Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

RÉGION :

Lanaudière

JOLIETTE, le 10 avril 2001

 

 

DOSSIERS :

141862-63-0007

143044-63-0007

 

 

DEVANT LA COMMISSAIRE :

Rose-Marie Pelletier

 

 

DOSSIERS CSST :

116974601

115724635

 

 

ASSISTÉE DES MEMBRES :

Francine Melanson

Associations d’employeurs

 

 

 

 

Lyne Gingras

Associations syndicales

 

 

 

 

ASSISTÉE DE L'ASSESSEUR :

Dr Michel Girard

 

 

 

 

AUDIENCE TENUE LE :

7 mars 2001

 

 

 

 

À :

Joliette

 

 

 

 

_______________________________________________________

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

NICOLAS LAMARRE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE REQUÉRANTE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

et

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L.A. HÉBERT LTÉE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE INTÉRESSÉE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

et

 

 

 

 

COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL - LANAUDIÈRE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE INTERVENANTE

 


 

DÉCISION

 

DOSSIER:  141862-63-0007

[1]               Le 26 juin 2000, monsieur Nicolas Lamarre (le travailleur) dépose une requête auprès de la Commission des lésions professionnelles à l'encontre de la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), le 19 juin 2000, à la suite d'une révision administrative (dossier CSST:  R-116974601-00001).

[2]               Par cette décision, la révision administrative maintient la décision rendue par la CSST (dossier:  116974601) le 7 octobre 1999 et contestée par le travailleur le 21 octobre 1999, par laquelle elle déclare que le travailleur n'a pas subi de lésion professionnelle, le 6 août 1998, et qu'il n'a pas droit aux indemnités de remplacement du revenu prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

 

DOSSIER:  143044-63-0007

[3]               Le 19 juillet 2000, le travailleur dépose une requête auprès de la Commission des lésions professionnelles à l'encontre de la décision rendue par la CSST, le 12 juillet 2000, à la suite d'une révision administrative (dossier CSST:  R-115724635-00002).

[4]               Par cette décision, la révision administrative maintient la décision rendue par la CSST (dossier:  115724635) le 23 août 1999 et contestée par le travailleur le 21 septembre 1999, par laquelle elle refuse sa réclamation pour une récidive, rechute ou aggravation (ostéoporose) de la lésion professionnelle qu'il a subie le 29 octobre 1998 et qu'il n'a pas droit aux indemnités de remplacement du revenu

[5]               À l'audience, le travailleur est présent et représenté par Me André Laporte.  La compagnie L.A. Hébert Ltée (l'employeur) est représentée par Me Michelle Savard.  La CSST, qui s'était prévalue de son droit d'intervention prévu à l'article 429.16 de la loi, est absente et non représentée.

 

L'OBJET DES REQUÊTES

DOSSIER:  141862-63-0007

[6]               Le représentant du travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d'infirmer la décision rendue par la CSST, à la suite d'une révision administrative, le 19 juin 2000, et de déclarer qu'il a subi une lésion professionnelle, soit une déchirure méniscale du genou droit, le 6 août 1998, et qu'il a droit aux indemnités de remplacement du revenu.

 

DOSSIER:  143044-63-0007

[7]               Le représentant du travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d'infirmer la décision rendue par la CSST à la suite d'une révision administrative, le 12 juillet 2000.  Il demande à ce tribunal de reconnaître que le diagnostic d'ostéoporose constitue une récidive, rechute ou aggravation de la lésion professionnelle que le travailleur a subie le 29 octobre 1998, soit une fracture de la vertèbre D6 avec trouble amnésique secondaire.

 

LES FAITS

[8]               Le travailleur est manœuvre spécialisé en excavation pour l'employeur engagé dans la décontamination de la carrière Angus, depuis le début de l'année 1996.  Ses tâches consistent à identifier les divers matériaux retirés.  Il n'opère pas de machinerie mais s'occupe de diriger les pelles mécaniques, les camions, d'identifier et de prendre en note les divers éléments polluants tels que:  tuyaux;  ciment;  traces d'huile ayant servi à la réparation des trains, etc.

