Décision

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Lévesque c. Trottier (Institut de beauté Lise Trottier)

2014 QCCQ 226

 

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

« Chambre civile »

N°:

200-32-058121-129

 

 

 

DATE :

3 janvier 2014 (Jugement rectifié le 17 janvier 2014)

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

Daniel Bourgeois, J.C.Q. (JB 4529)

______________________________________________________________________

 

 

Véronique Valérie Lévesque, […] Saint-Jean-Port-Joli (Québec)  […]

 

Demanderesse

c.

 

Lise Trottier, faisant affaire sous le nom de (Institut de beauté Lise Trottier), 999, avenue de Bourgogne, Québec (Québec)  g1w 4s6

 

Défenderesse

 

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JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

Le 3 janvier 2014, le soussigné a rendu un jugement dans la présente instance.

Dans la désignation des parties, une erreur s'est glissée, sur le prénom de madame Lévesque,

En vertu de l'article 475 C.p.c. le Tribunal procède à la correction de cette erreur d'écriture:

le Litige

[1]           La demanderesse, madame Valérie Lévesque (ci-après appelée « madame Lévesque »), réclame à la défenderesse, madame Lise Trottier (ci-après appelée « madame Trottier»), 7 000 $ pour les dommages physiques, esthétiques et perte de jouissance à la suite d'un traitement de détatouage effectué par madame Trottier.

[2]           En défense, madame Trottier rejette la responsabilité sur le comportement post - traitement de madame Lévesque et décline également toute responsabilité compte tenu que madame Lévesque a signé une renonciation pour tous dommages qui pourraient apparaître à la suite du traitement.

le contexte

[3]           La demanderesse, qui est technicienne en radiologie travaillant à l'hôpital de Montmagny, prend rendez-vous le 9 février 2012 à l'institut de beauté de madame Trottier pour un traitement de détatouage par la méthode « Éliminink ».

[4]           Cette séance, d'une durée de quatre à cinq heures, a coûté 1 300 $, somme que madame Lévesque paie comptant, sans facture, à la demande de madame Trottier.

[5]           Après le traitement, madame Trottier fait signer à madame Lévesque un formulaire intitulé « instructions post-traitement pour effacement de tatouage », sur lequel il est indiqué ce que madame Lévesque doit faire et ne pas faire à la suite de ce traitement.

[6]           Sur ce formulaire, il est écrit ce qui suit :

« […] Si la région semble s'infecter, il faut absolument prendre contact immédiatement avec votre médecin. »

[7]           Madame Trottier fait également signer un autre formulaire à madame Lévesque, en l'occurrence le « Consentement de la cliente pour procéder à un effacement de tatouage avec ÉliminInk TM ».

[8]           Il est important, pour les fins du présent dossier, de reprendre les clauses importantes du consentement ci-haut mentionné :

« […] La nature d'Éliminink TM ainsi que la procédure m'ont été expliqué incluant les risques et possibilités de complication […]

Je comprends qu'ÉliminInk n'ont jamais eu un cas de réaction allergique, cependant, je comprends qu'il y a toujours une possibilité d'une réaction allergène au produit qui est implanté dans les tissus et libère la technicienne, le distributeur d'ÉliminInk TM pour une ou des responsabilités. _______ (initiale du client)

[…]

Je comprends qu'il y a d'autres procédures médicales pour enlever les tatouages (Je décide d'annuler toute tentative d'utiliser d'autres méthodes). Je comprends aussi que si je reçois d'autres traitements comme un facial, un traitement laser pour les poils, un laser à tatou, une chirurgie esthétique ou la procédure d'élimination de tatouage est appliqué, il peut s'en suivre une décoloration ou un changement de la texture de la peau. ____ (initiale du client)

Je comprends que d'enlever un tatou est difficile, que plusieurs traitements peuvent être nécessaire, que les résultats ne sont pas garantis et que la cicatrisation peut varier dû à l'hypo-pigmentation ou autre dommage de la peau, qui peut demeurer permanent, et peut apparaître durant ou après le traitement. Je n'ai pas reçu de garanties sur la qualité ou les risques lors de la procédure. Comme résultat, je ne tiendrai pas la technicienne, ni MicroPigmentation ou le distributeur ÉliminInk TM responsable pour les dommages qui pourraient apparaître sur ma personne et sur les décevants résultats d'élimination de pigments dans le tatou. _____ (initiale du client)

J'ai reçu les instructions avant et après traitements, je vais suivre minutieusement les recommandations. Je comprends l'importance de bien suivre les instructions qui pourraient influencer le bon développement du traitement ainsi que les bons résultats. ____ (initiale du client)

[…]

Je fus dûment informé de la nature, des risques, et possibilités de complication et conséquences dites lors de la consultation, je comprends que ma technicienne n'est pas un médecin. ____ (initiale du client)

