Miller c. Promutuel Boréale, société mutuelle d'assurances générales |
2019 QCCS 1288 |
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JB3984 (Chambre civile) |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
TERREBONNE |
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N° : |
700-17-012119-151 |
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DATE : |
LE 1er AVRIL 2019 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
GUYLÈNE BEAUGÉ, J.C.S. |
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MONIQUE MILLER |
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LYDIE STÉFANI |
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Demanderesses / défenderesses reconventionnelles |
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c. |
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PROMUTUEL BORÉALE, SOCIÉTÉ |
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MUTUELLE D’ASSURANCE GÉNÉRALE |
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Défenderesse / demanderesse reconventionnelle |
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JUGEMENT |
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[1] Mesdames Monique Miller et Lydie Stéfani forment un couple depuis 2002. En 2007, elles acquièrent une propriété de 5 chambres datant des années 1920 (ci-après l’« AUBERGE ») dans la municipalité de Val-Morin (ci-après, « VAL-MORIN »), au coût de 315 000 $. Une hypothèque de 292 000 $ auprès de la Corporation hypothécaire XCEED (ci-après, « XCEED ») grève l’Auberge.
[2] Par ailleurs, les demanderesses souscrivent une assurance habitation tous risques avec la défenderesse Promutuel Boréale, société mutuelle d’assurance générale (ci-après « PROMUTUEL »), prenant effet le 31 mai 2008. Cette police d’assurance sera renouvelée annuellement.
[3] Mmes Miller et Stéfani souhaitent exploiter un gîte et un restaurant. Toutefois, après l’achat de l’Auberge, Val-Morin leur interdit l’exploitation d’un restaurant en raison de la non-conformité de l’immeuble à la réglementation municipale (fosse septique, cuisine, trappe à graisse). En conséquence, leur établissement de type B&B doit se limiter au gîte et aux repas pour les clients.
[4] L’achalandage de l’Auberge s’avère saisonnier, les mois les moins occupés étant mars, avril et novembre. Mme Stéfani consacre une trentaine d’heures par semaine à la préparation des repas, ainsi qu’à l’accomplissement des travaux sur le terrain, du ménage et des emplettes. Pendant la saison morte, elle voit aux rénovations intérieures. Mme Miller se charge de l’administration.
[5] Le 28 janvier 2010, le préventionniste Hugo Roy inspecte l’Auberge pour Promutuel. Le 26 mars suivant, il requiert deux modifications pour le 9 avril, au plus tard : l’installation d’un écran de protection portatif en métal autour d’un poêle à bois antique, ainsi que l’inversion de l’écran de protection à l’arrière de la cuisinière. Le 27 mars, Mme Miller signe l’attestation de modifications tout en ajoutant la mention suivante relativement au poêle à bois :
Ce poêle n’a jamais été utilisé depuis 3 ans. Si toutefois cela changeait pour l’automne 2010 l’écran sera installé.
(s) Monique Miller
[6] Le 9 avril, Promutuel exige des modifications additionnelles pour le 30 suivant :
Considérant que l’appareil au bois (poêle) n’est plus utilisé et que l’installation ne rencontre pas les normes en vigueur, pour éviter l’utilisation accidentelle de l’appareil les mesures suivantes s’imposent :
1) La chambre de combustion doit être remplie de laine minérale;
2) Installer sur le dessus de la laine minérale un écriteau mentionnant que l’utilisation de cet appareil est interdite et dangereuse.
[7] Le 29 avril, Mme Miller s’engage par courriel à afficher une note préventive sur le poêle, engagement qu’elle confirme le lendemain sur le formulaire de Promutuel :
30 avril 2010
Comme l’inspecteur a pu re (sic) remarque (sic) il était impossible d’ouvrir la chambre de combustion, car celle-ci a été cellé (sic) avec une vise (sic), donc ne peut être ouverte pour mettre quoi que se (sic) soit à l’intérieur, mais je peut (sic) ajouter une note qui confirme que celui-ci n’est pas utilisé car hors normes
(s) Monique Miller
[8] Le 3 mai suivant, Promutuel ferme l’intervention préventive :
Prévention : reçu note de l’assuré mentionnant qu’il est impossible d’ouvrir la chambre à combustion car il y a une vis. L’assuré s’engage à mettre une note interdisant l’utilisation. Dossier considéré complet. Sorti du suivi.
