Optique Télécom inc. et Beaudoin |
2015 QCCLP 360 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 20 mai 2014, monsieur Frédéric Beaudoin dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision rendue par cette instance, le 31 mars 2014.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles se prononçait à l’égard de trois litiges. Ainsi, dans le dossier 504286-31-1302, la Commission des lésions professionnelles accueille la requête déposée par Optique Télécom inc., infirme la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 17 janvier 2013 à la suite d’une révision administrative, déclare que monsieur Frédéric Beaudoin n’est pas un travailleur à l’emploi d’Optique Télécom inc. et déclare qu’Optique Télécom inc. n’a pas à inclure dans sa masse salariale les montants versés à monsieur Frédéric Beaudoin entre le 30 avril et le 19 juin 2012.
[3] Dans les dossiers 504996-31-1303 et 510135-31-1304, la Commission des lésions professionnelles déclare sans objet les requêtes de monsieur Frédéric Beaudoin et sans effet la décision rendue par la CSST le 24 janvier 2013 à la suite d’une révision administrative. Elle déclare également sans effet la décision rendue le 27 mars 2013 par le conciliateur - décideur de la CSST.
[4] Monsieur Frédéric Beaudoin est présent et représenté à l’audience tenue devant la Commission des lésions professionnelles siégeant à Québec, le 6 novembre 2014. Optique Télécom inc. est également représenté à cette occasion par son président, monsieur Rémy Boivin. La CSST est représentée par procureur. La cause est mise en délibéré à cette date.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[5] Monsieur Frédéric Beaudoin demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision rendue par le premier juge administratif le 31 mars 2014 en s’appuyant sur les premier, deuxième et troisième paragraphes de l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
L’AVIS DES MEMBRES
[6] Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs partagent le même avis.
[7] Ils considèrent que le travailleur n’a démontré aucun motif donnant ouverture à la révision ou à la révocation de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 31 mars 2014.
[8] Plus spécifiquement, ils sont d’opinion que le travailleur n’a pas démontré l’existence d’un fait nouveau au sens où l’entend le premier paragraphe de l’article 429.56 de la loi et la jurisprudence du tribunal avalisée par les tribunaux supérieurs.
[9] De plus, ils ne retiennent pas l’argument du travailleur selon lequel il n’a pas été entendu dans le cadre de sa contre-argumentation écrite pour les motifs énoncés dans la présente décision.
[10] Finalement, ils sont d’avis que le travailleur n’a prouvé aucun vice de fond de nature à invalider la décision, mais a plutôt tenté d’obtenir une réappréciation de la preuve et de bonifier son argumentation et sa stratégie, ce qui ne constitue pas des motifs de révision ou de révocation.
[11] Par conséquent, les membres sont d’avis de rejeter la requête en révision ou en révocation déposée par le travailleur le 20 mai 2014.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[12] Le tribunal siégeant en révision ou en révocation doit déterminer s’il y a lieu de réviser la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 31 mars 2014.
[13] Avant de se prononcer spécifiquement à cette fin, le tribunal croit utile de rappeler les dispositions législatives applicables en l’espèce.
[14] L’article 429.49 de la loi prévoit qu’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel. Cet article se lit comme suit :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu’une affaire est entendue par plus d’un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l’ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s’y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[notre soulignement]
[15] Pour sa part, l’article 429.56 de la loi prévoit un recours en révision ou en révocation en ces termes :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu’elle a rendu :
1° lorsqu’est découvert un fait nouveau qui, s’il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu’une partie n’a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu’un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l’ordre ou l’ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l’a rendu.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[16] Dans l’affaire Franchellini et Fernando Sousa[2], la Commission des lésions professionnelles a rappelé que cet article de loi permettant la révision ou la révocation d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles a une portée limitée et doit être interprétée restrictivement en tenant compte des objectifs visés par l’article 429.49 de la loi, en vue d’assurer la stabilité juridique des décisions rendues par le tribunal. Il s’agit donc d’un recours exceptionnel.
[17] En l’espèce, monsieur Beaudoin s’appuie sur les trois paragraphes de l’article 429.56 de la loi pour demande la révision de la décision rendue le 31 mars 2014. Ainsi, il invoque notamment l’existence d’un fait nouveau qui, s’il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente. De plus, il prétend qu’il n’a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre en contre-argumentation et, finalement, il soutient que la décision rendue par le premier juge administratif est entachée de vices de fond de nature à l’invalider, au sens où l’entend le troisième paragraphe de l’article 429.56.
[18] Avant d’analyser en détail chacun des motifs soulevés par monsieur Beaudoin, le tribunal considère utile, à ce stade-ci, de résumer les principaux faits du dossier.
[19] Monsieur Beaudoin détient une formation de technicien en télécommunication et exerce ce métier depuis quelques années au moment où, en mars 2012, il est dirigé par un ancien collègue de travail vers monsieur Rémy Boivin, président de l’entreprise Optique Télécom inc. Monsieur Beaudoin est alors en chômage depuis janvier 2012. Auparavant, il a œuvré pour différentes entreprises en télécommunication, soit à titre de salarié ou de travailleur autonome.
[20] Après avoir discuté par téléphone avec monsieur Boivin, monsieur Beaudoin rencontre monsieur Desjardins de la direction d’Instech Télécommunication inc. qui procède à une entrevue, laquelle a lieu dans les locaux de l’entreprise Instech Télécommunication inc. Cette entrevue est favorable à monsieur Beaudoin. Il lui reste donc à obtenir la certification consentie par Vidéotron, qui est l’entrepreneur principal pour lequel Optique Télécom inc. agit à titre de sous-traitant, et à suivre une formation commençant la semaine suivante en vue de procéder à un rafraîchissement de ses connaissances.
[21] C’est lors de cette formation que monsieur Beaudoin rencontre pour la première fois monsieur Boivin avec qui il avait eu l’occasion de discuter au préalable par téléphone et d’échanger par écrit. Lors de cette rencontre, il est notamment question du statut de monsieur Beaudoin qui désire être embauché à titre de salarié. Cependant, monsieur Boivin l’informe qu’il n’embauche que des fournisseurs de services, soit des entreprises incorporées.
[22] À la suite de cette rencontre, à la demande de monsieur Beaudoin, monsieur Boivin lui fait parvenir la liste de prix pour le coût des services versés aux fournisseurs avec qui il fait affaire. Il est convenu entre messieurs Boivin et Beaudoin que ce dernier n’effectuera pas plus de 40 heures par semaine, à sa demande.
[23] Il appert des éléments contenus au dossier que lors des premiers échanges entre les parties, monsieur Beaudoin a quelques outils en main, mais doit s’en procurer d’autres qu’il achète, en partie, de monsieur Boivin. De plus, il n’a pas de camion pour effectuer son travail de technicien en télécommunication. Une entente intervient entre messieurs Boivin et Beaudoin afin que ce dernier puisse louer l’un des camions d’Optique Télécom inc., en attendant de s’en procurer un personnellement.
[24] Monsieur Beaudoin commence à offrir ses services à Optique Télécom inc. le 30 avril 2012.
[25] Il appert du dossier que monsieur Beaudoin possède un nom d’entreprise auprès de Revenu Québec et de l’Agence du revenu du Canada et qu’il a un numéro d’inscription pour obtenir le remboursement de la taxe sur les produits et services (TPS) et pour la taxe de vente du Québec (TVQ). Il est rémunéré à la pièce et ses services sont remboursés à la présentation de la facturation auxquels il ajoute 5 % pour la TPS et 9,5 % pour la TVQ.
