Décision

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CDPDJ (Baldassarre) c. 9209-9829 Québec inc. et al (8.1000)

Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Baldassarre) c. 9209-9829 Québec inc.

2015 QCTDP 1

 

JH 5371

 
TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

 

 

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

 

 

 

 

N° :

500-53-000379-121

 

 

 

 

 

DATE :

20 janvier 2015

 

 

 

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

SCOTT HUGHES

 

 

AVEC L'ASSISTANCE DES ASSESSEURS :    

 

Me Claudine Ouellet

Me Luc Huppé

 

 

 

 

 

COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE, en faveur de PINA GIUSEPPINA BALDASSARRE

 

            Partie demanderesse

 

c.

 

9209-9829 QUÉBEC INC.

 

et

 

de gaulle HELOU

 

            Parties défenderesses

 

et

 

PINA GIUSEPPINA BALDASSARRE

 

Partie victime

 

 

 

 

JUGEMENT

 

 

 

[1]         Le Tribunal des droits de la personne (ci-après « le Tribunal ») est saisi d’une demande introductive d’instance dans laquelle la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (ci-après « la Commission ») allègue que les défendeurs, monsieur De Gaulle Helou[1] et 9209-9829 Québec inc., ont porté atteinte aux droits de madame Pina Giuseppina Baldassarre à des conditions de travail exemptes de discrimination et de harcèlement, sans distinction ou exclusion fondée sur l’origine ethnique ou nationale, en tenant des propos discriminatoires à son égard et en la congédiant de son poste de vendeuse, contrairement aux articles 10, 10.1, et 16 de la Charte des droits et libertés de la personne[2] (ci-après « la Charte »).

[2]         De plus, la Commission allègue que les défendeurs ont compromis le droit de la victime à la reconnaissance et à l’exercice en pleine égalité de son droit au respect de la dignité, contrairement aux dispositions des articles 4 et 10 de la Charte.

[3]         Par sa demande introductive d’instance, la Commission demande au Tribcunal :

D’ACCUEILLIR la présente demande;

DE CONSTATER que les défendeurs 9209-9829 Québec Inc. et De Gaulle Helou ont porté atteinte au droit de madame Pina Giuseppina Baldassarre à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans discrimination ou harcèlement fondé sur l’origine ethnique ou nationale, en tenant des paroles discriminatoires à son égard et en la congédiant de son poste de vendeuse, le tout contrairement aux articles 4, 10, 10.1, et 16 de la Charte;

DE CONDAMNER solidairement les défendeurs 9209-9829 Québec Inc. et De Gaulle Helou à verser à madame Pina Giuseppina Baldassarre une somme totale de vingt et un mille dollars (21 000 $), répartie comme suit :

une somme de quinze mille dollars (15 000 $) à titre de dommages moraux;

une somme de six mille dollars (6 000 $) à titre de dommages-intérêts punitifs;

LE TOUT avec les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle conformément à l'article 1619 C.c.Q. à compter de la signification de la proposition de mesures de redressement pour les dommages moraux et depuis la date du jugement pour les dommages punitifs, et les entiers dépens incluant, le cas échéant, les frais d'experts, tant pour la préparation de leur rapport que leur présence à la Cour.

I.   LA PREUVE

A. La preuve en demande

1. Le témoignage de madame Pina Giuseppina Baldassarre

[4]         La plaignante est une femme née au Québec d’origine italienne. Au moment des faits, d’août 2009 à avril 2010, elle travaille à titre de vendeuse à la boulangerie de la   défenderesse. Monsieur De Gaulle Helou admet[3] qu’il est l’administrateur de cette personne morale et « propriétaire de la boulangerie ».

[5]         Madame Baldassarre a déjà travaillé pour monsieur Helou dans le passé, soit d’août 2007 à juin 2008 au moment où il opérait une franchise sous une autre bannière.

[6]         Lors de cette première période d’emploi, les conditions de travail de madame Baldassarre sont changeantes, les heures de travail supplémentaires s’additionnent sans toutefois être payées. Il lui était souvent demandé d’entrer au travail hors des heures prévues et les fins de semaine, pour dépanner.

[7]         Le 17 juin 2008, madame Baldassarre envoie une lettre à son employeur afin de faire modifier ses conditions de travail. Monsieur Helou lui répond le 19 juin 2008, par une lettre de congédiement[4] au motif, notamment, d’insubordination.

[8]         Madame Baldassarre explique aussi que pendant sa première période d’emploi, monsieur Helou faisait des remarques fréquentes sur les Italiens. Elle ne se sent pas directement concernée parce que monsieur Helou entretient des liens d’affaires avec un partenaire d’origine italienne, soit, le principal représentant du franchiseur de son commerce.

[9]         En 2009, monsieur Helou rappelle madame Baldassarre pour travailler à nouveau pour son entreprise, il a besoin de quelqu’un d’expérience pour remonter ses affaires. Il n’est plus franchisé et fait affaire sous un autre nom[5]. Madame Baldassarre accepte l’offre d’emploi et veut ainsi tourner la page sur l’épisode précédent. Elle précise toutefois que le lien de confiance est brisé. Il faut souligner qu’à cette époque elle n’a pas d’autre travail.  

