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DOSSIER 224383-04-0401
[1] Le 8 janvier 2004, Rona l’Entrepôt, l’employeur, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 26 novembre 2003 à la suite d’une révision administrative;
[2] Par cette décision, la CSST confirme celles qu’elle a initialement rendue les 3 juillet et 22 septembre 2003 en déclarant que :
1. La travailleuse a subi une lésion professionnelle le 5 juin 2003 et elle a droit aux prestations prévues à la loi.
2. La CSST est liée par l’avis du Bureau d'évaluation médicale du 17 septembre 2003.
3. La lésion est consolidée le 16 septembre 2003 avec suffisance de soins et traitements à cette date.
4. La CSST est justifiée de poursuivre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu.
DOSSIER 228533-04-0403
[3] Le 2 mars 2004, Rona l’Entrepôt, l’employeur, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la CSST le 26 janvier 2004 à la suite d’une révision administrative;
[4] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 27 novembre 2003 et déclare que la travailleuse conserve une atteinte permanente évaluée à 0%, qu’elle n’a pas droit à une indemnité pour préjudice corporel, qu’elle est porteuse de limitations fonctionnelles et que la CSST est justifiée de poursuivre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu.
DOSSIER 232962-04-0404
[5] Le 26 avril 2004, Rona l’Entrepôt, l’employeur, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la CSST le 20 avril 2004 à la suite d’une révision administrative;
[6] Par cette décision, la CSST confirme les décisions qu’elle a initialement rendues les 24 février et 26 février 2004 en déclarant que la travailleuse avait droit à la réadaptation professionnelle et que l’emploi de designer d’intérieur est un emploi convenable au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1], (la loi), emploi que la travailleuse est capable d’exercer depuis le 24 février 2004 avec droit à l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’au plus tard le 24 février 2005.
[7] Une audience devait être tenue le 12 juillet 2004 à Trois-Rivières mais les parties y ont renoncé. En effet, l’employeur a demandé au tribunal de trancher de façon préalable un moyen de droit et de rendre une décision écrite à cet effet.
[8] Les parties ont alors accepté de plaider par écrit sur cette question. Le 19 juillet 2004, l’employeur a adressé ses représentations écrites. Le 9 août 2004, le tribunal a accepté de prolonger le délai de réplique de la travailleuse. Sa réplique a été déposée au tribunal le 25 août 2004.
[9] L’employeur a demandé la permission de répliquer à ce document, laquelle lui fut accordée et sa réplique fut reçue par le commissaire soussigné le 17 septembre 2004. C’est à cette date que le dossier a été pris en délibéré, la travailleuse n’ayant pas demandé de droit de réplique.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[10] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles d’accueillir son moyen de droit et de déclarer irrégulière la procédure ayant conduit à l’évaluation par un membre du Bureau d'évaluation médicale, le docteur André Girard, le 19 novembre 2003. En conséquence, il demande de déclarer nulle et sans effet la décision de la CSST rendue le 27 novembre 2003 et de constater que la travailleuse n’est pas porteuse d’une atteinte permanente ni de limitations fonctionnelles ce qui fait en sorte qu’elle n’a pas droit à la réadaptation ni à la détermination d’un emploi convenable. Dans l’éventualité où le tribunal acceptait de donner raison à l’employeur sur son moyen de droit, il consent alors à ce qu’une décision soit rendue sur dossier en ce qui concerne les éléments traités dans le dossier 224383-04-0401, n’ayant aucunes représentations à faire à ce sujet.
L’AVIS DES MEMBRES
[11] Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs partagent le même avis. Suite à l’avis du docteur Lamoureux obtenu par la CSST en vertu de l’article 204 de la loi, le médecin qui a charge de la travailleuse en a reçu copie afin de pouvoir produire un rapport complémentaire en vertu de l’article 205.1 de la loi. Même si le médecin traitant ne s’était pas prononcé sur la question de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles, la CSST devait lui donner la chance de donner son avis. De toute façon, le 19 novembre, le médecin qui a charge s’est rallié à l’avis du docteur Lamoureux et il y avait donc unanimité quant aux questions de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. La CSST devait respecter le rôle primordial du médecin qui a charge et constater qu’il n’y avait plus litige au sujet de ces 2 points de sorte que le Bureau d'évaluation médicale n’aurait jamais dû en être saisi. La CSST demeure donc liée par l’avis du médecin qui a charge à l’effet qu’il n’y a pas d’atteinte permanente ni de limitations fonctionnelles. Le versement de l’indemnité de remplacement du revenu devait donc prendre fin à la date de consolidation.
