Huard et Société canadienne des postes |
2008 QCCLP 1894 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 22 mars 2007, madame Lyne Huard (la travailleuse) présente une requête en révision de la décision qui a été rendue le 21 février 2007 par la Commission des lésions professionnelles.
[2] Le dispositif de cette décision se lit ainsi :
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
[…]
ACCUEILLE le moyen préalable soulevé par l’employeur, Société canadienne des postes;
MODIFIE la décision rendue le 17 janvier 2004 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
ANNULE les décisions rendues le 31 octobre 2002 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail;
DÉCLARE que la lésion professionnelle de madame Lyne Huard, la travailleuse, est consolidée le 20 juin 2002, que la travailleuse a reçu suffisamment de soins à cette date et qu’elle ne conserve ni atteinte permanente ni limitations fonctionnelles de sa lésion professionnelle;
[…]
[3] À l’audience sur la requête en révision, la travailleuse est présente ainsi que sa procureure. L’employeur, Société canadienne des postes, est représenté.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision qui a été rendue le 21 février 2007 au motif que cette décision comporte des erreurs manifestes et déterminantes de droit et de faits, lesquelles sont assimilables à des vices de fond de nature à l’invalider.
[5] Les erreurs reprochées sont énoncées comme suit dans la requête :
[…]
i) La Commission a commis une erreur manifeste ayant un effet déterminant sur l’issue du litige en concluant à la validité du rapport complémentaire;
ii) La Commission a commis une erreur manifeste ayant un effet déterminant sur l’issue du litige en statuant au-delà de la question qui lui était posée et en se prononçant sur le fond du litige;
[6] Dans ses conclusions, la travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de rejeter le moyen préalable soulevé par l’employeur portant sur l’irrégularité de la procédure d’évaluation médicale, de déclarer que la procédure d’évaluation médicale est régulière et de convoquer les parties à une audience sur le fond du dossier.
L’AVIS DES MEMBRES
[7] Conformément à l’article 429.50 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), la soussignée a obtenu l’avis des membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs.
[8] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que la requête en révision doit être accueillie. Il estime que la Commission des lésions professionnelles aurait dû conclure à l’invalidité du rapport complémentaire du docteur Soucy, déclarer que la procédure d’évaluation médicale était régulière et convoquer les parties à une audience sur le fond du dossier, étant donné que les parties avaient convenu de procéder uniquement sur le moyen préalable soulevé par l’employeur.
[9] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la requête doit être rejetée. Il estime qu’aucun motif de révision n’a été démontré.
LES FAITS ET LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[10] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la travailleuse a démontré un motif donnant ouverture à la révision demandée.
[11] L’article 429.49 de la loi énonce qu’une décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel. Cet article se lit comme suit :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[12] Par ailleurs, l’article 429.56 de la loi permet la révision ou la révocation d’une décision dans les cas suivants :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[13] Dans le cas présent, la requête en révision de la travailleuse est basée sur le troisième paragraphe de l’article 429.56 de la loi, soit le vice de fond de nature à invalider la décision.
[14] Selon une jurisprudence bien établie de la Commission des lésions professionnelle depuis les décisions de principe rendues dans les affaires Donohue[2] et Franchellini[3], la notion de « vice de fond … de nature à invalider la décision » signifie une erreur manifeste de droit ou de faits ayant un effet déterminant sur le sort du litige.