[9]               Il marche sur un terrain accidenté et parfois mouillé.  Le sol est souvent plus mou, mais sans qu'il soit possible de le voir en surface.  Le 6 août 1998, il enfonce le pied droit jusqu'à huit à neuf pouces dans un sol mouillé.  En faisant des efforts pour retirer son pied de la terre mouillée, explique-t-il lors de son témoignage à l'audience, le corps "m'a crochi avec le genou", et il a ressenti une brûlure au genou droit.

[10]           Cet événement est survenu vers 14h00, soit peu de temps avant la fin de sa journée de travail.  Il a terminé sa journée malgré une douleur assez forte, mais le travail n'est pas aussi exigeant à cette étape de la journée, précise-t-il.

Il n'a pas informé son contremaître le soir même parce que, lorsqu'il est passé au bureau pour y laisser son instrument au laser, il n'y avait personne, le contremaître et le surintendant étant sur le chantier pour la fermeture des travaux de la journée.  Il n'a pas fait de démarches pour les trouver sur le chantier qui est très vaste, croyant qu'il n'avait qu'un muscle endolori.

[11]           Le lendemain matin, vers 6h30 ou 7h00, il informe l'employeur de la survenance de cet événement et il continue à travailler.  Il n'y a pas d'arrêt de travail pour le genou, mais le travailleur arrête de travailler à la suite du deuxième accident du travail dont il est victime, le 29 octobre 1998.

[12]           Dans les notes de la CSST correspondant au dossier de l'accident du travail que subira le travailleur, le 29 octobre 1998, l'agente d'indemnisation rapporte, en date du 18 mars 1999, une rencontre avec le travailleur et la conseillère en réadaptation.  L'agente d'indemnisation y écrit que le travailleur aurait consulté le docteur Durocher, environ un mois avant l'événement, parce qu'il avait une légère douleur au genou droit.  Elle cite les propos du travailleur quant à l'origine de cette douleur, soit:

«T dit que c'est à force de marcher ds les trous et sur des terrains inégaux qu'il se serait infligé cette blessure.  T ne peut nommer un moment précis ds le temps.  Il dit avoir prévenu son E qu'il avait des dlrs au genou.»

 

 

 

[13]           Le 11 août 1998, le travailleur consulte le docteur Thérèse Durocher qui inscrit, dans ses notes, que le travailleur a subi, antérieurement au 6 août 1998, un trauma aux deux genoux et une fracture du genou gauche lors d'un accident d'automobile.  Elle fait état d'un examen normal, ne notant aucun œdème et prescrit des anti-inflammatoires.  Il n'y a pas d'Attestation médicale au dossier pour cette visite.

[14]           À l'audience, le travailleur explique pourquoi le docteur Durocher a écrit qu'il avait subi un traumatisme aux deux genoux.  Le médecin lui a demandé s'il avait déjà eu des problèmes aux genoux et le travailleur lui a expliqué qu'en 1985, il a été frappé par une automobile alors qu'il traversait la rue.  L'impact s'est produit sur le côté gauche et le travailleur est tombé sur les deux genoux.  Il n'y a cependant pas eu de lésion aux genoux, sauf des égratignures.

[15]           Le 1er octobre 1998, il consulte le docteur Claude Narbonne pour un malaise persistant malgré la prise d'anti-inflammatoires, tel que noté au dossier du travailleur.  Une radiographie des deux genoux est pratiquée le jour même par le docteur L. Perreault, radiologue.  Le protocole radiologique se lit comme suit:

«Ébauche d'une atteinte dégénérative au niveau du compartiment fémoro-tibial externe du genou gauche.

 

Pas d'évidence de pincement important associé.

 

Du côté droit, l'aspect ostéo-articulaire est dans la limite de la normale.»

