Kiewit-Nuvumiut, société en coparticipation |
2014 QCCLP 1222 |
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[1] Le 22 avril 2013 l'employeur, Kiewit- Nuvumiut, Société en Coparticipation, dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) le 16 avril 2013, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme les deux décisions qu’elle a rendues initialement le 20 mars 2013. D’une part, la CSST déclare que l’imputation au dossier de l'employeur des coûts dus en raison de l’accident du travail subi par le travailleur le 18 août 2010 n’a pas pour effet de l’obérer injustement. D’autre part, la CSST déclare qu’il n’est pas démontré que le travailleur était déjà handicapé au moment de la lésion professionnelle et qu’en conséquence la totalité des coûts dus en raison de cette lésion professionnelle demeure imputée au dossier de l'employeur.
[3] À l’audience tenue le 3 février 2014, l'employeur est présent et représenté par son procureur. L’affaire est mise en délibéré ce même jour.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L'employeur demande au tribunal de transférer aux employeurs de toutes les unités les coûts de l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur puisque l’imputation de ces coûts à son dossier a pour effet de l’obérer injustement.
[5] L’employeur demande également au tribunal de lui accorder un partage de coûts de l’ordre de 10% à son dossier et de 90% aux employeurs de toutes les unités, alléguant que le travailleur était déjà handicapé au moment de la lésion professionnelle.
LA PREUVE
[6] Du dossier constitué par la Commission des lésions professionnelles et de la preuve présentée à l’audience, le tribunal retient les éléments suivants.
[7] À l’époque pertinente, le travailleur est âgé de 60 ans. Il travaille dans le Grand Nord québécois, sur un chantier de construction. Il occupe un emploi de mécanicien d’équipement lourd, sur le quart de nuit.
[8] Le 18 août 2010, au travail, il fait une chute et se blesse à l’épaule gauche. Il consulte l’infirmier du chantier qui applique de la glace et recommande du repos pour le reste du quart de travail. L’infirmier demande à revoir le travailleur le lendemain matin.
[9] Le 19 août 2010, le travailleur consulte à nouveau l’infirmier. La douleur à l’épaule gauche est toujours présente, elle est augmentée à la mobilisation et la force de préhension de la main gauche est diminuée. Dans sa note d’observation et d’évolution, l’infirmier écrit qu’il communique avec le médecin de Kuujuaq pour des conseils.
[10] C’est dans ce contexte que le médecin prescrit au travailleur des médicaments, le port d’une écharpe et un arrêt de travail de 48 heures. L’infirmier note que messieurs Morency et Battley sont avisés.
[11] Le 14 septembre 2010, le travailleur consulte le docteur Boucher qui émet une attestation médicale et un rapport médical destinés à la CSST. Le médecin retient le diagnostic de tendinite traumatique de l’épaule gauche et procède à une infiltration. Il autorise les travaux légers jusqu’au 15 octobre 2010.
[12] Le 16 septembre 2010, le docteur Kos complète une note médicale dans laquelle il écrit que le travailleur l’a consulté à son bureau le 8 septembre 2010 pour une lésion à l’épaule gauche. Il a alors prescrit de la médication, des traitements de physiothérapie de renforcement et autorisé des travaux légers pour un mois. Le docteur Kos joint à cette note le rapport qu’il a émis le 8 septembre 2010, qui se lit comme suit :
The above named patient was assessed in my office today and is fit to return to work on light duties until Friday october 22 2010 then he will be fit to return to full duties.
[13] Le 8 novembre 2010, le docteur Anctil retient le diagnostic de tendinopathie vs rupture de la coiffe de l’épaule gauche. Il demande une résonance magnétique et dirige le travailleur en orthopédie.
[14] Le 10 novembre 2010, le travailleur présente une réclamation à la CSST pour un événement du 18 août 2010.
[15] Il appert des notes évolutives du dossier que le 22 novembre 2010, l’agente de la CSST s’entretient avec le travailleur. Elle note que le travailleur a fait des travaux légers à compter du 18 août 2010. Lorsqu’il a vu le médecin au début septembre, l’assignation temporaire a été prescrite pour cinq semaines. Le 14 septembre 2010, le médecin a autorisé la poursuite des travaux légers.
[16] Il appert également des notes évolutives que le travailleur a démissionné. On retrouve en effet au dossier une cessation d’emploi émise par l'employeur le 2 novembre 2010. Le dernier jour travaillé est le 10 octobre 2010 et la raison est la démission. L’agente explique donc au travailleur qu’étant donné que l’assignation temporaire était autorisée et disponible et qu’il a démissionné, il n’a pas droit à l’indemnité de remplacement du revenu.
[17] Le travailleur exprime son désaccord avec cette décision et explique qu’il ne pouvait pas se faire soigner sur le chantier, qu’il n’y a pas de médecin. Il est à une heure d’avion du village le plus proche.
[18] Le 23 novembre 2010, le docteur Paquin, orthopédiste, retient le diagnostic de tendinite/capsulite de l’épaule gauche. Il prescrit une infiltration et des traitements de physiothérapie.