[10]        Madame Baldassarre s’implique avec énergie dans l’entreprise. D’août 2009 à avril 2010, elle travaille à titre de commis à la vente, mais effectue également l’ouverture du commerce le matin, la mise en place de la journée, le ménage et le service aux tables. À la fin de sa journée, elle fait sa caisse et parfois la fermeture. Madame Baldassarre fait également des soupes du midi à partir de chez elle, ainsi que la formation du personnel. Il y a un fort roulement de personnel à la boulangerie, au point qu’il y a du nouveau personnel chaque semaine.

[11]        Vers octobre 2009, à la suite d’un conflit entre monsieur Helou et le franchiseur de son ancienne pâtisserie, celui-ci tient des propos vulgaires sur les Italiens en général les associant à la mafia. De jour en jour, les propos deviennent plus personnalisés et choquants au point où madame Baldassarre en parle avec le bras droit de monsieur Helou dans l’entreprise, monsieur Hassane Nahi. Celui-ci agit alors comme médiateur entre employeur et employée afin de faire tempérer les propos.

[12]        En mars 2010, et ce, devant un client, monsieur Helou décrit madame Baldassarre comme n’étant pas une vraie Italienne, car : « elle n’a pas de gros tétons, mais a un gros cul ».

[13]        Du 8 au 15 mars 2010, monsieur Nahi est en France et c’est durant cette période que les propos désobligeants envers les Italiens deviennent plus personnels. Madame Baldassarre se sent directement concernée. Monsieur Helou commente son habillement et ses caractéristiques physiques liées à son origine italienne. 

[14]       Il y a également des problèmes avec l’administration, du retard dans l’émission des relevés d’impôt, le paiement des salaires ainsi que des heures de travail impayées. Les relations avec monsieur Helou deviennent de plus en plus tendues.

[15]        Le 2 avril 2010, le Vendredi saint vers minuit, après une longue journée occupée, alors que madame Baldassarre est sur la terrasse à placer les chaises, monsieur Helou lui dit : « niaiseuse d’Italienne, dépêche-toi ». Madame Baldassarre entre alors dans le magasin rejoindre monsieur Nahi pour lui faire part des propos de monsieur Helou, qu’elle n’en peut plus et elle quitte pour la journée.

[16]        Le 16 avril suivant, vers 7 heures, madame Baldassarre reçoit un appel téléphonique de monsieur Helou qui cherche urgemment monsieur Nahi. Ce dernier loge en effet chez elle à cette époque.

[17]        Vers 15 heures le même jour, madame Baldassarre apprend que monsieur Helou a été victime d’une agression tôt le matin au magasin. Il impute l’incident à la mafia italienne.

[18]        Le 18 avril, vers 18 heures, monsieur Helou convoque madame Baldassarre dans son bureau au sous-sol et il lui dit d’un ton agressif: «Pina, t’es virée, j’en ai assez des Italiens, des merdes d’Italiens t’es virée. Dehors !». Madame Baldassarre exige alors une confirmation écrite de son congédiement avant de quitter le travail. Ce dernier refuse et se lève brusquement en se dirigeant vers elle. Craignant pour sa sécurité, elle se dirige au rez-de-chaussée rejoindre les clients dans la boulangerie.

[19]        Dans l’attente que monsieur Helou lui donne l’avis écrit, madame Baldassarre sert les clients présents. Après un moment, monsieur Helou remonte de son bureau et répète à la plaignante qu’elle est virée et qu’elle doit partir. Madame Baldassarre réitère sa demande d’avis écrit, affirmant qu’elle va attendre de le recevoir. Monsieur Helou appelle donc la police pour faire sortir madame Baldassarre du magasin.

[20]        À l’arrivée des policiers, madame Baldassarre explique ce qui vient de se passer et demande un avis de congédiement écrit. Les policiers la réfèrent à la Commission des normes du travail et lui disent de quitter les lieux pour sa sécurité. Elle prend alors ses effets personnels, laisse la clé sur le comptoir et quitte le magasin.

[21]        Madame Baldassarre termine en expliquant comment elle s’est sentie blessée, qu’elle avait honte de tout ce qui s’est passé. Elle estime qu’elle ne mérite pas ce traitement après tout ce qu’elle a fait pour l’entreprise et pour monsieur Helou.

2. Le témoignage de monsieur Hassane Nahi

[22]            Monsieur Hassane Nahi connaît monsieur Helou depuis plusieurs années. Il qualifie leur relation d’hiérarchique au début puis d’amicale depuis 2004. Il poursuit en expliquant qu’il a fait des affaires avec monsieur Helou, car il a été prête-nom pour une des ses entreprises.

[23]            Monsieur Nahi rencontre madame Baldassarre au commerce de monsieur Helou alors qu’elle est gérante-vendeuse à la boulangerie. Sa relation avec elle est professionnelle, tout en étant cordiale. À une certaine époque, il loge même dans une chambre chez elle.

[24]           Selon monsieur Nahi, madame Baldassarre effectue son travail avec professionnalisme. Elle est engagée dans son travail et sa relation avec les clients est également professionnelle.