 

 

[16]           Le 30 mars 1999, une résonance magnétique du genou droit est pratiquée par le docteur Luc Desharnais, radiologue, qui signe un rapport le 7 avril 1999.  Ce spécialiste y émet l'opinion diagnostique suivante, soit:

«(...)

 

Déchirure longitudinale horizontale oblique de la région moyenne postérieure et postérieure du ménisque interne, légers changements dégénératifs au compartiment fémoro-tibial interne avec un petit kyste sous chondral du côté du plateau du tibia.»

 

 

[17]           Dans une lettre adressée à la CSST, le 10 mai 1999, le travailleur écrit qu'il sera éventuellement opéré pour une déchirure au genou droit, lorsque la lésion au dos le lui permettra.

[18]           Le 28 juin 1999, le travailleur fait une réclamation à la CSST pour l'événement survenu le 6 août 1998 qu'il décrit ainsi sur le formulaire intitulé Réclamation du travailleur, soit:

«La blessure s'est produite en marchant dans la boue.  Après m'être enfoncé, je me suis blessé en forçant.»

 

 

[19]           Le 7 octobre 1999, la CSST refuse cette réclamation pour la raison suivante:

«Il n'y a pas de lien entre la déchirure du ménisque interne du genou droit associé à des changements dégénératifs du compartiment interne et l'événement du 6 août 1998.

 

(...)»

 

 

[20]           Le travailleur conteste cette décision, le 21 octobre 1999, ce qui donne lieu à la décision en révision administrative du 19 juin 2000 que le travailleur conteste le 26 juin 2000, ce qui constitue le premier objet du litige auprès de la Commission des lésions professionnelles.

[21]           Entre-temps, le travailleur est victime d'un grave accident du travail, le 29 octobre 1998.  La description de l'événement est ainsi décrite sur le formulaire intitulé Réclamation du travailleur signé le 30 novembre 1998, soit:

«Il a été frappé par un tuyau, dans le dos.  Était tourné dos à la pelle mécanique.»

 

 

 

[22]           À l'audience, le travailleur explique que le 29 octobre 1998, ils ont procédé à l'excavation de tuyaux de 35 tonnes et ils étaient à les charger, à l'aide de la pelle mécanique, sur un camion.  Un de ces tuyaux était trop long.  Une chenille, qui se trouve à environ 50 pieds derrière la pelle mécanique, est montée pour plier le tuyau qui est alors projeté dans les airs.  Le tuyau retombe perpendiculairement au sol et frappe le travailleur dans le dos.

[23]           Le travailleur est inconscient pendant dix à quinze minutes;  il est ramené en civière pour être ensuite dirigé à l'hôpital.

[24]           Le 12 novembre 1998, le docteur A.L. Desjardins, orthopédiste, signe une Attestation médicale et écrit les informations suivantes:

«Patient hospitalisé depuis le 29-10-98.

Diag: fx.  Écrasement vertébral D7.

Repos stricte au lit pour 6 sem.  Au total.

Æ signe neuro.  Patient aura son congé dès que lit d'hôpital disponible pour la maison avec équipement

Reverrons dans 1 mois à la clinique.»  (sic)

 

 

 

[25]           Deux options sont offertes au travailleur, soit: la chirurgie dorsale avec tiges métalliques ou l'immobilisation totale couché à plat sur le dos.  Le travailleur choisit cette deuxième option.  Il rapporte, à l'audience, qu'il n'était pas autorisé à lever la tête ni à faire quelque mouvement que ce soit, pendant ces six semaines.

[26]           Par la suite, sur une période d'environ trois mois, il porte un corset à raison de dix minutes par jour, au début, allant en augmentant selon la résistance du travailleur.

[27]           Le 21 janvier 1999, le docteur Desjardins réfère, dans son Rapport médical, à des fractures à trois niveaux, soit D4 - D5 -D6.  Il constate que la douleur dorsale est diminuée, il prescrit des exercices dont 50 % à la maison et préconise l'abandon graduel du corset en piscine.

