DÉCISION
Dossier 126914-62-9911
[1] Le 17 novembre 1999, Normand Roy (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision de la révision administrative de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (C.S.S.T.) datée du 29 octobre 1999. Cette décision confirme une décision de la C.S.S.T. du 7 octobre 1998 qui refuse sa réclamation pour un syndrome du canal carpien bilatéral diagnostiqué le 4 mai 1998, puisqu’il ne s’agit pas d’une lésion qui découle d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.
Dossier 142481-62-0006
[2] Le 28 juin 2000, le travailleur dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision de la révision administrative de la C.S.S.T. du 24 mai 2000. Cette décision confirme une décision de la C.S.S.T. du 20 mars 2000, refusant sa réclamation du 28 février 2000 pour une rechute, récidive ou aggravation du canal carpien bilatéral, puisque sa réclamation initiale est refusée.
[3] Une première journée d’audience a eu lieu le 27 juin 2000 en présence du travailleur, de son représentant et des représentants de Komatsu international (Canada) inc. (l'employeur). L’audience a été ajournée au 23 novembre 2000 pour permettre à la Commission des lésions professionnelles une visite du poste de travail occupé par monsieur Roy chez l'employeur. Une troisième journée d’audience s’est tenue le 2 avril 2001 pour permettre aux parties de compléter leur preuve et de faire leurs représentations. C’est à cette date que le dossier est mis en délibéré.
LES OBJETS DES CONTESTATIONS
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que le canal carpien bilatéral est une maladie professionnelle.
LA PREUVE
L’histoire professionnelle et médicale de Normand Roy
[5] Normand Roy, né le 15 décembre 1952, a été mécanicien à la compagnie Canada Parker pendant quinze ans.
[6] Le 5 février 1996, il est embauché chez Komatsu international (Canada) inc. au poste d’assembleur de véhicules lourds. Du 5 février 1996 au 21 septembre 1997, il travaille le soir à l’assemblage des cabines des véhicules.
[7] Depuis le 22 septembre 1997, il travaille à l’assemblage de moteurs et de transmissions.
[8] En novembre ou décembre 1997, il commence à éprouver, la nuit, un phénomène d’engourdissement dans les mains et les doigts. Le 9 mars 1998, il consulte le docteur Villeneuve qui le réfère au docteur Serge Côté, chirurgien-plasticien.
[9] Le 4 mai 1998, le docteur Côté examine le travailleur et diagnostique, au rapport médical destiné à la C.S.S.T., un syndrome du canal carpien bilatéral en investigation.
[10] Le 28 mai 1998, à la demande du docteur Côté, le travailleur subit un électromyogramme bilatéral. Le neurologue conclut que l’étude confirme la présence d’une compression légère à modérée, bilatérale, du nerf médian au niveau du canal carpien. Il retourne le travailleur à son médecin traitant pour discuter des options thérapeutiques.
[11] Le 26 juin 1998, le docteur Côté procède à une infiltration de cortisone au niveau de la gaine des tendons des poignets. Il précise que les malaises sont présents depuis environ dix mois.
[12] Le 2 juillet 1998, le travailleur dépose une réclamation à la C.S.S.T. La description de l’événement se lit comme suit :
«Tout en effectuant mon travail j’ai commencé a ressentir des engourdissements aux doigts de chaque main. J’ai consulter un médecin le 4/5/98. Tunnel carpien bilatéral en investigation. Mon travail consiste a assembler moteur et transmission. Je soulève des pièces pouvant aller jusqu’à 40 lbs. J’utilise fréquemment des outils pneumatique avec des mouvements répétitifs.» (sic)
[13] Le travailleur n’est pas mis en arrêt de travail. Le 23 juillet 1998, à la demande de l'employeur, le docteur Jean Vézina examine le travailleur. Le docteur Vézina confirme le diagnostic du syndrome de canal carpien bilatéral. Il est d’avis qu’il s’agit d’une condition personnelle, sans relation avec le travail et non aggravé par celui-ci. Il note que les infiltrations ont amélioré la condition. S’il y avait réapparition des symptômes, il est probable qu’une sanction chirurgicale de décompression du canal soit proposée.
[14] Monsieur Roy poursuit son travail jusqu’aux dernières semaines du mois de juillet, puisque l’usine ferme jusqu’au début de septembre 1998, pour procéder à des aménagements.
[15] Il reprend son travail d’assembleur aux moteurs et transmissions en septembre 1998. Ses douleurs et engourdissements vont alors augmenter de façon graduelle et constante.
[16] À cette même époque, la C.S.S.T. soumet le dossier de monsieur Roy à son bureau médical, pour obtenir une opinion quant à la relation causale entre le diagnostic et le travail. Le médecin de la C.S.S.T., après avoir pris connaissance du dossier, est d’avis qu’il y a des mouvements variés, sans notion de cadence. Elle conclut qu’il ne peut s’agir d’une maladie professionnelle.
[17] Le 7 octobre 1998, la C.S.S.T. refuse la réclamation du travailleur.
[18] Le 2 juillet 1999, monsieur Roy consulte le docteur M. Martel qui diagnostique un canal carpien bilatéral. À l’attestation médicale destinée à la C.S.S.T., le docteur Martel précise que le travailleur peut continuer à travailler. Il le réfère en plastie, auprès du docteur David K. Nonnenman. Il suggère le port d’une orthèse à l’essai, la nuit, du côté droit.
