LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE
DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES
QUÉBEC MONTRÉAL, le 11 décembre 1992
DISTRICT D'APPEL DEVANT LE COMMISSAIRE : Me Jacques-Guy Béliveau, c.r.
DE MONTRÉAL
RÉGION:
DOSSIER: 26520-63-9102
DOSSIER CSST: 9167 1131 AUDITION TENUE LE : 16 juin 1992
DOSSIER BRP: 6029 7134 DATE DU DÉLIBÉRÉ : 12 août 1992
À : Montréal
DÉCISION
RELATIVE À UNE REQUÊTE PRÉSENTÉE EN VERTU DE L'ARTICLE
LES MALADIES PROFESSIONNELLES (L.R.Q., c. A-3.001).
COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ
DU TRAVAIL
432, rue de Lanaudière
Joliette (Québec)
J6E 7X1
PARTIE REQUÉRANTE
et
DENISE MONDOUX
141, rue Ostiguy
C.P. 135
Lavaltrie (Québec)
J0K 1H0
et
ORITE INC.
591, rue Iberville
Repentigny (Québec)
J6A 2C2
PARTIE INTIMÉES
D É C I S I O N
Le 17 mars 1992, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la Commission-requérante) dépose à la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d'appel) une requête en révision pour cause d'une décision que cette dernière a rendue, le 28 janvier 1992, après avoir tenu une audience les 14 juin, 17 juillet, 28 août, 30 septembre et 25 octobre 1991.
Par cette décision, la
Commission d'appel accueille l'appel de madame Denise Mondoux (la
travailleuse-intimée), infirme la décision rendue par le Bureau de révision de
la région de Lanaudière le 25 janvier 1991 et déclare que l'intimée, madame
Mondoux, a droit de récupérer de l'indemnité de remplacement du revenu et les
autres prestations à compter du 7 avril 1988, conformément à l'article
La compagnie Orite Inc. (l'employeur-intimée), n'est ni présente ni représentée à l'audience.
OBJET DE LA REQUÊTE EN RÉVISION
La Commission demande à la Commission d'appel de réviser la décision rendue le 28 janvier 1992, de rétablir la décision du 25 janvier 1991 du Bureau de révision et de déclarer que la travailleuse-intimée, madame Mondoux, n'a pas droit à la reprise de l'indemnité de remplacement du revenu en vertu de l'article 51 de la loi.
FAITS RELATIFS À LA REQUÊTE
Les faits étant reconnus par les parties, la Commission d'appel fait un rappel tant de ceux qui sont pertinents et mentionnés au dossier que ceux rapportés par le premier commissaire.
La preuve au dossier et celle présentée à l'audience devant le premier commissaire indiquent que la travailleuse-intimée a une formation académique limitée et que durant une période de trente-quatre ans, elle a exercé la fonction de couturière, soit jusqu'au mois de septembre 1985.
Elle déclare que «vers 1980, elle a commencé à avoir des problèmes au niveau lombaire (bas du dos), au niveau cervical et au niveau du bras droit»; elle ajoute que «depuis 1983, elle a également mal dans la jambe droite, soit de l'aine à l'orteil».
À compter du mois de septembre 1985, la travailleuse-intimée doit cesser de travailler à cause de la symptomatologie ci-avant décrite.
Dans une évaluation médicale sommaire demandée par la Commission, datée du 5 juin 1986, le docteur M. Martineau indique qu'il prévoit une atteinte à l'intégrité physique de la travailleuse-intimée, de même que des restrictions à sa réintégration au travail.
À la demande de la Commission, la travailleuse-intimée a rencontré le docteur M. Goulet. Dans un rapport daté du 26 juin 1986, le docteur Goulet indique:
«Conclusion: diagnostic final
Syndrome myofacial - Discarthrose cervicale.
(...)
Restrictions fonctionnelles:
Il serait recommandable que la travailleuse puisse changer de type de travail - Éviter répétition d'un même mouvement au niveau du rachis cervical...»
À la suite de ces évaluations médicales, la travailleuse-intimée est admise dans un programme de réadaptation à la Commission, qui, dans une lettre du 24 février 1987, indique:
«(...)
Vous avez donc amorcé un processus de réorientation professionnelle le 29 septembre 1986 en vous inscrivant au cours de formation préparatoire à l'emploi. Cette formation de vingt (20) semaines vous a amenée à définir comme emploi convenable le travail d'animatrice auprès de personnes à autonomie restreinte (personnes âgées, personnes déficientes mentales, etc...) Ce travail présente dans votre milieu une possibilité raisonnable d'embauche et met à profit vos intérêts, l'expérience acquise dans vos moments de loisirs et vos aptitudes. Le salaire annuel estimé relatif à cet emploi convenable s'évalue à 13 520,00$.
Conformément aux articles
Ultérieurement, nous inviterons votre médecin traitant à statuer sur le pourcentage de perte d'intégrité physique qui vous affecte afin de vous verser le montant forfaitaire qui s'y rattache.