[28]           Le 29 avril 1999, le docteur Desjardins fait état de douleurs résiduelles au niveau D-7.  Il écrit, en outre, que le travailleur a des troubles de mémoire et il réfère son patient en neurologie pour cette séquelle du traumatisme crânien.

[29]           Le 7 mai 1999, le docteur Louis E. Roy, neurologue, transmet ses observations au docteur Desjardins.  Il constate un examen neurologique dans les limites de la normale y compris les fonctions cognitives.  Son impression diagnostique est la suivante:

«Polytraumatisme (29-10-98) avec commotion cérébrale mineure, avec Fx thoracique sans myélopathie.»

 

 

 

[30]           Le 1er juin 1999, le docteur Jean Vézina produit une expertise médicale à la demande de l'employeur.  Après avoir examiné le travailleur, il émet les avis suivants concernant chacun des cinq points médicaux énumérés à l'article 212 de la loi.  Son diagnostic est celui de "séquelles douloureuses de fractures de vertèbres dorsales".  Il consolide cette lésion le jour de son examen, sans nécessité de soins supplémentaires.  Par ailleurs, il juge prématuré de se prononcer, à cette date, sur l'existence ou la non existence d'un pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur et de limitations fonctionnelles.

[31]           Le 21 juin 1999, le docteur Desjardins répond aux questions de la CSST, dans un Rapport complémentaire.  Il décrit l'évolution de la pathologie et des traitements.  Ainsi, après avoir été immobilisé à plat sur le dos pendant six semaines, le travailleur a porté un corset pendant trois mois.  Il mentionne que son patient présentait, également, des troubles amnésiques et un problème au genou droit, mentionné le 25 février 1999.

[32]           Dans le même rapport, l'orthopédiste traitant explique, notamment:

«(...)

 

Il faut comprendre que ce réclamant a été immobilisé dans un corset pendant un peu plus de 3 mois, soit jusqu'en mars 99.  Il faut également comprendre que la fracture de D6 est sévère.

 

Nous avons également demandé une ostéodensitométrie de la colonne lombo-sacrée pour vérifier s'il n'y avait pas une ostéoporose sous-jacente, compte tenu de l'écrasement vertébral important observé lors du traumatisme.  Cet examen est disponible dans le dossier de l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont et confirme la présence d'une ostéopénie significative.»

 

 

 

[33]           Les diagnostics qu'il pose, en regard de ces différentes lésions, sont les suivants:

«Diagnostic:  Fracture de D6 sévère.  Troubles amnésiques apparus à la suite du traumatisme, actuellement en investigation en neurologie.  Déchirure du ménisque interne au genou droit prouvée par résonance magnétique nucléaire.

 

Traitement:  En ce qui concerne la fracture de D6, nous croyons que des traitements de physio sont nécessaires pour renforcement et hygiène du dos, ainsi que pour des fins antalgiques ...

 

En ce qui concerne la déchirure méniscale, le travailleur a préféré attende de récupérer de ses douleurs au dos avant de procéder à une résection arthroscopique de son ménisque.

 

(...)»

[34]           Le 1er juillet 1999, le docteur Desjardins produit un Rapport final.  Il prescrit des traitements d'ergothérapie et de physiothérapie pour encore un mois et il réfère son patient en clinique d'ostéoporose pour évaluation.

[35]           Le 7 juillet 1999, le docteur Cardin, médecin de la CSST, écrit dans les Notes évolutives au dossier que l'ostéoporose est une "condition personnelle" et qu'il n'y a aucune relation avec le dossier accepté par la CSST.

[36]           Le dossier du travailleur est transmis au Bureau d'évaluation médicale (BEM) sur les questions du diagnostic, de la date de consolidation de la lésion et de la nécessité de traitements supplémentaires.

[37]           Le 17 août 1999, le docteur Albert Gaudet, orthopédiste, signe un Avis à titre de membre du BEM dans lequel il retient le diagnostic de "fracture de D6 avec trouble amnésique secondaire".  La lésion professionnelle n'est pas consolidée, en date de son examen, les traitements d'ergothérapie ayant pris fin seulement le 5 août 1999 et le patient ayant été référé en clinique d'ostéoponie, à compter du 11 août 1999.  Enfin, le docteur Gaudet accepte les directives de traitements du docteur Desjardins qui a référé son patient en clinique d'ostéoponie.

