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JG 1744 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
QUÉBEC |
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N° : |
200-05-015228-013 |
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DATE : |
10 janvier 2002 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
BERNARD GODBOUT, j.c.s. |
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GENE GÉLINASdomicilié et résidant au 10, Bas rang 4 Saint-Élie-de-Caxton (Québec) District de Saint-Maurice, G0X 2N0 |
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Requérant |
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c.
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LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES Tribunal administratif institué par la Loi sur les accidents du travail (L.R.Q. c. A-3.001), siégeant au 900, place d’Youville, 7è étage Québec (Québec) District de Québec, G1R 3P7 |
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Intimée |
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LA COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL Organisme institué par la Loi sur la santé et la sécurité du travail (L.R.Q., c. S-2.1) ayant sa place d’affaires au 730, boulevard Charest Est Québec (Québec) District de Québec, G1K 7S6
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et
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MARLEY CANADIAN COOLING TOWERS Personne morale de droit privé ayant sa place d’affaires au 6711, Mississauga Rd North, bur. 706 Mississauga, Ontario, L5N 2W3 |
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Mises en cause |
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JUGEMENT SUR REQUÊTE EN RÉVISION JUDICIAIRE |
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[1] Le requérant, monsieur Gene Gélinas, présente une requête en révision judiciaire d’une décision de l’intimée, La Commission des lésions professionnelles (CLP), rendue le 4 avril 2001 par le commissaire Me Michel Renaud qui confirme deux décisions des instances administratives de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST)[1]. La CLP déclare aussi que M. Gélinas n’a pas subi, comme il le prétend, une lésion professionnelle le 24 août 2000 qui, selon lui, aurait un lien avec le fait qu’on lui ait reconnu une atteinte permanente de 2 % à la suite d’une lésion professionnelle qu’il avait subie cinq ans auparavant, soit le 24 avril 1995.
[2] M. Gélinas plaide que, par cette décision qu’il considère non motivée, la CLP a commis :
- Une erreur manifestement déraisonnable en ne considérant pas la transaction intervenue le 20 octobre 1997 aux termes de laquelle la CSST lui reconnaissait un taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique de l’ordre de 2 %, cette transaction ayant force de chose jugée ;
- Une erreur de droit à l’égard de l’application d’une règle de justice naturelle en considérant de son propre chef une preuve scientifique sans lui permettre d’y répondre ou d’être entendu sur cette question.
[3] La mise en cause, la CSST, répond que la seule question que la CLP devait trancher était de déterminer si l’événement du 24 août 2000 est une lésion professionnelle et plus particulièrement dans le présent cas, une récidive, une rechute ou une aggravation d’une lésion professionnelle antérieure[2]. A ce sujet, elle prétend que :
- L’événement du 24 août 2000, survenu hors les lieux du travail, n’est pas indemnisable ; de plus, cet événement résulte de la condition personnelle de M. Gélinas et non d’une lésion professionnelle antérieure.
[4] Pour bien saisir la portée des prétentions de chacune des parties, un bref résumé des faits s’impose. Restera alors à déterminer si, dans le cadre de l’exercice de sa juridiction, la CLP a d’une part commis une erreur de droit à l’égard de son obligation de se conformer aux règles de justice naturelle qui, dans un tel cas, fait sans réserve appel à la révision judiciaire et, d’autre part, une erreur manifestement déraisonnable qui commande alors beaucoup plus de retenue de la part du Tribunal.
Résumé des faits pertinents
[5] Le 24 avril 1995, alors qu’il était à l’emploi de la mise en cause Marley canadian cooling towers (Marley canadian), M. Gélinas est victime d’une lésion professionnelle, plus précisément il subit une entorse lombaire.
[6] Le 13 mai 1995, les pièces au dossier démontrent qu’il subit une récidive.