[12] En l’absence d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles, la travailleuse n’avait pas droit à la réadaptation et la CSST n’avait pas à déterminer un emploi convenable. La travailleuse était capable de reprendre son emploi prélésionnel à la date de consolidation.
[13] Comme l’employeur n’a aucune représentation à faire dans le dossier 224383-04-0401 vu les conclusions auxquelles en vient le présent tribunal, il y a lieu de constater que la preuve au dossier est à l’effet que la travailleuse a bien subi une lésion professionnelle le 5 juin 2003 et qu’elle a droit aux prestations prévues à la loi. L’avis du Bureau d'évaluation médicale du 17 septembre 2003 est également bien fondé et la lésion est consolidée le 16 septembre 2003 avec suffisance de soins et traitements à cette date.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[14] Dans une réclamation qu’elle dépose à la CSST le 27 juin 2003, la travailleuse allègue la survenance d’un événement du 5 juin 2003 dans les termes suivants :
LE 5 JUIN 03 AU MATIN, J’ÉTAIS EN TRAIN DE PLACER DE LA MARCHANDISE, REÇUE LE MATIN, DANS LES TABLETTES. PLUSIEURS PALETTES DE BOIS BLEUES BLOQUAIENT L’ACCÈS DU DÉPARTEMENT AUX CLIENTS. J’AI DONC DÉPLACÉ LES PALETTES. APRÈS PLUSIEURS DÉPLACEMENTS, J’AI RESSENTI UNE BRÛLURE AU BAS DU DOS EN LEVANT L’UNE DE CELLE-CI [sic]. J’AI CONTINUÉ MON QUART DE TRAVAIL. DANS L’APRÈS-MIDI, UNE DOULEUR INTENSE SE FAISAIT SENTIR À CHAQUE PAS DANS LE DOS.
[15] Le 7 juin 2003, la travailleuse rencontre le docteur Pierre Martin qui diagnostique une entorse lombaire. Elle reverra le docteur Martin les 16 et 30 juin 2003 et il confirmera la présence d’une douleur lombaire qui persiste.
[16] Le 15 juillet 2003, la travailleuse rencontre le docteur Jean Garceau à la demande de l’employeur. Ce dernier est d’avis que l’événement du 5 juin 2003 a probablement entraîné l’entorse lombaire légère diagnostiquée chez la travailleuse.
[17] Le 16 juillet 2003, la travailleuse a une conversation téléphonique avec son agente d’indemnisation. Elle mentionne qu’un médecin a autorisé un arrêt de travail pour 2 semaines. Son propre médecin de famille est en vacances et elle le reverra à son retour.
[18] Le 29 juillet 2003, la travailleuse discute avec son agente d’indemnisation et lui mentionne que le lendemain elle se rend visiter son médecin de famille, le docteur Jean Desaulniers.
[19] Le 30 juillet 2003, la travailleuse rencontre le docteur Jean Desaulniers qui diagnostique une entorse lombaire sévère. Il indique ce qui suit à l’attestation médicale portant le numéro 48882 :
Dx = Entorse lombaire sévère
Pte vue à l’urgence de Cloutier pendant mon absence (vacances). Je prend en charge le dossier.
Rayon X, Chiro, Physio.
(sic)
[20] Le 30 juillet 2003, le docteur Jean Desaulniers signe un formulaire d’assignation temporaire dans lequel il refuse tout retour au travail. Le même jour, il réfère sa patiente à un chiropraticien ainsi qu’en physiothérapie.
[21] Le 3 septembre 2003, le docteur Desaulniers revoit la travailleuse et maintient le diagnostic d ‘entorse lombaire sévère.
