Décision

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M.T. et Compagnie A

2011 QCCLP 4578

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

5 juillet 2011

 

Région :

Lanaudière

 

Dossier :

397183-63-0912

 

Dossier CSST :

135674448

 

Commissaire :

Anne Vaillancourt, juge administratif

______________________________________________________________________

 

 

 

M... T...

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

[Compagnie A]

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE PRÉSENTÉE EN VERTU DE L’ARTICLE  429.20 ET DU 2IÈME ALINÉA DE L’ARTICLE 378 DE LA LOI SUR LES ACCIDENTS DU TRAVAIL ET LES MALADIES PROFESSIONNELLES ( L.R.Q., c. A-3.001)

______________________________________________________________________

 

 

 

[1]           Le 11 décembre 2009, madame M... T... (la travailleuse) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle elle conteste une décision rendue le 25 novembre 2009 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision en révision, la CSST confirme la décision initialement rendue le 6 novembre 2009 et déclare que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle le 21 septembre 2009 pour un diagnostic de « trouble de l’adaptation ».

[3]           Préalablement à l’audience fixée pour plusieurs jours à compter du 1er novembre 2011, l’employeur a demandé d’avoir accès au dossier médical antérieur de la travailleuse concernant un suivi pour une condition psychologique. La travailleuse s’objecte à cette requête. La travailleuse a présenté son argumentation à la Commission des lésions professionnelles le 10 mai 2011 et l’employeur, le 24 mai 2011. La travailleuse a présenté une réplique à l’argumentation de l’employeur le 2 juin 2011. La requête a été mise en  délibéré le 2 juin 2011.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]           L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles d’ordonner la divulgation du dossier médical antérieur de la travailleuse auprès du docteur Luc Roy, omnipraticien, depuis 1997.

LES FAITS ET LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[5]           La Commission des lésions professionnelles doit décider s’il y a lieu d’ordonner la divulgation du dossier médical antérieur de la travailleuse auprès du docteur Luc Roy, omnipraticien.

[6]           La soussignée dispose du pouvoir nécessaire pour décider d’une telle requête avant l’audience fondée sur les articles 376, 378 et 429.20 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), qui se lisent comme suit :

376.  Un commissaire est compétent pour décider seul de toute requête ou demande préalable à l'audition d'une affaire.

__________

1985, c. 6, a. 376; 1997, c. 27, a. 24.

 

 

378.  La Commission des lésions professionnelles et ses commissaires sont investis des pouvoirs et de l'immunité des commissaires nommés en vertu de la Loi sur les commissions d'enquête (chapitre C-37), sauf du pouvoir d'ordonner l'emprisonnement.

 

Ils ont en outre tous les pouvoirs nécessaires à l'exercice de leurs fonctions; ils peuvent notamment rendre toutes ordonnances qu'ils estiment propres à sauvegarder les droits des parties.

 

Ils ne peuvent être poursuivis en justice en raison d'un acte accompli de bonne foi dans l'exercice de leurs fonctions.

__________

1985, c. 6, a. 378; 1997, c. 27, a. 24.

 

429.20.  En l'absence de dispositions applicables à un cas particulier, la Commission des lésions professionnelles peut y suppléer par toute procédure compatible avec la présente loi et ses règles de procédure.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

[7]           Le litige dont est saisie la Commission des lésions professionnelles concerne l’admissibilité d’une lésion de nature psychologique survenue le 21 septembre 2009. À l’origine de cette lésion, la travailleuse invoque du harcèlement psychologique de son employeur qui aurait débuté le ou vers le 18 juillet 2007.

[8]           Au dossier, des notes de consultation médicale datées des 10 janvier et 6 mai 2008 du docteur Luc Roy, médecin traitant de la travailleuse, aux fins de sa réclamation à la CSST font état « d’antécédent de dépression chronique » et « médication depuis 1997 pour un état dépressif majeur ».

[9]           La travailleuse admet que le docteur Luc Roy est son médecin traitant depuis de nombreuses années et qu’il la suivait en 1997.

[10]        La travailleuse admet que sa mère est décédée en 2006.

[11]        À l’appui de sa requête, l’employeur allègue qu’une personne qui demande une indemnisation en réparation d’un dommage causé à son intégrité physique ou psychique renonce tacitement au secret professionnel et au respect de sa vie privée, tel qu’en a décidé la Cour Suprême dans l’affaire Frenette c. Métropolitaine (La) Cie d’assurance-vie[2] et tel qu’il appert de la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles[3].

