Décision

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9185-6617 Québec inc. c. Longueuil (Ville de)

2016 QCCQ 2397

COUR DU QUÉBEC

« Division administrative et d'appel Â»

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

« Chambre civile Â»

N° :

500-80-029765-147

 

DATE :

 Le 15 avril 2016

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE VINCENZO PIAZZA, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

9185-6617 québec inc.

Appelante

c.

VILLE DE LONGUEUIL

Intimée

et

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU QUÉBEC

Mis en cause

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           L’appelante se pourvoit Ă  l’encontre d’une dĂ©cision de la Section des affaires immobilières du Tribunal administratif du QuĂ©bec (TAQ), rendue le 6 novembre 2014 dans les dossiers SAI-M-196010-1202 / SAI-M-222418-1403[1].

[2]           La dĂ©cision dont appel accueille la requĂŞte en irrecevabilitĂ© de la Ville de Longueuil et rejette le recours de l’appelante Ă  l’encontre du rĂ´le d’évaluation 2010-2011-2012.

[3]           Le contexte de l’affaire, la dĂ©cision du TAQ, les motifs d’appel et les questions autorisĂ©es sont Ă©noncĂ©s par monsieur le juge Lareau aux paragraphes 4 Ă  17 et 31 Ă  36 de son jugement permettant l’appel[2] :

CONTEXTE

[4]      Le litige porte sur l’évaluation foncière d’un motel construit en 1975 et comportant Ă  l’origine deux Ă©tages. Un troisième Ă©tage est ajoutĂ© en 1989. Les valeurs inscrites pour le rĂ´le contestĂ© (2010-2011-2012) se dĂ©clinent comme suit :

Terrain :                                       420 900 $

Bâtiment :                                 2 829 100 $

Total :                                        3 250 000 $      Proportion mĂ©diane 100%

Valeur uniformisĂ©e :                  3 250 000 $

[5]      Le rĂ´le d’évaluation 2013-2014-2015, qui avait des valeurs inscrites identiques Ă  celles du rĂ´le prĂ©cĂ©dent, a fait l’objet d’une recommandation de rĂ©duction de valeur Ă  1 034 500$. Cette recommandation a Ă©tĂ© acceptĂ©e par 9185 et entĂ©rinĂ©e par le TAQ.

[6]      Le recours de 9185 à l’encontre du rôle 2010-2011-2012 fait suite à une demande de modification dans le cadre de la tenue à jour du rôle d’évaluation conformément à l’article 174 (6) de la Loi sur la fiscalité municipale (LFM). L’évaluateur municipal ayant refusé d’effectuer la modification, 9185 invoque l’article 131.2 LFM pour forcer ladite modification.

[7]      Les articles pertinents invoquĂ©s prĂ©voient ce qui suit : 

174. L'Ă©valuateur modifie le rĂ´le d'Ă©valuation foncière pour:

[…]

6° reflĂ©ter la diminution de valeur d'une unitĂ© d'Ă©valuation Ă  la suite de l'incendie, de la destruction, de la dĂ©molition ou de la disparition de tout ou partie d'un immeuble faisant partie de l'unitĂ©;

131.2. Une demande de rĂ©vision peut ĂŞtre dĂ©posĂ©e en tout temps au cours de l'exercice financier pendant lequel survient un Ă©vĂ©nement justifiant une modification du rĂ´le en vertu de l'article 174 ou 174.2 ou au cours de l'exercice suivant, si l'Ă©valuateur n'effectue pas cette modification.

[8]      La demande de modification du rôle découle de la découverte d’un vice affectant l’immeuble de 9185. Le 25 mai 2010, 9185 reçoit de la firme Fondasol un rapport faisant état de la présence de pyrite avec un potentiel de gonflement se situant entre 17% et 28%.

[9]      Il n’est pas contesté que cette présence de pyrite représente un vice grave affectant la valeur de l’immeuble. D’ailleurs, ce problème a contribué au règlement de la valeur pour le rôle 2013-2014-2015 du fait que le problème est connu à la date d’évaluation pertinente à ce rôle.

