Section des affaires immobilières
En matière de fiscalité municipale
Référence neutre : 2022 QCTAQ 07595
Dossier : SAI-M-300874-2010
Devant les juges administratifs :
JOSÉE PROULX
GUY GAGNON
CORPORATION D'HABITATION PORTE JAUNE INC.
c.
Aperçu
[1] Le recours porte sur l’exactitude de la valeur inscrite au rôle d’évaluation foncière 2020-2021-2022 pour l’unité dont les coordonnées sont les suivantes :
Numéro de matricule : 9841-83-7220-1-052-0002
Adresse de l’unité : 3516, rue Jeanne-Mance à Montréal
Autres numéros civiques : 3509, 3511, 3515, 3517-3519 et 3521
Quartier : Milton Parc
Arrondissement : Plateau-Mont-Royal
Valeur inscrite au rôle : Terrain : 1 090 400 $
Bâtiment : 882 900 $
Total : 1 973 300 $
Proportion médiane : 100 %
Facteur comparatif : 1,00
Valeur uniformisée : 1 973 300 $
[2] Selon le premier alinéa de l’article 46 de la Loi sur la fiscalité municipale[1] (LFM), la date d’évaluation à retenir pour déterminer la valeur réelle de l’unité d’évaluation est le 1er juillet 2018. L’unité d’évaluation visée par le présent recours est composée de 6 propriétés comprenant 13 logements et 8 chambres locatives.
[3] Le 24 avril 2020, la Corporation d’Habitation Porte Jaune Inc. (CHPJ) dépose une demande de révision de la valeur de l’unité d’évaluation auprès du service d’évaluation de la Ville de Montréal. Elle requiert que la valeur réelle soit déterminée à raison de huit fois les revenus annuels.
[4] Dans sa réponse du 19 août 2020, une recommandation de maintien de la valeur inscrite au rôle d’évaluation est faite au motif de l’exactitude de la valeur déposée.
[5] Insatisfaite de cette réponse, CHPJ intente un recours devant le Tribunal administratif du Québec (Tribunal) afin de contester la valeur inscrite au rôle pour son unité comme le permet l’article 138.5 LFM.
[6] L’audience virtuelle est tenue le 13 juin 2022. Les parties font leurs représentations et le délibéré débute ce même jour.
Litige
[7] Est-ce que la structure juridique particulière de l’unité d’évaluation exerce une influence sur sa valeur réelle ? Si oui, quelle est la valeur réelle de l’unité d’évaluation ?
[8] Le Tribunal décide que la structure juridique de l’unité d’évaluation n’exerce aucune influence sur sa valeur réelle et maintient l’inscription apparaissant au rôle triennal 2020-2021-2022 selon les motifs expliqués ci-après.
Observations et preuves
[9] Au début de l’audience, l’intimée recommande une hausse de la valeur réelle à 3 641 700 $, soit une inscription de 2 050 700 $ pour le terrain et de 1 591 000 $ pour le bâtiment.
[10] Questionnée par le Tribunal quant à la conclusion recherchée, CHPJ précise sa conclusion de valeur réelle arrondie à 922 250 $[2], laquelle est obtenue en multipliant par huit les revenus annuels[3] au 1er juillet 2018, soustraction faite des coûts de réfection du toit et des ardoises de 211 020,63 $[4]. Elle ne précise pas la répartition entre la valeur du terrain et la valeur du bâtiment.
[11] Les inscriptions contenues au rôle d’évaluation bénéficient d’une présomption d’exactitude. Celle-ci n’est cependant pas irréfragable et peut être renversée. Elle ne tient plus lorsque, par exemple, une recommandation de modification est indiquée, ce qui est le cas en l’espèce.