[26] Le tribunal siégeant en révision ou révocation comprend du dossier que la preuve est contradictoire quant à la production de factures pour les services rendus. Monsieur Beaudoin affirme qu’il n’a fourni des factures qu’à la fin de son contrat, à la demande du comptable d’Optique Télécom inc., alors que monsieur Boivin prétend plutôt qu’il facturait régulièrement chaque semaine.
[27] La preuve révèle que c’est Instech Télécommunication inc. qui effectue la répartition du travail. Ainsi, monsieur Beaudoin reçoit les bons d’installations qu’il doit effectuer quotidiennement sur son appareil « BlackBerry ». Il doit fournir ses disponibilités un mois à l’avance à monsieur Boivin qui coordonne le tout. L’entreprise Optique Télécom inc. emploie notamment un agent de qualité qui doit s’assurer de la conformité des services offerts par les techniciens en télécommunication, selon les normes de Vidéotron.
[28] Monsieur Beaudoin prétend qu’il n’a pas le contrôle sur son horaire de travail alors que monsieur Boivin soutient plutôt que monsieur Beaudoin fournit les disponibilités qui lui conviennent et qu’il peut se faire remplacer dans la mesure où le technicien remplaçant en télécommunication est accrédité auprès de Vidéotron.
[29] Le 19 juin 2012, monsieur Beaudoin se blesse au moment où il procède à l’installation d’un fil de service. Il saute alors d’une échelle qui lui semble instable et se foule la cheville. Il consulte le jour même à l’urgence de l’Hôpital du Saint-Sacrement et est en arrêt de travail à compter de cette date. Il reçoit notamment des traitements de physiothérapie.
[30] Le 17 octobre 2012, la CSST accepte la réclamation de monsieur Beaudoin à titre de lésion professionnelle. Malgré cette réclamation, Optique Télécom inc. ne remplit pas le formulaire Avis de l’employeur et demande de remboursement et ne rembourse pas à monsieur Beaudoin les quatorze premiers jours d’absences considérant qu’il s’agit d’un entrepreneur indépendant et non d’un travailleur, au sens où l’entend la loi.
[31] En réaction à cette omission d’Optique Télécom inc., monsieur Beaudoin dépose une plainte en vertu de l’article 32 de la loi en s’appuyant sur l’article 60. Un conciliateur-décideur de la CSST rend une décision le 27 mars 2013 par laquelle il déclare irrecevable cette plainte puisque Optique Télécom inc. est une entreprise de compétence fédérale.
[32] Le 26 octobre 2012, la CSST rend une décision déterminant la capacité de monsieur Beaudoin d’exercer son emploi et considère qu’il est apte à le reprendre à compter du 16 octobre 2012 puisque la lésion professionnelle est consolidée à cette date, sans atteinte permanente à l’intégrité physique ni limitation fonctionnelle.
[33] Monsieur Beaudoin dépose une plainte au ministère du travail fédéral en matière de recouvrement de salaire en s’appuyant sur la section XVI de la partie III du Code canadien du travail[3] (le code).
[34] Le 1er février 2013, une inspectrice des normes du travail du gouvernement fédéral rend une décision en vertu de laquelle elle conclut que monsieur Beaudoin n’est pas admissible aux bénéfices du code puisqu’il n’est pas un employé au sens de l’alinéa 167 (1) (b). Elle rejette donc sa requête.
[35] Postérieurement à l’audience tenue devant le juge administratif le 24 juillet 2013, mais antérieurement à la décision rendue par le premier juge administratif le 31 mars 2014, une sentence arbitrale en appel de la plainte déposée par monsieur Beaudoin, en vertu du code, est rendue par l’arbitre Jean-Claude Bernachez. Il conclut comme suit :
[…]
Pour les motifs précédemment exposés, l’arbitre :
· Affirme que le travail du plaignant s’insérait pour l’essentiel, dans le cadre d’un contrat de louage de services;
· N’accorde pas de recouvrement de salaire en vertu de la Section XVI de la Partie 3 du Code canadien du travail.
[…]
[36] Une audience a lieu devant la Commission des lésions professionnelles siégeant à Québec, le 24 juillet 2013. À cette occasion, monsieur Frédéric Beaudoin se représente seul et Optique Télécom inc. est représenté par son président, monsieur Rémy Boivin. La CSST n’intervient pas au dossier.
[37] Il appert du procès-verbal de cette audience que Optique Télécom inc. et monsieur Beaudoin produisent de la preuve documentaire[4]. De plus, messieurs Boivin et Beaudoin témoignent à l’audience. De même, le tribunal accorde un délai additionnel de trois semaines à monsieur Boivin afin qu’il puisse produire des documents manquants et un délai de deux semaines à monsieur Beaudoin pour qu’il puisse réagir par écrit à ce dépôt, s’il le juge opportun.
[38] Il appert du dossier que le 15 août 2013, monsieur Boivin transmet les documents requis, soit une déclaration de salaire pour l’année 2012, de même que ses commentaires en réaction aux nombreux documents déposés par monsieur Beaudoin à l’audience.
[39] Puis, le 26 août 2013, monsieur Beaudoin transmet ses commentaires qu’il apparaît utile de reproduire ici :
[…]
Objet : Commentaires permis sur les commentaires de M. Boivin
Dossiers : 510135 31 130
504286 31 130
504996 31 130
Madame la Juge-arbitre,
Beaucoup de choses ont été dites à l’audience et je crois avoir fait valoir mes points, ainsi qu’avoir déjà fourni bon nombre d’information.
Le seul point sur lequel je souhaite apporter une précision est concernant la personne qui m’a référé : c’était bel et bien un individu à la recherche d’emploi (un ex-collègue du temps que je travaillais comme salarié chez TCI [Transelec Commun inc.]) qui savait que j’étais sans emploi. Il n’était pas un travailleur indépendant tout comme plusieurs autres qui ont été recrutés.
Enfin, Madame la Juge-arbitre, je tiens à vous remercier pour votre patience et tolérance envers des gens inexpérimentés de la cour.
Bonne fin d’été, [sic]
[…]
[40] La cause est donc mise en délibéré le 26 août 2013 et une décision est rendue par le premier juge administratif le 31 mars 2014.
[41] Par cette décision, dans le dossier 504286-31-1302, la Commission des lésions professionnelles accueille la requête d’Optique Télécom inc., infirme la décision rendue par la CSST le 17 janvier 2013 à la suite d’une révision administrative, déclare que monsieur Frédéric Beaudoin n’est pas un travailleur à l’emploi d’Optique Télécom inc. et déclare que monsieur Boivin n’a pas à inclure dans sa masse salariale les montants versés à monsieur Frédéric Beaudoin entre le 30 avril et le 19 juin 2012.
[42] De plus, dans les dossiers 504996-31-1303 et 510135-31-1304, la Commission des lésions professionnelles déclare sans objet les requêtes de monsieur Frédéric Beaudoin et sans effet la décision rendue par la CSST le 24 janvier 2013 à la suite d’une révision administrative et celle rendue par la CSST le 27 mars 2013, par un conciliateur-décideur de la CSST.
[43] Le 20 mai 2014, monsieur Beaudoin transmet une requête en révision ou en révocation à l’encontre de cette décision. Il appert de cette requête qu’il invoque trois principaux motifs. Il se représente alors seul, mais s’adjoindra éventuellement les services de maître Daniel Longpré qui le représentera lors de l’audience devant le tribunal siégeant en révision ou en révocation tenue le 6 novembre 2014. Nous y reviendrons.