[12]        L’employeur allègue que le dossier médical de la travailleuse est pertinent, puisque la travailleuse aurait vraisemblablement été suivie pour une lésion psychologique par le même médecin, le docteur Roy, depuis 1997.

[13]        La travailleuse allègue que la lésion psychologique survenue le 21 septembre 2009 est en relation avec des événements survenus au travail.

[14]        Dans la mesure où elle était suivie pour une condition psychologique avant le 21 septembre 2009, afin d’évaluer la relation causale, l’existence et la nature de la condition antérieure doivent être évaluées.  L’employeur soumet que le tribunal doit départager les antécédents en lien avec les événements allégués par la travailleuse et ceux provenant d’une autre source.

[15]        Le décès de la mère de la travailleuse un an avant les premiers événements survenus au travail et allégués par la travailleuse comme étant à l’origine de sa lésion professionnelle est un événement dont la portée doit aussi être évaluée.

[16]        L’employeur soutient avoir droit à ces informations pour lui permettre de faire une défense pleine et entière.

[17]        La travailleuse, tout en reconnaissant les principes du droit à la défense pleine et entière de l’employeur, soumet que ces documents ne sont pas pertinents pour les motifs qu’il convient de résumer ainsi.

[18]        Elle allègue que la question en litige est de déterminer si les faits décrits revêtent un caractère d’imprévisibilité suffisamment troublant pour causer un trouble de l’adaptation et d’évaluer l’existence d’un lien causal entre les faits allégués et le trouble de l’adaptation.

[19]        Dans la mesure où elle a travaillé à plein temps entre 1997 et 2007 et que ses évaluations de rendement sont très bonnes, elle prétend que cela démontre qu’elle allait bien ou que, si elle ne l’était pas, cela n’avait pas d’influence sur son travail.

[20]        Quant au décès de sa mère, elle soumet que celle-ci était atteinte d’une maladie dégénérative depuis plusieurs années et que le deuil s’est fait progressivement. Ayant été le principal soutien de celle-ci, la travailleuse est d’avis que cela démontre plutôt une bonne capacité physique et mentale pour ce faire.

[21]        Finalement, la travailleuse fait référence aux nombreux inconvénients et aspects dévalorisants vécus dans son milieu de travail en lien avec sa réclamation. Elle soumet que la preuve est suffisante pour permettre au tribunal de rendre une décision sans rendre accessible à son employeur son dossier médical antérieur qui n’apporterait rien de plus dans les circonstances. Elle appuie sa requête sur une analyse d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Chiasson et C.S.S.T.[4] dans laquelle le tribunal a reconnu l’existence d’une lésion psychologique, malgré l’existence d’une condition antérieure importante en considérant que le fait était objectivement suffisamment important pour causer la lésion. En somme, elle demande au tribunal de faire le même raisonnement.

[22]        Après appréciation des arguments des parties, la soussignée conclut qu’il y a lieu d’ordonner la divulgation du dossier médical antérieur, mais en respectant certaines conditions.

[23]        Le pouvoir d’ordonner la divulgation d’un dossier médical est régi par les principes qui suivent.

[24]        Dans un premier temps, il y a lieu de reconnaître le caractère hautement confidentiel des renseignements contenus dans un dossier médical.

[25]        Les articles 5 et 9 de la Charte des droits et libertés de la personne[5] prévoient que :

5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée.

 

1975, c. 6, a. 5.

 

 

9. Chacun a droit au respect du secret professionnel.

 

Toute personne tenue par la loi au secret professionnel et tout prêtre ou autre ministre du culte ne peuvent, même en justice, divulguer les renseignements confidentiels qui leur ont été révélés en raison de leur état ou profession, à moins qu'ils n'y soient autorisés par celui qui leur a fait ces confidences ou par une disposition expresse de la loi.

 

Le tribunal doit, d'office, assurer le respect du secret professionnel.

 

1975, c. 6, a. 9.

