Décision

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COUR SUPÉRIEURE

JP1124

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

 

N° :

200-17-003124-039

 

 

 

DATE :

16 août 2004

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

RAYMOND W. PRONOVOST, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

FORMULE PONTIAC BUICK INC.,

Demanderesse,

c.

BUREAU DES SERVICES FINANCIERS,

Défenderesse,

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC,

Mis en cause,

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]                Il s’agit d’une requête introductive d’instance en jugement déclaratoire présentée par la demanderesse Formule Pontiac Buick inc.[1] qui demande d’interpréter l’article 431 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers[2].  La défenderesse, Bureau des services financiers [3]est  un organisme qui a été créé pour surveiller l’application entre autres de la Loi 188.

[2]                Monsieur Guy G. Laplante et monsieur Guy Beauchesne sont les deux propriétaires de Formule.  En effet, ils détiennent par l’intermédiaire de compagnie de gestion, soit Gestion Leriger inc.[4], propriété de monsieur Guy G. Laplante et 2745-6581 Québec inc.[5], propriété de monsieur Guy Beauchesne.  Leriger détient les actions de Formule à raison de 65 % et 2745 à raison de 35 %.  Ces deux mêmes compagnies de gestion sont également actionnaires de la compagnie Beaulap inc.[6] dans la même proportion.  Ce qui donne l’organigramme suivant :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


[3]                Dans le passé, lorsque Formule vendait une automobile, elle offrait à son client la possibilité d’acheter une assurance-vie et une assurance-invalidité.  Elle vendait ses produits  par le biais d’une compagnie appelée Meca Group.  Celle-ci lui payait 30% à titre de commission.  Dans le cours des opérations, s’étant aperçu que Meca Group donnait certains avantages à son directeur des services financiers qui vendait lesdits produits, monsieur Guy Beauchesne a décidé de créer ses propres compagnies pour vendre de l’assurance.  C’est ainsi que la structure corporative financière fut montée. 

[4]                Formule ainsi que d’autres concessionnaires d’automobiles ont créé la compagnie Finance & Indemnisation St-Maurice inc.[7].  Les concessionnaires automobiles de la région sont, à l’intérieur de la compagnie la St-Maurice,des parrains.  Les actionnaires de la St-Maurice sont, dans la majorité des cas, les propriétaires des concessions d’automobiles, soit personnellement, soit par l’intermédiaire de compagnie de gestion. 

[5]                Dans le présent dossier, l’actionnaire représentant le parrain Formule  dans la St-Maurice est Beaulap.  Comme il a été décrit précédemment Beaulap  est propriété de Leriger et de 2745, dans le même pourcentage qu’ils sont actionnaires dans Formule.  Les deux actionnaires de Leriger et de 2745 sont messieurs Guy G. Laplante et Guy Beauchesne, tel que mentionné précédemment. 

[6]                Pour une meilleure compréhension, l’annexe I reproduit la structure corporative montée par les procureurs de la demanderesse.  On peut y voir, à titre informatif que d’autres concessionnaires sont actionnaires, soit Les Entreprises Claude Mondoux inc. et Placements Pierre Tremblay.  Mais ce ne sont pas les seuls actionnaires, il y a d’autres concessionnaires qui sont actionnaires de la St-Maurice.  Également, dans d’autres autres régions administratives, les concessionnaires se sont regroupés  avec la même structure corporative, financière et fiscale dans le présent dossier.

[7]                Finalement, une dernière compagnie a été créée soit BCL, qui est la propriété de messieurs Guy Beauchesne, Martin Croteau, Guy Boucher et d’Assurance Expert (Réal Breton).  Cette compagnie BCL est appelée le gérant, et nous verrons plus loin son fonctionnement.

[8]                L’article 431 de la Loi 188 dit :

« La personne qui distribue le produit doit le décrire au client et lui préciser la nature de la garantie.

Elle indique clairement les exclusions de garantie pour permettre au client de discerner s’il ne se trouve pas dans une situation d’exclusion.

Elle doit aussi, lorsque le distributeur reçoit pour la vente du produit une rémunération qui excède 30% de son coût, la dévoiler au client. » (le souligné est du soussigné)

[9]                Lorsque Formule vend une assurance-invalidité ou une assurance-vie, elle perçoit la prime.  Elle garde 30% et elle envoie 70% à l’Internationale compagnie d’assurance-vie[8].   Du montant reçu, l’Internationale paie à la St-Maurice des frais de référencement[9] de 34%.  De ce montant de 34%, 12% sont octroyés à BCL pour ses frais de gestion, et 22% sous forme de dividendes discrétionnaires sont envoyés à Beaulap.

[10]            Pour utiliser l’exemple que les procureurs ont eux-mêmes utilisé, si le produit coûte 1 000 $, Formule garde 300 $ et envoie 700 $ à l’Internationale.  Celle-ci garde 360 $ et envoie 340 $ (frais de référencement ) à la St-Maurice

[11]            De ce montant de 340 $, la St-Maurice paie à BCL 120 $ de frais de gestion et retourne sous forme de dividendes discrétionnaires à Beaulap 220 $.  En vertu de la convention d’actionnaires (P-5) de la St-Maurice, ceux-ci reçoivent ces montants d’argent au prorata de leur vente.  Comme le dit la demanderesse dans son paragraphe 59 :

« Dans le cas en l’espèce, le volume du dividende versé à la compagnie Beaulap inc., est calculé selon le volume de produits vendus par la demanderesse, calculé précisément à tous les trois mois. »

[12]            Tout ce montage corporatif, financier et fiscal a été fait au vu et au su de la défenderesse en lui fournissant, chaque fois que requis, tous les renseignements demandés.  Entre autres, au mois d’avril 2002, la défenderesse suggérait à la demanderesse de se former en cabinet (P-9).  C’est effectivement ce que fit la St-Maurice en se constituant en cabinet multidisciplinaire.

[13]            Aucune de ces compagnies, la St-Maurice, Beaulap n’a d'employé.  Les seuls employés travaillent pour BCL sur la vérification des dossiers.   

Position de la partie demanderesse

[14]            L’article 408 de la Loi 188 se lit comme suit :

« Un assureur peut, conformément au présent titre, offrir des produits d’assurance par l’entremise d’un distributeur.

