Ducharme et Holcim (Canada) inc. (Carrières) |
2013 QCCLP 3238 |
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[1] Le 20 mars 2012, madame Andrée-Anne Ducharme, la travailleuse, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 7 mars 2012 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 20 février 2012 et déclare que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle le 19 décembre 2011.
[3] L’audience s’est tenue le 8 janvier 2013 et s’est poursuivie le 15 février 2013 à Montréal en présence de la travailleuse et de son représentant, Me André Laporte. Holcim (Canada) inc., l’employeur, est également présent et représenté par Me Paul Dupéré.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu’elle a subi une lésion professionnelle le 19 décembre 2011 sous la forme d’une entorse cervicale, d’une névrite cubitale droite et d’une épicondylite droite.
LES FAITS
[5] La travailleuse occupe l’emploi d’auxiliaire technique pour l’employeur depuis le 19 septembre 2011. Elle travaille 40 heures par semaine, du lundi au vendredi. À l’audience, la travailleuse déclare qu’elle a un horaire flexible et qu’elle peut commencer certaines journées plus tôt et d’autres plus tard. Elle est normalement affectée à la carrière de Varennes, qui est son port d’attache, mais la nature de ses tâches exige qu’elle doive se déplacer avec une camionnette de l’employeur.
[6] Ses tâches principales consistent à se rendre dans une carrière afin de faire de l’échantillonnage d’agrégats. Elle doit accumuler les échantillons d’agrégats avec une pelle et une chaudière afin de faire l’échantillonnage. Elle doit transférer les échantillons dans des sacs de plastique pour le transport. Ces sacs d’échantillons doivent être soulevés et placés à l’arrière de la camionnette pour être transportés au laboratoire afin d’être examinés. La travailleuse affirme que les chaudières remplies d’agrégats peuvent peser jusqu’à 25 kilogrammes.
[7] Le 19 décembre 2011, la travailleuse doit préparer des échantillons d’agrégats pour l’échantillonnage d’hiver. Une fois les échantillons préparés, elle doit les transporter de la carrière de Varennes au laboratoire de Laval. La travailleuse relate qu’elle a préparé une dizaine de sacs d’échantillons pesant environ 25 kilogrammes et qu’elle a dû les soulever et les porter sur une distance d’environ 25 pieds afin de les placer à l’arrière de la camionnette. Rendue près de la camionnette, la travailleuse raconte qu’étant donné le poids des échantillons, elle doit soulever les sacs et ensuite les balancer à l’arrière de la camionnette.
[8] La travailleuse précise que c’est après avoir balancé un de ces sacs qu’elle ressent des douleurs au côté droit du cou. Elle ajoute que les douleurs ont irradié tout le long de son bras droit jusqu’à l’auriculaire et l’annulaire de la main droite. Elle affirme que les douleurs sont très importantes et l’incommodent considérablement. Elle continue cependant à travailler et prend sa pause du dîner avant de se diriger à Laval pour aller livrer les échantillons. Elle précise que les échantillons doivent être séparés et tamisés avec les outils du laboratoire qui sont à sa disposition.
[9] La travailleuse relate qu’afin de faciliter le déchargement des échantillons, elle a reculé la camionnette le plus près possible de l’entrée du laboratoire et a procédé au déchargement des échantillons seule. Elle précise que sa cadence de travail est ralentie par la douleur qu’elle ressent. Par la suite, elle termine sa journée de travail vers 15 h 30, retourne chez elle et pense se coucher tôt, car elle ressent encore des douleurs.
[10] Le lendemain, elle retourne travailler malgré la douleur et se dirige vers Mirabel, son assignation de la journée. Devant effectuer sensiblement les mêmes tâches que la veille, la travailleuse précise qu’elle défait les gros sacs d’échantillons en les divisant en échantillons plus petits puisqu’elle est incapable de soulever les sacs normaux d’échantillons.