[44] Ainsi, monsieur Beaudoin invoque d’abord le premier paragraphe de l’article 429.56 de la loi qui prévoit que la Commission des lésions professionnelles peut réviser une décision « lorsqu’est découvert un fait nouveau qui, s’il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente ». Plus spécifiquement, monsieur Beaudoin soutient que la sentence arbitrale rendue le 15 octobre 2013 constitue un fait nouveau au sens de ce paragraphe qui justifie une révision ou une révocation de la décision rendue par le premier juge administratif le 31 mars 2014.
[45] La jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles a déterminé trois éléments permettant de démontrer l’existence du motif prévu au premier paragraphe de l’article 429.56 de la loi relatif à la découverte d’un fait nouveau.
[46] Dans l’affaire Bourdon c. CLP[5], la Cour supérieure a avalisé les critères élaborés par la Commission des lésions professionnelles, soit que le requérant doit démontrer, de façon prépondérante :
- la découverte postérieure d’un fait nouveau;
- la non-disponibilité de cet élément au moment où s’est tenue l’audience initiale;
- le caractère déterminant qu’aurait eu cet élément sur le sort du litige, s’il avait été connu en temps utile.
[47] Ces critères ont été repris à maintes occasions par la suite, notamment dans les affaires Toitures P.L.M. inc. et Carrier[6] et A. et Ministère de la Sécurité publique[7] où le tribunal s’exprime comme suit[8] :
[30] En ce qui a trait à la découverte d’un « fait nouveau » inconnu « en temps utile » et pouvant justifier une décision différente, la Commission des lésions professionnelles a maintes fois eu l’occasion d’en rappeler les caractéristiques essentielles, comme le souligne la décision rendue dans l’affaire Résidences Le Monastère-SEC enr. et Lavoie9:
[32] La jurisprudence12 a établi trois critères afin de conclure à l’existence d’un fait nouveau soit :
1 - la découverte postérieure à la décision d’un fait qui existait au moment de l’audience;
2 - la non-disponibilité de cet élément de preuve au moment où s’est tenue l’audience initiale;
3 - le caractère déterminant qu’aurait eu cet élément sur le sort du litige, s’il eut été connu en temps utile.
[33] Cette même jurisprudence enseigne que le « fait nouveau » ne doit pas avoir été créé postérieurement à la décision du premier juge administratif. Il doit plutôt avoir existé avant cette décision, mais avoir été découvert postérieurement à celle-ci, alors qu’il était impossible de l’obtenir au moment de l’audience initiale. Il doit également avoir un effet déterminant sur le sort du litige13.
[34] Dans le cas qui nous occupe, la visite médicale postérieure à la décision, à laquelle la travailleuse était en attente depuis plus d’un an et demi, et le traitement chirurgical proposé, ne peuvent manifestement pas être considérés comme étant deux faits nouveaux au sens de la Loi.
[35] Il ne s’agit ni d’une « découverte » postérieure d’un élément non disponible, puisque la travailleuse savait qu’elle consulterait un chirurgien, ni un élément déterminant dans l’établissement du lien de causalité, question qu’avait à répondre le Tribunal. Il s’agit d’un simple traitement proposé postérieurement à une condition qui existait depuis longtemps et qui était déjà prouvée. La travailleuse aurait très bien pu demander de ne pas fixer la cause en audience tant que sa consultation médicale n’avait pas été faite, si cet élément pouvait être déterminant à ce que le Tribunal avait à trancher.
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12 Bourdon c. Commission des lésions professionnelles [1999] C.L.P. 1096 (C.S.); Pietrangelo et Construction NCL, 107558-73-9811, 17 mars 2000, Anne Vaillancourt; Nadeau et Framatome Connectors Canada inc., 110308-62C-9902, 8 janvier 2001, D. Rivard, 2000LP-165; Soucy et Groupe RCM inc., 143721-04-0007, 22 juin 2001, M. Allard, 2001LP-64; Provigo Dist. (Maxi Cie) et Briand, 201883-09-0303, 1er février 2005, M. Carignan; Lévesque et Vitrerie Ste-Julie, 200619-62-0302, 4 mars 2005, D. Lévesque; Roland Bouchard (succession) et Construction Norascon inc. et als, 210650-08-0306, 18 janvier 2008, L. Nadeau.
13 Bourdon c. C.L.P., Id.
[Nos soulignements]
[31] Ainsi, entre autres, un fait survenu postérieurement à l’audience initiale ne saurait être considéré à titre de « fait nouveau » au sens de l’article 429.56 de la loi, car cela équivaudrait à permettre l’ajout d’une « preuve future » à une enquête initiale déclarée close sur la base de laquelle une décision finale et sans appel a été rendue10:
[44] Accepter l’ajout d’une « preuve future » permettrait de réviser de façon perpétuelle les décisions de la Commission des lésions professionnelles qui sont finales et sans appel.
[…]
[34] De même, le recours en révision ne peut servir à changer une stratégie librement adoptée et permettre ainsi à une partie de bonifier sa cause après qu’un jugement défavorable ait été rendu12 :
La rédaction même de la loi constitutive de la C.A.L.P. assure une stabilité et une sécurité juridique aux décisions rendues par ce tribunal administratif. Il est contraire aux principes relatifs à l’administration de la preuve devant tous les tribunaux de permettre qu’une partie qui peut obtenir une preuve en temps utile, mais ne le fait pas puisse obtenir la révision d’une décision pour ce motif.
[35] Le recours en révision « n’autorise pas une partie à venir combler les lacunes de la preuve qu’elle a eu l’occasion de faire valoir en premier lieu »13.
[…]
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9 2010 QCCLP 8259.
10 Bouchard (Succession) et Construction Norascon inc. et al., C.L.P. 210650-08-0306,18 janvier 2008, L. Nadeau.
12 Hall et Commission des lésions professionnelles [1998] C.L.P. 1076, p. 1083 (C.S.). Voir, au même effet : Bossé et Mirinox, C.L.P. 352202-31-0806, 6 novembre 2009, C. Racine, (09LP-158) ; Lessard et Les produits miniers Stewart inc., C.L.P. 88727-08-9705, 19 mars 1999, J.-G. Roy, requête en révision judiciaire rejetée [1999] C.L.P. 825 (C.S.).
13 Vêtements Golden Brand Canada ltée et Casale, C.L.P 100304-60-9804, 16 décembre 1998, É. Harvey; Magasin Laura PV inc. et CSST, C.L.P 76356-61-9601, 15 février 1999, S. Di Pasquale; Poitras et Christina Canada inc., C.L.P 100370-62-9803, 7 mars 2000, M. Zigby, requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Longueuil, 505-05-006180-001, 9 janvier 2001, j. Tremblay.
[nos soulignements]
[48] En l’espèce, la sentence arbitrale rendue le 15 octobre 2013 ne peut constituer un fait nouveau au sens prévu à ce paragraphe puisqu’il a été créé postérieurement à l’audience. Admettre qu’il s’agit d’un fait nouveau équivaudrait à permettre l’ajout d’une preuve future à une enquête initiale déclarée close sur la base de laquelle une décision finale et sans appel a été rendue. C’est d’ailleurs ce qu’a rappelé la Commission des lésions professionnelles dans les affaires Bouchard (Succession) et Construction Norascon inc.[9] et Labrèche et Vitre-Art Cab 1988 inc.[10].
[49] Au surplus, dans l’hypothèse où monsieur Beaudoin considérait qu’il s’agissait d’un élément pertinent au litige, il avait la possibilité de demander la réouverture d’enquête pour le produire puisque cette sentence arbitrale a été rendue après la mise en délibéré, mais avant que la décision ne soit rendue par le premier juge administratif, le 31 mars 2014.
