Lainco inc. c. Construction Gamarco inc. |
2016 QCCS 5124 |
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JF0937 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
LAVAL |
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N° : |
540-17-011863-163 |
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DATE : |
26 OCTOBRE 2016 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
LUCIE FOURNIER, J.C.S. |
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LAINCO INC. |
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Demanderesse |
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c.
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CONSTRUCTION GAMARCO INC. et LA GARANTIE COMPAGNIE D’ASSURANCE DE L’AMÉRIQUE DU NORD |
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Défenderesses |
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CONSTRUCTION GAMARCO INC. |
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Défenderesse/Demanderesse en garantie |
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c.
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VILLE DE MONTRÉAL |
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Défenderesse en garantie |
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JUGEMENT |
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[1] La Ville de Montréal (« la Ville ») demande le rejet de l’action en garantie intentée contre elle par Construction Gamarco inc. (« Gamarco »), l’entrepreneur général chargé des travaux relatifs à l’agrandissement et au réaménagement d’une bibliothèque sur son territoire.
[2] Dans cette action en garantie, Gamarco demande que la Ville soit condamnée à l’indemniser de toute somme qu’elle pourrait être appelée à payer relativement à la retenue contractuelle et aux conditions de chantier, c’est-à-dire une portion de ce que lui réclame Lainco inc. (« Lainco »), son sous-traitant dans la demande principale.
[3] La Ville soutient qu’en l’absence de toute allégation d’obligation de garantie ou de faute de sa part, l’action en garantie doit être rejetée, car mal fondée en droit même en prenant pour avérées ses allégations et les pièces à leur appui qui sont insuffisantes pour justifier les conclusions recherchées. Elle ajoute que l’interrogatoire du représentant de Gamarco et le contrat conclu avec elle démontre, à sa face même, que l’action en garantie est abusive, car manifestement mal fondée, sans chance de succès, en plus de constituer un détournement des obligations contractées par Gamarco dans le contrat les liant.
[4]
Pour les motifs qui suivent, le Tribunal est d’avis que l’action en
garantie doit être rejetée tant en vertu de l’article 168 paragraphe 3 qu’en
vertu des dispositions des articles
[5] En septembre 2015, Lainco intente contre Gamarco la demande principale où elle réclame 177 046,99 $ dans le cadre d’un contrat de sous-traitance pour des travaux de structure[1]. Lainco allègue avoir effectué tous les travaux requis par son contrat et qu’elle est toujours impayée[2] :
5. La demanderesse a rendu tous les services et effectué tous les travaux requis par la défenderesse, lesquels n’ont pas été entièrement payés par la défenderesse et pour lesquels une somme de 177 046,99 $, demeure due et impayée, à titre de travaux contractuels, travaux supplémentaires et retenues, le tout tel qu’il appert d’un état de compte et des factures, pièce P-5, en liasse communiqués à la défenderesse lors de la signification des présentes;
[6] Le 1er avril 2016, Gamarco signifie une action en garantie contre la Ville où elle allègue :
Ø être poursuivie par Lainco dans une action sur compte[3];
Ø être en droit de requérir que la Ville l’indemnise de toute condamnation pouvant être prononcée contre elle[4];
Ø s’être fait octroyer un contrat pour la fourniture et l’installation d’une bibliothèque à la suite d’un appel d’offres public par la Ville[5];
Ø avoir signé un contrat de sous-traitance avec Lainco[6];
Ø que si Lainco a subi des dommages pour les conditions de chantier, la Ville est responsable, puisque c’est elle qui a fourni à Lainco les plans et devis pour le dépôt de sa soumission[7];
Ø que la retenue contractuelle payable à Lainco ne sera exigible que lorsqu’elle aura elle-même été payée par la Ville, ce qui n’a pas encore été fait[8];
Ø qu’elle est « en droit de retenir tout paiement pouvant être dû à la demanderesse principale, considérant le défaut de la défenderesse en garantie de respecter ses obligations contractuelles envers la demanderesse en garantie »[9].
