Décision

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Binette et Constructions Bernard Gagnon & Fils

2011 QCCLP 2379

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

28 mars 2011

 

Région :

Outaouais

 

Dossiers :

338941-07-0801-R  367175-07-0812-R

 

Dossier CSST :

110017878

 

Commissaire :

Anne Vaillancourt, juge administratif

 

Membres :

Gisèle Lanthier, associations d’employeurs

 

Daniel Flynn, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Yves Binette

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Constructions Bernard Gagnon & fils

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

 

[1]           Le 27 juin 2010, monsieur Yves Binette (le travailleur) dépose une requête en révision ou en révocation à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision rendue par ce tribunal le 11 mai 2010.

 

[2]           Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles :

Dossier 338941-07-0801

 

DÉCLARE sans effet la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 20 décembre 2007 à la suite d’une révision administrative;

 

DÉCLARE sans objet la contestation de monsieur Yves Binette.

 

Dossier 367175-07-0812

 

ACCUEILLE en partie la requête de monsieur Yves Binette, le travailleur;

 

MODIFIE la décision rendue par la CSST le 4 novembre 2008 à la suite d’une révision administrative;

 

DÉCLARE que la CSST était justifiée de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 28 juillet 2008;

 

DÉCLARE que le travailleur a la capacité de refaire son emploi de commis-vendeur à compter du 3 août 2007.

 

 

[3]           À l’audience portant sur la présente requête en révision, le travailleur était présent et représenté.  L’employeur, Les Constructions Bernard Gagnon & fils, bien que dûment convoqué, n’était pas représentée. La Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), partie intervenante, était représentée. La requête a été mise en délibéré le 11 février 2011.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]           Le travailleur, par l’entremise de son représentant, demande la révision de la décision rendue le 11 mai 2010 au motif qu’elle est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]           La membre issue des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis de rejeter la requête en révision.

[6]           Ils estiment que la décision n’est entachée d’aucun vice de fond. Les arguments présentés par le représentant du travailleur visent des questions qui relèvent de l’appréciation de la preuve, ce qui ne constitue pas un motif de révision.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[7]           La Commission des lésions professionnelles doit décider s’il y a lieu de réviser la décision qu’elle a rendue le 11 mai 2010.

[8]           C’est l’article 429.56 de la loi qui énonce les conditions d’ouverture du recours en révision :

429.56.  La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :

 

1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[9]           Le procureur du travailleur invoque que la décision est entachée d’un vice de fond de nature à invalider la décision.

[10]        Il importe de rappeler que les décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles sont finales et sans appel[1]. Il en découle que le recours en révision se distingue d’un appel et ne doit pas donner lieu à une nouvelle appréciation de la preuve.

[11]        Les termes « vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision » font l’objet d’une interprétation constante par la Commission des lésions professionnelles. Ils sont interprétés comme signifiant une erreur manifeste, de droit ou de faits, ayant un effet déterminant sur l’issue du recours[2]

[12]        Cette interprétation est confirmée par la Cour d’appel notamment dans l’affaire Bourassa c. Commission des lésions professionnelles[3] :

[21]      La notion est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d’une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige.  Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fon requises par la loi peut constituer un vice de fond.

 

[22]      Sous prétexte d’un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits.  Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d’ajouter de nouveaux arguments. (1)

------------

(1)   Voir : Y. OUELLETTE, Les tribunaux administratifs au Canada, Procédure et Preuve, Les Éditions Thémis, 1997, p.506-508.  J.P. VILLAGI, dans Droit public et administratif, Vol 7, Collection de droit 2002-2003, Éditions Yvon Blais, 2002, p.127-129.

 

 

[13]        Et, dans l’affaire C.S.S.T. c. Fontaine et Commission des lésions professionnelles[4], la Cour d’appel, sous la plume du juge Morissette, rappelait que l’erreur dont il est question, pour constituer un « vice de fond », doit être grave, évidente et déterminante.

[14]        C’est en se fondant sur ces critères que la soussignée doit examiner la présente requête.

Litiges dont était saisi la Commission des lésions professionnelles

[15]        Pour rendre la décision dont on demande la révision, la Commission des lésions professionnelles devait disposer de deux requêtes présentées par le travailleur. Dans le dossier portant le numéro CLP 338941, le tribunal devait décider si le travailleur était capable d’exercer l’emploi convenable de caissier d’établissement à compter du 24 septembre 2007, tel que mentionné dans la décision initiale de la CSST datée du 25 septembre 2007.

[16]        Et, dans le dossier portant le numéro CLP 367175, la Commission des lésions professionnelles devait décider si la CSST était bien fondée de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 18 juillet 2008 et, ensuite, si elle pouvait reconsidérer sa décision rendue le 25 septembre 2007 pour décider que le travailleur était capable d’exercer son emploi  de commis vendeur à compter du 3 août 2007. En conséquence, la CSST réclamait au travailleur un trop perçu au montant de 26 176,56 $.

[17]        L’audience s’est déroulée durant trois jours. Le travailleur était représenté par procureur ainsi que la CSST.

[18]        Le travailleur demandait alors au tribunal de reconnaître qu’il n’était pas capable de faire l’emploi convenable de caissier d’établissement. Quant à l’autre litige, il demandait au tribunal d’annuler la décision de suspension de l’indemnité de remplacement du revenu, la décision en reconsidération portant sur sa capacité de refaire son emploi de commis vendeur et la décision lui réclamant un trop-perçu.

[19]        Lors de l’audience, le premier juge administratif a entendu les témoignages du travailleur, de madame Gour, sa conjointe et aussi copropriétaire du commerce, et des enquêteurs qui ont procédé à la filature.

[20]        Dans sa décision, le premier juge administratif déclare que le travailleur était capable de faire son emploi de commis vendeur et, par conséquent, déclare sans effet la décision qui le déclarait capable de faire l’emploi convenable de caissier d’établissement commercial.