[19] Le 25 novembre 2010, la CSST rend une décision par laquelle elle déclare que le travailleur a subi un accident du travail le 18 août 2010 qui lui a causé une tendinite traumatique de l’épaule gauche.
[20] Le 7 décembre 2010, la CSST rend une autre décision par laquelle elle déclare que le nouveau diagnostic de capsulite à l’épaule gauche est en relation avec l’événement du 18 août 2010.
[21] Ces deux décisions d’admissibilité seront confirmées le 4 février 2011, à la suite d’une révision administrative.
[22] Il appert des notes évolutives du 9 décembre 2010 que la CSST considère qu’il n’y a pas eu d’assignation temporaire offerte par l'employeur. En conséquence, le médecin qui a charge n’a pas eu à se prononcer sur une telle assignation, selon les critères prévus par la loi. Elle conclut que dans ce contexte, le travailleur a toujours droit à l’indemnité de remplacement du revenu.
[23] Le 17 décembre 2010, l'employeur présente une demande de transfert de coûts à la CSST. Il soutient que le travailleur n’a pas droit à l’indemnité de remplacement du revenu puisqu’il a démissionné de son emploi.
[24] Le 22 décembre 2010, le docteur Bédard, radiologiste, interprète les résultats de la résonance magnétique de l’épaule gauche. Il retient que l’imagerie témoigne d’une déchirure complète ou quasi complète du sous-scapulaire près de son insertion sur une distance d’environ 1 cm. Il note qu’il n’y a pas d’hypersignal important en T2 et il pourrait donc y avoir un élément de chronicité. En conclusion, le docteur Bédard retient :
Légère tendinopathie du sus-épineux et de sa jonction avec le sous-épineux sans déchirure identifiée. Légers phénomènes de bursite sous-deltoïdienne en regard du sus-épineux.
Atrophie légère du sus-épineux et du sous-épineux sans que je puisse identifier la lésion au niveau de l’encoche supra-scapulaire ou spino-glénoïde autre que quelques structures vasculaires veineuses.
Déchirure ou amincissement sévère du sous-scapulaire à son insertion sur la petite tubérosité au niveau du dernier centimètre.
Je crois aussi qu’il y a une déchirure intra-articulaire de la longue portion du biceps qui apparaît subluxée à son entrée dans la gouttière bicipitale et de petit calibre également à ce niveau.
Le labrum est difficile à évaluer et si une déchirure du labrum doit être éliminée, il faudrait aller à l’arthro-résonance si cela est jugé nécessaire.
[25] Le 13 janvier 2011, le docteur Tessier note que la résonance magnétique a démontré une rupture partielle du tendon sous-scapulaire. Il indique que le travailleur reverra le docteur Paquin pour la suite.
[26] Le 17 janvier 2011, la CSST confirme le droit du travailleur à recevoir l’indemnité de remplacement du revenu. Cette décision sera confirmée le 28 avril 2011, à la suite d’une révision administrative.
[27] Le 18 janvier, le docteur Paquin note la présence d’ankylose et d’une déchirure du sous-scapulaire. Il prescrit une arthro résonance distansive et dirige le travailleur vers un médecin orthopédiste, spécialiste de l’épaule.
[28] Le 21 juin 2011, le travailleur est examiné par le docteur Hould, chirurgien orthopédiste, à la demande de la CSST. Dans son rapport d’évaluation médicale, il rapporte l’absence d’antécédents médicaux pertinents. Il passe en revue le suivi médical du travailleur et procède à l’examen clinique objectif. En relation avec l’événement du 18 août 2010, il retient les diagnostics de rupture du tendon sous-scapulaire de la coiffe des rotateurs, rupture du tendon du biceps et capsulite rétractile secondaire. Le docteur Hould est d’avis que la lésion n’est pas consolidée.
[29] Le 22 septembre 2011, le travailleur consulte la docteure Groarke, chirurgienne orthopédiste. Elle diagnostique une tendinopathie de la coiffe. Elle demande une résonance magnétique. Le 25 octobre suivant, elle retient les diagnostics de tendinopathie du sus-épineux, de déchirure chronique du sous-scapulaire et de la longue portion du biceps. Elle mentionne également une déchirure du labrum probable. Il n’y a pas d’instabilité. La docteure Groarke ne propose pas de traitement chirurgical et dirige le travailleur en physiatrie.
[30] Le 11 octobre 2011, le docteur Bédard, radiologiste, interprète les résultats de la résonance magnétique. Il indique qu’il n’y a pas de changement depuis l’examen précédent au niveau de la coiffe des rotateurs. Il ajoute qu’il pourrait y avoir une déchirure du labrum.
[31] Le 2 février 2012, le travailleur est examiné par le docteur Blanchette, chirurgien orthopédiste, à la demande de la CSST. Il conclut à une capsulite à l’épaule gauche secondaire à une déchirure du sous-scapulaire et de la longue portion du biceps traumatique avec trapézite secondaire. La lésion n’est pas consolidée.
[32] Le travailleur est également suivi par le docteur Tessier qui maintient les diagnostics de tendinopathie et déchirure de la coiffe de l’épaule gauche.
[33] Le 21 février 2012, l'employeur présente une demande de partage de coûts à la CSST. Il allègue que la résonance magnétique démontre que le travailleur était déjà handicapé au moment de la survenance de la lésion professionnelle.
