Lafontaine et Ministère des Transports |
2020 QCCFP 21 |
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COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DOSSIERS Nos : |
1302088, 1302204 |
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DATE : |
9 juillet 2020 |
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DEVANT LA JUGE ADMINISTRATIVE : |
Nour Salah |
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DONALD LAFONTAINE |
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Partie demanderesse |
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et |
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MINISTÈRE DES TRANSPORTS Partie défenderesse |
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DÉCISION |
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(Article 33, Loi sur la fonction publique, RLRQ, c. F-3.1.1) |
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[1] M. Donald Lafontaine travaille comme chef de service, cadre, classe 4, au Centre intégré de gestion de la circulation (CIGC), à la direction de la veille opérationnelle (DVO) au ministère des Transports (ministère).
[2] Les membres de l’équipe du CIGC sont responsables de surveiller et d’intervenir sur le réseau routier, 24 heures par jour et 365 jours par année. Ils assurent, entre autres, le suivi de la circulation au moyen de caméras de surveillance et diffusent des messages variables en temps réel sur des panneaux lumineux destinés aux automobilistes.
[3] Le 29 mai 2019, M. Lafontaine dépose un recours à la Commission de la fonction publique (Commission), en vertu de l’article 33 de la Loi sur la fonction publique (Loi), pour contester la décision de son employeur de le relever provisoirement de ses fonctions le 1er mai 2019.
[4] Le 19 décembre 2019, il dépose un deuxième recours à la Commission, toujours en vertu de l’article 33 de la Loi, afin de contester une suspension sans solde de cinq jours ouvrables imposée les 28 et 29 novembre ainsi que les 2, 3 et 4 décembre 2019.
[5] Il considère les deux décisions abusives et non fondées et en demande l’annulation ainsi que l’octroi de dommages-intérêts pour compenser les préjudices subis. De plus, il déplore le délai de plus de six mois entre le début du relevé provisoire et l’imposition de la sanction.
[6] Pour sa part, le ministère estime qu’il est justifié d’avoir relevé provisoirement M. Lafontaine afin de tenir une enquête sur un cas présumé de faute grave. Aussi, puisque les principaux témoins sont tous des employés de M. Lafontaine, il était nécessaire de procéder ainsi, afin qu’ils puissent s’exprimer librement et que l’enquête se déroule de manière sereine. Quant à la mesure disciplinaire imposée, il est d’avis qu’elle est fondée et proportionnelle aux fautes commises.
[7] Dans son analyse, la Commission doit répondre aux questions suivantes :
1. Est-ce que la décision de l’employeur de relever provisoirement M. Lafontaine répond aux exigences prévues à l’article 22 de la Loi?
2. Est-ce que le délai de plus de six mois qui s’est écoulé entre le début du relevé provisoire et l’imposition de la mesure disciplinaire est abusif?
3. La preuve démontre-t-elle que M. Lafontaine a commis une faute et, le cas échéant, la suspension de cinq jours est-elle proportionnelle à ce manquement?
4. Des dommages-intérêts doivent-ils être accordés?
[8] D’abord, La Commission conclut que la décision du ministère de relever provisoirement M. Lafontaine ne respecte pas l’article 22 de la Loi et que même si cela était le cas, le délai en aurait été abusif.
[9] Ensuite, La Commission juge que la mesure disciplinaire imposée à M. Lafontaine n’est pas proportionnelle aux manquements et la réduit à trois jours de suspension.
[10] Finalement, M. Lafontaine ne parvient pas à faire la preuve de préjudices requise pour obtenir des dommages-intérêts.
[11] M. Lafontaine a été relevé provisoirement, le temps qu’une enquête soit effectuée par le ministère pour des évènements qui se sont déroulés le jeudi 25 avril 2019 sur le réseau routier de la ville de Québec.
[12] Ce jour-là, M. Lafontaine termine sa journée de travail vers 17 h 30 et retourne chez lui dans son véhicule personnel en empruntant le boulevard Lebourgneuf. Il remarque un véhicule blanc qui coupe toutes les voitures et qui essaie de se glisser devant la sienne afin de tourner sur la rue Bouvier. M. Lafontaine ne le laisse pas exécuter sa manœuvre et le véhicule se glisse en arrière de lui. L’automobiliste, visiblement mécontent, lui adresse des gestes incivils. Au feu rouge, M. Lafontaine descend de son véhicule et se dirige vers l’automobiliste les deux mains en l’air afin de lui demander des explications. L’automobiliste le voit et il repart, le feu étant devenu vert.
[13] M. Lafontaine reprend alors son chemin et quelques minutes plus tard, sur l’autoroute 40 en direction ouest à la hauteur du boulevard Pierre-Bertrand, il revoit par hasard la voiture blanche. À 17 h 55, M. Lafontaine allume sa caméra Garmin installée sur le tableau de bord et accélère afin de rattraper l’automobiliste. Il se retrouve derrière lui sur la voie de gauche. L’automobiliste se déplace sur la voie du centre et M. Lafontaine le suit. C’est alors que le véhicule blanc, toujours sur la voie du centre, s’immobilise soudainement et complètement pendant 23 secondes. M. Lafontaine allume ses feux de détresse pour signaler le danger aux automobilistes derrière lui.
[14] Cette manœuvre inattendue génère un ralentissement important et les voitures qui suivent M. Lafontaine, pour éviter un carambolage, n’ont d’autre choix que de le contourner du côté droit ou gauche de la voie. M. Lafontaine est en état de choc, il a très peur, il pense qu’un véhicule va l’emboutir et qu’un grave accident va se produire.
[15] L’automobiliste de la voiture blanche se range sur l’accotement de l’autoroute 40 et M. Lafontaine l’y suit et appelle la Sûreté du Québec (SQ) pour signaler son comportement. M. Lafontaine veut porter plainte contre lui. Il donne le numéro de la plaque du véhicule blanc et il entend la répartitrice de la SQ dire à sa collègue d’appeler le CIGC pour avoir accès aux caméras de surveillance. M. Lafontaine lui répond qu’il est déjà en communication avec le CIGC, qu’il en est le chef de service et qu’il va suivre l’automobiliste. Elle lui répond de ne pas mettre sa vie en danger.
[16] L’automobiliste reprend la route et M. Lafontaine toujours ébranlé décide de le suivre jusqu’à l’arrivée de la police pour ne pas qu’il réussisse à s’enfuir. Il considère qu’il est un danger pour les usagers du réseau routier.
[17] L’automobiliste essaie de semer M. Lafontaine en faisant des manœuvres de diversion et en arrêtant, entre autres, à quelques musoirs. Il finit par le rattraper sur l’autoroute Charest et le suit dans le stationnement d’un commerce de la rue Cyrille-Duquet où les deux véhicules se font face durant trois minutes. L’automobiliste se dirige vers le stationnement d’un autre commerce et c’est alors que M. Lafontaine le suit et lui bloque la sortie avec sa voiture. À 18 h 15, la police municipale arrive suivie de la SQ.
[18] M. Steve Gauthier, chef des opérations au CIGC, finit son quart de travail et s’apprête à rentrer chez lui lorsque M. Lafontaine l’appelle sur son cellulaire. Il souhaite qu’on le retrouve avec les caméras de surveillance et qu’on le suive. Il commence à lui raconter ce qui vient de se passer et qu’un accident s’est presque produit au milieu de l’autoroute.
[19] M. Gauthier revient dans la salle et met son cellulaire en mode mains libres afin que les employés du CIGC contribuent à localiser leur gestionnaire. L’enregistrement des caméras est reculé afin de voir le freinage dont parle M. Lafontaine. Avec les indications données par ce dernier, il est finalement repéré sur l’autoroute Charest, un zoom est alors fait avec la caméra afin de le confirmer et on le suit en direct. M. Gauthier explique que lorsque M. Lafontaine est immobile dans le stationnement, le contrôleur, M. Michel Joncas, appelle la SQ, car c’est la procédure habituelle dans ce genre de situation.