[7]
Le 20
octobre 1997, une transaction selon l’article
«ATTENDU que le travailleur se désiste des déclarations d’appel formulées, d’une part, le 20 novembre 1995 à l’encontre d’une décision du Bureau de révision rendue le 15 novembre précédent, ce dossier portant le numéro Q-74733-04-9511 et, d’autre part, le 22 juillet 1997 à l’encontre d’une décision du Bureau de révision rendue le 30 juin précédent, ce dossier portant le numéro Q-89955-04-9707 ;
(…)
3. En date du 13 mai 1995, le travailleur a été victime d’une récidive, rechute, aggravation d’une lésion professionnelle initiale datée du 24 avril 1995 ;
4. Le diagnostic retenu suite à la lésion professionnelle initiale du 24 avril 1995 et suite à la récidive, rechute, aggravation du 13 mai 1995 est celui d’entorse lombaire ;
5. Le diagnostic de “spondylolisthésis en L5-S1” n’est pas en relation avec la lésion professionnelle initiale du 24 avril 1995, mais relève plutôt d’une condition personnelle du travailleur ;
6. Le diagnostic de “hernie discale L4-L5 gauche” mentionné par le Dr Yves Bergeron, physiatre, dans un rapport d’évaluation médicale daté du 20 février 1997, n’est pas en relation avec la lésion professionnelle initiale du 24 avril 1995 ;
7. Suite à la récidive, rechute, aggravation du 13 mai 1995, le travailleur a été consolidé le 18 juillet 1995, avec un taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique de l’ordre de 2 % (code 204004 : entorse lombaire avec séquelles fonctionnelles objectivées) et les limitations fonctionnelles suivantes, à savoir :
- Éviter les flexions, extensions et rotations répétées ;
- Éviter la manipulation répétée de charges ;
- Éviter les vibrations de basse fréquence ;
- Éviter les positions d’immobilisation prolongée.
(...)
16. La présente constitue une transaction au sens
de l’article
17. La présente transaction constitue un règlement final de tout droit du travailleur en rapport avec les déclarations d’appel mentionnées dans le cadre du préambule de la présente transaction et ne peut en aucune façon être invoquée à titre de précédent autrement qu’en application de la présente transaction ;»
[8] Le 24 août 2000, M. Gélinas subit une autre entorse lombaire en montant dans son camion. Il déclare alors :
«En embarquant dans mon camion le dos m’a barré et je suis tombé à terre.»[4]
[9] Le 11 septembre 2000, M. Gélinas transmet à la CSST une réclamation pour frais de médicaments et soins de physiothérapie, ce qui lui est refusé le 27 septembre 2000. Cette décision est confirmée par la Direction de la Révision administrative le 22 novembre 2000[5].
Les questions en litige
[10] Le présent recours soulève essentiellement quatre questions :
1- Quelle est la norme de contrôle judiciaire qui doit être appliquée à la décision de la CLP, eu égard aux différents moyens soulevés par M. Gélinas ?
Et, tenant compte de la norme de contrôle retenue :
2- La CLP devait-elle ou non tenir compte de la transaction intervenue le 20 octobre 1997 et si oui, était-elle liée par la détermination de l’atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique de l’ordre de 2 % reconnue à M. Gélinas ?
3- La CLP a-t-elle porté atteinte au droit fondamental de M. Gélinas d’être entendu sur un élément de la preuve, contrevenant ainsi à la règle de justice naturelle audi alteram partem ?
4- La décision de la CLP est-elle motivée ?
La norme de contrôle en matière de révision judiciaire
[11] La requête de M. Gélinas pose la question de l’identification de la norme de contrôle applicable en matière de révision judiciaire par la Cour supérieure, d’une part à l’égard d’une décision de la CLP qui se prononce sur une question se situant au cœur même de sa juridiction et d’autre part, à l’égard de l’application d’une règle de justice naturelle.
[12] Deux récents arrêts de la Cour d’appel résument brièvement l’état de la jurisprudence concernant l’identification de la norme de contrôle judiciaire.