[…]

(Reproduction partielle intégrale; Nos soulignements)

[9]           Dans les jours qui ont suivi le traitement, madame Lévesque constate des rougeurs et des douleurs sur sa cuisse. Elle doit alors se rendre d'urgence à l'hôpital pour traiter une infection et une cellulite qui est soudainement apparue. Les rapports médicaux de l'hôpital de Montmagny - consultations externes urgence -, les 15, 16, 20, 22 et 28 février 2012 confirment effectivement que madame Lévesque a reçu différents traitements médicaux de débridement, désinfection et que des antibiotiques lui ont été prescrits. Les photos déposées en preuve par madame Lévesque démontrent de plus l'état de la plaie après le traitement ainsi que l'état général du membre infecté (cuisse), en février 2012. Par ailleurs, d'autres photos prises en septembre 2013 démontrent clairement des cicatrices permanentes sur la cuisse gauche de madame Lévesque.

[10]        À l'audition, madame Lévesque témoigne qu'elle a dû recourir au service d'un dermatologue pour corriger la situation au laser et que d'autres traitements sont encore à prévoir. Selon celle-ci, le traitement au laser pourra faire disparaître les traces d'encre de façon définitive mais ne pourra pas faire disparaître les cicatrices causées par le traitement du 9 février 2012 prodigué par madame Trottier. Madame Lévesque réclame donc le remboursement du traitement, soit 1 300 $, le remboursement des médicaments et différents frais de transport, soit 200 $, la somme de 1 800 $ pour les traitements du dermatologue ainsi qu'une somme de 3 200 $ à titre de dommages physiques et esthétiques, de perte de jouissance et de dommages moraux et de stress. Enfin, une somme de 500 $ est réclamée à titre de dommages punitifs et fausse représentation.

[11]        En défense, madame Trottier prétend que madame Lévesque n'a jamais suivi les recommandations post-traitement qui prévoyaient que madame Lévesque devait s'assurer d'une circulation d'air adéquate et qu'elle devait garder la région au sec afin de favoriser la formation d'une galle.

[12]        Madame Trottier indique également que madame Lévesque lui aurait avoué qu'elle aurait été faire de la motoneige quelques jours après le traitement et, selon madame Trottier, cette sortie en motoneige, n'a certainement pas aidé et est probablement responsable de l'infection de la plaie.

[13]        En ce qui concerne cette sortie en motoneige, madame Lévesque confirme au Tribunal qu'elle a bel et bien utilisé une motoneige deux jours après le traitement mais seulement pour une courte période d'environ quinze minutes, pour se rendre chez des amis et quinze minutes au retour. Elle précise qu'elle a suivi à la lettre les instructions et les recommandations indiquées sur le formulaire qu'elle a signé et que malgré ces directives, une infection majeure est apparue sur sa cuisse

[14]        En ce qui concerne la formation de madame Trottier, cette dernière témoigne qu'elle est esthéticienne depuis plusieurs années et que, pour ce qui est de la nouvelle technique de détatouage « ÉliminInk TM », qui serait selon elle une technique reconnue aux États-Unis, elle a été formée par madame Corinne Bonfond, laquelle serait selon madame Trottier la seule formatrice dûment autorisée pour cette technique. Contre-interrogée à cet effet par le Tribunal, madame Trottier confirme, quelque peu hésitante, qu'elle n'a reçu qu'une seule journée de formation sur cette technique de madame Bonfond.

[15]        Madame Bonfond, présentée par madame Trottier comme un témoin expert, est venue témoigner à la demande de cette dernière. Madame Bonfond témoigne qu'elle n'était pas présente lors du traitement du 9 février 2012 et que sa connaissance du dossier s'est fait uniquement par l'échange de courriels et de téléphone entre elle, madame Trottier et madame Lévesque.

[16]        Madame Bonfond prétend que selon ce qu'elle a pu constater, a posteriori, la responsabilité de madame Trottier ne serait pas en cause et qu'elle aurait appliqué la technique correctement.

[17]        Interrogée à ce sujet par le Tribunal, madame Bonfond confirme qu'avant d'être autorisée à administrer la technique de détatouage « ÉliminInk TM », il faut être auparavant « maquilleuse permanente professionnelle », donc esthéticienne. Elle précise qu'il y a dix ans, aucune esthéticienne ne pouvait détenir de police d'assurance mais elle précise qu'aujourd'hui, il y a de plus en plus de formations, et plusieurs esthéticiennes ont la possibilité de détenir une assurance. Elle confirme que c'est le cas pour madame Trottier.