[20] M. Sébastien Dufresne, chef d’équipe au CIGC vient de débuter son quart de nuit à 18 h, lorsque, M. Gauthier pénètre dans la salle du CICG avec son cellulaire. Il dit que M. Lafontaine est impliqué dans un évènement sur le réseau routier. M. Dufresne considère l’incident bénin puisqu’aucun accident n’est arrivé et il ne s’en préoccupe pas immédiatement.
[21] Il sent toutefois une désorganisation dans le travail des employés. Tout le monde est mobilisé pour trouver M. Lafontaine. Il constate que, pendant ce temps, trop de préposés regardent les mêmes images et ne font pas leur travail. Il voit ensuite l’évènement du freinage et constate que la situation en cours est relativement grave : c’est une scène spectaculaire. Il se mobilise à son tour et essaie de trouver M. Lafontaine sur le réseau, il est finalement localisé. M. Dufresne mentionne aussi que M. Joncas appelle la SQ, car cette manière de faire est naturelle en voyant les évènements.
[22] Une fois la situation maîtrisée avec l’arrivée de la police, M. Dufresne souhaite que tout le monde se remette au travail, mais il y a une excitation dans l’air et tout le monde parle de ce qui vient de se passer.
[23] En arrivant sur la scène, la SQ prend le contrôle. Elle demande le permis de conduire de M. Lafontaine qui le remet ainsi que sa carte professionnelle.
[24] M. Lafontaine fait sa déposition et porte plainte contre l’automobiliste. Il indique que tout ce qu’il dit est également disponible sur les images des caméras du CIGC et qu’il peut les fournir. M. Lafontaine lui montre également les images de l’évènement que sa caméra Garmin a enregistrées. Il retourne plus tard au poste de police pour y laisser une copie de cet enregistrement sur une clé USB.
[25] En soirée, il communique avec M. Dufresne pour qu’il prépare en trois copies, un enregistrement des images pour la SQ et une pour lui-même. M. Dufresne accepte, mais se sent mal à l’aise que cette demande ne soit pas effectuée de manière officielle avec le formulaire prescrit. Il en informe M. Ghyslain D’Anjou, chef des opérations au CIGC, et dénonce par la même occasion l’évènement dans lequel M. Lafontaine a été impliqué et dont il a été témoin. M. D’Anjou lui demande de ne pas produire la vidéo; qu’il va s’en occuper le lendemain.
[26] Le lendemain matin, un agent de la SQ laisse un message sur le cellulaire de M. Lafontaine afin qu’il prépare les copies des enregistrements des caméras de surveillance du CIGC et ajoute qu’il acheminera ultérieurement le formulaire prescrit selon la procédure.
[27] M. Lafontaine demande donc à une de ses employées de lui sortir les copies des images. Elle refuse de lui communiquer directement les enregistrements puisqu’il est impliqué personnellement dans l’incident. Il lui donne raison et lui laisse alors les coordonnées de l’enquêteur de la SQ. Il ne verra finalement ces images que le jour de l’audience et ne refera aucune autre demande à ce sujet à un membre de son équipe.
[28] Pour cet évènement sur le réseau routier, M. Lafontaine reçoit le 31 janvier 2020, un constat d’infraction du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) d’un montant de 1 546 $ qu’il conteste devant la Cour du Québec. Il y est mentionné qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’il a commis une action susceptible de mettre en péril la sécurité des personnes ou la propriété. Les motifs mentionnés dans le constat ne sont pas ceux pour lesquels M. Lafontaine se voit imposer une mesure disciplinaire.
[29] Vendredi 26 avril 2019, M. D’Anjou rencontre son supérieur hiérarchique, M. Benoît Carrier, directeur de la veille opérationnelle, cadre, classe 3, afin de l’informer des évènements de la veille et lui montrer l’enregistrement des images captées par les caméras de surveillance. Il lui envoie également un courriel afin de documenter la situation, dont voici un extrait :
Bonjour, le 25 avril au soir j’étais dispo chez moi et à 20:51 j’ai reçu un appel du chef d’équipe du CIGC pour me faire part d’un évènement qui venait de se produire sur le réseau impliquant Donald Lafontaine mon supérieur et d’une demande vidéo de celui-ci concernant cet évènement. Il m’explique qu’il n’est pas à l’aise de produire un vidéo sans demande officielle à compléter comme il se doit. Il mentionne également que la semaine dernière, Monsieur Lafontaine avait fait appel au CIGC pour vérifier si nous avions des images d’un évènement qui a eu lieu sur le réseau municipal. Je lui ai dit de ne pas produire la vidéo et que je m’en occuperais le lendemain.
Vendredi matin j’ai fait appel à M. Benoît Carrier afin de me conseiller dans ce genre de situation qui est loin d’être évidente, car la demande provenait de mon supérieur immédiat. Il me dit que j’ai bien fait de l’informer et qu’il va s’occuper de cela.
Lundi matin en arrivant dans la salle du CIGC je me rends vite compte que le sujet de conversation est l’évènement qui a impliqué M. Lafontaine sur le réseau et le carambolage qui aurait pu arriver sur l’A-40 Ouest. Je m’empresse de visionner le vidéo et d’interdire l’accès aux employés. Sur la vidéo, nous voyons M. Lafontaine poursuivre un véhicule et le suivre de près. […]
[Transcription textuelle]
[30] M. Carrier est très surpris de ce qu’il voit sur l’enregistrement que lui montre M. D’Anjou impliquant son chef de service. Il demande s’il est habituel de communiquer avec la salle des caméras du CIGC afin de demander de suivre un automobiliste en raison d’un évènement sur la route. M. D’Anjou lui répond que seule la police agit ainsi. En effet, celle-ci partage un canal de communication avec le CIGC qui les aide lors de poursuites policières à localiser un automobiliste et enregistrer les images pour faciliter leur preuve.
[31] M. Carrier estime que cette situation est suffisamment grave pour faire une enquête. Pour lui, M. Lafontaine a contrevenu à l’article 7 du Règlement sur l’éthique et la discipline dans la fonction publique[1] (Règlement sur l’éthique), car il utilise les biens du ministère pour ses fins personnelles et les détourne de leur usage habituel. Ainsi, lors de l’évènement du 25 avril 2019, lorsque les caméras sont braquées sur le stationnement pendant quelques minutes, le réseau routier n’est pas surveillé.
[32] De plus, un carambolage est évité de justesse. M. Lafontaine et l’automobiliste démontrent tous deux un comportement téméraire. Quelle mauvaise publicité pour le ministère si un accident était survenu et que l’automobiliste avait su que M. Lafontaine est un cadre du ministère et qu’il avait alerté les médias.
[33] Il est aussi étonné de voir M. Lafontaine coincer l’automobiliste dans le stationnement. Il estime que ce n’est pas son rôle, il n’est ni policier ni justicier. Même les patrouilleurs du ministère n’ont pas l’autorité pour agir ainsi. Avec un tel comportement, M. Carrier se demande comment M. Lafontaine se présente aux policiers et si ce dernier prétend agir au nom du ministère sur le réseau routier.
[34] Il consulte deux conseillères en gestion des ressources humaines (CGRH) et il est référé à Mme Andréanne Tremblay qui est la CGRH responsable des relations de travail à la Direction des relations de travail et de la santé des personnes (DRT) à Québec. Cette dernière propose qu’une enquête soit effectuée et que M. Lafontaine soit relevé provisoirement en attendant les conclusions.
[35] Mme Tremblay étant aussi responsable de conseiller M. Lafontaine dans son rôle de cadre en matière de relations de travail avec ses employés, le dossier est transféré à Mme Karine Bastonnais, également CGRH à la DRT.