[19] Le 29 octobre 1999, la révision administrative de la C.S.S.T., après avoir visionné une vidéocassette tournée chez l'employeur, montrant un travailleur faisant un travail semblable à celui de monsieur Roy, confirme le refus de la réclamation, d’où la première requête du travailleur.
[20] Le 28 février 2000, monsieur Roy consulte le docteur Michel Gauthier. Il diagnostique un syndrome du canal carpien bilatéral par mouvements répétés et forçants. Il note des mouvements de préhension, de flexion, d’extension, de vissage et de dévissage au travail. Il précise que monsieur Roy est en attente d’une consultation en plastie pour une décompression. Monsieur Roy est mis en arrêt de travail et dépose une réclamation à la C.S.S.T.
[21] Le 9 mars 2000, le docteur Nonnenman examine le travailleur. Il diagnostique un syndrome de canal carpien bilatéral et précise qu’il procédera à des décompressions.
[22] Le 20 mars 2000, la C.S.S.T. refuse la deuxième réclamation de monsieur Roy. Ce refus est maintenu en révision administrative de la C.S.S.T., d’où la seconde requête de monsieur Roy.
[23] Le 12 avril 2000, le travailleur subit une décompression du canal carpien droit et une correction du pouce à ressort droit par le docteur Nonnenman.
[24] Le 17 mai 2000, le travailleur subit la décompression du canal carpien gauche.
[25] Le travailleur n’est diagnostiqué d’aucune condition médicale tels le diabète ou une dysfonction de la glande thyroïde. Comme activités hors travail, monsieur Roy construit des cabanes pour oiseaux pendant ses loisirs (une par année). Il joue un peu de guitare et fait un peu de dessin.
[26] Le 28 juin 2000, le docteur Nonnenman émet un rapport final où il consolide le syndrome du canal carpien bilatéral le 24 juillet 2000, sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle.
[27] Le travailleur est revenu à son travail au mois d’août 2000.
[28] Les parties ont admis que douze autres travailleurs sont atteints du syndrome du canal carpien. Plusieurs d’entre eux font ou ont fait un travail similaire à celui de monsieur Roy. Un certain nombre d’entre eux ont déposé une réclamation à la C.S.S.T. Certaines réclamations ont été refusées, au moins une a été acceptée, celle de René Sorel, et au moins une autre est en attente d’une décision de la Commission des lésions professionnelles, celle de Gilbert Gauthier.
[29] Le syndicat des travailleurs chez l'employeur, dans son communiqué écrit aux membres, de mai 2000, a fourni quelques informations concernant les symptômes d’un canal carpien.
La description du travail de l’assembleur de moteurs et transmissions chez Komatsu
[30] Le poste d’assembleur occupé par monsieur Roy consiste essentiellement à assembler le moteur et la transmission de véhicules lourds. Il s’agit d’une des étapes du montage des véhicules, telles les pelles mécaniques, etc.
[31] Une description écrite du travail à ce poste est au dossier. Les parties en admettent son contenu. Le dossier contient une série de 21 photographies de monsieur Roy, représentant les différentes tâches de l’assembleur pour un modèle 250. Monsieur Roy a commenté et mimé chacun des gestes lors de la première journée d’audience.
[32] À la requête des parties, la Commission des lésions professionnelles a visité l’usine le 23 novembre 2000. La Commission des lésions professionnelles, l’assesseure médical, les parties, leurs représentants respectifs, le docteur Gauthier pour le travailleur et le docteur Jean Vézina pour l'employeur, ont pu voir monsieur Roy procéder à un cycle complet de l’assemblage d’un moteur et d’une transmission, modèle 250.
[33] L’horaire de travail de monsieur Roy s’échelonne du lundi au vendredi, de 7 h à 15 h 30; le quart de travail est entrecoupé de deux pauses de dix minutes et d’une pause-repas de trente minutes. Quelques minutes peuvent être ajoutées à chaque pause pour se laver les mains et aller à la toilette.
[34] De 7 (pour les plus gros modèles) à 10 moteurs et transmissions (pour les plus petits modèles) sont assemblés pendant un quart de travail. La description écrite indique, pour chaque type de moteur, le nombre de boulons et le type d’outils utilisé.
[35] De façon générale, le travail d’assembleur consiste essentiellement à visser, dévisser des boulons, des attaches, intégrer des petites pièces, certaines montées au préalable par l’assembleur. C’est un travail essentiellement manuel, sollicitant les deux mains. Le travailleur utilise également des outils à air comprimé (4 et 6 livres), des clés à rochet, des clés dynamométriques (3,5 kilos, la plus petite), une clé ordinaire et, à quelques occasions, le travailleur utilise un tournevis. La plupart des boulons sont d’abord vissés à la main, puis le travail se termine avec un ou deux outils.
[36] Selon la description écrite du poste de travail, le moteur de type 250, celui assemblé par monsieur Roy lors de la visite du 23 novembre 2000, compte 75 pièces à poser ou à manipuler en 50 minutes. Le modèle 450, le plus gros, compte 101 pièces à installer en 60 minutes. Afin de donner un aperçu de ce que ce travail comporte, voici comment les parties ont décrit les pièces et les outils à utiliser pour le moteur de type 250 :
«250 moteur 3 boulons support air gun
3 boulons starter air gun
1 raccord doigts clef
2 boulons + braquette doigts air gun
12 studs doigts air gun
drain à l’huile doigts clef
transmission 2 boulons pompe doigts torque
1 plug (block) doigts air gun
1 raccord (block) doigts torque
8 bride + 8 boulons doigts air gun torque
2 gros raccord doigts torque
3 hoses + joint torique doigts torque
1 hose doigts torque
accouplement 8 écrous + 8 rondelles doigts air gun torque
4 écrous + 4 rondelles doigts torque
2 joints toriques doigts»
[37] Monsieur Roy est droitier. Par contre, lors de l’exécution de son travail, il doit souvent utiliser l’une ou l’autre main, ou encore les deux.