[34] Le 5 juin 2012, le docteur Tessier complète un rapport médical final. Il consolide la lésion sans atteinte permanente, mais avec limitations fonctionnelles.
[35] Le 27 septembre 2012, le travailleur est examiné par le docteur Parent, physiatre, à la demande de la CSST. Son avis est demandé sur l’évaluation de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles en regard des diagnostics reconnus par la CSST de tendinite traumatique à l’épaule gauche et capsulite de l’épaule gauche.
[36] Après avoir passé en revue le dossier et examiné le travailleur, le docteur Parent évalue le déficit anatomophysiologique à 5.5% :
102383 Atteinte des tissus mous du membre supérieur gauche (tendinite
traumatique épaule gauche, capsulite épaule gauche) avec
séquelles fonctionnelles 2%
104817 Abduction épaule gauche mesurée à 150°, degré retenu 140° 2%
104915 Élévation antérieure à 150°, degré retenu 140° 1.5%
[37] Le docteur Parent recommande les limitations fonctionnelles suivantes au niveau de l’épaule gauche :
. Éviter les mouvements répétitifs impliquant la coiffe des rotateurs soit les mouvements d’abduction, rotation externe.
. Éviter de travailler au-delà de 90° d’abduction de façon soutenue.
. Éviter de soulever des charges au-delà de 90° d’abduction, de plus de 5 à 10 kg.
[38] Dans un rapport complémentaire signé le 30 octobre 2012, le docteur Tessier se dit d’accord avec les conclusions du docteur Parent.
[39] Dans le cadre du processus de réadaptation, la CSST procède à l’analyse de la capacité du travailleur à exercer son emploi de mécanicien de machinerie lourde, en regard des limitations fonctionnelles retenues. Après avoir obtenu une description des tâches et validé cette description auprès du travailleur et de l'employeur, la CSST conclut que le travailleur n’est pas capable de reprendre son emploi.
[40] On retrouve l’analyse de la capacité de travail dans les notes évolutives du 19 décembre 2012. La conseillère en réadaptation conclut :
Le travailleur est donc incapable de reprendre son EPL et, considérant la fin du lien d’emploi, aucun EC n’est disponible chez E.
[41] Il est aussi noté que le travailleur a droit à un processus de réadaptation, mais qu’il ne souhaite pas se prévaloir de ce droit. Il ne souhaite pas retourner sur le marché du travail. La CSST conclut donc à l’application de l’article 53 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[42] Le 20 décembre 2012, la CSST rend une décision par laquelle elle déclare que le travailleur n’est pas en mesure de reprendre son emploi de mécanicien de machineries lourdes chez l'employeur et qu’aucun autre emploi chez l'employeur ne peut convenir actuellement. En conséquence, elle déclare qu’elle versera au travailleur une indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’il atteigne 68 ans, avec les diminutions prévues par la loi.
[43] Le 20 mars 2013, la CSST rend une décision par laquelle elle déclare qu’il n’est pas démontré que l’imputation au dossier de l'employeur des coûts dus en raison de la lésion professionnelle subie par le travailleur a pour effet de l’obérer injustement.
[44] Le 20 mars 2013, la CSST rend une autre décision par laquelle elle déclare que la totalité des coûts demeure imputée au dossier de l'employeur puisqu’il n’est pas démontré que le travailleur était déjà handicapé.
[45] Ces deux décisions sont confirmées le 16 avril 2013, à la suite d’une révision administrative, d’où la présente requête.
[46] Monsieur Kenneth Battley témoigne à l’audience. Il est à l’emploi de l'employeur depuis 35 ans. À l’époque pertinente, il est gérant de projet sur le chantier du Grand Nord. À ce titre, il est responsable de tous les travailleurs sur le chantier.
[47] Il explique que l'employeur exécute des contrats de terrassement, de confection de routes et de barrages dans le Grand Nord. Pour illustrer la situation du chantier sur lequel travaillait le travailleur au moment de l’accident du travail du 18 août 2010, il mentionne que la distance entre Trois-Rivières et la Baie-James correspond à la moitié du chemin pour se rendre au chantier.
[48] Le projet qui nous concerne en l’espèce a débuté en juillet 2010 et implique une centaine de personnes. L’horaire de travail est de quatre semaines au chantier et deux semaines «au sud», durant lesquelles le travailleur n’est pas payé. Les travailleurs travaillent de 10 à 12 heures par jour, sur deux quarts de travail.
[49] Monsieur Battley connaît le travailleur qui occupait sur le chantier un poste de mécanicien d’équipement lourd.
[50] Il a été informé le 19 août 2010, soit le lendemain, de l’accident du travail subi par le travailleur. Il explique qu’il y a un infirmier ou une infirmière sur le chantier qui est en contact avec le médecin à Kuujuaq, en cas de besoin. Dans le cas de blessure sérieuse, le travailleur est évacué du chantier par avion.
[51] Dans le cas qui nous occupe, le travailleur a consulté l’infirmier et un repos de 48 heures a été recommandé, durant lequel le travailleur a été payé. Par la suite, le travailleur a exécuté des travaux légers qui consistent à classer des documents ou des pièces d’équipement dans l’entrepôt ou dans le garage.