[11] Le jour même, la travailleuse déclare qu’elle avise monsieur Benoît Tremblay, son supérieur immédiat, qu’elle s’est blessée la veille en soulevant des sacs d’échantillons; il lui répond qu’il doit remplir un rapport d’accident. La travailleuse relate qu’elle est retournée travailler en espérant que la douleur s’estompe. Elle ne voulait pas être en arrêt de travail, étant nouvellement arrivée dans l’entreprise. Elle affirme avoir informé monsieur Tremblay le lendemain de l’événement, puisque ce dernier était absent la veille.
[12] Par ailleurs, la travailleuse déclare que le 20 décembre 2011, elle a une fois de plus terminé sa journée de travail plus tôt qu’à l’habitude. Elle raconte qu’elle n’a pas travaillé les jours suivants, ayant dû prendre soin de sa fille, qui était malade; elle a aussi été incommodée par le même virus que celle-ci.
[13] Le 23 décembre 2011, la travailleuse appelle monsieur Tremblay. Elle rapporte qu’il lui a dit de rester à la maison pour prendre du repos puisqu’elle est encore incommodée par la grippe.
[14] Par la suite, l’employeur cesse ses activités pour les vacances de la période des Fêtes. Le travail a repris le 3 janvier 2012, mais la travailleuse dispose de journées de vacances et doit retourner travailler seulement le 9 janvier 2012.
[15] À l’audience, la travailleuse déclare que durant ses vacances, elle prend de l’« Ibuprofène » et se repose. Elle ajoute que sa condition est stable et ne s’améliore pas : elle ressent encore de la douleur, qui l’empêche même de déneiger son terrain. Elle doit donc obtenir de l’aide pour ce faire.
[16] Le 9 janvier 2012, la travailleuse retourne au travail. Elle décrit que la douleur augmente lorsqu’elle reprend ses tâches. Lors de cette journée, elle est assignée à une formation pour faire des tests sur de nouveaux agrégats d’hiver, étant encore fraîchement arrivée dans la compagnie, ayant été embauchée à l’automne. Elle relate qu’en effectuant ces tests, elle doit demander de l’aide à monsieur Tremblay puisqu’elle est incapable de faire certains mouvements, dont celui de tourner un silo contenant une accumulation d’agrégats concassés, ceux-ci devant par la suite être transvidés dans un autre contenant. La charge est simplement trop lourde pour elle. Elle ajoute qu’elle était seulement capable de faire certains tests qui nécessitaient des quantités moins lourdes d’agrégats.
[17] Durant cette période, la travailleuse mentionne qu’elle a de la difficulté à dormir et qu’elle se réveille souvent la nuit à cause de la douleur.
[18] Le 16 janvier 2012, la travailleuse consulte son médecin de famille, le docteur Normand Geoffroy, qui pose un diagnostic d’entorse cervicale et d’épicondylite droite. Il n’émet pas son diagnostic sur un rapport médical de la CSST et il autorise des travaux légers pour la période du 16 janvier au 30 janvier 2012. Une radiographie du coude droit et de la colonne cervicale est effectuée le jour même et ne révèle aucune anomalie. Le docteur Geoffroy spécifie que la travailleuse ne doit pas soulever un poids supérieur à 5 kilogrammes. Le docteur Geoffroy prescrit du « Naprosyn » et du « Losec » pour réduire l’inflammation.
[19] Le 30 janvier 2012, la travailleuse consulte à nouveau le docteur Geoffroy, qui pose un diagnostic d’entorse cervicale C5-C6 droite. Il s’interroge sur la présence d’une névrite cubitale droite versus une épicondylite droite. Il maintient les travaux légers pour la période du 30 janvier au 7 février 2012. Il prévoit revoir la travailleuse le 7 février 2012. Une fois de plus, le rapport médical de la travailleuse n’est pas rédigé sur le formulaire prévu par la CSST.
[20] Le 31 janvier 2012, la travailleuse remplit le formulaire Réclamation du travailleur et décrit l’événement de la façon suivante :
En soulevant des sacs de 25 Kg,pour aller les porter à divers endroits (essais internes, essais externes), je me suis fait mal au cou, côté droit. [sic]
[21] La travailleuse affirme qu’elle imprime le jour même un formulaire intitulé Complément d’information sur le site Internet de la CSST afin que le docteur Geoffroy puisse le remplir. Le docteur Geoffroy indique sur ce complément d’information que les diagnostics sont entorse cervicale, épicondylite droite et névrite cubitale droite. Il prévoit une période de consolidation supérieure à 60 jours et il signe le document le 16 janvier 2012. Par contre, la travailleuse déclare que le docteur Geoffroy a rempli ce document lors de la consultation du 7 février 2012.