[38]           Le 23 août 1999, la CSST rend une décision en conformité avec l'Avis du BEM.  Le 21 septembre 1999, l'employeur conteste cette décision.  La CSST, en révision administrative, maintient la décision de la CSST émise à la suite de l'Avis du BEM, le 26 novembre 1999.  Cette décision n'est pas contestée auprès de la Commission des lésions professionnelles.

[39]           Le 14 octobre 1999, la CSST rend une décision par laquelle elle refuse de reconnaître la relation entre le nouveau diagnostic d'ostéoporose qui s'est ajouté au diagnostic de fracture en D6 et la lésion professionnelle subie le 29 octobre 1998.  Cette décision est contestée par le travailleur, le 29 octobre 1999, et donne lieu à la décision du 12 juillet 2000, rendue à la suite d'une révision administrative et contestée par le travailleur, le 19 juillet 2000, ce qui constitue le deuxième objet de litige auprès de ce tribunal.

[40]           Un Rapport d'évaluation médicale (REM) est produit par le docteur Desjardins, le 22 septembre 1999, concernant la fracture de D6.  Il recommande des limitations fonctionnelles correspondant à la classe II de l'Institut de recherche en santé et sécurité du travail (l'IRSST) et retient, pour la "fracture de D6 de plus de 25 %", un déficit anatomo-physiologique de 4 %.

 

[41]           Le 16 novembre 2000, le docteur Pierre Dagenais, rhumatologue et directeur du C.O.M.O. de l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont, soit une clinique d'ostéoporose affiliée à l'Université de Montréal, produit un avis établissant la relation médicale entre le diagnostic d'ostéoporose et la fracture de la 6ième vertèbre, en ces termes:

«... Ce patient a subi une fracture traumatique de la 6ième vertèbre dorsale le 29 octobre 1998.  À la suite de cette fracture, il a dû rester alité pendant plusieurs semaines.  Or, l'alitement prolongé est un facteur de risque connu d'ostéoporose.  En effet, l'alitement ou l'immobilisation prolongée stimule par un mécanisme non entièrement élucidé l'activité des cellules ostéoclastiques de l'os.  Ceci accentue la résorption osseuse au dépend de la production osseuse.   L'ostéoporose dont souffre ce patient est donc une complication de la fracture cérébrale (sic) subie en octobre 1998, car ce patient n'avait aucun autre facteur de risque d'ostéoporose lorsque nous l'avons évalué au centre d'ostéoporose et des maladies métaboliques osseuses...»

 

 

 

[42]           Le 30 janvier 2001, le docteur Gilles Roger Tremblay, chirurgien orthopédiste, produit une expertise à la demande du représentant du travailleur.  Il examine le travailleur et rédige un historique complet des dossiers médicaux du travailleur.

[43]           Ce médecin est d'avis que l'ostéoporose, dont souffre le travailleur, est en relation avec la lésion professionnelle, soit la fracture de D6, en raison de l'immobilisation dans un lit pendant près de quatre mois et du port d'un corset au niveau dorso-lombaire pendant une période de trois mois additionnels.  Il écrit qu'il est "normal de développer une ostéopénie de non-usage suite à cette immobilisation".

[44]           À l'audience, le représentant du travailleur dépose quelques pages de doctrine médicale tirées de la Pathologie médicale de l'appareil locomoteur[2].  Il attire l'attention du tribunal à la page 673 où les auteurs Dupuis-Leclaire traitent de déchirure méniscale, soit:

«(...)

 

... Si on combine un mouvement de rotation du fémur sur le tibia, le pied fixé au sol, avec la mise en charge et la flexion du genou, la corne postérieure est attirée vers le centre de l'articulation et une fissure longitudinale peut se produire.  C'est le mécanisme classique de la lésion méniscale.