[15] Dans l’arrêt Fontaine[4], la Cour d’appel a eu l’occasion de discuter de la notion de vice de fond et d’y apporter certaines précisions. L’Honorable juge Morissette, qui s’exprime au nom de la Cour, y mentionne que « … la gravité, l’évidence et le caractère déterminant d’une erreur sont des traits distincts susceptibles d’en faire un vice de fond de nature à invalider [une] décision ». Il parle également d’une « erreur manifeste … voisine d’une forme d’incompétence » pour qualifier le vice de fond. On comprend qu’il ne peut s’agir d’une simple question d’appréciation des faits ou d’interprétation du droit. Cet arrêt invite la Commission des lésions professionnelles à la plus grande retenue dans l’exercice de son pouvoir de révision interne. Il y a lieu de citer l’extrait suivant des propos du juge Morissette concernant la notion de vice de fond :
[…]
On voit donc que la gravité, l’évidence et le caractère déterminant d’une erreur sont des traits distincts susceptibles d’en faire « un vice de fond de nature à invalider [une] décision. »
[51] En ce qui concerne la raison d’être de la révision pour un vice de fond de cet ordre, la jurisprudence est univoque. Il s’agit de rectifier les erreurs présentant les caractéristiques qui viennent d’être décrites. Il ne saurait s’agir de substituer à une première opinion ou interprétation des faits ou du droit une seconde opinion ni plus ni moins moins défendable que la première51. Intervenir en révision pour ce motif commande la réformation de la décision par la Cour supérieure car le tribunal administratif «commits a reviewable error when it revokes or reviews one of its earlier decisions merely because it disagrees with its findings of fact, its interpretation of a statute or regulation, its reasoning or even its conclusions»52. L’interprétation d’un texte législatif «ne conduit pas nécessairement au dégagement d’une solution unique»53 mais, comme «il appart[ient] d’abord aux premiers décideurs spécialisés d’interpréter»54 un texte, c’est leur interprétation qui, toutes choses égales d’ailleurs, doit prévaloir. Saisi d’une demande de révision pour cause de vice de fond, le tribunal administratif doit se garder de confondre cette question précise avec celle dont était saisie la première formation (en d’autres termes, il importe qu’il s’abstienne d’intervenir s’il ne peut d’abord établir l’existence d’une erreur manifeste et déterminante dans la première décision)55. Enfin, le recours en révision «ne doit […] pas être un appel sur la base des mêmes faits» : il s’en distingue notamment parce que seule l’erreur manifeste de fait ou de droit habilite la seconde formation à se prononcer sur le fond, et parce qu’une partie ne peut «ajouter de nouveaux arguments» au stade de la révision56.
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51 Voir l’arrêt Godin, supra, note 12, paragr. 47 (le juge Fish) et 165 (le juge Chamberland) et l’arrêt Bourassa, supra, note 10, paragr. 22
52 Ibid., paragr. 51.
53 Arrêt Amar, supra, note 13, paragr. 27.
54 Ibid., paragr. 26
55 Supra, note 10, paragr. 24.
56 Ibid., paragr. 22.
[16] L’erreur manifeste a été interprétée comme étant celle qui méconnaît une règle de droit, applique un faux principe, statue sans preuve, néglige un élément de preuve important ou adopte une méthode qui crée une injustice certaine[5].
[17] C’est à la lumière de ces principes que les motifs invoqués par la travailleuse, au soutien de sa requête, seront examinés mais auparavant, rappelons brièvement les faits.
[18] La travailleuse subit une lésion professionnelle le 9 juillet 2001, alors qu’elle s’inflige une fracture de la onzième côte gauche en déposant un sac lourd sur une table de travail.
[19] Elle consulte, à plusieurs reprises, à l’urgence du Centre hospitalier Lasalle et voit différents médecins dont le docteur Éric Soucy, qui la voit plus souvent que les autres et que l’on considère comme le médecin qui a charge. Le docteur Soucy la dirige en physiothérapie et recommande des travaux légers.
[20] Le 20 mars 2002, le docteur Soucy note une absence d’amélioration et des douleurs persistantes. Il se questionne sur l’existence d’une cellulalgie au niveau du thorax et poursuit la recommandation de travaux légers pour un mois.
[21] Le 14 mai 2002, le médecin de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) communique avec le docteur Soucy afin de faire le point sur la condition de la travailleuse. Selon ce qui est rapporté de cette conversation téléphonique aux notes évolutives, le docteur Soucy considère que la travailleuse a atteint un plateau thérapeutique et il a de la difficulté à expliquer la persistance de douleur résiduelle. Il demande à la CSST une expertise de support.
[22] C’est ainsi que la travailleuse est évaluée le 20 juin 2002 par le docteur Marc Goulet, chirurgien orthopédiste, lequel conclut que la lésion est consolidée à la date de son examen, qu’aucun traitement additionnel n’est requis et que la travailleuse ne conserve aucune atteinte permanente ni limitations fonctionnelles de sa lésion.
[23] Le rapport d’expertise du docteur Goulet est transmis au docteur Soucy le 9 juillet 2002. La CSST lui indique qu’il dispose d’un délai de 30 jours pour produire un rapport complémentaire.
[24] Sans revoir la travailleuse, le docteur Soucy produit un rapport complémentaire qu’il signe en date du 23 juillet 2002 et qui se lit comme suit :
Je suis en tout point d’accord avec le rapport d’expertise.