[22] Le 7 février 2012, la travailleuse consulte une nouvelle fois le docteur Geoffroy, qui rédige le rapport médical conforme de la CSST. Il y retient les mêmes diagnostics et spécifie que la déclaration est tardive, mais qu’il est en attente d’une résonance magnétique et d’un électromyogramme. Il prescrit le médicament « Artrotec » et il ordonne un arrêt de travail rétroactif du 1er février 2012 au 1er mars 2012.
[23] La travailleuse déclare que durant les trois semaines de travaux légers précédant la consultation du 7 février 2012, sa condition ne s’améliore pas. Elle ajoute qu’elle a dû cesser de prendre les anti-inflammatoires qui lui avaient été prescrits, car ils lui donnaient des problèmes gastriques. Cependant, elle prend de l’« Acétaminophène », applique de la glace et prend parfois aussi de l’« Ibuprofène ».
[24] Le 9 février 2012, la travailleuse est évaluée par le docteur Jacques Paradis, médecin désigné de l’employeur, qui procède à une expertise médicale en conformité avec l’article 212 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[25] Le docteur Paradis fait un examen complet de la travailleuse et retient un diagnostic de cervicalgie.
[26] Par ailleurs, le docteur Paradis note qu’il n’y a pas eu de consultation médicale entre le 19 décembre 2011 et le 16 janvier 2012 et que par conséquent, il ne peut pas réellement y avoir de diagnostic précis de lésion professionnelle compte tenu de la consultation initiale tardive. À la suite de son examen, il est d’avis que la travailleuse présente une légère radiculite de nature personnelle, touchant le territoire de C7 et T1, qui est compatible avec une atteinte discale C6-C7 ou C7-T1. Il consolide la lésion le jour de son examen, mais il est d’avis qu’il y a encore nécessité de soins ou traitements puisque la radiculite de nature personnelle de la travailleuse s’est manifestée dans les jours précédant la consultation médicale du 16 janvier 2012. Selon le docteur Paradis, il n’y a pas lieu d’octroyer d’atteinte permanente ni de limitations fonctionnelles.
[27] Par la suite, la travailleuse assure un suivi avec le docteur Geoffroy, qui maintient les mêmes diagnostics. Les notes médicales de ce dernier révèlent que la condition de la travailleuse ne s’améliore pas.
[28] Le 29 février 2012, la travailleuse est examinée par le docteur Luc Fortin, physiatre, qui effectue un examen de la travailleuse et évalue également une étude électrodiagnostique et une étude électromyographique.
[29] En conclusion, le docteur Fortin est d’avis que les résultats sont dans les limites de la normale. Il est d’avis que la travailleuse ne présente aucune anomalie du point de vue électrophysiologique, qu’il n’y a pas de signe de radiculopathie d’origine cervicale, que le problème au niveau du coude droit apparaît plutôt relié à une épicondylopathie latérale droite et qu’elle doit maintenir le suivi avec son médecin traitant pour déterminer l’orientation thérapeutique.
[30] Le 5 avril 2012, le docteur Geoffroy maintient les mêmes diagnostics et les mêmes traitements et dirige la travailleuse en neurologie pour déterminer la possibilité d’une syringomyélie.
[31] Le 11 avril 2012, le docteur Geoffroy maintient toujours le même diagnostic et indique que les radiographies n’ont pas encore été lues et que les traitements sont retardés par la résonance magnétique, qui n’a pas encore été lue non plus.
[32] Le 17 avril 2012, la travailleuse est évaluée par le docteur José A. Rivas, à la demande de l’employeur, qui se prononce sur tous les éléments prévus à l’article 212 de la loi.