[9] De 2011 à 2014, 10 mois par année, les demanderesses exploitent également un casse-croûte en concession pour Val-Morin. Mme Stéfani y travaille comme chef cuisinière de 60 à 80 heures par semaine. Elle décrit ce commerce comme une « petite mine d’or », car il se situe à environ 60 mètres du parc linéaire Le P’tit Train du Nord et de sa piste cyclable. De plus, Val-Morin ne leur facture pas de loyer. D’ailleurs, les demanderesses avaient accepté cette concession pour se procurer un revenu additionnel, les recettes de l’Auberge s’avérant insuffisantes pour en couvrir les frais d’exploitation. Ainsi, selon Mme Miller, sans le revenu du casse-croûte, les demanderesses auraient « déclaré faillite et remis les clés de l’Auberge ».
[10] Le 25 juillet 2012, XCEED notifie aux demanderesses un préavis d’exercice de recours hypothécaire. Celles-ci se tournent alors vers un nouveau prêteur, en l’occurrence 3 522 997 Canada inc. (ci-après, « 3 522 997 »), et le 3 décembre 2012, obtiennent un prêt hypothécaire de 310 000 $ pour refinancer la propriété.
[11] Vers l’été 2014, Val-Morin autorise les demanderesses à exploiter un restaurant, car l’Auberge est désormais conforme à la réglementation. Elles ne donneront pas suite à ce projet. À la même époque, Val-Morin, cédant aux pressions des usagers de la piste cyclable, autorise ceux-ci à y consommer leur propre lunch. Cela désarçonne les demanderesses qui pressentent la réduction considérable de leurs revenus. Aussi, elles ferment la concession le 15 septembre, date de prise d’effet de la nouvelle politique de Val-Morin. Après cette fermeture du casse-croûte, Mme Stéfani rapporte tout son équipement à l’Auberge.
[12] De mai à la mi-novembre 2014, Mme Miller gère le casse-croûte de son frère à Saint-Jérôme pour arrondir les fins de mois. Celui-ci lui offre également l’usage d’une automobile.
[13] Le 17 juillet, les demanderesses sont en défaut envers Promutuel, de sorte qu’elles s’exposent à l’annulation de la police d’assurance dès le 1er août. Elles finiront par payer la prime.
[14] Au début du mois de novembre suivant, Mario Levasseur, représentant de 3 522 997, avise formellement Mme Miller que l’hypothèque ne sera pas renouvelée à son échéance le 1er janvier 2015 en raison de retards et défauts de paiement. D’ailleurs, il l’avait prévenue de cette forte possibilité quelques mois auparavant. Mme Miller entreprend alors la recherche d’un nouveau créancier, mais en vain.
[15] Le 27 novembre 2014, aucun chambreur ne séjourne à l’Auberge. Fort heureusement, car un violent incendie s’y déclare en début d’après-midi, détruisant totalement la bâtisse et son contenu dans les circonstances dont le Tribunal relatera ci-dessous les éléments pertinents. Par chance, les demanderesses ne sont pas blessées.
[16] Le 16 novembre 2015, Promutuel paie la créance hypothécaire de 310 000 $ de 3 522 997, et en janvier 2016 acquitte la facture de 18 051,08 $ d’Excavations Labelle inc. pour déblais, pour un total de 328 501,08 $.
[17] Au moment du procès, les demanderesses étaient toujours propriétaires du terrain sur lequel était construite l’Auberge. Elles réclament 331 589,63 $ à Promutuel comme dédommagement à la suite de l’incendie. Elles recherchent également le paiement d’une indemnité de 83 166,75 $, correspondant à la valeur à neuf du bâtiment, sur présentation d’une preuve de sa reconstruction.