[22] Le 16 septembre 2003, la travailleuse rencontre le docteur Réjean Grenier, orthopédiste, agissant à titre de membre du Bureau d'évaluation médicale. Il note que le docteur Jean Desaulniers est le médecin de famille de la travailleuse. Dans son examen le docteur Grenier note la présence de signes de Waddell. Il indique que la continuité évolutive de la lombalgie le laisse perplexe vu la détérioration notée malgré quelques mois de physiothérapie et de chiropraxie. Il note des éléments de discordance et la douleur prédomine le tableau clinique selon lui. Il émet l’avis que l’entorse lombaire du 5 juin 2003 est consolidée le 16 septembre 2003. Il est d’accord avec le fait que le mécanisme de production de la lésion du 5 juin 2003 ait pu causer une entorse lombaire qu’il qualifie de mineure. Il estime que les traitements qui ont été dispensés à ce jour ont été suffisants et adéquats.
[23] Le 2 octobre 2003, le docteur Desaulniers revoit la travailleuse et diagnostique toujours une entorse lombaire sévère. Il autorise un retour au travail progressif.
[24] Le 8 octobre 2003, la travailleuse démissionne de son emploi chez l’employeur.
[25] Le 28 octobre 2003, la travailleuse rencontre le docteur Gilles Lamoureux, orthopédiste, à la demande de la CSST (article 204 LATMP).
[26] À l’examen objectif, il observe des mouvements normaux de la colonne lombo-sacrée. En effet, même si la flexion est à 85 degrés lorsque la travailleuse est debout, elle est à 90 degrés lorsqu’elle est assise sur la table d’examen. Après avoir pris connaissance des documents, questionné et examiné la travailleuse, il répond de la façon suivante aux questions de la CSST :
1. Existence d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique
Code 203997 : Entorse lombaire sans séquelles fonctionnelles
objectivées DAP 0%
2. Existence de limitations fonctionnelles
Aucune découlant de l’événement du 05.06.2003 considérant la nature de la lésion, son évolution et les observations faites au cours du présent examen.
[27] Sur réception de l’expertise du docteur Lamoureux, la CSST en adresse une copie au docteur Jean Desaulniers qui, le 19 novembre 2003, complète une information médicale complémentaire écrite. Il y mentionne ce qui suit en relation avec les conclusions du docteur Lamoureux sur l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles:
Question 1 Oui, totalement en accord
Question 2 Oui, totalement en accord
Et ce, après lecture complète du dossier de l’expertise du Dr Lamoureux.
[28] Le 6 novembre 2003, lendemain de l’expédition d’une copie de l’expertise du docteur Lamoureux au docteur Desaulniers, la CSST adresse tout de même le dossier au Bureau d'évaluation médicale pour qu’il se prononce sur les questions de l’atteinte permanente et des imitations fonctionnelles.
[29] Le 19 novembre 2003, la travailleuse rencontre le docteur André Girard, membre du Bureau d'évaluation médicale. Le docteur Girard signe son rapport le 21 novembre 2003 et il y conclut à une atteinte permanente de 0% en lien avec le code 203997 prévu pour une entorse lombaire sans séquelles fonctionnelles. Il émet cependant des limitations fonctionnelles décrites comme suit :
Ø Éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquente les activités impliquant de soulever, porter, pousser et tirer des charges de plus de 15 à 25 kilos;
Ø Éviter de travailler en position accroupie;
Ø Éviter de ramper ou de grimper;
Ø Éviter d’effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d’extension et de torsion de la charnière lombo-sacrée;
Ø Éviter de subir des vibrations de basses fréquences ou des contrecoups à la charnière lombo-sacrée.
[30] À la lumière de ces faits, la Commission des lésions professionnelles doit maintenant trancher le moyen de droit soumis par l’employeur et, s’il y a lieu, décider des questions découlant de l’éventuelle admission de ce moyen auquel cas le tribunal pourra aussi décider du sort du dossier 224383-04-0401.
[31] Le tribunal constate qu’en référant la travailleuse au docteur Lamoureux, la CSST se prévalait du droit que lui confère l’article 204 de la loi :
204. La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qu'il se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'elle désigne, pour obtenir un rapport écrit de celui-ci sur toute question relative à la lésion. Le travailleur doit se soumettre à cet examen.
La Commission assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle détermine en vertu de l'article 115.
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1985, c. 6, a. 204; 1992, c. 11, a. 13.