[25] Bien qu’il soit signé en date du 23 juillet 2002, ce n’est cependant que le 26 août 2002 que ce rapport est reçu à la CSST, tel qu’en fait foi l’estampille de la CSST apposée sur ledit rapport.
[26] Il appert du dossier médical qu’à la même période, soit le 6 juillet et le 8 août 2002, la travailleuse consulte de nouveau à l’urgence où elle voit le docteur Vinh, lequel fait état d’une fracture avec douleur persistante et la dirige en orthopédie. Il poursuit, lors des deux consultations, la recommandation de travaux légers.
[27] Le 30 août 2002, la CSST décide de transmettre le dossier au Bureau d’évaluation médicale. La travailleuse est évaluée le 8 octobre 2002 par le docteur Pierre Lacoste, physiatre, lequel fixe la date de consolidation au 20 juillet 2002 et considère que les traitements ont été suffisants. Il souligne, toutefois, que la travailleuse pourrait recevoir des analgésiques mineurs et au besoin, des infiltrations. Il conclut à l’existence d’un déficit anatomo-physiologique qu’il évalue à 1,5% et émet des limitations fonctionnelles.
[28] La CSST entérine cet avis dans une décision du 31 octobre 2002, laquelle est confirmée, le 17 janvier 2003, à la suite d’une révision administrative. La travailleuse et l’employeur contestent tous deux cette décision devant la Commission des lésions professionnelles.
[29] Lors de l’audience au mérite, l’employeur soulève l’irrégularité de la procédure d’évaluation médicale et les parties conviennent de procéder uniquement sur ce moyen préalable, tel qu’il appert du paragraphe suivant de la décision qui a été rendue le 21 février 2007 :
[6] Les parties conviennent de procéder uniquement sur le moyen préalable soulevé par la procureure de l’employeur portant sur l’irrégularité de la procédure d’évaluation médicale ayant mené au rapport du membre du Bureau d'évaluation médicale émis le 15 octobre 2002. L’employeur soutient que le processus est irrégulier et que la décision qui fait suite à l’avis du Bureau d'évaluation médicale est nulle et sans effet. Ainsi, la CSST était liée par l’opinion du médecin traitant énoncée dans son rapport complémentaire du 23 juillet 2002.
[30] La position des parties sur cette question est résumée aux paragraphes suivants de la décision :
[23] La procureure de l’employeur prétend que la décision rendue par la CSST à la suite de l’avis émis par le membre du Bureau d'évaluation médicale doit être annulée puisque la procédure d'évaluation médicale est irrégulière. Essentiellement, l’employeur plaide que la CSST ne pouvait pas soumettre le dossier au Bureau d'évaluation médicale puisqu’il y avait absence de divergence entre le médecin désigné par la CSST et le médecin traitant de la travailleuse sur l’un des sujets prévus à l’article 212 de la loi. La procureure de l’employeur souligne que le médecin traitant était d’accord avec l’expertise réalisée par le docteur Goulet, tel qu’il l’indique clairement dans son rapport complémentaire du 26 août 2002. La procédure d'évaluation médicale est donc irrégulière et la CSST demeurait liée par les conclusions du médecin traitant émises dans son rapport complémentaire du 26 août 2002 conformément aux dispositions de l’article 224 de la loi. Elle soumet de la jurisprudence au soutien de ses prétentions.
[24] La procureure de la travailleuse soumet pour sa part que c’est à juste titre que la CSST a soumis le dossier au Bureau d'évaluation médicale puisqu’il subsistait un désaccord entre le médecin désigné et le médecin traitant sur plusieurs sujets prévus à l’article 212 de la loi. Essentiellement, la procureure de la travailleuse plaide que la CSST n’était pas liée par le rapport complémentaire du 26 août 2002 puisque le médecin traitant a émis ce rapport à l’extérieur du délai de 30 jours prévu à l’article 205.1 de la loi. Elle soumet que le défaut de respecter ce délai de 30 jours fait en sorte que la CSST n’était pas tenue de prendre en considération ce rapport. De la sorte, il subsistait un différend entre les conclusions du docteur Goulet et celles du médecin traitant qui n’avait pas consolidé la lésion de la travailleuse et qui reconduit son opinion sur ce point par la suite. Elle ajoute également qu’il existait une divergence entre le médecin traitant et le médecin désigné par la CSST sur la question de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles, le médecin traitant ne s’étant pas prononcé sur ces questions. Elle soumet de la jurisprudence pour illustrer sa prétention qu’un rapport complémentaire visé à l’article 205.1 et émis en dehors du délai de 30 jours n’est pas valide.