 

[26]        Quant au dossier médical d’un bénéficiaire, il est régi par l’article 19 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux[6] qui prévoit spécifiquement :

19. Le dossier d'un usager est confidentiel et nul ne peut y avoir accès, si ce n'est avec le consentement de l'usager ou de la personne pouvant donner un consentement en son nom. Un renseignement contenu au dossier d'un usager peut toutefois être communiqué sans son consentement:

 

 1° sur l'ordre d'un tribunal ou d'un coroner dans l'exercice de ses fonctions;

 

[…]

 

(Notre soulignement)

 

[27]        Il en découle que le bénéficiaire doit donner son consentement pour que des renseignements contenus à son dossier médical le concernant soient divulgués à des tiers. Mais, même en l’absence d’un consentement, sur ordre d’un tribunal, de tels renseignements pourraient être divulgués.

[28]        De plus, la jurisprudence reconnaît qu’il peut y avoir renonciation implicite à la confidentialité lorsque la personne invoque son état de santé devant un tribunal.

[29]        Dans l’affaire Armand St-Ours c. Pothier[7], la Cour supérieure faisait le commentaire suivant :

Le secret d’un tel dossier est atténué par les intérêts de la justice, à savoir que toute la vérité doit être présentée devant l’organisme chargé de l’apprécier et détenant par la loi, des pouvoirs judiciaires ou quasi-judiciaires.

 

 

[30]        Dans l’affaire Laprise c. Bonneau[8], le Bureau de révision paritaire de la CSST avait acquiescé à la requête de l’employeur et ordonné au travailleur, malgré son objection, de produire son dossier médical détenu par un centre hospitalier. Cette décision a fait l’objet d’une requête en révision judiciaire qui a été rejetée. La Cour d’appel a reconnu d’une part que le Bureau de révision paritaire était un tribunal au sens de la Loi sur les services de santé et les services sociaux qui avait le pouvoir d’ordonner la divulgation du dossier médical et que, d’autre part :

[…]  le fait d’invoquer son état de santé physique devant un tribunal constitue, en l’absence d’indications contraires qui ne sont pas ici présentes, une autorisation implicite de donner communication des dossiers médicaux de l’appelant sous la réserve que les composantes du dossier ne soit admises en preuve que suivant les règles usuelles de la pertinente et de la causalité.

 

 

[31]        Le droit à une défense pleine et entière qui requiert la divulgation et le droit au respect de la vie privée invoqué par la travailleuse doivent être soupesés par le tribunal qui doit décider d’une telle question.

[32]        L’affaire Frenette c. Métropolitaine (La) cie d’assurance-vie[9] situe ainsi les questions à débattre lorsque la divulgation des renseignements contenus à un dossier médical a lieu dans un contexte judiciaire :

Par contre, dans un contexte judiciaire, l’obligation de confidentialité qui incombe aux hôpitaux et l’obligation d’observer le secret professionnel qui incombe à des personnes comme les médecins se transposent en un privilège relatif à la preuve. Cela peut engendrer un conflit entre le droit au respect de la vie privée d’un particulier et les autres principes de justice fondamentale comme la contraignabilité, la divulgation de faits substantiels, le droit à une défense pleine et entière ainsi que la recherche de la vérité. En conséquence, il faut déterminer l’étendue des renseignements protégés par la confidentialité en tenant compte des intérêts divergents en présence.  […]

 

[…]

 

En l’espèce, les termes clairs du contrat ont permis de résoudre facilement la question de l’accès et de la portée de cet accès.  Si le titulaire du droit à la confidentialité a renoncé clairement à ce droit ou encore si des dispositions législatives comme celles qu’on trouve dans la Loi sur les services de santé et les services sociaux autorisent un accès direct aux dossiers hospitaliers, la question du droit au respect de la vie privée ne se pose plus car, dans un cas, le titulaire du droit a, de son propre chef, renoncé au respect de sa vie privée aux conditions qu’il a lui-même fixées et, dans l’autre, le législateur a jugé que d’autres intérêts devaient l’emporter sur ceux du bénéficiaire des services hospitaliers. En conséquence, il n’est, dans aucun de ces cas, nécessaire de soupeser les intérêts en présence. Dans le premier cas, lorsqu’on conclut à l’existence d’une autorisation expresse ou implicite, comme en l’espèce, l’établissement de santé doit divulguer les renseignements conformément aux termes de l’autorisation. La seule restriction imposée ici par l’assuré est que la divulgation de ses dossiers médicaux à l’appelante serve à l’"appréciation des risques et [à l]’étude des sinistres"; […]

 

 

[33]        Dans l’affaire Frenette, il s’agissait d’un contrat d’assurance privée où les compagnies ont aussi des clauses contractuelles d’accès direct. Il est néanmoins intéressant de constater que la divulgation doit servir les intérêts en cause, soit l’appréciation des risques et l’étude des sinistres.