[13] Précisément sur la question des critères permettant d’identifier la norme de contrôle, monsieur le juge Jacques Chamberland résume ainsi l’état de la situation :
«Depuis les derniers arrêts de la Cour suprême en matière de norme de contrôle, la détermination du seuil d’intervention est devenue une question nuancée. La retenue judiciaire ne fait plus appel à des compartiments. Il s’agit plutôt d’un continuum évalué de façon globale en fonction de plusieurs critères. Dans Pushpanathan c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration du Canada, le juge Bastarache fait le lien entre l’analyse fonctionnelle et pragmatique initiée par le juge Beetz dans U.E.S., local 298 c. Bibeault et le spectre de la retenue judiciaire élaborée par le juge Iacobucci dans Pezin c. Superintendent of Brokers de la Colombie-Britannique et Directeur des enquêtes et recherches du Canada c. Southam Inc. Les critères suggérés par le juge Bastarache sont les suivants : le degré d’expertise du tribunal, la présence d’une clause privative, l’objet de la loi et la nature de la question.»[6]
[14] Quant à la norme de contrôle elle-même, monsieur le juge Michel Robert écrit :
«Après avoir soupesé ces facteurs, la norme à retenir, nous dit la Cour dans Pezim, peut être de trois ordres, se situant entre celle de la décision manifestement déraisonnable, à une extrémité du spectre, et celle de la décision «correcte», à l’autre extrémité. On peut résumer ces trois normes de la manière suivante :
1) La décision «manifestement déraisonnable» : ce critère, qui exige le plus haut degré de retenue à l’égard de l’autorité administrative, sera généralement celui à retenir dans «les cas où un tribunal protégé par une véritable clause privative rend une décision relevant de sa compétence et où il n’existe aucun droit d’appel prévu par la loi». Cette norme, bien connue, est le propre du contrôle judiciaire.
2) La décision «correcte» : Cette norme, à l’inverse de la première, est celle où les tribunaux sont «tenu[s] à une moins grande retenue relativement aux questions juridiques. [C]e sont les cas où les questions en litige portent sur l’interprétation d’une disposition limitant la compétence du tribunal […] ou encore les cas où la loi prévoit un droit d’appel qui permet au tribunal siégeant en révision de substituer son opinion à celle du tribunal, et où le tribunal ne possède pas une expertise plus grande que la cour de justice sur la question soulevée». Ici, les décisions du tribunal ne bénéficient d’aucune déférence et doivent être contrôlées selon la norme de l’absence d’erreur.
3) La décision «déraisonnable» : Cette norme intermédiaire, énoncée et appliquée dans l’arrêt Pezim, et sur laquelle la Cour a élaboré et qu’elle a également retenue dans l’arrêt récent Southam Inc., exige une retenue plus grande que celle de la décision correcte mais moins élevée que celle de la décision manifestement déraisonnable : «Est déraisonnable la décision qui, dans l’ensemble, n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé.» Cette norme, nous dit la Cour, se rapproche du critère d’intervention applicable aux conclusions de faits des juges de première instance et «ne fait que dire aux cours chargées de contrôler les décisions des tribunaux administratifs d’accorder un poids considérable aux vues exprimées par ces tribunaux sur les questions à l’égard desquelles ceux-ci possèdent une grande expertise.
Tel que l’indiquait le juge Iacobucci, comme on peut présumer que le Parlement a confié l’examen de certaines questions à des tribunaux spécialisés parce qu’ils possèdent un certain avantage que les juges ne peuvent offrir, le contrôle en appel de ces décisions devra souvent se faire suivant ce critère, plutôt qu’en appliquant celui de la décision correcte.»[7]
[15] Considérant les différents arguments soulevés par M. Gélinas, il faut identifier la norme de contrôle judiciaire applicable qui peut être différente en fonction de chacun de ses arguments, même s’ils mettent en cause la même décision du tribunal administratif.
L’identification de la norme de contrôle :
- Dans le cas d’une erreur commise à l’intérieur de la juridiction
[16] Depuis l’arrêt de la Cour suprême dans Domtar, la norme de contrôle judiciaire retenue à l’égard des décisions de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la CALP), et maintenant de la CLP, est celle de la décision «manifestement déraisonnable» [8].