[36] M. Carrier souhaite que cette enquête débute rapidement, car il veut préserver l’image du ministère si des questions sont posées. Il communique avec la Direction des enquêtes et de l’audit interne (DEAI) qui lui explique la procédure à suivre.
[37] M. Carrier demande aussi à un de ses employés de lui faire une copie des images de l’évènement du 25 avril 2019.
[38] Lundi 29 avril 2019, M. Carrier rencontre sa supérieure hiérarchique, Mme Céline Tremblay, directrice générale à la Direction générale de la sécurité civile et de la veille opérationnelle (DG) en compagnie de Mme Tremblay. Il lui raconte l’intégralité des évènements et discutent, entre autres, de ce qui justifie le relevé provisoire de M. Lafontaine et de l’image du ministère si cela venait à se savoir.
[39] M. Carrier invoque aussi la manière directe et autoritaire dont M. Lafontaine gère ses employés et il souhaite que ceux-ci se sentent à l’aise de parler à l’enquêteur. Il indique aussi que M. D’Anjou craint la réaction de M. Lafontaine quand ce dernier apprendra qu’il l’a dénoncé. Ainsi, afin d’assurer une certaine sérénité, il est convenu de relever provisoirement M. Lafontaine le temps de l’enquête.
[40] Le sous-ministre associé, M. Jean Villeneuve, est avisé à son tour de l’évènement et donne son assentiment. Il souhaite aussi avoir un résumé de la situation pour en aviser le sous-ministre. M. Carrier lui transmet ce courriel:
Bonjour Jean,
M. Gyslain D’Anjou, chef des opérations au CIGC de Québec, a porté à mon attention le 26 avril 2019 une situation en apparence contraire à l’article 7 du Règlement sur l’éthique concernant son supérieur immédiat, M. Donald Lafontaine, le chef de service du CIGC de Québec.
Selon l’information obtenue, M. Lafontaine aurait contacté les préposés du CIGC pour leur demander de suivre avec les caméras de surveillance autoroutière un véhicule qu’il poursuivait et qu’il désirait intercepter. Il leur aurait demandé de sauvegarder les images et de contacter les policiers pour qu’ils viennent l’aider. L’évènement s’est conclu avec l’arrivée d’une autopatrouille de la Sûreté du Québec et une de la ville de Québec dans un stationnement de la rue Cyrille Duquet où M. Lafontaine avait coincé avec son véhicule la voiture qu’il avait prise en chasse.
J’ignore ce qui a donné lieu à l’incident, mais il semble que ce soit le comportement du conducteur du véhicule qui a incité M. Lafontaine à le pourchasser. Les images recueillies le montrent conduisant agressivement en tentant de rejoindre le véhicule. De plus, sur l’autoroute de la capitale direction ouest, le conducteur du véhicule poursuivi, voyant quelqu’un lui coller au derrière, a ralenti subitement dans la voie du centre. Les images montrent avec éloquence à quel point la situation a failli engendrer un carambolage majeur sur l’artère la plus achalandée à Québec.
M. Lafontaine a fait un usage non autorisé des images générées par les caméras du Ministère. Il semble d’ailleurs avoir pris une telle initiative à plusieurs occasions dans le passé récent. Ses actions sur le réseau routier laissent penser qu’il se substitue aux policiers et cherche à se faire justice lui-même. Reste à savoir s’il prétend à une quelconque autorité en la matière en se présentant aux policiers comme chef de service du CIGC au ministère des Transports du Québec.
Suite à notre rencontre d’hier, je te confirme avoir acheminé ce matin une demande d’enquête à la Direction des enquêtes et de l’audit interne. Le mandat confié vise à :
· déterminer l’étendue de cette pratique de M. Lafontaine en interrogeant les autres chef d’opérations et les chef d’équipe; et
· déterminer s’il utilise son titre de chef de service pour prétendre à une quelconque autorité sur le réseau routier et influencer les policiers dans leur travail.
De plus, Mme Andréanne, de la Direction des relations de travail m’a préparé une lettre pour signifier à M. Lafontaine son relevé provisoire prévu cet après-midi à 15h. Je serai accompagné de ma conseillère, Mme Nathalie Dubé, pour cette rencontre.
Je demeure disponible pour toute question. […]
[Transcription textuelle]
[41] M. Carrier rédige le formulaire pour la demande d’enquête administrative le 30 avril 2019.
[42] Il convoque M. Lafontaine afin de lui annoncer la tenue d’une enquête et son relevé provisoire. En prévision de cette rencontre, il demande à un de ses adjoints de rassembler les employés qui travaillent dans les cubicules près de son bureau et de les amener à la salle à manger afin de leur parler d’un sujet quelconque. Il justifie sa décision par le fait que les murs laissent passer les sons et ignorant la réaction de M. Lafontaine, il ne veut pas que les employés en soient témoins.
[43] Le 1er mai 2019, M. Lafontaine se présente à 15 h 15 au bureau de M. Carrier. Il indique qu’aucun employé n’est présent dans l’espace des services administratifs Mme Nathalie Dubé, CGRH attirée à la DVO, se trouve déjà dans le bureau.
[44] M. Carrier lui explique qu’il est relevé provisoirement de son emploi à la suite des évènements du 25 avril 2019 et qu’une enquête aura lieu. Une lettre confirmant la mesure administrative lui est remise. M. Lafontaine est surpris et se justifie en disant que c’était son véhicule personnel et qu’il était à l’extérieur des heures de travail. Il essaie de s’expliquer et de donner sa version, mais le ton monte. M. Carrier lui dit de garder ses explications pour sa rencontre avec l’enquêteur. Cependant, il omet de lui dire de ne pas entrer en communication avec le personnel du CIGC ou de la DVO.
[45] À la fin de cette brève rencontre, M. Lafontaine est invité à remettre la clé de son bureau, sa carte d’accès magnétique, son ordinateur portable et son téléphone cellulaire. Il est alors accompagné à l’extérieur de l’édifice par Mme Dubé. Ils n’ont croisé personne en sortant.
[46] M. Lafontaine explique être estomaqué, sous le choc. Il tremble, il est dans tous ses états. Il se sent « escorté à la sortie comme un criminel ».
[47] M. Carrier va rencontrer les employés à la salle à manger et il les informe qu’ils ont été réunis sous un prétexte, car il rencontrait M. Lafontaine et il ne voulait pas de témoins. Un courriel est ensuite envoyé aux équipes afin de les aviser que M. Lafontaine sera absent pour une période indéterminée et que M. Alain Tremblay assumera l’intérim de ses fonctions.
[48] Le 2 mai 2019, M. Carrier rencontre l’enquêteur et lui donne les noms et les coordonnées des chefs d’opérations et des chefs d’équipe qui doivent être interrogés. Il n’impose aucun échéancier à l’enquêteur, mais il souhaite que son rapport soit produit le plus rapidement possible.
[49] À la suite de son relevé provisoire, M. Lafontaine téléphone à certains collègues afin de savoir s’ils sont au courant de ce qui se passe. Il leur partage son désarroi et son incompréhension par rapport à cette situation. Il se demande ce qui a pu être dit à M. Carrier pour que cela mène à un relevé provisoire.
[50] M. Lafontaine appelle M. Carrier pour connaître le nom de l’enquêteur et s’enquérir des suites prévues à l’enquête. Il communique aussi, à de nombreuses reprises, avec sa DG.
[51] M. Lafontaine rencontre l’enquêteur une première fois au mois de juin 2019 et une deuxième fois, au retour de son congé pour cause d’invalidité, le 6 août 2019 pour prendre connaissance de sa déclaration et la signer :
J’ai communiqué avec les employés du CIGC pour qu’ils suivent les évènements, gardent les images et gravent les évènements pour moi et la police pour cette dernière c’est moi qui ai décidé de mon propre chef de demander les vidéos, car je savais que je porterais plainte et qu’ils en auraient besoin. J’en voulais également une copie pour moi pour appuyer ma plainte et confirmer les images prises par ma « Dashcam ». Même si cela s’est passé hors de mon travail je ne vois aucun problème éthique ou autre à faire cette demande c’est monnaie courante d’avoir des demandes des employés, partenaires ou citoyens; n’importe qui peut le faire. Au moment d’obtenir les images, j’aurai rempli les papiers requis afin d’avoir l’autorisation.