[7] Gamarco produit ensuite une défense et demande reconventionnelle à l’action principale où, en plus d’alléguer qu’elle est bien fondée de refuser de payer quelque somme que ce soit à Lainco, elle mentionne :
Ø que le contrat de sous-traitance conclu avec Lainco n’a pas été respecté par cette dernière, qui n’a pas fourni ses lettres de conformité de la CSST et de la CCQ, non plus que le cautionnement d’exécution et que les travaux n’ont pas été effectués selon les règles de l’art;
Ø avoir subi des dommages pour effectuer ou corriger des travaux auxquels Lainco s’était engagée;
Ø qu’elle ne peut être tenue responsable des conditions de chantier, car elle n’a pas été impliquée dans le processus d’octroi du contrat à Lainco;
Ø que le solde contractuel n’est pas exigible vu l’inexécution du contrat et qu’il ne le sera que lorsqu’elle aura été elle-même payée par la Ville;
Ø et par demande reconventionnelle, elle réclame 31 602,33 $ représentant les frais engagés pour corriger ou exécuter les travaux auxquels Lainco s’était obligée.
[8] Le 3 juin 2016, la Ville signifie sa demande en irrecevabilité et en rejet de l’action en garantie dont le Tribunal est saisi.
[9] Le 13 juin 2016, Gamarco modifie la demande en garantie pour mentionner que Lainco lui a transmis un avis de réclamation de coûts additionnels occasionnés par les conditions de chantier et qu’elle a immédiatement transmis cet avis à la Ville. Elle ajoute :
6c. Conséquemment, la demanderesse tente de réclamer des prétendus dommages pour des conditions générales de chantier, lesquelles dommages sont indirects, non-fondés et/ou grossièrement exagères et visent à obtenir le remboursement de travaux qui ne sont pas conséquents à une faute qu’aurait prétendument commise par la défenderesse, que ce soit lorsque la demanderesse à soumissionné pour le Projet auprès de la Ville de Montréal.
(transcrit tel quel)
[10] Elle réduit la conclusion de sa demande en garantie pour demander d’être indemnisée par la Ville des dommages reliés aux conditions de chantier seulement.
[11] Le 13 juillet 2016, des interrogatoires hors cour ont lieu.
[12] Le 30 septembre 2016, pour la seconde fois, Gamarco modifie l’action en garantie contre la Ville pour alléguer que des extraits de l’interrogatoire de la représentante de Lainco tenu le 13 juillet 2016 démontrent que cette dernière a soumissionné selon les plans fournis par la Ville et que les conditions de chantier se sont avérées différentes de ce qui apparaissait aux plans. Gamarco modifie ses conclusions pour demander que la Ville l’indemnise aussi de toute condamnation éventuelle en faveur de Lainco concernant la retenue contractuelle.
[13]
Lorsque l’irrecevabilité de la demande en vertu de l’article 168
paragraphe 3 et son rejet en vertu des articles
[14]
Les principes à retenir dans le cadre de l’analyse de l’irrecevabilité
fondée sur l’article
Ø les allégations de la procédure visée doivent être tenues pour avérées ce qui comprend les pièces déposées à leur soutien;
Ø seuls les faits allégués doivent être tenus pour avérés et non pas la qualification qu’en font leurs auteurs;
Ø le Tribunal n’a pas à décider des chances de succès du demandeur ni du bien-fondé des faits allégués. Seul le juge du fond pourra décider si les allégations de faits ont été prouvées après avoir entendu la preuve et les plaidoiries;
Ø le Tribunal doit déclarer l’action recevable si les allégations de la procédure visée sont susceptibles de donner éventuellement ouverture aux conclusions recherchées;
Ø la requête en irrecevabilité n’a pas pour but de décider avant procès des prétentions légales des parties. Son seul but est de juger si les conditions de la procédure sont solidaires des faits allégués, ce qui nécessite un examen explicite, mais également implicite du droit invoqué;
Ø on ne peut rejeter une requête en irrecevabilité sous prétexte qu’elle soulève des questions complexes;
Ø en matière d’irrecevabilité, un principe de prudence s’impose. Dans l’incertitude, il faut éviter de mettre fin prématurément à un procès;
Ø en cas de doute, il faut laisser à la partie visée la chance d’être entendue sur le fond.
[15] En l’espèce, la Ville soutient que Gamarco ne démontre pas, par ses allégations et ses pièces, l’existence d’une obligation de garantie de la Ville de l’indemniser des réclamations de ses sous-traitants. Elle plaide qu’elle n’est pas partie au contrat intervenu entre Gamarco et Lainco et qu’elle n’est pas tenue aux obligations souscrites par Gamarco envers Lainco.
[16]
Le recours en garantie qu’exerce la Ville est prévu à l’article
[17] La demande en garantie de Gamarco mentionne l’octroi du contrat d’entreprise que lui a fait la Ville, mais Gamarco ne produit pas ce contrat. Toutefois, en tenant les faits pour avérés, ce lien contractuel avec la Ville est établi.