 

(...)»

 

 

 

[45]           En regard du diagnostic d'ostéoporose, Me Laporte pointe les passages suivants, à la page 235, soit:

«(...)

 

... Si le diagnostic d'ostéoporose est établi, comme c'est généralement le cas, le caractère idiopathique de la maladie ne doit pas être retenu d'emblée et il faut rechercher d'autres causes possibles.

 

Le traitement de l'affaissement vertébral aigu est le suivant:

 

-  repos au lit pendant quelques jours, en le limitant toutefois le plus possible, compte tenu de l'effet déminéralisateur de l'immobilisation;

 

(...)»

 

 

 

L'ARGUMENTATION DES PARTIES

DOSSIER:  141862-63-0007

[46]           Le représentant du travailleur soumet que la CSST a refusé la réclamation du travailleur pour une déchirure méniscale subie le 6 août 1998 parce qu'elle disait ne pas être en mesure d'appliquer la présomption de lésion professionnelle et, qu'en outre, il n'y avait pas eu d'événement imprévu et soudain.

[47]           Me Laporte prétend, pour sa part, que les trois éléments prévus à l'article 28 de la loi sont démontrés par le travailleur.  Le travailleur a subi une blessure, soit une déchirure méniscale, il était sur les lieux de son travail et il exécutait ses tâches.  Ce procureur ajoute que refuser l'application de la présomption parce que le travailleur a consulté un médecin cinq jours après la survenance de l'événement, est erroné et que c'est ajouter à l'article 28 de la loi des exigences que la loi ne prévoit pas.  Enfin, il soumet que le délai de consultation n'est pas un obstacle puisque le travailleur a déclaré l'événement à son employeur dès le lendemain matin.

[48]           Subsidiairement, le représentant du travailleur est d'avis que le travailleur a fait la preuve de la survenance d'un accident du travail.  Il précise que l'enlisement dans la boue constitue un tel événement imprévu et soudain, le travailleur ayant le pied droit pris dans la boue et faisant un mouvement de flexion-rotation pour se dégager.

[49]           Cet événement imprévu et soudain est survenu par le fait du travail et a entraîné une lésion professionnelle.  Il réfère le tribunal à la doctrine qu'il a déposée à l'audience et il soumet que c'est précisément, tel que démontré par la résonance magnétique, une déchirure longitudinale qui affecte le genou droit du travailleur.

[50]           Aucune autre preuve médicale n'est soumise et le représentant du travailleur affirme que son client a relevé son fardeau de preuve et que la Commission des lésions professionnelles devrait reconnaître la preuve médicale prépondérante apportée par le travailleur.

[51]           La représentante de l'employeur, pour sa part, soumet que le travailleur a donné deux versions des faits.  Dans un premier temps, explique-t-elle, le travailleur écrit qu'il s'est blessé en forçant, alors qu'aujourd'hui, il donne une description qui correspond justement au mécanisme de production d'une déchirure méniscale horizontale.

[52]           En outre, le travailleur présente de "légers changements dégénératifs" au genou droit tels que rapportés au protocole radiologique de la résonance magnétique.  La déchirure méniscale est, selon la représentante de l'employeur, une manifestation de la condition personnelle du travailleur.

 

DOSSIER:  143044-63-0007

[53]           Le représentant du travailleur soumet que la preuve médicale prépondérante est à l'effet que le diagnostic d'ostéoporose est en relation directe avec la fracture de D6.  Il rappelle la référence à l'ouvrage de Dupuis-Leclaire et aux avis émis par les docteurs Dagenais, neurologue, et Tremblay, chirurgien orthopédiste, qui établissent, sans l'ombre d'un doute, la relation médicale.

[54]           Il soumet que la preuve médicale, au dossier, permet d'éliminer toute autre cause directe de l'ostéoporose dont souffre le travailleur et ajoute que le médecin du BEM trouve justifiée, dans le traitement de la vertèbre D6, la consultation en ostéoporose.