[12] Dans l’affaire Appartement Hôtel Château Royal Inc. c. Montréal (Ville)[5], la Cour d'appel écrit :
« La valeur inscrite n'est pas une notion abstraite. Elle repose sur un acte posé par un officier public dans l'exercice de ses fonctions. Il est ainsi présumé que cet officier aura consciencieusement fait son travail, que ses données sont fondées et ses calculs exacts. Ainsi, lorsque l'évaluateur d'une municipalité ne soutient pas la valeur inscrite, le tribunal est justifié de conclure que la municipalité ne peut plus se reposer sur la présomption d'exactitude. »
[13] La présomption étant disparue, elle cède alors le pas à un débat pur et simple entre les parties portant sur la valeur à inscrire. Le Tribunal doit alors examiner l’ensemble de la preuve et trancher le litige sur la base de la prépondérance de la preuve administrée devant lui, sans qu’il ne soit toutefois attaché aux valeurs inscrites au rôle. Il va évidemment de soi que les parties conservent le fardeau de prouver devant le Tribunal la justesse de leurs allégués en fonction de leurs prétentions respectives.
[14] Dans ce contexte, le Tribunal explique à la partie requérante qu’en fonction de la preuve soumise, la valeur réelle de l’unité d’évaluation peut être maintenue, diminuée ou augmentée[6].
[15] Après s’être vu offert un moment de réflexion par le Tribunal, la partie requérante décide de poursuivre l’audience et de présenter sa preuve par le témoignage de trois témoins de faits.
[16] L’argument principal de CHPJ est à l’effet que le Tribunal doit tenir compte de la structure juridique particulière de l’unité d’évaluation et de son influence sur la valeur réelle. Elle ne fait toutefois aucune preuve quant à l’impact des contraintes légales soulevées sur la valeur réelle de l’unité d’évaluation, si ce n’est que de retenir 8 fois les revenus sans aucune démonstration.
[17] La LFM définit la valeur réelle à son article 46 et prévoit que sa détermination doit tenir compte de l’état ainsi que de la situation économique et juridique de l’unité d’évaluation. CHPJ indique que l’unité est affectée par une structure juridique unique, approuvée et consacrée par le législateur, et à laquelle elle ne peut se soustraire.
[18] CHPJ fait mention des contraintes légales qui affectent l’unité par le témoignage de M. Zyskind Finkelstein, secrétaire du conseil d’administration. Il produit la Loi constitutive[7] sanctionnée en juin 1987 qui a pour but d’encadrer la conversion en copropriété par déclaration de l’immeuble appartenant à la Société d’Amélioration Milton Parc Inc. (SAMP) dont fait partie l’unité d’évaluation.
[19] Il explique également les articles pertinents de la déclaration de copropriété[8], publiée en novembre 1994, et devant être respectée par tout détenteur. Selon M. Finkelstein, ces obligations sont liées au statut de l’immeuble et non au statut du propriétaire et ce, comme toute obligation légale grevant une propriété.
[20] Selon lui, ces contraintes sont, par le fait des actes légaux, rattachées à l’immeuble et leur annulation requiert une signature du ministre puisque la volonté derrière la structure mise en place est de soustraire à la spéculation tous les immeubles formant la SAMP.
[21] En preuve, depuis la création de la SAMP en 1987 et de la publication de la convention de copropriété, une seule propriété incluse au projet Milton Parc a fait l’objet d’une vente en 1996[9], laquelle a été acquise par une des sociétés d’habitation déjà détentrice en partie qui a exercé son droit de premier refus.
[22] Ensuite, M. Richard Phaneuf, administrateur de CHPJ, explique le statut de l’unité d’évaluation ainsi que les contraintes environnementales et l’état physique des bâtiments qui nécessitent des travaux de réfection et de décontamination[10]. Ces contraintes furent aussi expliquées par M. Phaneuf à l’évaluateur municipal au moment de la demande de révision.
[23] Contre-interrogé, M. Phaneuf mentionne que l’analyse environnementale des terrains fut requise par la Société Canadienne d’Hypothèque et de Logement (SCHL) afin d’obtenir une hypothèque garantie dans le cadre des travaux de réfection à venir. Or, tant l’analyse environnementale que les travaux de réfection du toit et des ardoises sont réalisés en 2020 et 2021, soit après la date de référence établie au 1er juillet 2018.
