Beaumont et Maintenance Eureka ltée |
2015 QCCLP 4727 |
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[1] Le 26 mai 2014, monsieur Réjean Beaumont (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 20 mai 2014 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a rendue le 11 février 2014 et déclare que le travailleur est capable d’exercer son emploi à compter du 8 février 2014 et qu’il n’a plus droit à l’indemnité de remplacement du revenu depuis cette date.
[3] Par la même décision, la CSST confirme celle qu’elle a rendue le 26 mars 2014 et déclare que la demande de révision du travailleur à propos de l’évaluation faite par son médecin est irrecevable, que le bilan des séquelles établi par le médecin qui a charge est conforme, que la lésion professionnelle survenue le 27 août 2012 entraîne une atteinte permanente de 2,90 % et que le travailleur a droit à une indemnité pour préjudice corporel de 1 653,73 $, plus les intérêts.
[4] Une audience a eu lieu à Lévis le 3 juin 2015. Le travailleur était présent et représenté. Maintenance Eureka ltée (l’employeur) était représenté par une avocate.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que l’évaluation des séquelles permanentes de la lésion professionnelle du 27 août 2012 par le docteur Jean-Philippe Bélanger est irrégulière et ne lie pas la CSST. Il lui demande également de déclarer qu’il était incapable d’effectuer son emploi en raison des séquelles de cette lésion.
L’AVIS DES MEMBRES
[6] Le membre issu des associations d’employeurs considère que la requête du travailleur doit être rejetée. À son avis, le docteur Bélanger agissait comme médecin qui a charge lors de l’évaluation des séquelles permanentes de la lésion professionnelle et son rapport ne contient aucun motif d’irrégularité. La CSST était donc liée par ses conclusions sur l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles. Il estime également que la CSST n’avait pas à se prononcer sur la capacité du travailleur à exercer son emploi puisque la lésion professionnelle n’a pas modifié les limitations fonctionnelles déjà existantes.
[7] Le membre issu des associations syndicales considère que la requête du travailleur doit être accueillie. Selon lui, le rapport d’évaluation médicale du docteur Bélanger ne permet pas de savoir s’il a procédé à un examen physique complet et s’il a tenu compte des éléments les plus pertinents du dossier pour arriver à sa conclusion à propos des limitations fonctionnelles. Selon lui, ce rapport devrait être déclaré irrégulier.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[8] Le travailleur est préposé à l’entretien ménager.
[9] Le 27 août 2012, il ressent une douleur lombaire irradiant aux membres inférieurs en descendant une décapeuse à plancher dans un escalier. L’événement est décrit comme suit dans sa déclaration :
J’ai voulu descendre la décapeuse de marche en marche du 2e étage au 1er étage (il n’y a pas d’ascenseur dans cette école). Je l’ai échappée. J’ai voulu la retenir et c’est là qu’une douleur aigüe est apparue. J’ai quand même continué à travailler. Le lendemain matin, j’ai été consulté un médecin à l’urgence parce que la douleur était intolérable. J’avais beaucoup de mal à partir du dos jusqu’à la moitié de la jambe. J’ai été couché 3 jours et le mardi matin j’ai repris le travail.
[10] Le travailleur consulte un médecin le lendemain. Une hernie inguinale est soupçonnée. Différents tests sont effectués (échographie abdominale et pelvienne, tomodensitométrie axiale abdominale et pelvienne) et sont interprétés comme étant négatifs.
[11] Le travailleur retourne au travail du 9 au 16 septembre 2012. Devant la persistance des symptômes, il consulte la docteure Dominique Poirier le 17 septembre 2012 qui diagnostique une lombalgie avec sciatalgie gauche et une faiblesse au membre inférieur gauche. Elle demande que soit effectuée une tomodensitométrie et prescrit une médication (Tylenol, Flexeril et Dilaudid).
[12] Une tomodensitométrie de la colonne lombaire effectuée le 24 septembre 2012 démontre ce qui suit :
Aspect normal de l’espace L2-L3.
En L3-L4, léger bombement discal circonférentiel avec légère collerette disco-ostéophytique sans hernie discale. Légère arthrose facettaire avec hypertrophie des ligaments jaunes. Déformation triangulaire du sac dural par les changements dégénératifs. Pas de sténose spinale ou foraminale sous réserve d’une légère diminution en taille du diamètre du foramen de conjugaison droit.
En L4-L5, léger bombement discal circonférentiel avec légère collerette disco-ostéophytique marginale. Pas de hernie discale focale.