Le distributeur est la personne qui, dans le cadre de ses activités qui ne sont pas du domaine de l’assurance, offre de façon accessoire, pour le compte d’un assureur, un produit d’assurance afférent uniquement à un bien qu’elle vend ou qui y fait adhérer un client. »

[15]            La demanderesse est un distributeur, elle perçoit la prime d’assurance, garde sa rémunération ou commission de 30% et envoie à la compagnie d’assurances le montant de la prime.  C’est l’Internationale qui paie des frais de référencement à la St-Maurice.  Celle-ci n’est pas un distributeur au sens de l’article 408 de la Loi 188, elle n’est pas celle qui vend le produit, c’est Formule qui est le distributeur.  La compagnie d’assurances, ici, dans le présent cas, l’Internationale, peut faire ce qu’elle veut avec l’argent qu’elle reçoit de son distributeur. 

[16]            La St-Maurice reçoit un montant d’argent pour avoir permis à l’Internationale de placer auprès des concessionnaires ses produits d’assurance.  Ce sont des frais de référencement et non pas des frais de vente. 

[17]            Pour être actionnaire de la St-Maurice, l’actionnaire doit démontrer qu’il peut placer des produits de l’Internationale auprès des concessionnaires.  La St-Maurice rend des services qui sont réels.  Elle doit payer des frais de gestion à BCL.  Elle doit également garder des provisions pour l’impôt.  Elle perçoit des frais d’exploitation qui sont payés à BCL pour la remise aux actionnaires de dividendes.  Ce qui est versé à Beaulap, ce sont des dividendes.

[18]            En ce qui concerne l’intérêt du consommateur, c’était beaucoup plus le fonctionnement occulte antérieurement qui était néfaste que le fonctionnement du système implanté par la demanderesse.  Actuellement, le système est ouvert et n’a pas d’effets pervers sur les obligations statutaires.  Pour la protection du consommateur, qu’est-ce qui est le mieux entre les commissions occultes payées par les anciens assureurs ou ce que la demanderesse fait actuellement ouvertement au vu et au su de la défenderesse ? 

[19]            On doit se demander si l’article 431 de la Loi 188 doit recevoir une application stricte ou téléologique.  C’est la primauté du droit qui doit prévoir.  Le justiciable, en consultant une loi, doit savoir comment se comporter.  Pour appliquer l’article 431, doit-on lever le voile corporatif de Formule, de l’Internationale, de la St-Maurice et de Beaulap ?  Il faut regarder la loi étape par étape, et se demander si chaque étape en soi contrevient à l’article.

[20]            L’article 317 du Code civil du Québec dit :

« La personnalité juridique d'une personne morale ne peut être invoquée à l'encontre d'une personne de bonne foi, dès lors qu'on invoque cette personnalité pour masquer la fraude, l'abus de droit ou une contravention à une règle intéressant l'ordre public. »

[21]            En vertu de cet article, pour permettre de lever le voile corporatif des différentes compagnies, il faut en arriver à la conclusion que ces compagnies ont été formées pour masquer la fraude, qu’il y a un abus de droit, qu’il y a une contravention à une règle d’ordre public.  Beaulap, ce qu’elle reçoit, c’est un dividende et il y a une différence entre un dividende et une rémunération.

[22]            La défenderesse veut qualifier toutes les compagnies en causes de distributeurs, alors qu’en réalité le seul distributeur est Formule, car c’est lui qui vend le produit.  L’interprétation donnée par la défenderesse rend susceptible les compagnies d’enfreindre les articles 485 et 487 de la Loi 188.  Comme il s’agit de matière pénale, ces articles doivent être interprétés comme une loi pénale, c’est-à-dire recevoir une interprétation stricte à cause des conséquences apportées par la loi.

[23]            Lorsqu’on interprète une loi, il faut accorder une importance à son texte.

Position de la défenderesse

[24]            Le procureur de la partie défenderesse se base sur un arrêt[10] où la Cour suprême citant Elmer Driedger dit :

« Aujourd’hui, il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur….

« principe d’interprétation qui présume l’harmonie, la cohérence et l’uniformité entre les lois traitant du même sujet ». »

[25]            C’est la méthode moderne maintenant d’interpréter.  De plus, la Loi 188 n’est pas une loi pénale, parce qu’elle n’a pas comme objectif de priver les citoyens de la liberté et d’octroyer des amendes.  Son objectif est de régir la vente de services financiers.  Elle est un peu comme la Loi sur la protection du consommateur.  Ce n’est pas parce qu’une loi contient des dispositions d’infraction, qu’elle devient automatiquement une loi pénale.

[26]            Lorsque la demanderesse écrit à son paragraphe 94 :

« Dans le cas qui nous occupe, la demanderesse a organisé ses affaires, en participant au groupement F & I, afin de ne jamais recevoir plus de 30 % de rémunération quant à un produit spécifique ; »

Ce paragraphe, appuyé d’un affidavit, est un aveu.  La demanderesse, par le biais des compagnies liées, reçoit plus que le 30 % de rémunération.  Peu importe le véhicule financier, la différence entre le coût de l’assurance et le coût chargé aux clients va à la même place.  Le véritable coût de l’assurance dans l’exemple pris précédemment, est de 360 $.  Tous les autres montants d’argent reçus par lesdites compagnies sont une forme de rémunération, sans qu’il y ait besoin pour le Tribunal, de lever le  voile corporatif. 

[27]            Toute la rémunération est basée sur les contrats vendus par Formule.  Il est vrai que la structure corporative est conforme aux lois fiscales.  Mais même si c’est conforme aux lois, le coût que le consommateur paie pour son produit est de 360 $, soit 36 %, et la balance, soit 64 % en grande partie revient aux mêmes personnes, soit les deux actionnaires, messieurs Beauchesne et Laplante, sans que ce ne soit divulgué aux consommateurs.  C’est justement la finalité, l’objectif de la Loi 188

[28]            L’objectif de la Loi 188, est que le consommateur soit informé que la personne qui lui vend un produit prend plus que 30 % de commission.  Le but de la loi c’est que le consommateur puisse prendre une décision éclairée sur le coût du produit qu’il achète.

[29]            L’écart de 64 % entre le coût de l’assurance et le prix par le consommateur a quelque chose de choquant.  C’est d’ailleurs pour cette raison que la demanderesse n’est pas tentée de divulguer ce coût au consommateur.  Ce n’est pas illégal, mais il faut aviser le consommateur, c’est la raison d’être de la disposition.