[34]        Dans notre contexte, du point de vue légal, il est certain que le dossier médical doit être divulgué à partir du moment où un tribunal l’ordonne, c’est ce qui ressort du choix fait par le législateur à la Loi sur les services de santé et les services sociaux. Point n’est nécessaire de soupeser les intérêts en cause pour décider de ce droit d’accès.

[35]        Mais ce n’est pas tant le droit d’accès comme tel qui cause problème, mais plutôt l’étendue de celui-ci. La finalité recherchée ici est la pertinence de l’information, eu égard à la question à décider.

[36]        Dans le présent cas, la difficulté réside dans l’étendue de la période de 10 ans du suivi médical demandé, ce qui est potentiellement intrusif, et ce, eu égard au fait que, sans aucun doute, tous les renseignements contenus dans un dossier médical durant 10 ans ne sont pas nécessairement pertinents à la question à décider. De plus, le dossier médical demandé est antérieur à la lésion en cause, ce qui incite à la prudence.

[37]         Dans l’affaire Frenette, l’analyse de la jurisprudence relative au droit d’accès aux dossiers médicaux dans un contexte judiciaire, plus particulièrement dans les actions intentées à la suite de lésions corporelles, d’assurance responsabilité ou d’assurance vie ou maladie, conduit la Cour suprême à tirer les conclusions suivantes :

[…]  Il ressort d’une analyse approfondie de la jurisprudence relative à ces trois grandes catégories d’actions que, dans les actions pour lésions corporelles, on fait généralement droit aux demandes d’accès aux dossiers médicaux sous le régime de l’article 402 C.p.c.. Toutefois, les tribunaux ont plus de difficulté à déterminer l’étendue des renseignements auxquels le requérant devrait avoir accès. Bien que l’on ait généralement fait droit aux demandes de divulgation de dossiers dans le cas d’accidents et de traitements médicaux subséquents, les tribunaux ont refusé catégoriquement d’autoriser l’accès préliminaire aux dossiers médicaux antérieurs aux blessures subies, qui ne se rapportent pas à la question de la responsabilité, quoiqu’ils puissent être pertinents en matière d’évaluation des dommages-intérêts.  […]

 

[…]

 

En ce qui concerne les actions fondées sur des polices d’assurance, les tribunaux ont également permis l’accès aux dossiers médicaux de l’assuré, en principe pour que le secret professionnel des médecins ne puisse servir à cacher des actes frauduleux. Comme dans le cas des actions en responsabilité professionnelle, les dossiers médicaux, en matière d’assurance, doivent aussi se rapporter directement à la principale question en litige : la validité du contrat qui elle-même dépend de la divulgation exacte de l’état de santé antérieur  - -  une question d’ordre public en vertu du Code civil (Voir par exemple, Taxi Newman Lafleur c. Cie d’assurances Provinces-Unies, [1991] R.R.A. 411 (C.S.) (en appel), Impériale, Cie d’assurance-vie c. Succession de Roy, [1990] R.J.Q. 2468 (C.A.), et Robitaille c. Cie d’assurance C.N.A., J.E. 79-565 (C.S)).

 

(nos soulignements)

 

 

[38]        Et concernant plus particulièrement l’exercice du pouvoir discrétionnaire du tribunal de déterminer si l’accès sera permis, quelle en sera la portée et quand il sera autorisé, la Cour suprême conclut ainsi à partir de l’étude de la jurisprudence:

[…]  En conséquence, un juge sera fortement enclin à permettre l’accès aux dossiers médicaux dans les cas où l’état de santé du titulaire du privilège constitue la principale question en litige et où il n’existe pas d’autres moyens pour une partie de prouver ses prétentions. Il appartient au juge, dans la recherche d’une administration saine et efficace de la justice, de soupeser ces facteurs et d’assurer en même temps la protection du droit d’une personne au respect de sa vie privée et à la confidentialité contre les expéditions de pêche.  […]

 

 

[39]        Dans le domaine d’application d’une loi d’indemnisation d’ordre public[10] telle que la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, il est tout aussi pertinent de s’assurer que les renseignements allégués au soutien de la réclamation soient exacts et fiables et, dans certains cas, de s’assurer que l’état de santé antérieur ne constitue pas la cause principale de l’invalidité au soutien de la réclamation.