Légère arthrose facettaire avec hypertrophie des ligaments jaunes. Légère déformation triangulaire du sac dural par les changements dégénératifs sans sténose spinale. Pas de sténose foraminale.
En L5-S1, diminution légère de la hauteur de l’espace discal avec phénomène a vacuo. Bombement discal circonférentiel avec complexes disco-ostéophytiques marginaux. Pas de déformation du sac dural, hernie focale ou sténose spinale. Légère sténose foraminale gauche par les changements disco-ostéophytiques. À corréler cliniquement.
Pas de sténose foraminale droite.
[13] Le 26 septembre 2012, le docteur Gilles Fortin retient le diagnostic de séquelles d’entorse lombaire avec irritation facettaire L5-S1 prédominante à droite. Il mentionne également une discopathie, une arthrose facettaire et une sténose foraminale multiétagée. Il suggère une infiltration facettaire L5-S1.
[14] Le 10 octobre 2012, le docteur Fortin recommande des traitements de physiothérapie.
[15] Dans un rapport de consultation produit le 10 octobre 2012, le docteur Jean-Philippe Bélanger, chirurgien orthopédiste, note à l’examen des forces dans les limites de la normale et un Lasègue fortement positif du côté gauche. Il demande que soit effectuée une résonance magnétique.
[16] Un examen par résonance magnétique effectué le 6 décembre 2012 révèle diverses anomalies, dont une hernie discale à L2-L3 et les traces d’une discoïdectomie à L5-S1 :
Opinion :
Il y a une hernie discale modérée à court rayon de courbure localisée en foraminal gauche à L2-L3 entraînant une sténose foraminale. On note des phénomènes de discopathie dégénérative étagée prédominant à L3-L4 et L4-L5 avec bombements circonférentiels diffus de ces disques s’accompagnant d’une arthrose facettaire étagée également modérée ce qui entraîne des sténoses foraminales multiétagées telles que décrites plus haut. Il semble y avoir eu discoïdectomie subtotale antérieurement à L5-S1 avec laminectomie du côté droit, mais il n’y a pas de récidive de hernie discale à ce niveau ni d’importante fibrose épidurale.
[17] Le 9 janvier 2013, le docteur Jean-Philippe Bélanger mentionne une hernie discale L2-L3 avec sténose foraminale gauche. Il recommande une infiltration épidurale et mentionne la possibilité d’une chirurgie.
[18] Dans un rapport de consultation daté du 11 mars 2013, le docteur Alexandre Denault, orthopédiste, rejette l’option chirurgicale. Il recommande plutôt une participation à un programme de réadaptation fonctionnelle intensive.
[19] Le 25 mars 2013, le docteur Daniel Boulet, physiatre, retient le diagnostic de « séquelles d’entorse lombaire avec irritation facettaire à L5-S1, droite plus que gauche, chez un patient qui présente une certaine hypotonie de sa musculature tronculaire ». Il recommande au travailleur d’effectuer certains exercices de renforcement et de s’adonner à une activité physique de type aérobique. Il suggère par ailleurs un retour au travail à temps partiel à compter du 15 avril 2013 et à temps complet à partir du 29 avril 2013.
[20] Le 26 mars 2013, le travailleur est examiné par le docteur Jean-François Fradet, chirurgien orthopédiste, à la demande de la CSST. À son avis, le diagnostic à retenir est celui de « séquelles post-entorse lombaire ». De plus, la lésion n’est pas encore consolidée et le travailleur devrait être dirigé vers un programme de réadaptation.
[21] Du 28 mai au 13 juin 2013, le travailleur participe à un programme de réadaptation fonctionnelle chez Réadaptation Québec.
[22] Le 4 juillet 2013, le travailleur est examiné par le docteur Serge Gagnon, orthopédiste et membre du Bureau d’évaluation médicale, afin qu’il se prononce sur la question du diagnostic de la lésion professionnelle.