[18] Promutuel considère que le manquement de Mme Miller à son engagement formel de sécuriser le poêle à bois a aggravé le risque, suspendant ainsi la garantie. De surcroit, Promutuel refuse d’indemniser les demanderesses, car elle estime que l’incendie résulte de leur faute intentionnelle. Enfin, elle leur réclame 328 051,08 $ représentant les sommes déboursées auprès du créancier hypothécaire désigné à la police d’assurance, ainsi que de l’entreprise de nettoyage des débris.
[19] Le litige soulève les questions de la suspension de la garantie, de l’existence d’une faute intentionnelle des demanderesses, ainsi que du bienfondé de la réclamation de Promutuel.
[20] L’art. 1412 C.c.Q. édicte que le manquement d’un assuré à un engagement formel aggravant le risque suspend la garantie, et que cette suspension prend fin dès que l’assureur y consent ou que l’assuré respecte à nouveau son engagement. Au sens de cet article, l’engagement formel consiste en une promesse de l’assuré de poser des gestes bien définis de nature à réduire le risque[1]. De plus, l’engagement doit être pertinent au risque considéré[2]. D’ailleurs, le texte de l’art. 2412 C.c.Q. est reproduit à l’art. 6 du contrat d’assurance.
[21] Invoquant l’absence de signature de Mme Miller dans l’espace consacré à cette fin sur le formulaire, les demanderesses soutiennent ne pas avoir pris l’engagement formel d’apporter les correctifs recommandés par le préventionniste. Elles ajoutent que si ces modifications s’étaient avérées essentielles, Promutuel les aurait consignées dans un avenant. Elles concluent que Promutuel s’est satisfaite de la réponse de Mme Miller.
[22] La position des demanderesses est mal fondée.
[23] De nature contractuelle, l’engagement formel ne requiert aucune formalité, et sa validité n’exige pas son ajout à un avenant. La signature de l’engagement ne devient nécessaire que lorsqu’il est stipulé dans un avenant postérieur à la conclusion du contrat d’assurance. Si, à la date du sinistre, l’assuré n’a pas respecté son engagement d’apporter les modifications requises par l’assureur, celui-ci ne sera pas tenu d’honorer le contrat d’assurance. En effet, la suspension de la garante sanctionne de manière automatique la violation de l’engagement formel, sauf clause contractuelle contraire[3], et sans nécessité d’établir une faute de l’assuré[4]. Enfin, la suspension de la garantie affecte les co-assurés, même s’ils ignorent l’existence d’un engagement formel ou son non-respect[5].
[24] Les recommandations du préventionniste mandaté par Promutuel visaient précisément le risque d’incendie. Mme Miller a d’abord faussement représenté que la porte du poêle était scellée, et s’est néanmoins engagée à placer l’affiche exigée. Or, la preuve prépondérante consistant en des photographies établit clairement que la porte n’était pas scellée, et que l’écriteau n’avait pas été placé sur le poêle. D’ailleurs, alors que lors de son interrogatoire au préalable du 4 novembre 2015[6], Mme Stéfani avait concédé que la porte du poêle n’était pas scellée, elle témoigne du contraire au procès. Confrontée en contre-interrogatoire, elle finit par admettre cette contradiction :
Q- Maintenant, vous savez qu’il y a une implication, à quoi ça sert dans la défense les portes vissées ?
R- Exact.
Q- Le 4 novembre 2015, vous ne le saviez pas ?
R- Tout à fait.
[25] En conséquence, le Tribunal conclut à la suspension de la garantie contre le feu. Cela suffirait à rejeter la réclamation puisque le sinistre n’était plus validement couvert. Néanmoins, le Tribunal traitera de la question de la faute intentionnelle des demanderesses.
[26] Sous réserve de la suspension de la garantie en raison du manquement à l’engagement formel, il est admis que le feu constituait un risque couvert aux termes du contrat d’assurance, et que le préjudice des demanderesses résulte d’un incendie. Le quantum de la réclamation fait également l’objet d’admissions.
[27] Toutefois, prenant appui sur l’article 10 de la police d’assurance, Promutuel refuse d’indemniser les demanderesses au motif qu’elles ont volontairement provoqué l’incendie.
10. FAUTE INTENTIONNELLE (Article 2464)
L’assureur n’est jamais tenu de réparer le préjudice qui résulte de la faute intentionnelle de l’assuré.
