9185-6617 Québec inc. c. Longueuil (Ville de) |
2016 QCCQ 2397 |
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COUR DU QUÉBEC « Division administrative et d'appel » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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« Chambre civile » |
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N° : |
500-80-029765-147 |
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DATE : |
Le 15 avril 2016 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE VINCENZO PIAZZA, J.C.Q. |
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9185-6617 québec inc. |
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Appelante |
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c. |
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VILLE DE LONGUEUIL |
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Intimée |
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et |
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TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU QUÉBEC |
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Mis en cause |
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JUGEMENT |
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[1] L’appelante se pourvoit à l’encontre d’une décision de la Section des affaires immobilières du Tribunal administratif du Québec (TAQ), rendue le 6 novembre 2014 dans les dossiers SAI-M-196010-1202 / SAI-M-222418-1403[1].
[2] La décision dont appel accueille la requête en irrecevabilité de la Ville de Longueuil et rejette le recours de l’appelante à l’encontre du rôle d’évaluation 2010-2011-2012.
[3] Le contexte de l’affaire, la décision du TAQ, les motifs d’appel et les questions autorisées sont énoncés par monsieur le juge Lareau aux paragraphes 4 à 17 et 31 à 36 de son jugement permettant l’appel[2] :
CONTEXTE
[4] Le litige porte sur l’évaluation foncière d’un motel construit en 1975 et comportant à l’origine deux étages. Un troisième étage est ajouté en 1989. Les valeurs inscrites pour le rôle contesté (2010-2011-2012) se déclinent comme suit :
Terrain : 420 900 $
Bâtiment : 2 829 100 $
Total : 3 250 000 $ Proportion médiane 100%
Valeur uniformisée : 3 250 000 $
[5] Le rôle d’évaluation 2013-2014-2015, qui avait des valeurs inscrites identiques à celles du rôle précédent, a fait l’objet d’une recommandation de réduction de valeur à 1 034 500$. Cette recommandation a été acceptée par 9185 et entérinée par le TAQ.
[6] Le recours de 9185 à l’encontre du rôle 2010-2011-2012 fait suite à une demande de modification dans le cadre de la tenue à jour du rôle d’évaluation conformément à l’article 174 (6) de la Loi sur la fiscalité municipale (LFM). L’évaluateur municipal ayant refusé d’effectuer la modification, 9185 invoque l’article 131.2 LFM pour forcer ladite modification.
[7] Les articles pertinents invoqués prévoient ce qui suit :
174. L'évaluateur modifie le rôle d'évaluation foncière pour:
[…]
6° refléter la diminution de valeur d'une unité d'évaluation à la suite de l'incendie, de la destruction, de la démolition ou de la disparition de tout ou partie d'un immeuble faisant partie de l'unité;
131.2. Une demande de révision peut être déposée en tout temps au cours de l'exercice financier pendant lequel survient un événement justifiant une modification du rôle en vertu de l'article 174 ou 174.2 ou au cours de l'exercice suivant, si l'évaluateur n'effectue pas cette modification.
[8] La demande de modification du rôle découle de la découverte d’un vice affectant l’immeuble de 9185. Le 25 mai 2010, 9185 reçoit de la firme Fondasol un rapport faisant état de la présence de pyrite avec un potentiel de gonflement se situant entre 17% et 28%.
[9] Il n’est pas contesté que cette présence de pyrite représente un vice grave affectant la valeur de l’immeuble. D’ailleurs, ce problème a contribué au règlement de la valeur pour le rôle 2013-2014-2015 du fait que le problème est connu à la date d’évaluation pertinente à ce rôle.
[10] La situation est différente pour le rôle 2010-2011-2012 puisque LONGUEUIL refuse de modifier le rôle d’évaluation ne voyant aucun événement pouvant se qualifier au regard des critères prévus à l’article 174 (6) LFM.
LA DÉCISION DU TAQ
[11] Le TAQ est d’accord avec la position de LONGUEUIL et déclare le recours de 9185 irrecevable.