[10]    La situation est différente pour le rôle 2010-2011-2012 puisque LONGUEUIL refuse de modifier le rôle d’évaluation ne voyant aucun événement pouvant se qualifier au regard des critères prévus à l’article 174 (6) LFM.

LA DÉCISION DU TAQ

[11]    Le TAQ est d’accord avec la position de LONGUEUIL et déclare le recours de 9185 irrecevable.

[12]    Pour le TAQ, les événements permettant une mise à jour en vertu de l’article 174 LFM doivent être interprétés de manière restrictive car portant atteinte au principe de l’immuabilité du rôle. Ainsi, les événements énumérés à l’article 174(6) LFM sont l’incendie, la destruction, la démolition et la disparition de tout ou d’une partie de l’unité d’évaluation.

[13]    RĂ©pondant Ă  l’argument de 9185 Ă  l’effet que la dĂ©couverte de la prĂ©sence de pyrite pouvait ĂŞtre assimilable Ă  une «destruction», le TAQ Ă©crit :

[24]        De l’avis du TAQ, il ne peut s’agir que d’une destruction physique de tout ou d’une partie d’un immeuble et non d’une destruction de sa valeur. (…) le lĂ©gislateur n’utilise pas des termes correspondant Ă  des concepts bien connus : «dĂ©tĂ©rioration» ou «dĂ©gradation». C’est l’aboutissement de la dĂ©tĂ©rioration physique qui constitue un Ă©vĂ©nement et non sa progression (…).

[25]        La prĂ©sence de pyrite n’est pas en soi une destruction, mais elle peut Ă©ventuellement en ĂŞtre la cause : cela ne peut donc ĂŞtre un Ă©vĂ©nement (…).

(…)

[27]        (…) on ne peut qualifier d’événement le fait de prendre connaissance de la présence de pyrite en cours de rôle dans un rapport d’expert (…)

[14]    Le TAQ explique qu’une opération de tenue à jour de rôle par l’évaluateur municipal comporte deux étapes qui doivent s’effectuer dans l’ordre suivant: 1- le constat d’un événement et 2- la modification de la valeur. En ce sens, la constatation d’une perte de valeur ne peut en soi être l’événement.

MOTIFS D’APPEL

[15]    9185 propose les deux questions en litige suivantes :

-            Est-ce que la dĂ©couverte d’un vice cachĂ© grave, affectant substantiellement Ă  la baisse la valeur d’un immeuble, peut constituer un Ă©vĂ©nement justifiant l’émission d’un certificat, au sens de l’article 174(6) de la LFM ?

-            Est-ce que, en l’espèce, le mis en cause a commis une erreur dĂ©raisonnable en Ă©valuant la preuve et le droit applicable et en dĂ©cidant tel qu’il l’a fait, crĂ©ant une injustice pour la requĂ©rante, justifiant l’intervention de cette Honorable Cour ?

[16]    9185 soutient que la DÉCISION ne tient pas compte de «la jurisprudence unanime et des pratiques établies des évaluateurs municipaux selon lesquelles la découverte d’un vice grave en cours de rôle constitue un événement au sens de l’article 174 (6) de la LFM».

[17]    Pour 9185, l’énumération du paragraphe 6 de l’article 174 LFM inclut la découverte d’un vice grave.

(…)

L’INTERPRÉTATION DE L’ARTICLE 174 (6) LFM

[31]    9185 soutient que la DÉCISION va à l’encontre de la jurisprudence unanime et des pratiques établies des évaluateurs municipaux. Qu’en est-il?

[32]    La preuve de la pratique des évaluateurs municipaux n’a pas été faite devant le TAQ, elle ne peut donc être considérée, si tant est qu’elle existe.

[33]    La jurisprudence «unanime» soumise par 9185 fait Ă©tat de sept cas dont les plus pertinents indiquent ce qui suit :

Baldo Lumina inc. c. St-Jean-sur-Richelieu, SAI-M-122258-0609, 27 Octobre 2006.

 «[53]     (…) Le nouveau foyer de contamination ne rĂ©pond pas Ă  la dĂ©finition « d’objet » au sens de l’article 131.2 L.F.M. Il s’agit, au contraire, d’un nouvel Ă©vĂ©nement qui oblige l’évaluateur municipal Ă  modifier le rĂ´le d’évaluation foncière en application de l’article 174,6 L.F.M. »

Doucet c. Trois-Rivières, AZ-94031231 (C.Q.), 10 Juin 1994.