[24] Finalement, Mme Carolle Piché-Burton, administratrice de la Société d’habitation Chambrelle, faisant partie de la copropriété Milton Parc, témoigne à l’effet qu’une autre unité fut vendue en septembre 2021[11], à un des copropriétaires, au prix du solde hypothécaire, selon ce qui est prévu à la déclaration de copropriété. Les contraintes légales en place exigent que l’immeuble soit d’abord offert aux copropriétaires et si aucun intérêt n’est démontré, il peut être offert sur le marché ; toutefois, tout acquéreur doit respecter les restrictions indiquées à la déclaration de copropriété et notamment choisir ses locataires selon les stricts critères établis qui visent à favoriser une clientèle démunie.
[25] Elle produit un document[12], dont elle est co-auteur, relatant l’histoire et le fonctionnement du projet Milton Parc. Mme Piché-Burton est aussi la signataire de la déclaration de copropriété de 1994.
[26] Aucun projet similaire n’existe au Québec de sorte qu’aucune propriété ne peut lui être comparée selon les témoins de la requérante qui qualifient ce projet de microcosme ou de « bulle protégée au cœur de Montréal », constitué par la volonté des co-propriétaires.
[27] Me Johnson demande au Tribunal de rejeter l’analyse d’évaluation présentée par l’intimée, puisqu’aucune propriété ne peut être retenue en comparaison pour déterminer la valeur réelle de l’unité d’évaluation en litige.
[28] M. Ruben Ventura, évaluateur régional, produit son rapport individualisé[13] qui analyse la valeur réelle de l’unité d’évaluation selon l’application des méthodes du coût et de la comparaison.
[29] Il évalue l’unité d’évaluation en retenant l’usage actuel résidentiel comme étant le meilleur et le plus profitable, lequel est conforme à la règlementation municipale.
[30] Il retient une valeur réelle de 3 641 700 $ selon la méthode de comparaison et recommande une hausse de la valeur inscrite.
Analyse et décision
[31] Chaque unité d’évaluation est inscrite au rôle selon sa valeur réelle. Cette dernière constitue le prix de vente le plus probable sur lequel s’entendraient deux parties non liées qui ne sont pas obligées de vendre ou d’acheter et qui connaissent raisonnablement l’état, les avantages et les désavantages de la propriété ainsi que les conditions du marché[14].
[32] L’article 46 LFM précise ce que comprend l’état de l’unité : son état physique, sa situation au point de vue économique et juridique.
[33] Dans le présent dossier, tel que mentionné plus haut, le procureur de la partie requérante fonde sa prétention sur le statut juridique de l’unité d’évaluation en la décrivant comme étant une structure approuvée et consacrée par le législateur, ayant un carcan juridique dont il est impossible de se soustraire puisque les restrictions juridiques sont rattachées aux immeubles, ce qui doit être considéré dans la valeur réelle.
[34] Or, il est de jurisprudence constante que le statut juridique, établi par la volonté d’un propriétaire, ne peut être pris en considération pour déterminer la valeur réelle d’une unité d’évaluation.
[35] Dans la décision Exremont Ltée c. Ville de Montréal et CUM[15], il est indiqué :
« Il a été décidé à de nombreuses reprises que l'assujettissement d'un immeuble à un programme gouvernemental de logement social de même que les contraintes contractuelles qui en découlent sont des facteurs subjectifs propres aux propriétaires, dont il n'y a pas lieu de tenir compte en évaluation municipale aux termes de l'article 46 de la Loi. »
[36] Nous référons aussi à la décision récente Coop d’habitation des bassins du Havre et Als[16] où le point est fait quant à la jurisprudence du TAQ et des tribunaux supérieurs sur les mêmes questions :
« [24] Il est en effet bien établi que le mode de détention d’un immeuble, soit en l’espèce le statut de coopérative d’habitation, ne doit pas être considéré dans l’établissement de la valeur réelle d’un immeuble au sens de la LFM.
[25] En effet, depuis la décision Longueuil (Ville de) c. Coopérative d’habitation centenaire4, et dont le raisonnement est régulièrement repris 5, la Cour du Québec, sous la plume du juge Claude Laporte, conclut que la qualité du propriétaire de l’immeuble, soit une coopérative, ne doit pas être pris en compte dans l’établissement de la valeur réelle tel qu’il appert de l’extrait suivant de cette décision:
« [65] Comme on peut le constater dans le texte même des articles 42 à 46.1 LFM, il n'y a aucune référence au concept de propriétaire, ce qui laisse à entendre que l'identité, la qualité et le statut du propriétaire d'un immeuble ne sont pas pertinents dans l'évaluation d'un immeuble.