[12] Pour le TAQ, les événements permettant une mise à jour en vertu de l’article 174 LFM doivent être interprétés de manière restrictive car portant atteinte au principe de l’immuabilité du rôle. Ainsi, les événements énumérés à l’article 174(6) LFM sont l’incendie, la destruction, la démolition et la disparition de tout ou d’une partie de l’unité d’évaluation.
[13] Répondant à l’argument de 9185 à l’effet que la découverte de la présence de pyrite pouvait être assimilable à une «destruction», le TAQ écrit :
[24] De l’avis du TAQ, il ne peut s’agir que d’une destruction physique de tout ou d’une partie d’un immeuble et non d’une destruction de sa valeur. (…) le législateur n’utilise pas des termes correspondant à des concepts bien connus : «détérioration» ou «dégradation». C’est l’aboutissement de la détérioration physique qui constitue un événement et non sa progression (…).
[25] La présence de pyrite n’est pas en soi une destruction, mais elle peut éventuellement en être la cause : cela ne peut donc être un événement (…).
(…)
[27] (…) on ne peut qualifier d’événement le fait de prendre connaissance de la présence de pyrite en cours de rôle dans un rapport d’expert (…)
[14] Le TAQ explique qu’une opération de tenue à jour de rôle par l’évaluateur municipal comporte deux étapes qui doivent s’effectuer dans l’ordre suivant: 1- le constat d’un événement et 2- la modification de la valeur. En ce sens, la constatation d’une perte de valeur ne peut en soi être l’événement.
MOTIFS D’APPEL
[15] 9185 propose les deux questions en litige suivantes :
- Est-ce que la découverte d’un vice caché grave, affectant substantiellement à la baisse la valeur d’un immeuble, peut constituer un événement justifiant l’émission d’un certificat, au sens de l’article 174(6) de la LFM ?
- Est-ce que, en l’espèce, le mis en cause a commis une erreur déraisonnable en évaluant la preuve et le droit applicable et en décidant tel qu’il l’a fait, créant une injustice pour la requérante, justifiant l’intervention de cette Honorable Cour ?
[16] 9185 soutient que la DÉCISION ne tient pas compte de «la jurisprudence unanime et des pratiques établies des évaluateurs municipaux selon lesquelles la découverte d’un vice grave en cours de rôle constitue un événement au sens de l’article 174 (6) de la LFM».
[17] Pour 9185, l’énumération du paragraphe 6 de l’article 174 LFM inclut la découverte d’un vice grave.
(…)
L’INTERPRÉTATION DE L’ARTICLE 174 (6) LFM
[31] 9185 soutient que la DÉCISION va à l’encontre de la jurisprudence unanime et des pratiques établies des évaluateurs municipaux. Qu’en est-il?
[32] La preuve de la pratique des évaluateurs municipaux n’a pas été faite devant le TAQ, elle ne peut donc être considérée, si tant est qu’elle existe.
[33] La jurisprudence «unanime» soumise par 9185 fait état de sept cas dont les plus pertinents indiquent ce qui suit :
Baldo Lumina inc. c. St-Jean-sur-Richelieu, SAI-M-122258-0609, 27 Octobre 2006.
«[53] (…) Le nouveau foyer de contamination ne répond pas à la définition « d’objet » au sens de l’article 131.2 L.F.M. Il s’agit, au contraire, d’un nouvel événement qui oblige l’évaluateur municipal à modifier le rôle d’évaluation foncière en application de l’article 174,6 L.F.M. »
Doucet c. Trois-Rivières, AZ-94031231 (C.Q.), 10 Juin 1994.
« (…) Heureusement, il est possible de retrouver ce soucis d’équité fiscale au paragraphe 6 de l’article 174. En effet, La Cour croit que les situations qui y sont énumérées ne sont pas limitatives. La philosophie qui sous-tend ce paragraphe 6 vise à obliger l’évaluateur à modifier le rôle lorsque d’une circonstance découle une diminution manifeste de la valeur d’une unité d’évaluation. » (page 3)
Massé c. Waterloo, AZ-50067742 (T.A.Q), 7 octobre 1999.