« (…) Heureusement, il est possible de retrouver ce soucis d’équité fiscale au paragraphe 6 de l’article 174. En effet, La Cour croit que les situations qui y sont énumérées ne sont pas limitatives. La philosophie qui sous-tend ce paragraphe 6 vise à obliger l’évaluateur à modifier le rôle lorsque d’une circonstance découle une diminution manifeste de la valeur d’une unité d’évaluation. » (page 3)

Massé c. Waterloo, AZ-50067742 (T.A.Q), 7 octobre 1999.

 « [16]    (…) D’ailleurs, comme l’a indiqué le juge Gagnon, l’article 174 (6) L.F.M. n’est pas limitatif et permet de corriger des situations inéquitables qui heurtent la conscience judiciaire. La philosophie qui sous-tend ce paragraphe 6 vise à obliger l’évaluateur à modifier le rôle lorsqu’une diminution manifeste de valeur résulte de circonstances bien identifiées. »

Robert Mitchell inc. c. Montréal, AZ-50261690 (T.A.Q.), 25 juin 2004.

 «[64]     De toute façon, selon notre opinion, la question qui se poserait alors, serait de déterminer si la connaissance de la contamination d’un terrain en cours de rôle donne ouverture à la tenue à jour en conformité avec l’article 174 par. 6 LFM, comme constituant une destruction de l’immeuble, plutôt que de déterminer si l’ampleur de la décontamination, en termes monétaires, est assimilé à une destruction de l’immeuble au sens de cet article.

[65]        C’est une question de fond qui doit être débattue éventuellement au fond et non sur requête en irrecevabilité. »

109424 Canada inc. c. Ville de Laval, (C.Q.), 540-22-001409-977, 18 février 2000.

« Le législateur prescrit que l’évaluateur municipal doit modifier le rôle lorsque survient un événement qui détruit un immeuble. Le Tribunal retient que le mot «événement» n’a pas le sens restrictif que veut lui donner la défenderesse.

Dans certains cas, la contamination peut constituer un événement entraînant la «destruction» d’un immeuble. Le Tribunal considère qu’il y aura destruction ou non selon l’ampleur de la contamination révélée par la preuve. » (pages 12-13)

[34]    De son côté, LONGUEUIL y oppose le jugement de la Cour d’appel dans l’affaire Sears ajoutant que depuis, l’état du droit est clair.  Les articles permettant la modification du rôle d’évaluation doivent être interprétés de manière restrictive comme l’a fait le TAQ en la présente instance.

[35]    Le jugement de la Cour d’appel dans Sears n’a pas la portée que lui prête LONGUEUIL. Ce jugement traitait plus spécifiquement du pouvoir de l’évaluateur de refaire l’évaluation de l’ensemble de l’unité d’évaluation dans un contexte de mise à jour justifiée par l’omission indue d’un bien. Pour preuve, quatre des décisions susmentionnées ont été rendues après le jugement de la Cour d’appel.

[36]    La question de ce que constitue une «destruction» au sens de l’article 174 (6) LFM ne semble pas faire l’objet d’une jurisprudence unanime allant dans le sens de la décision du TAQ dans le présent dossier. C’est une question sérieuse dont l’intérêt dépasse largement celui des parties au litige. Pour ces motifs, la permission d’appeler devrait être accordée.

[Références omises.]

[4]           Monsieur le juge Lareau conclut son analyse en dĂ©clarant que son jugement tient lieu d’inscription en appel sur les questions suivantes :

-               Est-ce que la dĂ©couverte d’un vice cachĂ© grave, affectant substantiellement Ă  la baisse la valeur d’un immeuble, peut constituer un Ă©vĂ©nement justifiant l’émission d’un certificat au sens de l’article 174(6) de la LFM ?

-               Est-ce que, en l’espèce, le mis en cause a commis une erreur dĂ©raisonnable en Ă©valuant la preuve et le droit applicable et en dĂ©cidant tel qu’il l’a fait, crĂ©ant une injustice pour la requĂ©rante, justifiant l’intervention de la Cour du QuĂ©bec ?