[23] Dans cet avis, le docteur mentionne que le travailleur a des antécédents médicaux pertinents. En effet, il a subi une hernie discale aigüe à L5-S1 droite le 25 mai 1990. Il a été opéré pour une discoïdectomie le 11 juin 1990. La lésion a été consolidée le 22 octobre 1990 avec un déficit anatomophysiologique de 7 %, mais sans limitations fonctionnelles permanentes. Le 15 mars 1992, il a subi une récidive, rechute ou aggravation. Une seconde chirurgie a été effectuée le 25 novembre 1992, soit une discoïdectomie L5-S1 et une lyse de la racine S1 droite. Cette lésion a été consolidée le 5 juillet 1993 avec un déficit anatomophysiologique additionnel de 3 % et les limitations fonctionnelles suivantes :
Ce travailleur demeure avec des limitations fonctionnelles au niveau de son rachis lombaire. Celui-ci ne devrait pas être soumis à des prises en charge dépassant 12 kilos. Il devrait éviter les mouvements répétitifs de flexion et d’extension du rachis ainsi que des mouvements de rotation du rachis avec effort. Il devrait éviter des positions accroupies soutenues ainsi que des positions d’extension du rachis soutenues. Il devrait des vibrations de basses fréquences au niveau du siège.
[24] Le travailleur a subi d’autres récidives, rechutes ou aggravations le 15 décembre 1996 et le 4 avril 2001. Le premier épisode a été consolidé le 23 juin 1997 et le second le 19 mars 2002. Dans les deux cas, il n’y a pas eu de modification du déficit anatomophysiologique et des limitations fonctionnelles.
[25] Dans son avis motivé, le docteur Gagnon considère que le travailleur a aggravé une condition personnelle lors de l’événement du 27 août 2012. Le diagnostic qu’il retient est une « entorse lombaire avec aggravation d’un syndrome facettaire comme condition préexistante » :
Selon toute évidence du fait accidentel lors de sa chute le 27 août 2012, il a présenté une entorse lombaire sur une condition personnelle de discarthrose lombaire multiétagée avec arthrose facettaire principalement au niveau L3-L4 et L4-L5.
Il y a certainement eu à ce moment aggravation de son syndrome facettaire.
[26] Dans une décision rendue le 25 juillet 2013, la CSST entérine l’avis du docteur Serge Gagnon à propos du diagnostic. Cette décision n’est pas contestée.
[27] Dans un rapport daté du 23 août 2013, le docteur Fortin mentionne le diagnostic de séquelles d’entorse lombaire avec irritation facettaire L5-S1 prédominante à droite. Il suggère une consultation avec le docteur Patrice Montminy, chirurgien orthopédiste. Cette consultation n’a pas lieu en raison du peu de disponibilité du docteur Montminy.
[28] Le 15 octobre 2013, le docteur Jean-Philippe Bélanger produit un rapport final consolidant la lésion professionnelle avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. Le 10 décembre 2013, il examine le travailleur pour déterminer les séquelles de la lésion professionnelle. Il reconnaît une augmentation du déficit anatomophysiologique de 2 % en raison d’une entorse lombaire avec séquelle fonctionnelle, mais aucune limitation fonctionnelle additionnelle.
[29] Dans une première décision rendue le 11 février 2014, la CSST déclare que le travailleur est capable d’exercer son emploi depuis le 8 février 2014. Dans une seconde décision datée du 26 mars 2014, elle reconnaît que la lésion professionnelle entraîne une atteinte permanente de 2,90 %, ce qui donne droit à une indemnité pour préjudice corporel de 1 653,73 $, plus les intérêts. Ces deux décisions sont confirmées par la révision administrative le 20 mai 2014. Il s’agit de la décision contestée.
[30] Le représentant du travailleur demande à la Commission des lésions professionnelle de déclarer que l’évaluation des séquelles permanentes effectuée par le docteur Jean-Philippe Bélanger le 10 décembre 2013 est invalide et qu’elle ne lie pas la CSST.
[31] Il prétend que le docteur Bélanger a basé son évaluation sur le mauvais diagnostic, qu’il méconnaissait le dossier médical du travailleur, qu’il n’a pas tenu compte de tous les éléments au dossier, qu’il s’est contredit à propos de l’aggravation des limitations fonctionnelles et que son évaluation ne reflète pas la véritable condition du travailleur. Enfin, il allègue que le docteur Bélanger n’avait probablement pas les connaissances requises pour procéder à cette évaluation.
[32] En matière de soins et d’évaluation médicale, la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) prévoit deux règles particulièrement importantes. Premièrement, le travailleur a le droit de recevoir les soins du professionnel de la santé de son choix (article 192 de la loi). Il peut donc choisir d’être soigné et évalué par le médecin de son choix. Deuxièmement, la CSST est liée par les questions de nature médicale établies par le médecin qui a charge du travailleur (article 224 de la loi). Les questions médicales sont le diagnostic, la date de consolidation, les soins et les traitements, l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles :
192. Le travailleur a droit aux soins du professionnel de la santé de son choix.
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1985, c. 6, a. 192.
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.
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1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.