[52] À partir des feuilles de temps (E-2), monsieur Battley explique que le travailleur a exécuté des travaux légers du 18 au 29 août 2010. Bien que le travailleur pouvait exécuter moins de 10 heures de travail léger par quart de travail, il a été payé pour 10 heures, selon son contrat de travail.
[53] Le 30 août 2010, le travailleur est en déplacement vers son domicile. Le 19 septembre 2010, le travailleur est de retour au chantier. Il reprend les travaux légers le 20 septembre, et ce, jusqu’au 10 octobre 2010 (E-3).
[54] Monsieur Battley témoigne que le travailleur devait donc revenir au chantier après deux semaines, soit le 24 octobre 2010. Toutefois, le 23 octobre il a été informé que le travailleur ne revenait pas au chantier, qu’il ne voulait plus être dans le Nord. À ce moment, il y avait toujours des travaux légers disponibles pour le travailleur.
[55] Monsieur Battley témoigne que la politique relative aux travaux légers est la même depuis 35 ans. Il explique que lorsque le médecin du travailleur autorise les travaux légers, ce dernier est assigné à de tels travaux le temps qu’il soit apte à reprendre son emploi régulier. L'employeur applique sa politique de travaux légers, lesquels sont recommandés soit par l’infirmier, soit par le médecin, selon ce que le travailleur est en mesure de faire, compte tenu de sa condition. Si le travailleur dit ne pas être en mesure d’exécuter les travaux légers, il est dirigé vers le médecin. En l’espèce, le travailleur ne s’est jamais plaint des travaux légers qui lui ont été assignés.
[56] Monsieur Battley explique que Kuujuaq est situé à une heure et demie d’avion du chantier. Il n’y a aucun accès routier au chantier. Si un arrêt de travail est prescrit, le travailleur est évacué du chantier par avion.
[57] Il y a toujours des travaux légers disponibles sur le chantier.
[58] Madame Martine Picard, adjointe en santé et sécurité au travail chez l'employeur, témoigne à l’audience. Elle explique que lorsque l'employeur reçoit une attestation médicale CSST, un formulaire d’assignation temporaire est complété au bureau de Boisbriand et soumis au médecin du travailleur. Dans le cas du travailleur, l’attestation médicale CSST du 14 septembre 2010 a été remise à l'employeur après la démission du travailleur. Ainsi, aucun formulaire d’assignation temporaire n’a pu être complété.
[59] À la demande de l'employeur, le docteur Patrick Kinnard, chirurgien orthopédiste, témoigne à l’audience. Le tribunal reconnaît au docteur Kinnard la qualité de témoin expert.
[60] Il dépose au dossier le rapport d’expertise qu’il a complété après avoir examiné le travailleur le 10 janvier 2011 (E-1). Il dépose aussi le rapport complémentaire rédigé après qu’il ait pris connaissance des résultats de la résonance magnétique du 22 décembre 2010 (E-4).
[61] Dans son rapport d’expertise, le docteur Kinnard conclut à un diagnostic de tendinite post-traumatique de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche. Il estime que la relation causale avec l’événement, soit une chute sur l’épaule gauche, est probable.
[62] Dans son rapport complémentaire, il constate qu’à la résonance magnétique de l’épaule gauche, il y a amincissement important du muscle sous-scapulaire avec déchirure complète ou quasi complète du sous-scapulaire et possiblement déchirure intra-articulaire de la longue portion du biceps. Il affirme que même à l’âge de 61 ans, ces changements sont hors des normes biomédicales. Le docteur Kinnard est d’avis que l’événement a aggravé une condition silencieuse personnelle de dégénérescence avec déchirure du sous-scapulaire.
[63] À l’audience, le docteur Kinnard explique que le radiologiste fait mention d’une condition chronique au niveau du sous-scapulaire, ce qui lui fait dire que cette condition peut dater d’avant l’accident du travail. Il est aussi question d’une déchirure ou d’un amincissement sévère. L’examen par imagerie a été réalisé quatre mois après l’événement, il est donc impossible que cet amincissement soit relié à l’événement.
[64] Le docteur Kinnard produit de la littérature médicale au soutien de son témoignage (E-5[2]). Il en retient que 20% des personnes âgées entre 60 et 69 ans présentent des déchirures asymptomatiques de la coiffe des rotateurs; le sous-scapulaire faisant partie de la coiffe. Ce pourcentage permet à son avis de conclure à une condition personnelle préexistante qui dévie de la norme biomédicale.
[65] Il ajoute que selon son expérience de chirurgien orthopédiste, la plupart des déchirures surviennent au niveau du sus-épineux. Elles ne sont pas fréquentes au niveau du sous-scapulaire. Dans le cadre de sa pratique, il a opéré des dizaines d’épaules, jamais pour une lésion au niveau du sous-scapulaire, mais souvent au niveau des sus et sous-épineux.
[66] Ces personnes présentant de telles déchirures sont à risque de devenir symptomatiques lors d’accident. De l’avis du docteur Kinnard, n’eût été de l’événement survenu au travail, le travailleur serait probablement demeuré asymptomatique et aurait pu continuer à travailler.