« [16] (…) D’ailleurs, comme l’a indiqué le juge Gagnon, l’article 174 (6) L.F.M. n’est pas limitatif et permet de corriger des situations inéquitables qui heurtent la conscience judiciaire. La philosophie qui sous-tend ce paragraphe 6 vise à obliger l’évaluateur à modifier le rôle lorsqu’une diminution manifeste de valeur résulte de circonstances bien identifiées. »
Robert Mitchell inc. c. Montréal, AZ-50261690 (T.A.Q.), 25 juin 2004.
«[64] De toute façon, selon notre opinion, la question qui se poserait alors, serait de déterminer si la connaissance de la contamination d’un terrain en cours de rôle donne ouverture à la tenue à jour en conformité avec l’article 174 par. 6 LFM, comme constituant une destruction de l’immeuble, plutôt que de déterminer si l’ampleur de la décontamination, en termes monétaires, est assimilé à une destruction de l’immeuble au sens de cet article.
[65] C’est une question de fond qui doit être débattue éventuellement au fond et non sur requête en irrecevabilité. »
109424 Canada inc. c. Ville de Laval, (C.Q.), 540-22-001409-977, 18 février 2000.
« Le législateur prescrit que l’évaluateur municipal doit modifier le rôle lorsque survient un événement qui détruit un immeuble. Le Tribunal retient que le mot «événement» n’a pas le sens restrictif que veut lui donner la défenderesse.
Dans certains cas, la contamination peut constituer un événement entraînant la «destruction» d’un immeuble. Le Tribunal considère qu’il y aura destruction ou non selon l’ampleur de la contamination révélée par la preuve. » (pages 12-13)
[34] De son côté, LONGUEUIL y oppose le jugement de la Cour d’appel dans l’affaire Sears ajoutant que depuis, l’état du droit est clair. Les articles permettant la modification du rôle d’évaluation doivent être interprétés de manière restrictive comme l’a fait le TAQ en la présente instance.
[35] Le jugement de la Cour d’appel dans Sears n’a pas la portée que lui prête LONGUEUIL. Ce jugement traitait plus spécifiquement du pouvoir de l’évaluateur de refaire l’évaluation de l’ensemble de l’unité d’évaluation dans un contexte de mise à jour justifiée par l’omission indue d’un bien. Pour preuve, quatre des décisions susmentionnées ont été rendues après le jugement de la Cour d’appel.
[36] La question de ce que constitue une «destruction» au sens de l’article 174 (6) LFM ne semble pas faire l’objet d’une jurisprudence unanime allant dans le sens de la décision du TAQ dans le présent dossier. C’est une question sérieuse dont l’intérêt dépasse largement celui des parties au litige. Pour ces motifs, la permission d’appeler devrait être accordée.
[Références omises.]
[4] Monsieur le juge Lareau conclut son analyse en déclarant que son jugement tient lieu d’inscription en appel sur les questions suivantes :
- Est-ce que la découverte d’un vice caché grave, affectant substantiellement à la baisse la valeur d’un immeuble, peut constituer un événement justifiant l’émission d’un certificat au sens de l’article 174(6) de la LFM ?
- Est-ce que, en l’espèce, le mis en cause a commis une erreur déraisonnable en évaluant la preuve et le droit applicable et en décidant tel qu’il l’a fait, créant une injustice pour la requérante, justifiant l’intervention de la Cour du Québec ?
ANALYSE
A) La norme de contrôle
[5] S’agissant de questions mixtes de fait et de droit relativement à l’interprétation et à l’application de la Loi sur la fiscalité municipale[3], qui se situent au cœur de la compétence spécialisée du TAQ, les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. La détermination de la norme de contrôle applicable étant bien établie par la jurisprudence[4], l’analyse à cet égard est réputée avoir déjà eu lieu et ne pas devoir être reprise[5].
[6] Malgré la déférence dont le Tribunal doit faire preuve en raison de l’expertise particulière du TAQ, l’appelante soumet qu’il y a lieu d’intervenir puisque la décision dont appel ne possède pas l’ensemble des attributs de la raisonnabilité et qu’elle ne s’inscrit pas dans les issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
[7] L’appelante ajoute que puisqu’il s’agit d’une décision rendue sur une requête en irrecevabilité, la déférence due au TAQ est moindre que si la décision faisait suite à un débat au fond.