[17] Incidemment, une brève analyse de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles démontre que la Commission statue, à l’exclusion de tout autre tribunal, sur les recours formés à l’encontre des décisions de la CSST (a. 369). Elle a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l’exercice de sa compétence, pouvant ainsi confirmer, modifier ou infirmer la décision, l’ordre ou l’ordonnance contestée et, s’il y a lieu, rendre la décision, l’ordre ou l’ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu (a. 377). La Commission et ses commissaires sont investis des pouvoirs et de l’immunité des commissaires nommés en vertu de la Loi sur les commissions d’enquêtes. Ils disposent de tous les pouvoirs nécessaires à l’exercice de leurs fonctions ; ils peuvent notamment rendre toute ordonnance qu’ils estiment propre à sauvegarder les droits des parties (a. 378). Les décisions de la Commission sont finales et sans appel (a. 429.49). Elle bénéficie, ainsi que ses membres, d’une clause privative complète (a. 429.59).
[18] Aussi, la norme de contrôle de la décision «manifestement déraisonnable» impose au tribunal qui révise la décision le plus haut degré de retenue judiciaire à l’égard de l’autorité administrative.
- Dans le cas d’un manquement à l’une des règles de justice naturelle
[19] La conformité aux règles de justice naturelle est une question de droit. Un tribunal administratif, quel qu’il soit, qui enfreint l’une de ces règles commet un excès de juridiction. Cette décision est alors révisable selon la norme de la simple erreur, de la justesse de la décision ou de la décision «correcte»[9]. Le tribunal qui révise une telle décision sur cette question est évidemment sujet à une moins grande retenue judiciaire que dans le cas précédent.
- Dans le cas d’une décision non motivée
[20] La Cour suprême a analysé la question de la décision non motivée d’un tribunal administratif dans l’arrêt Blanchard c. Control Data Canada Limitée[10]. Monsieur le juge Antonio Lamer écrivait alors :
«Or, en présence d’une clause privative, de telles erreurs sont à l’abri du contrôle judiciaire, sauf en conformité avec les principes que j’ai énoncés précédemment. Au surplus, il m’est difficile de voir comment un tel défaut dans les motifs pourrait porter atteinte à la juridiction de l’arbitre d’entendre le litige et de rendre la décision qu’il juge appropriée, sauf dans la mesure où l’insuffisance des motifs est tellement importante qu’elle équivaut à une violation des règles de justice naturelle.
(…) Il n’y a pas absence totale de motifs. (…) les motifs de l’arbitre sont intelligibles et permettent de comprendre les fondements de sa décision. Cette formulation est loin d’équivaloir à une violation des règles de justice naturelle.»
[21] S’il y a effectivement absence de motivation faisant en sorte que la décision ne soit pas intelligible ou compréhensible, c’est donc la norme de contrôle de la décision «correcte» qui doit s’appliquer, celle qui implique une moins grande retenue judiciaire de la part du tribunal qui a pour rôle de réviser cette décision.
Analyse de la décision de la CLP
- Sur la question du «manifestement déraisonnable»
[22] Le commissaire Renaud présente ainsi l’objet de la contestation :
«4. Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision de la CSST et de déclarer qu’il a aggravé le 24 août 2000 une condition personnelle qui avait été rendue symptomatique par une entorse lombaire le 24 avril 1995.»
[23] Après avoir exposé les faits, il réfère à une expertise effectuée à la demande de M. Gélinas par le chirurgien orthopédiste, le docteur Jean-Marc Lépine, le 24 janvier 2001, et enfin, il résume ainsi le témoignage de M. Gélinas.
«16. Le témoignage du travailleur est à l’effet que le 24 août 2000, il a fait une promenade d’une trentaine de minutes en compagnie de son épouse. Pour se procurer de l’essence, il conduit son véhicule aux pompes à essence. Il se tourne vers la gauche pour descendre du véhicule. Il affirme avoir glissé du siège et ressenti une douleur d’une violence telle qu’il s’est retrouvé assis sur le sol. Il a eu besoin de plusieurs minutes pour reprendre son souffle et, par la suite, il a complété le plein d’essence. En soirée, il s’est rendu consulter le Dr Cadorette et a produit une réclamation à la CSST.»