[67] Il estime qu’un partage de coûts est justifié en l’espèce. L’amincissement du sous - scapulaire était présent avant et constituait un élément fragilisant de la coiffe des rotateurs.
[68] Par ailleurs, si l’on réfère à la Table des durées de consolidation utilisée par la CSST, force est de constater que la période de consolidation de la lésion professionnelle est beaucoup plus importante que la durée moyenne de consolidation prévue pour la lésion reconnue.
[69] Le docteur Kinnard reconnaît que la déchirure décrite à la résonance magnétique aurait pu survenir lors de l’événement. Mais dans ce cas, on se serait attendu à une invalidité totale et immédiate, ce qui n’est pas le cas. Cette condition a probablement été plutôt rendue symptomatique par cet événement. De plus, il faut considérer que le radiologiste décrit des signes de chronicité, ce qui laisse plutôt croire que la déchirure était présente avant l’accident du travail.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[70] Dans un premier temps, le tribunal doit décider si l'employeur a droit à un transfert de coûts.
[71] Dans un deuxième temps, il doit décider si l'employeur a droit à un partage de coûts.
[72] L'employeur demande de transférer aux employeurs de toutes les unités le coût de l’indemnité de remplacement du revenu. Il prétend que l’imputation à son dossier de ce coût a pour effet de l’obérer injustement au sens de l’article 326 de la loi :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[73] De l’avis de l'employeur, aucun des coûts reliés à l’indemnité de remplacement du revenu ne doit être imputé à son dossier. Il plaide que n’eût été de la démission du travailleur le 10 octobre 2010, ce dernier aurait pu continuer à exécuter des travaux légers, lesquels étaient autorisés par les médecins consultés par le travailleur et disponibles sur le chantier. De plus, en démissionnant, le travailleur n’a pu participer au processus de réadaptation et à la détermination d’un emploi convenable chez l'employeur.
[74] Selon l'employeur, cette situation crée une injustice et l’imputation du coût de l’indemnité de remplacement du revenu à son dossier a pour effet de l’obérer injustement.
[75] De façon subsidiaire, l'employeur demande au tribunal de transférer le coût de l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’au 20 décembre 2012, date de la décision par laquelle la CSST déclare que le travailleur n’est pas capable de reprendre son travail et qu’aucun emploi chez l'employeur ne peut convenir actuellement.
[76] Le tribunal constate que la demande de transfert de l'employeur vise une partie des coûts seulement, soit ceux reliés à l’indemnité de remplacement du revenu, et non la totalité de ceux-ci. Il s’agit d’une demande de transfert partiel.
[77] Le principe général d’imputation est prévu au premier alinéa de l’article 326 de la loi. En vertu de ce principe, la CSST impute au dossier de l'employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail survenu à un travailleur alors qu’il était à son emploi.
[78] L’article 326 prévoit deux exceptions à ce principe général.
[79] Par sa demande, l'employeur demande que le coût de l’indemnité de remplacement du revenu soit transféré à l’ensemble des employeurs à compter du 10 octobre 2010. Le tribunal comprend de la demande de transfert de coûts dont il est maintenant saisi que l'employeur prétend qu’à compter du 10 octobre 2010, les coûts de l’indemnité de remplacement du revenu imputés à son dossier sont dus non pas en raison de l’accident du travail, mais plutôt en raison de l’interruption de l’assignation temporaire causée par la démission du travailleur.
[80] Le fondement de cette demande, de même que le fait qu’elle ne vise qu’une partie des coûts imputés, amènent le tribunal à l’analyser plutôt en vertu du premier alinéa de l’article 326 de la loi.
[81] Dans une décision récente[3], la Commission des lésions professionnelles fait une revue de l’évolution de la jurisprudence concernant l’application de l’article 326 de la loi, tant en ce qui a trait à l’application du principe général prévu au premier alinéa qu’aux exceptions prévues au deuxième alinéa.
[82] Après avoir fait état de cette évolution jurisprudentielle, le tribunal analyse le libellé même de l’article 326 de la loi et en dégage des principes. En premier lieu, le tribunal retient que le deuxième alinéa de l’article 326 semble référer à un transfert total du coût des prestations. Il s’exprime ainsi :
[104] Le deuxième alinéa de l’article 326 de la loi semble référer à un transfert total du coût des prestations. Pour en venir à cette conclusion, le tribunal se base notamment sur l’expression retenue par le législateur, soit d’imputer « le coût des prestations ».
[105] Or, si l’on compare le libellé de cet alinéa à celui de l’article 329 de la loi où il est spécifiquement mentionné que la CSST peut imputer « tout ou partie du coût des prestations », il est possible de faire une distinction importante entre la portée de ces deux dispositions.
[…]
[108] De plus, un autre élément permet au tribunal de conclure que le deuxième alinéa de l’article 326 de la loi vise un transfert total des coûts et non un transfert partiel. Il s’agit du délai prévu pour effectuer une telle demande.