[25]           Le témoin confirme que monsieur Helou fait des remarques sur les Italiens, mais que ses commentaires deviennent plus explicites après la mésaventure avec l’ancien franchiseur. Le témoin cite le fait que monsieur Helou perçoit les Italiens comme des voleurs qui lui veulent du mal. Bien que monsieur Nahi ne se souvienne pas des termes exacts, il se souvient que monsieur Helou avait des propos qu’il qualifie de déplacés, soit des remarques sur le physique de madame Baldassarre, sur son origine ethnique et qu’elle soit «niaiseuse». Il se souvient aussi du soir du 18 avril, où la plaignante entre chez elle et lui raconte ce qui s’est passé au magasin. Le témoin corrobore l’essentiel du témoignage de madame Baldassarre à cet égard.

[26]           Monsieur Nahi explique qu’après le congédiement du 18 avril, il se rend le lendemain voir monsieur Helou pour tenter de corriger la situation. En guise de réponse, monsieur Helou lui explique que puisque madame Baldassarre est d’origine italienne, elle est complice avec ses agresseurs et que son congédiement est une bonne chose.

[27]           Monsieur Nahi explique, à son avis, le fait que monsieur Helou éprouve du ressentiment envers les Italiens par sa mauvaise expérience d’affaires passée, puis par l’agression physique subie, attribuée, par monsieur Helou à des personnes d’origine italienne. Il précise aussi qu’il n’est pas dans la nature de monsieur Helou d’avoir une attitude raciste, puisqu’il est lui-même d’origine libanaise. Il explique ce changement par le traumatisme subi.

[28]           À la fin décembre 2012, monsieur Nahi revient au Québec en voyage d’agrément et trouve monsieur Helou à son commerce. À cette occasion, le témoin fait état d’une proposition de monsieur Helou pour qu’il retire la déposition qu’il a faite à la Commission, ce qu’il refuse.

            B. La preuve en défense

1. Le témoignage de madame Marie-Josée Lambert

[29]           Madame Lambert connait monsieur Helou depuis 2006 et est sa conjointe depuis 2009. Elle est la principale actionnaire de la compagnie 9209-9829 Québec inc.[6]. Elle connait madame Baldassarre depuis août 2009.

[30]           Le témoin explique qu’elle avait une bonne relation avec madame Baldassarre avant l’hiver 2009 et que la relation s’est détériorée par la suite à cause du changement de comportement de la plaignante. Elle affirme que madame Baldassarre n’est plus souriante avec les clients, bien que son attitude demeure la même avec elle. Madame Lambert fréquente la boulangerie une fois par semaine, les vendredis.

[31]           C’est en mars 2010 que madame Lambert voit madame Baldassarre pour la dernière fois.

2. Le témoignage de monsieur De Gaulle Helou

[32]           Monsieur Helou connait madame Baldassarre depuis 2007. Il la rencontre après avoir acquis une franchise d’une chaîne de pâtisseries. Le franchiseur lui recommande madame Baldassarre, car elle habite près du commerce.

[33]           Monsieur Helou explique que la lettre de congédiement[7] du 19 juin 2008 a été rédigée avec l’aide de la directrice chez son franchiseur en réponse à une lettre de plainte[8] qui avait été envoyée à ce dernier par madame Baldassarre. Selon Monsieur Helou, celle-ci se plaignait non pas de commentaires à caractère racial, mais plutôt de l’attitude de monsieur Helou qui ne respecterait pas l’image du franchiseur.

[34]           Monsieur Helou poursuit en faisant état des bonnes relations qu’il a eues avec ses employés de diverses origines à l’époque où il exploitait plusieurs entreprises en France. Il précise qu’il connait les limites à ne pas franchir avec ses employées et «que ce n’est pas les femmes autour de moi qui manquent pour aller toucher mes employées».

[35]           En juillet 2008, le franchiseur de monsieur Helou fait faillite. Le commerce continue toutefois ses opérations. Au printemps 2009, madame Baldassarre lui demande de revenir travailler à la boulangerie et s’excuse pour son comportement passé.

[36]           Monsieur Helou précise que madame Baldassarre l’aide beaucoup, que tout va très bien sauf pour des problèmes qu’elle éprouvait avec la caisse. Il ne lui a jamais réclamé d’argent pour couvrir les erreurs de caisse préférant lui dire de faire attention. C’est sa seule employée et il ne veut pas qu’elle quitte son emploi.

[37]           En février 2010, madame Baldassarre réclame le paiement d’heures supplémentaires et monsieur Helou en réfère à son comptable. En mars 2010, la plaignante demande à monsieur Helou de la mettre au chômage, car elle veut partir en vacances pendant deux mois. Il refuse au motif que c’est sa seule employée et qu’il n’a pas de motifs pour la congédier. De plus, la période n’est pas propice aux vacances, car c’est le début de la période la plus achalandée pour le commerce.

[38]           Suite à ce refus, le comportement de madame Baldassarre change. Selon le témoin, elle sert les clients de façon désagréable. Elle ne fait pas ce qui lui est demandé. Les clients se plaignent. La relation se détériore entre monsieur Helou et son employée. Il lui offre pourtant de prendre des vacances et qu’elle retrouve son travail à son retour.

[39]           Le 2 avril 2010, le magasin est supposé être fermé depuis 21 heures et à 23 heures il est toujours ouvert. Monsieur Helou se rend à la boulangerie pour voir ce qui se passe et voit madame Baldassarre avec monsieur Nahi, attablés en train de manger. Monsieur Helou va alors sur la terrasse pour ranger en préparation pour la fermeture, il mentionne à la plaignante que le commerce est censé être fermé et qu’il ne va pas payer pour les heures supplémentaires. Madame Baldassarre se fâche et quitte sur-le-champ sans faire la fermeture du commerce.