En cas de pluralité d’assurés, l’obligation de la garantie demeure à l’égard des assurés qui n’ont pas commis de faute intentionnelle.
Lorsque l’assureur est garant du préjudice que l’assuré est tenu de réparer en raison du fait d’une autre personne, l’obligation de garantie subsiste quelles que soient la nature et la gravité de la faute commise par cette personne.[7]
[28] Cette disposition reproduit l'art. 2464 C.c.Q. selon lequel la faute intentionnelle de l’assuré lui fait perdre le droit à l’indemnisation à la suite d’un sinistre :
2464. L’assureur est tenu de réparer le préjudice causé par une force majeure ou par la faute de l’assuré, à moins qu’une exclusion ne soit expressément et limitativement stipulée dans le contrat. Il n’est toutefois jamais tenu de réparer le préjudice qui résulte de la faute intentionnelle de l’assuré. En cas de pluralité d’assurés, l’obligation de garantie demeure à l’égard des assurés qui n’ont pas commis de faute intentionnelle.
Lorsque l’assureur est garant du préjudice que l’assuré est tenu de réparer en raison du fait d’une autre personne, l’obligation de garantie subsiste quelles que soient la nature et la gravité de la faute commise par cette personne.
[29] Dans l’affaire Chouinard c. Compagnie d’assurance ING du Canada[8], la juge Francine Nantel résume les principes de droit applicables :
[59] La jurisprudence nous enseigne qu’une fois que l’assuré a prouvé l’existence et le maintien en vigueur du contrat d’assurance ainsi que le sinistre, il appartient à l’assureur de démontrer par prépondérance de preuve que l’incendie est dû à l’acte volontaire de l’assuré. En l’absence de preuve directe établissant la responsabilité de l’assuré, le Tribunal doit alors analyser les faits et conclure qu’en ne prenant en considération que des présomptions graves, précises et concordantes.
[30] Le fardeau de démontrer l’acte intentionnel des demanderesses, par prépondérance de preuve, repose donc sur Promutuel[9].
[31] En l’instance, contrairement à la situation prévalant dans de nombreux précédents jurisprudentiels, le foyer ainsi que l’auteure de l’incendie s’avèrent bien identifiés : Mme Miller l’a provoqué en renversant le contenu d’un récipient de naphta sur un poêle de camping Coleman, alors qu’elle testait son fonctionnement dans la cave de l’Auberge. Les seules questions demeurent celles de savoir si, d’une part, il s’agit d’un acte accidentel ou intentionnel de Mme Miller, et si d’autre part, Mme Stéfani y a participé.
[32] En l’absence de preuve directe de l’acte intentionnel, Promutuel peut recourir aux présomptions de fait :
[29] L'article 2464 du Code civil du Québec établit qu'un assureur est tenu de réparer le préjudice causé par une force majeure ou la faute de l'assuré, sauf exclusion prévue au contrat, et jamais lorsque le préjudice résulte de la faute intentionnelle de l'assuré.
[30] Toutefois, en l'absence d'une preuve directe démontrant que l'appelant a été l'auteur du préjudice, il appartenait à l'intimée, en application des articles 2846 et 2849 C.c.Q., d'établir la faute intentionnelle de l'appelant au moyen de présomptions graves, précises et concordantes.
[31] La preuve par présomption est l'un des cinq moyens de preuve mis à la disposition des plaideurs pour démontrer un fait. Souvent utilisée en matière civile pour démontrer un acte fautif et intentionnel, il s'agit d'un moyen de preuve qui répond à ses propres exigences[10].
[33] Promutuel, qui doit également démontrer l’intérêt qu’aurait eu les demanderesses à incendier leur bien, suggère deux mobiles[11] : leur précarité financière, ainsi leur souhait de longue date de se départir de l’Auberge.