Arguments présentés par le procureur du travailleur au soutien de sa requête en révision ou en révocation

[21]        Dans sa requête et à l’audience, le procureur du travailleur reproche au premier juge administratif d’avoir conclu que le travailleur pouvait refaire son emploi de commis vendeur à compter du 3 août 2007 et, en conséquence, de ne pas avoir statué sur la capacité du travailleur d’exercer l’emploi convenable de caissier d’établissement.

[22]        Le procureur du travailleur allègue qu’il s’agit d’une erreur manifeste et déterminante, puisque la CSST avait déterminé que le travailleur ne pouvait plus faire l’emploi de commis vendeur et que, dans les faits, le travailleur avait cessé d’exercer cet emploi depuis plusieurs années. Il reproche au premier juge administratif d’avoir conclu ainsi au paragraphe 89 de sa décision :

[89]      En l’espèce, puisque le travailleur effectuait le travail de commis-vendeur depuis de nombreux mois à son commerce sans difficulté apparente et en l’absence de preuve probante suivant laquelle ce travail lui impose de porter des poids de plus de quinze livres régulièrement, le Tribunal conclut que son emploi commis-vendeur respecte la limitation fonctionnelle en regard du poids maximal à porter. Quant aux autres limitations fonctionnelles, la preuve n’établit aucunement que le travail de commis-vendeur, qu’il exerçait avant le 1er avril 2004 et qu’il a exercé par la suite, l’oblige à monter ou descendre régulièrement des escaliers, des escabeaux, l’oblige à adopter des positions accroupies, agenouillées ou qu’il doive se déplacer sur des terrains accidentés ou inégaux.

 

[23]        Le procureur du travailleur prétend que, ce faisant, le premier juge confond les deux emplois, celui de commis vendeur et celui de caissier d’établissement commercial.

[24]        Or, les tâches de l’emploi prélésionnel de commis vendeur sont de remplir les étagères, ce qui implique de s’agenouiller, s’accroupir ou monter dans un escabeau pour atteindre des tablettes plus hautes ou plus basses. De plus, cet emploi nécessite  de travailler en position debout ou en marche.

[25]        Selon le procureur du travailleur, la preuve médicale au dossier révèle que le travailleur ne peut plus faire cet emploi depuis au moins l’année 2004.

[26]        Selon un rapport médical complété par le docteur Carter le 19 novembre 2002 : « […] Il [le travailleur] fonctionne bien mais a mal à son pied et à sa cheville après une journée debout […]  Il aimerait changer d’occupation pour un travail sédentaire et je crois que c’est raisonnable. J’appuie donc sa demande. »  Alors qu’il a déjà de la difficulté à faire ce travail depuis deux ans, le 1er avril 2004, le travailleur doit subir une arthrodèse de la cheville gauche. Puis, le 15 juillet 2005, l’agent d’indemnisation à la CSST décide de rouvrir le processus de réadaptation, puisque, même si la lésion n’est pas encore consolidée, il écrit :  « Considérant que les limitations antérieures de T nous pouvons dire que le T ne sera pas en mesure de reprendre son emploi de commis-vendeur. »

[27]        Le 29 juillet 2005, le travailleur informe son agent à la CSST que son employeur pourra adapter son poste de travail et en faire un emploi de caissier adapté à ses limitations. Le travailleur demeure avec des limitations fonctionnelles mais il subit une nouvelle chirurgie le 24 novembre 2006 qui est consolidée le 10 avril 2007 avec les limitations fonctionnelles suivantes qui ont été établies le 24 mai 2007:

Il est incapable de porter des poids de plus de 15 livres régulièrement

Il est incapable de monter ou descendre régulièrement des escaliers, des escabeaux.

Il doit éviter les positions accroupies, agenouillées

Patient qui doit changer de position régulièrement à toutes les 30 à 45 minutes, soit une position assise, d’une position debout ou d’une position à la marche.

 

 

[28]        Le 20 avril 2007, la CSST apprend que l’employeur ne peut plus offrir au travailleur, étant donné qu’il se déplace avec une canne, un emploi de caissier adapté à son établissement.

[29]        Le 25 septembre 2007, la CSST rend une décision statuant sur l’emploi convenable de « caissier d’établissement commercial ».

[30]        Le procureur du travailleur soumet que tous ces éléments de la preuve concordent vers une seule et unique conclusion : que le travailleur ne peut plus refaire son emploi prélésionnel de commis vendeur depuis au moins l’année 2004.

[31]        Il argue que la preuve par vidéo et le rapport d’enquête ne permettent pas de conclure que le travailleur « simulait » une condition physique qui n’existait pas. Au contraire, il est filmé assez souvent marchant avec sa canne. Cette preuve ne peut servir à remettre en question les limitations fonctionnelles qui ont été médicalement établies, puisque aucun médecin n’a donné une opinion contraire après avoir visionné la vidéo pour conclure que les limitations fonctionnelles octroyées le 24 mai 2007 n’existent plus. 

[32]        Le procureur du travailleur opine que la conclusion retenue par le premier juge administratif à partir de la preuve par vidéo, soit que le travailleur peut faire l’emploi de commis vendeur, en se fondant sur le fait que le travailleur exerçait cet emploi en 2008 est insoutenable étant donné la preuve au dossier. Il soutient que cette conclusion ne repose pas sur la preuve. Tout au plus, la preuve par vidéo permettait de conclure que le travailleur exerçait des activités de travail à son commerce sans plus.