[30]            La structure corporative et fiscale montée par la demanderesse a comme but de ne pas informer le consommateur du coût réel du produit qu’il achète.  Ce que le consommateur paie, c’est pour le bien, incluant toute rémunération, tout profit confondu. 

[31]            La Loi 188 est une loi qui s’apparente aux lois concernant les corporations professionnelles.  Il s’agit d’une loi d’ordre public, d’ailleurs le consommateur ne pourrait renoncer à l’application de l’article 431 de la Loi 188.

[32]            Le régime général de la loi en est un de certification, ce n’est que par exception qu’on permet la vente par un distributeur.  Sans ce régime d’exception, Formule ne pourrait vendre un produit d’assurance.  En vertu de la loi, pour se qualifier, il y a des normes dont l’observance doit être rigoureusement suivie.  Il s’agit de mesures de protection pour le consommateur, parce qu’il fait face à quelqu’un qui n’est pas spécialiste dans le domaine.  Ce représentant doit faire passer les intérêts du consommateur avant les siens, c’est une règle fondamentale de la Loi 188

[33]            Le principe de l’interprétation soumis par la demanderesse en matière fiscale, soit que le doute doit être interprété en faveur du contribuable ne doit pas être appliqué ici.  En matière de protection publique, la loi doit être interprétée de manière à atteindre ce but de protection. 

[34]            Bien que la demanderesse nous demande d’utiliser la méthode grammaticale pour interpréter la loi, on doit tenir compte de la finalité et du caractère de la loi.  Il est bien évident que si on utilise l’interprétation littérale, Beaulap n’est pas le distributeur.  À ce moment-là, on interprète strictement le texte.  Mais le but de la loi c’est que la rémunération soit divulguée au consommateur.

[35]            « La personnalité juridique ne peut être invoquée à l’encontre d’une personne de bonne foi pour masquer une contravention à une règle intéressant l’ordre public. » L’article 317 du Code civil du Québec permet de lever le voile corporatif dans ces cas là.

DÉCISION

[36]            Bien que dans sa plaidoirie le procureur de la demanderesse réfère à la méthode grammaticale pour interpréter l’article 431, il semble qu’il préconise beaucoup plus l’interprétation littérale pour interpréter ledit article.  Regardons comment l’auteur Pierre-André Côté[11] différencie ces deux méthodes :

« La méthode littérale (grammaticale) postule que le texte est un élément important de la communication entre le législateur et ses destinataires et qu’on ne saurait le négliger.   La règle de l’interprétation littérale, du moins dans certaines de ces acceptations, postule que le texte est non seulement un élément important d’une mesure législative, mais qu’il est l’élément le plus important et, s’il est clair, le seul qui devrait être considéré. 

On doit donc, pour les besoins d’analyse, distinguer la méthode grammaticale proprement dite de la règle de l’interprétation littérale. »

Et l’auteur continue ainsi :

« L’interprète qui a recours à la méthode grammaticale d’interprétation se fonde sur un certain nombre de postulats : 1) la loi est une communication entre le législateur et les justiciables ; 2) la communication au moyen du langage est possible ; 3) le législateur, par le texte législatif, entend transmettre une pensée ; 4) le législateur connaît les règles ordinaires du langage ; 5) le législateur sait employer le langage de manière à communiquer adéquatement sa pensée.

Qui favorise l’approche textuelle présume donc qu’il y a adéquation entre ce que la loi dit et ce que son auteur a voulu dire ; la loi est censée être bien rédigée. »  

Et plus loin, il dit[12]:

« La méthode littérale ou grammaticale invite l’interprète à aborder un texte législatif par une étude minutieuse, intelligente et réfléchie de sa formule.  Si la première lecture laisse un doute, il faut présumer qu’il se dissipera à la deuxième ou à la troisième lecture. »

[37]            La méthode que nous propose d’utiliser le procureur de la demanderesse, est l’interprétation littérale beaucoup plus que la méthode grammaticale.  C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il nous dit que lorsqu’un citoyen lit une loi, il doit savoir à quoi s’attendre.  C’est d’ailleurs pour cette raison également qu’il indique à son paragraphe 94 de sa requête que la demanderesse a organisé sa structure de façon à respecter le 30 % de rémunération prévue à la loi. 

[38]            D’ailleurs, le Tribunal ne peut qu’être en accord avec le procureur de la demanderesse, si on utilise l’interprétation littérale pour interpréter ledit article, la demanderesse, dans le montage corporatif et financier qu’elle a fait, respecte parfaitement l’article 431 de la Loi 188.

[39]            Pour appuyer son interprétation littérale, le procureur de la demanderesse soumet que la Loi 188 est une loi pénale, puisqu’il y a des infractions de prévues à cette loi et que toute loi pénale doit être interprétée restrictivement. 

[40]            Avant de décider quelle interprétation doit primer, il y a peut-être lieu de définir la Loi 188.  Nous connaissons l’opinion du procureur de la demanderesse, de son côté le procureur de la défenderesse prétend qu’il s’agit d’une loi d’ordre public, puisqu’elle vise la protection du consommateur.  Elle doit être interprétée libéralement comme est interprétée la Loi sur la protection du consommateur

[41]            Les auteurs Nabil N. Antaki et Charlaine Bouchard[13] nous parlent de deux ordres publics, un politique et moral, qui est l’ordre traditionnel, et l’autre économique et social qui est plus récent.  Ils font mention[14] :

« … Ce dernier s’applique à l’échange des biens et des services considéré en lui-même. »

Et ils définissent ainsi le droit économique de protection[15] :

« Définition  - Le droit économique de protection est constitué de l’ensemble des règles juridiques qui protègent une partie particulièrement faible, le consommateur, l’investisseur, le franchisé ou le locataire d’un appartement, contre son partenaire considéré plus avantagé, soit le commerçant, le promoteur, le franchiseur ou l’entrepreneur immobilier, selon le cas.  Ces lois interviennent dans le modèle économique des consommateurs ou des ménages.  Le juge Marcel Nichols, dans la décision Belgo-Fisher, définit bien cette catégorie de droits et ses objectifs :

L’ordre public de protection […] comprend les textes et les arrêts qui ont comme mission primordiale de protéger l’individu.  La protection du consommateur en est l’exemple parfait.  L’ordre public intervient pour rétablir une équité contractuelle. […]

La loi ne cesse pas pour autant d’être d’intérêt public en ce sens qu’elle vise toutes les opérations immobilières qui interviennent et qu’elle s’adresse à tous ceux qui désirent agir comme intermédiaire moyennant rémunération.  Mais son but premier est d’accorder une protection spécifique visant avant tout à mettre à l’abri de gens malhonnêtes et incompétents ceux qui s’impliquent dans des opérations immobilières. »