ANALYSE

A)        La norme de contrôle

[5]           S’agissant de questions mixtes de fait et de droit relativement Ă  l’interprĂ©tation et Ă  l’application de la Loi sur la fiscalitĂ© municipale[3], qui se situent au cĹ“ur de la compĂ©tence spĂ©cialisĂ©e du TAQ, les parties conviennent que la norme de contrĂ´le applicable est celle de la dĂ©cision raisonnable. La dĂ©termination de la norme de contrĂ´le applicable Ă©tant bien Ă©tablie par la jurisprudence[4], l’analyse Ă  cet Ă©gard est rĂ©putĂ©e avoir dĂ©jĂ  eu lieu et ne pas devoir ĂŞtre reprise[5].

[6]           MalgrĂ© la dĂ©fĂ©rence dont le Tribunal doit faire preuve en raison de l’expertise particulière du TAQ, l’appelante soumet qu’il y a lieu d’intervenir puisque la dĂ©cision dont appel ne possède pas l’ensemble des attributs de la raisonnabilitĂ© et qu’elle ne s’inscrit pas dans les issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[7]           L’appelante ajoute que puisqu’il s’agit d’une dĂ©cision rendue sur une requĂŞte en irrecevabilitĂ©, la dĂ©fĂ©rence due au TAQ est moindre que si la dĂ©cision faisait suite Ă  un dĂ©bat au fond.

[8]           Ce dernier point peut d’ores et dĂ©jĂ  ĂŞtre Ă©vacuĂ©. Depuis Dunsmuir, la norme de la dĂ©cision dĂ©raisonnable simpliciter n’existe plus. Les nuances que propose l’appelante dans le degrĂ© de dĂ©fĂ©rence dĂ» aux dĂ©cisions du TAQ n’ont aucune assise juridique.

[9]           Ă€ l’audience et avec raison, l’appelante n’insiste pas non plus sur l’argument qu’elle esquisse dans son mĂ©moire, voulant que la question qu’a tranchĂ©e le TAQ aurait dĂ» faire l’objet d’un dĂ©bat au fond plutĂ´t que d’être dĂ©cidĂ©e sur une requĂŞte en irrecevabilitĂ©. Le principe de prudence qui s’impose au stade prĂ©liminaire d’un recours ne signifie pas qu’un moyen d’irrecevabilitĂ© soulevant une question sĂ©rieuse ou complexe doive ĂŞtre dĂ©fĂ©rĂ© au fond[6].

B)        La découverte d’un vice peut-elle constituer un événement?

[10]        Il est vrai, comme le constate le juge Lareau au paragraphe 36 de son jugement autorisant l’appel, que la dĂ©cision dont appel ne s’inscrit pas dans une jurisprudence unanime, voire mĂŞme cohĂ©rente, tant de cette Cour, du TAQ, que du Bureau de rĂ©vision de l’évaluation foncière, sur la question de savoir ce que constitue une « destruction Â» au sens du paragraphe 174 (6) LFM.

[11]        Dans la dĂ©cision dont appel, le TAQ postule que la destruction en question doit nĂ©cessairement ĂŞtre « une destruction physique de tout ou d’une partie d’un immeuble et non (…) une destruction de sa valeur Â»[7]. L’appelante rĂ©fère pourtant Ă  plusieurs dĂ©cisions oĂą le paragraphe 174 (6) LFM est appliquĂ© en raison de la destruction non pas d’un immeuble lui-mĂŞme, mais plutĂ´t, prĂ©cisĂ©ment, de sa valeur, Ă  la suite d’une contamination environnementale, par exemple.

[12]        Cette controverse jurisprudentielle justifiait clairement que la permission d’appeler soit accordĂ©e, la question en faisant l’objet Ă©tant dès lors, par le fait mĂŞme de cette controverse, d’intĂ©rĂŞt pour la Cour au sens de l’article 159 de la Loi sur la justice administrative[8].