[33]        Le procureur du travailleur allègue que le premier juge administratif a commis une erreur déterminante en prenant pour acquis que c’est un travail de commis vendeur que le travailleur effectuait en 2008, tel qu’il appert du paragraphe 87 de sa décision qui se lit comme suit :

[87]      La Commission des lésions professionnelles doit donc déterminer si le travailleur est capable d’exercer son emploi prélésionnel de commis-vendeur. La CSST plaide que puisque la preuve établit qu’il exerçait l’emploi en question jusqu’en 2008, preuve est faite de sa capacité. Le présent Tribunal estime qu’une nuance s’impose et que cela ne dispense pas la CSST de faire l’analyse complète des capacités résiduelles du travailleur d’exercer son emploi. En somme, ce n’est pas parce qu’un travailleur  exerce son emploi pendant un certain temps qu’il faille, prima facie, déclarer qu’il en a automatiquement la capacité. En cette matière, la prudence est de mise et une analyse de l’ensemble des limitations fonctionnelles doit quand même être effectuée.

 

[34]        Le procureur du travailleur allègue que le premier juge administratif a commis une erreur en concluant que le travailleur est « propriétaire du commerce » alors que la preuve a démontré qu’il agit à titre de prête-nom.

[35]        De plus, en se fondant sur le fait que le travailleur est propriétaire du commerce pour évaluer sa capacité eu égard aux limitations fonctionnelles, tel qu’il ressort du paragraphe 90, constitue une erreur de droit. Comme il s’agit d’établir la capacité du travailleur à exercer son emploi de commis vendeur, il ne saurait être question à cette étape de considérer une adaptation du poste de travail.

[36]        Le procureur du travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision de conclure que le travailleur ne pouvait effectuer son emploi prélésionnel et de conclure aussi, eu égard à la preuve existante, qu’il ne pouvait plus faire l’emploi convenable de caissier dans un établissement commercial. La preuve permet de conclure que cet emploi ne respecte pas ses capacités résiduelles ni ses qualifications professionnelles. En conséquence, le travailleur ne présente pas non plus une possibilité raisonnable d’embauche.

[37]        Le procureur du travailleur se fonde sur une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Perreault et Morin sports & VR[5].  La Commission des lésions professionnelles a révisé une décision rendue par ce tribunal au motif que la preuve ne permettait pas de conclure que l’emploi convenable déterminé respectait les limitations fonctionnelles.  De plus, il soumet l’affaire CSST et Vigneault et Entreprises Vibec inc.[6] dans laquelle il importe de s’assurer que le travailleur soit en mesure de refaire toutes et chacune des tâches relatives à son travail pour conclure qu’il en a la capacité. Et, dans l’affaire Laberge et Équipement Quadro inc.[7], le tribunal a considéré qu’au stade de décider de la capacité du travailleur d’exercer son emploi, on ne peut tenir compte des correctifs que l’employeur a apporté.

Argumentation de la CSST

[38]        La procureure de la CSST allègue que le premier juge administratif a conclu, après plus de deux jours d’audience et après avoir entendu le témoignage du travailleur et de sa conjointe, madame Gour, que le travailleur était propriétaire du commerce.

[39]        Elle allègue que le procureur du travailleur avait déjà soulevé tous ces arguments devant le premier juge administratif.

[40]        La procureure de la CSST mentionne que le rapport d’enquête contenait, notamment, une preuve documentaire démontrant que le travailleur agissait pour l’entreprise et n’était pas qu’un prête-nom. Parmi ces éléments, le travailleur était copropriétaire légalement selon les documents du registraire des entreprises et même président. Il agissait aussi à titre d’interlocuteur avec le comptable. Pour justifier que le travailleur agissait comme prête-nom, madame Gour, conjointe du travailleur et copropriétaire du commerce, avait expliqué que c’était pour obtenir des prêts bancaires. Or, la preuve a démontré qu’aucune demande de prêt n’avait été faite, ce qui enlève de la crédibilité à cette affirmation.

[41]        Quant à l’allégation selon laquelle le premier juge administratif aurait conclu que le travailleur avait exercé durant plusieurs mois le travail de commis vendeur, des éléments du rapport de filature supportaient cette conclusion, dont notamment le fait que le travailleur aurait été observé le 12 février 2008 en train de manipuler des caisses et de placer de la marchandise de 15 h 00 à 16 h 00. Bien que cette information ne soit pas rapportée à la décision, il s’agit d’une preuve qui a été considérée faisant partie du rapport d’enquête sur lequel s’est notamment appuyé le juge administratif.

[42]        Elle opine que le juge administratif a considéré les bonnes données de la preuve pour savoir quelles étaient les tâches de l’emploi de commis vendeur.

[43]        De plus, la procureure de la CSST argue que le premier juge administratif a considéré les limitations fonctionnelles dans l’analyse de la capacité. Il motive chacune de ses conclusions. Dans le contexte du présent dossier, il était justifié de juger que le poids évalué par le travailleur dans son témoignage de 30 à 50 livres pour des caisses de vaisselle était peut-être exagéré. Cette affirmation doit s’interpréter avec l’ensemble des motifs de la décision où le tribunal n’a pas retenu les explications fournies par le travailleur et par sa conjointe, madame Gour.

[44]        Elle explique que la crédibilité et la fiabilité des affirmations de madame Gour ont été mises en doute par des éléments de la preuve qui contredisaient ses affirmations, tel que relevé par le juge administratif aux paragraphes 30, 71 et 72 de la décision qu’il convient de reproduire :

[30]      Ces notes évolutives laissent voir que madame Gour feint de ne pas connaître la condition du travailleur, alors qu’ils sont conjoints depuis trois ans.

 

[…]

 

[71]      En l’espèce, une enquête de la CSST a démontré que le travailleur était copropriétaire d’un commerce auquel il se rendait tous les jours et y effectuait des activités de travail, en compagnie de sa conjointe qui est l’autre copropriétaire du commerce. En effet, on le voit sur la vidéo entrer le matin à son commerce. L’enquêteur a observé qu’il répondait aux clients et il l’a même servi et a fait la caisse lorsqu’il a acheté quelques effets. L’observation a été effectuée à neuf jours différents entre les mois de février et juin 2008. Pendant cette période, lorsque la CSST demandait au travailleur comment il passait ses journées, il répondait être avec sa mère ou sa grand-mère à Maniwaki ou sur son terrain de 10 acres. Lorsqu’elle l’interroge sur le fait qu’il n’est pas présent lorsqu’elle l’appelle, il n’explique pas son absence et ne mentionne jamais qu’il est à son commerce. Cette attitude ne fait certainement pas montre d’honnêteté et de transparence.