[109] En effet, le législateur a spécifiquement prévu que l'employeur doit présenter sa demande dans l’année suivant la date de l’accident. Ceci s’explique, de l’avis du tribunal, par le fait que les demandes de transfert total de coûts visent généralement des motifs liés à l’admissibilité même de la lésion professionnelle. C’est clairement le cas à l’égard des accidents attribuables à un tiers et le libellé même de cet alinéa ne permet pas de croire qu’il en va autrement à l’égard de la notion d’obérer injustement. D’autant plus que l’application de ce deuxième alinéa à des demandes de transfert partiel a donné lieu à des interprétations variées de cette notion « d’obérer injustement » et mené à une certaine « incohérence » relativement à l’interprétation à donner à cette notion et à la portée réelle de l’intention du législateur.
[110] La soussignée est d’opinion que le législateur visait clairement, par les deux exceptions prévues au deuxième alinéa de l’article 326 de la loi, les situations de transfert total du coût lié à des éléments relatifs à l’admissibilité même de la lésion professionnelle, ce qui justifie d’ailleurs le délai d’un an prévu au troisième alinéa de cet article. S’il avait voulu couvrir les cas de transfert partiel de coûts, le législateur aurait vraisemblablement prévu un délai plus long, comme il l’a fait à l’égard de la demande de partage de coûts prévue à l’article 329 de la loi qui ne vise pas des situations directement reliées à l’admissibilité mais plutôt celles survenant plus tard, en cours d’incapacité.
[111] Ceci semble d’autant plus vrai que la plupart des demandes de transfert total de coûts, liées principalement à l’interruption de l’assignation temporaire ou à la prolongation de la période de consolidation en raison d’une situation étrangère à l’accident du travail, surviennent fréquemment à l’extérieur de cette période d’un an puisqu’elles s’inscrivent au cours de la période d’incapacité liée à la lésion professionnelle. Il s’agit donc là d’un autre élément militant en faveur d’une interprétation selon laquelle les deux exceptions prévues au deuxième alinéa de l’article 326 de la loi visent un transfert total et non un transfert partiel.
[83] À l’instar de la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Supervac 2000 précitée, puisque dans le présent cas l'employeur demande un transfert partiel des coûts, le tribunal en vient à la conclusion qu’il doit analyser cette demande non pas en vertu de l’exception prévue au deuxième alinéa de l’article 326 de la loi, mais plutôt en vertu du principe général prévu au premier alinéa de cette disposition.
[84] Dans le cadre de cette analyse, il faut déterminer si les prestations versées au travailleur à compter du 10 octobre 2010 sont dues en raison de l’accident du travail survenu le 18 août 2010.
[85] Toujours dans l’affaire Supervac 2000, se référant à la jurisprudence et aux définitions des dictionnaires de l’expression en raison de, la Commission des lésions professionnelles conclut :
[122] À la lumière des définitions énoncées plus haut et des décisions auxquelles il est fait référence, le tribunal est d’avis que l’utilisation du terme « due en raison d’un accident du travail » que l’on retrouve au premier alinéa de l’article 326 de la loi présuppose qu’il doit exister un lien direct entre l’imputation des prestations versées et l’accident du travail.
[123] Ainsi, toute prestation imputée qui n’est pas due en raison d’un accident du travail devrait être retirée du dossier financier de l’employeur.
[86] Enfin, le tribunal fait siens l’analyse et les principes retenus par la Commission des lésions professionnelles :
[131] En résumé, le tribunal retient de son analyse que l’exception au principe général d’imputation prévue au deuxième alinéa de l’article 326 de la loi, en regard de la notion d’obérer injustement, ne s’applique qu’à l’égard des demandes de transfert total de coûts qui visent généralement des situations liées à l’admissibilité même de l’accident du travail. Dans de tels cas, la notion « d’obérer injustement » ne fera pas l’objet d’interprétations contradictoires puisque la proportion significative des coûts devant être démontrée dans le cadre de telles demandes sera facilement établie puisqu’il s’agira de la totalité de ceux-ci.
[132] Par ailleurs, les demandes de transfert partiel de coûts doivent plutôt être analysées en vertu du premier alinéa de l’article 326 de la loi afin de déterminer si les prestations ont été ou non imputées en raison de l’accident du travail. Il n'y a pas de délai pour produire une telle demande et l'employeur doit alors démontrer que les prestations qu'il souhaite faire retirer de son dossier financier ne sont pas en lien direct avec l'accident du travail.
[87] Qu’en est-il en l’espèce ?
[88] Le tribunal retient de la preuve que le travailleur n’a pas été mis en arrêt de travail par un médecin à la suite de l’accident du travail survenu le 18 août 2010 pour plus de 48 heures. À la suite de l’événement, le travailleur consulte l’infirmier qui, le lendemain, communique avec le médecin de Kuujuaq. Une période de repos de 48 heures est prescrite. Or, il appert du dossier que le travailleur a plutôt exécuté des travaux légers à compter du 18 août 2010
[89] C’est ce que dit le travailleur à l’agente de la CSST lors d’une conversation le 22 novembre 2010 qui est rapportée aux notes évolutives du dossier. C’est également ce qu’il appert des feuilles de temps produites par l'employeur (E-2 et E-3). Enfin, c’est aussi ce que monsieur Battley a témoigné à l’audience.