[…]
Il m’arrive souvent de contacter le CIGC et demander de visionner et garder (copie) des images lorsque je suis témoin ou victime d’un incident sur le réseau, en dehors de mes heures de travail (cependant si je suis sur la route), je fais environ une vingtaine de plaintes à la SQ par année. Le fait de demander de visionner et de faire copie des images ne m’apporte aucun avantage autre que de faire avancer le processus plus rapidement. Je suis peut-être le seul qui le fait « à tout bout de champ », mais j’aime mon travail, je travaille 365 jours et 24 heures par jour pour le MTQ. Avec le recul je constate qu’il m’arrive de faire du zèle, mais je n’ai aucune mauvaise intention; je travaille au service des citoyens et pour leur sécurité sur le réseau.
[…]
Lors de l’évènement du 25 avril, il est fort possible que je me sois identifié comme chef de service au CIGC, cela est aussi vrai pour les autres appels que je fais à la SQ; c’est une habitude et cela apporte de la crédibilité à mon appel vs un appel de citoyen.
Note : À chaque instant tout au long des évènements décrits dans la déclaration, ma seule préoccupation a été la sécurité des usagers et je n’avais aucun avantage personnel à en retirer. Pour avoir décidé d’arrêter son véhicule devant moi sur l’autoroute, dans la voie du centre en pleine heure de pointe, j’ai jugé que le conducteur représentait un risque pour les usagers. Ce qui explique mon appel à la SQ et ma demande d’intervention de leur part ainsi que le soutien de mes employés aux caméras afin de suivre le véhicule pour que la SQ ne le perde pas de vue.
[Transcription textuelle]
[52] M. Nicolas Barrière, CGRH à la DRT, intervient une première fois dans le dossier de M. Lafontaine à la mi-septembre 2019. Une agente de bureau en matière de rémunération l’interpelle, car M. Lafontaine est toujours en relevé provisoire lorsqu’il prend un congé pour cause d’invalidité pour la période du 21 juin au 28 juillet 2019. Elle le questionne concernant le mode de rémunération à lui appliquer.
[53] Il devient responsable du dossier à la fin du même mois quand Mme Bastonnais le lui transfère en raison d’un conflit d’horaire. Il en prend alors connaissance et il constate que l’enquête est toujours en cours. Il est aussi informé par la DG que M. Lafontaine lui a écrit à plusieurs reprises, car il est préoccupé par le délai de l’enquête.
[54] Il contacte donc la DEAI qui lui indique que le rapport sera bientôt produit. Il l’obtient finalement le 8 octobre 2019.
[55] Les principaux constats du rapport d’enquête sont à l’effet que M. Lafontaine a :
Ø le 25 avril 2019, provoqué une situation qui a mis en danger les usagers de la route sur l’autoroute de la Capitale Ouest, par ses agissements, notamment en sortant de son véhicule, en accélérant pour rattraper un véhicule et en suivant celui-ci.
Ø le 29 novembre 2018, mit la sécurité des usagers de la route en danger et ne s’est pas comporté à la hauteur de ses fonctions de chef de service au CIGC en accélérant pour rattraper un véhicule du Ministère qui l’avait dépassé à haute vitesse, en l’interceptant et en invectivant le conducteur.
Ø régulièrement contacté les employés du CIGC pour leur demander de visionner les images des caméras et de faire des copies de ces dernières, et ce, même pour des évènements vécus à titre personnel en dehors de ses heures de travail.
Ø fait appel aux policiers pour signaler des évènements en utilisant son titre de chef de service au CIGC pour augmenter la crédibilité de ses appels.
L’enquête n’a pas permis de démontrer qu’il a tiré un avantage personnel en lien avec ses agissements n’ayant jamais obtenu de copie des images demandées.
[Transcription textuelle]
[56] L’article 33 de la Loi énonce :
33. À moins qu'une convention collective de travail n'attribue en ces matières une compétence à une autre instance, un fonctionnaire peut interjeter appel devant la Commission de la fonction publique de la décision l'informant : [...]
5° qu'il est relevé provisoirement de ses fonctions. [...]
[57] L’article 22 de la Loi prévoit que l’employeur peut, dans les seules situations qui y sont prévues, relever provisoirement un fonctionnaire :
22. Tout fonctionnaire peut, conformément aux exigences prescrites par règlement, être relevé provisoirement de ses fonctions afin de permettre à l'autorité compétente de prendre une décision appropriée dans le cas d'une situation urgente nécessitant une intervention rapide ou dans un cas présumé de faute grave, qu'il s'agisse d'un manquement à une norme d'éthique ou de discipline, ou d'une infraction criminelle ou pénale.
[58] Les articles 15 et 16 du Règlement sur l’éthique énoncent pour leur part la procédure applicable lors du relevé provisoire d’un fonctionnaire.
[59] La Commission doit se demander si le ministère respecte l’article 22 de la Loi lorsqu’il décide de relever provisoirement M. Lafontaine de ses fonctions.
[60] Le ministère indique que, pour M. Carrier, les évènements qu’il voit sur la vidéo et les faits qui lui sont alors rapportés par M. D’Anjou sont suffisamment graves pour ouvrir une enquête et relever provisoirement M. Lafontaine. Le relevé provisoire lui apparaît d’autant plus nécessaire que les principaux témoins sont des employés sous son autorité.
[61] M. Lafontaine allègue que son relevé provisoire est imposé en raison d’une demande d’enquête formulée par M. Carrier et que cette dernière est fondée sur des motifs rapportés par ouï-dire par M. D’Anjou qui n’était pas présent sur les lieux de travail le 25 avril 2019.
[62] La décision Denis[2] indique que même la faute la plus grave ne justifie pas nécessairement un relevé provisoire lorsque certaines conditions ne sont pas présentes :
Il ressort donc que le relevé provisoire diffère essentiellement de la mesure disciplinaire en ce sens qu’il est une mesure préalable à cette dernière et qui ne peut être justifiée que si l’employeur a raison de croire que son employé a commis une faute grave et que, vu sa nature et le rapport que celle-ci peut avoir avec son travail, il ne serait pas dans l’intérêt de l’entreprise de le maintenir au travail pendant que l’employeur enquête sur la situation et qu’il évalue les possibilités de recours disciplinaire ( « cas présumé de faute grave » ). […]
[63] Après une analyse objective des faits, la Commission juge que les évènements de cette affaire ne nécessitent pas d’écarter M. Lafontaine de son travail le temps que l’enquête soit réalisée. Les motifs avancés par le ministère sont suffisants pour qu’une enquête soit initiée sur le comportement de M. Lafontaine, mais ils ne réussissent pas à démontrer le caractère juste et raisonnable du relevé provisoire.
[64] La Commission comprend qu’en regardant l’enregistrement des caméras de surveillance, M. Carrier est avant tout frappé par la conduite qualifiée d’agressive de M. Lafontaine sur le réseau routier. Il mentionne le freinage soudain qui a failli causer un carambolage et le fait que M. Lafontaine bloque la sortie à l’automobiliste dans un stationnement.
[65] Ces évènements, qui marquent l’esprit des personnes qui les visionnent, ont grandement pesé dans la balance de relever provisoirement M. Lafontaine. Or, le ministère n’aurait pas dû en tenir compte puisque M. Lafontaine est à bord de son véhicule personnel et en dehors de ses heures de travail. D’ailleurs, ces évènements ne lui seront pas reprochés dans son avis de suspension.