[38] À l’occasion, monsieur Roy est accroupi afin de boulonner des pièces sous le moteur ou sous la transmission (exemple : installation du drain à l’huile du moteur, installation de raccords et de jauges sous la transmission). L’espace est réduit. Il doit glisser les bras sous le moteur ou la transmission pour faire le travail. En conséquence, les deux mains sont sollicitées puisqu’il doit souvent utiliser l’une ou l’autre main selon la position de la pièce à monter. Pour le travail sous la transmission, il y a un outil artisanal qui a été confectionné spécialement pour permettre le serrage. À d’autres moments, alors que le moteur est surélevé, il doit travailler les bras en haut des épaules.
[39] Lors de l’installation d’à peu près toutes les pièces, il fait un mouvement de pince digitale en utilisant le pouce, l’index et majeur pour débuter le vissage d’un boulon, soit de la main gauche, soit de la main droite. Le travail se termine avec un outil manuel ou à air comprimé.
[40] Lorsqu’il utilise des outils tels le fusil à air comprimé ou la clé à rochet, il les tient de la main droite. Par contre, la main gauche est également sollicitée puisqu’elle tient l’embout avec les doigts en flexion pour stabiliser la pièce à serrer. À plusieurs occasions, il utilise deux outils : une clé dynamométrique et une clé ordinaire, un dans chaque main, pour fixer les pièces.
[41] De plus, plusieurs gestes posés par monsieur Roy nécessitent un effort, entre autres tenir les outils dont le poids n’est pas négligeable, appliquer une pression sur ceux-ci pour serrer les boulons, manipuler des boulons difficiles à visser ou à dévisser, tenir les embouts avec ses doigts.
[42] Le travailleur actionne également une manette qu’il tient de la main droite pour activer le pont roulant servant à lever le moteur qu’il guide de la main gauche pour l’accoupler à la transmission.
[43] Les brides de transmission sont enduites d’un produit gluant que le travailleur doit enlever en tenant un grattoir de la main droite qu’il supporte de la main gauche.
[44] Pendant le travail, les mains du travailleur ne sont, à toutes fins pratiques, jamais inactives. Même en marchant pour procéder à une prochaine étape, il visse manuellement des boulons à la pièce à être installée. Il n’y a pas une cadence imposée, sauf que le rythme doit être maintenu pour que l’assemblage se poursuive aux étapes subséquentes du montage des véhicules, sans occasionner de délai. Monsieur Roy a d’ailleurs développé des «trucs» pour arriver à maintenir le rythme. Ainsi, lorsqu’il y a un bris sur la ligne de production, il monte à l’avance des pièces, en vissant et dévissant les boulons de ces pièces.
[45] Globalement, le travailleur estime qu’il utilise un outil à air comprimé 60 % du temps et qu’il visse avec ses mains ou avec la clé dynamométrique, 40 % du temps. Pendant l’année 1997, les trois outils à air comprimé, utilisés au travail, ne sont pas munis de gaine à la poignée. Au fur et à mesure que l'employeur les remplace, en raison de l’usure, ce sont par des outils avec gaine à la poignée. Au mois de décembre 1999, deux fusils sont munis de gaine protectrice. Depuis le 21 novembre 2000, soit deux jours avant la visite à l’usine, on lui a fourni un gant pour la main droite. Ajoutons que les outils à air comprimé vibrent.
[46] La Commission des lésions professionnelles a entendu le témoignage de monsieur René Sorel. Il a lui-même été assembleur pendant cinq à six ans. Il témoigne, chiffres à l’appui, qu’entre 1996 et 1999, la capacité de production est passée de 96 % à 107 %, sans pour autant que le nombre d’employés augmente. Cela se traduit par du temps supplémentaire obligatoire de mai 1999 à juillet 1999, à raison de deux heures par jour, cinq jours par semaine. Le reste du temps supplémentaire est optionnel. Le nombre d’employés sur la ligne d’assemblage n’augmente pas pour autant. Les services satellites à l’assemblage ont bénéficié de réaménagements mais non la ligne d’assemblage.
[47] La Commission des lésions professionnelles a entendu monsieur Jean-Pierre Morrissette, à l’emploi de Komatsu depuis plus de deux ans. En avril 2000, il a remplacé monsieur Roy à son poste d’assembleur. Il a commencé à avoir des problèmes d’engourdissement aux deux mains. Il témoigne que le travail de monsieur Roy est difficile, puisqu’il exige une manipulation constante des deux mains. Monsieur Roy a d’ailleurs été remplacé pendant sa période d’absence par deux employés. Lui-même a cessé le travail depuis le 10 avril 2000. Il n’a pas encore passé un électromyogramme pour confirmer le syndrome du canal carpien bilatéral.