[24] L’avis des membres qui assistent le commissaire et qui représentent les associations d’employeurs et syndicales est le suivant :
«22. Le membre issu des associations d’employeurs constate que depuis 1995 la condition physique du travailleur se dégrade graduellement. Même depuis la chute du 24 août 2000 la condition du travailleur est moins bonne, et ce, en dépit des traitements. L’événement du 24 août 2000 peut être à lui seul la cause d’une blessure survenue en dehors des lieux du travail. Il n’est pas possible de conclure qu’il a subi une lésion professionnelle le 24 août 2000.
23. Le membre issu des associations syndicales est d’avis que la preuve disponible ne permet pas de relier l’entorse lombaire du 24 août 2000 avec l’événement du 24 avril 1995.»
[25] La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles est une loi d’ordre public[11] qui vise à indemniser adéquatement les victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle. Aussi, la transaction intervenue le 20 octobre 1997 entre M. Géninas et la CSST ne saurait lier définitivement l’avenir du travailleur. Cette transaction est un élément du dossier de M. Gélinas qui doit être pris en considération, sans pour autant qu’il soit déterminant pour toute décision à venir.
[26]
En effet,
l’article
[27] Par ailleurs, l’article 17 de la transaction précise qu’elle «constitue un règlement final de tout droit du travailleur en rapport avec les déclarations d’appel mentionnées dans le cadre du préambule de la présente transaction et ne peut en aucune façon être invoquée à titre de précédent autrement qu’en application de la présente transaction».
[28] En somme, malgré l’importance que revêt cette transaction dans le dossier de M.Gélinas, elle ne peut définitivement lier M. Gélinas qui a le droit de bénéficier des dispositions de la Loi qui seraient pour lui plus avantageuses, non plus que la CLP qui a pour fonction d’interpréter et d’appliquer cette Loi.
[29] A cet égard, la question ici n’est pas tellement de savoir si la CLP est liée par cette transaction mais bien si la décision qu’elle a rendue est dans les circonstances manifestement déraisonnable.
[30] Monsieur le juge Cory de la Cour suprême définit ainsi en quoi consiste une décision «manifestement déraisonnable»[13] :
«Le critère du caractère manifestement déraisonnable représente, de toute évidence, une norme de contrôle sévère. (…) Eu égard donc à ces définitions des mots “manifeste” et “déraisonnable”, il appert que si la décision qu’a rendue la Commission, agissant dans le cadre de sa compétence, n’est pas clairement irrationnelle, c’est-à-dire, de toute évidence non conforme à la raison, on ne saurait prétendre qu’il y a eu perte de compétence. Visiblement, il s’agit là d’un critère très strict.
(…)
Il ne suffit pas que la décision de la Commission soit erronée aux yeux de la cour de justice pour qu’elle soit manifestement déraisonnable, cette cour doit la juger clairement irrationnelle.»
[31] Les paragraphes 5 et 6 de la transaction intervenue le 20 octobre 1997 précisent ce qui suit :
«5. Le diagnostic de “spondylolisthésis en L5-S1” n’est pas en relation avec la lésion professionnelle initiale du 24 avril 1995, mais relève plutôt d’une condition personnelle du travailleur ;
6. Le diagnostic de “hernie discale L4-L5 gauche” mentionné par le Dr Yves Bergeron, physiatre, dans un rapport d’évaluation médicale daté du 20 février 1997, n’est pas en relation avec la lésion professionnelle initiale du 24 avril 1995 ;»
[32] D’ailleurs, dans la section des commentaires de son expertise, le Dr Lépine confirme ces affirmations :
«COMMENTAIRES
Nous comprenons du dossier que l’accident du 24 avril 1995 a rendu symptomatique un spondylolisthésis - spondylolytique jusque là non ou très peu symptomatique. Il faut considérer aussi la présence de lésion discale dégénérative en L3-L4, L4-L5.
Les conditions discales dégénératives et le spondylolisthésis - spondylolytique sont une condition personnelle. L’entorse surajoutée avec aggravation secondaire est un accident de travail. Dans la détérioration de la condition lombaire actuelle notée au dossier, il y a contribution de ces deux facteurs, soit la condition personnelle et l’aggravation causée par l’accident de travail.»
[33] Dans ses motifs, la CLP écrit :
«27. (…) Nous sommes d’avis que le Dr Lépine ne se prononce pas sur le lien de causalité entre l’événement du 24 avril 1995 et la présence du spondylolisthésis en L5-S1.