Espérant, Madame Mondoux, que ces dispositions sauront répondre adéquatement à vos besoin en matière de réadaptation sociale, physique et professionnelle, je vous prie d'agréer l'expression de mes salutations les meilleures.» (sic)
La travailleuse-intimée indique qu'elle a effectivement occupé durant six mois, soit du mois de février au mois d'août 1987, cette fonction d'animatrice auprès de personnes à autonomie restreinte; la période de six mois correspond à la période prévue au contrat d'engagement. Elle ajoute que «elle s'est retrouvée seule, ... ne s'est jamais sentie à l'aise dans cet emploi...». Elle indique de plus que «durant cette période, elle a consulté son médecin, le docteur Martineau, qui l'incitait à continuer même si ça l'énervait beaucoup»; elle ajoute que «y avait trop de choses qui se passaient en même temps, ... j'étais au bout». La travailleuse-intimée indique que depuis le printemps 1988, elle travaille comme bénévole au CLSC et que la Commission lui «a coupé son indemnité de remplacement du revenu à 17,00 $ par deux semaines», soit la différence entre son salaire de couturière et celui d'animatrice» parce que la CSST a décidé qu'elle pouvait faire le travail d'animatrice.
Les notes évolutives au dossier, en date du 9 novembre 1987, révèlent ce qui suit:
«Tél de R. Est en chômage depuis la fin août. Se dit très stressée à retourner dans un emploi d'animatrice: ne se sent pas à la hauteur de l'emploi. Et ce stress lui provoque des maux de nuque. Doit retourner voir son médecin. Demande quand même emploi convenable car tient compte des restrictions fonctionnelles du R.»
Le 7 avril 1988, le docteur Martineau émet un avis à l'effet que la travailleuse a connu une aggravation reliée à la fatigue et à la tension engendrées par le travail. Le docteur Martineau pose comme diagnostic celui d'«arthrose cervicale et lombaire, de syndrome myo-fascial et fibromyosite».
Le 2 août 1988, la Commission rend une décision à la suite de l'avis d'un arbitre médical, le docteur Gilbert Thiffault, chirurgien-orthopédiste, à l'effet qu'à la suite de la lésion professionnelle subie par la travailleuse-intimée le 18 septembre 1985, celle-ci conserve une atteinte permanente de 2.20% au niveau cervical.
Le 14 octobre 1988, le représentant de la travailleuse-intimée référant
à l'expertise médicale du 7 avril 1988 du docteur Martineau, adresse une lettre
à la Commission et lui demande «... de déterminer si madame Mondoux peut,
conformément à l'article
Le 26 octobre 1988, la Commission fait part au représentant de la travailleuse-intimée de sa décision dans les termes suivants:
«(...)
Nous avons le regret de vous informer que madame Mondoux ne peut pas récupérer son droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 et aux autres prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.A.T.M.P.), conformément à l'article 51 de la présente Loi.
En effet, l'article
Or, la requérante n'occupe plus son emploi convenable d'animatrice depuis août 1987 et ce, pour fin de contrat. Pendant cette période d'occupation de l'emploi convenable, nous n'avons reçu aucun avis médical stipulant que madame Mondoux devait abandonner son travail et que celle-ci n'était pas raisonnablement en mesure d'occuper cet emploi convenable ou que cet emploi convenable comportait un danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique de la travailleuse. Conséquemment, l'article 51 ne s'applique pas dans le présent cas.»
Le 3 novembre 1989, le directeur des soins et adjoint administratif des Centres d'accueil Lanaudière fait parvenir au représentant de la travailleuse-intimée un rapport d'évaluation de ses qualifications professionnelles. À cet égard, le directeur s'exprime comme suit:
«(...)
Durant la période où Madame Mondoux fut à notre emploi via un projet Développement d'emploi pour l'année 1987, à titre d'animatrice, nous avons constaté qu'elle était bien préparée sur le plan académique. Elle a fourni un rendement satisfaisant, était très motivée, sauf que son manque de confiance limitait ses initiatives personnelles dans le cadre de ses activités. Ce manque de confiance qui caractérisait la personnalité de madame Mondoux versus les caractéristiques de la tâche d'animation a représenté des difficultés et des efforts plus grands pour madame Mondoux ainsi que les autres personnes embauchés dans le cadre du même projet.
(...)»
Dans le cadre d'une «évaluation du stagiaire par l'entreprise» (Le Passage), monsieur J. Fortier du Centre de formation préparatoire à l'emploi fait certains commentaires, dont les suivants:
«(...)
FACILITE A S'EXPRIMER
-très gêné
(...)
SENS DES INITIATIVES
- hésitant
(...)
Est-ce que la fonction actuelle du stagiaire correspond à ce que vous lui suggérez comme emploi futur? Si non, pour quelle(s) raison(s)?
Oui mais partiellement puisque compte tenu de son manque de confiance en elle, je lui suggérerait d'acquérir celle-ci avant de vraiment penser pouvoir agir en tant qu'intervenante. (...)»
Pour justifier sa décision, le premier commissaire, après avoir fait un rappel des dispositions de l'article 51 de la loi et de la définition de la notion d'«emploi convenable» que l'on retrouve à l'article 2, s'exprime comme suit aux pages 28 à 31 de sa décision:
«La Commission d'appel est d'avis que la preuve prépondérante la plus plausible avec l'ensemble des circonstances est à l'effet que la travailleuse n'avait pas les qualifications professionnelles requises pour occuper l'emploi d'animatrice auprès de personnes à autonomie restreinte, et qu'ainsi elle a droit à l'indemnité de remplacement du revenu et aux autres prestations prévues par la loi.