[48] La Commission des lésions professionnelles a entendu monsieur Jean-François Filion. Il est à l’emploi de Komatsu depuis la fin mars 1995, à titre de soudeur, la majorité du temps. Au début du mois de mars 2000, il a été assigné au poste de monsieur Roy avec un autre travailleur, pour le remplacer. Depuis la fin mars 2000, il souffre d’une douleur au bras droit, probablement secondaire à une bursite ou une tendinite.
[49] Lorsqu’il a remplacé monsieur Roy, il a bénéficié de trois jours d’entraînement. Après, il devait faire le travail de monsieur Roy sur la ligne d’assemblage. Il a eu de la difficulté à maintenir la cadence car il n’y a aucun temps d’arrêt. Pour y arriver, il a pris le «truc» de monsieur Roy : il monte des pièces à l’avance. Il a occupé ce poste pendant trois semaines. Maintenant, il est en assignation temporaire, toujours à ce travail mais avec une autre personne.
Le témoignage des experts
[50] La Commission des lésions professionnelles a entendu le docteur Michel Gauthier, médecin traitant du travailleur. Il examine monsieur Roy, pour la première fois, le 28 février 2000. Il diagnostique un syndrome du canal carpien bilatéral. Il le réfère immédiatement en chirurgie plastique car il a eu déjà des infiltrations de cortisone, sans amélioration notable.
[51] Il vérifie, à ce moment, les antécédents médicaux du travailleur. Il n’identifie rien qui puisse expliquer le syndrome du canal carpien bilatéral. Un bilan sanguin a été fait qui est négatif : pas de diabète, pas d’hypothyroïdie, etc.
[52] Au printemps 2000, il visionne une vidéocassette du poste de travail, fort probablement celle visionnée en révision administrative de la C.S.S.T. Il n’a pas visité l’usine à cette époque.
[53] Il identifie à ce travail, plusieurs mouvements et gestes à risques de développer un syndrome du canal carpien. Il se réfère à plusieurs documents dont un document publié en collaboration avec, notamment, l’Institut de recherche en santé et sécurité du travail (I.R.S.S.T.)[1]. Il rappelle les activités, mouvements et gestes à risques pour le développement d’un syndrome du canal carpien identifiés à la page 6 de ce document :
a) les mouvements répétitifs du poignet ou de la main :
- activités avec le poignet en extension ou en flexion;
- déviation radiale ou cubitale répétée ou continue;
- mouvements répétés avec un ou plusieurs doigts.
b) les mouvements de préhension et de manutention :
- préhension répétée d’objets avec pinces digitales;
- préhension d’objets avec tractions répétées ou rotation du poignet;
- préhension pleine main;
- gestes de cisaillement;
- application d’une pression avec la main.
c) les cofacteurs de risques :
- membre supérieur en flexion ou abduction;
- utilisation d’outils vibrants ou à percussion;
- port de gant;
- exposition au froid.
[54] Il identifie les mouvements de flexion et d’extension des poignets. Ces mouvements ne sont pas extrêmes au travail de monsieur Roy mais ils sont répétés. Il identifie également la préhension répétée pleine main lors de l’utilisation des outils, associée à un effort qu’il estime assez important surtout lors de l’utilisation des grosses clés dynamométriques, compte tenu du poids des outils. Également, il constate l’utilisation d’outils vibrants et qui peuvent donner des contrecoups tels les outils à air comprimé. Finalement, le travailleur effectue constamment des mouvements de pince digitale des deux mains.
[55] La visite du poste de travail lui a permis de constater l’effet synergique des divers facteurs de risque d’apparition du syndrome du canal carpien lors du travail accompli. Les gestes varient mais les poignets et les mains du travailleur sont rarement complètement au repos. Il identifie essentiellement la répétitivité comme facteur de risque principal mais il considère que l’utilisation de la force dans l’accomplissement du travail n’est pas négligeable.
[56] De plus, le travailleur est exposé à des vibrations et à des contrecoups de façon occasionnelle. Il conclut qu’il faut retenir la combinaison synergique des facteurs de risques dans le travail de monsieur Roy.
[57] De plus, le docteur Gauthier distingue le mouvement répétitif du mouvement répété. Le mouvement répétitif est celui qui découle d’un rythme précis dans un temps précis. Le mouvement répété découle d’une cadence qui n’est pas nécessairement imposée. Par contre, comme monsieur Roy doit faire un certain nombre de gestes pour l’assemblage de moteurs et de transmissions à l’intérieur d’une période de temps, il considère qu’il y a présence d’une cadence qui équivaut à une cadence imposée.
[58] Il n’est nullement étonné de la bilatéralité du syndrome du canal carpien, parce que le travailleur utilise les deux mains quasi également.
[59] Il admet qu’il y a d’autres causes que le travail qui peuvent causer un syndrome du canal carpien.
[60] La Commission des lésions professionnelles a entendu le témoignage du docteur Jean Vézina à la demande de l'employeur. Le docteur Vézina a examiné monsieur Roy le 23 juillet 1998, tel que mentionné précédemment. Il n’accorde aucune validité scientifique aux ouvrages reliant les lésions musculo-squelettiques au travail répétitif. Pour lui, ces ouvrages n’ont jamais défini ce qu’on devait entendre par mouvement répétitif ou mouvement répété.
[61] Le Guide pour le diagnostic des lésions musculo-squelettiques attribuables au travail répétitif [2], spécifiquement celui traitant du syndrome du canal carpien, ne soulève qu’une relation possible avec le travail.