[42]            Quel est le but premier de la Loi 188?  Est-il, comme le disent les auteurs ci-haut mentionnés, protéger spécifiquement une partie particulièrement faible par rapport à une partie considérée plus avantagée ?  Dans ce cas-ci, la Loi 188 vise-t-elle à protéger le consommateur vis-à-vis le vendeur de produits financiers ?  À l’appui de sa position, le procureur de la défenderesse a déposé les notes explicatives[16] où il est dit :

« Ce projet de loi remplace la Loi sur les intermédiaires de marché.  Il crée un organisme unique, le Bureau des services financiers, qui a pour mission de veiller à la protection du public. »

[43]            Cette loi vise la protection du consommateur, ces notes explicatives nous exposent le but du législateur.  Mais en plus, regardons les commentaires des parlementaires au moment de l’adoption de cette loi.

[44]            L’Honorable Landry, alors ministre des Finances, présentant le projet de loi, dit[17] :

« M. le Président, permettez-moi de rappeler d’abord les éléments de contexte et les principaux objectifs qui ont guidé la préparation du projet de loi no 188.

Le projet de loi no 188 vise à moderniser et à accroître les dispositions relatives à la protection du consommateur ; c’est ce qui est central dans le projet. » (le souligné est du soussigné)

[45]            De plus, la loi a comme objectif d’établir différentes manières de surveiller, de contrôler, les personnes ou les compagnies qui vendent des produits ou des services financiers.  Comme le dit le procureur de la partie défenderesse, la section se rapportant aux distributeurs est une exception à la loi, car la règle générale veut que celui ou celle qui vend des services financiers soit accrédité. 

[46]            Prenant en considération tous ces faits, force est de conclure que la Loi 188 est une loi d’ordre public.  C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle en est arrivé le Juge Jacques Vaillancourt[18] :

« L’objet de cette Loi est la protection du public notamment en matière d’offre de produits d’assurance individuelle de personnes. »

[47]            Maintenant qu’il est établi que la Loi 188 est une loi d’ordre public, de quelle manière doit-elle être interprétée ?  

[48]            Voici ce que la Cour d’appel[19] nous dit :

« La Loi sur la protection du consommateur est une loi d’ordre public à portée éminemment sociale dont l’interprétation doit être libérale :

C’est donc en faveur du consommateur que le Tribunal doit pencher lorsqu’il est en présence d’une disposition ambiguë dans la loi. »

[49]            De plus, l’article 41 de la Loi d’interprétation[20] nous dit :

« Toute disposition d’une loi est réputée avoir pour objet de reconnaître des droits, d’imposer des obligations ou de favoriser l’exercice des droits, ou encore de remédier à quelque abus ou de procurer quelque avantage.

Une telle loi reçoit une interprétation large, libérale, qui assure l’accomplissement de son objet et l’exécution de ses prescriptions suivant leurs véritables sens, esprit et fin. »

[50]            Entre autres ce que la Cour suprême nous dit[21]:

« Le Tribunal appelé à interpréter une disposition législative doit, dans chaque cas, se livrer à l’analyse contextuelle et téléologique privilégiée avant de décider si le texte de la disposition est ambigu.  À cette fin, il lui faut lire les mots et la disposition dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de celle-ci et l’intention du législateur.  C’est uniquement lorsque au moins deux interprétations plausibles, qui s’harmonisent chacune également avec l’intention du législateur, créent une ambiguïté véritable que les tribunaux doivent recourir à des moyens d’interprétation externes, y compris d’autres principes d’interprétation - - telles l’interprétation stricte des lois pénales et la présomption de respect des « valeurs de la Charte ». 

[51]            C’est d’ailleurs pour cette raison que la Cour suprême, rapportant les propos de  l’auteur Elmer Driedger[22] dit : 

« Aujourd’hui, il n’y a qu’un seul principe aux solutions :  il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. » 

[52]            La Cour suprême[23] nous met également en garde de faire un calcul, une addition des décisions en faveur et contre pour décider si une loi est ambiguë, elle nous dit:

« Autant il serait inapproprié de faire le décompte des décisions appuyant les diverses interprétations divergentes et d’appliquer celles qui recueillent le « plus haut total », autant il est inapproprié de partir du principe que l’existence d’interprétations divergentes révèle la présence d’une ambiguïté.  Il est donc nécessaire, dans chaque cas, que le tribunal appelé à interpréter une disposition législative se livre à l’analyse contextuelle et téléologique énoncée par Driedger, puis se demande si « le texte est suffisamment ambigu pour inciter deux personnes à dépenser des sommes considérables pour faire valoir deux interprétations divergentes » (Willis loc. cit., p. 4- 5)

[53]            Maintenant, regardons ce que l’auteur Pierre-André Côté[24] nous dit concernant l’interprétation à donner aux textes législatifs :

« Le recours aux arguments de finalité emprunte diverses formes dans la jurisprudence et il y exerce diverses fonctions.  Tantôt, on invoque les objectifs de la disposition précise à l’étude et tantôt ceux de la loi dans son ensemble.  Tantôt, la finalité est considérée comme un élément contextuel permettant de découvrir le sens voulu par l’auteur et tantôt, elle apparaît plutôt comme un argument de dernier ressort, que l’on invoque lorsque l’intention du législateur n’a pas pu être découverte par un effort raisonnable d’interprétation.

Il continue[25] :

« On trouve, dans la jurisprudence canadienne, deux attitudes opposées, deux écoles de pensée : celle qui prône la primauté du texte et celle qui enseigne plutôt que l’interprète doit accorder plus d’importance au but poursuivi. »

Il continue toujours[26] :

« On se sera rendu compte, en lisant les extraits qui précèdent, que le principe de la primauté du but poursuivi est affirmé avec autant de conviction et parfois même d’excès que celui de la primauté du texte l’est par les partisans de la Literal Rule.  En fait, on a ici affaire à deux courants de pensée difficiles à réconcilier et qui ont tour à tour dominé dans l’histoire de l’interprétation des lois. »

Et il conclut[27] :

« Aujourd’hui, le pendule paraît à mi-course entre une interprétation uniquement consciente du texte de la loi et une interprétation attachée exclusivement à l’accomplissement de l’objet.  Comme l’écrivait le professeur Driedger :

« Aujourd’hui, il n’y a qu’un principe ou qu’une approche : les termes de la loi doivent être lus dans leur contexte global, selon leur sens grammatical et ordinaire en harmonie avec l’économie générale de la loi, avec son objet et avec l’intention du législateur. »

Tout comme la Cour suprême, l’auteur Pierre-André Côté s’appuie sur le professeur Driedger. 