La Commission d'appel retient à cet effet que la travailleuse âgée de 50 ans en 1987, n'a pour ainsi dire exercé qu'une seule fonction durant sa vie, soit celle de couturière, et que sa formation académique est limitée. La Commission d'appel retient au même effet le témoignage crédible et non contredit de la travailleuse qui indique qu'elle «ne s'est jamais sentie à l'aise dans cet emploi...» d'animatrice, qu'elle «... était complètement perdue dans toute cette situation ...», et qu'elle a consulté le docteur Martineau «... durant cette période...», et que c'est ce dernier qui l'incitait à continuer «... même si ça l'énervait beaucoup». La Commission d'appel retient au même effet le rapport du docteur Martineau, daté du 7 avril 1988, qui indique que cet emploi «dit» convenable a provoqué une aggravation des malaises chez la travailleuse.
La Commission d'appel retient de plus au même effet les rapports de messieurs DeRoy, du Centre d'accueil Lanaudière, de même que Fortin, du Centre de formation préparatoire à l'emploi, qui indiquent des lacunes chez la travailleuse qui font en sorte que la Commission d'appel conclut que la travailleuse ne possédait pas les qualités professionnelles requises pour occuper cet emploi. La Commission d'appel retient au même effet le rapport du docteur Dupuis, daté du 3 avril 1989, qui indique que ce travail causait à la travailleuse beaucoup de tension, qui augmentait la douleur.
La Commission d'appel est donc d'avis que la travailleuse n'avait pas au moment où elle a occupé l'emploi «dit» convenable, les qualités professionnelles requises et ce, bien qu'elle a reçu une formation préparatoire conformément à la section I du chapitre IV de la loi, et plus particulièrement l'article 171.
171. Lorsqu'aucune mesure de réadaptation ne peut rendre le travailleur capable d'exercer son emploi ou un emploi équivalent et que son employeur n'a aucun emploi convenable disponible, ce travailleur peut bénéficier de services d'évaluation de ses possibilités professionnelles en vue de l'aider à déterminer un emploi convenable qu'il pourrait exercer.
Cette évaluation se fait notamment en fonction de la scolarité du travailleur, de son expérience de travail, de ses capacités fonctionnelles et du marché du travail.
La jurisprudence de la Commission d'appel est d'ailleurs claire à l'effet que pour qu'un emploi soit convenable il doit être entre autres, conforme aux qualifications professionnelles d'un travailleur (1991, CALP, 347, et 1990, CALP, 389).
Concernant l'argument à l'effet que la travailleuse n'aurait pas droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue à la loi parce qu'elle n'occupait pas l'emploi «dit» convenable au moment où le docteur Martineau a produit son rapport médical du 7 avril 1988, la Commission d'appel est d'avis que cela constitue une interprétation qui va à l'encontre des chapitres IV et VII de la loi, qui disposent de la Réadaptation et du Droit au retour au travail, et plus particulièrement à l'encontre de l'objet même de la loi tel que défini à l'article 1.
1. La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.
Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour dommages corporels et, le cas échéant, d'indemnités de décès.
La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.
La Commission d'appel est donc d'avis de retenir l'avis du docteur Martineau, daté du 7 avril 1988, bien que postérieur à la période où la travailleuse a occupé l'emploi «dit» convenable, et qui conclut que cet emploi aggrave sa lésion professionnelle. La Commission d'appel est donc d'avis que la travailleuse a droit de recevoir l'indemnité de remplacement du revenu et les autres prestations prévues par la loi.
Concernant la date à laquelle la travailleuse récupère son droit au bénéfice de la loi, la Commission d'appel est d'avis que c'est à compter de la date du rapport du docteur Martineau, soit le 7 avril 1988. La Commission d'appel est d'avis que ce n'est qu'à compter de ce moment que la travailleuse s'est véritablement conformée aux dispositions de l'article 51 de la loi.»
ARGUMENTATION
Le procureur de la Commission-requérante plaide que la décision du premier commissaire comporte à sa face même plusieurs erreurs de droit et de faits et notamment, la non-application de l'article 51 de la loi et ce, pour les motifs suivants:
1ELa travailleuse-intimée, madame Mondoux, avait abandonné son emploi convenable depuis plus de deux mois lorsqu'elle a communiqué avec la Commission en novembre 1987, depuis plus de 8 mois lorsqu'elle a consulté son médecin, le docteur Martineau, en avril 1988 et depuis plus de 14 mois lorsque son procureur a demandé expressément à la Commission, dans sa lettre d'octobre 1988, l'application de cet article;
2ECet emploi respectait les limitations fonctionnelles qui avaient été posées en juin 1986 par les docteurs Martineau et Goulet, lesquelles limitations n'ont pas été modifiées par le premier commissaire alors que le pourcentage d'atteinte permanente l'a été;
3ELe commissaire en vient à la conclusion que l'emploi n'était pas un emploi «dit convenable» puisque la travailleuse-intimée n'avait pas les qualités professionnelles requises, bien qu'il reconnaisse qu'elle avait reçu la formation préparatoire prévue à la loi;
4ELe commissaire s'est prononcé sur l'«aggravation» de la lésion professionnelle alors qu'il n'était pas saisi de cette question;
5EIl n'a pas été demandé au commissaire de statuer sur la détermination d'un emploi convenable;
6ELe commissaire a omis de statuer s'il y avait application de l'article 51 de la loi.