[66] Quant aux autres raisons pour relever provisoirement M. Lafontaine, il aurait été loisible pour le ministère de lui expliquer qu’en raison de l’enquête et des motifs qui y sont mentionnés, il lui serait défendu de reproduire les comportements reprochés le temps que la lumière soit faite sur ces agissements. Cette mise en garde aurait été plus raisonnable dans les circonstances et M. Lafontaine aurait pu collaborer à l’enquête sans qu’il soit nécessaire de le retirer complètement de son milieu de travail durant plus de six mois[3] :
[…] la doctrine vient enrichir ces notions en se demandant si l’employeur ne doit pas démontrer que l’employé ne peut pas continuer d’exercer ses fonctions en attendant qu’une décision soit prise dans son cas, malgré la faute présumée. […] N’est-il pas possible d’exercer une supervision tout en gardant l’employé au travail? Pourrait-il être transféré dans un autre secteur? Pourquoi doit-il être écarté pour la période requise pour prendre une décision dans son cas?
[67] Aussi, la crainte que l’image du ministère puisse être entachée si on apprenait que M. Lafontaine est un cadre du ministère n’est pas suffisante pour justifier un relevé provisoire.
[68] La Commission souhaite rappeler que, dans les circonstances, c’était une réponse appropriée d’enclencher une enquête administrative, mais cette dernière ne devrait pas automatiquement mener à relever provisoirement un employé. Comme le rappelle l’arrêt Cabiakman[4] :
[63] Essentiellement, il s’agit de pondérer les divers intérêts en présence. » D’un côté, il faut reconnaître le droit de l’employeur d’imposer des mesures préventives en vue de protéger l’organisation. De l’autre, il faut reconnaître que : « [l]’emploi est une composante essentielle du sens de l’identité d’une personne, de sa valorisation et de son bien-être sur le plan émotionnel ». […]
[69] Ainsi, à l’instar de la décision Houle[5], la Commission juge que le ministère n’avait pas besoin d’être protégé de M. Lafontaine. Sa faute présumée « n’est pas de nature à causer un tort irréversible à l’employeur »[6].
[70] Finalement, aucune preuve n’a été présentée pour démontrer l’attitude autoritaire de M. Lafontaine envers ses employés justifiant un relevé provisoire. Aucun d’entre eux n’est venu témoigner à ce sujet. Le dossier disciplinaire de M. Lafontaine ne contient rien qui puisse indiquer que ses employés se seraient plaints de lui ou auraient formulé des allégations d’inconduite ou de harcèlement psychologique. Même si M. Lafontaine a reconnu à la Commission qu’il est impulsif, celle-ci n’est pas convaincue que ce motif justifie un relevé provisoire pendant l’enquête.
[71] Cette situation diffère de la décision Bouchard[7], où un employé a été relevé provisoirement durant une enquête sur des allégations de harcèlement psychologique, sinon le ministère aurait risqué d’impliquer sa responsabilité en cette matière. D’autres décisions de la Commission décrivent des situations similaires d’urgence nécessitant une intervention rapide de la part de l’employeur qui était aussi justifié de croire qu’il faisait face à un cas présumé de faute grave[8].
[72] Par ailleurs, quant à la manière dont le relevé provisoire a été annoncé à M. Lafontaine, ce dernier prétend que cette mesure comporte quelque chose de « malvenue » dans la façon de procéder qui s’avère humiliante et nettement excessive dans les circonstances. Il s’appuie à cet égard sur la décision Paquette[9].
[73] Or, même si la Commission comprend la réaction et l’incrédulité de M. Lafontaine lorsqu’il est relevé provisoirement, elle ne considère pas, néanmoins, que l’annonce du relevé provisoire en elle-même était humiliante.
[74] De plus, dans la décision Paquette[10], la Commission en arrive à la conclusion que la façon dont la gestionnaire a été retirée de son emploi constitue une mesure disciplinaire déguisée, ce qui n’est pas la conclusion qui s’impose dans le présent dossier. En effet, ni le relevé provisoire ni la manière d’y procéder ne constituent une mesure disciplinaire déguisée, mais bien une mesure administrative qui dans les circonstances déjà mentionnées est injustifiée. Il n’a notamment pas été démontré que le ministère visait à punir M. Lafontaine en lui annonçant et en lui imposant un relevé provisoire.
[75] Le ministère ne réussit pas à expliquer à la Commission pourquoi la durée du relevé provisoire de M. Lafontaine a été aussi longue. Ce délai est injustifié dans les circonstances.
[76] Un rappel des faits est nécessaire. Dès le lundi 29 avril 2019, le ministère a en sa possession la vidéo des évènements. Le 2 mai 2019, les noms de tous les témoins à rencontrer sont communiqués à l’enquêteur de la DEAI qui est une direction du ministère.
[77] Le 19 mai 2019, M. Gauthier et M. Dufresne signent leur déclaration. Le 6 août 2019, c’est au tour de M. Lafontaine de signer la sienne. La preuve ne démontre aucune autre intervention après cette date et c’est uniquement à la fin septembre 2019 que M. Barrière, diligent et nouvellement arrivé au dossier, communique avec la DEAI pour s’informer de l’enquête. Le rapport est en préparation, lui dira-t-on. Le 8 octobre 2019, le rapport de l’enquêteur est enfin produit.
[78] La Commission note que les démarches suivantes ont été réalisées dans le cadre de cette enquête :
· Rencontrer et obtenir les déclarations statutaires de cinq chefs des opérations et de deux chefs d’équipe du CIGC de Québec.
· Discuter avec les anciens gestionnaires de M. Lafontaine.
· Discuter avec le policier de la SQ présent lors de l’évènement du 25 avril 2019.
· Obtenir les renseignements du chef de service par intérim du CIGC.
· Rencontrer M. Lafontaine et obtenir une déclaration statutaire.
[79] Ainsi, cette enquête est essentiellement restreinte à des employés du ministère et le nombre de personnes rencontrées ne semble pas justifier un tel délai.
[80] Durant toute cette période, M. Lafontaine essaie d’en savoir plus. Il écrit un message texte à M. Carrier les 7, 10, 14, 17 et 23 mai 2019 pour lui dire qu’il n’avait toujours pas de nouvelle de l’enquêteur. Après son congé pour cause d’invalidité, il écrit à sa DG en juillet et en octobre 2019 pour avoir des nouvelles du rapport, mais elle n’en a toujours pas.
[81] Ces circonstances rappellent les faits énumérés dans une sentence arbitrale où l’arbitre avait jugé que la durée de six mois pendant laquelle une enseignante avait été suspendue était excessive[11] :
[149] Outre la portée de la suspension qui apparaît problématique, sa durée, même avec solde, soulève des questionnements. Pour I'essentiel, I'enquête a porté sur les allégations des étudiantes quant à la conduite de la plaignante lors des 1, 8 et 15 septembre 2015. À I'exception d'une étudiante, tous conviennent que le cours du 1er septembre s'est bien déroulé. Seuls deux cours sont donc au centre de l'enquête, cours pour lesquels I’employeur est déjà en possession d'une imposante preuve documentaire en raison des lettres et courriels reçus.
[150] Je m'explique mal un délai de suspension de six mois sachant à quel point un retrait du travail peut avoir un impact important sur la carrière d'un professionnel, sa réputation et sa santé? Le présent dossier ne mettait pas en cause des enjeux et des questions juridiques d'une grande complexité.
[82] La Commission considère que même en tenant compte du fait que M. Lafontaine était en congé pour cause d’invalidité pendant cinq semaines durant son relevé provisoire et qu’il n’a donc pas pu être rencontré par l’enquêteur, le ministère ne présente aucune explication plausible qui justifie un délai de plus de six mois.
[83] Ainsi, même si elle ne met pas en doute la bonne foi des personnes impliquées dans la gestion du dossier de M. Lafontaine, la Commission considère qu’il aurait dû être suivi avec beaucoup plus de rigueur, car pendant tout ce temps M. Lafontaine attendait impatiemment d’en connaître l’issue.
