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[1] Le 15 août 2006, monsieur Yassine Ouahabi (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 24 juillet 2006 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 10 février 2006 et déclare que le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur doit être suspendu à compter du 10 février 2006.
[3] Lors de l’audience tenue à Rimouski le 22 novembre 2006, seul le travailleur est présent. Une décision par laquelle la Commission des lésions professionnelles rejetait une demande de remise du procureur de Michel Thibaudeau inc. (l’employeur) avait été rendue le 23 octobre 2003. Le procureur de l’employeur a par la suite demandé de plaider par écrit, ce qui lui a été accordé, et ses représentations écrites ont été reçues pour l’audience et remises au travailleur et aux membres du tribunal au stade des plaidoiries. La procureure de la CSST avait quant à elle informé le tribunal qu’elle ne serait pas présente à l’audience.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande de rétablir le paiement de son indemnité de remplacement du revenu pour la période du 10 février au 23 mars 2006.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont tous deux d’avis que la requête du travailleur devrait être accueillie. Ils considèrent plus particulièrement que le travailleur n’a pas à être pénalisé pour son déménagement, d’autant que celui-ci visait notamment à lui permettre d’avoir un médecin de famille, que la CSST savait depuis quelques mois qu’un déménagement prochain du travailleur était prévu, qu’un délai d’à peine plus d’un mois avant que le travailleur ait complété son déménagement, rencontré son médecin et obtenu une ordonnance pour la reprise de sa physiothérapie dans une nouvelle clinique n’apparaît pas exagéré dans les circonstances et que la preuve ne révèle pas d’impact significatif de la suspension des traitements sur l’évolution de la lésion professionnelle.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6] Le travailleur subit une lésion professionnelle le 4 septembre 2004 alors qu’il est à l’emploi de l’employeur. Le travailleur habite alors à Granby.
[7] La lésion professionnelle consiste en une contusion dorsale, une contusion lombaire et une déchirure du ménisque externe droit.
[8] Les contusions dorsale et lombaire sont consolidées le 26 janvier 2005 sans nécessité de soins ou de traitements additionnels.
[9] La lésion au genou droit du travailleur n’est quant à elle toujours pas consolidée et nécessite toujours des soins et traitements, plus particulièrement de la physiothérapie, bien que le travailleur déclare lors de l’audience que celle-ci ne semble pas apporter d’amélioration significative de son état.
[10] À cette époque, aucun médecin, outre l’orthopédiste, n’a charge du travailleur, ce dernier rencontrant des médecins différents à la clinique externe du centre hospitalier.
[11] À compter d’août 2005, le travailleur avise la CSST de son intention de déménager sous peu dans la région du Bas St-Laurent, où il a des connaissances, puis ensuite du fait qu’il reporte son projet « pour un certain temps ».
[12] Ainsi, les 24 et 29 août 2005, l’agent d’indemnisation de la CSST écrit qu’elle explique au travailleur que s’il déménage et rejette alors ainsi une assignation temporaire, le paiement de son indemnité de remplacement du revenu sera suspendu. Elle lui demande par la suite sa nouvelle adresse, pour apprendre alors le report du projet.
[13] Nulle part dans les notes de l’agent il n’est fait mention de quelque procédure à suivre par le travailleur préalablement à son déménagement, outre les propos relatifs à l’assignation temporaire. L’agent d’indemnisation ne précise notamment pas au travailleur qu’il doit l’aviser et aviser son employeur un certain nombre de jours à l’avance ou s’assurer à l’avance du transfert de son dossier médical et de physiothérapie.
[14] Le 22 janvier 2006, le travailleur informe son agent d’indemnisation que sa physiothérapeute suggère encore trois semaines de traitements (soit jusqu’au 1er février approximativement) mais que l’orthopédiste en recommande quant à lui encore plutôt six.
[15] Dans une lettre datée du 8 février 2006, le travailleur informe la CSST de son déménagement, le 1er février 2006, et demande le transfert de son dossier en conséquence. La lettre est estampillée le 17 février 2006 à la CSST. Considérant le fait que la lettre ait été postée dans un village du Bas St-Laurent pour se rendre à St-Hyacinthe et les aléas occasionnels du service postal, ce délai, quoique un peu long, n’apparaît pas invraisemblable.
[16] De toute façon, ledit 8 février 2006, l’agent d’indemnisation de la CSST écrit que le travailleur a téléphoné et fourni sa nouvelle adresse à un préposé.