Le procureur rappelle que cet article pose les conditions suivantes pour son application:
1EIl y a d'abord un délai de deux (2) ans de prévu;
2ELe travailleur doit abandonner l'emploi convenable à l'intérieur de ce délai; et,
3ECet abandon du travail doit être basé sur l'avis du médecin qui a charge du travailleur.
Quant à l'applicabilité ou non de cet article, le processus suivi par le commissaire est erroné, selon le procureur, qui plaide qu'il aurait dû suivre les règles établies par Me Marie Lamarre, commissaire, dans l'affaire Jean-Robert Perpignan et Paris Star Knitting Mills Inc et C.S.S.T.-Île-de-Montréal[1]. Dans cette affaire, la Commission d'appel parle de limitations fonctionnelles finales pour les fins d'établissement et de choix d'un emploi convenable. On indique qu'on ne doit pas prendre en compte de «nouvelles» limitations fonctionnelles plus sévères que celles déjà attribuées initialement.
En la présente instance, les tâches reliées à l'emploi convenable respectent les restrictions fonctionnelles qualifiées par le docteur Goulet en juin 1986. Aucune preuve au dossier n'indique que le travail d'animatrice auprès de personnes à autonomie restreinte ait pu provoquer des mouvements répétés du rachis cervical, souligne le procureur.
Celui-ci soumet de plus que ce n'est pas cet aspect dont fait état le commissaire: il dit plutôt que la travailleuse-intimée est trop nerveuse pour faire ce travail et se base sur le rapport d'avril 1988 du docteur Martineau qui a qualifié de nouvelles limitations.
C'est en se basant sur ces limitations dont la preuve n'a pas été faite et dont fait état la Commission d'appel dans l'affaire Jean-Robert Perpignan et Paris Star Knitting Mills Inc. et C.S.S.T.-Île-de-Montréal précitée, que le commissaire conclut que l'emploi convenable n'était pas convenable ou «dit convenable». Le procureur plaide qu'en août 1987, il n'est nullement question de «tension engendrée» par le travail d'animatrice créant «à nouveau des douleurs incapacitantes».
Selon le procureur, l'emploi établi en février 1987 respectait les restrictions fonctionnelles et était véritablement un emploi convenable. De plus, cet emploi n'a pas été contesté pour cause d'absence de qualité professionnelle chez la travailleuse-intimée, comme en fait état la décision du premier commissaire, rappelle le procureur.
Celui-ci plaide que le caractère temporaire - période de six mois - n'enlève rien aux éléments qui constituent un «emploi convenable». Il souligne que l'emploi était disponible en février 1987 pour la travailleuse-intimée dans son milieu de sorte qu'on peut dire qu'il y avait une possibilité raisonnable d'embauche. En outre, la travailleuse-intimée n'a pas abandonné son emploi parce qu'elle n'était pas en mesure de l'exercer; de plus, elle ne s'est pas plainte d'avoir dû quitter son travail.
S'appuyant sur la décision rendue par Me Françoise Garneau-Fournier, commissaire, dans l'affaire Paul Lemay et Berkline Inc.[2], le procureur souligne que rien dans la preuve n'établit que les conditions requises pour l'application de l'article 51 de la loi ont été remplies. À cet égard, il rappelle, entre autres, ce qui suit: le docteur Martineau ne peut parler de l'abandon par la travailleuse-intimée de son emploi puisqu'elle l'a déjà abandonné. En outre, nulle part ce médecin ne peut dire qu'elle a dû quitter son emploi parce qu'elle était incapable de l'exercer; en effet, le docteur Martineau se contente de mentionner simplement qu'elle a des douleurs dues au stress.
Selon l'article 51 de la loi, il va de soi que pour abandonner un emploi, il faut l'exercer et si on l'exerce, il doit être démontré, par avis médical, qu'est survenu quelque chose qui est tel qu'un travailleur n'est pas raisonnablement en mesure d'occuper l'emploi convenable ou que «cet emploi convenable comporte un danger pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique». En l'instance, aucune de ces conditions n'a été remplie, indique le procureur.
Celui-ci soutient que le commissaire a pris en compte de nouveaux éléments médicaux postérieurs non seulement à la date de l'établissement de l'emploi convenable mais à celle de la fin de l'exercice de cet emploi, qui respectait les limitations posées par les médecins.
En conclusion, le procureur soumet qu'il y a erreur manifeste et flagrante à la face même de la décision du commissaire, qui:
1EA pris en compte des limitations établies postérieurement à la détermination de l'emploi convenable et à son exercice;
2EA parlé d'aggravation alors qu'aucune preuve n'a été présentée et qu'aucune réclamation n'a été faite à cet effet;
3EA discuté comment est établi un emploi convenable plutôt que d'appliquer l'article 51 de la loi.