[34] Les demanderesses admettent les faits allégués aux paragraphes 41 à 48 de la défense et demande reconventionnelle remodifiée :
41. Monique Miller avait effectué une proposition à ses créanciers en 2011 en vertu de laquelle elle s’est engagée à rembourser la somme de 22 500.00 $ en 60 paiements de 375.00 $, le tout tel qu’il appert à l’Avis aux créanciers de la proposition de consommateur dénoncé au soutien des présentes sous la pièce D-13 ;
42. En août 2013, madame Miller amenda sa proposition étant incapable de rembourser les mensualités exigées. Au soutien de cet amendement, la demanderesse invoqua un échec commercial et un endettement progressif, le tout tel qu’il appert au Rapport de l’administrateur concernant la proposition de consommateur amendée dénoncé au soutien des présentes sous la pièce D-14 ;
43. En vertu de cette proposition amendée, un versement de 200.00 $ par mois fut exigible jusqu’à la vente de la propriété faisant l’objet du présent litige ou au plus tard le 6 avril 2016 ;
44. En date du sinistre, les frais dus en vertu de la proposition aux créanciers était (sic) de 9 730.00 $, le tout tel qu’il sera démontré lors de l’enquête et l’audition ;
45. La demanderesse Lydie Stéfani était tout aussi endettée pour une personne sans revenus ;
46. Madame Stéfani détenait une carte CIBC depuis mai 2006 d’une limite de 3 500.00 $ affichant un solde de 2 951.00 $ ;
47. Elle était également responsable d’une carte Canadian Tire depuis juin 2004 d’une limite de 8 000.00 $. Le solde de 3 191.00 $ aurait été rayé pour mauvaises créances ;
48. Elle était également détentrice d’une carte MasterCard President Choice depuis janvier 2006 d’une limite de 3 000.00 $, laquelle affichait un solde de 1 743.00 $ annulé en novembre 2014 ;
[35] Les demanderesses admettent également avoir déclaré en 2014 un revenu net de 33 502,25 $ pour Mme Miller, et de 2 922,64 $ pour Mme Stéfani, quoique celle-ci explique ce maigre revenu par le fait que la grosse partie des recettes du casse-croûte leur était versée sous la table. De plus, elles reconnaissent que leur hypothèque venait à échéance le 1er février 2015, qu’elles n’avaient trouvé aucun autre prêteur à la date de l’incendie, et qu’elles ne possédaient pas d’autres éléments d’actif. Elles soutiennent néanmoins qu’elles auraient pu trouver du financement hypothécaire pour 2015, et que bien que leur situation financière fût difficile, elle n’était pas désespérée.
[36] Le 19 novembre 2014, soit une semaine avant l’incendie, elles mettent fin à l’exploitation de l’Auberge, et déposent un avis de clôture au registraire des entreprises.
[37] Pendant 3 ans, les demanderesses tentent de vendre l’Auberge. Trois courtiers immobiliers se succèdent sans succès.
[38] L’incendie procède soit d’un accident, soit d’un acte intentionnel. Or, en regard de la preuve prépondérante et des présomptions graves, précises et concordantes[12], la thèse de l’accident ne tient pas la route. Le Tribunal tire sa conclusion notamment des éléments suivants :
· Aucune explication satisfaisante des raisons pour lesquelles Mme Miller a procédé au prétendu test du poêle Coleman dans la cave plutôt que dans la cuisine, au garage, ou encore mieux, à l’extérieur comme prescrit par le fabricant. Pourtant, elle affirme qu’elle projetait s’en servir dans la cuisine en cas de panne d’électricité;
· Imprudence de Mme Miller tellement grossière dans la manipulation du poêle et du naphta (près du fanal rempli aux 3/4), que sa version devient invraisemblable;
· La thèse de la souris circulant au sol et l’ayant fait sursauter, reculer et lâcher le contenant de naphta sur l’établi est grotesque. Premièrement, Mme Miller se contredit quant à la présence soudaine de la souris : elle déclare aux pompiers que la souris est passée entre ses jambes, mais témoigne au procès que la souris est plutôt passée rapidement devant elle. De plus, elle exploitait un établissement hôtelier à la campagne depuis plus de 7 ans, et avait installé son établi dans la cave : il est improbable que la vue d’une souris, sans doute pas pour la première fois, provoque une réaction aussi démesurée;