[32] Une fois qu’elle a obtenu un rapport suivant l’article 204, elle doit permettre au médecin qui a charge de fournir un rapport complémentaire par lequel ce dernier peut ou bien étayer ses conclusions, joindre un rapport de consultation motivé ou encore, tel que reconnu par la jurisprudence plus loin citée, accepter les conclusions du médecin désigné par la CSST. C’est l’article 205.1 qui en traite :
205.1. Si le rapport du professionnel de la santé désigné aux fins de l'application de l'article 204 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.
La Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.
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1997, c. 27, a. 3.
[33] En l’espèce, la CSST a bel et bien transmis au docteur Jean Desaulniers copie du rapport du docteur Lamoureux avec un formulaire sur lequel le docteur Desaulniers pouvait s’exprimer.
[34] Le tribunal estime que la CSST a bien agi en transmettant ce document au docteur Desaulniers puisqu’il était bel et bien, en novembre 2003, le médecin qui avait charge de la travailleuse. Il s’agit en effet du médecin de famille de la travailleuse. La preuve révèle de plus qu’il était en vacances lors de la survenance de la lésion et qu’il a pris charge du dossier à son retour à la fin juillet 2003. Il a établi un plan de traitements pour la travailleuse et l’a référée à d’autres intervenants pour qu’elle reçoive des soins de chiropraxie, de physiothérapie, etc. La travailleuse a aussi mentionné à la CSST qu’elle avait choisi un autre médecin en attendant le retour du docteur Desaulniers de ses vacances. En agissant ainsi, elle n’a fait que se prévaloir des dispositions de l’article 199 de la loi :
199. Le médecin qui, le premier, prend charge d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle doit remettre sans délai à celui-ci, sur le formulaire prescrit par la Commission, une attestation comportant le diagnostic et:
1° s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée dans les 14 jours complets suivant la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la date prévisible de consolidation de cette lésion; ou
2° s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée plus de 14 jours complets après la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la période prévisible de consolidation de cette lésion.
Cependant, si le travailleur n'est pas en mesure de choisir le médecin qui, le premier, en prend charge, il peut, aussitôt qu'il est en mesure de le faire, choisir un autre médecin qui en aura charge et qui doit alors, à la demande du travailleur, lui remettre l'attestation prévue par le premier alinéa.(nos soulignés)
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1985, c. 6, a. 199.
[35] Ainsi, comme elle n’a pu choisir le médecin qui a pris charge d’elle en premier lieu puisqu’elle s’est rendue à l’urgence en l’absence de son médecin de famille habituel, elle a aussitôt qu’elle a été en mesure de le faire choisi son médecin de famille habituel comme médecin qui a charge au sens de la loi. C’est aussi le docteur Desaulniers qui a répondu à la demande d’assignation temporaire formulée par l’employeur.
[36] D’ailleurs, après le 30 juillet 2003, il est le seul médecin à avoir suivi la travailleuse hormis une visite ponctuelle chez la docteure Garneau et une visite de référence en spécialité chez le docteur Antoniades. En conséquence, le docteur Desaulniers possède les caractéristiques du médecin qui a charge au sens de la jurisprudence[2].
[37] Le docteur Desaulniers disposait donc d’un délai de 30 jours pour répondre au rapport du docteur Lamoureux. Ce rapport lui ayant été expédié le 5 novembre 2003, le docteur Desaulniers l’a probablement reçu quelques jours plus tard et il bénéficiait donc d’un délai allant jusqu’aux environs du 10 décembre pour y répondre. C’est d’ailleurs ce qu’il a fait le 19 novembre 2003.
[38] Or, en même temps, la CSST a décidé d’enclencher le processus auprès du Bureau d'évaluation médicale probablement pour des motifs louables comme la réduction du délai de traitement du dossier. Cependant, en agissant ainsi elle contrevenait aux termes mêmes de l’article 205.1 qui est clair à l’effet que le médecin du travailleur a droit à 30 jours pour répondre au rapport du médecin de la CSST, la CSST devant par la suite soumettre ce rapport, en compagnie des autres, au Bureau d'évaluation médicale. C’est donc dire que le Bureau d'évaluation médicale ne peut être saisi du dossier tant que le médecin qui a charge n’a pas fourni son rapport, n’a pas indiqué qu’il n’avait pas l’intention d’en produire ou encore n’a pas fait défaut de le produire dans le délai requis.
