Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Gravel c. Lifesitenews.com (Canada)

2013 QCCS 36

JM2232

 
COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

JOLIETTE

 

N° :

705-17-003784-103

 

DATE :

Le 11 janvier 2013

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE PAUL MAYER, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

L’ABBÉ RAYMOND GRAVEL

DEMANDEUR

 

c.

 

LIFESITENEWS.COM (CANADA)

-et-

JOHN-HENRY WESTEN

-et-

CAMPAGNE QUÉBEC-VIE

-et-

LUC GAGNON

-et-

STEPHEN JALSEVAC

-et-

TIM WAGGONER

-et-

HILARY WHITE

-et-

PATRICK B. CRAINE

DÉFENDEURS

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

1.         INTRODUCTION

[1]           Le Tribunal est saisi de trois requêtes pour faire déclarer abusive la demande en justice de monsieur l’Abbé Raymond Gravel (« l’Abbé Gravel ») qui se dit victime d’une campagne de salissage et de dénigrements de la part des défendeurs depuis près d’une décennie.

[2]           Cette cause illustre bien le conflit entre deux droits fondamentaux : la liberté d’expression des défendeurs et celui de la réputation de l’Abbé Gravel.

[3]           Ce dernier réclame la somme de 500 000 $ en dommages découlant de la publication de 39 articles publiés à son sujet depuis août 2003 dans un bulletin mensuel publié par Campagne Québec-Vie (« CQV ») et sur le site Internet de Lifesitenews.com (« LSN »).[1]

[4]           Selon lui, les défendeurs ont diffusé des propos faux et diffamatoires à son endroit.  Il insiste qu’il n’est pas favorable à l’avortement, qu’il n’a pas ni renié sa religion et ni défié le Vatican en se présentant comme député fédéral.  Il prétend qu’ils se sont vantés d’avoir mis fin à sa carrière politique afin de solliciter des fonds.

[5]           Quatre jours ont été consacrés pour la lecture et l’audition des requêtes que nous allons maintenant examiner.

2.         LES TROIS REQUÊTES

[6]           Dans leur requête en déclaration de poursuite abusive et demande de sanction, les défendeurs Stephen Jalsevac (« M. Jalsevac »), Tim Waggoner (« M. Waggoner »), Hilary White (« Mme White ») et Patrick B. Craine (« M. Craine ») soutiennent que le Tribunal doit :

             i)                rejeter le recours contre M. Waggoner puisqu’il est prescrit;

            ii)                rejeter le recours contre M. Jalsevac puisqu’il n’a pas de responsabilité personnelle;

           iii)                décliner compétence au profit des tribunaux de la Province d’Ontario puisque ces derniers sont tous domiciliés de celle-ci;

           iv)                réduire les dommages réclamés puisqu’ils sont exagérés;

            v)                ordonner à M. Gravel de déposer un cautionnement à titre de provision pour frais.

[7]           Dans leur requête en déclaration de poursuite abusive et demande de sanction amendée, les défendeurs, LSN et John-Henry Westen (« M. Westen ») maintiennent que la requête de M. Gravel doit être rejetée puisque :

             i)                les éléments essentiels d’une action en responsabilité civile sont inexistants (aucun dommage, faute ou lien causal);

            ii)                il y a prescription puisque la quasi-totalité des articles publiés date de plus d’un an;

           iii)                elle constitue un détournement de fins de la justice et n’a que pour seul objectif de « bâillonner » les défendeurs.

[8]           Ils demandent également au Tribunal de réduire les dommages réclamés et d’ordonner un cautionnement pour frais.

[9]           Les défendeurs CQV et Luc Gagnon (« M. Gagnon ») réclament dans leur requête en rejet le renvoi de la requête de l’Abbé Gravel pour différents motifs :

             i)                il instrumentalise le système judiciaire en déplaçant le débat politique en un débat judiciaire privé et qu’il s’agit d’une poursuite bâillon;

            ii)                il tente de brimer le droit d’expression des défendeurs; et

           iii)                la demande est prescrite.

[10]        Ils affirment qu’il n’y a pas de solidarité entre eux et les six autres défendeurs puisque les actes reprochés à un groupe ne sont pas les mêmes que ceux reprochés contre les autres.

[11]        Ils plaident que la cause d’action contre eux a pris naissance à Montréal et elle devrait être disjointe des six autres défendeurs et être portée devant le tribunal de Montréal.

[12]        Quant à l’Abbé Gravel, il demande au Tribunal de rejeter les trois requêtes.  Il allègue que les défendeurs ont multiplié les procédures frivoles, mal fondées et dilatoires dans ce dossier et que les requêtes sont abusives.

3.         QUESTIONS EN LITIGE

[13]        Les requêtes des défendeurs soulèvent les huit questions suivantes :

             i)                la demande doit-elle être rejetée quant à M. Waggoner?

            ii)                la demande doit-elle être rejetée quant à M. Jalsevac?

           iii)                la Cour supérieure doit-elle décliner compétence au profit des tribunaux ontariens pour M. Jalsevac, M. Waggoner, Mme White et M. Craine?

           iv)                y’a t’il lieu de scinder l’action en deux ou du moins la transférer à Montréal pour CQV et M. Gagnon?

            v)                est-ce que cette cause est prescrite partiellement?

           vi)                les défendeurs ont-ils établi que la requête de l’Abbé Gravel peut constituer un abus?

          vii)                dans l’affirmative, l’Abbé Gravel a t’il démontré que son recours n’a pas été exercé de manière excessive ou déraisonnable et qu’il se justifie en droit?

        viii)                dans la négative, quelle serait la sanction appropriée?

4.         LA DEMANDE DOIT-ELLE ÊTRE REJETÉE QUANT À M. WAGGONER?

[14]        M. Waggoner est poursuivi à titre de journaliste employé par LSN.  Il est l’auteur d’un seul des 39 articles litigieux, daté du 3 septembre 2008.[2]

4.1       Position des parties

[15]        M. Waggoner allègue que le recours de l’Abbé Gravel est prescrit puisqu’il n’a pas été introduit à l’intérieur de l’année suivant la publication de l’article.

[16]        L’Abbé Gravel répond que cette question a déjà été soulevée et qu’elle fait l’objet de chose jugée.

4.2       Discussion

[17]        Le Tribunal conclut qu’il y a lieu de rejeter ce moyen préliminaire pour les raisons suivantes.

[18]        Premièrement, le Tribunal retient que le 2 août 2012, madame la juge Claudette Picard, a rendu une décision sur cette même question entre les parties.  Elle a décidé de ne pas accueillir la requête pour les raisons suivantes :

« 1º il faut lire la requête comme un tout; même si on devait limiter la faute alléguée du défendeur Waggoner à l’article du 3 septembre 2008, la demande ne serait prescrite que pour l’atteinte à la réputation (prescription d’un an), mais non pour l’atteinte à la vie privée (prescription de 3 ans);

2º les défendeurs sont poursuivis solidairement et il serait imprudent, à ce stade, d’isoler le reproche fait au défendeur Waggoner comme se limitant à l’article du 3 septembre 2008; ce sera au juge du fond d’apprécier tout le contexte;

3º  même si le recours avait été limité à un article diffamatoire visé par la Loi sur la presse, le Tribunal n’aurait pu accueillir la requête fondée sur les articles 2; et

3.  C’était au requérant de démontrer que ces articles s’appliquaient et la production des plumitifs démontre que lesdites déclarations à la Cour du Québec n’ont pas été faites et, donc, que ces articles ne peuvent s’appliquer. »[3]

[19]        Par la suite, monsieur le juge Richard Wagner, alors à la Cour d’appel, a rejeté la permission d’appeler de cette décision.[4]

[20]        Le Tribunal estime que le moyen soulevé par M. Waggoner est fondé sur la même cause, entre les mêmes parties et pour les mêmes motifs.  Le fait qu’il invoque la connaissance de l’Abbé Gravel n’ajoute rien de nouveau au débat de ce moyen déclinatoire.

[21]        En pareille circonstance, on tente indirectement d’en appeler de la décision du premier jugement.  Ceci, pour une deuxième fois.