[13]        Or, au stade de l’appel au fond, un filtre additionnel, d’origine jurisprudentielle, s’ajoute Ă  celui de la permission, qui est pourtant le seul Ă  avoir Ă©tĂ© prĂ©vu par le lĂ©gislateur. En effet, pour que la Cour du QuĂ©bec puisse rĂ©pondre Ă  une question devant par ailleurs lui ĂŞtre soumise au sens de l’article 159 LJA, il faudra en outre, gĂ©nĂ©ralement, que la rĂ©ponse d’abord donnĂ©e par le TAQ Ă  cette question ait Ă©tĂ© dĂ©raisonnable. Comme la Cour suprĂŞme du Canada le rĂ©pĂ©tait encore tout rĂ©cemment, les questions auxquelles s’applique la norme de la rectitude font partie d’une « catĂ©gorie restreinte Â»; elles restent rares et se limitent le plus souvent Ă  des situations qui mettent en cause la cohĂ©rence de l’ordre juridique fondamental du pays[9].

[14]        En outre, « [l]e raisonnement qui sous-tend la dĂ©cision/le rĂ©sultat ne peut (…) ĂŞtre remis en question que dans le cadre de l’analyse du caractère raisonnable de celle-ci. Â»[10] Il est donc impossible pour la Cour du QuĂ©bec de se prononcer sur le caractère dĂ©raisonnable, et encore moins le caractère erronĂ©, d’une partie des motifs, dès lors qu’une autre partie de ceux-ci permet de qualifier la dĂ©cision comme faisant partie des issues possibles.

[15]        En l’espèce, le postulat du TAQ selon lequel la destruction du paragraphe 174 (6) LFM ne peut pas ĂŞtre la destruction de la valeur d’un immeuble ne constitue pas la ratio decidendi de sa dĂ©cision : le recours de l’appelante a Ă©tĂ© rejetĂ© parce qu’aucun Ă©vĂ©nement au sens du paragraphe 174 (6) LFM n’était survenu.

[16]        En effet, mĂŞme en supposant qu’il Ă©tait dĂ©raisonnable de conclure que les vices graves dĂ©coulant de la prĂ©sence de pyrite ne sauraient constituer une destruction au sens du paragraphe 174 (6) LFM, il faudrait Ă©galement, pour que le Tribunal puisse se prononcer sur la question, qu’il soit dĂ©raisonnable de dire que seule la survenance d’une telle destruction - par opposition Ă  sa dĂ©couverte - peut constituer un Ă©vĂ©nement au sens des articles 131.2 et 174 LFM.

[17]        Or, cette interprĂ©tation du terme « Ă©vĂ©nement Â» fait manifestement partie des issues possibles acceptables. Que le TAQ se soit trompĂ© ou non dans son interprĂ©tation de ce que constitue une destruction au sens du paragraphe 174 (6) LFM n’y change rien.

[18]        Sur le plan des faits, l’interprĂ©tation est rationnelle, transparente et intelligible. Le TAQ Ă©crit :

[21]      Les Ă©vènements Ă©numĂ©rĂ©s Ă  l’article 174(6) LFM sur lesquels s’appuie la partie requĂ©rante et qui auraient dĂ», selon elle, justifier l’évaluateur municipal de diminuer la valeur au rĂ´le de son unitĂ© d’évaluation sont l’incendie, la destruction, la dĂ©molition et la disparition de tout ou d’une partie de l’unitĂ© d’évaluation.

[22]      Cette liste d’évènements est limitative et c’est la survenance de l’un de ceux-ci qui est visĂ©e et non celle de leur connaissance.

(…)

 [26]      Certes, la prĂ©sence de pyrite et les dommages qui en dĂ©coulent constituent en soi un ou des Ă©lĂ©ments susceptibles de reprĂ©senter une moins-value au point de vue Ă©conomique qui peuvent entraĂ®ner une baisse progressive de la valeur (…).

[27]      Toutefois, on ne peut qualifier d’évènement le fait de prendre connaissance de la prĂ©sence de pyrite en cours de rĂ´le dans un rapport d’expert expliquant la cause de dommages Ă  la propriĂ©tĂ© qui existaient dĂ©jĂ  Ă  un moment antĂ©rieur (…).

[19]        Sur le plan du droit, l’interprĂ©tation du TAQ s’accorde avec le texte et le sens ordinaire des mots. Il n’est clairement pas dĂ©raisonnable de dire que la dĂ©couverte et la survenance de la destruction d’un immeuble reflètent deux rĂ©alitĂ©s distinctes.