Bref, le procureur fait valoir que le premier commissaire a erré de façon manifeste en ne se prononçant pas sur des choses qui lui étaient soumises alors qu'il s'est prononcé sur des éléments dont il n'était pas saisi.
Pour sa part, le procureur de la travailleuse-intimée plaide que le but de l'article 51 de la loi est de permettre au travailleur de récupérer l'indemnité de remplacement du revenu et les autres prestations prévues à la loi lorsque le médecin en ayant charge est d'avis qu'il s'avère, à l'expérience, que le travailleur n'est pas raisonnablement en mesure d'exercer l'emploi convenable ou que cet «emploi comporte un danger» pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique. Selon le procureur, cet article permet au travailleur de récupérer son droit à l'indemnité de remplacement du revenu comme s'il n'avait jamais été capable d'exercer l'emploi convenable ou si l'emploi qui avait été jugé convenable, n'est plus réputé l'être.
À l'appui de son argumentation, le procureur réfère la Commission d'appel au commentaire que l'on retrouve à la Loi annotée sur les accidents du travail et les maladies professionnelles sous l'article 51. Le procureur soutient que cet article permet de remettre en question l'emploi convenable qui a été déterminé même si la décision de la Commission à cet égard n'a pas été contestée.
En réponse aux allégués de la requérante à l'effet que l'article 51 ne pouvait s'appliquer puisque les conditions pour ce faire n'étaient pas rencontrées, d'une part, et que cet article «ne doit souffrir d'aucune interprétation puisque son texte est clair et sans ambiguïté», d'autre part, le procureur de l'intimée argue que le premier commissaire en a décidé autrement en invoquant l'objet du chapitre IV qui traite de la Réadaptation, du chapitre VII qui vise le Droit au retour au travail et de l'objet de la loi qui est défini à l'article 1. En ce faisant, le premier commissaire, soutient le procureur, a tenu compte de l'interprétation large et libérale de l'expression «le travailleur qui occupe...». Selon le procureur, «il suffit que celui-ci ait occupé son emploi convenable lorsque son médecin émet l'avis qu'il ne pourra plus l'exercer». À cet égard, le procureur reprend ses notes et autorités produites à la première audience et notamment, ce qui suit:
«1.l'interprétation large et libérale de l'expression «le travailleur qui occupe...» à l'effet que l'indicatif présent comprend aussi le passé composé (le travailleur qui occupe ou celui qui a occupé...) est compatible avec l'objet de l'article 51 car cette disposition vise essentiellement à permettre au travailleur de récupérer sont droit à l'IRR quand il s'avère à l'expérience que l'emploi convenable ne l'est pas vraiment;»
À l'argument de la Commission à l'effet qu'on doit interpréter, de façon littérale et restrictive, l'article 51 au motif qu'il est clair et non ambigu, le procureur s'appuyant sur l'ouvrage «Interprétation des lois» du professeur Pierre-André Côté, rappelle les énoncés expliquant la règle d'interprétation littérale:
«1)Si la loi est claire, on ne doit pas l'interpréter;
2)Si le texte est clair en soi, il ne faut pas chercher plus avant;
3)C'est dans le texte que l'on doit rechercher l'intention.»
La question essentielle, plaide le procureur, est de savoir si la Commission d'appel a erré en droit en refusant d'appliquer de façon stricte la méthode libérale d'interprétation qui fait appel à l'économie générale de la loi et au but du législateur. Selon le procureur, le commissaire n'a pas fait d'erreur manifeste en refusant d'interpréter la loi de façon stricte.
Le procureur plaide que même si le commissaire avait erré en droit en concluant que l'article 51 reçoit application au motif que le travailleur n'exerce plus l'emploi convenable au moment où son médecin est d'avis qu'il doit l'abandonner, cette erreur ne donne pas ouverture à révision puisqu'il ne s'agit pas d'une erreur manifeste et flagrante.
Par ailleurs, le choix d'une méthode d'interprétation n'est pas un motif à révision. Même dans l'hypothèse où il y aurait erreur de la part du premier commissaire dans l'interprétation qu'il a faite de l'article 51 de la loi, s'agit-il d'une erreur manifeste constituant un déni de justice? Le procureur argue qu'on ne peut parler d'erreur flagrante lorsqu'il s'agit d'interprétation.
Le premier commissaire a-t-il commis une erreur de faits en concluant, à partir du rapport d'avril 1988 du docteur Martineau, que la travailleuse-intimée avait aggravé sa lésion professionnelle en exerçant l'emploi dit «convenable», se demande son procureur. Comme le commissaire a conclu que l'exercice de l'emploi convenable engendre de la tension et du stress qui font réapparaître des douleurs incapacitantes et qu'un travail sans responsabilité importante serait plus approprié, il a donc déduit qu'il y avait aggravation de la lésion chez la travailleuse-intimée.
Comment la Commission-requérante peut-elle prétendre qu'il y a erreur de faits à cause d'absence totale de preuve? Tel n'est pas le cas, même si le commissaire n'a pas employé les «termes» mêmes du docteur Martineau. Là encore, il s'agit d'une question d'appréciation de la preuve qui est de la compétence impartie au premier commissaire qui a entendu la preuve.