[22]        La Cour supérieure n’est pas un tribunal d’appel de ces propres décisions.

[23]        On peut, toutefois, souligner que ce moyen préliminaire ne lie pas le juge qui sera saisi du mérite.

[24]        Deuxièmement, le Tribunal considère que, de toute façon, le recours de l’Abbé Gravel contre M. Waggoner n’est pas prescrit.

[25]        L’article 2929 du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») spécifie que l’action fondée sur une atteinte à la réputation se prescrit par un an à compter du jour où la connaissance de la diffamation fut acquise par la personne diffamée.[5]

[26]        L’Abbé Gravel a témoigné lors de son interrogatoire du 8 mai 2012 qu’il a eu connaissance de l’article du 3 septembre 2008 au courant de ce mois.[6]

[27]        Il apparaît donc clair que le recours de l’Abbé Gravel contre M. Waggoner pour atteinte à sa réputation est prescrit  puisque la requête a été intentée le 21 décembre 2010, soit plus de deux ans après la prise de connaissance dudit article.

[28]        Toutefois, une lecture de la requête de l’Abbé Gravel révèle qu’il réclame également des dommages pour atteinte illégale à sa dignité, à son honneur, à sa vie privée et pour peine et souffrance.[7]  De telles atteintes sont une question de faits, lesquels seront adressés au mérite.  Ils doivent, à ce stade-ci, être pris pour avérés.

[29]        La jurisprudence constante de la Cour supérieure[8] et de la Cour d’appel[9] a interprété l’article 2929 C.c.Q. de façon étroite.  Cette prescription ne s’applique qu’aux atteintes à la réputation.  L’irrecevabilité partielle n’existe pas.[10]  Dans Sébille c. Photo Police[11], madame la juge Carole Hallée, a rejeté une requête en rejet d’une action en diffamation pour cause de prescription, puisque les dommages allégués étaient non seulement pour atteinte à la réputation, mais également, pour affront à la vie privée.

[30]        Conséquemment, le Tribunal rejette ce moyen préliminaire de M. Waggoner.

5.         LA DEMANDE DOIT-ELLE ÊTRE REJETÉE QUANT À M. JALSEVAC?

5.1       Position des parties

[31]        M. Jalsevac explique qu’il n’est pas l’auteur d'aucuns des articles litigieux produits par l’Abbé Gravel au soutien de sa requête.

[32]        Il maintient qu’il est poursuivi uniquement à titre de chef de pupitre de LSN tel que l’Abbé Gravel le confirme lors de son interrogatoire du 8 mai 2012 :

« Question (Me JEAN-YVES CÔTÉ) :

Vous le poursuivez un peu comme chef de pupitre.  Est-ce que c’est ça?

Réponse (Raymond Gravel) :

Bien oui.  Il la laissait faire. Il la laissait faire puisqu’elle écrivait ça sur moi puis c’était pas vrai, puis je voulais qu’elle rectifie ça puis elle voulait pas.  Donc, il est responsable. »[12]

[texte intégral]

[33]        M. Jalsevac fait valoir qu’en tant que « chef de pupitre », il ne peut être poursuivi personnellement sur la base des articles écrits par d’autres journalistes.

[34]        Il affirme également qu’il est un employé « agissant dans l’exécution de ses fonctions » au sens de l’article 1463 C.c.Q.[13] et que seule la responsabilité de son commettant, LSN, peut être recherchée.

[35]        L’Abbé Gravel souligne le fait que M. Jalsevac soulève, aux termes d’une requête en déclaration de poursuite abusive, ce moyen préliminaire d’irrecevabilité au sens de l’article 165.4 du Code de procédure civile[14] (« C.p.c. ») de façon tardive sans alléguer que la demande est manifestement mal fondée et abusive à son égard.

5.2       Discussion

[36]        Le Tribunal estime que l’affirmation de M. Jalsevac qu’il n’est poursuivi seulement pour son rôle de « chef de pupitre » est une suggestion trompeuse.

[37]        La question qui fut posée à l’Abbé Gravel lors de son interrogatoire était s’il avait poursuivi M. Jalsevac « un peu comme chef de pupitre ».  Ceci n’équivaut pas à une poursuite « seulement » à ce titre.

[38]        En examinant la requête de l’Abbé Gravel, l’on peut constater que M. Jalsevac est poursuivi à titre de membre du conseil d’administration et dirigeant de LSN et membre du conseil d’administration du Campaign Life Coalition de Toronto, soit la division ontarienne de CQV[15].  À cet égard, l’Abbé Gravel a déposé de la documentation qui met en lumière le rôle de M. Jalsevac dans ces deux associations.[16]

[39]        La faute qui peut amener à une responsabilité dans un cas d’atteinte à la réputation n’est pas limitée à l’écriture d’un article.  Les auteurs Beaudoin et Deslauriers relatent qu’il y a deux types de conduites pour lesquelles l’on peu être tenu responsable :

« La première est celle où le défendeur, sciemment, de mauvaise foi, avec intention de nuire, s’attaque à la réputation de la victime et cherche à le ridiculiser, à l’humilier, à l’exposer à la haine ou au mépris du public ou d’un groupe.  La seconde résulte d’un comportement dont la volonté de nuire est absente, mais où le défendeur a, malgré tout, porté atteinte à la réputation de la victime par sa témérité, sa négligence, son impertinence ou son incurie.  Les deux conduites donnent ouverture à responsabilité et droit à réparation, sans qu’il existe de différence entre elles sur le plan du droit. »[17]

[40]        L’Abbé Gravel soulève dans son interrogatoire que M. Jalsevac a été négligent, soit (la deuxième type de fautes) : « il laissait faire ».[18]

[41]        Étant donné le rôle senior de M. Jalsevac dans chaque organisation, il est plausible qu’il est pu commettre une ou l’autre des deux fautes susmentionnées.

[42]        De plus, M. Jalsevac soulève qu’il ne peut être tenu responsable personnellement puisqu’il agissait à titre d’employé de LSN.

[43]        Le Tribunal estime que cette plaidoirie est une mauvaise interprétation de l’article 1463 C.c.Q.  Cet article ne fait que souligner qu’un employeur est tenu de réparer le préjudice causé par la faute de son employé.  Le fait que LSN peut être trouvée responsable des fautes commises par M. Jalsevac ne l’excuse ou ne le protège pas.  Plutôt, ceci créé une obligation solidaire.  Il est déraisonnable de prétendre que seulement LSN peut être poursuivie pour la faute de M. Jalsevac simplement parce que sa faute est survenue pendant l’exécution de ses fonctions.

[44]        Le Tribunal estime que la responsabilité de M. Jalsevac en est une de faits et de droit qui doit être déterminée par le juge saisi de ce dossier au mérite.  Pour l’instant, il existe une action suffisamment fondée pour procéder.

6.         LA COUR SUPÉRIEURE DOIT-ELLE DÉCLINER COMPÉTENCE AU PROFIT DES TRIBUNAUX ONTARIENS POUR M. JALSEVAC, M. WAGGONER, MME WHITE ET M. CRAINE?

6.1       Position des parties

[45]        Les quatre défendeurs, Jalsevac, Waggoner, White et Craine, soulèvent le fait qu’ils sont tous domiciliés dans la Province d’Ontario.  Ils prient que le Tribunal exerce sa discrétion de décliner sa compétence au profit des tribunaux ontariens.

[46]        L’Abbé Gravel, pour sa part, plaide que cette demande est tardive et dilatoire et que les défendeurs n’ont pas réussi à démontrer que les tribunaux ontariens sont plus appropriés pour entendre le présent litige.

6.2       Discussion

[47]        Le Tribunal conclut qu’il y a lieu de rejeter ce moyen préliminaire pour les raisons suivantes.

[48]        Premièrement, la demande des défendeurs est pour le moins surprenante.

[49]        Ils plaident la démesure des coûts reliés à la procédure et le montant exagéré des dommages réclamés.  Par contre, ils soulèvent près de deux ans après la signification de la requête introductive d’instance, après avoir déposé six requêtes[19], trois défenses et demandes reconventionnelles ayant plus de 200 pages[20], deux interrogatoires (Monseigneur Gilles Lussier, l’Abbé Gravel), des avis de communication de rapports de témoins experts (en journalisme et en droit canonique) et un avis de conférence de gestion, que la Cour supérieure du Québec devrait finalement décliner compétence!