[50] Or, monsieur Beaudoin n’a fait aucune démarche en ce sens avant que la décision ne soit rendue par le premier juge administratif. En fait, c’est dans le cadre de sa requête en révision ou en révocation déposée le 20 mai 2014 qu’il en fait mention pour la première fois. Ce motif n’est donc pas retenu par le tribunal siégeant en révision ou en révocation.
[51] Par ailleurs, monsieur Beaudoin prétend ne pas avoir été entendu en contre-argumentation. Il invoque ainsi le deuxième paragraphe de l’article 429.56 de la loi qui prévoit que « lorsqu’une partie n’a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre, elle peut demander la révision ou la révocation de la décision ».
[52] Bien que le deuxième paragraphe de l’article 429.56 de la loi offre la possibilité pour une partie d’obtenir la révision ou la révocation d’une décision lorsqu’elle n’a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre, la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles a établi que cet article s’applique lorsque la partie est absente à l’audience.
[53] En effet, dans l’affaire Jean-Baptiste et Algorithme Pharma inc.[11], la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision ou en révocation a eu à se prononcer dans un contexte similaire à la présente affaire. Dans ce dossier, tout comme en l’espèce, la partie qui demandait la révision ou la révocation de la décision était présente lors de l’audience devant le premier juge administratif. Cependant, elle soutenait qu’elle n’avait pas pu faire valoir tous ses arguments à la suite d’une confusion en lien avec une argumentation écrite qui devait éventuellement être transmise à la suite du dépôt de renseignements exigés de la part du tribunal.
[54] Dans le cadre de l’analyse de cette requête en révision ou en révocation, la Commission des lésions professionnelles a rappelé qu’il faut analyser ce type d’argument sous l’angle du troisième paragraphe de l’article 429.56 de la loi puisqu’il s’agit d’un manquement à une règle de justice naturelle qui s’apparente à un vice de fond de nature à invalider la décision. Le tribunal s’exprime en ces termes :
[…]
[11] Cependant, tel que le souligne la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Dicom Express inc. et Giguère2, la jurisprudence retient que le fait d’être empêché de présenter une preuve ou de soumettre des arguments peut aussi être considéré comme un manquement aux règles de justice naturelle qui s’analyse sous l’angle du vice de fond de nature à invalider la décision prévu au troisième paragraphe du deuxième alinéa de l’article 429.56 de la loi.
[12] En accord avec les raisons exposées dans l’affaire Valois et Service d’Entretien Macco ltée3, la Commission des lésions professionnelles souligne que le deuxième motif de l’article 429.56 de la loi vise davantage la situation où une partie n’a pu se présenter à l’audience pour des raisons jugées suffisantes. Dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles expose comme suit son raisonnement :
[50] La Commission des lésions professionnelles estime en effet que ce deuxième motif vise davantage la situation où une partie n’a pu se présenter à l’audience pour des raisons que le tribunal juge suffisantes. Cette interprétation s’impose, ne serait-ce que s’il fallait y inclure les cas de violation des règles de justice naturelle par un commissaire, le dernier alinéa de l’article 429.56 n’aurait aucun sens puisque le commissaire à qui on reproche un tel manquement pourrait à la limite être saisi de la requête en révision ou en révocation de sa propre décision, situation qui ne peut se présenter si ces cas sont analysés dans le cadre du troisième motif de l’article 429. 56.
[13] Ainsi, le tribunal siégeant en révision estime que, dans le présent cas, la requête de la travailleuse doit être analysée sous l’angle du troisième motif de l’article 429.56 de la loi.
[…]
________________
2 C.L.P. 239120-63-0407, 20 décembre 2005, L. Nadeau.
3 [2001] C.L.P. 823; voir également Lebrasseur et Société de l’assurance-automobile, C.L.P. 208251-09-0305, 15 décembre 2004, D. Beauregard.
[nos soulignements]
[55] De plus, dans le cadre de cette décision, la Commission des lésions professionnelles rappelle qu’en présence d’un manquement aux règles de justice naturelle, dont le droit d’être entendu, elle doit révoquer la décision comportant un vice de fond de nature à l’invalider sans qu’elle n’ait à évaluer si ce manquement a un effet déterminant sur le sort du litige. Le tribunal s’exprime comme suit :
[…]
[14] Tel que l’enseigne également la jurisprudence, s’il y a eu un manquement aux règles de justice naturelle, notamment au droit d’être entendu, la décision doit être révoquée puisqu’elle comporte un vice de fond qui est de nature à l’invalider , et dans un tel cas, il n’y a pas lieu d’examiner si ce manquement a eu un effet déterminant sur le sort du litige5.
[…]
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5 Casino de Hull et Gascon, [2000] C.L.P. 671; Dallaire et Jeno Neuman & fils inc., [2000] C.L.P. 1146; Esen et Lingerie Hago inc., Proulx et Osram Sylvania ltée, Lahaie et Sonaca Canada inc., précitées note 4.
[notre soulignement]
[56] Plusieurs autres décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles ont rappelé qu’un manquement aux règles de justice naturelle, et notamment au droit d’être entendu, constitue un vice de fond de nature à invalider la décision.
[57] Ce fut entre autres le cas dans l’affaire Gionet et Construction Ilario Giugovaz inc.[12], où il n’avait pas été question de l’article 27 de la loi à l’audience. Pourtant, la Commission des lésions professionnelles a rendu une décision en s’appuyant sur cette disposition. Il a donc été décidé qu’il s’agissait là d’un vice de fond de nature à invalider la décision qui justifiait la révocation de celle-ci.
[58] La Commission des lésions professionnelles en est venue à la même conclusion dans l’affaire Diaz et Garage Maurice Mailloux[13], où il n’avait pas été question de l’interprétation et de l’application de l’article 556 de la loi à l’audience et, pourtant, il s’agissait de l’une des assises légales de la décision rendue.
[59] Par ailleurs, dans l’affaire Dicom Express inc. et Giguère[14], la Commission des lésions professionnelles a rappelé qu’il appartenait au juge saisi de l’affaire de qualifier la lésion professionnelle (accident du travail, récidive, rechute ou aggravation, maladie professionnelle), mais il devait, dans la mesure où il ne retenait pas la qualification plaidée par les parties, leur permettre de soumettre leurs arguments. Dans cette affaire, la lésion avait été analysée sous l’angle de la maladie professionnelle sans que les parties ne puissent faire valoir leurs arguments sur ce point. Il a donc été considéré qu’il s’agissait là d’un vice de fond qui justifiait la révocation de la décision.
[60] C’est donc en vertu du troisième paragraphe de l’article 429.56 de la loi que le tribunal siégeant en révision ou en révocation, dans la présente affaire, entend se prononcer relativement à ce motif.
[61] En l’espèce, monsieur Beaudoin soutient qu’il n’a pu se faire entendre en contre-argumentation après audience et que cela constitue « une situation déraisonnable qui transgresse l’équité procédurale ».
[62] Or, après avoir écouté l’intégralité de l’enregistrement de l’audience du 24 juillet 2013 et pris connaissance de l’ensemble du dossier, le tribunal siégeant en révision ou en révocation ne partage pas cette position défendue par monsieur Beaudoin pour les motifs ci-après exposés.
[63] En effet, il appert de l’enregistrement de l’audience qu’à la fin de celle-ci, il a été convenu que monsieur Beaudoin bénéficierait d’un délai de deux semaines, qu’il considérait suffisant, à la suite de la réception des commentaires de monsieur Boivin, pour y réagir.
[64] Il appert du dossier que le 26 août 2013, monsieur Beaudoin a transmis une courte lettre à laquelle il est fait référence plus haut où il émettait des commentaires uniquement à l’égard de l’un des éléments soumis par Optique Télécom inc.