· Quantité importante d’essence et de butane trouvée par l’expert chimiste de Promutuel sur les vêtements de Mme Miller, mais présence infime de naphta. Cela ne concorde pas avec sa version voulant qu’elle ait été éclaboussée par le naphta renversé maladroitement à la vue d’une souris;
· Selon des témoins indépendants, les demanderesses sont d’abord restées immobiles devant la scène d’incendie, et n’ont appelé le 911 que tardivement;
· Unanimité des experts de Promutuel ainsi que des pompiers Réal Bélisle et Jeff Durand quant à la présence d’accélérants en grande quantité sur les lieux de l’incendie (poêle Coleman, fanal acheté en octobre 2014, 3 bonbonnes de butane, naphta, bidons d’essence). De plus, les demanderesses ne fournissent aucune contre-expertise;
· Aucune explication des raisons pour lesquelles les fenêtres de l’Auberge étaient ouvertes en plein hiver, ce qui a alimenté l’incendie;
· Aucune explication crédible des raisons pour lesquelles Mme Stéfani a remisé le bidon d’essence de 5 gallons dans la cave, plutôt que dans le garage comme les années précédentes;
· Mme Stéfani n’a entendu parler de la souris que plus tard, pas le jour de l’incendie;
· Malgré la prétendue grande fréquence des pannes d’électricité, Mme Miller n’a jamais pensé acheter une petite génératrice qu’elle sait coûter environ 1 000 $. Elle a plutôt choisi d’acheter un poêle Coleman deux semaines avant l’incendie;
· Le feu se déclare et au début est contenu sur le poêle Coleman rétractable. Plutôt que de simplement refermer son couvercle pour étouffer le feu, Mme Miller va chercher un extincteur;
· La preuve révèle que Mme Stéfani s’est toujours chargée de la préparation des repas. Aussi, la version de Mme Miller voulant qu’elle ait voulu tester le poêle Coleman pour s’en servir pour la préparation des petits déjeuners des clients s’avère improbable;
· Le témoignage du directeur général de Val-Morin selon lequel les pannes de courant sont devenues rares depuis 2012, et que si une panne survient, elle ne dure que quelques minutes, demeure non contredit;
· La mémoire de Mme Stéfani s'avère défaillante sur plusieurs points : en interrogatoire en chef, elle ne se souvient pas si elle a vu de la fumée sortir de l’Auberge, mais en contre-interrogatoire, elle admet avoir dit que la fumée sortait d’une fenêtre. Il est également étonnant qu’elle ne se rappelle pas à quel endroit étaient rangés le naphta et le poêle Coleman ni à quelle heure elle a appelé les pompiers.
[39] Les demanderesses avancent qu’on ne retrouve pas de contradictions significatives dans leurs témoignages. Elles admettent que Mme Miller s'est montrée imprudente et négligente, mais font valoir que cela ne prouve pas la faute intentionnelle. Par ailleurs, elles affirment que plusieurs objets ont été déplacés sur les lieux de l’incendie, que les autorités policières ne les ont pas sécurisés, et que le feu n’est pas compatible avec la présence d’accélérant. De toute évidence, elles essaient d’éveiller soupçons sur des tiers, sans preuve, sans contre-expertise. Ce n’est que pure spéculation non convaincante : « mille soupçons ne valent pas une preuve »[13].
[40] Subsidiairement, elles plaident que la preuve ne permet pas d’établir que Mme Stéfani savait à quoi Mme Miller s’affairait dans la cave le jour de l’incendie, et que dès lors, le Tribunal ne peut retenir sa participation à la commission de la faute intentionnelle. Les demanderesses cherchent donc à disculper Mme Stéfani pour percevoir 50 % de l’indemnité, car en cas de pluralité d’assurance, la personne qui n’a pas participé à la faute est indemnisée[14].