[17] Le 10 février 2006, l’agent d’indemnisation rend une décision par laquelle elle suspend le versement de l’indemnité de remplacement du revenu au travailleur parce qu’il a « sans raison valable, omis ou refusé de [se] présenter aux traitements de physiothérapie prescrits par son médecin. »
[18] Dans sa demande de révision de cette décision, le travailleur explique son absence en physiothérapie (à Granby) par son déménagement au Bas St-Laurent et précise avoir demandé le transfert de son dossier médical à son nouveau médecin dont il fournit alors les coordonnées.
[19] L’article 142 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) sur lequel la CSST appuie sa décision se lit comme suit :
142. La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité:
1° si le bénéficiaire:
a) fournit des renseignements inexacts;
b) refuse ou néglige de fournir les renseignements qu'elle requiert ou de donner l'autorisation nécessaire pour leur obtention;
2° si le travailleur, sans raison valable:
a) entrave un examen médical prévu par la présente loi ou omet ou refuse de se soumettre à un tel examen, sauf s'il s'agit d'un examen qui, de l'avis du médecin qui en a charge, présente habituellement un danger grave;
b) pose un acte qui, selon le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, selon un membre du Bureau d'évaluation médicale, empêche ou retarde sa guérison;
c) omet ou refuse de se soumettre à un traitement médical reconnu, autre qu'une intervention chirurgicale, que le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, un membre du Bureau d'évaluation médicale, estime nécessaire dans l'intérêt du travailleur;
d) omet ou refuse de se prévaloir des mesures de réadaptation que prévoit son plan individualisé de réadaptation;
e) omet ou refuse de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu'il est tenu de faire conformément à l'article 179, alors que son employeur lui verse ou offre de lui verser le salaire et les avantages visés dans l'article 180;
f) omet ou refuse d'informer son employeur conformément à l'article 274.
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1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.
(Soulignements ajoutés)
[20] La question en litige s’avère donc être la suivante en l’instance : le travailleur a - t‑il, sans raison valable, omis ou refusé de se soumettre à ses traitements de physiothérapie?
[21] Après avoir pris connaissance de l’ensemble de la preuve et avoir entendu le travailleur, le tribunal est d’avis que non.
[22] Le travailleur a cessé temporairement de se présenter en physiothérapie au début de février 2006 parce qu’il est déménagé. Dès son arrivée dans sa nouvelle région de résidence, le travailleur déclare avoir effectué les démarches nécessaires pour obtenir le transfert de son dossier médical dans une clinique où il pouvait rencontrer un médecin qui en prendrait charge, ce après quoi la secrétaire de ce dernier lui a fixé un rendez-vous avec celui-ci.
[23] Le travailleur déclare avoir pu rencontrer son médecin le 10 mars 2006. Celui-ci a immédiatement signé une référence en physiothérapie et les traitements ont pu débuter le 23 mars suivant. Ce n’est qu’alors que la CSST a mis fin à la suspension du versement de son indemnité de remplacement du revenu.
[24] Il s’avère ainsi que le travailleur n’a jamais « refusé » de se soumettre aux traitements de physiothérapie prescrits par son médecin : il n’a pu obtenir ces traitements pendant une certaine période en raison de son déménagement dans une autre région.
[25] La CSST et l’employeur considèrent tous deux que le déménagement du travailleur était une décision personnelle dont ce dernier doit assumer les conséquences et qu’il a de plus manqué à ses obligations en n’avisant pas la CSST à l’avance de son déménagement et en ne s’assurant pas que cela n’interrompe pas ses traitements.
[26] L’employeur invoque au soutien de ses prétentions la décision rendue dans l’affaire Chetoui[2]. Dans cette affaire, la travailleuse quitte le pays pendant deux mois, alors qu’elle a subi une lésion professionnelle qui n’est alors pas consolidée, pour se rendre au Maroc prendre soin de sa mère malade. Ses traitements de physiothérapie sont interrompus pendant cette période. Le commissaire conclut alors que la travailleuse devait donner priorité à ses traitements et souligne que l’omission de se présenter à ceux-ci pendant une aussi longue période semble en l’occurrence avoir aggravé la condition de la travailleuse et retardé la consolidation de sa lésion. Il maintient donc la suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu pour la période d’absence de la travailleuse.
[27] Le tribunal souligne qu’à la différence de cette affaire, le travailleur n’a en l’instance pas suspendu volontairement ses traitements pour des raisons personnelles et il n’est pas non plus démontré que la suspension temporaire des traitements a entraîné quelque conséquence significative sur la condition du travailleur et la consolidation de sa lésion.