 

[72]      À l’audience, le travailleur et madame Gour ont tenté de faire croire au Tribunal que le travailleur ne travaillait pas au commerce, mais qu’il y allait pour passer le temps et se désennuyer. Bien qu’être au commerce lui permet certainement de s’y désennuyer et de passer le temps, il n’en demeure pas moins qu’il effectuait des activités de travail. Le rapport de l’inspecteur, son témoignage crédible et la preuve vidéo sont claires. Les témoignages peu crédibles du travailleur et de madame Gour sur cette question ne font aucunement le poids par rapport à une preuve aussi convaincante de la CSST.

 

 

[45]        Donc, le fait de conclure de ne pas retenir exactement le témoignage du travailleur lorsqu’il décrit ses tâches est expliqué et ne sort pas de nulle part dans le contexte de la présente décision qui remet en doute sa crédibilité. Il est compréhensible et intelligible que le premier juge administratif ait accordé plus de poids aux informations contenues dans le guide Repère que dans les affirmations du travailleur.

[46]        La procureure de la CSST retient que le paragraphe 90 de la décision doit être lu en tenant compte des autres motifs de la décision et, surtout, du fait que le juge administratif a considéré que le travailleur était copropriétaire du commerce, ce qui lui confère un statut différent et plus de liberté dans l’aménagement des tâches comme d’avoir la possibilité de changer de posture régulièrement. Cette conclusion est appuyée sur la preuve et ne sort pas de nulle part.

Analyse des arguments soulevés par les parties

[47]        Pour déterminer si le premier juge administratif a omis des éléments déterminants de la preuve dans son analyse, il importe de revoir quelle a été la preuve administrée, non pas dans le but d’en faire une nouvelle appréciation, mais dans le but de répondre aux arguments soulevés par le travailleur.

[48]        En somme, le procureur du travailleur reproche au premier juge administratif d’avoir accordé trop de poids au rapport d’enquête alors que la preuve factuelle et médicale démontrait, depuis de nombreuses années, qu’il n’était plus apte à refaire l’emploi de commis vendeur.

[49]        La soussignée a consulté les pièces au dossier, dont le rapport de filature. Il importe de préciser que ce rapport s’est échelonné durant quatre journées consécutives au mois de février 2008, à l’exception d’une journée, et pour plus de 13 heures par jour, à l’exception d’une journée où la durée de la filature a été d’un peu plus de cinq heures. De plus, le travailleur a été filmé durant quatre autres journées consécutives, les 7, 8, 9 et 10 avril 2008, durant trois à six heures par jour. Durant toutes ces journées, le travailleur passe son temps au commerce jusqu’à l’heure de fermeture. Il quitte le domicile avec sa conjointe et y revient après la fermeture. Il ne quitte le commerce que pour de très courtes périodes, pour faire des commissions. Le travailleur n’a pu être observé ou filmé durant toute la journée, de sorte qu’il n’est pas possible de savoir tout ce qu’il fait dans le commerce. Il a été observé à la caisse le plus souvent et, durant une heure, recevant de la marchandise et la plaçant. Il a été observé souvent marchant avec sa canne, mais aussi à plusieurs reprises ne l’utilisant pas.

[50]        Il est vrai que la preuve factuelle et médicale établit que, depuis au moins 2004, le travailleur ne pouvait plus refaire son emploi de commis vendeur.

[51]        Mais, pour établir la capacité d’un travailleur à exercer un emploi prélésionnel ou convenable, il importe d’abord et avant tout de considérer quelles sont les limitations fonctionnelles qui lient le tribunal, quelles sont les tâches de l’emploi analysé et quelles sont les occupations du travailleur, le cas échéant, dans la perspective où celles-ci peuvent influencer cette analyse s’il est prouvé que le travailleur réalise dans les faits les tâches de l’emploi analysé.

[52]        La particularité de ce dossier est que la CSST a appris seulement en 2008, après une enquête, que le travailleur était copropriétaire du commerce avec sa conjointe.

[53]        Le travailleur est engagé le 15 avril 2002 pour travailler à titre de commis vendeur au commerce Au bas prix du dollar par madame Gour, propriétaire du commerce. Il débute une relation avec elle et ils cohabitent ensemble au cours de l’année 2004. À la fin de l’année 2004, l’entreprise Au bas prix du dollar est incorporée et le travailleur en devient copropriétaire et président.

[54]        Le travailleur cesse de travailler au commerce le 1er avril 2004 lors d’une récidive, rechute ou aggravation de lésion professionnelle et doit notamment subir deux chirurgies à la cheville.

[55]        Après la dernière chirurgie, la lésion professionnelle est consolidée et les limitations fonctionnelles sont les suivantes, tel qu’il appert du paragraphe 27 de la décision :

[27]      Le 10 avril 2007, le docteur Bouchard remplit le rapport final indiquant que la lésion de 2006 est consolidée à cette date avec une atteinte permanente à l'intégrité physique et des limitations fonctionnelles. Le médecin indique, lors de l’évaluation du 24 mai 2007, que le travailleur présente une raideur marquée de la partie inférieure de la cheville et du pied gauches. Il doit donc porter un soulier avec une semelle arrondie. Les limitations fonctionnelles sont décrites au rapport d’évaluation médicale de la façon suivante;

 

·     Il est incapable de porter des poids de plus de 15 livres régulièrement;

·     Il est incapable de monter ou de descendre régulièrement des escaliers, des escabeaux;

·     Il doit éviter les positions accroupies, agenouillées;

·     Patient qui doit éviter les terrains accidentés, inégaux.