[8] Ce dernier point peut d’ores et déjà être évacué. Depuis Dunsmuir, la norme de la décision déraisonnable simpliciter n’existe plus. Les nuances que propose l’appelante dans le degré de déférence dû aux décisions du TAQ n’ont aucune assise juridique.
[9] À l’audience et avec raison, l’appelante n’insiste pas non plus sur l’argument qu’elle esquisse dans son mémoire, voulant que la question qu’a tranchée le TAQ aurait dû faire l’objet d’un débat au fond plutôt que d’être décidée sur une requête en irrecevabilité. Le principe de prudence qui s’impose au stade préliminaire d’un recours ne signifie pas qu’un moyen d’irrecevabilité soulevant une question sérieuse ou complexe doive être déféré au fond[6].
B) La découverte d’un vice peut-elle constituer un événement?
[10] Il est vrai, comme le constate le juge Lareau au paragraphe 36 de son jugement autorisant l’appel, que la décision dont appel ne s’inscrit pas dans une jurisprudence unanime, voire même cohérente, tant de cette Cour, du TAQ, que du Bureau de révision de l’évaluation foncière, sur la question de savoir ce que constitue une « destruction » au sens du paragraphe 174 (6) LFM.
[11] Dans la décision dont appel, le TAQ postule que la destruction en question doit nécessairement être « une destruction physique de tout ou d’une partie d’un immeuble et non (…) une destruction de sa valeur »[7]. L’appelante réfère pourtant à plusieurs décisions où le paragraphe 174 (6) LFM est appliqué en raison de la destruction non pas d’un immeuble lui-même, mais plutôt, précisément, de sa valeur, à la suite d’une contamination environnementale, par exemple.
[12] Cette controverse jurisprudentielle justifiait clairement que la permission d’appeler soit accordée, la question en faisant l’objet étant dès lors, par le fait même de cette controverse, d’intérêt pour la Cour au sens de l’article 159 de la Loi sur la justice administrative[8].
[13] Or, au stade de l’appel au fond, un filtre additionnel, d’origine jurisprudentielle, s’ajoute à celui de la permission, qui est pourtant le seul à avoir été prévu par le législateur. En effet, pour que la Cour du Québec puisse répondre à une question devant par ailleurs lui être soumise au sens de l’article 159 LJA, il faudra en outre, généralement, que la réponse d’abord donnée par le TAQ à cette question ait été déraisonnable. Comme la Cour suprême du Canada le répétait encore tout récemment, les questions auxquelles s’applique la norme de la rectitude font partie d’une « catégorie restreinte »; elles restent rares et se limitent le plus souvent à des situations qui mettent en cause la cohérence de l’ordre juridique fondamental du pays[9].
[14] En outre, « [l]e raisonnement qui sous-tend la décision/le résultat ne peut (…) être remis en question que dans le cadre de l’analyse du caractère raisonnable de celle-ci. »[10] Il est donc impossible pour la Cour du Québec de se prononcer sur le caractère déraisonnable, et encore moins le caractère erroné, d’une partie des motifs, dès lors qu’une autre partie de ceux-ci permet de qualifier la décision comme faisant partie des issues possibles.
[15] En l’espèce, le postulat du TAQ selon lequel la destruction du paragraphe 174 (6) LFM ne peut pas être la destruction de la valeur d’un immeuble ne constitue pas la ratio decidendi de sa décision : le recours de l’appelante a été rejeté parce qu’aucun événement au sens du paragraphe 174 (6) LFM n’était survenu.
[16] En effet, même en supposant qu’il était déraisonnable de conclure que les vices graves découlant de la présence de pyrite ne sauraient constituer une destruction au sens du paragraphe 174 (6) LFM, il faudrait également, pour que le Tribunal puisse se prononcer sur la question, qu’il soit déraisonnable de dire que seule la survenance d’une telle destruction - par opposition à sa découverte - peut constituer un événement au sens des articles 131.2 et 174 LFM.
[17] Or, cette interprétation du terme « événement » fait manifestement partie des issues possibles acceptables. Que le TAQ se soit trompé ou non dans son interprétation de ce que constitue une destruction au sens du paragraphe 174 (6) LFM n’y change rien.