En regard de l'allégué de la Commission-requérante à l'effet qu'il n'y a pas eu aggravation et que même si tel était le cas, il n'y a pas ouverture à l'application de l'article 51 de la loi, le procureur de la travailleuse-intimée, tout en reconnaissant que le docteur Martineau n'a parlé ni d'abandon de l'emploi convenable ni d'aggravation, de façon expresse, plaide que le commissaire en est venu à la conclusion que ce médecin s'en était exprimé de façon implicite en écrivant que l'emploi convenable engendre de la tension et du stress de sorte qu'un travail plus approprié devrait être assigné à la travailleuse-intimée. C'est ainsi que le commissaire était raisonnablement en droit de déduire qu'elle ne pouvait exercer l'emploi «dit convenable» puisqu'il faisait réapparaître des douleurs incapacitantes et risquait d'aggraver ses séquelles permanentes.
De plus, la preuve au dossier et celle présentée devant le premier commissaire l'ont amené à conclure à bon droit que le docteur Martineau a eu raison de laisser entendre que la travailleuse-intimée n'était pas raisonnablement en mesure d'exercer le travail d'animatrice à cause de l'insuffisance de sa capacité intellectuelle qui engendre un état de stress qui aggrave les séquelles permanentes découlant des syndromes myofacial, cervico-dorsal et lombaire, fait valoir le procureur.
Selon lui, le commissaire était donc justifié de reconnaître que la travailleuse-intimée était incapable de remplir le travail d'animatrice à cause notamment de son manque de qualification professionnelle et de son âge.
En outre, le commissaire a pris en compte le témoignage crédible et non contredit de la travailleuse-intimée, le rapport d'avril 1988 du docteur Martineau de même que les rapports de messieurs DeRoy des Centres d'accueil Lanaudière et Fortin du Centre de formation préparatoire à l'emploi où l'on a noté des lacunes chez la travailleuse-intimée.
Enfin, compte tenu que le docteur Dupuis dans son rapport d'avril 1989 mentionne un pourcentage d'atteinte permanente supérieur à celui qui avait été considéré antérieurement et que le commissaire a retenu, celui-ci avait la compétence pour considérer de nouvelles limitations fonctionnelles qui résultent de ce déficit anatomo-physiologique (DAP) et dont la Commission n'avait pas pris en compte au moment où les docteurs Martineau et Goulet ont établi des restrictions fonctionnelles. Le procureur rappelle que le docteur Dupuis a qualifié les limitations fonctionnelles de façon plus élaborée que les autres médecins.
Quant à la question de savoir si le premier commissaire avait compétence pour remettre en question les limitations fonctionnelles, le procureur répond affirmativement même s'il reconnaît qu'il ne s'en est pas exprimé de façon expresse. En effet, dans la mesure où le commissaire en est venu à la conclusion que l'article 51 recevait application, on doit en déduire qu'il a tenu compte des nouvelles limitations fonctionnelles. Rien dans cet article ne limite la qualification des restrictions au moment de l'établissement de l'emploi «dit convenable», reprend le procureur. À cet égard, il souligne que le docteur Dupuis est d'accord avec le docteur Martineau quant aux limitations fonctionnelles suivantes:
«-la travailleuse doit éviter les mouvements répétitifs avec les membres supérieurs.
-elle doit éviter de garder les bras tendus vers l'avant ou vers le haut.
-elle doit éviter de rester plus qu'environ une heure dans la même posture.
-elle doit éviter de faire des mouvements répétitifs ou amples de la colonne cervicale et lombaire.
-elle doit éviter les conditions de travail qui engendrent du stress, à cause de l'effet néfaste que le stress a sur un syndrome myofacial.»
Comment un travailleur peut-il contester l'emploi convenable avant d'avoir fait une tentative d'exercices sur une longue période, plaide le procureur. Selon lui, de nouvelles limitations peuvent être découvertes en accord avec le médecin traitant, lesquelles peuvent être de nature à empêcher un travailleur d'exercer un tel emploi. C'est le but de l'article 51 de la loi, reprend-il. L'on tient compte ainsi tant des limitations fonctionnelles posées initialement que celles qui pourraient survenir plus tard du fait de l'exercice de l'emploi. En outre, on doit considérer la capacité résiduelle du travailleur et de ses qualifications professionnelles pour exercer l'emploi.
Enfin, le procureur soutient que le commissaire n'a pas écrit que l'«aggravation» donnait ouverture à l'application de l'article 51 de la loi. Ce qui a été déterminant pour lui, réitère le procureur, c'est son témoignage dont l'appréciation ne donne pas ouverture à révision, comme en font état la jurisprudence constante de la Commission d'appel et en particulier, la décision rendue par Me Michel Duranceau, commissaire, dans l'affaire Réjean Lamarre et Day & Ross Inc.[3] qui réfère à la cause Veilleux et Beaver construction Groupe Ltée[4]:
«...l'appréciation qu'un commissaire fait d'une preuve faite devant lui et plus spécialement de la crédibilité de certains témoignages ou rapports médicaux ne sont pas matière à révision.»