[65] Le tribunal voit mal comment, dans ce contexte, monsieur Beaudoin peut prétendre ne pas avoir eu l’occasion d’être entendu dans le cadre de sa contre-argumentation. Il indique dans sa requête en révision ou en révocation que le premier juge administratif l’aurait en quelque sorte induit en erreur par ses commentaires qui lui apparaissaient favorables à sa cause. Il aurait donc limité ses commentaires à la suite de ceux-ci. Il s’agit là, de l’avis du tribunal siégeant en révision ou en révocation, d’une interprétation de la situation par monsieur Beaudoin qui l’a amené à adopter une stratégie. Or, les choix stratégiques d’un représentant ne peuvent constituer, en soi et à moins de circonstances exceptionnelles non démontrées en l’espèce, un motif de révision comme l’a récemment rappelé la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Montacier international inc. et Tardif[15]. Ce motif n’est donc pas retenu.
[66] Monsieur Beaudoin reproche également au premier juge administratif d’avoir commis des vices de fond de nature à invalider la décision, particulièrement à l’égard de l’interprétation qu’il fait de l’article 9 de la loi relatif à la notion de « travailleur autonome ».
[67] Il lui reproche également d’avoir fait fi de certains éléments de preuve et d’avoir fait dire davantage à la preuve que ce qui a été réellement démontré. Il reproche particulièrement au premier juge administratif d’avoir accordé trop d’importance à la parole de monsieur Boivin au détriment de la sienne.
[68] Il invoque aussi une absence de lien rationnel entre la preuve et les conclusions auxquelles en vient le premier juge administratif.
[69] À l’audience portant sur la requête en révision ou en révocation, le procureur de monsieur Beaudoin a plaidé que le premier juge administratif avait mal interprété la preuve eu égard notamment aux notions de « contrôle », de « propriété », de « possibilité de risques » et de « degrés d’intégration ». Il reproche notamment au premier juge administratif de ne pas avoir procédé à une analyse claire du risque et d’avoir commis des erreurs factuelles déterminantes dans le dossier, précisément en ce qui a trait à la notion d’« autonomie ». À son avis, le premier juge administratif n’a pas accordé suffisamment d’importance à ces éléments soumis par monsieur Beaudoin.
[70] Quant à la notion de « travailleur autonome », le procureur de monsieur Beaudoin considère que la motivation du premier juge administratif est extrêmement succincte et qu’elle ne permet pas de comprendre le cheminement rationnel du décideur.
[71] Il rappelle que l’objectif de l’article 9 de la loi est de protéger les travailleurs autonomes et que la création d’agences de placement ne devrait pas permettre de détourner cet objectif. Il s’appuie notamment sur la classification d’Optique Télécom inc. auprès de la CSST dans une unité qui vise l’installation d’équipement électronique.
[72] Il fait également référence au document du Registraire des entreprises produit au dossier où apparaît la description des activités de l’entreprise Optique Télécom inc. comme étant « l’installation de réseaux de télécommunication ».
[73] Il revient également sur l’ensemble de la preuve faite devant le premier juge administratif, dont les correspondances par courrier électronique où apparaissent les notions de « superviseur », de « paie », de « contrôle de la qualité », etc.
[74] Puis, il dépose et commente quelques décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles ayant interprété la notion de « travailleur autonome », au sens de l’article 9 de la loi, dans un contexte d’agence de placement.
[75] En réponse à ces arguments, monsieur Boivin soutient que monsieur Beaudoin tente d’obtenir une réappréciation de la preuve puisqu’il reprend la plupart des arguments qu’il avait déjà soumis devant le premier juge administratif.
[76] Pour sa part, le procureur de la CSST reproche au premier juge administratif d’avoir fait fi de la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles qui s’est à maintes occasions prononcée à l’égard d’agences de placement. Il donne, à titre d’exemple, le cas des chauffeurs de taxi qui sont souvent qualifiés de « travailleurs », malgré le fait qu’ils exercent des activités de travailleur autonome au sens où l’entend l’article 9 de la loi.
[77] Il soutient que le premier juge administratif a commis une erreur déterminante en concluant que la seule activité d’Optique Télécom inc. était de louer du personnel en télécommunication. Il a également commis une erreur déterminante en concluant que monsieur Beaudoin ne pouvait être un travailleur autonome considéré comme un travailleur au sens de la loi, en vertu de l’article 9 de la loi. Le raisonnement du premier juge administratif, s’il est avalisé, aura pour effet de rendre, à toutes fins utiles, cette disposition législative, inapplicable.
[78] Puis, il rappelle qu’il existe deux courants d’interprétation de la notion d’« activités similaires ou connexes » prévue à l’article 9 auquel le premier juge administratif ne fait pas référence. Il lui reproche de ne pas avoir analysé les exceptions prévues à ce même article qui permet à un travailleur autonome d’être considéré comme un travailleur à l’emploi de l’entreprise s’il exerce des activités similaires ou connexes. Conclure autrement aurait pour effet d’éliminer tout le personnel embauché par une agence de placement, ce qui est contraire à l’intention du législateur, selon le procureur de la CSST.
[79] Dans l’affaire Tribunal administratif du Québec c. Godin[16], la Cour d’appel du Québec a rappelé que la notion de « vice de fond » doit être interprétée largement, mais que le recours en révision ou en révocation ne doit pas être une répétition de la procédure initiale ni un appel déguisé sur la base des mêmes faits et arguments.
[80] De plus, dans l’affaire Bourassa c. CLP[17], la Cour d’appel a énoncé que l’erreur invoquée à titre de vice de fond doit être suffisamment fondamentale et sérieuse pour être de nature à invalider la décision. La Cour d’appel met les parties en garde contre le fait que le recours en révision ou en révocation ne constitue pas un appel sur la base des mêmes faits et ne saurait être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d’ajouter de nouveaux arguments.
[81] De même, dans l’affaire CSST c. Fontaine[18], la Cour d’appel souligne que la gravité, l’évidence et le caractère déterminant d’une erreur sont des traits distinctifs susceptibles d’en faire un vice de fond de nature à invalider les décisions. Ce caractère de gravité est repris par la Cour d’appel dans l’affaire CSST c. Touloumi[19].
[82] Dans une affaire récente, A. M. c. Régie de l’assurance maladie du Québec[20], la Cour d’appel a réitéré les circonstances où un tribunal administratif doit procéder à une révision ou une révocation de sa décision. Cette affaire impliquait le Tribunal administratif du Québec (TAQ) qui est régi par l’article 154, paragraphe 3, de la Loi sur la justice administrative[21] (LJA) qui offre un recours s’apparentant à celui prévu à l’article 429.56 de la présente loi. Dans cette affaire, la Cour d’appel a rappelé ce qui suit :
[…]
[42] Tenant compte de sa propre réalité et de l’intérêt supérieur de la justice administrative [22], le TAQ doit considérer que l’article 154 (3) LJA s’applique de façon exceptionnelle.
[…]
[notre soulignement]
[83] Dans cette affaire, la Cour d’appel fait référence à d’autres décisions rendues au même effet qui mettent également en lumière le caractère exceptionnel de ce type de recours :
[…]
[48] Dans M.L. c. PGQ [26], les juges Duval Hesler et Beauregard, alors majoritaires, se disent d’avis qu’une divergence d’opinions, même sur une question importante, ne constitue pas un vice de fond [27], que le recours en révision n’est pas un moyen déguisé de reprendre le même débat à partir des mêmes faits [28]. Pour le juge Beauregard, une décision entachée d’un vice de fond doit être assimilée à une décision légalement nulle.