[18] Par ses conclusions, Gamarco demande que la Ville l’indemnise de toute condamnation en faveur de Lainco dans la demande principale pour les conditions de chantier et pour la retenue contractuelle. La Ville soutient que l’action en garantie est irrecevable pour ces deux réclamations.
[19] Même avérées, les allégations de l’action en garantie de Gamarco, ne mentionnent aucune obligation de garantie. Gamarco laisse entendre que, du seul fait que son sous-traitant, Lainco, lui fasse une réclamation concernant les conditions de chantier, la Ville est tenue de l’indemniser, puisqu’elle a fourni à Lainco les plans et devis au moment de la soumission de cette dernière et est donc responsable.
[20] Gamarco produit des documents reçus de Lainco à l’appui de sa réclamation[11]. On y constate que Lainco se plaint que l’état du terrain sur le chantier à son arrivée ne correspond pas à ce qui avait été constaté lors de la soumission. Elle a dû ainsi avoir recours à un équipement plus coûteux et l’exécution du contrat s’est avérée plus onéreuse.
[21] Ainsi, les pièces produites par Gamarco à l’appui de son action en garantie comprennent des photographies transmises par Lainco pour justifier sa réclamation. Lainco y mentionne que l’accès au périmètre, où ses travaux étaient prévus, s’est avéré impraticable en raison de talus et du manque d’espace pour circuler. Lainco écrit aussi que Gamarco n’a pas donné suite à sa demande de lui dégager un accès.
[22] La documentation jointe à l’action en garantie provenant de Lainco et les allégations de la demande introductive d’instance en garantie modifiée n’établissent pas de lien entre la Ville et Lainco, ni que la première soit partie au contrat ou liée par les obligations de Gamarco envers Lainco.
[23] La demande en garantie ne comprend pas non plus d’allégation d’une faute contractuelle de la Ville, non plus qu’aucune faute extracontractuelle.
[24] Gamarco ne soutient pas davantage que la Ville devrait être tenue solidairement responsable avec elle de ses obligations envers Lainco. Elle n’allègue pas non plus d’obligation légale à laquelle la Ville aurait failli.
[25] Ainsi, les éléments requis pour une action en garantie sont inexistants de même que ceux pour une action récursoire.
[26] Gamarco plaide que lors du procès, le tribunal aura à décider de qui était responsable du chantier et de l’omission de la Ville de renseigner Lainco. Elle suggère que la Ville a pu fournir des plans erronés.
[27] Or, il ne s’agit que d’hypothèses que les procédures ne reflètent pas, ni même de façon indirecte ou éloignée. En l’espèce, même en prenant pour avérés tous les faits allégués et en tenant compte des pièces produites, cela n’apparaît pas suffisant ni susceptible de fonder les conclusions de Gamarco dans son action en garantie.
[28] Le simple fait d’alléguer que la Ville serait responsable des conditions de chantier ne peut être retenue comme une ouverture à une action en garantie, alors qu’aucun fait n’appuie cette conclusion de droit ni permet de la justifier. Le Tribunal n’est pas lié par la qualification que les parties peuvent donner aux faits allégués, par ailleurs absents dans la procédure attaquée.
[29] Gamarco demande à ce que la Ville l’indemnise pour toute condamnation concernant la retenue contractuelle que lui réclame Lainco. Elle fait valoir que le contrat de sous-traitance prévoit[12] :
La retenue contractuelle sera payée 35 (trente cinq) jours après réception du paiement de la retenue de l’entrepreneur générale.
(transcrit tel quel)
[30] Dans sa demande en garantie, Gamarco allègue n’avoir pas été payée par la Ville pour les travaux qu’elle a effectués, sans plus.
[31] Bien que cela puisse constituer un moyen de défense à l’action principale, cela est insuffisant pour conclure que la Ville doit indemniser Gamarco de la retenue contractuelle payable à Lainco.
[32] Malgré ses deux modifications, la demande en garantie est irrecevable et doit être rejetée.
[33] La Ville soutient que l’interrogatoire du représentant de Gamarco et le contrat d’entreprise conclu avec cette dernière démontrent encore davantage l’absence d’obligation de garantie ou de responsabilité de la Ville à l’égard des obligations de Gamarco envers Lainco et que l’action en garantie est abusive et ne respecte pas les fins de la justice.