[62] Il rappelle qu’en science, il faut aller au delà de la possibilité et rechercher la probabilité. Le passage suivant, tiré d’un article de doctrine médicale[3], résume l’approche à laquelle il adhère :
«Repetitive motion disorders include a spectrum of musculoskeletal symptoms that are attributed to occupations believed to be hazardous. Terms such as repetitive stress (strain) injury (RSI), cumulative trauma disorder, and repetitive trauma injury are used interchangeably to describe a constellation of symptoms related to the soft tissues of the musculoskeletal system. These so-called disorders, which are believed to be due to repeated exertions and movements of the body, supposedly develop over periods of weeks, months, or years. These terms are being used to describe any painful condition of the upper extremity in workers engaged in repetitive activities.
The vague definitions of these disorders are indicative of the fact that scientific studies have failed to show that repetitive motion causes injury. On of the consequences of this uncertainty has been the politicization of the issue and the involvement of the legal system. At the same time, there has been an increased advocacy of ergonomics as a solution to the prevalence of repetitive motion injury in the workplace. This has resulted in a proliferation of ergonomic literature in which conclusions are based on associations and suggestions. […]
[…]
Much of the confusion surrounding work-related musculoskeletal disorders arises from a misunderstanding of the definitions of the relevant terms. An occupational disease is one in which there is a direct cause-and-effect relationship between a hazard and the disease. Silicosis is a clear example of an occupational disease; silica, the hazard, is essential to producing the disease. Medically, a disease is considered work-related when the work environment and the performance of work contribute significantly, but as two of a number of factors, to the causation of disease. Legally, aggravation of a condition may be enough for a disease to be labeled as work-related. Epidemiologists refer to risk factors as associated with, rather than as causes of, a particular disease because often it is not possible to establish a link between cause and effect. Causal inference is the logical development of a theory, based on observation and a series of arguments, that attributes the development of a disease to one or more risk factors. Inference depends on prior knowledge, intuition, insight, and uncertainty (probability).» (nos soulignés).
[63] Le docteur Vézina réfère la Commission des lésions professionnelles à des articles de doctrine médicale n’accordant pas de valeur scientifique aux études concluant à un lien causal entre une lésion musculo-squelettique et un travail répétitif. Dans un article publié dans The Journal of Hand Surgery[4], on lit :
«Numerous publications of medical literature and lay press
articles state as an accepted fact that there is a definitive causal
relationship between upper extremity disorders and the performance of many
jobs. The purpose of our study is to
determine whether the medical literature validates a causal relationship
between work activities and specific medical diagnoses in the hand and upper
extremity.»
[…]
«All of the studies done so far have been cross-sectional. This type of study can only show association, it cannot be used to conclude that a causal relationship exists. To do so requires the conduction of randomized prospective studies.»
[…]
«It is the authors’opinion that sufficient evidence does not exist in the medical literature to conclude that work is the sole cause of so-called «cumulative trauma».79 Mislabeling a patient’s complaints and mistakenly relating these complaints to work is harmful.» (nos soulignés).
[64] Le docteur Vézina réfère la Commission des lésions professionnelles à un ouvrage publié en collaboration avec l’I.R.S.S.T., Les lésions attribuables au travail répétitif [5], pour démontrer que n’importe quel «trouble» peut être une lésion attribuable au travail répétitif (LATR) tellement ces concepts sont mal définis. Il cite le passage suivant :
«Le terme « trouble » (musculo-squelettique) est utilisé pour désigner des états pathologiques dans lesquels les fonctions du système musculo-squelettique sont perturbées ou anormales. Le terme « trouble » s’oppose au terme « maladie », qui sert à désigner des états pathologiques bien définis ayant des manifestations observables dans la configuration ou la fonction du corps humain.
L’inconfort, la fatigue et la douleur sont les symptômes les plus courants associés au début d’une LATR. Les signes comme la perte de fonction, la limitation des mouvements ou la perte de puissance de la fréquence des troubles musculo-squelettiques, est-elle liée à une intensification des facteurs de risque du travail ? Et si ceux-ci sont réduits, y a-t-il diminution de la maladie ?»
[65] Le docteur Vézina est d’avis qu’il n’y a aucune base scientifique à ces concepts, aucune balise sérieuse.
[66] Bien qu’il reconnaît que des maladies puissent être causées par un agent vulnérant au travail (par exemple, l’amiante pouvant causer l’amiantose), il ne reconnaît pas de relation causale entre des lésions musculo-squelettiques et des mouvements faits au travail. Pour le docteur Vézina, il y a deux courants de pensée bien distincts : il y a ceux qui croient aux lésions musculo-squelettiques attribuables au travail répétitif et ceux qui n’y croient pas. Lui-même adhère au dernier groupe.
[67] Au delà de ces considérations d’ordre général, le docteur Vézina maintient qu’il n’y a pas de relation causale entre le canal carpien bilatéral diagnostiqué chez monsieur Roy et son travail, même en examinant les critères auxquels a fait référence le docteur Gauthier.
[68] Dans un premier temps, il est d’avis que monsieur Roy ne fait pas de mouvements répétitifs. Il y a des mouvements des mains, mais sans cadence ou de rythme imposé.
[69] Il n’a noté aucune force, charge ou posture contraignante au-delà des limites physiologiques, exercée lors des mouvements exécutés par monsieur Roy.
[70] Il existe une période de repos suffisante entre les gestes. Il y a un repos compensatoire, hebdomadaire, quotidien dans la journée, entre deux gestes. Pendant qu’un muscle est contracté pour un geste, les autres se reposent. Ce ne sont pas toutes les fibres musculaires qui sont sollicitées en même temps.