·     Patient qui doit  changer de position régulièrement à toutes les 30 ou 45 minutes, soit d’une position assise, d’une position debout ou d’une position à la marche.

 

 

[56]        La CSST amorce le processus de retour au travail et prend notamment contact avec madame Gour pour évaluer les possibilités de retour en emploi du travailleur, tel qu’il appert des paragraphes 29 et 30 de la décision qui se lisent comme suit :

[29]      Entre-temps, le 23 avril 2007, la CSST redemande à madame Gour si elle est disposée à reprendre le travailleur à son emploi. Elle refuse, indiquant que son personnel est alors complet et que le travailleur se déplace avec une canne. Il est intéressant de lire ce que la conseillère rapporte :

 

Mme Gour (E) [nous] rappelle le 07-04-26. Lui demandons si elle est toujours prête à reprendre [le travailleur] selon les conditions de 2005. [Nous] dit que de toute façon, [travailleur] se déplace avec une canne et que lorsqu’elle avait parlé avec la conseillère en 2005, cela n’avait pas été mentionné; l’informons que depuis ce temps, [travailleur] a subi une [chirurgie] et que probablement qu’en 2005, il ne se déplaçait pas avec une canne. Lui indiquons que l’utilisation de la canne est peut-être temporaire et que [nous] allons le vérifier auprès du [travailleur]. Lui demandons si elle embaucherait [travailleur] s’il pouvait se déplacer sans canne; Mme Gour [nous] répond par la négative. La remercions de sa collaboration.

 

[30]      Ces notes évolutives laissent voir que madame Gour feint de ne pas connaître la condition du travailleur, alors qu’ils sont conjoints depuis trois ans.

 

 

[57]        Ensuite, le premier juge administratif dresse les faits qui ont incité la CSST à faire une enquête et à apprendre les informations qui ont mené à la reconsidération de la décision.  Il importe de reproduire les paragraphes 32 à 49 de la décision :

[32]      Le 24 mai 2007, il est écrit que la conseillère demande au travailleur comment il occupe ses journées. Il répond qu’il visite sa famille ou écoute la télévision. Le 29 mai suivant, la conseillère note que le travailleur lui dit qu’il n’a pas de conjointe.

 

[33]      Dans une note de la CSST du 12 juillet 2007, la conseillère demande à nouveau au travailleur de quelle façon il occupe ses journées, car elle a de la difficulté à le joindre. La réponse du travailleur est rapportée de la façon suivante :

 

[Travailleur] nous dit qu’il est allé chez sa sœur à Sherbrooke pendant 1 semaine mais qu’à part cela, il ne fait rien de particulier.

 

[34]      À plusieurs reprises, la CSST tente à nouveau de joindre le travailleur, sans succès. La conseillère laisse de nombreux messages. Le 24 juillet 2007, le travailleur retourne un appel à la CSST. La conseillère lui demande ce qu’il fait de ses journées. Elle rapporte ce qui suit :

 

[Travailleur] dit qu’il passe ces journées à Maniwaki avec sa mère car celle-ci s’occupe de sa mère qui est [dans] un centre et très malade. [Travailleur] dit qu’ils partent le matin et revient après le souper. [Travailleur] dit qu’il y va à tous les jours sauf la fin de semaine, car ce sont ses frères et sœurs qui s’occupent de la dame.

 

[35]      Le 25 septembre 2007, la CSST détermine que le travailleur est apte à occuper un emploi convenable de caissier d’établissement commercial à compter du 24 septembre 2007. Le travailleur conteste cette décision qui est maintenue à la suite d’une révision administrative, d’où le présent litige au dossier 338941-07-0801.

 

[36]      Le 27 septembre 2007, la conseillère indique avoir parlé au travailleur et lui avoir fait remarquer qu’il est très difficile à joindre. Elle note que le travailleur « dit être toujours avec sa mère qui doit s’occuper de sa grand-mère qui a besoin de soins ».

 

[37]      Le 15 octobre 2007, la conseillère de la CSST demande au travailleur de fournir le numéro de téléphone de la grand-mère chez qui il dit passer ses journées avec sa mère. Elle note :

 

Demandons au [travailleur] si il peut nous donner le no de la résidence de sa grand-mère où il dit passer son temps avec sa mère. [Travailleur] nous dit qu’il accompagne sa mère chez sa grand-mère mais ne reste pas là pendant que sa mère s’occupe de sa grand-mère. Dit qu’il va au centre d’achat de l’autre côté de la rue et attend que sa mère soit prête. Nous suggérons que [travailleur] sert de chauffeur à sa mère. [Travailleur] nie. Dit que c’est sa mère qui l’accompagne pcq lui ne conduit pas vraiment. Dit que sa mère a 70 ans et a besoin d’être accompagnée. Dit qu’il va aussi voir sa grand-mère en même temps et tient compagnie à sa mère.

 

Expliquons que nous nous étonnons que [travailleur] réclame des frais de déplacement avec « accompagnateur requis » alors que c’est plutôt lui qui semble servir d’accompagnateur à sa mère. [Travailleur] dit qu’ils s’accompagnent mutuellement, mais qu’il a besoin de quelqu’un pour conduire de longues distances soit plus de 5 à 10 km. Demandons au [travailleur] si il détient toujours un permis de conduire : oui

(…)

 

[38]      Le 30 octobre 2007, la CSST demande à ce qu’une enquête soit faite. Elle doute des informations que lui rapporte le travailleur. Elle indique que le travailleur est très difficile à joindre et qu’il soutient devoir accompagner sa mère qui s’occupe de sa grand-mère, qu’il soutient être incapable de conduire sur des distances de plus de 10 km et lorsque nécessaire, il réclame des frais pour un accompagnateur. Madame Gour, propriétaire du commerce « Au bas prix du dollar »  refuse de le reprendre à son emploi parce qu’il se déplace avec une canne. Le 31 décembre 2004, madame Gour met fin aux opérations de « Au bas prix du dollar » en raison d’un changement de forme juridique. L’entreprise poursuit ses opérations en immatriculant une nouvelle forme juridique dont la raison sociale est 6328504 Canada inc. Les administrateurs de cette compagnie sont madame Gour et le travailleur. Le siège social est à l’adresse personnelle du travailleur qui est la même que celle de madame Gour. Devant ces informations, la CSST demande à l’enquêteur de valider l’hypothèse voulant que  le travailleur travaille à son commerce et qu’il en retire des revenus.