[90] De plus, le docteur Kos, qui rencontre le travailleur le 8 septembre 2010, écrit sur la note médicale que le travailleur est apte aux travaux légers jusqu’au 22 octobre 2010, après quoi il peut reprendre le travail régulier. Le 14 septembre 2010, le docteur Boucher autorise les travaux légers jusqu’au 15 octobre 2010.
[91] Le tribunal retient également de la preuve que les travaux légers sont disponibles sur le chantier à compter du 18 août 2010.
[92] On ne retrouve cependant pas au dossier de formulaire d’assignation temporaire comprenant une description des travaux allégés proposés au travailleur. L’autorisation des médecins est faite sur des rapports médicaux. Le tribunal juge toutefois que cette absence de formulaire n’empêche pas en l’espèce de reconnaître qu’une assignation temporaire était disponible pour le travailleur à compter du 18 août 2010 et autorisée par ses médecins.
[93] Comme le décide la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Urgence Médicale Code Bleu[4], il n’est nullement nécessaire, tel que semble l’exiger la CSST, que l’on retrouve un formulaire d’assignation temporaire dûment rempli par le médecin du travailleur, aux fins d’une demande de transfert de coûts, dans la mesure où le dossier révèle une véritable autorisation à l’accomplissement d’un travail léger. C’est le cas en l’espèce.
[94] On ne peut de plus en l’espèce ignorer la particularité du chantier sur lequel travaillait le travailleur au moment de l’accident. Le témoin Battley a témoigné que le chantier, situé dans le Grand Nord québécois, est accessible seulement en avion. Aussi, le médecin est à Kuujuaq, à une heure et demie d’avion. Dans ce contexte, on peut comprendre qu’il n’est pas facile d’obtenir l’avis du médecin sur les travaux légers.
[95] Par ailleurs, l'employeur dispose quand même d’une politique concernant les travaux légers voulant que de tels travaux soient toujours disponibles sur le chantier. L’avis de l’infirmier et du médecin, à distance, permettent d’assigner un travailleur à de tels travaux. C’est ce qui s’est passé dans le cas du travailleur.
[96] Le tribunal ajoute que le travailleur ne s’est pas plaint des travaux à exécuter dans le cadre de l’assignation temporaire. Il n’a pas non plus contesté comme tel l’assignation temporaire.
[97] Aussi, selon le témoignage de madame Picard, le travailleur n’a pas transmis à l'employeur l’attestation médicale CSST du 14 septembre 2010, laquelle aurait permis la présentation d’un formulaire d’assignation temporaire au médecin du travailleur.
[98] Considérant le contexte particulier dans lequel le travailleur travaillait et considérant la preuve documentaire et testimoniale, le tribunal conclut que l’assignation temporaire a été autorisée par les médecins du travailleur et que cette assignation était disponible pour le travailleur à compter du 18 août 2010 et était toujours disponible au moment de sa démission le 10 octobre 2010.
[99] Le 10 octobre 2010, le travailleur démissionne. Il appert du dossier qu’il invoque le fait qu’il ne peut se faire soigner sur le chantier et c’est pourquoi il ne souhaite pas y retourner. Or, comme le plaide le procureur de l'employeur, à cette date, aucun arrêt de travail ni de traitement ne sont prescrits. Le tribunal estime que le travailleur a plutôt fait un choix personnel et a décidé de démissionner. D’ailleurs, une cessation d’emploi avec la mention« démission» (quit) lui a été remise.
[100] En démissionnant, le travailleur a privé de façon injuste l’employeur du droit de l’assigner temporairement comme il le faisait depuis le 18 août 2010. N’eût été de la démission, le travailleur aurait continué à effectuer l’assignation temporaire. En effet, le docteur Kos a autorisé les travaux légers jusqu’au 22 octobre 2010. Par la suite, les docteurs Tessier, Paquin et Groarke n’ont pas prescrit d’arrêt de travail.
[101] Dans ces circonstances, l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur est reliée directement au fait que ce dernier a démissionné. Ce faisant, le coût de ses prestations ne doit pas être imputé au dossier de l'employeur.
[102] Le tribunal est d’avis toutefois que le coût de l’indemnité de remplacement du revenu doit être transféré aux employeurs de toutes les unités pour la période du 10 octobre 2010 au 20 décembre 2012.
[103] À cette date, la CSST rend une décision par laquelle elle déclare que le travailleur n’est pas capable de reprendre son travail et qu’il n’y a aucun autre emploi chez l'employeur qui peut convenir actuellement.
[104] Il appert du dossier que le travailleur a renoncé au droit à la réadaptation. Toutefois, le tribunal estime qu’il n’a pas été démontré par une preuve prépondérante que l'employeur aurait pu offrir au travailleur un emploi convenable qu’il aurait eu la capacité d’occuper. Le tribunal ne peut présumer que n’eût été de la démission, l'employeur aurait eu un emploi convenable à offrir au travailleur.
[105] Ainsi, à compter du 20 décembre 2012, le versement de l’indemnité de remplacement du revenu est dû en raison de l’accident du travail, en application de l’article 53 de la loi. Cela, de l’avis du tribunal, ne crée pas une situation d’injustice.