[84] À la réception du rapport de l’enquêteur, M. Barrière en fait une analyse préalable. Concernant le premier élément, il est d’avis que, malgré la gravité de la conduite dangereuse de M. Lafontaine sur le réseau routier, il n’est pas en mesure de démontrer une faute puisqu’il était dans son véhicule personnel et à l’extérieur de ses heures de travail. Il ne tient pas compte non plus du deuxième élément, même si d’autres comportements avec des faits qui se ressemblent sont rapportés par l’enquêteur dans le rapport. Les deux derniers éléments étant significatifs, il propose à la DG de convoquer M. Lafontaine pour lui donner la possibilité de s’expliquer.
[85] Une rencontre d’équité procédurale est convoquée pour le 16 octobre 2019 et M. Barrière prépare un document pour que la DG questionne M. Lafontaine. Il ne peut être présent, c’est donc Mme Dubé qui le remplace.
[86] M. Lafontaine répond à plusieurs questions concernant sa conduite dangereuse sur le réseau. Il estime, entre autres, qu’il n’a pas mis en danger la sécurité des usagers et qu’il a suivi l’automobiliste de manière sécuritaire. Ce n’était pas une poursuite, il suivait l’individu en attendant l’arrivée des policiers.
[87] Il trouve qu’il n’a pas mis en jeu l’image du ministère, qu’il n’avait pas de gain personnel à s’identifier aux policiers comme chef de service du CIGC et que cette histoire a pris une ampleur démesurée.
[88] Il estime ne pas avoir utilisé les ressources du ministère, car les images sont publiques et ne pas avoir monopolisé les ressources de la salle de contrôle du CIGC, car il a appelé une personne. De plus, c’est leur travail de suivre les évènements sur le réseau routier.
[89] À la fin de la rencontre, il est demandé à M. Lafontaine s’il a autre chose à ajouter. Il répond qu’il est soucieux de l’image du ministère et il réaffirme qu’il agit toujours dans l’intérêt du citoyen et du ministère. Depuis l’évènement, la vision de son rôle a beaucoup changé. L’enquêteur lui a mis « les yeux devant les trous » en le questionnant sur plusieurs évènements du passé. Il s’est aperçu qu’il avait certains problèmes d’impulsivité. Il s’est donc pris en main et a entamé plusieurs actions pour aller mieux et corriger son comportement. Il a pris conscience qu’il « fait partie du processus » et non qu’il « est le processus ».
[90] Il avoue aussi que cet évènement l’a profondément dérangé. Il veut être un bon patron, ami et collègue, mais il n’est pas parfait. Il essaie d’apprendre et de s’améliorer.
[91] M. Barrière échange avec Mme Dubé. Elle lui indique que M. Lafontaine a été honnête lors de la rencontre : il admet avoir manqué de jugement quant à sa conduite automobile et il est repentant à cet égard. Cependant, par rapport aux autres motifs concernant l’utilisation des ressources du ministère à titre personnel, soit les caméras et le temps des préposés, il en minimise l’importance et n’y voit pas de problème.
[92] Mme Dubé remet à M. Barrière son questionnaire rempli et celui de la DG qui ne prend aucune décision concernant la mesure disciplinaire à imposer à M. Lafontaine. Elle quitte le ministère le lendemain de la rencontre pour une absence prolongée et c’est M. Villeneuve qui la remplace pour la suite du dossier.
[93] M. Barrière analyse toutes les informations dont il dispose. Il estime que les circonstances aggravantes suivantes militent pour une sanction sévère : M. Lafontaine minimise son implication alors qu’il est un cadre duquel est exigée une éthique irréprochable, sans compter qu’il est le répondant en éthique à la DVO.
[94] Il tient compte aussi de certains facteurs atténuants, dont le dossier disciplinaire vierge de M. Lafontaine et qu’il vit des situations difficiles d’ordre personnel à l’époque des faits. Il considère aussi que M. Lafontaine reconnaît son comportement impulsif et qu’il a consulté des professionnels pour l’aider durant son relevé provisoire.
[95] Le 30 octobre 2019, il rencontre M. Villeneuve en compagnie de Mme Dubé. Il résume la rencontre d’équité procédurale et dresse le portrait de la situation. Il explique ensuite les fondements de sa recommandation de suspendre M. Lafontaine durant cinq jours ouvrables. M. Villeneuve acquiesce, mais il veut en parler avec le sous-ministre en titre puisque c’est lui qui doit signer la lettre de suspension.
[96] Le 13 novembre 2019, le sous-ministre en titre rencontre brièvement M. Barrière pour obtenir certaines précisions et se déclare en accord avec la sanction.
[97] Le 20 novembre 2019, M. Lafontaine se voit remettre sa lettre de suspension :
La présente fait suite à notre rencontre d’équité procédurale du 16 octobre 2019 et vise à vous informer de notre décision de vous suspendre sans traitement pour une durée de cinq jours, soit les 28 et 29 novembre 2019 et les 2,3 et 4 décembre 2019.
Cette mesure vous est imposée pour les motifs suivants :
· Le ou vers le 25 avril 2019, avoir demandé à un employé du CIGC de Québec d’utiliser les caméras de surveillance autoroutière pour suivre un véhicule que vous suiviez et de contacter les policiers pour obtenir leur intervention;
· Le ou vers le 25 avril 2019, avoir demandé à un employé du CIGC de Québec de faire des copies des images du véhicule que vous suiviez alors que celles-ci n’avaient aucun lien avec votre emploi de chef de service du CIGC de Québec;
· Le ou vers le 25 avril 2019, vous vous êtes identifié comme chef de service du CIGC auprès de policiers de la Sûreté du Québec qui sont intervenus après que vous ayez eu une altercation sur le réseau routier avec un usager et avez suivi celui-ci sur plusieurs kilomètres;
Ces comportements peuvent être de nature à nuire à l’image du Ministère et sont d’autant plus graves en raison de vos responsabilités à titre de répondant en éthique pour la Direction de la veille opérationnelle. Par vos agissements, vous avez également contrevenu aux règles d’éthique prévues à la Loi sur la Fonction publique et au Règlement sur l’éthique et la discipline dans la fonction publique.
Ainsi, devant de tels comportements, je n’ai d’autres choix que de vous imposer la présente mesure. […]
[Transcription textuelle]
[98] L’article 33 de la Loi prévoit :
33. À moins qu'une convention collective de travail n'attribue en ces matières une compétence à une autre instance, un fonctionnaire peut interjeter appel devant la Commission de la fonction publique de la décision l'informant : [...]
4° d’une mesure disciplinaire. [...]
[99] L’article 18 du Règlement sur l’éthique prévoit ce qui constitue une mesure disciplinaire applicable à un fonctionnaire :
18. Une mesure disciplinaire peut constituer en une réprimande, une suspension ou un congédiement, selon la nature et la gravité de la faute qu’elle vise à réprimer.
[100] L’article 34 de la Loi édicte que :
34. La Commission de la fonction publique peut maintenir, modifier ou annuler une décision portée en appel en vertu de l’article 33.
Lorsque la Commission modifie une telle décision, elle peut y substituer celle qui lui paraît juste et raisonnable compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire. […]
[101] La Commission a déjà indiqué que trois éléments doivent être prouvés pour justifier une mesure disciplinaire[12] :
[125] En matière disciplinaire, c’est à l’employeur que revient le fardeau de justifier sa décision d’imposer une sanction. Pour y réussir, il doit démontrer, suivant l’ensemble de la preuve, qu’il est plus probable qu’improbable que les gestes reprochés se sont produits, qu’ils constituent une faute et que la mesure disciplinaire administrée était raisonnable dans les circonstances.