[40]        Il appartient aussi au tribunal de veiller à ce que de telles requêtes soient pertinentes et que l’étendue de celles-ci soient proportionnelles à la question à décider, en tenant compte des circonstances, tout en prévenant que de telles requêtes se transforment en expéditions de pêche. 

[41]        Il est intéressant de référer à la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles qui a eu à appliquer ces principes dans des circonstances variées.  

[42]        Par exemple, dans l’affaire Basciano et Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys[11], la Commission des lésions professionnelles a ordonné la production des notes de consultation auprès d’une psychologue dans le cadre d’une réclamation pour une lésion professionnelle de nature psychologique du 18 novembre 2005. Il est intéressant de rapporter l’analyse suivante faite par le tribunal :

[31]      À ce titre, la Commission des lésions professionnelles estime que la preuve demandée, soit les notes cliniques de madame Alain, est pertinente. En effet, la Commission des lésions professionnelles devra déterminer si les problèmes psychologiques dont la travailleuse souffre ou a souffert sont de nature professionnelle et elle doit aussi déterminer la date de consolidation de ces problèmes. Il ne fait pas de doute que les informations relatives à des services médicaux ou autres qu’elle a reçus en rapport avec son problème psychologique sont pertinentes. Rappelons à cette fin les principes qui nous guident dans la détermination d’une lésion professionnelle de nature psychologique. Dans Chastenais et Joseph Ribkoff inc.13, on rappelle qu’un travailleur doit établir la cause de sa maladie et la Commission des lésions professionnelles doit soupeser la condition personnelle de l’événement imprévu et soudain :

 

[…]

 

Cette exigence de preuve signifie qu'il n'est pas suffisant pour le travailleur d'établir que sa maladie est reliée à son travail. Il doit démontrer plus particulièrement soit qu'elle a été causée par un événement imprévu et soudain survenu à son travail, soit qu'elle est caractéristique de son travail ou reliée directement aux risques particuliers qu'il comporte. Cette exigence s'impose particulièrement en ce qui concerne certaines maladies psychiques telles que l'épuisement professionnel, le trouble d'adaptation ou la dépression situationnelle où, bien qu'elle puisse être associée au travail, la maladie peut s'avérer davantage la manifestation d'une problématique personnelle. Certes, l'existence d'une condition personnelle préexistante ne fait pas échec à la reconnaissance d'une lésion professionnelle, mais, comme l'a précisé la jurisprudence, on doit néanmoins être en présence de circonstances qui satisfont aux conditions prévues par les articles 2 ou 30.

 

[…]

 

[…]

 

[35]      Or, dans le cas qui nous occupe, c’est à la demande du médecin traitant de la travailleuse que les services professionnels de la psychologue Alain lui ont été dispensés. Aussi, madame Alain a produit un rapport d’évaluation psychologique qu’elle a adressé à la CSST et qui a été versé au dossier de la travailleuse dans le cadre de sa réclamation à la CSST. Ces faits se distinguent nettement de ceux prouvés dans l’affaire Heynemand. Quant à l’affaire Société Hostess Frito-Lay et Barette15 également soumis par la procureure de la travailleuse, les faits diffèrent puisque la production des documents demandés étaient antérieurs à la lésion professionnelle. Tout en reconnaissant le principe qui fait que l’on peut renoncer implicitement à la protection de confidentialité, le commissaire considère qu’en l’espèce, ce n’est pas pertinent.

 

[…]

 

[38]      La Commission des lésions professionnelles est d’avis que ces notes pourront l’éclairer sur les causes ayant pu contribuer à provoquer la condition dont la travailleuse a souffert. Ces notes apparaissent même nécessaires au Tribunal en vue de rendre une décision éclairée quant à la contestation initiale dont il est saisi. En ce sens, même en l’absence d’une requête de l’employeur, il est loin d’être impossible que le Tribunal ait eu lui-même à exiger la production de ces documents et ce, en vertu de l’article 6 de la Loi sur les commissions d’enquête16 qui lui confère un tel pouvoir :

 

Afin de découvrir la vérité, les commissaires peuvent, par tous les moyens légaux qu’ils jugent les meilleurs, s’enquérir des choses dont l’investigation leur a été déférée. 