 

[39]      Madame Gour témoigne qu’en janvier 2008, elle oblige le travailleur à sortir de la maison et à venir au magasin parce que, dit-elle, il est dépressif à ne rien faire à la maison. Elle veut qu’il se désennuie. Il la conduit au travail le matin. Ils n’ont qu’un seul véhicule. Il surveille le commerce à l’heure du dîner, puisque des jeunes d’une école tout près y viennent. Il continue à faire les dépôts bancaires. Il jase avec la clientèle et fait la caisse occasionnellement. Il est présent au magasin uniquement lorsque madame Gour est présente, celle-ci se faisant remplacer par Lynne ou Rhéa au besoin. Elle dit qu’il était là « de temps en temps ». Il la reconduit à la maison à la fin de la journée de travail.

 

[40]      Madame Gour explique qu’elle ne paie rien au travailleur et ajoute que s’il y a liquidation de la compagnie, le travailleur ne recevra rien, puisqu’il n’y a rien investi. Le travailleur confirme cet arrangement.

 

[41]      En 2008, le travailleur explique à l’audience qu’il passe deux à trois jours par semaine avec sa mère à visiter sa grand-mère à Maniwaki.

 

[42]      En 2008, la CSST a encore de la difficulté à le rejoindre. Le travailleur explique qu’il a 10 acres de terrain et qu’il était probablement à l’extérieur lors des appels de la CSST.

 

[43]      Le 15 avril 2008, une rencontre a lieu à la CSST visant à discuter du suivi de l’année de recherche d’emploi. La conseillère rapporte ce qui suit :

 

[Travailleur] toujours sans emploi. (…) Demandons au [travailleur] si il se rend toujours régulièrement à Maniwaki pour accompagner sa mère qui rend visite à sa grand-mère. [Travailleur] confirme. (…)

 

[44]      La CSST demande une enquête. Une filature est effectuée les 11, 12, 13 et 15 février 2008, les 7, 8, 9,10 avril 2008 et le 19 juin 2008. La vidéo de filature est présentée à l’audience, le rapport d’enquête est déposé et monsieur Hugues Rocheleau, enquêteur témoigne. Lors de son témoignage, l’enquêteur mentionne qu’il s’est présenté au commerce à quelques occasions et le travailleur lui a répondu, vendu des effets et a fait la caisse. L’enquêteur ajoute que le comptable du commerce lui a mentionné que le travailleur est le principal interlocuteur pour le commerce.

 

[45]      La vidéo est visionnée. Le Tribunal retient ce qui suit :

 

Le travailleur est au commerce, derrière le comptoir à faire la caisse à plusieurs reprises;

Il répond à des clients;

On voit le travailleur occupé à l’intérieur du commerce;

Lorsqu’il quitte, il est celui qui verrouille la porte;

Il met les déchets dans le conteneur à déchets;

On le voit épandre de l’abrasif devant le commerce;

Il porte un couteau exacto à la ceinture.

 

[46]      Selon le rapport d’enquête : « lorsqu’il est sur les lieux de son commerce, le travailleur Yves Binette se comporte comme s’il y travaillait en servant la clientèle et en portant sur lui des outils permettant de déballer de la marchandise pour la placer sur les présentoirs ». Interrogé à l’audience sur le fait qu’il porte un couteau exacto à la ceinture, il répond que « c’était inutile, mais ça me sécurisait ».

 

[47]      Le 28 juillet 2008, la CSST informe le travailleur qu’elle a suspendu son indemnité de remplacement du revenu à compter du 18 juillet 2008, date de réception du rapport d’enquête, puisque celui-ci aurait fourni des renseignements inexacts ayant déclaré être sans emploi, alors qu’il est propriétaire d’un commerce depuis le 24 janvier 2005 et qu’il y exerce des activités de travail. Le travailleur demande la révision de cette décision qui est maintenue à la suite d’une révision administrative, d’où une partie du présent litige au dossier 367175-07-0812. L’indemnité est reprise le 28 août 2008 à la date où la CSST se prononce sur la capacité du travailleur à refaire son emploi après avoir pris connaissance du rapport d’enquête.

 

[48]      Par ailleurs, il y a lieu de mentionner que la CSST dépose contre le travailleur des accusations en vertu de l’article 462 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles1 (la loi), desquelles le travailleur est acquitté le 10 juin 2009 par une décision de la Cour du Québec2.

 

[49]      Le 28 août 2008, la CSST décide de reconsidérer la décision qu’elle rendait le 25 septembre 2007 concernant la capacité du travailleur à exercer son emploi. Elle indique avoir appris que le travailleur est propriétaire du commerce « Au bas prix du dollar » depuis le 24 janvier 2005 et qu’il y exerce les activités de commis-vendeur. Elle détermine que le travailleur est capable depuis le 3 août 2007, date à laquelle la CSST a pris connaissance des limitations fonctionnelles retenues à la suite de la récidive, rechute ou aggravation du 1er avril 2004, d’exercer cet emploi de commis-vendeur. Elle déclare qu’il n’a pas droit à un nouveau processus de réadaptation. Il a par ailleurs droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu réduite à compter du 3 août 2007 et décide de lui réclamer le remboursement des montants d’indemnité de remplacement du revenu reçus indûment. La réclamation est de 26 176,56 $. Le travailleur conteste cette décision qui est maintenue à la suite d’une révision administrative, d’où une partie du litige au dossier 367175-07-0812.