[55]           La représentante de l'employeur soumet que le travailleur n'a pas fait la preuve de relation médicale entre le diagnostic d'ostéoporose et la fracture de D6 et, selon elle, le travailleur n'aurait pas été immobilisé suffisamment longtemps pour qu'une telle pathologie se développe.

 

 

 

L'AVIS DES MEMBRES

[56]           La membre issue des associations d'employeurs est d'avis que le travailleur a subi une lésion professionnelle au genou droit, le 6 août 1998.  Elle est, cependant, sceptique quant au fait que le travailleur ait pu continuer à travailler alors qu'il était porteur d'une telle lésion, jusqu'au 27 octobre 1998, date de son deuxième accident du travail.

[57]           Quant à la relation entre le diagnostic d'ostéoporose et la fracture de D6 qui a immobilisé le travailleur plusieurs mois, elle est d'avis que la preuve médicale prépondérante et non contredite permet d'accepter une telle relation.

[58]           La membre issue des associations syndicales est d'avis que le travailleur a relevé le fardeau de preuve de la survenance d'un événement imprévu et soudain, le 6 août 1998 et que cet événement a entraîné la déchirure méniscale au genou droit.

[59]           Elle est également d'avis que la preuve médicale non contredite établit la relation entre l'ostéoporose et la fracture de D6 et constitue une lésion professionnelle secondaire à la lésion initiale.

 

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

DOSSIER:  141862-63-0007

[60]           La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a subi une lésion professionnelle, le 6 août 1998, soit une déchirure méniscale au genou droit, et s'il a droit aux prestations prévues à la loi.

[61]           Pour ce faire, elle dispose du dossier de la CSST, de la doctrine médicale soumise et du témoignage du travailleur, à l'audience.

[62]           La lésion professionnelle est définie à l'article 2 de la loi et se lit comme suit:

« lésion professionnelle » :  une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation.

 

 

 

[63]           Une présomption de lésion professionnelle est définie à l'article 28 de la loi et le travailleur, qui prouve l'existence des trois critères en permettant l'application, peut en bénéficier.  Cet article se lit comme suit:

28.  Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.

________

1985, c. 6, a. 28.

 

 

 

[64]           Le diagnostic de déchirure méniscale constitue une blessure au sens unanimement retenu par la jurisprudence de la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la CALP) et de la Commission des lésions professionnelles.

[65]           Le travailleur était sur les lieux de son travail, à la Carrière Angus, et il était à son travail puisqu'il vaquait à ses occupations de manœuvre spécialisé en excavation en circulant sur le terrain pour identifier les matières polluantes.

[66]           Un délai trop long, ce qui n'est pas vraiment le cas en l'espèce, puisque la première consultation médicale a eu lieu le 11 août 1998, serait un obstacle à l'application de la présomption de lésion professionnelles.  Par contre, le travailleur a avisé son employeur, dans les 24 heures suivant l'événement, qu'il s'était infligé une douleur au genou droit.

[67]           La présomption de lésion professionnelle trouve donc application et aucune preuve médicale n'est apportée pour renverser cette présomption par l'employeur alors que la doctrine médicale, déposée par le représentant du travailleur, démontre la relation entre un mouvement de "rotation du fémur sur le tibia, le pied fixé au sol, et une déchirure méniscale horizontale".  Selon les auteurs Dupuis et Leclaire, c'est la mise en charge qui est faite sur le genou fléchi qui fait que la "corne postérieure est attirée vers le centre de l'articulation" qui provoque une déchirure horizontale.

[68]           Quant au fait que le travailleur ait pu continuer son travail jusqu'au 29 octobre 1998, date de son deuxième accident, alors qu'il marche sur un terrain accidenté, parfois mouillé et boueux, aucune preuve n'est soumise à l'effet que la chose soit impossible et de nature à renverser la présomption.