[54]            Pour vérifier si la demanderesse respecte l’article 431 de la Loi 188 par sa structure corporative et fiscale qu’elle a échafaudée, le Tribunal doit utiliser la méthode suggérée tant par la jurisprudence que par la doctrine, soit la méthode grammaticale et téléologique, et non pas une interprétation littérale comme le suggère le procureur de la demanderesse.  De plus, comme il s’agit d’une loi d’ordre public, celle-ci doit être interprétée d’une façon libérale.

[55]            Est-ce que la demanderesse respecte l’article 431 de la Loi 188 ?  La demanderesse reçoit-elle plus que le 30 % prévu à l’article 431 à titre de rémunération pour la vente d’assurances à un consommateur ?

[56]            Si on ne tient pas compte des entités corporatives, les véritables propriétaires de Formule sont messieurs Beauchesne et Laplante.  Ceux-ci reçoivent de différentes façons, par rémunération, par dividende ou par frais de référencement, entre 31 % et 52 % de la prime.  Soit en prenant le même exemple, entre 310 $ et 520 $, sur un montant de 1 000 $, puisque BCL garde 120 $ à titre de frais de gestion.  Est-ce que c’est ce que le législateur voulait lorsqu’il a adopté l’article 431 la Loi 188 ?

[57]            Le procureur de la demanderesse nous soumet qu’au moins cette manière de procéder est préférable à celle qui existait auparavant, soit les commissions occultes. Mais comme le Tribunal l’a souligné lors de l’audience, ce n’est pas parce qu’une chose illégale a été faite auparavant que cela peut appuyer une autre illégalité.

[58]            En interprétant l’article 431 de la Loi 188 qui est une loi d’ordre public, on ne peut arriver qu’à une seule conclusion que messieurs Laplante et Beauchesne peuvent recevoir plus de 30 % de la prime d’un produit qu’ils vendent, mais ils doivent le divulguer au consommateur.  C’est le but ultime de cette loi.  C’est une loi d’ordre public et on ne peut pas y déroger.  C’est une loi pour protéger le consommateur.

[59]            On ne peut, par une structure bien faite, légale au niveau fiscal, légale au niveau corporatif, contourner l’objectif premier de la loi qui est d’aviser le consommateur s’il paie plus que 30% de rémunération pour obtenir un produit.

[60]            Dans sa plaidoirie, le procureur de la demanderesse nous a expliqué avec moult détails en quoi consiste la définition d’un dividende, la définition d’une rémunération, etc..  Mais l’objectif premier de la loi, la finalité de la loi, c’est que toute rémunération en haut de 30 % soit divulguée.  Et le mot rémunération ne doit pas être interprété d’une manière stricte qui empêcherait la finalité de la loi.

[61]            Regardons ce qu’est le travail de la demanderesse à titre de distributeur.  Son travail consiste-t-il seulement à vendre un produit d’assurance? Non.  Son travail consiste à vendre le produit d’assurance et à faire le placement de ce produit.  Donc, les frais de référencement font partie de cette rémunération globale en plus du 30%.  En effet, il ne fait pas seulement vendre, il fait du référencement vis-à-vis l’Internationale

[62]            Pourquoi l’Internationale paie-t-elle à la St-Maurice, tierce partie, des frais de référencement pour du travail effectué par la demanderesse ?  En effet, c’est la demanderesse qui a vendu ce produit d’assurance au consommateur et c’est elle qui s’est également retournée vers l’Internationale pour acheter de cette compagnie le produit venduPourquoi la St-Maurice reçoit-elle une rémunération, un montant d’argent ?   Qu’est-ce que la St-Maurice a fait comme travail dans ce dossier de vente de produits financiers au consommateur ? 

[63]            Le distributeur fait le même travail qu’un agent accrédité.  L’agent accrédité vend un produit au consommateur et par la suite, fait le placement au niveau d’une compagnie d’assurances, et cet agent accrédité est rétribué pour son travail. 

[64]            C’est la même chose pour la demanderesse, celle-ci vend un produit au consommateur et se retourne vers l’Internationale pour faire le placement de ce produit.  Sauf que la demanderesse, en plus de recevoir 30 % de commission, ou de rémunération, ou de rétribution, elle reçoit, par le biais des compagnies avec qui elle est affiliée, de l’Internationale, des frais de référencement, alors que tout le travail a été fait uniquement par la demanderesse et non pas par les compagnies affiliées.

[65]            Pour l’application de l’article 431 de la Loi 188, est-ce que la demanderesse pourrait recevoir des frais de référencement directement de l’Internationale plutôt qu’ils soient envoyés à la St-Maurice ?  Oui, elle pourrait recevoir ces frais de référencement, mais à la condition qu’elle les déclare au consommateur comme mentionné audit article 431 de la Loi 188

[66]            Si la demanderesse ne peut recevoir directement des frais de référencement de l’Internationale, pourquoi est-ce plus légal, plus conforme à la loi, que ce soit des compagnies dans lesquelles elle est affiliée qui reçoivent ces frais de référencement pour le travail effectué uniquement par la demanderesse.

[67]            Par ce montage corporatif et fiscal, la demanderesse réussit à contourner les buts et objectifs de la loi, la finalité de la loi, soit la protection du consommateur.  Sans ce montage financier, la demanderesse et ses actionnaires ne pourraient recevoir de l’Internationale  plus que son 30 %.

[68]            Le Tribunal a bien compris l’argumentation du procureur de la demanderesse en mentionnant qu’il ne s’agissait pas d’une rémunération, mais d’un dividende ou d’une autre manière d’être payé.  Si on prend l’interprétation littérale, le procureur de la demanderesse a peut-être raison.  Mais ce n’est pas cette interprétation que le Tribunal doit utiliser pour vérifier l’observance ou l’inobservance de la loi.  Le Tribunal doit vérifier la finalité de la loi, s’il n’y a pas d’ambiguïté.  Le texte est clair, le législateur veut protéger le consommateur et il veut que celui-ci soit informé du coût de son produit lorsqu’il est vendu par une personne qui n’est pas accréditée. 