[28] En outre, particulièrement en cette matière d’exception qu’est la suspension d’indemnité, chaque cas est un cas d’espèce qui doit être étudié à ce titre.
[29] Or, le travailleur explique lors de l’audience que son déménagement était envisagé depuis l’été 2005 (ce qui est confirmé par les notes de l’agent au dossier), mais qu’il l’avait reporté, notamment pour ne pas retarder la chirurgie de son genou prévue à l’automne 2005 (effectivement pratiquée) ainsi qu’en raison des pressions de son employeur pour une assignation temporaire.
[30] Le travailleur ajoute qu’il lui tardait cependant d’avoir un médecin de famille et de ne plus avoir à raconter l’ensemble de son histoire à chaque nouveau médecin rencontré à Granby à la clinique externe. Or, il avait des connaissances au Bas St-Laurent et l’assurance d’y avoir un médecin de famille. Il y est donc déménagé dès que la condition de son genou à la suite de sa chirurgie a nécessité un suivi orthopédique moins strict. Et il a, dès son arrivée dans sa nouvelle région, fait ce qu’il lui semblait être le nécessaire pour le transfert de son dossier, tant médical qu’administratif.
[31] Le tribunal considère que le travailleur a temporairement omis de se soumettre à ses traitements de physiothérapie pour une raison valable : il est déménagé et a dû attendre le transfert de son dossier médical, un rendez-vous avec son nouveau médecin puis un rendez-vous dans une nouvelle clinique de physiothérapie.
[32] Il n’est pas écrit dans l’article 142 de la loi que la CSST peut suspendre le paiement d’une indemnité si le travailleur sans raison reliée à la lésion professionnelle omet ou refuse de se soumettre à un traitement […]. Il y est plutôt question de « raison valable », laquelle n’a donc pas nécessairement à être liée à la lésion professionnelle.
[33] Le jugement doit donc être exercé en la matière et toute raison jugée personnelle ne saurait être exclue pour cette seule raison. Un travailleur ne peut mettre sa vie entièrement en suspens parce qu’il a subi une lésion professionnelle.
[34] En l’occurrence, un déménagement du travailleur était envisagé depuis plusieurs mois par le travailleur et on ne pouvait exiger de lu qu’il le reporte indéfiniment. D’autant que ce déménagement lui a permis d’enfin avoir un médecin de famille, ce qui était un désir légitime et devrait avoir un impact positif sur le suivi et le traitement de la lésion professionnelle. En outre, le tribunal précise qu’il n’est pas question ici d’assignation temporaire, mais bien de traitements pouvant tout aussi bien être obtenus ailleurs, ce qui est totalement différent.
[35] En outre, le tribunal souligne être conscient du fait que le travailleur aurait certainement pu confirmer plus tôt à la CSST la date de son déménagement. Mais la preuve prépondérante ne permet pas de croire que cela eut changé quoi que ce soit : le 29 août 2005, l’agent d’indemnisation de la CSST demandait au travailleur sa nouvelle adresse alors prévue pour le 3 septembre suivant, sans rien suggérer quant aux démarches à effectuer au plus tôt pour assurer un transfert rapide de ses dossiers médical et de physiothérapie. Rien ne permet de croire qu’il en eut été différemment si le travailleur avait informé la CSST de la date définitive de son déménagement dès janvier par exemple.
[36] Quant aux démarches du travailleur pour le transfert de son dossier médical et de physiothérapie, elles auraient sans doute pu être plus efficaces, mais elles n’apparaissent pas déraisonnables. On ne peut en effet exiger d’u travailleur seul une qualité de gestion de dossier que les employeurs et la CSST elle-même ne parviennent pas toujours à atteindre. La Commission des lésions professionnelles a d’ailleurs déjà déclaré qu’un retard de traitements attribuables à l’ignorance du système et l’inexpérience d’un travailleur ne justifiait pas une suspension du paiement de l’indemnité de remplacement du revenu[3].
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête du travailleur, monsieur Yassine Ouahabi;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 24 juillet 2006 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la suspension du paiement de l’indemnité de remplacement du revenu au travailleur pour la période du 10 février 2006 au 23 mars 2006, doit être annulée et l’indemnité versée au travailleur.
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Louise Desbois |
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Commissaire |
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Me Réjean Côté |
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RAYMOND CHABOT SST INC. |
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Représentant de la partie intéressée |
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Me Manon Séguin |
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PANNETON LESSARD |
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Représentante de la partie intervenante |
AVIS :
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