[126] L’analyse de la Commission en cette matière s’effectue généralement en trois étapes. La première étape consiste à déterminer si les faits qui sous-tendent la mesure disciplinaire ont été prouvés. Dans une telle éventualité, la Commission doit se demander si ces faits constituent une faute. Le cas échéant, la troisième étape consiste à vérifier si, en tenant compte de toutes les circonstances de l’affaire, la mesure retenue est proportionnelle à la faute reprochée.
[102] D’emblée, la Commission considère que, même si M. Lafontaine n’avait pas de mauvaises intentions, il a fait preuve d’une erreur de jugement et a commis des fautes.
Premier motif
[103] Le ministère indique que M. Lafontaine commet une faute, car il demande à un employé du CIGC d’utiliser les caméras de surveillance du réseau pour suivre un véhicule et de contacter les policiers pour obtenir leur intervention. Ce faisant, il a utilisé les ressources du CIGC pour ses propres fins, confondant les biens de l’État avec les siens.
[104] Un tel comportement contrevient au paragraphe 2° de l’article 9 de la Loi et à l’article 7 du Règlement sur l’éthique :
9. Le fonctionnaire ne peut, directement ou indirectement
[…]
2° utiliser à son profit un bien de l’État ou une information qu’il obtient en sa qualité de fonctionnaire.
7. Le fonctionnaire ne peut confondre les biens de l’État avec les siens. Il ne peut non plus utiliser au profit d’un tiers les biens de l’État ou une information dont il a pris connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions.
[105] M. Lafontaine prétend, entre autres, que le fait de suivre l’automobiliste avec les caméras de surveillance du CICG n’est pas problématique, qu’il s’agit du rôle de son équipe d’effectuer la surveillance autoroutière.
[106] La Commission partage la position du ministère, M. Lafontaine a commis une faute. Il a manqué de jugement en utilisant à son profit un bien de l’État. En effet, il avoue, lors de son témoignage que lorsqu’il communique avec M. Gauthier, il veut qu’on le suive et que les caméras soient positionnées de manière à pouvoir capter l’évènement. Or, cette intervention a été effectuée à titre personnel et afin de corroborer la plainte à la SQ qu’il avait l’intention de faire contre l’automobiliste.
[107] La Commission constate du témoignage de M. Lafontaine qu’il a du mal à différencier son rôle en tant que gestionnaire du CIGC et celui de simple citoyen. Il dira à quelques reprises qu’il est fier de travailler pour le ministère et qu’il assume ce rôle 24 heures par jour et sept jours sur sept.
[108] Même si la Commission trouve réellement louables une telle mobilisation et un engagement sincère pour son emploi, cela n’excuse pas le comportement de M. Lafontaine. Il ne doit pas oublier que la fonction qu’il occupe lui impose des obligations et des limites importantes dues à son statut de cadre et aux informations privilégiées qu’il détient par rapport à un simple citoyen.
[109] M. Lafontaine a utilisé le temps des employés du ministère, ainsi que des caméras du CIGC qui ont été braquées sur un évènement privé au lieu de surveiller le réseau routier public. Même s’il explique que ses employés ont utilisé les caméras pour l’aider de leur plein gré, il ne peut ignorer qu’en communiquant avec le CIGC pour qu’on le localise, son équipe allait tout faire pour l’aider. C’est leur gestionnaire.
[110] M. Lafontaine aurait dû laisser la SQ remplir son rôle et se contenter de leur donner le numéro de la plaque d’immatriculation de l’automobiliste. D’ailleurs, il convient lui-même lors de la rencontre d’équité procédurale que s’il n’avait pas appelé son équipe du CIGC, il ne serait pas dans cette situation et il en tire la conclusion qu’il aurait dû laisser la SQ agir.
[111] La Commission partage la position adoptée dans la décision Fréchette[13], indiquant qu’ « il est strictement interdit par la loi d'utiliser à des fins personnelles des biens de l'État. Un fonctionnaire qui transgresse cette obligation élémentaire confond ses intérêts personnels et les intérêts de l'État qui sont ceux des citoyens qu'il est pourtant chargé de servir, ce qui est inexcusable. »
[112] Cependant, la Commission considère, en analysant la preuve présentée, que le ministère ne réussit pas à démontrer que c’est bien M. Lafontaine qui a demandé à un membre de son équipe de communiquer avec la SQ. La Commission conclut plutôt que c’est M. Joncas qui l’a appelée, comme cela se fait habituellement dans toutes les interventions effectuées par le CIGC.
[113] En effet, bien que la déclaration de M. Dufresne à l’enquêteur mentionne que M. Lafontaine a demandé d’appeler la police, lors de l’audience, M. Dufresne indique ne pas avoir entendu M. Lafontaine demander de contacter la SQ et il précise que M. Joncas appelle la SQ probablement de sa propre initiative comme il a l’habitude de le faire dans ce genre de situation
[114] M. Gauthier témoigne au même effet au début de l’audience et ce même si plus tard, il dira que peut-être M. Lafontaine a demandé d’appeler la SQ, il n’en est pas certain. Il ajoute que, quoi qu’il en soit, le CIGC aurait tout de même fini par appeler la SQ de son propre chef. Il assure à la Commission que c’est ce que les employés ont l’habitude de faire dans leurs interventions lorsqu’ils détectent des comportements étranges sur le réseau routier. Il précise qu’en moyenne le CIGC communique avec la SQ en moyenne10 à 15 fois par jour pour dénoncer des situations suspectes.
[115] Ainsi, la Commission tiendra compte de ce facteur dans son analyse de la proportionnalité de la sanction.
Deuxième motif
[116] Le ministère indique que M. Lafontaine a demandé à M. Dufresne de faire des copies des images du véhicule qu’il suivait pour des fins personnelles, et ce, en contravention au processus opérationnel de la DVO en matière de demande d’accès à l’information.
[117] M. Lafontaine répond que cela peut difficilement constituer une faute justifiant une mesure disciplinaire puisqu’il n’a jamais obtenu une copie des images et qu’il bénéficie des mêmes droits d’accès aux images captées par les caméras de surveillance du CIGC que n’importe quel citoyen, puisque la procédure opérationnelle CIGC-Québec prévoit que :
Toute demande d’accès à un document doit être adressée par téléphone ou par écrit au responsable de l’accès aux documents et de la protection des renseignements personnels. […]
[118] Ainsi, selon lui, le seul fait de ne pas avoir adressé sa demande à la bonne personne ne justifie pas une mesure disciplinaire, d’autant plus que ses responsabilités à titre de répondant en éthique pour la DVO lui ont été retirées.
[119] La Commission n’est pas en accord avec cette position et considère que le fait que ses responsabilités à titre de répondant en éthique lui soient enlevées ne l’exonère pas.
[120] Il adresse une demande à une employée sous son autorité. Même si la procédure indique qu’une demande d’accès à un document peut être effectuée par un citoyen par téléphone, elle doit être adressée à la personne responsable de l’accès aux documents et de la protection des renseignements personnels du ministère. Il ne peut ignorer ou méconnaître cette procédure.
[121] Ainsi, même si M. Lafontaine avance qu’il avait l’intention de remplir le formulaire plus tard, la Commission considère que de par son rôle de cadre, il se devait d’agir avec plus de rigueur, de prudence et de jugement.
Troisième motif
[122] Le ministère fait valoir que, dans le cadre de cet incident impliquant M. Lafontaine à titre personnel, ce dernier s’est présenté comme chef de service du CIGC auprès des policiers, ce qui, considérant les évènements ayant eu lieu sur le réseau routier, est de nature à entacher l’image du ministère.
[123] Pour sa part, M. Lafontaine ne comprend pas en quoi il commet une faute lorsqu’il s’identifie comme chef de service du CIGC auprès de la SQ.