[69]            La demanderesse essaie, par une interprétation littérale, en se servant d’une structure corporative distincte de contourner la loi.  Le Tribunal ne peut suivre la demanderesse dans ce cheminement.

[70]            Le procureur de la défenderesse plaide qu’on n’a pas à lever le voile corporatif pour conclure qu’il s’agit d’une infraction à l’article 431 de la Loi 188.  Il se base principalement sur deux arrêts de la Cour d’appel[28] où le Juge Chamberland[29], écrivant pour la Cour dit :

« Ce principe de la non-responsabilité des actionnaires pour les dettes de la société est toutefois sans application dans un contexte de régulation économique.  La Régie a pour mission notamment de favoriser le développement de relations harmonieuses entre les différents intervenants dans la mise en marché d’un produit visé par un plan conjoint (article 5).  Si la Régie veut s’acquitter des devoirs que la Loi lui confie, elle doit nécessairement s’interroger sur l’identité des différents intervenants visés par cet article.  Pour ce faire, elle ne peut pas limiter son analyse aux diverses personnes morales qui se présentent devant elle ; elle doit pouvoir aller au-delà de la façade que présentent ces personnes morales.  Les intervenants dans la mise en marché d’un produit agricole ou alimentaire ont certes le droit de structurer leurs activités comme bon leur semble sur le plan du droit des sociétés commerciales mais ils ne peuvent toutefois pas s’attendre à ce que la Régie s’arrête à l’image que cette structure projette, au risque de ne pas connaître la réalité économique que cette image peut cacher.  Or, la mission de la Régie exige qu’elle connaisse cette réalité économique.

Le fait pour la Régie de s’interroger sur l’identité des actionnaires, et même des bailleurs de fonds, des intervenants qui comparaissent devant elle, ne met pas en péril le principe établi dans l’arrêt Salomon et maintenant codifié à l’article 309 C.c.Q., avec les exceptions développées au fil du temps par la jurisprudence (l’article 317, notamment).  Dans sa décision 6116 du 4 juillet 1994, la Régie ne conteste pas le principe de l’immunité que la loi reconnaît aux actionnaires de 2903113.  De fait, contrairement aux tribunaux de droit commun, elle n’est pas chargée d’appliquer le droit civil ou le droit des sociétés commerciales concernant cette question mais de jouer un rôle de régulateur économique (voir Wight c. L’office canadien de la commercialisation des œufs, (1978) 2 C.F. 260 (C.A.); Villetard’s Eggs Ltd. c. Canada (Office de commercialisation des œufs), (1995) 2 C.F. 581 (1re inst.).  La Régie avait donc compétence, à mon avis, pour s’interroger sur l’identité réelle de l’acheteur qui se présentait devant elle.

Au surplus, en l’espèce, la Loi autorise expressément la Régie à analyser l’identité des entreprises engagées dans la mise en marché d’un produit visé par un plan conjoint.  En effet, en vertu de l’article 59, la Régie détermine les droits et les obligations d’une personne engagée dans la mise en marché du porc en tenant compte du fait que cette personne « agit par l’entremise (…) (d’une) société dont elle est actionnaire » ou d’une société qui « procède pour elle à l’opération concernée ».

Finalement, si cela était encore nécessaire pour confirmer la compétence de la Régie, je rappelle que celle-ci, à l’instar de tout tribunal administratif appelé à trancher un litige ou à régler un différend, possède non seulement les pouvoirs que la Loi lui confère expressément mais également tous les pouvoirs qui lui sont raisonnablement nécessaires à la réalisation de l’objectif visé par la Loi (Chrysler Canada Ltd. c. Canada (Tribunal de la concurrence), (1992) 2 R.C.S. 394 , à la page 410). »

[71]            D’ailleurs, le Juge dit[30] :

« Le premier juge dit de cette décision qu’elle est nulle d’une part, parce que la Régie n’est pas compétente pour soulever le voile corporatif entre 2903113 et son actionnaire Brochu (via 122345 Canada Inc.) et d’autre part, parce que la décision de soulever le voile corporatif est manifestement déraisonnable, la Régie n’ayant aucun motif valable de conclure ainsi.

Avec égards je ne partage pas ce point de vue exprimé par le premier juge et je ne peux accepter ni l’un, ni l’autre des motifs sur lesquels il appuie sa conclusion. »

Et il continue à la page 56 :

« La preuve que la Régie résume dans sa décision justifiait la conclusion à laquelle elle en est arrivé. »

[72]            Donc, contrairement aux prétentions du procureur de la défenderesse, la Cour d’appel confirme que la Régie avait raison de soulever le voile corporatif.

[73]            Me Martel écrit sur ces deux décisions :

« Ces deux décisions n’étendent pas la portée de l’article 317[31], mais ne font qu’établir qu’il ne constitue pas la seule exception à l’article 309[32], qui consacre la personnalité juridique distincte de la compagnie aux fins de la responsabilité civile. Il n’est pas requis pour le créancier alimentaire ou l’organisme gouvernemental d’emprunter la porte relativement étroite de l’article 317 pour justifier l’examen auquel il veut se livrer au-delà des structures corporatives. Une autre manière de considérer cette question serait de dire que le « soulèvement du voile » se justifie pas le fait que la compagnie est utilisée pour masquer une fraude (c’est-à-dire se soustraire à l’obligation alimentaire) ou une contravention à l’ordre public (soit le respect des quotas fixés par la loi). »[33]  

Et l’auteur pousse plus loin son analyse[34] :

« De toute manière, on peut se demander si ce droit de « soulever le voile corporatif », en raison des objectifs poursuivis, en l’occurrence ne constitue pas justement une « règle intéressant l’ordre public » au sens de cette dernière disposition [ article 317 C.c.Q. ] … »

[74]            Devant ces commentaires, le Tribunal ne peut que conclure qu’il a le pouvoir en vertu de l’article 317 C.c.Q. de lever le voile corporatif, car la structure élaborée par la partie demanderesse contrevient à une règle intéressant l’ordre public tel que prévu à l’article 317 C.c.Q.

[75]            En effet, la loi veut empêcher que quelqu’un reçoive une rémunération plus importante que 30% sans le divulguer au consommateur.  De l’aveu même de la demanderesse à son paragraphe 94[35], celle-ci a organisé ses affaires pour ne pas qu’elle reçoive plus de 30% en utilisant comme dit précédemment une interprétation littérale de l’article.  Le Tribunal en vient à la conclusion qu’il faut interpréter de façon à ce que la finalité de la loi atteigne son but.  Et cette finalité de la loi n’est pas respectée par la structure financière élaborée par la partie demanderesse.