[50]        Deuxièmement, le Tribunal ne considère pas qu’il y a lieu d’exercer sa discrétion  pour décliner compétence.

[51]        La doctrine de forum non conveniens (le tribunal qui convient) énoncée à l’article 3135 C.c.Q. stipule que le Tribunal peut « exceptionnellement » décliner compétence s’il estime que les autorités d’un autre État sont mieux pour trancher le litige.[21]

[52]        Il est bien établi que lorsque l’autorité québécoise est saisie d’un litige, elle doit en rester saisie sauf en situation exceptionnelle. Le Tribunal possède un large pouvoir discrétionnaire.[22]

[53]        Les défendeurs ont le fardeau de démontrer que les tribunaux de l’Ontario sont nettement mieux placés pour décider de cette cause.[23]  Pour ce faire, ils affirment qu’ils sont domiciliés en Ontario.

[54]        Pourtant, le lieu de résidence des parties est seulement un des nombreux facteurs que la jurisprudence a développé afin de déterminer s’il est en présence d’une situation exceptionnelle.[24]  Parmi les critères à examiner, on y retrouve les suivants :

             i)                le lieu de résidence des parties et des témoins;

            ii)                la situation des éléments de preuve;

           iii)                le lieu de formation et d’exécution du contrat qui donne lieu à la demande;

           iv)                l’existence et le contenu d’une autre action intentée à l’étranger et le progrès déjà effectué dans la poursuite de cette action;

            v)                la situation des biens appartenant au défendeur;

           vi)                la loi applicable au litige;

          vii)                l’avantage dont jouit la demanderesse dans le forum choisi;

        viii)                l’intérêt de la justice;

           ix)                l’intérêt des deux parties;

            x)                la nécessité éventuelle d’une procédure en exemplification à l’étranger.

[55]        Ils seront maintenant analysés pour déterminer si ce litige possède des liens plus étroits avec l’autorité ontarienne.

[56]        Le juge Robert Pidgeon nous enseigne dans Oppenheim Forfait GMBH c. Lexis Maritime Inc., qu’aucun de ces critères n’est déterminant en soi :

« […] il faut plutôt les évaluer globalement et garder à l'esprit que le résultat de leur application doit désigner de façon claire un forum unique. Donc, s'il ne se dégage pas une impression nette tendant vers un seul et même forum étranger, le tribunal devrait alors refuser de décliner compétence particulièrement lorsque les facteurs de rattachement sont contestables. »[25]

1er - Le lieu de résidence des parties et des témoins :

[57]        Ce facteur est, en apparence, de poids égal pour les deux parties.

[58]        L’Abbé Gravel réside au Québec et les défendeurs résident en Ontario. Quant aux témoins, cet aspect n’a pas été soulevé dans les plaidoiries des parties.  Le Tribunal déduit que les témoins viendront des deux provinces.

[59]        Par ailleurs, le Tribunal est d’avis que l’Abbé Gravel a un intérêt légitime à ce que les prétendues faussetés des articles diffamatoires soient prouvées et que sa réputation soit blanchie dans son lieu de résidence.

[60]        Rappelons son attachement au district de Joliette.  L’Abbé Gravel, ordonné prêtre en 1986, a été vicaire et curé de plusieurs paroisses du diocèse de Joliette pendant des années avant de siéger comme député.  Il est depuis septembre 2011, responsable de la pastoral biblique du diocèse de ce district ecclésiastique.

2e - La situation des éléments de preuve:

[61]        Ceci n’est pas un critère pertinent en l’espèce.  La preuve sera établie sur la base de témoignages et des pièces déposées au dossier de la cour.

3e - Le lieu de formation et d’exécution du contrat qui donne lieu à la demande :

[62]        Il n’y a aucun contrat en jeu dans ce litige.

4e - L’existence et le contenu d’une autre action intentée à l’étranger et le progrès déjà effectué dans la poursuite de cette action :

[63]        Il n’existe pas de recours parallèle en l’instance en Ontario relativement à cette affaire.

5e - La situation des biens appartenant au défendeur :

[64]        Il apparaît manifeste que les biens appartenant aux quatre défendeurs sont situés en Ontario.

6e - La loi applicable au litige :

[65]        De façon générale, le principe de lex loci delicti commissi (le rattachement du lieu où le dommage est survenu) est applicable dans des circonstances de conflits de droit.

[66]        Ce principe est toutefois problématique dans des causes d’atteinte à la réputation parce qu’il y a potentiellement une séparation entre la faute et les dommages, deux critères qui, de façon générale, surviennent simultanément.

[67]        Récemment, monsieur le juge Louis LeBel a écrit dans Breeden c. Black que :

« […] le droit canadien reconnaît depuis longtemps l’importance de permettre à un demandeur d’intenter une action en diffamation dans la localité où il jouit d’une réputation. »[26]

[68]        Le juge Lebel a examiné cette question de façon plus approfondie dans la cause de Banro Corp.[27].  Il note que l’endroit où les effets de la diffamation se font sentir est peut-être préférable que l’endroit où la faute a été commise sans toutefois trancher la question.

[69]        En l’espèce, l’Abbé Gravel a intenté sa poursuite en justice uniquement à l’égard des dommages qu’il a subis au Québec.  Il relate que les dommages qu’il a subis l’ont été à Joliette.[28]

[70]        Le Tribunal estime que dans un monde de communication d’Internet diffuse, accessible au-delà des frontières, le lien géographique le plus stable dans un tel litige est où les dommages ont été soufferts.

7e - L’avantage dont jouit la demanderesse dans le forum choisi :

[71]        L’objectif de ce critère est de « mettre un frein » (pour utiliser les mots du juge LeBel dans Banro Corp.[29]) à ceux qui font un choix stratégique en intentant une poursuite dans le ressort où ils jouissent d’un plus grand avantage juridique.[30]

[72]        En l’espèce, il est évident que l’Abbé Gravel ne pratique pas le « tourisme diffamatoire » et qu’il ne se livre pas à une recherche du système juridique le plus favorable. Résidant dans le district de Joliette, il dit y avoir subi les dommages qu’il réclame.

8e - L’intérêt de la justice :

[73]        Les commentaires du Ministère de la Justice sur l’article 3135 C.c.Q. relatent que le pouvoir discrétionnaire du tribunal en pareille circonstance : « devrait faciliter l’administration de la justice ».[31]  En déterminant cette question, il y a lieu d’assurer la saine gestion du dossier.[32]

[74]        Le Tribunal ne croit pas que l’administration de la justice soit facilitée si cette cause est scindée en deux.  Étant donné l’étape avancée de ce dossier, recommencer une fois de plus en Ontario n’est pas une utilisation efficace de ressources judiciaires.  Les multiplications de procédures engendrent également le risque de décisions contradictoires.[33]

[75]        Par ailleurs, scinder l’action priverait l’Abbé Gravel de la possibilité d’établir la relation entre LSN, Campaign Life Coalition, CQV et les autres défendeurs.[34]

[76]        Le Tribunal est conscient que renvoyer cette cause devant les tribunaux de l’Ontario entraînerait un changement de régime juridique du droit civil vers la Common law.

[77]        La diffamation en common law de l’Ontario opère de façon différente de l’atteinte à la réputation en droit civil québécois.[35]  Un tel changement serait certainement préjudiciable pour toutes les parties qui auront à se constituer des nouveaux procureurs et refaire l’étude du dossier sous l’optique de la Common law.

9e - L’intérêt des deux parties :

[78]        Tel que discuté, il n’apparaît pas dans l’intérêt des parties de recommencer ce dossier de nouveau.

10e - La nécessité éventuelle d’une procédure en exemplification à l’étranger :

[79]        Le Reciprocal Enforcement of Judgements Act[36] de l’Ontario n’a pas été signée par la Province du Québec.  Conséquemment, l’Abbé Gravel devra intenter une action en Ontario s’il n’obtient pas paiement des dommages accordés par le juge au fond.[37]  Le tribunal ontarien va traiter le jugement du Québec comme une dette que les défendeurs n’ont pas payée.