[124] M. Lafontaine indique qu’il a l’habitude de s’identifier comme employé du ministère quand il appelle la police pour signaler des incidents sur le réseau routier. Cela lui donnerait plus de crédibilité qu’un citoyen ordinaire et il serait ainsi pris plus au sérieux. Il prétend toutefois que cette fois-ci ce n’est pas pour cette raison qu’il remet sa carte professionnelle à l’agent de la SQ.
[125] La position de M. Lafontaine ne convainc pas la Commission. Elle estime plus probable que M. Lafontaine s’identifie comme cadre du ministère, comme il le fait habituellement, précisément pour se donner plus de crédibilité auprès de l’agent de la SQ. Or, M. Lafontaine n’avait pas à le faire puisqu’il agissait dans le cadre d’une plainte personnelle contre un autre citoyen. Il n’était pas en fonction lors des évènements.
[126] Cependant, la Commission note que l’image du ministère n’a pas été entachée. De plus, M. Lafontaine n’a obtenu aucun avantage, au contraire, il a reçu un constat d’infraction du DPCP. La Commission en tiendra compte en analysant la proportionnalité de la sanction.
[127] M. Lafontaine a commis la majorité des faits reprochés qui constituent des fautes. Cependant, le ministère ne convainc pas la Commission que M. Lafontaine demande au CIGC d’appeler la SQ. De plus, le fait de s’être identifié comme chef de service du CIGC à la SQ est une faute, mais de moindre gravité.
[128] La Commission est tout de même persuadée que « les manquements prouvés demeurent quand même inacceptables de la part d'un cadre intermédiaire du gouvernement qui, en raison de ses responsabilités, doit donner l'exemple »[14].
[129] La Commission est en accord avec l’analyse effectuée par le ministère concernant les facteurs aggravants. L’utilisation par M. Lafontaine à son profit d’un bien de l’État qu’il obtient en sa qualité de fonctionnaire est une faute importante. En tant que cadre, il doit user d’un excellent jugement et être un exemple à suivre pour ses employés.
[130] Il est aussi vrai qu’un an après les évènements, M. Lafontaine semble encore ambivalent et ne reconnaît pas tout à fait que les actions qui lui sont reprochées par le ministère sont fautives et il les amenuise.
[131] Le fait qu’il reconnaisse être allé chercher de l’aide pour régler ses problèmes comportementaux durant le relevé provisoire ainsi que son dossier disciplinaire vierge sont, pour leur part, des facteurs atténuants. Or, selon la Commission, ce dernier élément aurait dû peser davantage dans la balance le temps venu d’imposer une sanction à M. Lafontaine qui, en plus, cumule quatorze années d'ancienneté au ministère.
[132] Dans la présente affaire, la Commission estime que le ministère n’a pas tenu compte du principe de la gradation des sanctions[15] :
Compte tenu de ces circonstances atténuantes, j’estime qu’une suspension (privation de travail et de salaire) de cinq jours est excessive et disproportionnée. Les mesures disciplinaires (hormis le congédiement) ont une vocation d’abord corrective et préventive à l’égard d’une éventuelle récidive. Dans un cas comme celui-ci, un blâme au dossier m’apparaît approprié pour la réalisation des objectifs affirmés, à savoir susciter une réflexion et prévenir une récidive.
[133] Ainsi, en tenant compte de toutes les circonstances de cette affaire, la Commission juge que la suspension sans solde de cinq jours ouvrables imposée à M. Lafontaine doit être réduite à une suspension sans solde de trois jours ouvrables.
[134] Cette sanction est suffisante pour que M. Lafontaine s’amende et ne reproduise plus à l’avenir des gestes de la nature de ceux reprochés. Elle considère que le travail d’introspection qu’il a effectué durant son relevé provisoire l’aidera en ce sens.
[135] M. Lafontaine indique que l’ensemble du processus disciplinaire, qui a mené à sa suspension de cinq jours, et ce, au terme d’un relevé provisoire de plus de six mois, a généré de graves préjudices moraux et financiers, en plus de porter atteinte à sa réputation, à son honneur, à sa dignité et à son intégrité.
[136] À cet effet, il laisse la Commission décider des mesures de réparation en fonction de son appréciation du témoignage et des explications qu’il donne lors de l'audience.
[137] La Commission considère que M. Lafontaine ne présente pas de preuve substantielle de préjudices subis justifiant de lui accorder des dommages-intérêts. En effet, comme il a reçu l’intégralité de son traitement durant son relevé provisoire, mis à part la période où il est en congé pour cause d’invalidité, il n’a perdu aucun revenu et la preuve d’une autre perte financière n’a pas été faite.
[138] Quant aux préjudices moraux, la Commission est d’avis que le relevé provisoire et le processus disciplinaire ne sont pas les seules sources de stress et de détresse de M. Lafontaine durant cette période. En effet, ce dernier vivait alors de graves difficultés personnelles. Il est d’ailleurs allé chercher de l’aide puisque cette situation lui a révélé des traits de sa personnalité qu’il devait affronter et corriger.
[139] Finalement, la preuve présentée quant à l’atteinte à sa réputation, à son honneur, à sa dignité et à son intégrité ne convainc pas la Commission.
[140] Bien que la Commission comprenne les difficultés vécues par M. Lafontaine durant cette période, dans un contexte où son travail était sa seule stabilité, les éléments présentés ne justifient pas l’octroi de dommages-intérêts.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE :
ACCUEILLE l’appel de M. Donald Lafontaine déposé en vertu de l’article 33 de la Loi sur la fonction publique contestant son relevé provisoire;
ANNULE le relevé provisoire de M. Donald Lafontaine imposé par le ministère des Transports le 1er mai 2019;
ACCUEILLE en partie l’appel de M. Donald Lafontaine déposé en vertu de l’article 33 de la Loi sur la fonction publique contestant une suspension sans solde de cinq jours ouvrables les 28 et 29 novembre et les 2, 3 et 4 décembre 2019;
SUBSTITUE la suspension sans solde de cinq jours ouvrables par une suspension sans solde de trois jours ouvrables les 28, 29 novembre et 2 décembre 2019;
ORDONNE au ministère des Transports de verser à M. Donald Lafontaine le salaire dont il aurait bénéficié pour les journées de travail du 3 et du 4 décembre 2019, le tout avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec;
RÉSERVE sa compétence pour toute difficulté d’exécution de la présente décision, le cas échéant.
Me Pascale Racicot Procureure de M. Donald Lafontaine Partie demanderesse
Me Yannick Vachon Procureur du ministère des Transports Partie défenderesse |
Original signé par Nour Salah |
Lieu de l’audience : Québec et audience téléphonique
Dates des audiences : 24, 25 février, 11, 12 mars et 13 mai 2020
[1] RLRQ, c. F-3.1.1, r. 3.
[2] Denis et Ministère de la Justice, [1980] 2 no 7 R.D.C.F.P. 400.
[3] Idem.
[4] Cabiakman c. Industrielle-Alliance, [2004] 3 R.C.S. 195, par. 63.
[5] Houle et Ministère des Transports, 2016 QCCFP 4, par. 160.
[6] Idem, par. 165.
[7] Bouchard et Ministère des Transports, 2020 QCCFP 19; Lévesque et Québec (Ministère du Travail, de l'Emploi et de la Solidarité sociale), 2016 QCCFP 11.
[8] Ouellette et Ministère du Revenu, 2009 CanLIII 44306; Jérôme et Ministère de la Sécurité publique, [1996] 12 no 2 R.D.C.F.P. 261.
[9] Paquette et Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2014 QCCFP 25.
[10] Idem.
[11] Syndicat des chargées et chargés de cours de l’Université Laval et Université Laval, 2018 QCTA 662 - AZ51548615.
[12] Précité, note de bas de page 5, par. 125-126.
[13] Jean-Claude Fréchette et Ministère des Transports, AZ-91149812 (SOQUIJ), p. 14.
[14] Idem, p.15.
[15] Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) et Centre de santé et de services sociaux de Trois-Rivières, 2009 CanLII 92415, par. 60.
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