[66] En revanche, la qualité, le statut et l'identité du propriétaire deviennent pertinents au niveau des exemptions. Aux articles 203 et suivants de la LFM nous retrouvons une panoplie de propriétaire qui peut bénéficier d'exemptions. Ainsi, et bien que ce ne soit pas l'objet du présent appel, on notera que les seules coopératives qui font l'objet d'une exemption sont les coopératives de garderie18.
[67] Selon le Tribunal, cette dichotomie dans la loi constitue un indice, voire une indication très forte, que le législateur ne désire pas que le statut, la qualité ou l'identité du propriétaire d'un immeuble soit pris en compte lors de l'évaluation d'une unité, et ce à quelque titre que ce soit. »
[…]
[73] Dans un jugement du 12 mai 1999, la Cour d'appel du Québec22 renverse une décision prononcée par le juge Jacques Pagé de la Cour du Québec23 qui maintient l'appel du contribuable. L'immeuble en litige était un terrain vacant d'une superficie de quelque 1 560 mètres carrés. Le juge Pagé réforme la décision du BREF en tenant compte des relations juridiques entre les neufs propriétaires du terrain. Selon lui, tant et aussi longtemps que ces propriétaires maintiennent leur engagement mutuel de ne pas construire sur le lot et de le garder comme terrain commun pour fin de loisir, cette propriété ne saurait être évaluée comme un terrain constructible pour fins résidentielles. La Cour d'appel de décider (page 2) :
«Le jugement de la Cour du Québec est erroné en droit, selon les articles 42 et 43 de la Loi sur la fiscalité municipale LRQ c. F-2.1. Cette décision ne respecte pas le principe d'une évaluation à la valeur réelle objective sur un marché libre entre un vendeur et un acheteur qui sont tous deux prêts à transiger. Les relations juridiques entre les copropriétaires introduisent ici un élément de subjectivité qui ne saurait être pris en compte pour écarter l'application du principe fondamental d'évaluation qu'impose l'article 43 de la Loi sur la fiscalité municipale… »
[…]
« [113] De plus, la LFM vise à évaluer un immeuble in se. Voilà le sens qu'il faut donner à l'expression "valeur réelle", soit la valeur qui se rattache à la chose elle-même, sans égard à son propriétaire.
[114] Cette prémisse entraîne nécessairement que l'évaluation doit être faite sans égard aux ententes particulières entre les locataires, le propriétaire et les tiers et indistinctement aussi de la forme de détention de la propriété ou de la qualité de son propriétaire. »
[…]
[121] Il n'était donc pas loisible au TAQ de considérer la qualité du propriétaire (coopérative) de l'immeuble dans l'établissement de la valeur de l'immeuble selon la méthode du revenu.
[26] Du jugement de la Cour du Québec dans l’affaire Coopérative d’habitation centenaire le Tribunal ne peut qu’en conclure que ce qui suit :
[27] Le paragraphe 81 de la décision Coopérative d’habitation centenaire énonce de plus:
[81] La jurisprudence semble donc se rallier au principe discuté au paragraphe 67 du présent jugement. Le statut de coopérative du propriétaire d'une unité d'évaluation ne serait pas un facteur à considérer dans son évaluation.
[28] Le Tribunal doit donc continuer à appliquer aux présents dossiers les principes établis par la jurisprudence puisque les modifications à la Loi sur les coopératives ainsi que l’absence de modifications à la LFM qui auraient pu être associées à la modification de la Loi sur les coopératives ne donnent pas le cadre juridique nécessaire au Tribunal de s’écarter de la jurisprudence établie en matière de fiscalité municipale.