 

 

[69]           D'ailleurs, sans référer à une doctrine médicale qui n'a pas été déposée en preuve, il est permis de constater que des personnes atteintes d'une déchirure méniscale attendent, souvent, plusieurs mois pour subir une ménisectomie et elles ne sont pas, en général et pour autant, incapables de se déplacer pendant cette attente de chirurgie.

[70]           Le travailleur a donc subi une lésion professionnelle, le 6 août 1999, et il a droit aux prestations prévues à la loi pour cette lésion.

 

DOSSIER:  143044-63-0007

[71]           La Commission des lésions professionnelles doit décider si le diagnostic d'ostéoporose à la colonne dorsale constitue une lésion professionnelles en relation avec la fracture en D6, acceptée par la CSST.

[72]           En l'espèce, il n'y a pas lieu d'analyser le dossier sous l'angle de la récidive, rechute ou aggravation, mais de décider si le nouveau diagnostic, émis en cours de traitement, est en relation avec la lésion professionnelle acceptée.

[73]           À cet égard, la preuve médicale constituée d'une référence à la doctrine médicale et d'avis de médecins spécialistes, établit, de façon non équivoque, la relation entre l'ostéoporose et l'immobilisation du travailleur dans le traitement de la fracture de D6.

[74]           C'est ce qu'affirment les auteurs Dupuis et Leclaire qui réfèrent précisément au traitement d'un affaissement vertébral aigu, ce qui est le cas du travailleur.  Ils remarquent que le repos au lit est le traitement pertinent et ils réfèrent à une immobilisation de quelques jours, l'alitement prolongé ayant un effet déminéralisateur.

[75]           Or, le travailleur a été immobilisé au lit pendant six semaines et, de surcroît, il ne pouvait bouger le torse pendant un autre trois mois parce que le corset qu'il devait porter continuellement, au début, ne permettait aucun mouvement du rachis dorso-lombaire.

[76]           Les avis émis par les docteur Pierre Dagenais, rhumatologue, et Gilles R. Tremblay, chirurgien orthopédiste, établissent sans équivoque cette relation médicale en des termes déjà cités.

[77]           D'autre part, aucune preuve médicale n'est soumise à la Commission des lésions professionnelles à l'effet qu'il n'y a pas de relation directe entre l'ostéoporose manifestée chez le travailleur exclusivement au siège de la lésion professionnelle.  Il est donc difficile d'admettre qu'il s'agit de l'évolution normale d'une condition personnelle.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

DOSSIER:  141862-63-0007

ACCUEILLE la requête de monsieur Nicolas Lamarre, le travailleur, à l'encontre de la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d'une révision administrative, le 12 juillet 2000;

INFIRME cette décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail, rendue le 12 juillet 2000;

DÉCLARE que monsieur Nicolas Lamarre, le travailleur, a subi une lésion professionnelle, soit une déchirure méniscale, le 6 août 1998; et

DÉCLARE que monsieur Nicolas Lamarre, le travailleur, a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

DOSSIER:  143044-63-0007

ACCUEILLE la requête de monsieur Nicolas Lamarre, à l'encontre de la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d'une révision administrative, le 12 juillet 2000;

INFIRME cette décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 12 juillet 2000;

 

 

DÉCLARE que le diagnostic d'ostéoporose, émis à compter du mois d'août 1999, est en relation avec la lésion professionnelle subie par monsieur Nicolas Lamarre, le travailleur, le 29 octobre 1998; et

DÉCLARE que monsieur Nicolas Lamarre, le travailleur, a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

 

 

 

 

ROSE-MARIE PELLETIER

 

Commissaire

 

 

 

 

 

LAPORTE & LAVALLÉE

(Me André Laporte)

896, boul. Manseau

Joliette (Québec)

J6E 3G3

 

Représentant de la partie requérante

 

 

 

Me Michelle Savard

643, rue Fleury est

Montréal (Québec)

H2C 2N7

 

Représentante de la partie intéressée

 



[1]           L.R.Q., chapitre A-3001.

[2]           Dupuis-Leclaire.  Edisem, St-Hyacinthe, 2° tirage 1991, pp. 235, 672 et 673.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.