[34]
Pour avoir gain de cause sur une telle demande, fondée sur les articles
[35]
Tout comme pour l’irrecevabilité, la demande en rejet fondée sur les
articles
[36] L’interrogatoire du représentant de Gamarco, qui est l’interlocuteur de Lainco et de la Ville pour l’exécution de ces contrats, démontre encore davantage le caractère mal fondé du recours en garantie tel qu’entrepris.
[37] Ainsi, en ce qui concerne la réclamation de Lainco pour des conditions de chantier, non seulement M. Arduini ne fait état d’aucune faute de la Ville à cet égard dans son interrogatoire, mais il témoigne qu’à la réception de la réclamation de Lainco, il l’a transmise à la Ville, sans plus.
[38] Quant à la retenue contractuelle, il témoigne que Gamarco devrait être payée vers le 26 août 2016, lors de l’acceptation finale et que se sont les déficiences en cours de correction qui en ont retardé le paiement. L’interrogatoire ne révèle pas que la Ville serait fautive dans le paiement de cette retenue contractuelle ce que d’ailleurs, Gamarco, n’allègue pas.
[39] Il y a aussi lieu de rappeler que Lainco allègue le contrat la liant à la Ville, sans le produire. Ce contrat est produit par la Ville dans le cadre de la demande en rejet[13]. Il ne contient aucune clause obligeant la Ville à tenir Gamarco indemne de toute réclamation de ses sous-traitants, ou encore de Lainco pour les travaux qui concernent cette dernière. Au contraire, on y retrouve les clauses suivantes[14] :
2.3.4 Dommages
2.3.4.1 À compter de la réception de la directive du Directeur de débuter les travaux couverts par le contrat, l’entrepreneur est seul responsable des dommages envers la Ville et les tiers jusqu’à la réception définitive des travaux.
2.3.4.2. Il doit prendre fait et cause pour la Ville dans toute procédure découlant directement ou indirectement de l’exécution du contrat et la tenir indemne de toute réclamation de quelque nature que ce soit et de tout jugement final rendu contre elle et acquitter tour règlement intervenu, en capital, intérêts, frais et autres accessoires s’y rattachant.
(nos soulignements)
[40] L’action en garantie de Gamarco vise à obtenir l’exécution d’une obligation qui apparaît contraire au contrat entre les parties.
[41] Comme le souligne la Cour d’appel, les fins de la justice ne permettent pas à une partie d’intenter un recours sans fondement avec pour seule justification qu’éventuellement elle pourrait avoir gain de cause[15] :
[277] L’assignation en justice ne peut résulter d’un exercice aléatoire visant à joindre plusieurs défendeurs dans l’espoir de découvrir, lors du procès, un motif qui permettrait d’atteindre l’un d’eux. L’intervention forcée d’un tiers est un acte tout aussi grave et ne peut être motivée par la crainte de devoir un jour supporter seul les conséquences d’un jugement défavorable.
[42] Gamarco ne se décharge pas de son fardeau d’établir que sa demande se justifie en droit alors que la Ville établit son caractère mal fondé et l’absence de ses chances de succès.
[43]
Ainsi, tant en vertu de l’article 168 paragraphe 3 qu’en vertu des
articles
[44] REJETTE la demande introductive d’instance en garantie modifiée de Construction Gamarco inc. datée du 30 septembre 2016;
[45] AVEC les frais de justice.
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__________________________________ LUCIE FOURNIER, J.C.S. |
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Me Marie-Dominique Fraser |
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MORENCY |
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Pour Lainco inc. |
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Me Alessandra Leuci |
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ZARRINI AVOCATS |
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Pour Construction Gamarco inc. |
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Me Christine Lebrun |
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DAGENAIS GAGNIER BIRON |
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Pour la Ville de Montréal |
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Date d’audience : |
18 octobre 2016 |
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[1] L’action principale vise aussi la Garantie Compagnie d’assurance de l’Amérique du Nord qui cautionne les obligations de Gamarco.
[2] Pièce PG-1.
[3] Demande introductive d’instance en garantie datée du 1er avril 2016, paragr. 1.
[4] Id., paragr. 3.
[5] Id., paragr. 4.
[6] Id., paragr. 5 et pièce PG-3.
[7] Id., paragr 6.
[8] Id., paragr. 7 et 8.
[9] Id., paragr. 9.
[10]
Bohémier c. Barreau du Québec,
[11] Pièce PG-3A.
[12] Pièce PG-3.
[13] Pièce DG-1.
[14] Id.
[15]
Hôpital Maisonneuve-Rosemont c. Buesco construction inc.,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.