[33] Après un examen complet, le docteur Rivas conclut que la travailleuse présente une cervicalgie droite d’origine indéterminée et une épicondylite latérale droite qui est apparue dans la première semaine ou deuxième semaine de janvier 2012. Le docteur Rivas n’a pas relevé de radiculite ni de névrite. Il recommande des infiltrations de cortisone à l’épicondyle droit, mais il est d’avis qu’il faut attendre le résultat de la résonance magnétique cervicale avant de proposer un plan thérapeutique. Selon le docteur Rivas, l’épicondylite droite de la travailleuse n’est pas consolidée. Cependant, la cervicalgie est stabilisée, mais non consolidée puisque le diagnostic exige une étiologie plus précise. Le docteur Rivas est d’avis qu’il est trop tôt pour se prononcer sur les limitations fonctionnelles et l’atteinte permanente.
[34] Le 23 mai 2012, la travailleuse consulte la docteure Liliana Rosu, neurologue au Centre hospitalier Pierre-LeGardeur de Lachenaie. Celle-ci procède à un examen de la travailleuse et pose un diagnostic d’entorse cervicale. Elle prescrit du « Flexeril » et des traitements de physiothérapie. Elle s’interroge sur la possibilité d’une neurochirurgie et dirige la travailleuse vers le docteur Daniel Shedid, neurochirurgien à l’Hôpital Notre-Dame.
[35] Le 28 septembre 2012, le docteur Gilles Roger Tremblay procède à une expertise médicale de la travailleuse. À la suite de son examen, le docteur Tremblay conclut ce qui suit :
OPINION :
De toute évidence, cette patiente présente une cervicalgie avec irradiation brachiale dans le dermatome C7-D1. Elle présente aussi une hypoesthésie dans le dermatome C7-D1.
L’investigation neurologique est normale, mais l’investigation radiologique a démontré la possibilité d’une myélomalacie ou petite syringomyélie au niveau de C7, ce qui peut occasionner une atteinte radiculaire C7-D1, surtout sensitive.
Considérant que cette patiente n’avait jamais fait d’efforts importants dans le travail antérieur;
Cependant qu’elle a fait des activités inhabituelles dans son nouveau travail de technicienne dans une compagnie de béton;
Considérant l’explication crédible du retard de réclamation afin de ne pas perdre son emploi;
Considérant l’examen clinique que nous avons aujourd’hui;
Nous croyons que l’événement tel que décrit par madame Ducharme, est responsable d’une aggravation d’une pathologie préexistante qui avait été asymptomatique, soit l’aggravation d’une pathologie médullaire cervicale. L’événement tel que décrit est aussi susceptible d’engendrer une épicondylite traumatique, telle que la patiente présente à l’heure actuelle.
À notre avis, il y a relation entre l’événement en question et l’état actuel de madame Ducharme et cette relation s’explique par une aggravation d’une condition pathologique préexistante et l’apparition de novo d’une épicondylite traumatique.
Les conditions ne sont pas consolidées et cette patiente a besoin, de façon urgente, d’un traitement approprié, soit de la physiothérapie et du reconditionnement musculaire pour le problème cervical, possiblement accompagnés de blocs facettaires cervicaux C7-D1 droits, de même que des infiltrations cortisonées au niveau de l’épicondyle, accompagnées de physiothérapie par ultrasons et étirements passifs des épicondyliens.
Elle devra être réévaluée une fois les traitements terminés afin de déterminer exactement l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles.
[36] Le 2 octobre 2012, la travailleuse est évaluée par le docteur Shedid, qui procède à une évaluation complète de la condition de la travailleuse. Dans ses conclusions, le docteur Shedid écrit qu’il est d’avis que la travailleuse présente un syrinx asymptomatique et une entorse cervicale. Le docteur Shedid propose de faire un examen de contrôle dans un mois. Il suggère des traitements d’ergothérapie et conseille aussi à la travailleuse de cesser de fumer.