28. Nous sommes d’avis que, légalement et médicalement, il n’était pas possible de conclure que l’événement du 24 avril 1995 était la cause de cette condition particulière au travailleur.
(…)
32. Il n’est pas, non plus, probable que l’entorse lombaire du 24 avril 1995 soit la cause d’une blessure similaire le 24 août 2000.
(…)
34. Comme le suggère le Dr Lépine, la seule relation possible peut être faite en passant par le spondylolisthésis et les parties ont constaté depuis le 20 octobre 1997 que l’événement du 24 avril 1995 n’était pas celui au cours duquel le spondylolisthésis a été causé.
[34] Ces extraits des motifs de la décision démontrent que la CLP considère que la lésion professionnelle qu’a subie M. Gélinas le 24 avril 1995 n’est pas la cause de sa condition personnelle et de son état actuel.
[35] En effet, la condition discale dégénérative et le spondylolisthésis - spondylolytique sont une condition personnelle que l’accident du 24 avril 1995 a simplement rendue symptomatique.
[36] De plus, aucune preuve n’a été faite pour démontrer que l’atteinte permanente de 2 % et les limitations fonctionnelles précisées aient été à elles seules suffisantes pour causer l’entorse lombaire du 24 août 2000.
[37] Bien au contraire, si l’on considère l’opinion du Dr Lépine qui précise que «dans la détérioration de la condition lombaire actuelle notée au dossier, il y a contribution de ces deux facteurs, soit la condition personnelle et l’aggravation causée par l’accident de travail», il n’est pas manifestement déraisonnable pour la CLP de conclure que «la condition personnelle de monsieur Gene Gélinas explique mieux l’entorse lombaire du 24 août 2000 et les douleurs qui se sont aggravées depuis cette date que (de) l’événement du 24 avril 1995».
[38] Dans un jugement de notre Cour, monsieur le juge Louis Crête réitérait ce qui suit :
«Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que la révision judiciaire vise uniquement à contrôler la légalité des décisions rendues par les tribunaux soumis au pouvoir de surveillance et de réforme des cours supérieures. Elle n’a pas pour objet d’en vérifier le bien-fondé ni l’opportunité. En bref, la révision judiciaire n’est pas un appel.»[14]
[39] En conséquence, le Tribunal conclut que la décision de la CLP, rendue le 4 avril 2001 par le commissaire Michel Renaud, n’est pas manifestement déraisonnable.
- Sur la question de la règle de justice naturelle
[40] Dans les motifs de sa décision, la CLP écrit :
«33. La jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles a, depuis longtemps, établi qu’il n’était pas de la nature d’une entorse lombaire de récidiver. Il est possible de subir une blesssure semblable plusieurs fois, au même site anatomique, mais ce sera, toujours, suite à un événement particulier qui explique la manifestation de cette symptomatologie particulière.»
[41] Référant à ce paragraphe, M. Gélinas soutient que la CLP ajoute à la preuve en introduisant une donnée scientifique nouvelle au sujet de laquelle il n’a jamais eu l’occasion de faire valoir ses moyens, violant ainsi son droit fondamental d’être entendu.
[42] Dans l’arrêt de la Cour suprême Ellis-Don cité précédemment, monsieur le juge Louis Lebel écrit :
«Dans le cas d’une présumée violation de la règle audi alteram partem, même s’il peut s’avérer difficile de prouver ce fait dans certains cas, celui qui demande le contrôle judiciaire doit démontrer l’existence d’une violation réelle.»[15]
[43] Par ailleurs, rien n’interdit à la CLP de se référer à sa propre jurisprudence. Aussi, il n’apparaît pas au Tribunal que cette seule référence, telle qu’elle est rédigée, constitue un élément de preuve sur lequel la CLP s’est fondée pour se prononcer.
[44] Il s’agit tout au plus d’une affirmation qui est de la nature d’un simple commentaire général que l’on ne cherche pas nécessairement à appliquer au présent cas et non d’un élément de preuve.