[18]        Madame Bonfond témoigne que la technique « ÉliminInk TM » existe au Québec depuis deux ans; donc, à la date du traitement de madame Lévesque, le 9 février 2012, ce traitement n'existait que depuis un an. Madame Bonfond témoigne également que la technique « ÉliminInk TM » appartient à une firme américaine et que c'est la firme MicroPigmentation Center, de Toronto, qui détient pour le Canada les droits de distribution et de formation. Elle confirme également qu'elle-même est la seule formatrice autorisée par MicroPigmentation Center de Toronto pour tout le Québec.

Analyse

[19]        Lorsque l'on prend connaissance du formulaire de consentement déposé par madame Trottier, il apparaît clairement que madame Trottier exige la signature de madame Lévesque pour chacune des clauses par lesquelles cette dernière renonce à tenir responsable madame Trottier, MicroPigmentation ou le distributeur ÉliminInk TM.

[20]        Compte tenu de ce qui précède, il est évident que le témoignage de madame Bonfond n'a pas la force probante que madame Trottier envisageait au départ. En effet, le Tribunal est d'avis que madame Bonfond n'a pas le recul nécessaire pour offrir un témoignage crédible, cette dernière étant en conflit d'intérêts flagrant puisque elle-même détient exclusivement les droits de formation pour tout le Québec sur la technique de détatouage « ÉliminInk TM ».

[21]        Le formulaire de consentement ci-haut mentionné est d'ailleurs fort éloquent à cet effet. Par ailleurs, ce genre de clause d'exclusion de responsabilité n'a aucun effet juridique au Québec. En effet, l'article 1474 du Code civil du Québec (C.c.Q.) prévoit ce qui suit :

1474. Une personne ne peut exclure ou limiter sa responsabilité pour le préjudice matériel causé à autrui par une faute intentionnelle ou une faute lourde; la faute lourde est celle qui dénote une insouciance, une imprudence ou une négligence grossières.

Elle ne peut aucunement exclure ou limiter sa responsabilité pour le préjudice corporel ou moral causé à autrui.

                                                                 (Nos soulignements)

[22]        Par ailleurs, le Tribunal s'est longuement interrogé sur l'absence de normes ou de cadre réglementaire entourant ce genre de procédé. Étant donné la nature du traitement prodigué aux clientes, et l'absence d'un milieu stérile et des possibilités de complications médicales pouvant résulter de ces traitements, il est étonnant, pour le moins, de constater qu'il n'y ait pas un minimum de réglementation dans ce domaine.

[23]        Étant donné l'ensemble de la preuve et du préjudice physique et esthétique occasionné à madame Lévesque, le Tribunal conclut que madame Trottier est responsable des dommages subis par la demanderesse.

[24]        Également, et compte tenu des risques associés à ce genre de traitement, il est surprenant de constater que la demanderesse, par ailleurs technicienne en radiologie, ait acceptée qu'une intervention soit fait non pas par un médecin spécialiste, dans des conditions médicales optimales, mais plutôt par madame Trottier, esthéticienne, acceptant en plus de rémunérer cette dernière en argent comptant, sans facture.

[25]        À cet effet, l'article 1478 C.c.Q. prévoit ce qui suit :

1478. Lorsque le préjudice est causé par plusieurs personnes, la responsabilité se partage entre elles en proportion de la gravité de leur faute respective.

La faute de la victime, commune dans ses effets avec celle de l'auteur, entraîne également un tel partage.

(Nos soulignements)

[26]        Dans ces circonstances, le Tribunal est d'avis que la demanderesse, compte tenu de sa formation professionnelle, a fait preuve de négligence en acceptant le genre de traitement de détatouage offert par madame Trottier et, de ce fait, elle doit supporter 50 % de la responsabilité des dommages et préjudices subis.

[27]        Enfin, pour ce qui est des dommages punitifs de 500 $ réclamés, en l'absence de faute intentionnelle et de conduite répréhensible grave de la part de la défenderesse, le Tribunal détermine que madame Lévesque n'y a pas droit.

[28]        En conséquence de ce qui précède, le Tribunal conclut que la réclamation doit être réduite à 6 500 $ et que madame Lévesque doit supporter la moitié de cette somme étant donné le partage de responsabilités résultant de sa propre négligence.

PaR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

Accueille en partie la demande;

condamne la défenderesse, madame Lise Trottier, à payer à la demanderesse, madame Valérie Lévesque, la somme de 3 250 $ avec les intérêts calculés au taux de légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec à compter du 5 septembre 2012;

Condamne la défenderesse, madame Lise Trottier, à payer à la demanderesse, madame Valérie Lévesque, les frais judiciaires de 163,00 $.

 

 

 

 

__________________________________

Daniel Bourgeois, J.C.Q.

 

 

 

 

 

 

 

Date d’audience :

16 décembre 2013

 

 

 

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