________________________

1      L.R.Q., c. A-3.001 

2      CSST c. Binette, 550-63-000077-083, 10 juin 2009, j. C. Auger (JCQ), Cour du Québec chambre criminelle et pénale

 

[58]        Dans les motifs de sa décision, après avoir évalué la recevabilité de la preuve par filature à partir des critères jurisprudentiels établis, ce qui n’est pas questionné par le procureur du travailleur, le premier juge administratif, à partir de l’ensemble de la preuve, juge de sa force probante comme suit :

[71]      En l’espèce, une enquête de la CSST a démontré que le travailleur était copropriétaire d’un commerce auquel il se rendait tous les jours et y effectuait des activités de travail, en compagnie de sa conjointe qui est l’autre copropriétaire du commerce. En effet, on le voit sur la vidéo entrer le matin à son commerce. L’enquêteur a observé qu’il répondait aux clients et il l’a même servi et a fait la caisse lorsqu’il a acheté quelques effets. L’observation a été effectuée à neuf jours différents entre les mois de février et juin 2008. Pendant cette période, lorsque la CSST demandait au travailleur comment il passait ses journées, il répondait être avec sa mère ou sa grand-mère à Maniwaki ou sur son terrain de 10 acres. Lorsqu’elle l’interroge sur le fait qu’il n’est pas présent lorsqu’elle l’appelle, il n’explique pas son absence et ne mentionne jamais qu’il est à son commerce. Cette attitude ne fait certainement pas montre d’honnêteté et de transparence.

 

[72]      À l’audience, le travailleur et madame Gour ont tenté de faire croire au Tribunal que le travailleur ne travaillait pas au commerce, mais qu’il y allait pour passer le temps et se désennuyer. Bien qu’être au commerce lui permet certainement de s’y désennuyer et de passer le temps, il n’en demeure pas moins qu’il effectuait des activités de travail. Le rapport de l’inspecteur, son témoignage crédible et la preuve vidéo sont claires. Les témoignages peu crédibles du travailleur et de madame Gour sur cette question ne font aucunement le poids par rapport à une preuve aussi convaincante de la CSST.

 

[73]      De plus, lorsque questionné sur le fait qu’on le voit porter au commerce un exacto à sa ceinture, outil qui pourrait être utilisé pour ouvrir des boîtes de marchandises, le travailleur répond candidement que ça ne servait à aucune activité de travail, mais que ça avait pour seul but de le sécuriser. Le Tribunal ne croit pas le travailleur dans ces explications plutôt farfelues. Ce qui ressort de la preuve, c’est qu’il effectuait des activités de travail à son commerce.

 

[74]      Il n’est pas qu’un prête-nom pour l’entreprise comme lui et madame Gour le soutiennent, puisque même le comptable de l’entreprise déclare que le travailleur en est l’interlocuteur.

 

[59]        Le premier juge administratif a justifié sa décision et n’a pas retenu la thèse de prête-nom alléguée par le travailleur et sa conjointe. Il s’agit d’une question d’appréciation de la preuve. Le premier juge administratif s’est fondé sur la preuve pour motiver sa décision d’une manière rationnelle et intelligible.  Sa décision s’appuie sur des éléments mis en preuve et aucune erreur ou oubli n’y a été constaté. Il ne s’agit pas ici d’un exercice aléatoire ou arbitraire[8].  Il existe un lien rationnel entre la preuve et les conclusions tirées par le juge administratif[9].

[60]        Ce premier constat constitue la toile de fond du présent dossier et ne peut être écarté au moment de l’analyse de la capacité de travail lorsque le premier juge administratif devra soupeser les témoignages et dire sur quels éléments il s’appuie pour conclure que le travailleur est capable de faire l’emploi de commis vendeur.

[61]        Le premier juge administratif, contrairement à ce qui est allégué par le procureur du travailleur, ne prend pas pour acquis que le travailleur fait l’emploi de commis vendeur pour conclure qu’il en est capable, ce qui constituerait une erreur déterminante en omettant une partie de l’exercice.

[62]        La lecture du paragraphe 87 de la décision ne peut être plus claire à cet effet :

[87]      La Commission des lésions professionnelles doit donc déterminer si le travailleur est capable d’exercer son emploi prélésionnel de commis-vendeur. La CSST plaide que puisque la preuve établit qu’il exerçait l’emploi en question jusqu’en 2008, preuve est faite de sa capacité. Le présent Tribunal estime qu’une nuance s’impose et que cela ne dispense pas la CSST de faire l’analyse complète des capacités résiduelles du travailleur d’exercer son emploi. En somme, ce n’est pas parce qu’un travailleur  exerce son emploi pendant un certain temps qu’il faille, prima facie, déclarer qu’il en a automatiquement la capacité. En cette matière, la prudence est de mise et une analyse de l’ensemble des limitations fonctionnelles doit quand même être effectuée.

 

 

[63]        Le premier juge a donc fait l’analyse des tâches en adéquation avec les limitations fonctionnelles retenues. Pour faire cet exercice, il utilise les bonnes données.

[64]        Le premier juge administratif motive comme suit ses conclusions pour chacune des limitations fonctionnelles, eu égard au travail de commis vendeur :

[88]      En l’espèce, le travailleur a déclaré à quelques reprises que le poids à manipuler pouvait atteindre 30 ou même 50 livres pour des caisses de vaisselle. Le Tribunal estime qu’il exagère probablement le poids à manipuler. Cependant, la description donnée de l’emploi de commis-vendeur dans le système « Repère » identifie la force physique nécessaire à l’exécution de la fonction comme étant : « Être capable de soulever un poids d’environ 5 à 10 kg ». Le travailleur doit donc être capable de manipuler des poids de 7.5 à 25 livres. Les limitations fonctionnelles empêchent le travailleur de soulever des poids de plus de 15 livres régulièrement. Le terme régulièrement signifie selon le dictionnaire courant14 :

 

Avec régularité, synonyme : habituellement.