En réponse, le procureur de la Commission-requérante réitère qu'on doit s'en tenir aux limitations fonctionnelles connues lors de l'établissement de l'emploi convenable et qui découlent de la lésion professionnelle. S'il y a aggravation, une nouvelle réclamation doit être adressée à la Commission. Dans l'hypothèse où la réclamation serait accueillie, il s'ensuivrait nécessairement l'établissement d'un nouvel emploi convenable, le cas échéant, ce qui n'est pas le cas en instance, rappelle le procureur.
En ce qui a trait à l'exposé de la travailleuse-intimée quant à l'interprétation de l'article 51 de la loi, le procureur s'appuyant sur l'ouvrage précité du professeur Côté, signale à la Commission d'appel ce qui suit:
«L'accent mis sur la lettre reste important pour les raisons déjà exposées: en insistant sur l'intention apparente plutôt que sur l'intention réelle, il sert de frein à la discrétion judiciaire et protège le justiciable contre des décisions qu'il n'avait aucun moyen de prévoir par la lecture du texte dans son environnement approprié. Quant à l'objet, il donne son sens véritable au texte et on ne saurait jamais l'ignorer sans risquer de compromettre la qualité de la communication légale. La lettre doit être éclairée par le contexte global.»
Le procureur fait valoir qu'interpréter de façon littérale un texte de loi clair, ne signifie pas qu'on ne tient pas compte de l'objet de la loi et du but du législateur.
Par ailleurs, le procureur rappelle que le commissaire ne répond pas à la question qui lui a été posée. En effet, lui demandant d'appliquer l'article 51 de la loi, il dit que l'emploi convenable n'est pas convenable et qu'il y a eu aggravation. Ceci constitue une erreur manifestement déraisonnable. Peut-être que le premier commissaire ne s'est pas trompé lorsqu'il a dit qu'il y avait aggravation et que l'emploi n'était pas convenable, mais ce n'était pas pertinent sans compter qu'il n'était pas saisi de cette question, soutient le procureur.
Le texte de l'article 51 de la loi n'est pas d'établir s'il y a eu aggravation et de toute façon l'aggravation ne donne pas ouverture à l'application de l'article 51, mais plutôt à une réclamation pour une nouvelle lésion professionnelle, reprend le procureur.
On ne peut soutenir que le commissaire était justifié de déduire qu'il y avait de nouvelles limitations fonctionnelles au motif qu'il y avait augmentation du pourcentage de l'atteinte permanente d'autant plus, souligne le procureur, que le docteur Dupuis a écrit qu'il n'y avait pas de limitations au niveau de la colonne lombaire de sorte qu'il n'y avait pas de pourcentage pour les ankyloses.
Tout en reconnaissant qu'il n'y a pas motif à révision lorsqu'il s'agit de juger de l'interprétation de faits, le procureur réitère qu'en la présente instance l'on ne retrouve aucun des éléments donnant ouverture à l'application de l'article 51 de la loi.
Selon le procureur, l'on doit respecter les conditions mentionnées à cet article au même titre que la Commission d'appel a décidé que le médecin ayant charge du travailleur devait se prononcer de façon précise dans le cas d'une assignation temporaire. Dans le présent cas, aucun médecin ne s'est prononcé à l'effet que l'emploi convenable comportait un danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique de la travailleuse-intimée ou que l'emploi n'était pas convenable en regard des limitations fonctionnelles qu'elle présentait.
En conclusion, le procureur soutient que ce qui constitue l'erreur manifestement déraisonnable, c'est justement l'absence des conditions pouvant donner ouverture à l'application de l'article 51 de la loi.
En réplique, le procureur de la travailleuse-intimée fait valoir que quand des médecins écrivent que l'exercice de l'emploi entraîne des douleurs incapacitantes et qu'il risque d'aggraver les séquelles permanentes laissées par les lésions professionnelles, n'est-ce pas une façon de dire que l'exercice de l'emploi convenable comporte un danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique? À cet égard, le procureur réitère qu'il ne faut pas perdre de vue l'objet de l'article 51 de la loi qui est d'éviter qu'un travailleur soit contraint d'exercer un emploi «dit convenable» alors qu'il ne l'est pas véritablement et qu'il entraîne une aggravation des séquelles permanentes. Selon le procureur, cet article doit recevoir application non seulement lorsque le travailleur se voit assigner des tâches qui n'ont pas été décrites dans l'emploi convenable, mais également lorsqu'il ressort de l'expérience que les limitations fonctionnelles n'ont pas été posées de façon suffisamment précise.
Dans le présent cas, l'on ne peut soutenir, reprend le procureur, que la travailleuse-intimée devait continuer à exercer le travail d'animatrice alors que ce travail était de nature à aggraver ses séquelles permanentes, l'objet de l'article 51 étant justement de prévenir ce genre de cas.
MOTIFS
La Commission d'appel doit décider s'il existe une cause donnant ouverture à réviser sa décision du 28 janvier 1992 au sens de l'article 406 de la Loi qui se lit comme suit:
406. La Commission d'appel peut, pour cause, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu.
Cet article, sur lequel s'appuie la requérante pour demander la révision, constitue une exception au principe voulant que les décisions de la Commission d'appel soient finales, tel qu'énoncé à l'article 405 de la Loi:
405. Toute décision de la Commission d'appel doit être écrite, motivée, signée et notifiée aux parties et à la Commission.