[106] Le tribunal doit maintenant décider si l'employeur a droit à un partage des coûts en vertu de l’article 329 de la loi :
329. Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.
L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.
[107] La Commission des lésions professionnelles doit donc déterminer si le travailleur était déjà handicapé au moment de la survenance de la lésion professionnelle le 18 août 2010.
[108] La loi ne définit pas la notion de handicap. Il convient donc de s’en remettre à la définition retenue par la jurisprudence de façon pratiquement unanime depuis l’affaire Municipalité Petite-Rivière St-François[5] :
« La Commission des lésions professionnelles considère qu’un travailleur déjà handicapé au sens de l’article 329 de la loi est celui qui présente une déficience physique ou psychique qui a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur les conséquences de cette lésion. »
[109] La jurisprudence nous enseigne également qu’une déficience est une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique qui correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale. Elle peut être congénitale ou acquise et elle peut se traduire ou non par une limitation des capacités du travailleur à fonctionner normalement. Elle peut aussi être asymptomatique jusqu’à la survenance de la lésion professionnelle[6].
[110] L’employeur doit donc démontrer que le travailleur était, au moment de la lésion professionnelle, porteur d’une déficience, laquelle correspond à une déviation par rapport à la norme biomédicale.
[111] Dans le cas où l’employeur réussit cette démonstration, il doit démontrer que cette déficience a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur les conséquences de cette lésion.
[112] Dans le présent dossier, la résonance magnétique a démontré la présence d’un amincissement ou d’une déchirure sévère du sous-scapulaire. Cette lésion ne fait pas partie des diagnostics reconnus par la CSST en lien avec la lésion professionnelle. En effet, seuls les diagnostics de tendinite traumatique de l’épaule gauche et de capsulite de l’épaule gauche ont été reconnus.
[113] La déchirure du sous-scapulaire doit donc être considérée comme une condition personnelle.
[114] Le docteur Kinnard a témoigné que cette déchirure ou cet amincissement étaient de nature chronique, tel que décrit par le radiologiste, de sorte qu’à son avis, cette condition est préexistante à l’événement. Bien que l’événement ait pu aggraver cette condition dégénérative, il estime qu’elle était présente bien avant l’événement.
[115] De plus, littérature à l’appui, le docteur Kinnard témoigne qu’une déchirure de la coiffe des rotateurs se retrouve chez 20% des personnes âgées entre 60 et 69 ans. Pour lui, cela permet d’affirmer qu’il s’agit d’une condition qui dévie de la norme biomédicale. S’ajoute à cela les constats du docteur Kinnard faits à partir de son expérience de praticien, à savoir que les déchirures au niveau du sous-scapulaire apparaissent être encore plus rares.
[116] Le tribunal retient le témoignage non contredit du docteur Kinnard et conclut qu’au moment de l’accident du travail, le travailleur est porteur d’une condition personnelle préexistante de déchirure ou d’amincissement sévère du sous-scapulaire, laquelle condition constitue une déficience qui dévie de la norme biomédicale.
[117] Selon le docteur Kinnard, cette déficience a eu un impact sur la gravité de la lésion en ce qu’une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles ont été reconnues au travailleur, lesquelles l’ont empêché de reprendre son travail. Aussi, cette déficience a prolongé la période de consolidation de la lésion.
[118] Le tribunal en vient donc à la conclusion que le travailleur était déjà handicapé au moment de la survenance de la lésion professionnelle. L'employeur a donc droit à un partage de coûts dont il faut maintenant déterminer le pourcentage.
[119] En considérant que la déficience a eu un impact sur la prolongation de la période de consolidation et sur l’importance des conséquences de la lésion, le tribunal juge que le pourcentage de partage de coûts demandé par l'employeur est justifié.
[120] L'employeur a donc droit à un partage de coûts de l’ordre de 10% à son dossier et de 90% aux employeurs de toutes les unités.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de l'employeur, Kiewit-Nuvumiut, Société en Coparticipation;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 16 avril 2013, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le coût de l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur entre le 10 octobre 2010 et le 20 décembre 2012 ne doit pas être imputé au dossier de l'employeur;
DÉCLARE que l'employeur a droit à un partage des coûts dus en raison de la lésion professionnelle subie par le travailleur le 18 août 2010 de l’ordre de 10% à son dossier et de 90% aux employeurs de toutes les unités.
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Diane Lajoie |
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Me Pierre Pilote |
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GOWLING LAFLEUR HENDERSON, s.r.l. |
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Représentant de la partie requérante |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] F.A. MATSEN III et al.,chap. 15: « Rotator Cuff », dans C.A. ROCKWOOD et al.,The Shoulder, 3e éd., Philadelphie, Saunders, 2004, pp. 796-821.
[3] Supervac 2000, C.L.P. 502872-03B-1302, 28 octobre 2013, A, Quigley (requête en révision judiciaire pendante).
[4] 2014 QCCLP 216.
[5] [1999] C.L.P. 779.
[6] Municipalité Petite-Rivière St-François et CSST, citée note 4; Centre hospitalier Baie-des-Chaleurs, C.L.P., 226576-01C-0402, 10 novembre 2004, R. Arseneau.
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