[18] Sur le plan des faits, l’interprétation est rationnelle, transparente et intelligible. Le TAQ écrit :
[21] Les évènements énumérés à l’article 174(6) LFM sur lesquels s’appuie la partie requérante et qui auraient dû, selon elle, justifier l’évaluateur municipal de diminuer la valeur au rôle de son unité d’évaluation sont l’incendie, la destruction, la démolition et la disparition de tout ou d’une partie de l’unité d’évaluation.
[22] Cette liste d’évènements est limitative et c’est la survenance de l’un de ceux-ci qui est visée et non celle de leur connaissance.
(…)
[26] Certes, la présence de pyrite et les dommages qui en découlent constituent en soi un ou des éléments susceptibles de représenter une moins-value au point de vue économique qui peuvent entraîner une baisse progressive de la valeur (…).
[27] Toutefois, on ne peut qualifier d’évènement le fait de prendre connaissance de la présence de pyrite en cours de rôle dans un rapport d’expert expliquant la cause de dommages à la propriété qui existaient déjà à un moment antérieur (…).
[19] Sur le plan du droit, l’interprétation du TAQ s’accorde avec le texte et le sens ordinaire des mots. Il n’est clairement pas déraisonnable de dire que la découverte et la survenance de la destruction d’un immeuble reflètent deux réalités distinctes.
[20] Le paragraphe 5o du premier alinéa de l’article 177 LFM prévoit que les modifications visées au paragraphe 174 (6) LFM ont effet à compter de la plus récente date entre celle où survient l’événement et celle du premier jour de l’exercice financier au cours duquel la modification est faite. L’interprétation que propose l’appelante, en assimilant la découverte de la destruction d’un immeuble à sa survenance, signifierait que cette date de prise d’effet pourrait varier dans le temps, au détriment du contribuable, en fonction de la date de la découverte par celui-ci de la destruction de son immeuble et non de la date de la destruction elle-même. Il serait étonnant que tel ait été le résultat souhaité par le législateur.
C) L’erreur « déraisonnable » créant une injustice
[21] Disons d’emblée que c’est la décision ou l’interprétation déraisonnable qui constitue le critère d’intervention devant guider la Cour. Comme l’écrivait récemment monsieur le juge Morissette, la notion d’erreur « déraisonnable » est bancale et de nature à semer la confusion[11].
[22] Cela étant, l’appelante plaide l’adage bien connu voulant que la LFM ne soit pas une rue à sens unique. Elle considère être victime d’une iniquité en ce que selon elle, si les travaux d’enlèvement de la pyrite avaient été effectués, l’évaluateur municipal aurait modifié le rôle pour refléter l’augmentation de valeur en résultant, conformément au paragraphe 174 (7) LFM, qui est en quelque sorte le revers du paragraphe 174 (6) LFM.
[23] L’appelante y voit une interprétation déraisonnable, injuste ou inique et une situation qui heurte la raison ou la justice. Le refus du TAQ d’assimiler le fait que l’immeuble doive être réparé à sa destruction est absurde, puisque cela revient à obliger le contribuable à attendre que son immeuble s’écroule pour pouvoir prétendre à la modification du rôle.
[24] Le Tribunal n’est pas d’accord.
[25] Il est acquis au débat devant le TAQ que la valeur de l’immeuble de l’appelante inscrite au rôle 2010-2011-2012 ne tient pas compte de la présence de pyrite. En principe, les travaux d’enlèvement de cette pyrite n’auraient donc eu aucun impact sur la valeur inscrite. Le principe de la rue à double sens n’est nullement en cause ici.
D) La destruction antérieure à l’entrée en vigueur du rôle
[26] Durant le délibéré, le Tribunal a invité les parties à lui soumettre leurs observations sur l’article 174.3 LFM, dont il n’avait été question ni devant le TAQ, ni dans les mémoires, ni à l’audience.
[27] Cet article prévoit ceci :
174.3. Le fait qu'un événement visé à l'article 174 ou 174.2 se soit produit avant le 1er juillet du deuxième exercice financier précédant celui au cours duquel le rôle entre en vigueur ne dispense pas l'évaluateur de modifier le rôle si celui-ci, malgré les articles 46 et 69.6, ne reflète pas l'état de l'unité d'évaluation ou de l'établissement d'entreprise à cette date, compte tenu de l'événement.