[71] Les gestes sont faits de manière harmonieuse, ce qui ne peut provoquer de blessure.
[72] D’ailleurs, si une force importante était déployée dans des angles extrêmes, on assisterait à une symptomatologie très précoce et à un dommage immédiat lors de l’exécution du travail. Ce n’est pas le cas dans le développement du canal carpien bilatéral de monsieur Roy.
[73] Il n’a constaté aucune posture contraignante, qui aurait amené une compression du nerf médian et l’aurait endommagé.
[74] Il est d’avis qu’aucune relation causale n’a été établie entre l’utilisation d’un outil vibrant et le canal carpien.
[75] Il remarque qu’aux protocoles opératoires, il n’y a aucune synovite, aucune ténosynovite, ni aucun phénomène inflammatoire constaté. Le nerf médian n’est pas écrasé; il n’y a pas de description de compression en sablier.
[76] Pour le docteur Vézina, il faut chercher autre chose que le travail pour expliquer le canal carpien de monsieur Roy. D’ailleurs, 50 % des cas de canal carpien sont d’étiologie idiopathique, alors que 50 % sont dus à d’autres pathologies tel le diabète.
L’ARGUMENTATION
[77] Le représentant du travailleur soumet que tous les mouvements et gestes que pose monsieur Roy à son travail ont été identifiés à risque par la doctrine médicale à laquelle réfère le docteur Gauthier. Monsieur Roy fait pratiquement tous les gestes identifiés à risque pour le développement du syndrome du canal carpien.
[78] À ces gestes, il faut aussi tenir compte de l’effet synergique, comme l’a mentionné le docteur Gauthier dans son témoignage.
[79] Même s’il n’y a pas, en tant que tel, une cadence imposée comme sur une chaîne de montage automatisée, le rythme doit être constant car il s’agit d’une ligne de production.
[80] Il rappelle que monsieur Roy n’a aucun antécédent médical qui pourrait être contributif et expliquer le syndrome du canal carpien bilatéral qu’il a présenté.
[81] Le docteur Gauthier et le docteur Nonnenman sont d’avis que le travail de monsieur Roy est responsable du syndrome du canal carpien bilatéral qu’il a développé. Il s’agit là d’une preuve médicale prépondérante. Il soumet de la jurisprudence au soutien de ses prétentions.
[82] La représentante de l'employeur rappelle que le médecin du bureau médical de la C.S.S.T. et le docteur Vézina sont d’avis qu’il n’y a pas de relation causale entre le travail de monsieur Roy et le syndrome du canal carpien bilatéral qu’il a développé.
[83] Elle rappelle le témoignage du docteur Vézina. Il faut faire la différence entre des mouvements variés, qui ne durent jamais longtemps et qui permettent une période de repos suffisante entre chacun d’eux, et une cadence imposée; il n’y a pas de cadence imposée chez l'employeur. Elle soumet que le travailleur n’a pas présenté une preuve prépondérante quant à la relation causale entre le canal carpien bilatéral et son travail; elle soumet de la jurisprudence au soutien de ses prétentions.
L’AVIS DES MEMBRES
[84] La membre issue des associations syndicales est d’avis qu’en tenant compte des gestes faits par monsieur Roy à son travail, l’absence de condition médicale contributive chez monsieur Roy pour expliquer le canal carpien bilatéral, elle est d’avis que le travailleur a présenté une preuve prépondérante quant à la relation causale entre son travail et le canal carpien bilatéral. Elle est d’avis d’accueillir la requête.
[85] Le membre issu des associations d'employeurs est d’avis que le travailleur n’a pas rencontré son fardeau de preuve, soit d’établir la relation causale entre le syndrome du canal carpien bilatéral et son travail. Il retient les failles scientifiques dans les études épidémiologiques qui concluent à une telle relation causale. Il retient, du témoignage du docteur Vézina, qu’aucune étude n’établit la relation causale entre un facteur ou un risque et le syndrome du canal carpien. Or, même en additionnant les différents risques, la relation causale ne sera pas plus établie. Il est d’avis de rejeter la requête du travailleur.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[86] La Commission des lésions professionnelles doit décider si les réclamations de Normand Roy pour un syndrome du canal carpien bilatéral sont admissibles à titre de maladie professionnelle.
[87] Le législateur a énuméré un certain nombre de maladies à l’annexe I de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (la Loi)[6] qui sont présumées être des maladies professionnelles. Le travailleur atteint d’une telle maladie bénéficie d’une présomption s’il exerce le travail décrit à l’annexe, conformément à l’article 29, libellé comme suit
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
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1985, c. 6, a. 29.
[88] Dans le présent cas, aucune des parties, à bon droit, n’a plaidé que monsieur Roy bénéficiait de la présomption édictée à l’article 29 de la Loi. Le syndrome du canal carpien n’est pas une maladie visée à cette annexe.
[89] L’analyse du présent dossier doit se faire selon les critères établis à l’article 30 de la Loi:
30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
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1985, c. 6, a. 30.