[25] En réplique à l’argument du délai concernant le rapport complémentaire visé par l’article 205.1 de la loi, la procureure de l’employeur répond qu’il n’existe aucune disposition dans la loi qui prévoit l’invalidité d’un rapport complémentaire soumis après le délai prévu à cette disposition. Elle attire l’attention sur le fait que la CSST avait en main le rapport complémentaire du médecin traitant lorsqu’elle a soumis le dossier au Bureau d'évaluation médicale et rappelle que c’est l’absence de divergence entre l’opinion des deux médecins qui invalide la procédure d'évaluation médicale. Elle soumet qu’à compter du moment où la CSST avait en main l’information concernant le rapport complémentaire, elle savait qu’elle ne pouvait saisir le Bureau d'évaluation médicale du dossier.
[31] Comme on peut le constater, tout repose sur la validité du rapport complémentaire du docteur Soucy et son caractère liant.
[32] Après considération des arguments soumis de part et d’autre et à la lumière des dispositions législatives applicables, la commissaire qui entend l’affaire (la première commissaire) arrive à la conclusion que le rapport du docteur Soucy est valide, qu’il lie la CSST et que la procédure d’évaluation médicale est irrégulière.
[33] Dans la décision qui a été rendue, la première commissaire répond, point par point, à l’argumentation de la procureure de la travailleuse.
[34] Le premier argument soulevé par la procureure de la travailleuse concernait le délai de production du rapport complémentaire du docteur Soucy. Comme ce rapport n’avait pas été produit dans un délai de 30 jours, elle faisait valoir que la CSST n’était pas liée par celui-ci et qu’elle ne devait pas en tenir compte. La première commissaire écarte cet argument pour les motifs suivants :
[39] Toutefois, qu’en est-il lorsque ce rapport est produit en dehors du délai de 30 jours prévu à cette disposition?
[40] En tout respect pour l’opinion émise par la procureure de la travailleuse, la Commission des lésions professionnelles estime que la décision qu’elle soumet dans l’affaire Bérubé et Pétro Canada4 démontre plutôt que malgré sa production tardive, le rapport complémentaire doit être pris en considération.
[41] En effet, dans cette affaire, la CSST n’avait pas reçu le rapport complémentaire visé à l’article 205.1 de la loi dans le délai de 30 jours. Toutefois, la commissaire discute de la teneur de ce rapport pour confirmer la persistance d’une opposition entre les opinions médicales au dossier et justifier la validité de la procédure d'évaluation médicale. Le présent tribunal estime que dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles a considéré qu’il y avait lieu de tenir compte des éléments consignés par le médecin traitant dans ce rapport afin de déterminer si la procédure d'évaluation médicale avait été suivie de façon régulière. En analysant son contenu, elle lui accorde donc une validité malgré sa production tardive.
[42] Tout comme dans les autres décisions soumises par la procureure de la travailleuse, c’est l’existence d’une divergence entre les opinions médicales qui justifie le recours à la procédure d'évaluation médicale, indépendamment du délai prévu à l’article 205.1 de la loi.
[43] La Commission des lésions professionnelles estime donc que pour déterminer si un rapport complémentaire visé par l’article 205.1 de la loi conserve sa validité malgré sa production tardive, il faut d’abord considérer le but recherché lorsqu’un avis est demandé au Bureau d'évaluation médicale.
[44] Pour discuter de cette question, il est utile de rappeler que les dispositions de la loi au chapitre de la procédure d'évaluation médicale permettent de constater que le législateur reconnaît la primauté de l’opinion émise par le médecin qui a charge du travailleur. En effet, son opinion lie la CSST sur les cinq points prévus à l’article 212 de la loi suivant les termes de l’article 224 de la loi. La primauté de l’opinion du médecin traitant peut être remise en question tant par la CSST que par l’employeur suivant une procédure précise établie au chapitre VI de la loi. À défaut de contestation, l’avis du médecin traitant prime.