Pour l'application des articles 174 et 174.2, une chose ne cesse pas d'être indûment omise du rôle ou d'y être indûment inscrite du seul fait que l'obligation de l'inscrire au rôle ou de l'en retirer n'existait pas encore au moment de l'établissement de celui-ci ou était alors inconnue de l'évaluateur.
[28] Sans égard à la distinction que fait le TAQ entre la survenance et la découverte de vices graves, aurait-il dû considérer que l’évaluateur avait néanmoins l’obligation de modifier le rôle pour en tenir compte, même si ces vices et leur cause existaient plus de deux ans avant l’entrée en vigueur du rôle?
[29] La réponse se trouve à l’article 131.2 LFM :
131.2. Une demande de révision peut être déposée en tout temps au cours de l'exercice financier pendant lequel survient un événement justifiant une modification du rôle en vertu de l'article 174 ou 174.2 ou au cours de l'exercice suivant, si l'évaluateur n'effectue pas cette modification.
[30] Ainsi, même si les dommages causés par la présence de pyrite équivalaient à une destruction de l’immeuble au sens du paragraphe 174 (6) LFM, cela ne permettait pas à l’appelante de faire une demande de révision, puisque plus de deux ans s’étaient écoulés depuis cette destruction.
[31] Il va de soi qu’un contribuable qui apprend qu’un facteur antérieur à l’entrée en vigueur du rôle affecte négativement la valeur réelle de son immeuble aura le sentiment, comme l’appelante, d’assumer un fardeau fiscal disproportionné. Cependant, comme l’a décidé le TAQ, cela ne fait pas en sorte, hormis la survenance de l’un des événements énumérés à l’article 174 LFM, de déroger à la règle générale de l’immuabilité du rôle.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
REJETTE l’appel;
AVEC FRAIS DE JUSTICE en faveur de l’intimée.
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__________________________________ VINCENZO PIAZZA, J.C.Q. |
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Me Louis St-Martin |
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JOLI-cœur, LACASSE |
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Pour l’appelante |
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Me Louis Bouchart D’Orval |
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BÉLANGER SAUVÉ |
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Pour l’intimée |
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Mme Shila Viau, stagiaire |
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BARIL & AVOCATS |
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Pour le mis-en-cause |
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Date d’audience : |
Le 10 février 2016 |
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[1] 9185-6617 Québec inc. c. Longueuil (Ville), 2014 CanLII 67484 (QC TAQ).
[2] 9185-6617 Québec inc. c. Longueuil (Ville de), 2015 QCCQ 4494.
[3] RLRQ, c. F-2.1 (LFM).
[4] Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), [2015] 2 R.C.S. 3; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers' Association, [2011] 3 R.C.S. 654; Association des courtiers et agents immobiliers du Québec c. Proprio Direct inc., [2008] 2 R.C.S. 195; Frères Maristes (Iberville) c. Laval (Ville de), 2014 QCCA 1176, par. 6; Montréal (Ville de) c. Crystal de la montagne, s.e.c., 2011 QCCA 365, par. 2-5; Laval (Ville de) c. Boehringer Ingelheim (Canada) ltée, 2015 QCCQ 2970; Québec (Procureur général) c. Pièces d’autos de Montréal-Nord inc, 2015 QCCQ 319, par. 38; Hôtel Le St-Sulpice de Montréal inc. c. Montréal (Ville de), 2009 QCCQ 11801, par. 71-77.
[5] Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 57.
[6] Bohémier c. Barreau du Québec, 2012 QCCA 308, par. 17.
[7] Décision a quo, paragraphe 24.
[8] RLRQ, c. J-3 (LJA); Windsor (Ville de) c. Domtar inc., 2009 QCCQ 5334, par. 10.
[9] Commission scolaire de Laval c. Syndicat de l’enseignement de la région de Laval, 2016 CSC 8, par. 34.
[10] Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 R.C.S. 708, par. 22.
[11] Commission scolaire de la Vallée-des-Tisserands c. Syndicat de l'enseignement de Champlain, 2015 QCCA 1532, par. 9.
AVIS :
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