6.3       Conclusion

[80]        Ainsi, en conclusion, à la lumière d’une analyse globale des critères ci-haut mentionnés, le Tribunal est d’avis que les défendeurs n’ont pas établi que le Tribunal de l’Ontario est un ressort nettement plus approprié.  Certains critères favorisent l’Ontario, d’autres, le Québec.  Les défendeurs n’ont pas toutefois démontré « une impression nette tendant vers un seul et même forum étranger ».[38]

[81]        De plus, n’ayant soulevé que leur résidence comme critère dans leurs requêtes et plaidoiries, les défendeurs n’ont pas rencontré leur fardeau de preuve en l’espèce.

7.         Y’A T’IL LIEU DE SCINDER L’ACTION EN DEUX OU DU MOINS LA TRANSFÉRER À MONTRÉAL POUR CQV ET M. GAGNON?

7.1       Position des parties

[82]        CQV et M. Gagnon soutiennent que la démarche de l’Abbé Gravel de joindre leur sort à celui des six autres défendeurs dans une même action est irrecevable pour trois principales raisons :

             i)                le domicile réel de CQV est situé à Montréal alors que M. Gagnon réside à Paris depuis 2009;

            ii)                la cause d’action intentée contre CQV et M. Gagnon a pris naissance à Montréal étant donné que la publication du bulletin publié par CQV est faite à Montréal; et

           iii)                il n’y a pas de solidarité entre CQV et M. Gagnon et les six autres défendeurs puisque les actes qui leur sont reprochés ne sont pas les mêmes que ceux reprochés aux autres.

[83]        L’Abbé Gravel estime que la cause d’action intentée contre CQV et M. Gagnon a pris naissance dans le district de Joliette puisque le préjudice de l’Abbé Gravel a été subi à Joliette.  Il allègue que les défendeurs se sont engagés dans une aventure commune de dénigrement.  Il n’y a donc pas lieu de scinder l’action.

7.2       Discussion

[84]        Deux questions se posent :

              i)                Y’a t’il lieu de scinder l’action; et

            ii)                Y’a t’il lieu de transférer le dossier à Montréal?

7.2.1   Scinder l’action

[85]        Le Tribunal considère, en l’espèce, que l’on ne peut le priver l’Abbé Gravel de son droit de réunir dans une même demande en justice des recours qui ne sont pas incompatibles ou contradictoires et qui tentent à des condamnations de mêmes natures.  L’Abbé Gravel respecte toutes les conditions énumérées à l’article 66 C.p.c.[39]

[86]        Ses allégations ne sont pas incompatibles ou contradictoires.  Tous les défendeurs sont poursuivis pour diffamation.  Une partie importante de la preuve sera commune aux défendeurs, particulièrement eu égard aux allégations des dommages à la réputation subis par l’Abbé Gravel.

[87]        Somme toute, les défendeurs n’allèguent rien de suffisant qui justifie de scinder l’action en l’espèce.

[88]        Par ailleurs, dans la cause de Hydro-Québec c. Stell Components Products Métalliques[40], monsieur le juge Robert Castiglio, souligne que la réunion d’actions n’est pas une mesure exceptionnelle « mais plutôt un recours normal qui s’harmonise avec l’ensemble des dispositions du Code de procédure civile préconisant l’accès à la justice et l’accélération des procédures, tout en évitant les jugements contradictoires. »[41]  Il rappelle que le principe de la proportionnalité énoncé à l’article 4.2 C.p.c. doit être considéré.[42]

[89]        Une saine administration de la justice milite en faveur d’un seul procès impliquant les huit défendeurs que la tenue de deux procès séparés.  Il en va clairement de l’économie des ressources judiciaires.

[90]        Il restera au juge saisi de ce dossier au mérite de déterminer eu égard aux faits et au droit s’il y a effectivement solidarité entre les défendeurs.

7.2.2   Transfert à Montréal

[91]        L’article 68 (2) C.p.c. prévoit qu’une action fondée sur un libelle de presse peut être portée devant le tribunal du district où réside le demandeur, lorsque l’écrit y a circulé.[43]  Il est reconnu que cette règle d’exception doit recevoir une interprétation restrictive.[44]  La Cour d’appel dans l’arrêt Réseau de télévision Quatre-Saisons Inc. c. Cliche[45], a adopté la définition du libelle de presse que monsieur le juge François Tôth énonce dans Marion c. La Société Radio-Canada :[46]

« Par libelle de presse, il faut nécessairement entendre, un libelle publié dans un journal, périodique ou autre écrit semblable […] ».

[92]        Dans la cause de Investors Group Inc. c.  Hudon[47], madame la juge Carol Cohen a conclu que le libelle commis sur l’Internet peut être considéré une communication semblable aux journaux :

« The Internet can be considered by analogy to other means of communication, such as newspapers. As a result, by analogy to article 68 (2) C.p.c., applicable in cases of libel, the present action can be instituted in the place of the Plaintiffs residence. »

[93]        En l’espèce, il s’agit d’articles publiés :

             i)                dans un bulletin mensuel imprimé à Montréal par CQV et circulé dans la paroisse de Joliette; et

            ii)                sur le site Internet de LSN.

[94]        Le Tribunal estime que l’exception prévue à l’article 68 (2) C.p.c. s’applique et que l’action peut être entendue à Joliette et qu’il n’y a pas lieu de la transférer à Montréal.

8.         EST-CE QUE CETTE CAUSE EST PRESCRITE PARTIELLEMENT?

[95]        La pièce D-10 produite par les défendeurs est impressionnante.  Elle frappe l’imaginaire ayant plus de sept pieds de long, illustrant de façon minutieuse une trame factuelle de plus de 180 pièces concernant quelque 29 épisodes d’actions et réactions médiatiques, débutant en août 2003 jusqu’en août 2012 concernant l’Abbé Gravel.

8.1       Position des parties

[96]        Les défendeurs invitent le Tribunal d’intervenir pour assurer la saine gestion du dossier.  Selon eux, il y aurait lieu du moins, de circonscrire le débat judiciaire à la période de trois ans avant la date de l’introduction de la requête de l’Abbé Gravel.  L’analyse de la cause se limiterait donc aux 23 articles publiés après le 30 novembre 2007.

[97]        De cette façon, 16 des 39 articles litigieux seraient mis à l’écart.  Ceci aurait comme bienfait de couper quelque trois des sept pieds de la trame factuelle.[48]  Ils estiment qu’on pourrait ainsi écourter le procès de quelques jours.

[98]        Pour sa part, l’Abbé Gravel argumente qu’il est prématuré de trancher la question de la prescription à ce moment.  Il souligne que chaque répétition ou reprise d’une communication diffamatoire constitue une nouvelle diffusion.  Selon lui, les auteurs des articles litigieux doivent être tenus responsables de la reprise de la diffamation initiale.

8.2       Discussion

[99]        Est-ce que la prescription de l’article 2925 C.c.Q. s’applique en l’instance?[49]  Les 39 articles publiés sont-ils des actes indépendants et séparés ou sont-ils parties d’un projet continuel de diffamation?

[100]     S’inspirant des auteurs Beaudoin et Deslauriers, madame la juge Lise Matteau rappelle ce principe de prescription dans la cause Châtelain c. Shefford :

« Dans le premier cas [actes indépendants], les délais de prescription commencent à courir à la date respective de chacun des actes, si le préjudice est immédiat, ou à la date de sa réalisation subséquente. Dans l'autre cas [acte continuel], la prescription commence à courir à chaque jour. Tous les dommages subis pendant le délai de prescription applicable précédant l'action peuvent dès lors être réclamés, alors que ceux qui sont antérieurs sont prescrits. »[50]

[101]     Elle détermine que la « persistance des comportements » était un aspect de la faute qui devait être établi après une analyse de toute la preuve.

[102]     De façon similaire, l’Abbé Gravel plaide que chaque article est une répétition qui s’explique le mieux comme étant une campagne de diffamation continuelle.

[103]     Le Tribunal est d’avis que la détermination d’une telle faute doit être laissée au juge qui sera saisi de cette cause au mérite.

