Gérard Crête & Fils inc. et Industries John Lewis ltée |
2008 QCCLP 3192 |
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[1] Le 3 juillet 2007, l’employeur, Gérard Crête & Fils inc., dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 27 juin 2007 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme sa décision initiale du 2 février 2007 et déclare que la demande de transfert du coût des prestations faites par l’employeur ne respecte pas les conditions prévues par le Règlement sur la nouvelle détermination de la classification, de la cotisation d’un employeur et de l'imputation du coût des prestations[1] (le Règlement) et conclut que l’employeur doit être imputé de l’ensemble des coûts des prestations reliées au dossier.
[3] Dans une lettre datée du 27 février 2008, le représentant de l’employeur informe la Commission des lésions professionnelles de son absence à l’audience devant se tenir à Trois-Rivières le 22 février 2008. Il soumet une argumentation écrite et demande au tribunal de rendre une décision à partir des éléments contenus au dossier de monsieur Michel L. Baril (le travailleur).
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4]
L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de
déclarer que la CSST aurait dû rendre une décision initiale en application de
l’article
LES FAITS ET LES MOTIFS
[5] La preuve démontre que le travailleur travaille comme opérateur de chariot élévateur pour l’employeur depuis le mois de mars 1980. Le 27 août 2004, le travailleur soumet une réclamation à la CSST afin de faire reconnaître que ses problèmes au dos, à la hanche et à la jambe droite constituent une lésion professionnelle. Il allègue que ces problèmes sont en relation avec des microtraumatismes puisque les machines qu’il conduit n’ont pas de suspension.
[6] Dans une décision initiale datée du 3 septembre 2004, confirmée par une décision faisant suite à une révision administrative datée du 10 novembre 2004, la CSST refuse la réclamation du travailleur. Celui-ci la conteste devant la Commission des lésions professionnelles.
[7]
Le 7 mars 2006, la Commission des lésions professionnelles rend une
décision sur l’admissibilité de la lésion professionnelle. Dans un premier
temps, la Commission des lésions professionnelles éclaircit la question du
diagnostic à retenir aux fins de déterminer si le travailleur a subi une lésion
professionnelle. Le tribunal précise que le diagnostic qui doit être retenu est
celui de discopathie lombaire avec sténose spinale. Dans un deuxième temps, en
faisant référence à l’article
[8] À la suite de cette lésion, le travailleur se voit reconnaître une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique et des limitations fonctionnelles l’empêchant de reprendre son travail. La CSST détermine également qu’elle versera au travailleur une indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’il ait l’âge de 68 ans, celle-ci devant diminuer graduellement à partir de son 65e anniversaire de naissance.
[9]
Le 16 mars 2006, une représentante mandatée par l’employeur écrit deux lettres
à la CSST. Par la première lettre, l’employeur demande de revoir l’imputation
des coûts du dossier au regard de l’article
[10] Le 24 mars 2006, la CSST rend une décision par laquelle elle indique à l’employeur qu’il lui impute le coût des prestations dues en raison de l’accident du travail survenu au travailleur. Le 29 mars 2006, l’employeur demande la révision de cette décision.
[11] Le 18 juillet 2006, dans une décision faisant suite à une révision administrative, la CSST déclare irrecevable la demande de révision de l’employeur datée du 29 mars 2006 pour les motifs suivants :
La révision administrative retient que la lettre du 24 mars
2006 n’est pas une réponse aux requêtes en article 328 et article 329 mais bien
la lettre «automatique» prévue par l’article
Faute d’une analyse et d’une conclusion face à la double requête de l’employeur, la révision administrative estime n’avoir pas la compétence pour réviser une ou des décisions non rendues en regard des articles 328 et 329. Dans les faits, il y a avis automatique d’imputation (326-331) et l’employeur doit déposer par écrit, à la direction régionale de la CSST concernée, sa ou ses demandes en exposant ses motifs. La CSST doit alors rendre une décision précise en regard des sujets questionnés (328-329).
L’employeur a fait, avant terme, sa démarche mais il reste à la CSST de rendre les décisions requises afin d’éventuellement faire droit à la requête de l’employeur sinon de donner ouverture en révision concernant les articles pertinents. Pour l’instant, la demande est irrecevable faute de décision (article 328 et/ou article 329) en première instance et donc de compétence en révision.