 

[89]      En l’espèce, puisque le travailleur effectuait le travail de commis-vendeur depuis de nombreux mois à son commerce sans difficulté apparente et en l’absence de preuve probante suivant laquelle ce travail lui impose de porter des poids de plus de quinze livres régulièrement, le Tribunal conclut que son emploi commis-vendeur respecte la limitation fonctionnelle en regard du poids maximal à porter. Quant aux autres limitations fonctionnelles, la preuve n’établit aucunement que le travail de commis-vendeur, qu’il exerçait avant le 1er avril 2004 et qu’il a exercé par la suite, l’oblige à monter ou descendre régulièrement des escaliers, des escabeaux, l’oblige à adopter des positions accroupies, agenouillées ou qu’il doive se déplacer sur des terrains accidentés ou inégaux.

 

[90]      Une autre limitation fonctionnelle impose une certaine souplesse dans l’aménagement du travail puisque le travailleur doit changer de position régulièrement toutes les 30 ou 45 minutes, soit d’une position assise, d’une position debout ou d’une position à la marche. Encore là, la preuve administrée devant la soussignée n’établit pas, selon la prépondérance des probabilités, que l’emploi de commis-vendeur qu’il exerçait à son commerce jusqu’en 2008, lui impose d’adopter une position statique plus de 30 ou 45 minutes à la fois. Il est important de rappeler qu’il est copropriétaire du commerce et qu’il pourra en toute vraisemblance modifier sa position de travail toutes les 30 ou 45 minutes.

_______________________

14     Marie-Éva DE VILLERS, Multidictionnaire de la langue française, 4e éd., Montréal, Québec/Amérique, 2003, 1542 p., p. 1258

 

[65]        La soussignée fait siens les arguments présentés par la CSST. Il faut lire les motifs concernant la capacité en gardant à l’esprit l’analyse précédente faite par le premier juge administratif aux paragraphes 71 et suivants de sa décision. À tout le moins, le premier juge administratif a conclu que le travailleur exerçait au commerce des activités de travail.

[66]        Il est vrai qu’au paragraphe 89 de sa décision, il est mentionné que le travailleur exerçait le travail de commis vendeur depuis de nombreux mois, ce qui démontre que le premier juge administratif a retenu davantage de la preuve que la notion d’activités de commerce. Mais, dans la mesure où chacune des tâches de commis vendeur a été analysée en lien avec les limitations fonctionnelles énumérées, le premier juge administratif avait tous les éléments en main pour conclure de la capacité du travailleur à exercer cet emploi.

[67]        De même, la soussignée ne retient pas non plus l’argument avancé par le procureur du travailleur selon lequel la preuve par filature ne permet pas de remettre en cause les limitations fonctionnelles. Au contraire, les limitations fonctionnelles ont été considérées dans l’analyse de la capacité, ce qui démontre que le premier juge administratif n’entendait pas conclure de la preuve qu’il n’y en avait plus.

[68]        Le procureur du travailleur a plaidé que le premier juge administratif avait commis une erreur de droit en tenant compte à cette étape des adaptations du poste de travail.

[69]        Sur ce point, la soussignée voit des distinctions avec l’affaire Laberge et Équipement Quadro inc.[10] invoquée par le procureur du travailleur. En l’espèce, il  ne s’agit pas d’un poste détenu chez un employeur extérieur au travailleur, mais bien d’un emploi dans un commerce dont le travailleur est copropriétaire. 

[70]        De plus, les conclusions du premier juge administratif quant à la fiabilité de la preuve présentée par le travailleur déteint forcément sur son analyse des tâches et justifient qu’il ne retienne pas les observations du travailleur quant aux exigences du poste de commis vendeur et qu’il préfère s’en remettre à d’autres éléments de la preuve.

[71]        En tenant compte de l’ensemble du contexte et de la preuve administrée, la soussignée conclut qu’aucune erreur manifeste n’a été commise et que le premier juge administratif n’a pas omis des éléments de la preuve comme le soutenait le procureur du travailleur.

[72]        Il ne s’agit pas d’un cas où le premier juge aurait ignoré arbitrairement une preuve pertinente et non contredite[11].

[73]        Aucune erreur manifeste et déterminante n’a été démontrée. Il n’y a donc pas ouverture au recours en révision.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête présentée par monsieur Yves Binette, le travailleur.

 

 

__________________________________

 

Anne Vaillancourt

 

 

 

 

Me Guy Laporte

LEBLANC, DONALDSON

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Julie Perrier

VIGNEAULT, THIBODEAU, GIARD

Représentante de la partie intervenante

 



[1]           Voir article 429.49 de la loi.

[2]           Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783 ; Louis-Seize et CLSC-CHSLD de la Petite-Nation, C.L.P. 214190-07-0308, 20 décembre 2005, L. Nadeau.

[3]           [2003] C.L.P. 601 (C.A.)

[4]           [2005] C.L.P. 626 (C.A.)

[5]           CLP 314665-04-0704-R, 15 avril 2009, G. Marquis

[6]           CLP 100212-03B-980402, 27 janvier 2000, G. Marquis

[7]           CLP 251245-64-0412, 18 novembre 2005, M. Montplaisir

[8]           Tremblay (Succession de) et Alcan Aluminium ltée, [2007] C.L.P. 577

[9]           Bouliane c. C.L.P., [2002] J.Q. no 1008 (C.S.)

[10]         Précitée, note 7

[11]         Tremblay c. Commission d’appel et matière de lésions professionnelles, [1998] C.L.P. 1464 ; Petit et IAMGOLD-Mine Doyon, [2009] C.L.P. 210 , 2009, LNQCCLP 137.

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