[20]        Le paragraphe 5o du premier alinĂ©a de l’article 177 LFM prĂ©voit que les modifications visĂ©es au paragraphe 174 (6) LFM ont effet Ă  compter de la plus rĂ©cente date entre celle oĂą survient l’évĂ©nement et celle du premier jour de l’exercice financier au cours duquel la modification est faite. L’interprĂ©tation que propose l’appelante, en assimilant la dĂ©couverte de la destruction d’un immeuble Ă  sa survenance, signifierait que cette date de prise d’effet pourrait varier dans le temps, au dĂ©triment du contribuable, en fonction de la date de la dĂ©couverte par celui-ci de la destruction de son immeuble et non de la date de la destruction elle-mĂŞme. Il serait Ă©tonnant que tel ait Ă©tĂ© le rĂ©sultat souhaitĂ© par le lĂ©gislateur.

C)        L’erreur « dĂ©raisonnable Â» crĂ©ant une injustice

[21]        Disons d’emblĂ©e que c’est la dĂ©cision ou l’interprĂ©tation dĂ©raisonnable qui constitue le critère d’intervention devant guider la Cour. Comme l’écrivait rĂ©cemment monsieur le juge Morissette, la notion d’erreur « dĂ©raisonnable Â» est bancale et de nature Ă  semer la confusion[11].

[22]        Cela Ă©tant, l’appelante plaide l’adage bien connu voulant que la LFM ne soit pas une rue Ă  sens unique. Elle considère ĂŞtre victime d’une iniquitĂ© en ce que selon elle, si les travaux d’enlèvement de la pyrite avaient Ă©tĂ© effectuĂ©s, l’évaluateur municipal aurait modifiĂ© le rĂ´le pour reflĂ©ter l’augmentation de valeur en rĂ©sultant, conformĂ©ment au paragraphe 174 (7) LFM, qui est en quelque sorte le revers du paragraphe 174 (6) LFM.

[23]        L’appelante y voit une interprĂ©tation dĂ©raisonnable, injuste ou inique et une situation qui heurte la raison ou la justice. Le refus du TAQ d’assimiler le fait que l’immeuble doive ĂŞtre rĂ©parĂ© Ă  sa destruction est absurde, puisque cela revient Ă  obliger le contribuable Ă  attendre que son immeuble s’écroule pour pouvoir prĂ©tendre Ă  la modification du rĂ´le.

[24]        Le Tribunal n’est pas d’accord.

[25]        Il est acquis au dĂ©bat devant le TAQ que la valeur de l’immeuble de l’appelante inscrite au rĂ´le 2010-2011-2012 ne tient pas compte de la prĂ©sence de pyrite. En principe, les travaux d’enlèvement de cette pyrite n’auraient donc eu aucun impact sur la valeur inscrite. Le principe de la rue Ă  double sens n’est nullement en cause ici.

D)        La destruction antérieure à l’entrée en vigueur du rôle

[26]        Durant le dĂ©libĂ©rĂ©, le Tribunal a invitĂ© les parties Ă  lui soumettre leurs observations sur l’article 174.3 LFM, dont il n’avait Ă©tĂ© question ni devant le TAQ, ni dans les mĂ©moires, ni Ă  l’audience.

[27]        Cet article prĂ©voit ceci :

174.3. Le fait qu'un événement visé à l'article 174 ou 174.2 se soit produit avant le 1er juillet du deuxième exercice financier précédant celui au cours duquel le rôle entre en vigueur ne dispense pas l'évaluateur de modifier le rôle si celui-ci, malgré les articles 46 et 69.6, ne reflète pas l'état de l'unité d'évaluation ou de l'établissement d'entreprise à cette date, compte tenu de l'événement.

Pour l'application des articles 174 et 174.2, une chose ne cesse pas d'être indûment omise du rôle ou d'y être indûment inscrite du seul fait que l'obligation de l'inscrire au rôle ou de l'en retirer n'existait pas encore au moment de l'établissement de celui-ci ou était alors inconnue de l'évaluateur.