[…]
[32] Ainsi, que les coopératives soient assujetties à ces dispositions en raison du fait qu’elles se soient constituées à titre de coopérative et/ou que les dispositions restrictives proviennent d’une loi ou d’une convention d’adhésion qu’elles doivent obligatoirement signer pour obtenir le financement nécessaire à l’acquisition ou la construction d’un immeuble destiné à lui appartenir est au même effet en ce qui a trait à l’application de la LFM pour les unités d’évaluation dont elles sont propriétaires.
[…]
[38] La LFM écarte donc toute appréciation subjective des avantages et désavantages d’un immeuble.
[39] Dans la recherche de la valeur réelle, il est établi que les avantages et désavantages qui influencent la valeur de l’immeuble doivent être liés à l’immeuble et non au propriétaire ou au statut juridique de ce dernier.
[40] En effet, faire autrement serait de rechercher la « valeur au propriétaire », concept applicable en expropriation, et ainsi introduire un élément de subjectivité dans la détermination de la valeur réelle plutôt que celui de la valeur réelle objective recherchée en fiscalité municipale.
[…]
[42] La jurisprudence telle qu’établie depuis l’affaire Coopérative d’habitation centenaire demeure donc toujours pertinente et doit être suivie et appliquée.
[…]
[48] Dans les présents dossiers, bien que l’aliénation et le changement de vocation des immeubles dont les requérantes sont propriétaires soient soumis à l’autorisation du ministre, dans l’établissement de leur valeur réelle, il y a lieu de retenir qu’on doit, en matière de fiscalité municipale, évaluer l’immeuble en appliquant le scénario imposé par l’article 43 LFM sans tenir compte des droits affectant le statut du propriétaire en considérant, tel que le stipule l’article 45 LFM les avantages et désavantages de l’immeuble de façon objective. »
[Références omises]
[Nos soulignements]
[37] La requérante mentionne que l’immeuble ne peut faire l’objet de vente conduisant à de la spéculation. Or, les témoignages entendus sont à l’effet contraire : certaines unités furent vendues et le processus de vente est bien expliqué.
[38] La preuve indique donc que l’immeuble n’est pas hors marché, qu’il peut faire l’objet de vente et que le processus de vente est instauré par la volonté des co-propriétaires.
[39] La décision Ville de Longueuil c. Coop d’habitation Centenaire[17] dispose aussi du même argument :
« [122] Un autre argument mis de l'avant par la Coopérative est que l'immeuble est à toute fin utile invendable.
[123] La preuve ne démontre pas que les attributs physiques de l'immeuble en font un immeuble invendable. Ce n'est en effet qu'en raison de l'entente avec la SCHL que l'immeuble pourrait possiblement se vendre avec difficulté. Cette condition ne se rattache pas à l'immeuble et n'en fait pas un bien hors commerce. À ce propos, le juge Brossard écrit dans l'affaire Ville d'Iberville :
« Les immeubles ne sont pas hors commerce de par leur nature mais bien parce que l'intimée le veut bien en application de son programme social et ils pourraient être mis dans le commerce, en tout temps, selon la volonté de l'autorité pertinente, tout comme les autres biens du domaine public des gouvernements.
"Cet état de hors commerce n'annule pas la valeur des biens du domaine public pour autant". La constitution de l'intimée n'interdit ni la vente ni la disposition des immeubles, au contraire
elle est habilitée à ce faire, mais dans le respect de l'approbation supérieure de ses programmes.
…
«Elle peut vendre ses immeubles mais les ventes doivent être autorisées et suivre une procédure particulière. Même si l'intimée n'a pas l'intention actuellement de vendre ceux-ci, cela n'en fait pas pour autant des immeubles hors commerce.» (p.11) »
[Références omises]
[40] Par conséquent, le Tribunal rejette la prétention de la requérante à l’effet que la situation juridique de l’unité d’évaluation doit être prise en considération pour établir la valeur réelle.
[41] Qui plus est, même dans la situation où le Tribunal avait retenu cette prétention, la requérante a choisi de ne produire aucune preuve visant à démontrer l’impact du statut de l’unité d’évaluation sur sa valeur.