Cette décision est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
L'article 406 ne précise pas les causes pouvant donner lieu à une révision, mais chose certaine, il vise à sanctionner une erreur qui s'est avérée déterminante dans l'établissement des conclusions retenue dans la décision attaquée.
Il s'agit, dans la présente affaire, de déterminer si la Commission d'appel a commis une erreur manifeste de droit ou de faits, donnant ouverture à la révision. Fondamentalement, la requérante reproche au premier commissaire d'avoir retenu des faits qui ne donnent pas ouverture à l'application de l'article 51 de la Loi et en ce faisant, a rendu une décision manifestement déraisonnable équivalant à excès de juridiction.
L'article 51 de la Loi s'énonce ainsi:
51. Le travailleur qui occupe à plein temps un emploi convenable et qui, dans les deux ans suivant la date où il a commencé à l'exercer, doit abandonner cet emploi selon l'avis du médecin qui en a charge récupère son droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 et aux autres prestations prévues par la présente loi.
Le premier alinéa ne s'applique que si le médecin qui a charge du travailleur est d'avis que celui-ci n'est pas raisonnablement en mesure d'occuper cet emploi convenable ou que cet emploi convenable comporte un danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur.»
Le texte de cet article est rédigé d'une manière telle qu'il ne permet pas au travailleur de recevoir une indemnité de remplacement du revenu s'il n'occupe plus d'emploi convenable et si le médecin qui en a charge, émet son avis alors que l'emploi a déjà été abandonné. Notons qu'en la présente instance, le certificat du docteur Martineau a été donné plus de neuf (9) mois après l'abandon du travail par la travailleuse-intimée, madame Mondoux.
De l'avis de la Commission d'appel, il faut interpréter l'article 51 de la loi tel que rédigé parce qu'il est créateur d'un droit. Comment ce droit peut-il naître si l'obligation imposée au travailleur n'est pas remplie?
La Commission d'appel estime que le premier commissaire a commis un excès de compétence lorsqu'il s'est arrogé le pouvoir d'édicter des règles que l'article 51 de la loi n'impose pas. Dans ce contexte, la Commission d'appel considère, avec égard pour le premier commissaire, que ce dernier a excédé sa compétence et interprétant d'une façon déraisonnable la loi.
En
effet, le fait d'ajouter au texte de l'article 51 des éléments d'application
qui n'y sont pas mentionnés, constitue une erreur manifestement déraisonnable,
puisque ces éléments ne peuvent s'appuyer rationnellement sur la législation
pertinente. À cet égard, monsieur le juge Beetz de la Cour suprême s'est
exprimé ainsi dans l'affaire Syndicat des employés de production du Québec
c. CLRB
«Cette sorte d'erreur équivaut à une fraude à la loi ou à un refus délibéré d'y obéir.
(...)
Une erreur de cette nature est assimilée à un acte arbitraire ou posé de mauvaise foi et contraire aux principes de la justice naturelle. Une telle erreur ... justifie l'annulation de la décision qui en est entachée.»
Certes, un tribunal administratif comme la Commission d'appel, qui est protégée par une clause privative, peut commettre des erreurs. Cependant, comme le mentionne monsieur le juge La Forest de la Cour suprême dans l'affaire C.A.I.M.A.W. c. Paccar of Canada Ltd[5]:
«(...)
Le tribunal a le droit de commettre des erreurs, même des erreurs graves, pourvu qu'il n'agisse pas de façon déraisonnable au point de ne pouvoir rationnellement s'appuyer sur la législation pertinente et...»
Monsieur
le juge Dussault de la Cour d'appel du Québec s'est exprimé ainsi dans
l'affaire Syndicat canadien de la fonction publique c. Commission des écoles
catholiques de Québec (
«Le Tribunal (la Cour d'appel) ne peut concevoir qu'il puisse ainsi être ajouté au texte législatif du seul fait de l'interprétation d'un tribunal administratif. Si spécialisé soit-il, il n'a pas cette juridiction de remplacer le législateur.
(...)»
Rappelons que la compétence de la Cour d'appel en l'espèce consiste essentiellement à vérifier si l'interprétation de la loi est manifestement déraisonnable et non pas d'apprécier les faits, ce qui était de la compétence du premier commissaire.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES SIÉGEANT EN RÉVISION
ACCUEILLE la requête en révision pour cause de la Commission de la santé et de la sécurité du travail;
ANNULE la décision rendue le 28 janvier 1992 par la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles;
CONFIRME la décision du 25 janvier 1991 du Bureau de révision de la région de Lanaudière; et,
DÉCLARE que la travailleuse-intimée, madame Denise
Mondoux, n'a pas droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue à
l'article
Jacques-Guy Béliveau, c.r.
Commissaire
Chayer, Panneton, Lessard
a/s: Me Benoît Boucher, avocat
432, rue de Lanaudière
C.P. 550
Joliette (Québec)
J6E 7N2
Représentant de la partie requérante
Me Claude Bovet, avocat
4370, rue Parthenais
Montréal (Québec)
H2H 2G5
Représentant de la partie intimée
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.