[28]        Sans Ă©gard Ă  la distinction que fait le TAQ entre la survenance et la dĂ©couverte de vices graves, aurait-il dĂ» considĂ©rer que l’évaluateur avait nĂ©anmoins l’obligation de modifier le rĂ´le pour en tenir compte, mĂŞme si ces vices et leur cause existaient plus de deux ans avant l’entrĂ©e en vigueur du rĂ´le?

[29]        La rĂ©ponse se trouve Ă  l’article 131.2 LFM :

131.2. Une demande de révision peut être déposée en tout temps au cours de l'exercice financier pendant lequel survient un événement justifiant une modification du rôle en vertu de l'article 174 ou 174.2 ou au cours de l'exercice suivant, si l'évaluateur n'effectue pas cette modification.

[30]        Ainsi, mĂŞme si les dommages causĂ©s par la prĂ©sence de pyrite Ă©quivalaient Ă  une destruction de l’immeuble au sens du paragraphe 174 (6) LFM, cela ne permettait pas Ă  l’appelante de faire une demande de rĂ©vision, puisque plus de deux ans s’étaient Ă©coulĂ©s depuis cette destruction.

[31]        Il va de soi qu’un contribuable qui apprend qu’un facteur antĂ©rieur Ă  l’entrĂ©e en vigueur du rĂ´le affecte nĂ©gativement la valeur rĂ©elle de son immeuble aura le sentiment, comme l’appelante, d’assumer un fardeau fiscal disproportionnĂ©. Cependant, comme l’a dĂ©cidĂ© le TAQ, cela ne fait pas en sorte, hormis la survenance de l’un des Ă©vĂ©nements Ă©numĂ©rĂ©s Ă  l’article 174 LFM, de dĂ©roger Ă  la règle gĂ©nĂ©rale de l’immuabilitĂ© du rĂ´le.


POUR CES MOTIFS, LA COUR :

REJETTE l’appel;

AVEC FRAIS DE JUSTICE en faveur de l’intimée.

 

 

__________________________________

VINCENZO PIAZZA, J.C.Q.

 

Me Louis St-Martin

JOLI-cœur, LACASSE

Pour l’appelante

 

Me Louis Bouchart D’Orval

BÉLANGER SAUVÉ

Pour l’intimée

 

Mme Shila Viau, stagiaire

BARIL & AVOCATS

Pour le mis-en-cause

 

Date d’audience :

Le 10 février 2016

 



[1] 9185-6617 Québec inc. c. Longueuil (Ville), 2014 CanLII 67484 (QC TAQ).

[2] 9185-6617 Québec inc. c. Longueuil (Ville de), 2015 QCCQ 4494.

[3] RLRQ, c. F-2.1 (LFM).

[4] Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), [2015] 2 R.C.S. 3; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers' Association, [2011] 3 R.C.S. 654; Association des courtiers et agents immobiliers du Québec c. Proprio Direct inc., [2008] 2 R.C.S. 195; Frères Maristes (Iberville) c. Laval (Ville de), 2014 QCCA 1176, par. 6; Montréal (Ville de) c. Crystal de la montagne, s.e.c., 2011 QCCA 365, par. 2-5; Laval (Ville de) c. Boehringer Ingelheim (Canada) ltée, 2015 QCCQ 2970; Québec (Procureur général) c. Pièces d’autos de Montréal-Nord inc, 2015 QCCQ 319, par. 38; Hôtel Le St-Sulpice de Montréal inc. c. Montréal (Ville de), 2009 QCCQ 11801, par. 71-77.

[5] Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 57.

[6] Bohémier c. Barreau du Québec, 2012 QCCA 308, par. 17.

[7] Décision a quo, paragraphe 24.

[8] RLRQ, c. J-3 (LJA); Windsor (Ville de) c. Domtar inc., 2009 QCCQ 5334, par. 10.

[9] Commission scolaire de Laval c. Syndicat de l’enseignement de la région de Laval, 2016 CSC 8, par. 34.

[10] Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 R.C.S. 708, par. 22.

[11] Commission scolaire de la Vallée-des-Tisserands c. Syndicat de l'enseignement de Champlain, 2015 QCCA 1532, par. 9.

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