[40]           Madame Baldassarre revient quelques jours plus tard pour s’expliquer. Après la discussion, monsieur Helou décide de repartir sur de nouvelles bases, car il a besoin de madame Baldassarre au magasin.

[41]           Monsieur Helou précise qu’à la suite de cette conversation, il gardera ses distances. Madame Baldassarre se plaint encore une fois d’erreurs dans la paye, car il y a des heures de travail impayées. Monsieur Helou justifie la situation par une entente forfaitaire payable aux deux semaines.

[42]           Le témoin poursuit en décrivant les événements de l’agression qu’il a subie le 16 avril 2010. Ses agresseurs n’ont pas été retrouvés. Il téléphone alors chez madame Baldassarre pour demander à monsieur Nahi de venir l’aider au magasin, car il est blessé.

[43]           Le 18 avril 2010, monsieur Helou est au magasin, lorsqu’une cliente se plaint que madame Baldassarre lui a vendu un gâteau quatre-quarts qui est sec. Selon le témoin, madame Baldassarre tente de convaincre la cliente que c’est un gâteau qui est supposé être sec. Monsieur Helou explique sa politique de satisfaction à la clientèle, soit le remboursement du produit et l’offre d’un autre produit de même valeur gratuitement. Malgré les excuses de monsieur Helou et le remboursement du gâteau, la cliente quitte le magasin mécontente. Monsieur Helou quitte aussi en faisant part à la plaignante qu’il sera de retour.

[44]           À son retour, monsieur Helou convoque madame Baldassarre dans son bureau pour l’informer qu’elle aura un avertissement écrit pour son inconduite. Selon le témoin, madame Baldassarre l’aurait invectivé en pointant du doigt, lui disant « qu’il avait été suffisamment supporté dans le quartier », et que « c’est les Italiens qui font la loi ». C’est alors que monsieur Helou lui dit de poinçonner sa carte et d’aller se reposer chez elle. Madame Baldassarre lui demande plutôt une lettre de congédiement. Le témoin insiste pourtant qu’il ne l’a pas congédiée, mais plutôt envoyée se reposer.

[45]           Madame Baldassarre crie dans le magasin devant des clients, deux d’entre eux partent alors que deux dames ainsi qu’un autre client restent et assistent à la scène. Monsieur Helou explique que la plaignante le suit dans le magasin, exigeant sa lettre de congédiement. Il lui dit alors de cesser sans quoi il va appeler la police, ce qu’il finira par faire effectivement.

[46]           Après l’arrivée des policiers, la plaignante laisse ses clés du magasin sur la caisse en disant « tu auras de mes nouvelles» et elle quitte. Monsieur Helou s’attend que le lendemain ils s’assoient et discutent des événements. Voyant qu’elle ne revient pas, monsieur Helou lui envoie une lettre[9] qui stipule que madame Baldassarre a quitté son emploi.  

[47]           Les parties déposent aussi, de consentement, une vidéo de surveillance du 18 avril 2010[10]. Celle-ci montre, sans bande sonore, les activités dans le commerce immédiatement après la rencontre qui s’est déroulée au bureau de monsieur Helou au sous-sol.

[48]           Monsieur Helou nie avoir tenu des propos dégradants envers madame Baldassarre. Il considère que les allégations de discrimination qui pèsent contre lui sont une insulte à son éducation ainsi qu’à tous ses amis de la communauté italienne. Il n’a jamais fait de commentaires sur les Italiens, ni sur madame Baldassarre et son origine ethnique ou nationale.

[49]           Monsieur Helou explique qu’il n’a pas eu de problèmes avec les Italiens, mais uniquement avec son franchiseur.

3. Le témoignage de monsieur Martin Caria

[50]           Monsieur Caria côtoie madame Baldassarre lors de sa deuxième période d’emploi, soit de l’automne 2009 à 2010. À cette époque, le témoin fréquente l’établissement à raison de 3 à 4 fois par semaine pour une période de 30 minutes à une heure chaque fois. Il développe même une amitié avec monsieur Helou. Il ne note aucune animosité entre madame Baldasarre et monsieur Helou. Il précise qu’il n’a pas été témoin de quoi que ce soit avant le 18 avril 2010.

[51]           Le 18 avril 2010, le témoin arrive au commerce et voit monsieur Helou monter de l’étage inférieur suivi de madame Baldasarre qui semble «enragée». Monsieur Helou dit à celle-ci de se calmer et de rentrer chez elle à plusieurs reprises. Il relate qu’il y a des clients dans le magasin et que tous ressentent un inconfort à cause de la dispute. Monsieur Caria avoue être sorti pour faire un appel et qu’il était déplaisant de rester dans le commerce. Il est demeuré à la boulangerie environ 30 minutes et il quitte à l’arrivée des policiers.

II.         LES DISPOSITIONS APPLICABLES                    

[52]        Les dispositions suivantes de la Charte sont pertinentes au présent litige :

4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.

10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l'utilisation d'un moyen pour pallier ce handicap.

Motif de discrimination.

Il y a discrimination lorsqu'une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.

Harcèlement interdit.

