutralité, même si, en cette matière, tous conviennent qu’il s’agit beaucoup plus d’une question d’apparence que d’une réalité. Les fins de la justice seront néanmoins mieux servies si un arbitre différent est saisi du grief, à moins que les parties elles-mêmes préfèrent et conviennent de l’en ressaisir.


POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[14]        ACCUEILLE l’appel;

[15]        ORDONNE que le dossier soit retourné à un autre arbitre pour qu’il exerce sa compétence, à moins que les parties choisissent d’en ressaisir l’arbitre Me Marcel Morin;

[16]        LE TOUT, avec dépens.

 

 

 

 

 

FRANÇOIS PELLETIER, J.C.A.

 

 

 

 

 

JACQUES DUFRESNE, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARIE-JOSÉE HOGUE, J.C.A.

 

 

Me Jacques Lamoureux

Lamoureux, Morin, Lamoureux

Pour l’appelant

 

Me Stéphane Fillion

Me Marc-André Boucher

Fasken Martineau DuMoulin

Pour l’intimée

 

 

Date d’audience :

5 octobre 2015

 



[1] RLRQ, c. A-3.001.

[2]     Voir l’arrêt rendu aujourd’hui, Ville de Montréal-Est c. Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal, section locale 301, C.A. Montréal, no 500-09-024615-148, 26 novembre 2015, jj. Pelletier, Dufresne et Hogue.

[3]     AZ-51232736 (C.A.), 2015 QCCA 1943.

[4]     Jugement de première instance, paragr. 10 à 19.

[5]     AZ-51232736 (C.A.), 2015 QCCA 1943, supra, note 3, paragr. 22 à 26.

[6]     AZ-51232736 (C.A.), 2015 QCCA 1943, supra, paragr. 43 à 47.

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