[…]
[notre soulignement]
[84] Finalement, la Cour d’appel insiste sur le fait qu’« un vice de fond ne constitue pas une divergence d’opinions ni même une simple erreur de droit. Il doit plutôt s’agir « d’une erreur fatale qui entache l’essence même de la décision, sa validité même »[22].
[85] Il appert de la requête en révision ou en révocation déposée par monsieur Beaudoin qu’il reproche particulièrement au premier juge administratif de ne pas avoir accordé suffisamment d’importance à certains éléments de preuve qu’il a soumis et trop d’importance à ceux provenant d’Optique Télécom inc.
[86] Après avoir écouté l’intégralité de l’enregistrement de l’audience et analysé l’ensemble du dossier, le tribunal siégeant en révision ou en révocation ne partage pas cette position pour les motifs ci-après exposés.
[87] Il appert de la décision rendue par le premier juge administratif qu’il a pris en compte l’ensemble des éléments qui lui ont été soumis, mais qu’il a exercé son rôle d’appréciation de ceux-ci et a accordé une valeur probante à certains d’entre eux au détriment des autres. En procédant ainsi, le premier juge administratif exerçait le rôle qui lui était conféré, soit d’apprécier l’ensemble de la preuve et d’en déterminer le caractère prépondérant ou non.
[88] Ceci appert du libellé même de la décision rendue par le premier juge administratif aux paragraphes [21] à [42] de la décision.
[89] À la lumière de ces éléments, le premier juge administratif conclut comme suit au paragraphe [43] :
[…]
[43] Après analyse de l’ensemble de la cette preuve, la Commission des lésions professionnelles conclut que monsieur Beaudoin n’est pas un « travailleur » au sens de la loi.
[…]
[90] Puis, aux paragraphes [44] à [51], il motive sa décision. Il apparaît utile de reproduire ces paragraphes :
[…]
[44] Dans l’appréciation qu’elle fait de la preuve, la Commission des lésions professionnelles estime que le contexte dans lequel se fait l’embauche de monsieur Beaudoin est important.
[45] Ce dernier est familier avec le travail de technicien en télécommunications, particulièrement les travaux de sous-traitance de Vidéotron. Il connaît les horaires de travail chargés. Bien qu’il souhaite retourner sur le marché du travail après une période de chômage, il cherche un travail qui ne demandera pas plus de 40 heures par semaine. C’est une condition incontournable par monsieur Beaudoin, tel qu’il appert des premières discussions avec monsieur Desjardins chez Instech télécommunication et avec monsieur Boivin d’Optique télécom inc., par la suite.
[46] La Commission des lésions professionnelles retient aussi de la preuve que, compte tenu de ces exigences, monsieur Beaudoin préférerait un statut de salarié. La preuve ne permet pas de dire si monsieur Beaudoin aurait pu être embauché directement par Instech télécommunication, à ce titre. Quoiqu’il en soit, compte tenu des besoins pressants pour la période estivale, de l’expérience de monsieur Beaudoin, de ses compétences lesquelles incluent une accréditation Vidéotron, et considérant qu’il possède la majorité des outils pour exécuter le travail, une relation d’affaires s’amorce avec monsieur Boivin. Ce dernier insiste toutefois pour que monsieur Beaudoin s’incorpore. Ce dernier n’y voyant pas d’utilité d’autant plus qu’il possède déjà un nom commercial et les numéros pour la perception des deux taxes provinciales. Ainsi, ils s’entendent d’abord sur le prix de location d’un camion et sur le coût d’achat des autres outils.
[47] Le tribunal constate donc que l’embauche s’est fait dans une période d’achalandage accrue et que la relation d’affaires s’est engagée hâtivement avant que monsieur Beaudoin n’entreprenne des démarches d’incorporation.
[48] Monsieur Boivin doit connaître les disponibilités de monsieur Beaudoin pour qu’il informe son client Instech télécommunication du nombre de techniciens qu’il peut assigner aux travaux de sous-traitance de Vidéotron. Optique télécom inc. existe pour fournir de la main-d’œuvre. Il appert de la preuve que le choix des périodes de disponibilité est celui de monsieur Beaudoin. Il s’est engagé à travailler à temps plein.
[49] La preuve révèle que dans l’exécution de travail, monsieur Beaudoin n’a à peu près pas de contact avec Optique télécom inc. Le travail à exécuter n’est pas déterminé par Optique télécom inc. En effet, monsieur Beaudoin reçoit les bons d’installation selon la répartition qui est faite par Instech télécommunication. Il a des obligations relatives à la ponctualité et la qualité du travail accompli et ne peut quitter avant d’avoir terminé.
[50] La preuve révèle que monsieur Beaudoin ne reçoit pas de salaire d’Optique télécom inc. Monsieur Beaudoin est payé pour les pièces qu’il installe et le temps d’ouvrage. Il ne participe pas à un régime d’assurance et autres avantages sociaux. Aucune déduction n’est faite du montant versé par Optique télécom inc., mis à part les dépenses reliées à la location du camion et au paiement de l’essence.
[51] De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, la preuve ne comprend pas suffisamment d’indices laissant croire qu’Optique télécom inc. exerce un pouvoir de direction, d’encadrement et de contrôle dans le travail de monsieur Beaudoin. La preuve révèle plutôt que tout en respectant certaines règles relatives à sa présence au travail, il conserve beaucoup d’autonomie dans l’exécution de celui-ci, notamment en raison de ses compétences.
[…]
[91] Puis, au paragraphe [52], le premier juge administratif se prononce à l’égard de l’article 9 de la loi en concluant que monsieur Beaudoin n’est pas un travailleur autonome qui peut être considéré comme un travailleur à l’emploi d’Optique Télécom inc.
[92] Tant le procureur de monsieur Beaudoin que celui de la CSST soutiennent qu’il s’agit là d’une motivation insuffisante pour écarter l’application de l’article 9 de la loi.
[93] Or, le tribunal siégeant en révision ou en révocation croit utile de rappeler qu’il peut être risqué de dénaturer la portée d’une décision en isolant l’un de ces paragraphes. Il faut plutôt lire la décision dans son intégralité.
[94] Ainsi, il appert du libellé de la décision qu’aux paragraphes [12] à [17], le premier juge administratif énonce les paramètres législatifs et jurisprudentiels applicables tant à la notion de « travailleur » que d’« employeur » et de « travailleur autonome ». Il apparaît utile de reproduire cet extrait de la décision :
[…]
[12] Pour répondre à cette question, la Commission des lésions professionnelles doit déterminer si monsieur Beaudoin doit être considéré comme un « travailleur » au sens de l’application de la loi.
[13] L’article 2 de la loi définit les notions d’« employeur », de « travailleur » et de « travailleur autonome » comme suit :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n’indique un sens différent, on entend par :
« employeur » : une personne qui, en vertu d’un contrat de travail ou d’un contrat d’apprentissage, utilise les services d’un travailleur aux fins de son établissement;
« travailleur » : une personne physique qui exécute un travail pour un employeur, moyennant rémunération, en vertu d’un contrat de travail ou d’apprentissage, à l’exclusion:
1° du domestique;
2° de la personne physique engagée par un particulier pour garder un enfant, un malade, une personne handicapée ou une personne âgée, et qui ne réside pas dans le logement de ce particulier;
3° de la personne qui pratique le sport qui constitue sa principale source de revenus;
4° du dirigeant d’une personne morale quel que soit le travail qu’il exécute pour cette personne morale;
5° de la personne physique lorsqu’elle agit à titre de ressource de type familial ou de ressource intermédiaire;
« travailleur autonome » : une personne physique qui fait affaires pour son propre compte, seule ou en société, et qui n’a pas de travailleur à son emploi.