[90] La preuve doit établir, de façon prépondérante, que le syndrome du canal carpien bilatéral de monsieur Roy est une maladie qui est, soit caractéristique du travail d’assembleur ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
[91] Les auteurs de l’ouvrage Les lésions attribuables au travail répétitif [7], rappellent que les maladies «liées» à la profession est un concept défini par l’Organisation mondiale de la santé. Les auteurs écrivent :
«L’Organisation mondiale de la santé (WHO, 1985) classe en deux catégories les maladies qui ont une relation avec le travail. La première catégorie comprend les maladies professionnelles proprement dites, dont des états pathologiques plus ou moins bien définis mais attribuables à des agents bien déterminés, comme l’amiantose, qui est causée par les fibres d’amiante. La deuxième catégorie comprend les maladies liées au travail, mais pour lesquelles les facteurs liés au travail ne constituent qu’une partie des causes. Les LATR sont liées au travail, mais bon nombre d’entre elles peuvent aussi être considérées comme des maladies professionnelles, suivant les habitudes ou les lois de certains pays.»
[92] Et plus loin, ils écrivent[8] :
«Contrairement aux maladies proprement professionnelles, où il y a une relation de cause à effet directe entre le danger couru et la maladie contractée (p. ex. l’amiante et l’amiantose, le plomb et le saturnisme), les «maladies liées à la profession» seraient, selon le comité d’experts de l’Organisation mondiale de la santé, multifactorielles : le milieu et le mode d’exécution du travail sont deux facteurs qui contribuent de façon notable à la genèse de la maladie, mais ce ne sont toujours que deux facteurs parmi d’autres.»
[93] Les auteurs de l’article publié dans The Journal of Bone and Joint Surgery[9], auquel a référé le docteur Vézina, reprennent cette distinction. Ils décrivent une maladie professionnelle comme une maladie causée (relation directe de cause à effet) par l’exposition à un risque au travail (par exemple, la silice pouvant causer la silicose).
[94] Ensuite, ils décrivent les maladies liées au travail. Ils énoncent que, médicalement, une maladie est considérée reliée au travail quand l’environnement de travail et l’exécution du travail contribuent de façon significative à la survenance de la maladie, même si son origine est multifactorielle. Ils ajoutent que, légalement, l’aggravation d’une condition médicale au travail peut parfois suffire pour établir un lien avec le travail.
[95] Selon ces énoncés, le syndrome du canal carpien, qui fait partie des lésions attribuables à des mouvements répétitifs (work-related musculo skeletal disorders) et dont l’origine est multifactorielle, pourrait être une maladie liée au travail si l’environnement de travail et l’exécution du travail contribuent de façon significative à son apparition.
[96] Le témoignage du docteur Vézina a en quelque sorte donné le ton à l’analyse de la preuve faite devant la Commission des lésions professionnelles. Pour lui, deux courants existent par rapport aux lésions musculo-squelettiques attribuables au travail répétitif : il y a ceux qui croient à une relation causale et ceux qui n’y croient pas.
[97] Le docteur Vézina fait partie du deuxième groupe. À l’instar de la doctrine médicale invoquée au soutien de son opinion, il ne retient aucune relation causale entre les maladies musculo-squelettiques et un travail effectué. Le docteur Vézina estime plutôt que la relation causale établie par certains auteurs relève davantage d’une volonté socio-économique et politique que médicale.
[98] Pour certains auteurs, puisque l’origine de ces maladies est multifactorielle, puisque ces maladies ne sont pas causées par le travail, elles ne devraient pas être qualifiées de maladie professionnelle. C’est l’approche que partage le docteur Vézina.
[99] Cette analyse est fort percutante. Si la Commission des lésions professionnelles devait la retenir, l’analyse devrait s’arrêter ici. La Commission des lésions professionnelles devrait conclure qu’il n’y a aucune preuve scientifique établissant à une relation causale entre le syndrome du canal carpien et le travail exercé par monsieur Roy. Ce cadre d’analyse ne retient que la maladie causée par le travail, en excluant la maladie reliée au travail, tel que décrit plus haut.
[100] L’analyse de la Commission des lésions professionnelles est encadrée par la Loi. Or, le législateur a choisi de ne pas faire cette exclusion. Le législateur reconnaît comme maladie professionnelle, non seulement les maladies causées par un travail mais aussi les maladies reliées à des facteurs de risque présents au travail (article 30).
[101] De plus, l’annexe I, section IV, paragraphe 2, à laquelle renvoie la présomption de l’article 29 de la Loi, introduit spécifiquement le concept de lésion musculo-squelettique et présume de l’origine professionnelle de trois lésions musculo-squelettiques survenant dans certaines situations de travail :
MALADIES GENRES DE TRAVAIL
[…]
2. Lésion musculo-squelettique un travail impliquant des répétitions de
se manifestant par des signes mouvements ou de pressions sur des
objectifs (bursite, tendinite, périodes de temps prolongées.
ténosynovite) :
[…]
[102] Le législateur reconnaît donc la possibilité qu’une maladie musculo-squelettique soit reliée à un travail exercé. La doctrine médicale, tant celle invoquée par le docteur Gauthier que celle invoquée par le docteur Vézina, est unanime : ce type de maladie a une étiologie multifactorielle et le travail n’est pas la seule cause. Légalement, on pourra la qualifier de «maladie professionnelle» lorsque la preuve permet de conclure que le travail a contribué de façon significative et déterminante à l’apparition ou au développement de la maladie. C’est une preuve prépondérante qui permet de conclure en ce sens, sans l’exigence d’une preuve de niveau scientifique. C’est le cadre d’analyse de l’article 30 de la Loi.