L’AVIS DES MEMBRES
[37] La membre issue des associations syndicales et le membre issu des associations d’employeurs sont d’avis d’accueillir la requête de la travailleuse et d’infirmer la décision de la CSST. Selon eux, les critères de l’article 28 de la loi sont satisfaits. L’événement est clairement survenu au travail alors que la travailleuse était à son travail et l’entorse cervicale et l’épicondylite droite de la travailleuse sont effectivement des blessures au sens de la loi.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[38] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 19 décembre 2011. Les notions de lésion professionnelle et d’accident du travail sont définies à l’article 2 de la loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[39] Afin de faciliter la preuve de l’existence d’une lésion professionnelle, le législateur a prévu une présomption de lésion professionnelle à l’article 28 de la loi qui se lit comme suit :
28. Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 28.
[40] La travailleuse ne prétend pas que sa lésion professionnelle constitue une maladie professionnelle et la preuve présentée ne permet pas de conclure en ce sens.
[41] Afin de bénéficier de la présomption de lésion professionnelle, la travailleuse doit démontrer de façon prépondérante les trois conditions nécessaires à l’application de l’article 28 de la loi, soit l’existence d’une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors qu’elle est à son travail. Le tribunal est lié par les diagnostics d’entorse cervicale et d’épicondylite droite aux fins de rendre la présente décision. En l’absence de contestation, ces diagnostics sont posés par le médecin de la travailleuse et lient les parties conformément aux dispositions de l’article 224 de la loi.
[42] Le tribunal est d’avis que l’entorse cervicale et l’épicondylite droite subies par la travailleuse constituent des blessures au sens de la loi. En effet, la preuve révèle que le 19 décembre 2011, au moment où elle soulève un sac pesant environ 25 kilogrammes et contenant des agrégats, la travailleuse ressent une vive douleur au cou du côté droit qui irradie jusqu’à son auriculaire et son annulaire droits. Un diagnostic d’entorse a longtemps été reconnu[2] par la Commission des lésions professionnelles comme étant un diagnostic de blessure et le tribunal partage cet avis en l’espèce.
[43] Concernant le diagnostic d’épicondylite du coude droit, dans une décision rendue par une formation de trois juges administratifs[3], la Commission des lésions professionnelles s’est prononcée sur l’application de la présomption prévue à l’article 28 de la loi à l’égard des blessures de nature mixte :
[133] S’ajoute à ces difficultés d’interprétation, le fait que certains diagnostics que l’on pourrait qualifier de mixtes56, peuvent être considérés soit comme une blessure soit comme une maladie, tels, entre autres, les diagnostics de tendinite57, d’épicondylite, de bursite, de hernie discale, de hernie inguinale, etc., selon les circonstances d’apparition décrites.
[134] À l’étape de l’application de la présomption, dans le cas de ces pathologies de nature de mixte, dont il sera question ultérieurement, il y a lieu d’insister sur le fait qu’un travailleur n’a pas à démontrer l’existence d’un événement traumatique aux fins de prouver qu’il a subi une blessure. Il n’a qu’à démontrer, par une preuve prépondérante, que sa blessure « de nature mixte » est apparue à un moment précis58 dans le temps plutôt que sur une période plus ou moins longue, de manière subite et non de façon progressive et insidieuse, comme ce que l’on retrouve habituellement dans le cas d’une maladie.
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56 Le tribunal constate que la jurisprudence utilise les termes « lésion hybride », alors que l’expression à privilégier serait plutôt « lésion mixte ».
57 Côté et Interballast inc., [2000] C.L.P. 1125 , paragr. [16]; Cogerco et Racine, [2004] C.L.P. 1539 .
58 Sur les lieux du travail alors qu’il était à son travail.
[44] La preuve révèle que la travailleuse a effectué plusieurs mouvements en soulevant des charges de 25 kilogrammes à plusieurs reprises. De plus, le tribunal estime que le témoignage de la travailleuse quant au moment de la survenance de la blessure est sincère et crédible. À cet effet, le tribunal est d’avis que la preuve démontre que l’épicondylite du coude droit subie par la travailleuse constitue bel et bien une blessure au sens de la loi. Par conséquent, le premier critère prévu à l’article 28 de la loi est donc satisfait.
[45] Il reste à déterminer si la blessure est survenue sur les lieux du travail alors que la travailleuse était à son travail.