Après vérification auprès de la CSST en première instance, le partage de l’imputation questionné par l’employeur sera vraisemblablement examiné vers l’automne 2006 prochain. C’est seulement suite à cette (ou ces) décision(s) que sera alors ouvert le droit de révision puisqu’une décision aura été rendue sur un droit précis questionné par l’employeur. (sic)
[12]
En conséquence, la CSST retourne le dossier en première instance afin
qu’elle puisse rendre la ou les décisions qui s’imposent à la suite d’une
analyse quant aux demandes formulées par l’employeur pour l’application des
articles
[13]
Le 31 octobre 2006, une agente de la CSST procède à l’analyse de la
demande de partage d’imputation des coûts de l’employeur en vertu de l’article
[14]
Le 31 janvier 2007, une agente de la CSST procède à l’analyse de la
demande de l’employeur concernant l’application de l’article
[15]
Le 24 avril 2007, dans une décision faisant suite à une révision
administrative, la CSST se saisit uniquement de la demande de révision de
l’employeur quant à la décision concernant la demande de partage d’imputation
des coûts en vertu de l’article
[16]
Le 27 juin 2007, dans une décision faisant suite à une révision
administrative, la CSST se saisit de la demande de révision de l’employeur
portant sur la demande d’application de l’article
[17]
Le 1er août 2007, la Commission des lésions professionnelles
rend une décision concernant la demande de partage d’imputation des coûts en
vertu de l’article
[18]
Au regard de la demande de partage d’imputation des coûts en vertu de
l’article
[19]
L’article
[20]
Lorsque la lésion professionnelle est une maladie professionnelle,
l’article
328. Dans le cas d'une maladie professionnelle, la Commission impute le coût des prestations à l'employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer cette maladie.
Si le travailleur a exercé un tel travail pour plus d'un employeur, la Commission impute le coût des prestations à tous les employeurs pour qui le travailleur a exercé ce travail, proportionnellement à la durée de ce travail pour chacun de ces employeurs et à l'importance du danger que présentait ce travail chez chacun de ces employeurs par rapport à la maladie professionnelle du travailleur.
Lorsque l'imputation à un employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer sa maladie professionnelle n'est pas possible en raison de la disparition de cet employeur ou lorsque cette imputation aurait pour effet d'obérer injustement cet employeur, la Commission impute le coût des prestations imputable à cet employeur aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités ou à la réserve prévue par le paragraphe 2° de l'article 312 .
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1985, c. 6, a. 328.
[21]
Or, en l’espèce, le 7 mars 2006, la Commission des lésions
professionnelles a reconnu que le travailleur était atteint d’une maladie
professionnelle. Ainsi, comme le plaide l’employeur, la CSST se devait donc de
rendre une décision conformément à l’article
[22]
Ainsi, tel qu’il a déjà été décidé dans l’affaire Nettoyage Docknet
inc.[3], la Commission des
lésions professionnelles retient que la CSST n’avait jamais rendu de décision
auparavant concernant l’article
[23] Dans Nettoyage Docknet inc., le commissaire Clément fait référence à d’autres décisions rendues au même effet sur le sujet notamment dans l’affaire Allstom Canada Inc. (Transport Daviault)[5]. Voici ce qu’il rapporte :
[32] Dans l’affaire Allstom Canada Inc.
(Transport Daviault)[6], la Commission des
lésions professionnelles rappelait que l’article
[24]
La Commission des lésions professionnelles est d’avis que ces principes
s’appliquent également au présent cas. Contrairement à ce qu’affirme la CSST,
il ne s’agit pas d’un cas d’application du Règlement et la CSST aurait dû
rendre une décision initiale à la suite de la demande de l’employeur
relativement à l’application de l’article
[25] En vertu de cette disposition, la CSST devait donc vérifier si le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer sa discopathie lombaire avec sténose spinale pour plus d’un employeur auquel cas elle devait alors imputer le coût des prestations aux employeurs pour qui le travailleur a exercé un tel travail, proportionnellement à la durée du travail effectué chez chacun et à l’importance du danger qu’il présentait.