[76]            En conclusion, la demanderesse n’a pas le droit d’agir comme elle agit.  Elle ne respecte pas l’article 431 de la Loi 188.  Les montants d’argent qu’elle reçoit à titre de rémunération ou de dividende ou autrement, sont supérieurs au 30 % permis par l’article 431.  En effet, il faut interpréter cet article afin qu’il puisse rencontrer toute la finalité que le législateur a voulu lui donner, soit la protection du consommateur.

[77]            De plus, le Tribunal, en vertu de l’article 317 C.c.Q. a le droit de lever le voile corporatif pour vérifier si effectivement ce ne sont pas les mêmes individus, les mêmes personnes ou les mêmes corporations qui reçoivent tous ces montants d’argent qui dépassent le 30 %.  La demanderesse, en utilisant des compagnies affiliées ou apparentées, va à l’encontre de l’article 431 de la Loi 188.

Irrecevabilité de la demande

[78]            Le procureur de la défenderesse, bien qu’il soit d’accord que l’interprétation de l’article 431 puisse être utile tant pour la défenderesse que pour la demanderesse, soumet qu’il n’a d’autre choix que de soulever l’irrecevabilité de cette présente requête.  Il soumet que la compétence relève d’un autre forum et que la Cour supérieure n’a pas à exercer sa juridiction lorsque cette matière est attribuée d’une façon exclusive à un autre tribunal.  De son côté, le procureur de la demanderesse prétend que Formule a l’intérêt qui justifie une solution immédiate d’une difficulté dans l’application de la loi.

[79]            Chacune des parties a soumis de la jurisprudence à l’appui de ses prétentions. Si la discussion contenue dans les pages précédentes ne justifie pas que cette requête en irrecevabilité soit rejetée, le Tribunal se permet de rajouter les propos suivants.

[80]            Dans la décision du Juge Banford[36] qui a acquiescé à une requête en irrecevabilité, celui-ci mentionne[37]:

« Je crois que l’on peut affirmer que la jurisprudence canadienne est à l’effet que la Cour supérieure n’utilisera pas son pouvoir déclaratoire lorsqu’un tribunal inférieur a été créé par le Législateur pour adjuger sur une question particulière. »

[81]            Et il conclut qu’il n’a pas la compétence pour trancher la demande formulée par le requérant, parce que de toute façon, il ne sera pas opportun que la Cour se prononce sur une question avant qu’un Comité de discipline de l’Ordre et possiblement le Tribunal des professions ne se soient penchés sur cette question dans le cadre de l’exercice de leur compétence disciplinaire.

[82]            Dans cette décision, le Juge Banford déclare que la requête ne mettra pas fin au litige ou à la controverse et de plus, l’appréciation de la valeur juridique des seules pièces documentaires visées par les conclusions de la requête ne peut dissiper toute l’incertitude qui règne autour du procédé de vente d’assurance. Et il rajoute que la preuve des faits, à chaque cas pouvait nuancer la décision à rendre.

[83]            Par contre, dans une autre décision[38], le Juge Jacques Vaillancourt s’est prononcé sur l’interprétation à donner lors d’une requête en jugement déclaratoire.

[84]            À ce moment-là, le syndic pouvait prendre des poursuites devant le Comité de discipline.  Dans ce cas, il s’agissait de savoir si la compagnie d’assurances l’Internationale avait le droit de vendre des assurances collectives ou individuelles.  Cette infraction ne relevait pas du syndic, mais plus spécifiquement du droit pénal et des cours ordinaires.

[85]            Notre dossier se rapproche beaucoup plus du dossier du Juge Vaillancourt.  Et contrairement à la décision du Juge Banford, ici, les faits ne sont pas contestés, il n’y a pas d’interprétation à donner aux faits, il n’y a pas d’interprétation de document.  La seule interprétation, est l’interprétation de l’article 431 de la Loi 188

[86]            De plus, ce processus mis en opération par la demanderesse a été appliqué dans plusieurs autres régions, au moins sept selon la preuve, et tous fonctionnent de la même manière. 

[87]            Peut-on reprocher à des gens, à des hommes d’affaires de vouloir vérifier si leur manière de fonctionner est légale au lieu d’attendre d’être poursuivis pour des infractions pénales.  Une saine administration de la justice ne commande-t-elle pas que le justiciable puisse s’adresser au tribunal pour vérifier son mode de fonctionnement.

[88]            Ici, la requête en jugement déclaratoire reçoit tout son sens, puisque des justiciables ont élaboré un processus qui avait pour but de respecter l’interprétation qu’eux faisaient de la loi.  Et en toute honnêteté, en toute franchise, ils se présentent devant le tribunal pour vérifier si leur interprétation est valable ou non.  Pourquoi ces gens ne pourraient-ils pas avoir une décision au lieu d’être poursuivis pour des infractions pénales et payer des amendes en conséquence. 

[89]            L’auteur Marie Paré[39] nous dit:

« Ajoutons qu’en matière de jugement déclaratoire, comme nous le verrons au point suivant, la Cour supérieure peut même passer outre au défaut d’intérêt du requérant, lorsque « le public et la justice seraient mieux servis » par une décision au mérite[40] »

[90]            Est-ce que le public n’est-il pas mieux servi par une décision immédiate plutôt que de laisser ce processus se continuer pendant quelques années avant que le processus pénal s’enclenche.  Et comme le cite également l’auteur[41] :

« La deuxième règle générale dont le requérant en jugement déclaratoire doit se soucier est celle énoncée à l’article 462 C.p.c. : le législateur exige que le jugement à être rendu mette fin à l’incertitude ou à la controverse qui a donné lieu à la demande.  En d’autres termes, le jugement recherché doit avoir un effet utile.  Cette règle est applicable à tous les jugements déclaratoires, sans égard à la voie procédurale utilisée. »

[91]            C’est le cas dans le présent dossier.  Ce jugement est utile pour la demanderesse, il est utile pour la défenderesse, et il est d’intérêt tant pour le public en général.

[92]            Considérant tous ces faits, le Tribunal rejette la requête en irrecevabilité.  Comme souligné précédemment, cette requête est utile, tant pour la demanderesse, que pour la défenderesse. La requête de la demanderesse sera donc rejetée sans frais.