[45] La CSST et l’employeur peuvent se prévaloir de la procédure d'évaluation médicale lorsqu’il y a désaccord ou contestation de l’opinion du médecin traitant sur l’un des cinq points prévus à l’article 212 de la loi. S’il n’y a pas de contestation, donc de désaccord sur les question médicales, il n’y a pas lieu de soumettre le dossier au Bureau d'évaluation médicale. En effet, le rôle du Bureau d'évaluation médicale est de donner son opinion dans le but de régler un désaccord qui existe entre des opinions médicales contradictoires au dossier.
[46] Dans cet esprit, la jurisprudence a confirmé à de nombreuses reprises, tel qu’elle le fait dans l’affaire Gauthier et Ville de Shawinigan5, que la CSST ne peut, par le biais de la procédure d'évaluation médicale devant le Bureau d'évaluation médicale, remettre en cause l’un des éléments prévus à l’article 212 de la loi qui n’est pas infirmé par le médecin de la CSST ou qui fait l’objet d’un accord par le médecin qui a charge dans son rapport complémentaire.
[47] S’il n’y a pas de litige sur des questions médicales, il n’y a pas lieu de poursuivre la procédure d'évaluation médicale et demander un avis au Bureau d'évaluation médicale.
[48] La Commission des lésions professionnelles estime qu’il n’y a pas davantage lieu de poursuivre la procédure d'évaluation médicale même si l’information qui confirme qu’il n’y a plus de litige sur des questions médicales est connue après l’expiration du délai prévu à l’article 205.1 de la loi puisque la raison d’être de la demande au Bureau d'évaluation médicale n’existe plus.
[49] Le but de la procédure d'évaluation médicale doit être considéré pour décider de la question en litige et déterminer le sens à donner à l’existence d’un délai comme celui prévu à l’article 205.1 de la loi qui se retrouve dans le chapitre de la procédure d'évaluation médicale.
[50] D’ailleurs, la jurisprudence soumise par la procureure de la travailleuse, qui discute de l’article 205.1 de la loi, ne fait que confirmer le raisonnement voulant que la validité de la procédure d'évaluation médicale repose sur l’existence d’une opposition entre les opinions médicales au dossier.
[51] Ces considérations amènent la Commission des lésions professionnelles à conclure que même si le rapport complémentaire du docteur Soucy a été produit le 26 août 2002 et qu’il ne respecte pas le délai de 30 jours prévu à l’article 205.1 de la loi, ce rapport demeure valide et doit être pris en considération pour déterminer la régularité de la procédure d'évaluation médicale en l’espèce.
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4 C.L.P. 218879-63-0310, 31 mars 2005, F. Mercure.
5 C.L.P. 233087-04-0404, 8 juin 2005, J.-F. Clément.
[35] Le second argument soulevé par la procureure de la travailleuse concernait la motivation du rapport complémentaire du docteur Soucy, motivation totalement absente selon elle. Elle faisait valoir, entre autres, que le rapport complémentaire du docteur Soucy n’était pas suffisamment motivé ou explicite pour que l’on puisse en déduire qu’il s’était prononcé sur l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles. La première commissaire écarte également cet argument. Elle ne reprend pas, dans la décision, tout l’argumentaire développé par la procureure de la travailleuse concernant cette question mais elle y répond aux paragraphes suivants :
[52] Or, dans ce rapport, le docteur Soucy indique clairement, et sans ambiguïté, qu’il est d’accord avec tous les points sur lesquels le docteur Goulet s’est prononcé dans son rapport du 20 juin 2002. La Commission des lésions professionnelles considère que de la sorte, le médecin traitant s’est prononcé sur l’existence d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles puisqu’il donne son accord sur ces sujets qui avaient été traités par le docteur Goulet.
[53] La lecture de l’opinion du docteur Soucy ne comporte aucun élément qui pourrait requérir une interprétation. Il s’agit d’un avis clair et précis qui n’a pas à être interprété davantage. La Commission des lésions professionnelles convient que lorsqu’il y a ambiguïté dans la rédaction de l’opinion du médecin traitant, tel que cela s’est présenté dans l’affaire Bérubé et Pétro Canada6, il peut y avoir matière à interprétation. Toutefois, de l’avis de la Commission des lésions professionnelles, ce n’est pas le cas dans la présente affaire en raison du texte clair et précis consigné par le docteur Soucy.
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6 Précitée, note 4.