10.1. Nul ne doit harceler une personne en raison de l'un des motifs visés dans l'article 10.

16. Nul ne peut exercer de discrimination dans l'embauche, l'apprentissage, la durée de la période de probation, la formation professionnelle, la promotion, la mutation, le déplacement, la mise à pied, la suspension, le renvoi ou les conditions de travail d'une personne ainsi que dans l'établissement de catégories ou de classifications d'emploi.

49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

Dommages-intérêts punitifs.

En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.

 

 

III.         L’ANALYSE

[53]       La réclamation de la Commission comprend deux volets. D'une part, la Commission prétend que madame Baldassarre a fait l'objet de discrimination et de harcèlement fondés sur l'origine ethnique ou nationale au cours de la période commençant le 11 août 2009 et se terminant le 18 avril 2010, son dernier jour de travail à l'établissement opéré par les défendeurs. D'autre part, elle prétend que madame Baldassarre a été congédiée de manière discriminatoire le 18 avril 2010. Il convient d'examiner séparément ces deux volets de la réclamation.

A.    La période du 11 août 2009 au 18 avril 2010

[54]        Des témoignages contradictoires ont été entendus par le Tribunal au sujet des propos qui auraient été tenus à l'endroit de madame Baldassarre par monsieur Helou au cours de cette période. Madame Baldassarre a rapporté plusieurs commentaires dévalorisants à propos des personnes d'origine italienne. Monsieur Helou nie avoir tenu ces commentaires et soutient qu'il est demeuré respectueux à l'égard des membres de la communauté italienne. Il considère que les allégations de madame Baldassarre constituent une insulte à son éducation.

[55]        Le Tribunal conclut que la Commission a établi, par prépondérance de la preuve, que monsieur Helou a adressé à madame Baldassarre de nombreux propos discriminatoires au cours de la période visée. Madame Baldassarre a livré un témoignage éloquent à ce sujet et le Tribunal n'a aucune raison de douter de sa véracité. Ce témoignage a été corroboré en partie par celui de monsieur Nahi, un témoin indépendant qui connaissait les deux parties et qui s'est déplacé de France pour venir témoigner à l'audience. En outre, il est plus vraisemblable que madame Baldassarre ait conservé un souvenir précis de propos qui la visaient directement et qui concernaient son identité.

[56]        À l'opposé, le témoignage de monsieur Helou à ce sujet était fuyant. Sa mémoire des événements semblait limitée. Il confondait fréquemment leurs dates, même en ce qui concerne un événement aussi important que l'agression dont il a été victime en avril 2010, qu'il a d'abord située au 14 avril, pour se raviser ensuite et l’a située au 16 avril.

[57]        La jurisprudence du Tribunal a plusieurs fois reconnu que des propos discriminatoires enfreignent le droit garanti par l'article 10 de la Charte[11]. Le procureur des défendeurs ne conteste d'ailleurs pas le fait que, si le Tribunal en arrive à la conclusion que monsieur Helou a réellement tenu les propos qui lui sont imputés, ces propos sont effectivement discriminatoires. Il est possible - le Tribunal n'a pas à en décider - que monsieur Helou ait eu de justes motifs d'insatisfaction à l'égard de madame Baldassarre au cours de la période visée par la réclamation. Leurs rapports difficiles lors de sa première embauche, ainsi que le congédiement qui s'en est suivi en 2008, le laissent d'ailleurs entendre.

[58]        Cependant, rien dans la preuve ne permet de faire un lien entre l'origine italienne de madame Baldassarre et les reproches que son patron lui adressait. Ainsi, le fait que monsieur Helou ait pu être indisposé par les actes suivants de madame Baldassarre n'a aucun rapport avec l'origine italienne de cette dernière: la fermeture tardive de la boulangerie; le délai mis pour ranger les lieux; les erreurs commises avec la caisse enregistreuse; la qualité du service qu'elle offre aux clients; sa constitution physique ou son habillement.

[59]        En invoquant l'origine italienne de madame Baldassarre dans le cadre des reproches qu'il lui adressait, monsieur Helou mettait l'emphase sur une caractéristique non pertinente à ses propos, mais qui jouit d'une protection aux termes de l'article 10 de la Charte. De telles remarques avaient pour effet, sinon pour objectif, de dévaloriser cette dernière. De plus, la vulgarité des propos tenus par monsieur Helou au sujet des membres de la communauté italienne en général accentuait la pression mise sur madame Baldassarre pour la déconsidérer.

[60]        Le Tribunal considère que de tels propos ont porté atteinte à la dignité de madame Baldassarre et qu’en raison de la gravité et de la répétition de ces propos, le seuil d'application de la Charte a été franchi[12]. La Commission s'est donc déchargée de son fardeau de preuve à ce sujet.

[61]        La jurisprudence a établi comme suit les éléments constitutifs du harcèlement interdit par l'article 10.1 de la Charte[13], qui constitue une prohibition distincte de celle énoncée à l'article 10[14] :

[21]      Le harcèlement comporte deux éléments essentiels : le caractère vexatoire ou non désiré de la conduite reprochée et l'effet de durabilité de cette conduite. Le second élément peut être établi par la preuve du caractère répété des paroles ou des gestes reprochés ou par la preuve de la gravité d'un seul acte qui produit des effets continus dans l'avenir.