9.         LES DÉFENDEURS ONT-ILS ÉTABLI QUE LA REQUÊTE DE L’ABBÉ GRAVEL PEUT CONSTITUER UN ABUS?

9.1       Position des parties

[104]     Selon les défendeurs LSN et M. Westen, la requête de l’Abbé Gravel est non seulement abusive, elle est également mal fondée.  Ils n’ont pas commis de faute.  L’Abbé Gravel n’a pas subi de dommages.

[105]     Ce dernier remarque que le titre de la requête en rejet des défendeurs, LSN et M. Westen et celle des défendeurs, M. Jalsevac, M. Waggoner, Mme White et M. Craine, ne traitent que des articles 54.1 C.p.c.[51] mais qu’en réalité, elles englobent tous les arguments généralement soulevés sous l’article 165.4 C.p.c.

9.2       Discussion

[106]     Dans un tel cas, monsieur le juge Nicholas Kasirer souligne dans l’arrêt Subaru c. Michaud[52] la nécessité de procéder par étapes.  Dans un premier temps, l’on doit déterminer si la requête de l’Abbé Gravel est irrecevable puisque « manifestement mal fondé ».  Par la suite, si la demande en justice ne l’est pas, l’on doit déterminer si le recours entrepris par l’Abbé Gravel peut être déclaré abusif.[53]

[107]     Nous allons donc, dans un premier temps, analyser sommairement les éléments de faute, dommages et lien causal soulevés par l’Abbé Gravel afin de déterminer si sa requête est irrecevable.

9.2.1     Faute

[108]     Les défendeurs allèguent avoir agi sans mauvaise foi et toujours en réactions des sorties choquantes, provocantes et publiques de l’Abbé Gravel.

[109]     Ils soutiennent que leurs actes étaient guidés par le droit canonique qui leur intimait de dénoncer les propos de l’Abbé Gravel.[54]  De façon crue, ils disent qu’ils n’auraient jamais rien écrit sur l’Abbé Gravel s’il « s’était fermé la trappe ».[55]

[110]     L’Abbé Gravel affirme qu’à ce stade-ci des procédures, il y a un fondement juridique à faire valoir pour procéder aux prochaines étapes du dossier.

[111]     Qu’en est-il?

[112]     Pour déterminer s’il y a eu faute, le Tribunal saisi du dossier au mérite devra analyser les faits et les circonstances de cette cause.  Il devra comparer la conduite de l’auteur du dommage avec le modèle abstrait exprimé par l’image de la personne raisonnable.

[113]     Pour que le recours de l’Abbé Gravel réussisse, il devra démontrer au Tribunal, selon la prépondérance des probabilités que les défendeurs ont commis une faute, son préjudice et le lien de causalité entre ces deux éléments.

[114]     Le Tribunal considère que l’Abbé Gravel allègue suffisamment les fautes des défendeurs à ce stade-ci des procédures.

[115]     La lecture de sa requête permet de constater que le paragraphe 44 donne un portrait global de ce qui est écrit à son sujet depuis 2003.  Le paragraphe 46 traite des impressions se dégageant des articles.  Le paragraphe 47 stipule des faussetés et inexactitudes des articles en questions.  Les paragraphes 48 à 62 allèguent les mauvaises intentions des défendeurs.

[116]     l’Abbé Gravel fait également appel au professeur Marc-François Bernier qui est d’opinion que les règles éthiques et déontologiques n’ont pas été respectées par les défendeurs.[56]

[117]     Somme tout, l’appréciation de la faute est une question de faits et de circonstances.  Ceci est l’apanage du juge saisi de cette affaire au mérite.

9.2.2   Dommages

[118]     Les défendeurs affirment de façon détaillée que lors de l’interrogatoire de l’Abbé Gravel tenu le 8 mai 2012, il est apparu clairement qu’aucun dommage n’a été établi ou qu’ils sont pratiquement inexistants.[57]

[119]     Ils avancent que l’Abbé Gravel n’a pas respecté le Code de droit canonique[58] et qu’il a un comportement contraire à son serment de fidélité envers l’Église.  Selon eux, il a alimenté une infinité de débats publics sur des sujets, tel que, le mariage entre conjoints de même sexe, l’avortement, la messe en latin, son soutien à M. Morgentaler lorsque ce dernier a été décoré de l’Ordre du Canada et la dépénalisation de l’euthanasie.  De plus, il a ouvertement critiqué certaines positions du Cardinal Marc Ouellet sur quelques-unes de ces questions.  Selon eux, il est un polémiste qui n’arrêtera jamais.

[120]     Autrement dit, il est mal venu de venir alléguer qu’il a subi de dommages  (hautement exagérés de toute façon) puisqu’il se les a infligés lui-même et qu’il est le seul à blâmer.

[121]     Pour sa part, l’Abbé Gravel fait valoir que sa requête ne peut être déclarée mal fondée en droit pour absence de dommages.  Il affirme que, outre les dommages à sa réputation allégués dans sa requête[59], il a également subi d’autres préjudices, tel qu’indiqué dans son interrogatoire :

             i)                il a de la misère à dormir;

            ii)                il pleure;

           iii)                l’accumulation est lourde et difficile à porter;

           iv)                il a été profondément choqué des propos d’un dirigeant de LSN qui s’est vanté d’avoir mis fin à sa carrière politique.

[122]     Qu’en est-il?

[123]     Le Tribunal estime qu’il appartient au juge des faits d’évaluer la preuve qui sera établie au procès afin de déterminer si l’Abbé Gravel a subi les dommages matériels et moraux réclamés.

[124]     Pour ce faire, le juge devra prendre en considération différents facteurs soulevés par les défendeurs dans leurs défenses et demandes reconventionnelles, tels la défense de commentaire loyal, l’intérêt public, l’intention honnête de servir une cause juste, la véracité des faits.

[125]     L’évaluation de dommages pour atteinte à la réputation, requiert que l’on prenne en compte un ensemble de critères, tels que la perte à caractère financier, la gravité de l’acte diffamatoire, la portée de la diffamation sur la victime, la diffusion de la diffamation, les personnes qui ont pris connaissance de la diffamation, le statut de la victime et sa contribution au dommage, la durée et la répétition des propos, etc.

[126]     Quant aux dommages punitifs, il y aura lieu d’examiner, entre autres, la gravité de la faute, la situation patrimoniale des défendeurs et l’étendue des dommages auxquels ils seront tenus.

[127]     Le Tribunal note, en l’espèce, que l’Abbé Gravel allègue que les propos des défendeurs ont été pris très au sérieux par de nombreux croyants qui lui ont transmis de multiples notes blessantes.[60]  Il relate que plusieurs personnes l’ont appelé sur son cellulaire et l’ont traité de « démon » après qu’on ait affiché son numéro de téléphone personnel dans un article.[61]

[128]     En conclusion, le Tribunal estime que l’Abbé Gravel ne peut à ce stade-ci des procédures être déclaré mal fondé en droit pour absence de fautes et de dommages.

9.2.3   Lien causal

[129]     Le lien causal ne semble faire aucun doute quand on examine les propos et le ton des lettres et courriels de plaintes écrits par certains lecteurs contre l’Abbé Gravel en réaction aux différents articles.[62]

9.2.4   Conclusion

[130]     Ayant ainsi conclu, le Tribunal estime que la requête des défendeurs de faire déclarer l’action de l’Abbé Gravel manifestement mal fondée doit être rejetée.

9.3       La requête de l’Abbé Gravel peut-elle constituer un abus?

[131]     Il y a maintenant lieu de déterminer si l’action de l’Abbé Gravel peut tout de même constituer un abus.[63]

9.3.1   Position des parties

[132]     Les défendeurs allèguent que la requête de l’Abbé Gravel constitue un détournement des fins de la justice puisqu’il utilise les tribunaux afin de régler ses comptes avec ses adversaires politiques.