[42] Au surplus, les coûts de réfection des toits et ardoises ne sont connus qu’en 2020 et 2021, postérieurement à la date d’évaluation du 1er juillet 2018, le Tribunal ne peut donc les considérer. Il en va de même pour les estimations des coûts de décontamination qui, même lors de l’audience, ne sont pas réels mais projetés.
[43] Quant à l’indice demandé, soit de retenir huit fois les revenus annuels, le Tribunal ne peut y consentir puisque cette demande a pour fondement une décision rendue par le Bureau de révision de l’évaluation foncière (BREF), l’ancêtre du Tribunal, en 1988, moment où les indices de marché étaient forts différents.
[44] La jurisprudence constante du Tribunal est à l’effet que chaque rôle d’évaluation constitue un nouveau départ, ce qui veut dire qu’une analyse d’évaluation est faite à nouveau pour chaque date de référence puisqu’il s’écoule trois ans entre chaque rôle et les indices de marché peuvent varier. Entre 1988 et 2018, il y a 30 ans d’évolution et il s’avère inapproprié de retenir un indice de cette époque.
[45] Seule la partie intimée présente une preuve de valeur. Malgré cela, le Tribunal la rejette selon les motifs suivants.
Valeur du terrain
[46] La valeur du terrain est inscrite au rôle à 1 090 400 $ pour une superficie de 1 301,9 m2, soit un taux unitaire de 837,54 $ le mètre carré. L’évaluateur suggère une hausse de la valeur à 2 050 700 $ pour la même superficie, soit un taux unitaire de 1 575 $ le mètre carré.
[47] Le Tribunal constate, avec étonnement, cette recommandation de hausse de valeur du terrain à près du double de l’inscription au rôle.
[48] De deux choses l’une : soit l’analyse faite de la valeur au moment du dépôt du rôle est erronée, soit c’est l’analyse présentée devant le Tribunal qui l’est. Qu’en est-il ?
[49] Le Tribunal croit que c’est l’analyse de la valeur du terrain, présentée dans le cadre du présent recours, qui est erronée puisque le taux unitaire retenu semble être tiré d’une seule transaction[18], ce qui soulève un doute quant à la fiabilité du résultat obtenu. Il est, en effet, contraire aux règles de l’art en évaluation de conclure au moyen d’une seule transaction.
[50] Mais il y a plus : les ajustements appliqués aux ventes de terrain vacants numéros 1, 2 et 3 ne font l’objet d’aucune explication : si seul le facteur temps est appliqué en ajustement, les ventes 1 et 2 illustrent des pourcentages d’augmentation annuels calculés entre 40 et 60%, ce qui s’avère hautement improbable. Quant à la vente 3, seule transaction retenue pour la détermination du taux unitaire, elle se conclut en décembre 2019, soit 18 mois environ après la date de référence.
[51] Le Tribunal maintient donc la valeur inscrite au rôle pour le terrain puisque l’analyse de valeur présentée par la partie intimée ne s’avère pas convaincante.
Valeur du bâtiment :
[52] Quant à la méthode du coût appliquée par l’évaluateur, dans le présent dossier, il ne s’agit pas d’un indice fiable de valeur, puisque reposant sur une méthode indirecte d’évaluation. Compte tenu de l’âge des bâtiments et de leur état physique, l’estimation des dépréciations et désuétudes s’avère être un exercice imprécis rendant le résultat peu fiable.
[53] L’évaluateur utilise une méthode d’estimation du coût (méthode selon le manuel Marshall and Swift) qui diffère de celle normalement appliquée par l’évaluateur au moment de la confection du rôle d’évaluation, soit celle tirée du Manuel d’évaluation foncière du Québec. L’analyse particularisée aurait pu permettre à l’évaluateur de comparer ses résultats avec ceux calculés au moment de la confection du rôle.
[54] Pour déterminer la valeur des bâtiments, il conclut à partir de la méthode de comparaison. Le Tribunal doit toutefois s’assurer du degré de comparabilité des propriétés vendues analysées.
[55] Le Tribunal observe que les propriétés vendues utilisées en comparaison sont en meilleur état physique que celles de l’unité d’évaluation. Aussi, certaines dissemblances sont relevées et font l’objet de nombreux ajustements dont notamment : la superficie d’aire habitable, le type de bâtiment, les rénovations apportées, le nombre de salle de bain, la présence d’un garage, les meubles inclus, etc.