[41] Le Tribunal a déjà souligné le caractère saugrenu du témoignage des demanderesses à la lumière de l’ensemble de la preuve, et réitère qu’il ne leur accorde aucune crédibilité. Les faits ne supportent pas leurs versions. Leurs témoignages cousus de fils blancs, invraisemblables et farfelus, ne résistent pas à l’analyse, et ne permettent de tirer qu’une seule conclusion : l’incendie résulte de leur acte intentionnel :
Dans une affaire civile où la règle est celle de la prépondérance de la preuve et des probabilités, quand la partie témoigne et qu’elle n’est pas crue, il est possible pour le juge du procès de considérer ses affirmations comme des dénégations et ses dénégations comme des aveux, compte tenu des contradictions, des hésitations, du temps que le témoin met à répondre, de sa mine, des preuves circonstancielles et de l’ensemble de la preuve. Les réponses du témoin tendent alors à établir le contraire de ce que le témoin voudrait que le juge croie[15].
[42] Cela emporte la sanction[16] de la déchéance du droit des demanderesses à l’indemnisation.
[43] Promutuel réclame aux demanderesses les frais engagés auprès de leur créancier hypothécaire[17] ainsi qu’auprès de l’entreprise de nettoyage des débris après l’incendie[18]. Les demanderesses admettent ces paiements ainsi que leur montant.
[44] Promutuel étant subrogée dans les droits de ces deux créanciers des demanderesses, sa demande reconventionnelle est bien fondée en faits et en droit.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[45] REJETTE la demande introductive d’instance modifiée;
[46] ACCUEILLE la défense et demande reconventionnelle remodifiée;
[47] DÉCLARE la nullité absolue du contrat d’assurance portant le no R1051164002-002;
[48] CONDAMNE les demanderesses/défenderesses reconventionnelles à payer à la défenderesse/demanderesse reconventionnelle la somme de 328 051,08 $ avec intérêts et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q., à compter du 23 mars 2016;
[49] AVEC FRAIS DE JUSTICE.
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__________________________________ GUYLÈNE BEAUGÉ, j.c.s. |
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Me Gaétan H. Legris |
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Avocat des demanderesses et défenderesses reconventionnelles |
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Me Jean-Pierre Barrette |
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Avocat de la défenderesse et demanderesse reconventionnelle |
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Dates d’audience : |
17 au 20 septembre 2018 |
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[1] Didier LLUELLES, Droit des assurances terrestres, 6e éd., 2017, Les éditions Thémis, p. 307-308.
[2] Idem, p. 310. Voir également : Auberge Rollande St -Pierre inc. c. Compagnie d’assurance canadienne générale, [1994] R.J.Q. 1213 (C.A.).
[3] Services financiers Paccar Ltée c. Kingsway, compagnie d’assurances générales, 2012 QCCA 1030.
[4] LML Paysagiste & Frère inc. c. Union canadienne (L’), compagnie d’assurances, 2010 QCCA 1905.
[5] JurisClasseur Québec, Collection de droit civil, Contrats nommés II, Lexis-Nexis, Fascicule 14 : « Dispositions générales applicables en droit des assurances », p. 4.
[6] Pièce P-7, p. 33.
[7] Pièce P-1.
[8] Chouinard c. Compagnie d’assurance ING du Canada, 2007 QCCS 4465. Voir également : Lévesque c. Promutuel Lotbinière, 2014 QCCS 2387.
[9] Auberge Rollande St -Pierre inc. c. Compagnie d’assurance canadienne générale, précité à la note 2.
[10] Barrette c. Union canadienne (L’) compagnie d’assurances, 2013 QCCA 1687.
[11] Louis BRIEN, « L’incendiat : tenants et aboutissants », dans Développements récents en droit des assurances (2015), Service de la formation continue, barreau du Québec, Cowansville, Éditions Yvon Blais. Voir également : Crispino c. General Accident Insurance Company, 2007 QCCA 1293, par. 70.
[12] Longpré c. Thériault, [1979] C.A.258. Voir également : RCA Ltée c. Lumbermen’s Mutual Insurance Company et al, [1984] R.D.J. 523.
[13] Chiasson c. Le Groupe Commerce, Cie d’assurances, 2003 CanLII 14973 (QCCQ).
[14] Art. 2464 C.c.Q.
[15] Stoneham et Tewkesbury (Corp. mun. des cantons unis de) c. Ouellet, [1979] 2 R.C.S. 172, p.195.
[16] Art. 2472, al. 2 C.c.Q.
[17] Pièce D-27.
[18] Pièce D-29.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.