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[14] En ce qui concerne le « travailleur autonome », l’article 9 de la loi prévoit également qu’il peut être considéré un travailleur à l’emploi d’une personne dans certaines conditions :
9. Le travailleur autonome qui, dans le cours de ses affaires, exerce pour une personne des activités similaires ou connexes à celles qui sont exercées dans l’établissement de cette personne est considéré un travailleur à l’emploi de celle-ci, sauf :
1° s’il exerce ces activités :
a) simultanément pour plusieurs personnes;
b) dans le cadre d’un échange de services, rémunérés ou non, avec un autre travailleur autonome exerçant des activités semblables;
c) pour plusieurs personnes à tour de rôle, qu’il fournit l’équipement requis et que les travaux pour chaque personne sont de courte durée; ou
2° s’il s’agit d’activités qui ne sont que sporadiquement requises par la personne qui retient ses services.
__________
1985, c. 6, a. 9.
[15] La jurisprudence enseigne que pour déterminer les statuts d’un individu aux fins de l’application de la loi, il y a lieu de se questionner sur la qualification du lien contractuel qui relie Optique télécom inc. à monsieur Beaudoin. Au fil des ans, la jurisprudence a élaboré certains critères servant de guide à la qualification d’une telle relation professionnelle. Ces critères comprennent le lien de subordination faisant référence au niveau de contrôle ou d’autonomie d’une personne, le risque de perte, la possibilité de gains, la propriété des outils et le mode de rémunération. Aucun de ces critères n’est déterminant à lui seul2.
[16] Par ailleurs, il est également bien établi par la jurisprudence que dans la détermination de l’existence d’un contrat de travail, le tribunal n’est pas lié par la qualification retenue par les parties dans leur relation contractuelle. Celle-ci se détermine plutôt par une analyse de l’ensemble des faits. En effet, ce principe se justifie par le fait que les parties ne peuvent, par leur relation contractuelle, se soustraire à l’application d’une loi d’ordre public comme la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. La nature du contrat doit être déterminée en analysant les caractéristiques de la relation contractuelle.
[17] La Commission des lésions professionnelles réfère plus particulièrement à la décision rendue dans l’affaire Robert Lawson inc. et CSST3, dans laquelle on précise ce qui suit :
[18] Le tribunal doit s’interroger sur la prestation de travail, la nature de la rémunération et l’existence d’un lien de subordination. Comme les dispositions du CCQ l’indiquent, ce lien de subordination est l’élément distinctif du contrat de travail comparé au contrat de service. Il suffit de citer les auteurs du traité Le droit du travail du Québec4 pour saisir toute l’importance de cette particularité propre au contrat de travail :
90 - Facteur distinctif - L’élément de qualification du contrat de travail le plus significatif est celui de la subordination du salarié à la personne pour laquelle il travaille10. C’est cet élément qui permet de distinguer le contrat de travail d’autres contrats à titre onéreux qui impliquent également une prestation de travail au bénéfice d’une autre personne, moyennant un prix, comme le contrat d’entreprise ou de service régi par les articles 2098 et suivants C.c.Q. Ainsi, alors que l’entrepreneur ou le prestataire de service conserve, selon l’article 2099 C.c.Q. « le libre choix des moyens d’exécution du contrat » et qu’il n’existe entre lui et son client aucun lien de subordination quant à son exécution », il est caractéristique du contrat de travail, sous réserve de ses termes, que le salarié exécute personnellement le travail convenu sous la direction de l’employeur et dans le cadre établi par ce dernier.
(Les références sont omises.)
[19] La subordination ne doit pas être constatée seulement lorsque le donneur d’ouvrage exerce une autorité formelle et rapprochée sur celui qui exécute ce travail. À cet égard, les auteurs cités plus haut rappellent que l’employeur est celui qui détermine le travail à exécuter, encadre cette exécution et la contrôle. En revanche, le salarié est celui qui accepte de s’intégrer dans le cadre de fonctionnement d’une entreprise pour lui faire bénéficier de son travail.5
[20] Les indices de l’exercice d’un pouvoir de direction, d’encadrement et de contrôle sont nombreux. Ils peuvent varier selon le contexte. Généralement, la présence au travail, l’assignation des tâches, les règles de conduite, les rapports d’activités, le contrôle de la qualité, l’absence de risque et la propriété des outils sont des éléments à considérer.6
[21] L’idée d’une subordination « assouplie » est également avancée par les autres Morin, Brière, Roux et Villaggi dans l’ouvrage Le droit de l’emploi au Québec7. Voici comme ils s’expriment à ce sujet :
VI-26— - Une subordination assouplie - L’existence d’un lien de subordination, même assoupli (II-54) demeure encore une condition à la qualification du salarié (art 2085 C.c.Q.)73. Si le travailleur n’exerce pas ses fonctions dans un cadre arrêté par l’autre, et si ce dernier ne peut nullement intervenir pour apprécier ou sanctionner de quelques manières le comportement ou l’incompétence professionnelle du premier, alors il faudrait en déduire que ce rapport s’articule à l’aide d’un autre type de contrat que celui du contrat de travail (art 2099 C.c.Q.). Entre un rapport rigoureusement autoritaire articulé dans un cadre hiérarchique clair et symbolisé par la verticale tel que le concevait Taylor puis Ford d’une part et d’autre part, une liaison parfaitement égalitaire entre associés, sociétaires ou partenaires où tous se situent les uns par rapport aux autres sur une ligne horizontale, il y a place à bien des nuances et à de subtils mélanges qui peuvent se ranger entre ces « 90 degrés » : nous savons d’expérience que qualifier d’« associé » un salarié ne modifie nullement son réel statut en fait et en droit. D’ailleurs, il suffit que la question se pose d’une façon directe et concrète pour que cette qualification flatteuse ou anesthésiante soit vite écartée par son auteur (II-57). Dans ce vaste espace de « 90 degrés », on retrouve de nombreux rapports professionnels où le prestataire du service dispose réellement ou selon toute apparence d’une quelconque liberté de manœuvre, soit parce qu’il contrôle les éléments techniques ou scientifiques des opérations, au point que le bénéficiaire du service ne peut qu’en apprécier les résultats, soit parce que le bénéficiaire du service ne peut exercer de contrôle que par personnes interposées , qui peuvent même être les pairs du prestataire.
[22] Dans l’analyse des faits, il y a également lieu de considérer certains facteurs qui sont généralement associés au contrat d’entreprise ou de service comme : la possibilité de se faire remplacer8.
__________
4 Robert P. GAGNON, Yann BERNARD (dir,) et al, Le droit du travail du Québec, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008.
5 Précitée note 4, paragraphe 92.
6 Bédard et Coiffure Bouleaux, C.L.P. 177952-31-0202, 16 avril 2002, J.-F. Clément; Bérubé et Axxel transport logistique et als, 2013 QCCLP 3544; Transport accessible du Québec, C.L.P. 375172-31-0904, 8 décembre 2009, M. Racine; Ndayizeye et Université de Montréal, 2012 QCCLP 3236.
7 Fernand MORIN et al, Le droit de l’emploi au Québec, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2010.
8 Transport accessible du Québec, précitée note 6.
____________
2 Transport accessible du Québec et CSST, C.L.P. 375172-31-0904, 8 décembre 2009, M. Racine; Hassan Jit et Taxi Adapté A+ et Taxi Laurier Ste-Foy (1981), 2014 QCCLP 1541.
3 2013 QCCLP 5158.
[95] C’est donc à la lumière de ces paramètres que le premier juge administratif conclut comme il le fait au paragraphe [52] de la décision que monsieur Beaudoin ne peut être considéré, à titre de travailleur autonome, comme un travailleur, conformément à l’article 9 de la loi. Le premier juge administratif prend également en considération la preuve qui lui a été administrée à l’audience.