[133]     Ils plaident que le seul but de la demande en justice est de limiter la liberté d’expression et qu’elle constitue un exemple clair de poursuite « bâillon ».  Selon eux, la requête constitue une attaque contre l’article 2 b) de la Charte canadienne des droits et libertés[64].  On n’a qu’à examiner une des conclusions recherchées par l’Abbé Gravel dans sa requête pour comprendre que son réel objectif est de les bâillonner pour une période de trois ans.[65]

[134]     Selon l’Abbé Gravel, son action en justice n’est pas abusive.  C’est plutôt les défendeurs qui sont abusifs dans leurs requêtes.

9.3.2   Discussion

[135]     Premier constat, ce n’est pas les lancements de roches qui manquent dans ce dossier!

[136]     Aux termes de l’article 54.1 C.p.c., les défendeurs doivent démontrer sommairement que l’action de l’Abbé Gravel peut constituer un abus, soit que sa demande constitue un détournement des fins de la justice.

[137]     Deuxième constat, le Tribunal ne croit pas que « sommairement » veut dire trois jours d’audience.  À cet égard, notons que le juge Kasirer décrit le mot « sommairement » de la façon suivante :

« [67]  By "summarily", the legislature can be taken to have meant this demonstration by the defendant can be made expeditiously - prior to full proof and hearing of the matter at trial.  As indicated in the explanatory notes to the enacting legislation, "summarily" here is suggestive of the degree of dispatch, not the degree of proof, relevant to the reversal of the burden of showing impropriety.  As Chaput J. remarked on the word "sommairement" in Fortin v. Fortin, "[l]e texte de l’article [54.2] ne définit pas ce terme.  Il convient d’en retenir le sens usuel, c’est-à-dire brièvement, promptement, sans les formalités de l’enquête et de l’instruction au fond" »[66]

[138]     En l’espèce, le Tribunal a plutôt l’impression d’avoir entendu un procès de 12 jours, en 3 jours, sans témoin, mais avec une multitude de pièces, environ 200, et une demi-douzaine de volumes de jurisprudence et doctrine.

[139]     Troisièmement, pour conclure en l’abus, il faut des indices de mauvaise foi ou des indices de témérité.  Il est nécessaire de déceler un comportement blâmable.[67]

[140]     Madame la juge Guylène Beaugé souligne que le rôle du Tribunal à ce stade-ci, ne constitue pas à départager le vrai du faux ni même de déterminer si la réputation du demandeur se trouve ternie aux yeux d’une personne raisonnable.[68]

[141]     La tâche du Tribunal en trois étapes stipulée aux articles 54.1 et suivants C.p.c. est décrite par le juge Kasirer de la façon suivante :

« [65]  The path for analyzing procedural impropriety is set out by the legislature in articles 54.1 C.C.P. and following: first, one must consider whether Mr. Michaud has summarily established what may be an abuse of process on the distinct basis of "an attempt to defeat the ends of justice"; second, if Mr. Michaud has acquitted that burden, the onus to disprove impropriety falls to the appellants under article 54.2, paragraph 1; and, third, if there is an abuse or an appearance of abuse the appropriate remedy must be identified (article 54.3, paragraphs 1 and 2).  I propose to canvass these alternatives. »

[142]     Finalement, il y a lieu de souligner l’importance accordée à la protection de la liberté d’expressions dans le contexte de débats publics dictée à l’article 54.1 C.p.c.[69]

[143]     En l’espèce, le Tribunal n’est pas convaincu que la requête de l’Abbé Gravel peut constituer un abus.

[144]     Les défendeurs n’ont pas été en mesure de prouver que l’Abbé Gravel a fait preuve de témérité ou de légèreté blâmable et que ses motifs qui l’ont mené à poursuive étaient abusifs.

[145]     À la lecture de sa mise en demeure envoyés à LSN et ses journalistes, l’on peut déceler les motifs de son action.[70]  Sa volonté exprimée est de :

             i)                rétablir sa réputation;

            ii)                retirer du site Web de LSN tous les propos à caractère diffamatoire et non l’ensemble des textes;

           iii)                faire cesser cet « acharnement » à son égard;

           iv)                publier un texte afin que les lecteurs puissent connaître la vérité.

[146]     Il prend le temps de souligner qu’il ne s’agit pas d’une tentative de limiter la liberté d’expression.

[147]     En l’espèce, le Tribunal remarque qu’on ne retrouve pas dans la mise en demeure et dans la requête de l’Abbé Gravel des indices ou des éléments qui démontrent une intention de vouloir causer du tort à autrui.  On n’y retrouve pas non plus l’effet indu ou disproportionné sur la liberté d’expression.

[148]     Il est vrai, comme le soumettent les défendeurs, que le montant réclamé en dommages semble élevé à première vue étant donné la jurisprudence soumise par les défendeurs.[71]  Ceci n’est pas, toutefois, un indice suffisant de mauvaise foi dans les circonstances.  Il est trop tôt, à ce stade-ci des procédures, de déterminer les montants des dommages justifiables en l’espèce.[72]  Le juge au mérite aura le loisir de déterminer avec précision les dommages s’il y a lieu.

[149]     Le Tribunal n’est pas convaincu que la conclusion recherchée par l’Abbé Gravel pour réserver ses droits pour une période de trois ans est un indice de poursuite « bâillon » ou de mauvaise foi, tel que le soulèvent les défendeurs.  À première vue, c’est une conclusion qui apparaît plutôt superflue.

[150]       Dans ces circonstances, le Tribunal estime que les motifs ayant mené à la poursuite ne peuvent pas être qualifiés de blâmables et d’abusifs à ce stade-ci des procédures.

[151]     Compte tenu de la détermination du Tribunal sur cette question, il est inutile d’examiner les autres étapes de l’article 54.1 C.p.c. ou les questions en litiges soulevés par le Tribunal au paragraphe [13].

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[152]     REJETTE la requête en déclaration de poursuite abusive et en demande de sanction à l’encontre de la requête introductive d’instance du demandeur-intimé Raymond Gravel, des défendeurs, Lifesitenews.com et John-Henry Westen;

[153]     REJETTE la requête en rejet des défendeurs, Campagne Québec-Vie et Luc Gagnon, en rejet de la requête introductive d’instance précisée, reprécisée et amendée du demandeur, Raymond Gravel;

[154]     REJETTE la requête en déclaration de poursuite abusive et en demande de sanction à l’encontre de la requête introductive d’instance du demandeur-intimé Raymond Gravel, des défendeurs, Stephen Jalsevac, Tim Waggoner, Hilary White et Patrick B. Craine;

[155]     LE TOUT AVEC DÉPENS, pour les trois requêtes.

 

 

__________________________________

Paul Mayer, j.c.s.

 

 

Me Jean-Philippe Lemire

Lemire Lemire Avocats s.e.n.c.

Procureurs du demandeur

 

Me Jean-Pierre Belisle

Procureur des défendeurs Lifesitenews.com et John-Henry Westen

 

Me Jean-Yves Côté

Côtés Avocats Inc.

Procureurs des défendeurs Stephen Jalsevac, Tim Waggoner, Hilary White et Patrick B. Craine

 

Me Jacques Marquis

Procureur des défendeurs Campagne Québec-vie et Luc Gagnon

 

Dates d’audiences : Les 15, 16 et 17 octobre 2012.

 



[1]     L’Abbé Gravel réclame des défendeurs 300 000 $ pour atteinte illégale à sa dignité, son honneur, sa vie privée et sa réputation et 200 000 $ à titre de dommages punitifs.

[2] Pièce P-36.

[3]     2011 QCCS 3932 .

[4]     2011 QCCA 1619 .

[5]     « 2929. L'action fondée sur une atteinte à la réputation se prescrit par un an, à compter du jour où la connaissance en fut acquise par la personne diffamée. »

[6]     Interrogatoire après défense de l’Abbé Gravel par Me Jean-Yves Côté, 8 mai 2012, cahier A, p. 34-35.

[7]     Requête introductive d’instance précisée et reprécisée et amendée, par. [77].

[8]     Voir Garceau c. Dupuis, J.E. 2005-628 (C.S.); Kelly c. Lefrançois, B.E. 2005BE-232 (C.Q.); Arpin c. Grenier, [2004] R.R.A. 1029 (C.Q.); Sébille c. Photo Police, B.E. 2004BE-378 (C.S.); Bédard c. Robert, [2003] R.R.A. 673 (C.S); Gagnon c. Pelletier, [2002] R.R.A. 563 (C.S.); Vaillancourt c. Pagé, [2000] R.R.A. 527 (C.S.); Byer c. Van Der Weyden, B.E. 98BE-814 (C.S.); Ventola c. Banque Nationale du Canada, J.E. 97-2193 (C.S.).