[39] En conséquence, la référence au Bureau d'évaluation médicale était prématurée et contrevenait aux termes de l’article 205.1 par lequel le législateur a clairement mentionné son intention de donner ni plus ni moins qu’un droit de réplique au médecin qui a charge avant que le dossier ne soit transmis au Bureau d'évaluation médicale. En agissant prématurément, la CSST n’a pas respecté l’intention du législateur et a transmis le dossier au Bureau d'évaluation médicale sans que le membre désigné ne bénéficie d’un dossier complet.
[40] Mais il y a plus. Dès le 19 novembre, le médecin qui a charge mentionnait qu’il était complètement d’accord avec le docteur Lamoureux quant à l’absence de déficit anatomo-physiologique et de limitations fonctionnelles. Il indique même que cette opinion résulte d’une lecture complète du dossier et de l’expertise du docteur Lamoureux. Force est donc de constater qu’à partir du 19 novembre 2003, il n’y avait plus de litige quant aux sujets de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles puisqu’ils faisaient l’unanimité entre le médecin qui a charge et le médecin désigné par la CSST. Il devenait donc totalement inutile de référer le dossier au Bureau d'évaluation médicale et, si la CSST avait attendu le délai prévu par la loi avant d’effectuer la référence, ce dossier ne se serait jamais rendu sur le bureau du docteur Girard.
[41] En effet, le Bureau d'évaluation médicale est là pour trancher des litiges et non pour en créer. Ainsi, s’il n’y a pas contradiction entre l’avis du médecin désigné et celui du médecin qui a charge, il n’y a aucune utilité ni nécessité de référer le dossier au Bureau d'évaluation médicale. L’article 217 de la loi prévoit spécifiquement que la Commission soumet sans délai les contestations prévues notamment à l’article 205.1 au Bureau d'évaluation médicale.
[42] En faisant ainsi référence à l’article 205.1, le législateur réaffirme son intention que le rapport complémentaire du médecin qui a charge fasse partie de l’envoi au Bureau d'évaluation médicale confirmant ainsi que le dossier ne peut être envoyé à cet organisme avant que le processus prévu à l’article 205.1 ne soit terminé.
[43] Comme le 19 novembre 2003 la question de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles était réglée, l’avis rendu par le Bureau d'évaluation médicale le 21 novembre 2003 sur ces sujets doit donc être annulé puisque irrégulier. Point n’est besoin de retourner le dossier à la CSST comme l’employeur le demande puisque le présent tribunal, en vertu des pouvoirs prévus à l’article 377 de la loi, peut rendre la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu. Or, lorsque la CSST a rendu sa décision initiale le 27 novembre 2003, elle aurait dû constater que la référence au Bureau d'évaluation médicale avait été faite à l’encontre de la loi et se déclarer liée par l’avis du médecin qui a charge qui confirmait celui du médecin désigné et ce, en vertu des dispositions de l’article 224 de la loi qui se lit comme suit :
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.
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1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.
[44] Le présent tribunal a donc le pouvoir de rendre la décision qui aurait dû être rendue initialement.
[45] En conséquence, la CSST ne devrait jamais transmettre le dossier au Bureau d'évaluation médicale avant que le processus du rapport complémentaire ne soit terminé et si elle le fait avant cette date pour sauver du temps, elle devrait demander au Bureau d'évaluation médicale de convoquer le travailleur à une date postérieure au délai pendant lequel le médecin qui a charge peut fournir son rapport, lui permettant ainsi d’annuler le rendez-vous le cas échéant.
[46] Il faut rappeler que la lettre et l’esprit de la loi consacrent la primauté de l’avis du médecin qui a charge sauf exception. Il faut respecter ce principe en l’espèce et conclure à l’absence d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles.
[47] Le soussigné a déjà rendu des décisions en ce sens et réfère les parties aux motifs qui y sont exposés[3]. Plusieurs autres commissaires se sont d’ailleurs prononcés dans le même sens[4].
[48] La travailleuse affirme dans son argumentation que le processus de rapport complémentaire prévu à l’article 205.1 ne s’applique pas si la CSST a obtenu un rapport en vertu de l’article 204 sur un des sujets mentionnés aux paragraphes 1 à 5 du premier alinéa de l’article 212 alors que le médecin qui a charge du travailleur ne s’était pas déjà prononcé à cet effet.