 

[39]      La Commission des lésions professionnelles estime donc que la demande de l’employeur est légale et ne constitue pas une « partie de pêche » à l’encontre des droits au respect de la vie privée ou à la sauvegarde et à la dignité de la travailleuse, tel que consentis par la Charte des droits et liberté de la personne.

___________________

13     C.L.P. 130096-73-001, 19 juillet 2000, C.-A. Ducharme.

15     C.L.P. 143744-03B-007, 26 octobre 2001, R. Savard, paragraphes 60 à 64.

16     L.R.Q., c. C-37.

 

 

[43]        Dans l’affaire S…E… et Compagnie A et C.S.S.T.[12], la Commission des lésions professionnelles, appelée à statuer sur une requête en récusation d’un juge administratif, faisait les commentaires suivants concernant la décision du juge administratif d’ordonner la divulgation du dossier médical antérieur :

[28]      Toutefois, la jurisprudence est claire sur le fait qu’au stade de l’audience devant la Commission des lésions professionnelles, les règles de justice naturelle et le droit à une défense pleine et entière font en sorte que le dossier médical pertinent d’un travailleur ou d’une travailleuse devient accessible.

 

[29]      La juge a également eu raison de mentionner que l’employeur ne procédait pas à une partie de pêche puisque la travailleuse elle-même avait avoué l’existence d’antécédents psychologiques lors de la première journée d’audience.

 

[30]      La juge a même rendu une ordonnance de non-publication du dossier médical de la travailleuse et elle a informé les parties que sa décision serait caviardée.

 

[…]

 

[34]      Le principe de la renonciation au secret professionnel par la partie qui invoque son état de santé dans le but de recevoir indemnisation est reconnu de façon très claire par la jurisprudence5.

 

[…]

 

[36]      La juge avait donc le droit et même le devoir, afin de rendre la meilleure décision possible et de faire éclore la vérité, d’exiger les extraits pertinents du dossier médical de la travailleuse.

________________________

5      Hallé et RRSSS Montérégie, [2006] C.L.P. 378 ; Bélanger et Société de gestion Gordon Decaen ltée, [2008] C.L.P. 717 ; Rapid Transformers ltée et Goyette, [1991] CALP 1128 ; Sergerie et Centre hospitalier Honoré-Mercier inc., [1993] CALP 839 ; Paramex et Labrie, [1997] CALP 1663 ; Commission scolaire Le Gardeur et Dumont, [1998] CALP 411 ; Groupe construction nationale State inc. et CSST, [1998] C.L.P. 692 ; Hamel et Bombardier inc., [1998] C.L.P. 1234 ; Beauparlant et Avon Canada, 131057-71-0001, 3 mai 2000, D. Gruffy dans laquelle la juge réfère à l’arrêt rendu par la Cour suprême en cette matière dans l’affaire Frenette c. La Métropolitaine [1992] 1 RCS 647 .

 

 

[44]        Et, dans l’affaire A et Compagnie A[13], la Commission des lésions professionnelles faisait le commentaire suivant à l’égard de la pertinence de consultations antérieures dans le cas de l’admissibilité d’une lésion psychologique :

[26]      Sur cette question, le tribunal est d’avis qu’il est pertinent de vérifier tous les antécédents psychologiques du travailleur pour bien départager ceux qui seraient, de façon probable, en relation avec les événements allégués dans sa réclamation et d’autres éléments pouvant provenir d’une autre source. D’ailleurs, le tribunal remarque que le travailleur lui-même, dans son document produit au dossier de la CSST, écrit :

 

«  […]

 

27 novembre 2007 (8h00)  Je rencontre ma psychologue (PAE), Mme Claudine Delmotte.

 

Depuis l’événement du 26 juin 2007, j’ai consulté un travailleur social M. Christian Andrews (PAE) pour y demander des outils face à ce que je vivais. J’ai déjà, par le passé, consulté un autre psychologue (PAE) dans l’ancien régime, pour également des problèmes reliés à la garde de ma fille par rapport aux dits changements d’équipe qui me rendent toujours anxieux.