[22]      Le harcèlement racial peut prendre «diverses formes allant de remarques désobligeantes, rebuffades, brimades, injures et insultes aux voies de fait ou autres agressions, en passant par des caricatures, graffitis et dommages causés à la propriété de la victime ou aux lieux et objets mis à sa disposition.» Il se caractérise «par l'effet continu, dans le temps, d'un comportement à connotation raciale abusif, blessant et importun.» Pour déterminer si le comportement reproché est ou non abusif, blessant et importun, le Tribunal doit adopter le point de vue de la «victime raisonnable» […]

[62]        Dans Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Immeubles Shirval inc.[15], le Tribunal a dégagé certains facteurs permettant de reconnaître l'existence de harcèlement discriminatoire. Ces facteurs sont les suivants:

a)   l'insistance mise sur un trait de personnalité de la victime - constituant un motif de discrimination interdit - par rapport à l'ensemble de ses caractéristiques personnelles;

b)  la multiplication des commentaires, des allusions et des actes, parfois offensants, à propos de cette caractéristique personnelle;

c)   l'absence de consentement ou encore l'opposition de la victime à une telle conduite;

d)   l'amplification que peuvent donner à cette conduite les circonstances dans lesquelles elle se produit;

e)   l'absence d'explication ou de justification contextuelle à la conduite.

[63]        Bien que les témoignages de madame Baldassarre et de monsieur Nahi rapportent un nombre limité d'événements précis au cours desquels des propos discriminatoires ont été prononcés, il se dégage de ces témoignages que l'attitude discriminatoire de monsieur Helou était continue et fréquente et qu'elle s'est étendue sur une période de plusieurs mois. Tel que mentionné précédemment, de tels propos n'étaient aucunement pertinents au travail de madame Baldassarre et ne peuvent bénéficier d'aucune justification contextuelle.

[64]        La preuve ne permet pas de savoir si madame Baldassarre a manifesté expressément son opposition à ces propos auprès de monsieur Helou, mais elle ne démontre pas non plus qu'elle y aurait consenti. Tout au plus, madame Baldassarre a-t-elle toléré pendant un certain temps des commentaires vexatoires de la part de son patron, ce qui ne peut équivaloir à un consentement de sa part. Elle s'en est aussi plainte auprès de monsieur Nahi, le partenaire d'affaires de monsieur Helou, afin qu'il intervienne en sa faveur à ce sujet.

[65]        Le Tribunal conclut que la Commission s'est aussi déchargée de son fardeau de preuve en ce qui concerne l'existence de harcèlement discriminatoire.

B.   Les événements du 18 avril 2010

[66]        En ce qui a trait aux circonstances dans lesquelles l'emploi de madame Baldassarre a pris fin le 18 avril 2010, deux versions ont été soumises au Tribunal. Madame Baldassarre prétend que son patron l'a congédiée et que le motif du congédiement était relié à son origine italienne. De son côté, monsieur Helou prétend que son employée a volontairement quitté son emploi après avoir été réprimandée à propos d'une inconduite survenue le jour même lors du service d'une cliente. La conversation entre eux s'est déroulée sans témoin. Le Tribunal est d'avis que la prépondérance de la preuve favorise la version de madame Baldassarre, et ce, pour plusieurs raisons.

[67]        Un premier élément accréditant la version de madame Baldassarre est que la terminaison de son emploi survient deux jours après l'agression dont monsieur Helou a été victime et qu'il impute à des membres de la communauté italienne. À la lumière des commentaires antérieurs de monsieur Helou au sujet des Italiens et des propos discriminatoires adressés à madame Baldassarre sur cette base, il est vraisemblable que l'origine italienne de cette dernière ait conduit monsieur Helou, encore sous le choc des événements, à remettre en question sa présence dans son établissement.

[68]        Un deuxième élément tient à la conduite des parties dans les minutes qui ont suivi leur rencontre du 18 avril 2010. Monsieur Helou n'avait aucune raison de demander une assistance policière si, comme il le prétend, il avait tout simplement informé madame Baldassarre qu'elle recevrait un avertissement écrit pour une inconduite et qu'elle devrait retourner chez elle pour se reposer. Au contraire, cette demande d'assistance policière est compatible avec sa décision de la congédier et d'exiger qu'elle quitte immédiatement les lieux, comme le prétend madame Baldassarre. Le fait que madame Baldassarre soit partie peu après l'arrivée des policiers, plutôt que de se calmer et de terminer sa journée de travail, va dans le même sens. De plus, la vidéo de surveillance[16] ne modifie en rien ces conclusions. Au contraire, les allées et venues, captées sur cette bande, notamment celles de monsieur Hélou et de madame Baldassarre, sont davantage compatibles avec la version de cette dernière. Enfin, le témoignage de monsieur Caria n’apporte aucun élément permettant au Tribunal de conclure autrement, d’autant plus qu’il affirme avoir quitté le commerce à l’arrivée des policiers.  

[69]        Un troisième élément provient de la corroboration de la version de madame Baldassarre par monsieur Nahi. Ce dernier témoigne être allé rencontrer monsieur Helou, après que madame Baldassarre l'eut informé de son congédiement, afin de tenter d'arranger les choses. Les paroles prononcées par monsieur Helou lors de cette rencontre, et qui ont été rapportées par monsieur Nahi ne laissent aucun doute quant au fait que madame Baldassarre a été congédiée. Monsieur Helou a d'ailleurs par la suite demandé à monsieur Nahi de retirer une déposition qu'il avait faite à propos des événements, une démarche qui n'a de sens que si cette déposition lui était défavorable.