[49] Le tribunal ne croit pas qu’il y ait 2 ou 3 droits différents de la CSST de transmettre un dossier au Bureau d'évaluation médicale. Il n’existe qu’un seul droit qui est prévu à l’article 205.1. Le droit à l’expertise est pour sa part prévu à l’article 204 de la loi. L’article 206 n’est qu’une modalité de l’article 205.1 qui prévoit que la CSST, en plus des droits prévus à l’article 205.1, peut même demander une opinion au Bureau d'évaluation médicale en l’absence d’avis du médecin qui a charge. Cela ne dispense pas alors de donner la chance au médecin qui a charge de remplir un rapport complémentaire, surtout qu’il ne s’est jamais prononcé sur la question.
[50] Si le législateur a prévu le droit pour un médecin qui a charge d’étayer des conclusions déjà émises, il serait surprenant qu’il ait décidé que ce même médecin qui a charge, s’il ne s’est pas prononcé sur un sujet donné, n’ait aucune occasion de le faire. Pourquoi permettre parfois au médecin qui a charge de se «reprononcer» sur un point et lui refuser à d’autres occasions le droit de donner une première opinion sur ce même sujet? Conclure ainsi irait à l’encontre d’une règle d’interprétation à l’effet qu’une disposition n’est pas sensée amener à des résultats pratiques illogiques et qui vont contre l’esprit d’une loi et l’intention du législateur.
[51] En rédigeant l’article 205.1, le législateur voulait donner au médecin qui a charge l’opportunité de répondre au médecin désigné avant la référence au Bureau d'évaluation médicale. Pourquoi ce souhait législatif ne s’appliquerait-il pas lorsque le médecin qui a charge ne s’est pas prononcé sur un sujet? N’est-ce pas en ces circonstances qu’il est encore plus utile et impératif de donner la chance au médecin qui a charge de s’exprimer pour que le Bureau d'évaluation médicale ne procède pas en l’absence de l’opinion du médecin de l’une des deux parties?
[52] Le caractère paritaire qui sous-tend le régime d’indemnisation prévu par la Loi milite aussi en faveur du droit du travailleur à ce que son médecin s’exprime même si la CSST se sert des dispositions de l’article 206. Il est important que le membre du Bureau d'évaluation médicale bénéficie de l’opinion des médecins des deux parties avant de se prononcer, à moins que le médecin qui a charge ne saisisse pas l’occasion qui lui est fournie par l’article 205.1.
[53] Le tribunal estime donc que la procédure de rapport complémentaire prévue à l’article 205.1 s’applique à toutes les demandes de référence au Bureau d'évaluation médicale requises par la CSST, même si elle se sert de son droit de soumettre le dossier au Bureau d'évaluation médicale malgré le silence du médecin qui a charge sur un point précis. L’article 206 constitue donc un droit pour la CSST de soumettre un rapport même sur un sujet non traité par le médecin qui a charge. Ceci n’emporte pas le droit de référer le dossier au Bureau d'évaluation médicale sans respecter l’obligation d’obtenir le rapport complémentaire prévu à l’article 205.1 de la loi.
[54] Quant au choix de formulaire effectué par la CSST pour obtenir l’avis du médecin qui a charge, ceci importe peu. À la connaissance du tribunal, l’information médicale complémentaire écrite est celle qui est souvent utilisée dans les circonstances. De toute façon, le fond doit l’emporter sur la forme et la lecture de ce document indique bien que la CSST demande au médecin qui a charge s’il est d’accord ou non avec les conclusions du médecin désigné ce qui remplit l’esprit et la lettre de l’article 205.1.
[55] La Commission des lésions professionnelles a de plus déjà décidé dans l’affaire Grandbois et Atelier Poly-Tech inc.[5] que rien n’empêche la CSST de soumettre un rapport d’évaluation médicale au médecin traitant pour avoir ses commentaires en lui demandant de répondre à des questions explicites et précises comme en l’espèce. Lorsque le médecin traitant répond clairement qu’il est d’accord avec la conclusion du médecin désigné, cette réponse peut valablement lier la CSST aux termes de l’article 224 de la loi. En conséquence, même si le présent tribunal avait conclu que la procédure prévue à l’article 205.1 ne s’appliquait pas aux cas prévus à l’article 206, force est de constater que, de toute façon, il aurait constaté que le médecin qui a charge s’est clairement exprimé à la demande de la CSST sur les questions de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles, ce qui fait en sorte qu’il n’y avait plus besoin de référer le dossier au Bureau d'évaluation médicale.