 

[…]  »

 

(nos soulignements)

 

[27]      D’ailleurs, le travailleur évoque aussi lui-même sa situation personnelle et familiale en rapport avec la garde de sa fille dans sa réclamation produite à la CSST, le 3 décembre 2007.

 

[28]      C’est aussi le travailleur lui-même qui allègue une consultation psychologique antérieure relativement à des problèmes reliés à la garde de sa fille et en relation avec les changements d’équipe qui le rendent toujours anxieux. Le travailleur peut difficilement, à ce stade-ci, prétendre à l’absence de pertinente puisque lui-même allègue ces éléments au dossier.

 

[29]      Au surplus, le tribunal rappelle les propos du juge administratif Suzanne Mathieu dans l’affaire Hallé et R.R.S.S.S. Montérégie5 qui traitaient de l’étendue de la preuve de nature psychologique au sujet de laquelle le tribunal pouvait procéder à une enquête :

 

«  […]

 

[146]    À cet égard, le niveau de la preuve de la relation causale demeure aussi exigeant que celui en matière de lésion physique. Il est donc totalement insuffisant que cette relation repose sur le seul témoignage du travailleur. Il faut une preuve médicale dont la nature ne peut s’accommoder d’affirmations floues et générales.

 

[147]    La preuve médicale doit ainsi revêtir un caractère de rigueur intellectuelle et scientifique et l’expertise psychiatrique, s’il en existe une qui l’appuie, présenter un tableau complet et analytique de la condition du travailleur afin de permettre au tribunal de disposer d’un éclairage adéquat et objectif.

 

[148]    C’est d’ailleurs dans ce contexte que le présent tribunal a exigé et permis le dépôt de tous les documents médicaux pertinents au passé psychiatrique de monsieur Hallée. La Commission des lésions professionnelles, qui a rendu sa décision sur les objections de la partie requérante relativement à un tel dépôt, tient à souligner que ces objections dénotent, à son avis, une incompréhension de la nature même de la preuve exigible en matière de lésion psychologique.

[149]    Il est en effet crucial que la relation de cause à effet soit démontrée de manière prépondérante, par une analyse complète des antécédents pertinents du travailleur, lesquels constituent un éclairage essentiel sur la vie en continu du patient, étant entendu que sa vie psychique ne débute pas avec l’événement pour lequel il réclame une indemnisation à la CSST.

 

[150]    Cet éclairage rétrospectif est impératif en matière de lésion psychologique, car il permet d’évaluer avec justesse ce qui a changé avec l’événement rapporté comme étant la cause de la dépression majeure.

 

[151]    Il est de commune renommée que tout individu est soumis dans le cours de sa vie à une multitude d’agents stresseurs et le fait de connaître la manière dont il y a répondu dans le passé, ne peut qu’aider à qualifier la nature de ceux qu’il invoque être à la source de sa réclamation à la CSST.

 

[152]    C’est dans ce contexte que la Commission des lésions professionnelles compte en premier lieu dégager, des antécédents psychiatriques du travailleur, certaines conclusions, qui n’anéantissent en rien la théorie du crâne fragile, laquelle demeure pertinente et applicable au présent cas, dans la mesure où le tribunal conclut qu’il dispose d’une preuve prépondérante de la survenance d’événements imprévus et soudains, au sens de la définition de l’accident du travail.

 

[…]  »

 

(nos soulignements)

 

[30]      Dans ce contexte, le tribunal est d’avis qu’il est pertinent de connaître les antécédents psychologiques du travailleur, plus particulièrement relativement aux éléments allégués par le travailleur lui-même au dossier, à savoir toutes consultations auprès d’un psychologue, un médecin ou professionnel de la santé pour des problèmes reliés à la garde de sa fille et aux changements d’équipe dans le cadre de son travail ou de tout autre problème psychologique antérieur.

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5      C.L.P. 237374-62-0406, 26 juin 2006, S. Mathieu.

 

[45]        Dans le présent cas, la requête de l’employeur est sérieuse en ce qu’elle se fonde sur des éléments de preuve qui établissent un suivi médical pour une lésion ou condition psychologique depuis 1997 auprès du docteur Luc Roy, médecin traitant de la travailleuse. En effet, des rapports médicaux y font référence et la travailleuse a admis ce suivi médical. Il ne s’agit pas d’une expédition de pêche de la part de l’employeur.