[36] Les raisons qui amènent la première commissaire à conclure à la validité du rapport complémentaire du docteur Soucy sont bien expliquées. Tant en ce qui concerne le délai que la motivation de ce rapport complémentaire, la conclusion de la première commissaire repose sur une interprétation du droit applicable qui trouve appui dans la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles même si cette jurisprudence n’est pas unanime. Elle tient compte également de son appréciation des faits et plus particulièrement de son appréciation du rapport complémentaire du docteur Soucy, lequel a été considéré clair, précis et ne donnant lieu à aucune interprétation dans le contexte. Comme l’a rappelé le juge Morissette dans l’arrêt Fontaine[6], il n’appartient pas au commissaire siégeant en révision de substituer son opinion à celle du premier commissaire en ce qui concerne l’appréciation des faits ou l’interprétation du droit car il ne s’agit pas d’un appel. Seule une erreur manifeste et déterminante de droit ou de faits peut justifier le commissaire en révision d’intervenir mais aucune erreur de cette nature n’a été commise dans le cas présent. Il s’agit uniquement d’une question d’appréciation des faits et d’interprétation du droit et cela ne constitue pas un motif de révision.
[37] Dans le cadre de sa requête en révision, la procureure de la travailleuse soumet de nouveaux arguments pour convaincre le tribunal que le rapport complémentaire du docteur Soucy n’est pas valide. Au délai et à l’absence de motivation, elle ajoute que le docteur Soucy n’a pas examiné la travailleuse de façon contemporaine à son rapport. Elle remet aussi en cause la qualité de médecin traitant du docteur Soucy. Ces arguments n’ont pas été plaidés devant la première commissaire. Or, le recours en révision n’étant pas un appel, une partie « ne peut ajouter de nouveaux arguments au stade de la révision » comme l’a aussi rappelé le juge Morissette dans l’arrêt Fontaine. Par conséquent, il n’y a pas lieu de discuter de ces nouveaux arguments.
[38] Le second motif invoqué par la travailleuse au soutien de sa requête en révision concerne la compétence de la Commission des lésions professionnelles.
[39] Ayant conclu que le rapport complémentaire du docteur Soucy était valide, la première commissaire a non seulement accueilli le moyen préalable soulevé par l’employeur mais elle s’est aussi prononcée sur la date de consolidation de la lésion professionnelle, la suffisance des soins ou traitements, l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles au paragraphe [54] de la décision :
[54] Considérant ces éléments, la Commission des lésions professionnelles estime qu’en l’absence de désaccord entre l’opinion du médecin traitant et celle du médecin désigné par la CSST, il n’y avait pas lieu pour la CSST de soumettre le dossier au Bureau d'évaluation médicale. La procédure d'évaluation médicale est irrégulière et les décisions qui font suite à l’avis émis par le membre du Bureau d'évaluation médicale doivent être annulées. La CSST demeure liée par les conclusions émises par le médecin qui a charge dans son rapport complémentaire du 26 août 2002. De la sorte, la lésion de la travailleuse est consolidée le 20 juin 2002, la travailleuse a reçu suffisamment de traitements à cette date et elle ne conserve ni atteinte permanente ni limitations fonctionnelles de sa lésion professionnelle du 9 juillet 2001.
[40] Étant donné que les parties avaient convenu de procéder uniquement sur le moyen préalable, la procureure de la travailleuse soumet que la première commissaire a excédé sa juridiction en statuant sur le fond du dossier en ce qui concerne les questions d’ordre médical et que, de ce fait, la travailleuse a été privée du droit d’être entendue, n’ayant pu soumettre de preuve ni d’arguments relativement à ces questions.
[41] Le tribunal n’est pas de cet avis. Dans la mesure où le rapport du docteur Soucy est valide et que la procédure d’évaluation médicale est irrégulière, comme en a conclu la première commissaire, la CSST est liée par les conclusions émises par le médecin traitant dans son rapport complémentaire conformément à l’article 224 de la loi. C’est ce constat que fait la première commissaire au paragraphe [54] de la décision et elle en tire les conséquences légales qui s’imposent, ce qu’elle avait la compétence de faire en vertu de l’article 377 de la loi. En effet, ayant déclaré la procédure d’évaluation médicale irrégulière, elle n’avait d’autre choix que de conclure comme elle l’a fait en ce qui concerne les questions d’ordre médical visées par le rapport complémentaire du docteur Soucy. Il n’y avait plus de débat, plus de litige quant à ces questions. L’article 224 de la loi devait recevoir application. Par conséquent, il était inutile de convoquer les parties à une audience sur le fond du dossier.