[96] À cela s’ajoute le fait que devant le premier juge administratif, en aucun temps monsieur Beaudoin n’a prétendu être un travailleur autonome, mais a plutôt plaidé qu’il était un travailleur au sens de la loi puisque Optique Télécom inc. avait un pouvoir de contrôle et de direction sur ses tâches. Ceci ressort de ces nombreux commentaires formulés à l’audience qui allaient tous dans ce sens.
[97] De plus, en aucune circonstance, monsieur Beaudoin n’a-t-il plaidé qu’il effectuait, à titre de travailleur autonome, des activités connexes ou similaires à celles d’Optique Télécom inc. Ces arguments ont été plaidés pour la première fois devant la présente instance par son procureur et le procureur de la CSST, cette dernière n’étant pas intervenue devant le premier juge administratif.
[98] Est-il nécessaire de rappeler que le recours en révision ou en révocation prévu à l’article 429.56 de la loi ne constitue pas un appel déguisé ou l’occasion pour une partie de bonifier sa preuve ou sa stratégie, mais constitue plutôt un recours exceptionnel qui exige la démonstration de l’un ou l’autre des motifs prévus à l’article 429.56 pour y donner ouverture.
[99] Le tribunal est sensible à la déception de monsieur Beaudoin à la suite de la décision rendue par le premier juge administratif qui n’a pas accordé une valeur probante à la thèse qu’il défendait. Néanmoins, cette déception ne peut justifier, à elle seule, la révision de la décision rendue par le premier juge administratif, en l’absence de motif y donnant ouverture.
[100] Bien que monsieur Beaudoin prétende qu’il y a absence de lien rationnel entre la preuve offerte et les conclusions auxquelles en vient le premier juge administratif, le tribunal siégeant en révision ou en révocation ne partage pas sa position. Si monsieur Beaudoin était d’avis qu’Optique Télécom inc. exerçait des activités connexes et similaires à celles qu’il exerçait à titre de travailleur autonome, il devait en faire état devant le premier juge administratif, ce qu’il n’a pas fait.
[101] De même, le tribunal siégeant en révision ou en révocation constate que la CSST n’est pas intervenue devant le premier juge administratif et n’a donc fait valoir aucun élément relatif au statut de travailleur autonome. Dans la décision qu’elle a rendue le 17 octobre 2012, elle a plutôt conclut que monsieur Beaudoin était un travailleur au sens de l’article 2 de la loi.
[102] Dans un tel contexte, le tribunal siégeant en révision ou en révocation comprend difficilement comment, devant la présente instance, le procureur de la CSST peut soutenir que monsieur Beaudoin était plutôt un travailleur autonome devant être considéré comme un travailleur au sens de l’article 9 de la loi et prétendre que le premier juge administratif a commis une erreur dans l’interprétation de cette disposition législative.
[103] Tout comme monsieur Beaudoin, la CSST a eu l’occasion, lors de l’audience devant le premier juge administratif, d’intervenir conformément à l’article 429.16 de la loi qui prévoit cette possibilité, mais a plutôt choisi de ne pas le faire. Le tribunal siégeant en révision ou en révocation n’a pas à juger de l’opportunité de cette décision, mais ne peut permettre à la CSST, au stade de la révision ou de la révocation, de tenter de bonifier la preuve et la stratégie adoptée au départ par monsieur Beaudoin. En effet, le rôle du tribunal siégeant dans ce contexte n’est pas de réapprécier ou de substituer sa propre appréciation de la preuve à celle retenue par le premier juge administratif.
[104] Le tribunal siégeant en révision ou en révocation conclut que monsieur Frédéric Beaudoin n’a démontré aucun motif s’apparentant à un vice de fond de nature à invalider la décision au sens où l’entend le troisième paragraphe de l’article 429.56 de la loi.
[105] Dans la présente affaire, le tribunal siégeant en révision ou en révocation est d’avis que la décision rendue par le premier juge administratif le 31 mars 2014 fait suite à l’appréciation de l’ensemble de la preuve offerte et comporte une motivation suffisante et intelligible. Il réfère aux dispositions législatives et aux critères jurisprudentiels applicables, explique son raisonnement et énumère les éléments sur lesquels il s’appuie. La conclusion du premier juge administratif constitue ainsi l’une des issues possibles du dossier.
[106] Par conséquent, le tribunal conclut que monsieur Frédéric Beaudoin n’a démontré aucun motif justifiant la révision ou la révocation de la décision rendue par le premier juge administratif le 31 mars 2014.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Dossiers 504286-31-1302, 504996-31-1303 et 510135-31-1304
REJETTE la requête en révision ou en révocation déposée par monsieur Frédéric Beaudoin le 20 mai 2014.
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Ann Quigley |
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Me Daniel Longpré |
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F.A.T.A. - QUÉBEC |
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Représentant de monsieur Frédéric Beaudoin |
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Me Yves Lavallée |
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VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON |
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Représentant de la partie intervenante |
Annexe I
Liste des pièces déposées
Ø Par monsieur Frédéric Beaudoin :
T-1 Déclarations de F. Beaudoin, R. Kendall, M. Drusthang.
T-2 Notes de monsieur Frédéric Beaudoin
T-3 Registraire des entreprises
T-4 Extranet
T-5 Jobs Kebek (article 1)
T-6 Courriel du 17 avril 2012
T-7 Liste de prix et technicien
T-8 Calendrier personnel du travailleur
T-9 Courriels des mois de juin, juillet et août 2012
T-10 Superviseurs - G. Dupont
T-11 Total des gains (travailleur)
T-12 Décision CSST du 12 juin 2013 et commentaires du travailleur
T-13 Bons de travail
T-14 Procédures à suivre
Ø Par Optique Télécom inc. :
E-1 Documents et pièces manquants au dossier
[1] RLRQ, c. A-3.001.
[2] [1998] C.L.P. 783.
[3] L.R.C. (1985), c. L-2.
[4] Voir l’annexe I.
[5] [1999] C.L.P. 1096 (C.S.).
[6] 331688-64-0711, 15 juillet 2009, P. Perron.
[7] 2012 QCCLP 4510.
[8] Voir au même effet : Xie et Les vêtements Peerless inc., 2012 QCCLP 1556; Charest c. Hôpital Rivière-des-Prairies, 2008 QCCS 6211 (C.S.).
[9] C.L.P. 210650-08-0306, 18 janvier 2008, L. Nadeau.
[10] 2014 QCCLP 5144.
[11] 2012 QCCLP 726. Voir au même effet : Centre de carrosserie Québec, 2014 QCCLP 5304.
[12] [1999] CLP 650.
[13] C.L.P. 183678-09-0204, 3 avril 2003, J.-L. Rivard (03LP-22).
[14] C.L.P. 239120-63-0407, 20 décembre 2005, L. Nadeau.
[15] 2014 QCCLP 1903, révision rejetée, 2014 QCCLP 6918, deuxième requête en révision rejetée.
[16] [2013] RJQ 2490 (CA).
[17] [2003] C.L.P. 601 (C.A.), requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 22 janvier 2004, (30009).
[18] [2005] C.L.P. 626 (C.A.).
[19] [2005] C.L.P. 921 (C.A.). Voir au même effet : Louis-Seize et CLSC-CHSLD de la Petite-nation, C.L.P. 214190-07-0308, 20 décembre 2005, L. Nadeau.
[20] 2014 QCCA 1067.
[21] RLRQ, c. J-3.
[22] Paragraphe [65] de la décision précitée, note 10.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.