[56] Comme le tribunal constate l’absence d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles, il ne peut que conclure automatiquement à l’absence de droit à la réadaptation tel que prévu à l’article 145 de la loi :
145. Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.
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1985, c. 6, a. 145.
[57] En effet, en l’absence d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles, la réadaptation ne peut s’offrir au travailleur.
[58] Il faut également constater qu’aucun emploi convenable n’avait à être déterminé dans ce dossier en l’absence d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles. La travailleuse est donc capable de reprendre son emploi prélésionnel rendant ainsi inutile la détermination d’un emploi convenable.
[59] Quant au dossier 224383-04-0401, l’employeur n’a aucune représentation à offrir et la travailleuse n’a logé aucun recours quant aux sujets qu’il traite. Le tribunal estime que la preuve au dossier démontre clairement que la travailleuse a subi un accident du travail le 5 juin 2003 au sens des articles 28 et 2 de la loi. Il s’agit d’ailleurs de l’avis du médecin qui a charge de l’employeur et d’un membre du Bureau d'évaluation médicale.
[60] Il est également évident que l’avis du premier membre du Bureau d'évaluation médicale au niveau de la consolidation et des soins est bien fondé. Il y a lieu de confirmer les décisions de la CSST à cet effet.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de Rona l’Entrepôt, l’employeur;
CONFIRME la décision rendue par la CSST le 26 novembre 2003 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 5 juin 2003, soit une entorse lombaire;
DÉCLARE que cette lésion est consolidée le 16 septembre 2003 sans nécessité de soins après cette date;
Dossier 228533-04-0403
ACCUEILLE la requête logée par Rona l’Entrepôt, l’employeur;
INFIRME la décision rendue par la CSST le 26 janvier 2004 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la CSST a transmis le dossier de la travailleuse au Bureau d'évaluation médicale de façon prématurée et que son avis doit être annulé;
DÉCLARE que la CSST est liée par l’avis du docteur Jean Desaulniers émis en réponse à celui du docteur Lamoureux;
DÉCLARE que la lésion professionnelle n’a pas laissé d’atteinte permanente ni de limitations fonctionnelles;
DÉCLARE que la travailleuse avait droit à l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à la date de consolidation;
Dossier 232962-04-0404
ACCUEILLE la requête de l’employeur, Rona l’Entrepôt;
INFIRME la décision rendue par la CSST le 20 avril 2004 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse n’a pas droit à la réadaptation professionnelle ni à la détermination d’un emploi convenable puisqu’elle est capable d’exercer son emploi prélésionnel à partir de la date de consolidation.
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Me Jean-François Clément |
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Commissaire |
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Josée Landreville Blain |
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Groupe-Conseil Aon inc. |
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Représentante de la partie requérante |
[1] L.R.Q., c. A-3001
[2] Voir notamment Marceau et Gouttière Rive-Sud de Fabrication inc., 91084-62-9709, le 22 octobre 1999, H. Marchand
[3] Fortin et Société Groupe EMB Pepsi Canada, 229370-09-0403, 8 juin 2004, J.-F. Clément
Hébert et Dépanneur FG, 179207-04-0202, 14 mai 2002, J.-F. Clément
[4] Voir notamment Lagueux et Maisons Mobiles de Thetford, C.L.P. 94938-03B-9803, 11 mars 1999, P. Brazeau; Briceus et Teinturiers Concorde, C.L.P. 105960-72-9810, 8 février 1999, L. Boudreault; Grignano et Récital Jeans inc. [2000], C.L.P. 329 ; Boisonneault et Costco Ste-Foy, Division Entrepôt, C.L.P. 190343-32-0209, 4 février 2003, G. Tardif; Sasseville et Entreprise Claude Doré inc., C.L.P. 167626-02-0108, 4 décembre 2001, C. Bérubé; Courcelles et The Gazette, 126795-72-9911, 31 mars 2000, R. Langlois; Levesque et Toiture PLC inc., [2002], C.L.P. 823 .
[5] C.A.L.P., 65522-62A-9412, 20 mars 1996, M. Lamarre
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