[70]        Enfin, on peut noter que, dans les jours suivants le 18 avril 2010, la conduite de monsieur Helou tranche avec sa version des événements de cette journée. S'il n'a pas congédié madame Baldassarre, comme il le prétend, mais qu'il lui a simplement demandé d'aller se reposer chez elle, on peut constater qu'il ne prend aucune mesure pour qu'elle revienne ensuite travailler dans son établissement. Il choisit plutôt de lui faire parvenir une lettre, non produite devant le Tribunal, qui confirme la terminaison de son emploi.

[71]        L'article 16 de la Charte offre une protection en cas de congédiement fondé sur un motif prohibé de discrimination. Dans Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Industries acadiennes inc.[17], le Tribunal écrivait ce qui suit à cet égard:

[125]      Les articles 10 et 16 visent à mettre fin à une exclusion arbitraire basée sur des idées préconçues à l’égard de caractéristiques personnelles qui n’affectent aucunement la capacité de faire le travail.  On doit conclure que, jumelés ensemble les articles 10 et 16 de la Charte offrent une importante protection dans le domaine de l’emploi.

[72]        Les défendeurs n'ont invoqué aucune autre raison que l'origine nationale ou ethnique de madame Baldassarre pour expliquer la perte de son emploi. Le Tribunal note que l'agression dont monsieur Helou a été victime a provoqué chez lui un sentiment de crainte et de révolte à l'égard de la communauté italienne. Mais l'épreuve qu'il a subie ne l'autorisait pas à congédier madame Baldassarre pour le motif que son origine nationale était la même que celle de ses agresseurs présumés.

[73]        Le Tribunal conclut donc que la Commission a démontré que madame Baldassarre a fait l'objet d'un congédiement discriminatoire le 18 avril 2010.

Réparation appropriée

[74]        Le témoignage de madame Baldassarre concernant son préjudice a été sommaire. Il a surtout porté sur les conséquences de son congédiement. Elle a peu parlé des effets qu'ont produits sur elle les propos discriminatoires et le harcèlement dont elle a été victime d'août 2009 à avril 2010.

[75]        Madame Baldassarre s'est sentie blessée par son congédiement, compte tenu de tous les efforts qu'elle avait consentis pour améliorer les affaires de la boulangerie. Elle a ressenti de la honte par rapport à ce qui s'est passé et témoigne avoir été atteinte dans sa dignité et son intégrité. Elle dit avoir ensuite été malade et avoir pris des médicaments pendant trois mois. Les événements ont causé chez elle insomnie et haute pression. Aucune preuve médicale n'a cependant été faite à ce sujet, non plus qu'à propos des problèmes qu'elle aurait dû affronter pour toucher des prestations d'assurance-chômage.

[76]        La Commission ne réclame aucun dommage matériel pour perte de salaire, ni pour perte de revenu en raison de son congédiement. Sa réclamation est limitée à des dommages moraux, pour lesquels elle réclame une somme de 15 000 $, et à des dommages punitifs, pour lesquels elle réclame une somme de 6 000 $.

[77]        La preuve a établi que madame Baldassarre a subi un préjudice en raison des événements qu'elle a relatés. Cependant, le Tribunal est d'avis que le montant réclamé par la Commission à titre de dommage moral dépasse de beaucoup ce qui constitue une réparation appropriée dans les circonstances. Le Tribunal n'a aucune preuve de l'effet qu'a pu produire sur madame Baldassarre les propos discriminatoires et le harcèlement qu'elle a subi pendant des mois de la part de monsieur Helou. En ce qui a trait à son congédiement, son dommage découle tout autant de la perte de son emploi pour des raisons qu'elle n'accepte pas, que du caractère discriminatoire de la décision de monsieur Helou.

[78]        Dans les circonstances, le Tribunal estime qu'un montant de 5 000 $ constitue une réparation appropriée en ce qui a trait au dommage moral subi par madame Baldassarre.

[79]        L'article 1621 du Code civil du Québec détermine les conditions dans lesquelles des dommages punitifs peuvent être accordés:

1621. Lorsque la loi prévoit l'attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.

Ils s'apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l'étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers.

[80]        Les dommages punitifs ont pour fonction de dissuader l'auteur des actes discriminatoires, de prévenir la répétition de tels actes et d'exprimer la réprobation sociale à leur égard[18]. Pour qu'ils puissent être accordés, la preuve doit démontrer que « l'auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera »[19]. Selon la Cour suprême du Canada, le montant des dommages punitifs doit être établi au niveau de la somme la moins élevée qui permet d'atteindre le but recherché par cette condamnation[20].

[81]        La preuve démontre que monsieur Helou avait clairement l'intention de dégrader madame Baldassarre en attribuant une valeur négative aux membres de la communauté italienne en général et en l'assimilant constamment aux membres de ce groupe. Monsieur Helou se comportait comme si les personnes d'origine italienne étaient méprisables et que, du simple fait que madame Baldassarre avait cette origine, il avait la liberté de lui faire sentir son mépris quand cela lui convenait.

[82]        La conduite de monsieur Helou constitue donc une atteinte illicite et intentionnelle aux droits de madame Baldassarre, dont il doit personnellement assumer la responsabilité.