[103] Il s’agit sans doute là, comme le souligne le docteur Vézina dans son témoignage, d’un choix économique, social et politique. Il ne faut pas s’en étonner dans le cadre d’une loi à caractère social qui a pour but de réparer les conséquences d’une lésion professionnelle (article 1 de la Loi). La Commission des lésions professionnelles n’est pas un forum approprié pour discuter de la justesse des choix du législateur.
[104] La Commission des lésions professionnelles doit donc décider si monsieur Roy a prouvé que le syndrome du canal carpien bilatéral est une maladie professionnelle reliée aux risques particuliers de son travail d’assembleur chez l’employeur.
[105] Les éléments de preuve soumis ne permettent pas à la Commission des lésions professionnelles de conclure que le syndrome du canal carpien bilatéral est une maladie caractéristique du travail d’assembleur. Les données soumises à ce titre sont trop partielles et incomplètes sur le plan médical pour permettre à la Commission des lésions professionnelles d’en tirer une telle conclusion.
[106] Toutefois, l’analyse de la preuve amène la Commission des lésions professionnelles à conclure que monsieur Roy s’est déchargé de son fardeau de preuve d’établir que le syndrome du canal carpien bilatéral est relié aux risques particuliers de son travail.
[107] Les gestes posés au travail sont à risque. Ce risque est augmenté par l’effet synergique de la combinaison de plusieurs facteurs (par exemple : force nécessaire pour tenir un outil et visser en même temps les pièces). Les temps de repos sont pratiquement inexistants. Il est exposé à des vibrations qui sont un cofacteur de risques. Ajoutons qu’aucune condition médicale personnelle ou sollicitation hors travail, associée au développement de syndrome du canal carpien bilatéral, n’est identifiée chez monsieur Roy.
[108] La Commission des lésions professionnelles retient le témoignage du docteur Gauthier, qui réfère à la doctrine médicale, et qui permet d’établir une relation entre le syndrome du canal carpien bilatéral de monsieur Roy et son travail.
[109] Pour les motifs plus hauts exprimés, la Commission des lésions professionnelles ne peut retenir l’opinion du docteur Vézina.
[110] La jurisprudence invoquée par l’employeur ne trouve pas ici application. Dans la décision Industries Davie inc. et Douville[10], la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) conclut, après les descriptions faites au cours de l’audience, que le travail ne peut provoquer une lésion au niveau du nerf médian. Dans le présent cas, la preuve prépondérante établit le lien de causalité entre le canal carpien bilatéral et le travail de monsieur Roy.
[111] Dans la décision Duranleau et Bombardier inc.[11], la Commission d’appel conclut que non seulement la preuve n’établit pas le lien de causalité entre, notamment, le syndrome du canal carpien bilatéral et le travail, mais identifie, chez la travailleuse âgée de 49 ans, d’autres facteurs contributifs, dont l’obésité. Dans le présent cas, aucune condition médicale contributive n’a été identifiée chez monsieur Roy.
[112] Dans la décision Bélanger et Général Motors du Canada ltée[12], le motif de la décision repose sur le concept de chose jugée; une autre décision antérieure avait conclu à l’absence de relation causale.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
DOSSIERS 126914-62-9911 et 142481-62-0006
ACCUEILLE les requêtes de monsieur Normand Roy;
INFIRME les décisions de la révision administrative de la Commission de la santé et de la sécurité du travail datées du 29 octobre 1999 et du 24 mai 2000;
DÉCLARE que le syndrome du canal carpien bilatéral diagnostiqué chez monsieur Normand Roy le 4 mai 1998 est une maladie professionnelle;
DÉCLARE que les chirurgies pour corriger le syndrome du canal carpien bilatéral sont en relation avec cette maladie professionnelle;
DÉCLARE que monsieur Normand Roy a droit aux bénéfices prévus à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles en conséquence de la reconnaissance de cette maladie professionnelle.
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Me Line Vallières |
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Commissaire |
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Syndicat des Métallos - Local 6617 (Monsieur André Lauzon) |
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Représentant de la partie requérante |
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[1]
PATRY,
Louis et autres, Guide pour le diagnostic
des lésions musculo-squelettiques attribuables au travail répétitif, le
syndrome du canal carpien, Éditions Multimondes, 1997, 33 pages, p. 6.
[2]
op .cit., note 1, p. VII.
[3]
SZABO,
Robert M. et Kenneth KING, Repetitive
Stress Injury : Diagnosis or self-fulfilling Prophecy, The Journal of
Bone and Joint Surgery, 82-A, September 2000, pp. 1314 à 1322, p. 1314 et 1315.
[4]
VENDER,
Michael I. et autres, The Journal of Hand
Surgery, Churchill Livingstone, 1995, volume 20A, no 4, pp. 534 à 541, p.
534, 537 et 540.
[5]
KUORINKA,
IIKKA et autres, Les lésions attribuables
au travail répétitif, Éditions MultiMondes, 1995, 510 pages, p. 12.
[6]
L.R.Q.,
c. A-3.001
[7]
op. cit., note 5,
p.12.
[8]
op. cit., note 5, p.20.
[9]
op. cit., note 3, p. 1315.
[10]
CALP
68206-03-9504; 70013-03-9506, 17 octobre 1997, René Ouellet, commissaire.
[11]
CALP
29434-05-9105; 49847-05-9303, 17 décembre 1993, Me Margaret Cuddihy,
commissaire.
[12]
CALP
65535-64-9412, 9 juillet 1996, Me Jacques-Guy Béliveau, commissaire.
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