[56] Toutes ces dissemblances conduisent l’évaluateur à apporter des ajustements aux prix de vente de ces propriétés. Or, en évaluation, il est de commune renommée que plus une transaction fait l’objet d’ajustements, moins elle s’avère être une bonne comparable puisque le résultat redressé perd de sa fiabilité.
[57] Plusieurs motivations aux redressements appliqués par M. Ventura sont absentes de son analyse et lors de son témoignage, il peine, pour certains ajustements, à en expliquer les sources.
[58] De plus, le Tribunal observe qu’une dépréciation de 25% est appliquée par l’évaluateur à la valeur de chaque bâtiment afin de tenir compte du fait qu’il évalue un ensemble immobilier composé de 6 bâtiments principaux comprenant 13 logements et 8 chambres locatives.
[59] Le Tribunal ne peut retenir cette dépréciation sans qu’aucune démonstration de son application à l’unité d’évaluation ne soit effectuée par l’évaluateur municipal.
[60] Pour toutes ces raisons, le Tribunal ne peut retenir l’analyse paritaire effectuée par l’évaluateur municipal pour déterminer la valeur des bâtiments.
[61] Également, le Tribunal ne peut tirer aucune conclusion à partir de l’indice d’un multiplicateur de revenus bruts (MRB) puisque les indices observés varient dans un intervalle allant de 14,25 à 30,70 fois les revenus bruts. Une telle variation ne permet sûrement pas de conclure à un indice fiable et probant. Les résultats de cette méthode ne peuvent trouver ici application.
[62] Pour l’ensemble des motivations précédentes, et étant donné qu’aucune des parties n’a rencontré son fardeau de preuve, le Tribunal n’a d’autre choix que de maintenir la valeur réelle telle qu’inscrite au rôle triennal 2020-2021-2022.
[63] En vertu de l’article 148 LFM, à moins que le Tribunal n’en décide autrement, il revient à la partie perdante de supporter les frais de la partie adverse.
[64] Compte tenu des efforts de préparation investis par les parties et des représentations faites lors de l’audience, le Tribunal décide que chaque partie assume ses frais de justice.
PAR CES MOTIFS, le Tribunal :
REJETTE le recours;
MAINTIEN la valeur inscrite au rôle d’évaluation 2020-2021-2022.
CHAQUE PARTIE assumant ses frais de justice.
JOSÉE PROULX, j.a.t.a.q.
| GUY GAGNON, j.a.t.a.q. |
Ouellet, Nadon & associées
Me Manuel Johnson
Procureur de la partie requérante
Gagnier, Guay, Biron
Me Hugo Pépin
Procureur de la partie intimée
[1] RLRQ, c. F-2.1.
[2] 922 250 $ = (8 X 141659 $) – 211 020,63 $
[3] Cette application provient de la décision du Bureau de Révision de l’évaluation foncière (ancêtre du Tribunal) du 20 juillet 1988 Société d’Amélioration Milton Parc Inc. c. Ville de Montréal et Communauté urbaine de Montréal, M-88-0573, Montréal 20 juillet 1988.
[4] Pièce P-10 : addition de toutes les factures incluses.
[5] Appartement Hôtel Château Royal inc. c. Montréal (Ville), [2000] J.Q. no 634 (C.A.).
[6] Article 147 LFM.
[7] Pièce P-1.
[8] Pièce P-2.
[9] Pièce P-3.
[10] Pièces P-4 à P-10.
[11] Pièce P-11.
[12] Pièce P-12.
[13] Pièce I-1.
[14] Articles 42 à 46 LFM.
[15] Exremont Ltée c. Ville de Montréal et CUM, Bureau de révision de l’évaluation foncière, 5 avril 1991, M‑91‑0513, page 3.
[16] Coopérative d’habitation des bassins du Havre et als c. Ville de Montréal 2018 QCTAQ 10378.
[17] 2010 QCCQ 1919
[18] Pièce I-1, page 26/143 : vente numéro 3.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.