[45] Dans ce contexte, le Tribunal estime que le fait pour la CLP de mentionner cette seule référence à sa propre jurisprudence ne démontre pas «l’existence d’une violation réelle» et qu’en conséquence, l’on ne peut conclure qu’il y a eu, de la part de la CLP, manquement à la règle audi alteram partem.
- Sur la question de la motivation de la décision
[46] Une décision d’un tribunal administratif, comme toute autre décision de quelque tribunal que ce soit, doit être lue dans son ensemble. Aussi, il peut arriver, après avoir exposé les faits, les différentes questions soulevées, le droit ainsi que les arguments, que les motifs de la décision soient succincts. Cela s’explique souvent par la démarche suivie au cours de la rédaction.
[47] Il est donc important de distinguer une décision non motivée de celle dont les motifs sont succinctement exposés ; mais encore faut-il qu’il y ait des motifs.
[48] Dans le présent cas, le Tribunal estime «qu’il n’y a pas absence totale de motifs». Au contraire, quoiqu’ils auraient pu être plus précis, l’on comprend que c’est à cause de la condition personnelle de M. Gélinas et des circonstances de l’accident que la CLP ne considère pas l’événement du 24 août 2000 comme une lésion professionnelle. La décision est donc suffisamment motivée.
- Les frais
[49] Étant donné que le présent dossier soulève une question portant sur les conséquences d’une transaction intervenue entre M. Gélinas et la CSST dans le contexte d’une Loi d’ordre public, le Tribunal n’entend pas accorder de frais.
[50] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[51] REJETTE la requête en révision judiciaire présentée par monsieur Gene Gélinas ;
[52] Le tout, sans frais.
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BERNARD GODBOUT, j.c.s. |
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Me Marc Bellemare |
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Bellemare et associés (casier 87) |
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Procureur du requérant |
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Me Claude Verge |
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Levasseur Verge |
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Procureur de l’intimée La Commission des lésions professionnelles |
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Me Lise Matteau |
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Procureure de la mise en cause La Commission de la Santé et de la Sécurité du travail |
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Domaine du droit : |
Administratif - Révision judiciaire |
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[1] Décision de la CSST rendue le 27 septembre 2000, confirmée par la décision de la Direction de la Révision administrative de la région Mauricie-Centre-du-Québec rendue le 22 novembre 2000;
Dossier d’appel devant la CLP, pièce R-1, 270, 272-273.
[2] Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001), a. 2
«“lésion professionnelle” : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l’occasion d’un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l’aggravation.»
[3] Pièce R-1, p. 214-216.
[4] Pièce R-1, 235.
[5] Supra, note 1.
[6] Crédit
M.P. Ltée c. Beverlee Jorgensen et al,
[7] Vigi
Santé Ltée c. Ville de Montréal,
[8] Domtar
Inc. c. Québec (CALP),
J. M. Asbestos Inc. c. Commission d’appel en matière de lésions professionnelles, [1998] 1 R.C.S. 316;
P.P.G. Canada inc. c. Commission
d’appel en matière de lésions professionnelles, (C.A.)
Levert c. Commission d’appel
en matière de lésions professionnelles, (C.A.)
Imprimerie St-Romuald c. Couturier,
(C.A.)
Welch c. Commission d’appel
en matière de lésions professionnelles, (C.A.)
[9] Ellis-Don c. Ontario (Commission des relations de travail), [2001] 1 R.C.S. 221 , 253. Opinion du juge Binnie, dissident. Question sur laquelle les juges majoritaires ne se prononcent pas précisément.
[10] [1984] R.C.S. 476.
[11] a. 4 «La présente loi est d’ordre public.
Cependant, une convention ou une entente ou un décret qui y donne effet peut prévoir pur un travailleur des dispositions plus avantageuses que celles que prévoit la présente loi.»
[12] Voir généralement sur cette question : Développements récents en droit de la santé et sécurité au travail, 2000, Rachel Cox, Service de formation permanente, Barreau du Québec, Les Éditions Yvon Blais Inc., 2000.
[13] Le
procureur général du Canada c.
Alliance de la Fonction publique du Canada,
[14] Gaétano
Costa c. La Commission d’appel en
matière de lésions professionnelles et autres,
[15] Supra, note 9, p. 247.