[46] La preuve révèle que le 19 décembre 2011, la travailleuse ressent une vive douleur en soulevant un sac contenant des agrégats pour le mettre à l’arrière d’une camionnette. De plus, la travailleuse affirme avoir déclaré l’événement le lendemain matin à son supérieur immédiat puisque ce dernier n’était pas au travail le jour de l’événement. Elle indique que ce dernier l’aurait informée qu’il devait remplir un rapport d’accident. Toutefois, la preuve révèle que dans les jours qui ont suivi, la travailleuse n’est pas rentrée au travail puisqu’elle et sa fille étaient malades.
[47] Par la suite, l’employeur a cessé ses opérations pour la période des Fêtes. De plus, le retour au travail de la travailleuse a été retardé puisqu’elle prenait une semaine de vacances. Elle est donc retournée au travail le 9 janvier 2012. Elle affirme qu’elle avait alors de la difficulté à effectuer certains mouvements et que son supérieur immédiat a dû l’aider dans son travail. Ce n’est que le lundi suivant, le 16 janvier 2011, que la travailleuse a consulté son médecin traitant, qui a émis les diagnostics retenus par le tribunal.
[48] Le tribunal accorde pleine crédibilité au témoignage de la travailleuse, qu’il estime clair, convaincant et confirmé par le dossier de la CSST et les pièces produites à l’audience. Le tribunal est donc d’avis que les trois éléments de l’article 28 de la loi ont été démontrés et que la travailleuse bénéficie de la présomption de lésion professionnelle prévue à cet article puisque les diagnostics d’entorse cervicale et d’épicondylite du coude droit constituent des blessures, qui sont survenues alors que la travailleuse était à son travail et effectuait son travail.
[49] Le tribunal doit par ailleurs déterminer si l’employeur a présenté une preuve permettant de renverser la présomption. La preuve ne doit pas seulement mettre en doute la survenance de l’événement, mais plutôt démontrer l’absence de lien de causalité entre la lésion de la travailleuse et l’événement tel que rapporté. Dans l’affaire Boies[4], le tribunal a délimité les critères à évaluer afin de renverser la présomption :
[234] Sans restreindre la portée générale de ce qui précède, le tribunal retient les principes suivants :
- La présomption de lésion professionnelle prévue à l’article 28 de la loi constitue une présomption légale.
- Cette présomption est simple et peut donc être renversée.
- Les motifs invoqués pour renverser la présomption doivent être interprétés de manière à en respecter le caractère réfragable.
[235] Les motifs permettant de renverser la présomption :
- L’absence de relation causale entre la blessure et les circonstances d’apparition de celle-ci. Par exemple, la condition personnelle peut être soulevée à cette étape; dans ce cas la preuve relative à l’apparition d’une lésion reliée à l’évolution naturelle d’une condition personnelle préexistante pourra être appréciée par le tribunal;
- La preuve prépondérante que la blessure n’est pas survenue par le fait ou à l’occasion du travail ou provient d’une cause non reliée au travail.
[236] Les motifs ne permettant pas de renverser la présomption :
- L’absence d’événement imprévu et soudain;
- L’existence d’une condition personnelle en soi ne fait pas nécessairement obstacle à la reconnaissance d’une lésion professionnelle en raison de la théorie du crâne fragile.
- Le seul fait que les gestes posés au travail étaient habituels, normaux, réguliers.
[50] À cet effet, l’employeur, à l’audience, a choisi de ne pas présenter de preuve afin de renverser la présomption applicable en faveur de la travailleuse. Par conséquent, le tribunal arrive à la conclusion que la travailleuse bénéficie de la présomption de lésion professionnelle prévue à l’article 28 de la loi, qui n’a pas été renversée. La travailleuse a donc subi une lésion professionnelle et a donc droit aux prestations prévues par la loi.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de madame Andrée-Anne Ducharme, la travailleuse;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 7 mars 2012 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 19 décembre 2011 et qu’elle a droit aux indemnités prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Marco Romani |
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Me André Laporte |
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Laporte Lavallée |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Paul Dupéré |
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Dufresne Hébert Comeau |
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Représentant de la partie intéressée |
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