[93]            CONSIDÉRANT l’interprétation à donner à l’article 431 de la Loi 188;

[94]            CONSIDÉRANT qu’en vertu de l’article 317 C.c.Q. le Tribunal peut lever le voile corporatif des compagnies apparentées dans le système élaboré par la demanderesse;

[95]            CONSIDÉRANT que la rémunération reçue par les compagnies apparentées et les actionnaires dépasse celle prévue à l’article 431 ;

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[96]            REJETTE la requête de la demanderesse ;

[97]            DÉCLARE que la demanderesse a l’obligation, dans le présent dossier, de divulguer la rémunération totale versée à la demanderesse et à toutes les entreprises apparentées à cette dernière dont Financement et Indemnisation St-Maurice inc. et Beaulap inc. ;

[98]            LE TOUT, sans frais.

 

 

__________________________________

RAYMOND W. PRONOVOST, J.C.S.

 

Me François Daigle

Bélanger, Sauvé, Avocats

Procureurs de la demanderesse

 

Me Michel Jolin, Me Valérie Lemaire,

Langlois, Kronstrom, Avocats

Procureurs de la défenderesse

 

Dates d’audience :

30 et 31 mars 2004

 


ANNEXE I

 

 

 


Financement et indemnisation St-Maurice Inc.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1]    Ci-après appelée « Formule ».

[2]    Ci-après appelée « Loi 188 ».

[3]    Ci-après appelée « Le Bureau ».

[4]    Ci-après appelée « Leriger ».

[5]    Ci-après appelée « 2745 ».

[6]    Ci-après appelée « Beaulap ».

[7]    Ci-après appelée la « St-Maurice ».

[8]    Ci-après appelée « l’Internationale ».

[9]    Terme utilisé par le procureur de la demanderesse.

[10]   Bell Express Vu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559 , par. 26.

[11]   Pierre-André CÔTÉ, Interprétation des lois, 3e éd., Montréal, Les Éditions Thémis, 1999, p. 325.

[12]   Id., p. 327.

[13]   Nabil N. ANTAKI et Charlaine BOUCHARD, Droit et pratique de l'entreprise, t. 1 Entrepreneurs et sociétés de personnes, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1999.

[14]   Id., p. 38.

[15]   Id., p. 48.

[16]   Assemblée Nationale, Projet de loi no 188, Loi sur la distribution de produits et services financiers, Éditeur officiel du Québec 1998, notes explicatives.

[17]   Les travaux parlementaires, 35e législature, 2e session (du 25 mars 1996 au 21 octobre 1998), Index du Journal des débats, cahier no 185, 28 mai 1998, pages 11440-11493.

[18]   L’internationale compagnie d’assurance-vie c. Le Bureau des services financiers, [2003] R.J.Q. 1230 , par. 2 (C.S.).

[19]   Lucien Paquette c. Crédit Ford du Canada Limited, [1989] R.J.Q. 2153 , 2156 (C.A.).

[20]   L.R.Q. , c. I-16.

[21]   Bell Express Vu Limited Partnership c. Rex, précité, note 10, 561. 

[22]   Elmer DRIEDGER, Construction of statutes, 2e éd., Toronto, Butterworths, 1983, p. 87.

[23]    Bell Express Vu Limited Partnership c. Rex, précité, note 10, par. 30.

[24]   P.-A. CÔTÉ, op. cit., note 11, p. 483.

[25]   Id., p. 484.

[26]   Id., p. 489.

[27]   Id., p. 489.

[28]   La Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec c. La Fédération des producteurs de porcs du Québec, J.E. 97-1356 (C.A.), requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., 1998-04-30), 26256 ; La Fédération des producteurs de porcs du Québec c. 2903113 Canada inc., C.A. Montréal, n° 500-09-002082-964, 9 juin 1997.

[29]   La Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec c. La Fédération des producteurs de porcs du Québec, précité, note 28, p. 54 du texte intégral.

[30]   Id., p. 53 du texte intégral.

[31]   La personnalité juridique d'une personne morale ne peut être invoquée à l'encontre d'une personne de bonne foi, dès lors qu'on invoque cette personnalité pour masquer la fraude, l'abus de droit ou une    contravention à une règle intéressant l'ordre public.

[32]   Les personnes morales sont distinctes de leurs membres. Leurs actes n'engagent qu'elles-mêmes, sauf les exceptions prévues par la loi.

[33]   Paul MARTEL, « Le « voile corporatif » - l'attitude des tribunaux face à l'article 317 du Code civil du Québec », (1998) 58 R. du B. 95 , 124-125. Consulter également la page 130 : Me Martel y réitère les décisions de la Cour d’appel favorables au soulèvement du voile corporatif, dont Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec c. La Fédération des producteurs de porcs du Québec, précité, note 1. Voir aussi Maurice MARTEL et Paul MARTEL, La compagnie au Québec - Les aspects juridiques, vol. 1, Montréal, Wilson & Lafleur, pp. 1-74.1 et 1-75 (éditions feuilles mobiles, à jour au 1er janvier 2004) : Mes Martel parlent du droit de « soulever le voile corporatif », en raison des objectifs poursuivis.

[34]   M. MARTEL et P. MARTEL, op. cit., note 33, p. 1-75.

[35]  «94. Dans le cas qui nous occupe, la demanderesse a organisé ses affaires, en participant au groupement F & I, afin de ne jamais recevoir plus de 30% de rémunération quant à un produit spécifique; »

[36]   Le Groupe HPS (9045-8779 Québec inc.) c. Le Bureau des services financiers, [2003] R.J.Q. 897 (C.S.), appel rejeté (C.A., 2004-02-09), 200-09-004350-036. Requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême, 2004-04-08 (C.S. Can.), 30281.

[37]   Id., p. 902. Le Juge Banford cite en fait les propos du Juge Turgeon dans l'arrêt Régie des installations Olympiques c. Terrasses Zarolega inc., [1979] C.A. 497 , 501 (C.A.).

[38]   L’Internationale compagnie d’assurance-vie c. Le Bureau des services financiers, REJB 2003-41131 .

[39]   Marie PARÉ, La requête en jugement déclaratoire, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2001, p. 9

[40]   L'auteur se fonde sur l'affaire Barreau du Québec c. Québec (Ministre de la justice), [1995] R.J.Q. 900 (C.S.).

[41]   M. PARÉ, op. cit., note 39, p. 9.

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