[46]        Une telle condition est pertinente, eu égard à la question en litige. Il est vrai, tel qu’allégué par la travailleuse, qu’une condition personnelle préexistante n’empêche pas la reconnaissance d’une lésion professionnelle s’il s’est produit un événement imprévu et soudain, selon les critères reconnus par la jurisprudence.

[47]        Toutefois, pour décider de l’admissibilité d’une réclamation, le tribunal doit aussi évaluer la relation causale et c’est sur ce point que l’existence d’une maladie préexistante à la lésion professionnelle est pertinente. Le tribunal doit être en mesure d’en évaluer la portée.

[48]        De même, comment l’employeur peut-il faire la preuve d’une condition antérieure autrement que par les conclusions médicales du médecin traitant, le professionnel de la santé chargé de poser un diagnostic et de recommander des traitements?  Le droit à une défense pleine et entière milite ici en faveur de la divulgation.

[49]        De même, la travailleuse a fait référence au décès de sa mère survenu un an avant le début de la lésion qu’elle relie au travail. Un tel événement antérieur revêt une certaine importance. Il se peut, tel qu’allégué par la travailleuse, que dans les circonstances il n’ait pas eu d’impact significatif, mais il ne peut être écarté à priori.

[50]        Cependant, considérant l’étendue du suivi médical qui s’échelonne sur une période de 10 ans, il y lieu de restreindre la portée de l’ordonnance aux seules notes de consultation pour une condition de nature psychologique à partir de 1997, ce qui permettra d’exclure d’emblée toute autre consultation médicale pour un motif autre, à l’exception des notes du médecin qui pourraient traiter du décès de la mère de la travailleuse.

[51]        Par mesure de prudence et pour limiter les inconvénients d’une telle ordonnance, la soussignée considère qu’il est indiqué dans les circonstances que les documents parviennent au tribunal sous pli scellé confidentiel. 

[52]        Dans une étape ultérieure qui consistera à transmettre l’information pertinente aux parties, si nécessaire, le tribunal pourra s’assurer par une ordonnance que cette information soit restreinte au seul représentant dûment identifié de l’employeur et qu’elle ne soit accessible à aucune autre personne chez l’employeur.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête présentée par la [Compagnie A], l’employeur;

ORDONNE au docteur Luc Roy, omnipraticien, de transmettre, au plus tard 30 jours après la réception de la présente, sous enveloppe scellée confidentielle, à la Commission des lésions professionnelles, à l’attention de la soussignée, Me Anne Vaillancourt, juge administratif à la Commission des lésions professionnelles, au 500, boulevard René Lévesque Ouest, Montréal (Québec), H2Z 1W7, une copie du dossier médical de madame M... T..., concernant toute consultation pour une condition psychologique à partir de 1997 à aujourd’hui ou concernant le décès de sa mère survenu en 2006.

 

 

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Anne Vaillancourt

 

 

 

 

Me Jean-François Cloutier

FASKEN MARTINEAU DUMOULIN

Représentant de la partie intéressée

 

 



[1]          L.R.Q. c. A-3.001

[2]           (1992) 1 R.C.S. 647

[3]           Commission scolaire Le Gardeur et Dumont, [1998] C.A.L.P. 411 ; révision rejetée, [1998] C.L.P. 73 ; S…E… et Compagnie A, C..L.P. 330599-63-0710, 2 juillet 2009, J.F. Clément.

[4]           C.L.P. 176616-09-0202, 20 janvier 2004, D. Sams

[5]           L.R.Q., c.C-12

[6]           L.R.Q., c. S-4.2

[7]           200-05-005461-822, 7 janvier 1983, A. Trottier, J.C.S; appel rejeté, 200-09-000048-832, 10 janvier 1984, j. L’Heureux-Dubé, Bisson, Nichols.

[8]           [1985] C.A. 9

[9]           [1992] 1 R.C.S. 647

[10]         Voir article 4 de la loi.

[11]         C.L.P. 302599-71-0611, 29 janvier 2008, P. Perron

[12]         Déjà citée, note 3.

[13]         C.L.P. 346095-31-0804, 7 octobre 2009, J.-L. Rivard

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