[83]        L'état de renseignements du Registraire des entreprises concernant la défenderesse 9209-9829 Québec Inc.[21] ne montre aucune implication de monsieur Helou dans cette compagnie, le premier actionnaire qui y est mentionné est madame Marie-Josée Lambert. Selon ce document, elle en est aussi sa seule administratrice. Madame Lambert est la conjointe de monsieur Helou.

[84]        Rappelons toutefois que, le mémoire des défendeurs contient une admission que monsieur Helou « est le principal administrateur de la défenderesse »[22]. De plus, dans la lettre du 19 juin 2008 par laquelle il met fin à l'emploi de madame Baldassarre, monsieur Helou signe en tant que « propriétaire ». Bien qu'aucune autre preuve n'ait été faite à l'audience quant au statut de monsieur Helou au sein de la compagnie, ces éléments paraissent suffisants pour engager la responsabilité de la défenderesse 9209-9829 Québec Inc. envers madame Baldassarre, puisque c'est entre elles qu'existait le lien d'emploi dans le cadre duquel se sont produits les actes discriminatoires.

[85]        En raison du rôle de monsieur Helou au sein de la défenderesse 9209-9829 Québec Inc., on peut aussi imputer à cette dernière l'intention de causer un préjudice à madame Baldassarre[23]. En conséquence, la défenderesse 9209-9829 Québec Inc. est en outre tenue de payer les dommages punitifs à madame Baldassarre.

[86]        Aucune preuve n'a été faite de la situation patrimoniale des défendeurs. Prenant en compte la gravité relative de la conduite des défendeurs, ainsi que le montant accordé à madame Baldassarre à titre de dommages moraux, le Tribunal est d'avis que l'attribution d'une somme de 2 000 $ à titre de dommages punitifs est appropriée dans les circonstances.

[87]        Dans l'établissement de ce montant, le Tribunal tient aussi compte, au bénéfice des défendeurs, des circonstances éprouvantes qui ont conduit au congédiement de madame Baldassarre. Ces circonstances ne peuvent servir à justifier la conduite de monsieur Helou. Cependant, elles sont si particulières qu'il ne paraît pas nécessaire au Tribunal de conclure à une plus forte condamnation pour assurer la fonction préventive et dissuasive des dommages punitifs à cet égard.

[88]        Bien que la Commission demande une condamnation solidaire des défendeurs, la solidarité ne peut concerner les dommages punitifs[24].

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE en partie la demande introductive d'instance;

CONDAMNE solidairement 9209-9829 Québec Inc. et De Gaulle Helou à payer à Pina Giuseppina Baldassarre la somme de 5 000 $ à titre de dommages moraux, avec intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 14 juin 2012, date de signification de la proposition de mesures de redressement;

CONDAMNE 9209-9829 Québec Inc. et De Gaulle Helou à payer à Pina Giuseppina Baldassarre la somme de 2 000 $ à titre de dommages punitifs, avec intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter de la date de ce jugement ;

LE TOUT, avec dépens.

 

 

 

__________________________________

SCOTT HUGHES,

Juge au Tribunal des droits de la personne

 

 

 

Me Maurice Drapeau

 

BOIES DRAPEAU BOURDEAU

360, rue St-Jacques Ouest, 2e étage

Montréal (Québec) H2Y 1P5

 

Pour la partie demanderesse

 

 

 

Me Camille Bolté

 

CHOQUETTE BEAUPRÉ RHÉAUME

5316, avenue du Parc, bureau 200

Montréal (Québec) H2V 4G7

 

Pour les parties défenderesses

 

Dates d’audiences :

4 décembre 2013 et 28 mai 2014

 

 



[1] Le nom et le prénom du défendeur ont été inversés dans les procédures. La correction est faite dans ce jugement.

[2] RLRQ, c. C-12.

[3] Mémoire des défendeurs, par. 2.

4 Pièce D-1.

[5] Selon le relevé des entreprises du Québec, P-2.

[6] Idem note 4.

[7] Idem note 3.

[8] Cette lettre n’est pas produite.

[9]  La lettre en question n’est pas produite.

[10]  Pièce D-3.

[11] À titre d'exemples récents, voir: Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Rioux, 2014 QCTDP 14, par. 24-25 (CanLII); Khammar c. Sears Canada inc., 2014 QCTDP 12, par. 138-142 (CanLII); Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Normandin, 2014 QCTDP 8, par. 50-56 (CanLII).

[12] Calego international inc. c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2013 QCCA 924, par. 51 (CanLII).

[13] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Giannas, 2011 QCTDP 20, par. 21-22 (CanLII).

[14] Habachi c. Commission des droits de la personne du Québec, [1999] R.J.Q. 2522, p. 2526 (C.A.).

[15] 2010 QCTDP 14, par. 36, (CanLII).

[16] Pièce D-3.

[17] 2005 CanLII 48273, par. 125 (QC TDP).

[18] Richard c. Time inc., [2012] 1 R.C.S. 265, par. 155.

[19] Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211, par. 121.

[20] Richard c. Time inc., préc, par. 210.

[21] Pièce P-2.

[22] Mémoire des défendeurs, par. 2.

[23] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Innvest Hotels GP II Ltd. (Boucherville Comfort Inn par Journey's End), 2013 QCTDP 31, par. 60-61 (CanLII).

[24] Cinar corporation c. Robinson, [2013] 3 R.C.S. 1168, par. 120-132.

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