[9]     Filion c. Chiasson, 2007 QCCA 570 , par. 57.

[10]    Weissglas c. Régie de l’assurance-automobile du Québec, [1996] R.D.J. 375 (C.A.).

[11]    Sébille c. Photo Police, préc. note 8.

[12]    Interrogatoire après défense de l’Abbé Gravel par Me Jean-Yves Côté, 8 mai 2012, Cahier A, p. 60.

[13]    « 1463.  Le commettant est tenu de réparer le préjudice causé par la faute de ses préposés dans l'exécution de leurs fonctions; il conserve, néanmoins, ses recours contre eux. »

[14]    « 165.  Le défendeur peut opposer l'irrecevabilité de la demande et conclure à son rejet :

[…]

4.  Si la demande n'est pas fondée en droit, supposé même que les faits allégués soient vrais. »

[15]    Ibid  note 7, par. 13.

[16]    Pièces P-1 (démontre que M. Jalsevac est un des administrateurs de LSN) et P-5 (étant un article biographique concernant le défendeur M. Westen, dans lequel M. Jalsevac est décrit comme « director and computer guru » de Campaign Life Coalition et le « overall manager » de LSN.

[17]    Jean-Louis BEAUDOIN et Patrice DESLAURIERS, La responsabilité civile, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, p. 264-268.

[18]    Voir aussi Ibid note 7, par. 12.

[19]    Une requête pour changement de district (Joliette vers Montréal), une requête en rejet sous l’article 165.4 C.p.c. pour motifs de prescription, une requête pour interroger un tiers (Mgr. Gilles Lussier), une requête pour obtenir précision, une requête pour permission d’en appeler d’un jugement interlocutoire et une requête pour faire déclarer nulle la signification de la demande et faire rejeter la défense.

[20]    À cet égard, le Guide des meilleures pratiques (3e éd., 3e trimestre 2012, p. 16), publié par le Barreau du Québec prévoit ce qui suit concernant la rédaction des actes de procédures :

      « La rédaction d’actes de procédures trop longs et trop détaillés complexifie inutilement les débats, la durée des auditions et le coût des procès, en plus de forcer les parties à consacrer trop de temps à y répondre.  Il faut donc alléguer uniquement ce qui est pertinent, en évitant les romans-fleuves et en évitant de nourrir le litige par un choix de mots inappropriés. ».

[21]    « 3135.  Bien qu'elle soit compétente pour connaître d'un litige, une autorité du Québec peut, exceptionnellement et à la demande d'une partie, décliner cette compétence si elle estime que les autorités d'un autre État sont mieux à même de trancher le litige. »

[22]    Éditions Écosociété Inc. c. Banro Corp., 2012 CSC 18 , par. 41; Banque Toronto-Dominion c. Arsenault, [1994] R.J.Q. 2253 (C.S.), par. 2; Serge GAUDET et Patrick FERLAND, Les conflits de juridiction, EYB 2011 CDD, par. A (2) (a).

[23]    Breeden c. Black, 2012 CSC 19 , par. 23.

[24]    Banque Toronto-Dominion c. Cloutier, [1994] R.J.Q. 386 (C.S.); Droit de la Famille - 2032, [1994] R.J.Q. 2218 (C.S.); Malden Mills Industries Inc. c. Hunting don Mills (Canada) Ltd., [1994] R.J.Q. 2227 (C.S.); Banque Toronto-Dominion c. Arsenault, préc. note 22; Simcoe and Erie General Insurance Co. c. Arthur Andersen Inc., [1995] R.J.Q. 2222 (C.S.); Société Toon Boom Technologies c. Société 2001 S.A. J.E. 96-474 (C.A.); 2493136 Canada Inc. c. Sunburst Products Inc., J.E. 96-1062 (C.S.); Reklitis (Syndic de), [1996] R.J.Q. 3035 (C.S.); H.L. Boulton &  Co. S.A.C.A. c. Banque Royale du Canada, [1995] R.J.Q. 213 (C.S.); Droit de famille - 2094 [1996] R.J.Q. 276 (C.A.); Droit de la famille - 2577, J.E. 97-262 (C.A.); Oppenheim Forfait GMBH c. Lexus Maritime Inc., 1998 CanLII 13001 (C.A.).

[25]    1998 CanLII 13001.

[26]    Breeden c. Black, préc. note 23.

[27]    Éditions Écosociété Inc. c. Banro Corp., préc. note 22.

[28]    Ibid note 7, par. [73].

[29]    Éditions Écosociété Inc. c. Banro Corp., préc. note 22.

[30]    Id., par. 49.

[31]    Ministère de la justice du Québec, Commentaires du ministre de la Justice, Le Code civil du Québec.  Un mouvement de société, tome 3, Québec, Publications du Québec, 1993, p. 1043.

[32]    « 4.1  Les parties à une instance sont maîtres de leur dossier dans le respect des règles de procédure et des délais prévus au présent code et elles sont tenues de ne pas agir en vue de nuire à autrui ou d'une manière excessive ou déraisonnable, allant ainsi à l'encontre des exigences de la bonne foi.

Le tribunal veille au bon déroulement de l'instance et intervient pour en assurer la saine gestion. »

[33]    Breeden c. Black, préc. note 23, par. 34.

[34]    L’Abbé Gravel allègue une « campagne de salissage et dénigrement […] menée par les défendeurs » sans faire de distinction entre eux (Ibid note 7, par. [32]). Il semble les traiter solidairement quand il affirme que les « défendeurs ont habilement et sciemment profité de la visibilité du portail LSN et du bulletin CQV pour régler leurs comptes avec le demandeur et exercer une plus grande pression auprès des autorités religieuses » (Ibid note 7, par. [52]).

[35]    Voir la différence d’approche entre Grant c. Topstar, 2009 SCC 61 (common law) et Prud’Homme c. Prud’Homme, 2002 SCC 85 (droit civil).

[36]    R.S.O. 1990, c. R-5.

[37]    Noël et Associés, s.e.n.c.r.l. v. Sincennes, 2012 ONCS 2770, par. 11-26.

[38]    Oppenheim Forfait GMBH c. Lexis Maritime Inc., préc. note 25, par. 8.

[39]    « 66.  Plusieurs causes d'action peuvent être réunies dans une même demande en justice, pourvu que les recours exercés ne soient pas incompatibles ni contradictoires, qu'ils tendent à des condamnations de même nature, que leur réunion ne soit pas expressément défendue, et qu'ils soient sujets au même mode d'enquête.

      Un créancier ne peut diviser une dette échue pour en réclamer le paiement au moyen de plusieurs actions. »

[40]    2012 QCCS 2414 .

[41]    Id., par. [23].

[42]    Id., par. [24].

[43]    « 68. Sous réserve des dispositions du présent chapitre et des dispositions du Livre dixième au Code civil, et nonobstant convention contraire, l'action purement personnelle peut être portée :

[…]

2.  Devant le tribunal du lieu où toute la cause d'action a pris naissance; ou, dans le cas d'une action fondée sur un libelle de presse, devant le tribunal du district où réside le demandeur, lorsque l'écrit y a circulé; »

[44]    Clément c. Lafond, J.E. 87-1113 (C.S.); 138127 Canada inc. c. Éditions Ulysse inc., [2000] R.L. 354 (C.S.); voir aussi Gagnon c. Groupe Polygone Éditeurs inc., J.E. 95-1377 (C.Q.).

[45]    [1993] R.D.J. 434 (C.A.).

[46]    [1978] S.C. 509 (C.S.).

[47]    [1999] R.J.Q. 599 (C.S.).

[48]    Pièce D-10.

[49]    « 2925.  L'action qui tend à faire valoir un droit personnel ou un droit réel mobilier et dont le délai de prescription n'est pas autrement fixé se prescrit par trois ans. »

[50]    Châtelain c. Shefford (Corporation municipale du canton de), 2007 QCCS 623 , par. 116.