[42] La situation aurait été différente si la première commissaire avait rejeté le moyen préalable et avait conclu que la procédure d’évaluation médicale était régulière. Dans un tel cas, elle n’aurait pu se prononcer sur les questions d’ordre médical contestées et aurait été tenue d’ordonner la convocation d’une audience sur le fond du dossier puisque les parties en avaient convenu ainsi.
[43] Dans le cas présent, il n’y a pas eu d’erreur de compétence de la part de la première commissaire.
[44] Rien ne justifie le tribunal d’intervenir pour réviser la décision qui a été rendue le 21 février 2007.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête en révision de la travailleuse, madame Lyne Huard.
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Me Mireille Zigby |
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Commissaire |
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Me Céline Allaire |
PHILION, LEBLANC, BEAUDRY |
Procureure de la partie requérante |
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Me Stéphanie Germain |
Procureure de la partie intéressée |
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JURISPRUDENCE DÉPOSÉE PAR LA TRAVAILLEUSE
Cyr et G.A. Boulet inc., C.L.P. 232968-04-0404, 20 mai 2005, S. Sénéchal
Lévesque c. Les Toitures P.L.C. inc., [2002] C.L.P. 823
Rousseau et Boiseries du Saint-Laurent inc., C.L.P. 178495-01A-0202, 27 mai 2004, D. Sams
Jakian et Howmet Cercast Canada inc., C.L.P. 171781-61-0111, 27 février 2002, S. Di Pasquale
Lapointe c. Commission des lésions professionnelles (C.A.) Montréal 500-09-013413-034, 19 mars 2004, jj Forget, Dalphond, Rayle
Sifonios c. Circul-Aire inc. C.L.P. 284622-71-0603, 25 juillet 2007, L. Crochetière
Nadeau c. Commission des lésions professionnelles [2003] C.L.P. 1253 (C.S.)
Joron c. Rouleau, (C.S.) Montréal 500-05-047790-991, 22 juillet 1999, j. Richer
JURISPRUDENCE DÉPOSÉE PAR L’EMPLOYEUR
Marceau et Gouttière Rive-Sud Fabrication inc., C.L.P. 91084-62-9709, 22 octobre 1999, H. Marchand
Paquette et Aménagement Forestier LF, C.L.P. 246976-08-0410, 6 juillet 2005, J-F. Clément
Saint-Germain et Finition Laurier inc., C.L.P. 205813-04B-0304, 26 février 2004, L. Collin
Gauthier et Ville de Shawinigan, C.L.P. 233087-04-0404, 8 juin 2005, J.-F. Clément
Martin et Garage Maurice Arguin enr., C.L.P. 250780-05-0412, 29 juillet 2005, F. Ranger
Guillemette et Kruger inc., C.L.P. 162565-09-0106, 17 janvier 2002, Y. Vigneault
Goderre et R.H. Nugent Équipement Rental limitée, C.L.P. 154843-07-0102, 6 décembre 2001, P. Sincennes
Morin et José & Georges inc., C.L.P. 154442-64-0101-C, 9 octobre 2001, R. Daniel
Grignano et Récital Jeans inc., C.L.P. 115524-61-9904, 13 juillet 2000, B. Lemay
Huaracha et Riviera Fur Styles inc., C.L.P. 118441-73-9906, 7 janvier 2000, D. Taillon
Fontaine c. Commission des lésions professionnelles [2005] C.L.P. 626 (C.A.)
Milfort et Montréal Aéroport Hiltion, C.L.P. 136490-71-0004-R, 17 août 2001, M. Zigby
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998], C.L.P. 733 .
[3] Franchellini et Sousa [1998] C.L.P. 783 .
[4] Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Fontaine, [2005] C.L.P. 626 (C.A.).
[5] Desjardins et Réno-Dépôt inc. [1999] C.L.P. 898 ; Thériault et Commission scolaire des Portages de l’Outaouais, C.L.P. 91038-07-9708, 30 mars 1999, B. Lemay; Commission de la santé et de la sécurité du travail et Aliments Or-Fil, C.L.P. 86173-61-9702, 24 novembre 1998, S. Di Pasquale.
[6] Déjà cité, note 4.
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