[26]
Par ailleurs, dans le présent cas, quoiqu’elle n’en fasse pas état dans
la décision rendue le 2 février 2007 à l’origine du présent litige, la CSST
indique à ses notes évolutives qu’elle refuse d’appliquer l’article
[27]
Ce faisant, tel que l’a constaté la Commission des lésions
professionnelles à plusieurs reprises dans le passé, la CSST applique une
orientation ou une politique interne selon laquelle, seul l'employeur chez qui
les symptômes sont apparus doit être imputé des coûts découlant de cette
maladie. Or, comme elle l’a déjà décidé à maintes reprises, la
Commission des lésions professionnelles considère que cette
interprétation est contraire au libellé de l'article
[28] Dans Nettoyage Doknet inc.[8], le commissaire Clément retient également ce qui suit :
[36] Le premier exercice est donc de vérifier si le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer une épicondylite chez d’autres employeurs. La Loi ne mentionne pas que le travail doit avoir effectivement engendré le diagnostic en cause mais plutôt avoir été de nature à engendrer ce diagnostic. Cette disposition évite ainsi des débats interminables sur l’impact réel et actuel de chacun des emplois exercés sur l’évolution d’une lésion. Le législateur a plutôt choisi de partager les coûts entre tous les employeurs chez qui un travailleur a exercé un travail qui, en théorie, est de nature à engendrer une telle maladie.
[29]
Ainsi, aux fins de l’application de l’article
[19] Dans la présente affaire, la CSST devait vérifier si le travail effectué chez chacun des employeurs identifiés par le travailleur est également de nature à engendrer son syndrome de canal carpien bilatéral pour lequel le travailleur dépose une réclamation. Dans l’affirmative, la CSST doit analyser la durée de ce travail et le niveau de danger retrouvé chez chacun des employeurs. Ainsi, à la suite de cette analyse, la CSST peut conclure que seul le travail fait chez le dernier employeur est de nature à engendrer la maladie professionnelle et, dès lors, refuser sa demande de partage de coûts. Elle peut, dans le cas contraire, conclure que le travail exercé chez plus d’un employeur est de nature à engendrer sa maladie et, en conséquence, procéder à un partage d'imputation des coûts.[9]
[30]
Dans le passé, ne disposant pas de l’ensemble des informations au regard
des employeurs chez qui le travailleur ou la travailleuse a travaillé, de la
durée de travail chez ces différents employeurs et de l’importance du danger,
la Commission des lésions professionnelles a retourné le dossier à la CSST pour
qu’elle fasse l’analyse comme il se doit en vertu de l’article 328 de la loi.[10]
Or, dans le présent cas, la Commission des lésions professionnelles dispose
d’informations très générales qui ne lui permettent pas de rendre une décision
éclairée quant à l’application de l’article
[31]
Compte tenu de ce qui précède, la Commission des lésions
professionnelles fait suite à la demande de l’employeur et conclut que la CSST
doit procéder à une analyse des éléments contenus au dossier du travailleur en
relation avec les dispositions du deuxième alinéa de l'article
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de Gérard Crête & fils inc., l’employeur;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 27 juin 2007 à la suite d’une révision administrative;
RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et
de la sécurité du travail afin qu’elle dispose de la demande de partage
d'imputation des coûts de l’employeur en fonction des dispositions du deuxième
alinéa de l’article
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Me Monique Lamarre |
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Commissaire |
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Me Michel Sansfaçon |
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MUTUELLE DE PRÉVENTION (ASSIFQ) |
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Procureur de la partie requérante |
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[1] LRQ c. 3.001 r. 2.01.1
[2] L.R.Q., c. A-3.001
[3] C.L.P., 264501-64-0506, 2005-10-19, J.-F. Clément.
[4] Voir aussi Capital JAS ltée, C.L.P.
[5] [2004] C.L.P. 419
[6] [2004] C.L.P. 419
[7] Voir notamment Provigo (Division Montréal Détail), 200147-71-0302, 2003-07-03, C. Racine; Capitale JAS ltée, 238225-64-0406, 2005-05-17, R. Daniel; Guy Thibault
Pontiac Buick Cadillac, 205684-03B-0304, 2005-06-20, P. Simard, (décision
accueillant la requête en révision); Hôtel
Loews Le Concorde et CSST, C.L.P.
[8] Précitée note 3
[9] Cambior-Mine Doyon, précitée note 7.
[10] Voir notamment Cambior-Mine
Doyon, précitée note 7; Centre Serv. Ress. Humaines Civils E. et D.R.H.C., C.L.P.,
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