[33] Dans le présent cas, le travailleur a été pris en charge par le docteur Gilles Fortin, en plus d’avoir consulté différents spécialistes, dont le docteur Jean-Philippe Bélanger.
[34] Le 23 août 2013, le docteur Fortin dirige le travailleur vers le docteur Patrice Montminy. Ce dernier n’étant pas disponible, le docteur Fortin choisit plutôt le docteur Bélanger pour produire un rapport final et un rapport d’évaluation médicale. C’est ce qui ressort clairement de la note de l’agente de la CSST, le 8 octobre 2013 :
T me dit que son Rv avec le Dr Bélanger est pour faire le REM le 15 octobre. Il me dit que Dr Fortin l’a référé vers lui pour lui remettre son RMF et fasse son REM. Veillerons à ce que le md ait en main le dossier et les REM antérieurs. [sic]
[35] C’est donc dans ce contexte que le travailleur consulte le docteur Bélanger le 15 octobre 2013 et le 10 décembre 2013 pour la production d’un rapport final et d’un rapport d’évaluation médicale dans lequel le docteur Bélanger se prononce à propos de l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles.
[36] Il est clair ici que le travailleur a accepté d’être évalué par le docteur Bélanger, sur la recommandation de son médecin traitant, ce qui faisait de lui le médecin qui a charge au sens de la loi au moment de la production de ses deux rapports. En vertu de l’article 224 de la loi, la CSST était liée par les conclusions retenues par le docteur Bélanger dans l’exécution de son mandat.
[37] Un travailleur ne peut contester une conclusion apparaissant dans un rapport de son médecin. Le 2e alinéa de l’article 358 de la loi prévoit spécifiquement l’impossibilité de demander la révision d’une question d’ordre médical sur laquelle la CSST est liée en vertu de l’article 224 de la loi :
358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.
Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365.
Une personne ne peut demander la révision de l'acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l'article 284.2 ni du refus de la Commission de renoncer à un intérêt, une pénalité ou des frais ou d'annuler un intérêt, une pénalité ou des frais en vertu de l'article 323.1.
Une personne ne peut demander la révision du taux provisoire fixé par la Commission en vertu de l'article 315.2.
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1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14; 2006, c. 53, a. 26.
[38] Selon la jurisprudence, il existe certaines situations exceptionnelles permettant de déclarer irrégulier un rapport du médecin qui a charge malgré son caractère liant. C’est le cas lorsque celui-ci est fourni par complaisance ou qu’il est fondé sur le mauvais diagnostic ou sur des données qui sont fausses, lorsque le médecin se prononce en fonction d'un examen médical incomplet ou avant d'avoir obtenu les résultats de certains tests, lorsqu’il n'a manifestement pas les compétences pour évaluer la lésion professionnelle, ou lorsqu’un rapport final ne respecte pas les exigences de l’article 203 de la loi[2].
[39] Le rapport d’évaluation médicale produit par le docteur Bélanger le 10 décembre 2013 contient des erreurs et des omissions, dont certaines sont très sérieuses.
[40] Dans la section de son rapport consacré aux antécédents médicaux pertinents, il note la découverte, en 1990, d’une hernie discale ayant nécessité une discoïdectomie, mais omet de mentionner un élément essentiel de l’histoire médicale, qui est la deuxième chirurgie du 25 novembre 1992.
[41] Dans son résumé des mesures thérapeutiques, le docteur Bélanger passe totalement sous silence la participation du travailleur à un programme intensif de réadaptation fonctionnelle en mai et juin 2013.
[42] Dans la première section de son rapport, le docteur Bélanger utilise le terme « rechute » à deux reprises. Dans la section « aggravation », il mentionne que « l’événement actuel constitue une aggravation de l’événement initial du 28 mai 1990 », ce qui est inexact puisque l’événement du 27 août 2012 est un nouvel accident du travail ayant aggravé une condition préexistante de syndrome facettaire.
[43] Le soussigné remarque que le docteur Bélanger ne mentionne jamais le rapport d’évaluation médicale du docteur Bernard Lacasse produit le 30 octobre 2001. Ce rapport est pourtant d’une importance particulière puisqu’il reflète la condition du travailleur immédiatement après la récidive, rechute ou aggravation du 4 avril 2001.