[51]    « 54.1  Les tribunaux peuvent à tout moment, sur demande et même d'office après avoir entendu les parties sur le point, déclarer qu'une demande en justice ou un autre acte de procédure est abusif et prononcer une sanction contre la partie qui agit de manière abusive.

      L'abus peut résulter d'une demande en justice ou d'un acte de procédure manifestement mal fondé, frivole ou dilatoire, ou d'un comportement vexatoire ou quérulent. Il peut aussi résulter de la mauvaise foi, de l'utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable ou de manière à nuire à autrui ou encore du détournement des fins de la justice, notamment si cela a pour effet de limiter la liberté d'expression d'autrui dans le contexte de débats publics. »

[52]    2011 QCCA 1037 .

[53]    « [58]  When it is argued that a suit is "clearly unfounded" in law, article 54.1 C.C.P. requires a further finding of blame on the part of the litigant who brought the suit.[20] In other words, the litigant must not only have brought a suit that is unfounded in law, he or she must have done so in a manner that is so patent, or so frivolous or dilatory as to be an abuse of process.  I take guidance on this point from the reasons of Dalphond J.A. in Royal Lepage: "le fait de mettre de l’avant un recours ou une procédure alors qu’une personne raisonnable et prudente, placée dans les circonstances connues par la partie au moment où elle dépose la procédure ou l’argumente, conclurait à l’inexistence d’un fondement pour cette procédure".  Dalphond, J.A. also noted, echoing the sentiment of Rochon J.A. expressed in Viel, that a finding of impropriety on this basis is not to be arrived at lightly.  The compass for this evaluation of impropriety is expanded at article 54.1 C.C.P. as against former article 75.1 C.C.P., to include an evaluation of the evidence filed at whatever stage of the proceedings the motion for improper proceedings is brought.  At whatever stage it may be, however the additionally blameworthy character of the litigant’s conduct must be shown for the claim to be declared "clearly unfounded" in law.  Because Mr. Michaud has failed to show that the suit was unfounded pursuant to the criteria of article 165 (4) C.C.P., it is, perforce, not "clearly unfounded" in law under article 54.1. »

      […]

« [60]  A finding that the principal action in defamation is not clearly unfounded in law does not preclude it from being declared improper on some other basis identified by the legislature. The authors of the report of the committee struck to advise the Minister of Justice on strategic lawsuits against public participation recommended that courts should be allowed to take remedial measures to combat abuse of process "même dans le cas où il subsiste une apparence de droit".  As noted above, this was carried forward with the enactment of distinct bases for impropriety in article 54.1 , paragraph 2 C.C.P., including "an attempt to defeat the ends of justice".  I turn now to a consideration as to whether the appellants' claim is improper on that ground. »

[54]    Code de Droit Canonique, Wilson & Lafleur Limitée, Montréal, 1990 - « Can. 212. […] § 3. Selon le devoir, la compétence et le prestige dont ils jouissent, ils ont le droit et même parfois le devoir de donner aux Pasteurs sacrés leur opinion sur ce qui touche le bien de l’Église et de la faire connaître aux autres fidèles, restant sauves l’intégrité de la foi et des moeurs et la révérence due aux pasteurs, et en tenant compte de l’utilité commune et de la dignité des personnes. ».

[55]    Voir No. 9 du document intitulé « Ce que le tableau R-10 démontre », pièce R-10.

[56]    Rapport d’expertise de Marc-François Bernier (Ph.D.), professeur agrégé, Université d’Ottawa, dans la cause Raymond Gravel c. Lifesitenews.com (Canada) et al., 21 novembre 2011.

[57]    Requête en déclaration de poursuite abusive et en demande de sanction (amendée) à l’encontre de la requête introductive d’instance du demandeur - intimé Raymond Gravel, par. [14]-[15].

[58]    Préc. note 54 : « Can. 273 - Les clercs sont tenus par une obligation spéciale à témoigner respect et obéissance au Pontife Suprême et chacun à son Ordinaire propre. »

[59]    Ibid note 7, par. 63-72.

[60]    i.e. Pièce P-17, p. 34 : «[…] It saddens me deeply to see how Satan has infiltrated our Church!! […] ».

[61]    Pièce P-45.

[62]    Pièce P-17 - copies des courriels et lettres de plaintes.

[63]    Subaru c. Michaud, préc. note 52, par. [60].

[64]    « 2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

      […]

      b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication; »

[65]    « RÉSERVER les droits du demandeur à réclamer des dommages additionnels des défendeurs, selon les dispositions de l’article 1615 C.c.Q., et ce, pour une période de trois ans, à compter du jugement à être rendu; »

[66]    Subaru c. Michaud, préc. note 52.

[67]    Subaru c. Michaud, préc. note 52 : « [76]  The relevance of wrongful motive and wrongful effect are both alluded to in the Code.  The French text of article 54.1, paragraph 2 places a plain emphasis on the effect of the impugned use of procedure ("notamment si cela a pour effet de limiter la liberté d’expression d’autrui dans le contexte de débats publics").  While the English text does not allude directly to effects, it may be read to include that idea in so far as the expression "restricts freedom of expression" may be understood to refer to the action’s effect on the victim of alleged impropriety. If the "effects-based" interpretation of article 54.1, paragraph 2 is plainer in the French text, so too is the purpose-based interpretation.  The choice of the phrase "détournement des fins de la justice" is highly suggestive of behaviour that defeats the ends of justice not just in its effects but in its purpose.  To be improper, the action must defeat the ends of justice by subverting them or undermining them.  Where an action in defamation limits freedom of expression in its effects without subverting the ends of justice, it cannot be said to be a "détournement" in the full sense of the word and may well not be improper. Viewing the burden as a whole, the court must be satisfied that the car dealers' attempt to defeat the ends of justice reflects a measure of blame that, as we have seen, is characteristic of abuse of process generally.  An attempt to defeat the ends of justice is a species of impropriety relating to a distortion of the judicial function.  The Supreme Court has repeatedly identified the "integrity of the adjudicative process" as a core aspect of the doctrine of abuse of process, which extends to preventing a civil party from using the courts for an improper purpose.[34] An attempt to defeat the ends of justice is similarly predicated on an indication that the offending litigant’s action is a bad faith attempt to deny the legitimate right of another person.  In this sense, an attempt to defeat the ends of justice stands in violation of the principle that a litigant should only take action before the courts in good faith, as consecrated by articles 4.1 C.C.P. »

[68]    Barrick Gold Corporation c. Les Éditions Écosociété inc. et al., 2011 QCCS 4232 .

[69]    Subaru c. Michaud, préc. note 52 : « [71]  As a first point, Mr. Michaud has to establish that the restriction to his freedom of speech occasioned by the action in defamation brought by the car dealers occurred in connection with what article 54.1 , paragraph 2 C.C.P. describes as "public debate". Only when freedom of expression is restricted in "public debate" does the advantage of the reverse onus in proving procedural impropriety comes to the aid of defendants in defamation actions such as Mr. Michaud under article 54.2 C.C.P. In Bou Malhab, Deschamps J. observed a trend in decided cases whereby the law of defamation has evolved to provide a more adequate protection for freedom of expression on matters of public interest.  The enactment of rules designed to give special protection to freedom of expression in public debate by the Quebec legislature might well be seen as partaking of this same trend. The preamble to the law enacting articles 54.1 and following underscores the special importance of freedom of expression and the need to prevent the improper use of the courts to "thwart the right of citizens to participate in public debate". »

[70]    Pièce D-131.

[71]    Jean C. Lapierre c. Pierre Sormany, 2012 QCCS 4190 (22 000 $); Suzanne Corriveau c. Canoe inc. et al., 2010 QCCS 3396 (107 000 $); Yves L. Duhaime c. Thomas J. Mulcair, 2005 CanLII 7830 (C.S.) (100 000 $).

[72]    Subaru c. Michaud, préc. note 52 : au paragraphe [87], le juge Kasirer a écrit en ces termes : « There is always good reason to be wary of using the raw amount of the claim as the sole factor for measuring abuse. »

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.