[44] Pour le soussigné, l’élément le plus troublant du rapport est le descriptif de l’examen physique, qui tient en huit courtes lignes :
5 - Examen physique incluant la comparaison contra-latérale
ROM extension colonne lombaire 0 - 10 degrés
ROM flexion colonne lombaire 0 - 70 degrés
ROM flexion latérale droite colonne lombaire 0 - 20 degrés
ROM flexion latérale gauche rachis colonne lombaire 0 - 20 degrés
Diminution de la sensibilité du territoire de S1 droit à la piqûre
Lasègue positif à 45 degrés au membre inférieur droit
Pas de Lasègue croisé
ROT préservé
[45] Cet examen musculo-squelettique et neurologique est incomplet. Il n’y a pas d’évaluation de la démarche sur les talons et la pointe des pieds. Aucun examen palpatoire n’est rapporté, alors que le travailleur a aggravé un syndrome facettaire. Les mesures de rotation du rachis ne sont pas notées. On ignore si les mouvements de la colonne sont accompagnés de douleurs. L’absence de mesures des membres inférieurs empêche de savoir s’il y a une atrophie. Les tests du « Straight-Leg-Raising » et du Tripode ne sont pas notés.
[46] La loi ne précise pas le type d’examen devant être fait lors de l’évaluation des séquelles permanentes d’une lésion professionnelle ni les éléments qui doivent apparaître dans le rapport du médecin. Cependant, il ressort clairement du Règlement sur le barème des dommages corporels[3] que cet examen doit être complet et rigoureux.
[47] La loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les travailleurs (article 1). L’évaluation des séquelles permanentes est une étape importante du processus de réparation puisqu’elle détermine le droit du travailleur à une indemnité pour préjudice corporel et à la réadaptation.
[48] Un autre aspect de la démarche du docteur Bélanger étonne le soussigné. Dans son rapport final du 15 octobre 2013, il mentionne que la lésion professionnelle entraîne des limitations fonctionnelles et que ces limitations ont aggravé des limitations fonctionnelles antérieures. Étrangement, moins de deux mois plus tard, il arrive à la conclusion qu’il n’y a pas de nouvelle limitation fonctionnelle. Pourtant, l’examen physique qu’il rapporte, quoique de façon incomplète, contient des signes cliniques significatifs (un Lasègue positif à 45° au membre inférieur droit et une diminution de la sensibilité à S1 droite) qui étaient normaux lors de l’examen fait par le docteur Lacasse en 2001.
[49] Bien que la CSST n’ait pas à s’immiscer dans la méthode d’examen d’un médecin, le rapport qu’il produit doit permettre de comprendre les résultats auxquels il en arrive[4].
[50] Dans le présent cas, le rapport du docteur Bélanger contient de si grandes lacunes qu’il est difficile de savoir s’il a évalué entièrement et correctement la condition du travailleur et s’il a tenu compte de l’ensemble des données médicales pertinentes.
[51] La Commission des lésions professionnelles considère donc que dans les circonstances, il y a lieu de déclarer que le rapport d’évaluation médicale produit le 10 décembre 2013 par le docteur Bélanger est irrégulier et qu’il ne lie pas la CSST. Les conclusions qui en découlent sont annulées. Le travailleur devra donc être évalué par un autre médecin de son choix. D’ici là, il a droit à l’indemnité de remplacement du revenu.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Rejean Beaumont, le travailleur;
MODIFIE la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 20 mai 2014 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le rapport d’évaluation produit le 10 décembre 2013 par le docteur Jean-Philippe Bélanger est irrégulier et qu’il ne lie pas la Commission de la santé et de la sécurité du travail;
DÉCLARE que le travailleur a toujours droit à l’indemnité de remplacement du revenu en attendant d’être évalué par un médecin de son choix.
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Michel Sansfaçon |
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M. Jean-Pierre Devost |
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U.E.E.S. LOCAL 800 (F.T.Q.) |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Janie-Pier Joyal |
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MONETTE, BARAKETT & ASS. |
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Représentante de la partie intéressée |
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[1] RLRQ, c. A-3.001.
[2] Fournier et Habitations HPR inc., 2011 QCCLP 4933; Wetherall et Les Entreprises Renaud Rioux, C.L.P. 361173-01C-0810, 24 août 2009, J.-F. Clément; Roux et Terminaux portuaires du Québec inc., 2015 QCCLP 2610; Tardif et Ministère de la Santé et des Services sociaux (Programme Emploi-Service), 2013 QCCLP 1883; Lemelin et Entreprises LG, 2012 QCCLP 6182.
[3] Règlement sur le barème des dommages corporels, RLRQ, c. A-3.001, r. 2.
[4] Smith et Soucy International inc., 2009 QCCLP 596.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.