Décision

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Henri c. 9131-5267 Québec inc.

2017 QCCS 716

JH5439

 
 COUR SUPÉRIEURE

(Chambre civile)

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

JOLIETTE

 

N° :

705-17-005590-144

 

DATE :

2 mars 2017

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

STEPHEN W. HAMILTON, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

LORRAINE HENRI

Demanderesse

c.

9131-5267 QUÉBEC INC.

Défenderesse

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

INTRODUCTION

[1]       Ce dossier porte sur les conséquences malheureuses pour le locateur et le locataire de deux incendies criminels dans les lieux loués.

[2]       Le locataire n’occupe pas les lieux depuis le deuxième incendie survenu en avril 2013.

[3]       Le locateur veut mettre fin au bail et il réclame le loyer impayé ainsi qu’une indemnité de relocation et des dommages pour troubles et inconvénients, dont les honoraires judiciaires qu’il a encourus dans le dossier.

[4]       Le locataire veut reprendre possession des lieux et il réclame sa perte de profits et les frais d’entreposage pour la période où il est exclu de son commerce ainsi que l’indemnité qu’il n’a pas reçue de son assureur, des dommages pour troubles et inconvénients et des dommages punitifs.

CONTEXTE

[5]       Jean-Jacques Thouin est propriétaire de l’immeuble situé au 405 et 407, rue Notre-Dame, à Repentigny jusqu’à son décès le 10 novembre 2013. Suite à son décès, l’immeuble est transféré à son épouse Lorraine Henri, la demanderesse dans le présent dossier. L’immeuble est administré par leur fille Josée Thouin depuis quelques années avant son le décès de son père.

[6]       L’immeuble compte huit logements résidentiels, six locaux commerciaux et 12 bureaux.

[7]       Le 6 octobre 2003, monsieur Thouin en tant que locateur et Taj Kudhail et J. Berkowitz « pour une compagnie à être formée, opérée sous bannière ‘Domino’s Pizza’ » comme locataire finalisent et acceptent une offre de location pour un local au rez-de-chaussée de l’immeuble[1]. Kudhail[2] et des membres de sa famille forment la défenderesse 9131-5267 Québec inc. pour être le locataire du local et pour y opérer un restaurant Domino’s[3].

[8]       L’offre de location acceptée prévoit que les parties signeront un bail commercial standard contenant les conditions de l’offre de location[4]. Ceci n’a jamais lieu et en conséquence l’offre acceptée est le bail entre les parties[5].

[9]       Le bail prévoit que le local sera livré pour le 15 novembre 2003[6] et que le bail entrera en vigueur 45 jours plus tard[7], soit le 1er janvier 2004. Toutefois, Kudhail témoigne qu’il y a des délais dans la construction et que monsieur Thouin consent un délai additionnel d’un mois, au 1er février 2004, et que le premier paiement de loyer est pour le mois de février 2004. Thouin[8] confirme que selon les registres de son père, le premier paiement de loyer est reçu en février 2004. Le restaurant ouvre ses portes le 23 mars 2004.

[10]        Le terme du bail est de cinq ans[9] et le loyer est ajusté à la fin de la première et de la troisième année[10]. Les ajustements ont lieu le 1er février 2005 et le 1er février 2007[11].

[11]        Le bail prévoit trois options de renouvellement de bail, chacune pour une période additionnelle de cinq ans. Le loyer de la sixième année est fixé dans le bail et le loyer des années subséquentes doit être augmenté en fonction de l’indice des prix aux consommateurs[12]. Les parties s’entendent que le bail a été renouvelé pour une période additionnelle de cinq ans à compter du 1er février 2009[13] et que le loyer a été ajusté le 1er février 2009[14] et le 1er février de chaque année par la suite[15].

[12]        Tout se passe bien jusqu’en février 2013.

[13]        Le 27 février 2013, il y a un incendie criminel dans le restaurant. La fenêtre est brisée et un cocktail Molotov est lancé dans le restaurant. Le service d’incendie de Repentigny intervient rapidement et il y a peu de dommages, mais les pompiers doivent ouvrir deux murs et la fumée cause des dégâts[16]. La défenderesse n’est pas assurée et elle paie 9 000 $ pour les réparations au restaurant. La demanderesse paie 20 000 $ pour d’autres dommages à l’immeuble. Elle est remboursée par son assureur.

[14]        Le restaurant reprend ses opérations un mois après l’incendie. Il n’y a pas d’interruption dans le paiement du loyer. À la suite de cet incendie, la défenderesse se fait rajouter à la police d’assurance de Domino’s avec Intact Assurance[17]. Elle regarde la possibilité de mesures de sécurité accrues, mais rien n’est en place lors de la réouverture du restaurant.

[15]        Il y a un deuxième cocktail Molotov le 12 avril 2013[18].

[16]        Il n’y a aucune suggestion que la demanderesse ou la défenderesse est impliquée de quelque façon que ce soit dans les incendies. Les deux incendies semblent faire partie d’une vague d’incendies criminels dans les pizzerias de Repentigny entre février et octobre 2013[19].

[17]        Le deuxième incendie chez la défenderesse est plus sérieux. Le restaurant est complètement ravagé. Le feu s’est limité au restaurant, mais l’immeuble au complet doit être évacué en raison de la fumée et du risque de propagation du feu, et d’autres locaux sont endommagés par la fumée et par les pompiers, qui défoncent des portes et ouvrent des murs et des plafonds[20].

[18]        L’incendie laisse les deux parties dans des situations compliquées.

[19]        La demanderesse commence immédiatement le nettoyage et la réparation des dommages dans les autres locaux[21]. Elle ne fait aucun travail sur le local où se trouve le restaurant en attendant que la défenderesse décide si elle reconstruit le restaurant. Elle pousse l’assureur de la défenderesse à faire des travaux de nettoyage et remise en état des lieux[22].

[20]        Les autres locataires de l’immeuble sont bouleversés par la situation. Plusieurs demandent à la demanderesse de faire en sorte que la défenderesse ne revienne pas dans l’immeuble et menacent de quitter si la défenderesse rouvre son restaurant. D’autres locataires résilient leurs baux, quittent à la fin de leurs baux ou ne donnent pas suite à des offres de location[23].

[21]        La demanderesse a aussi des problèmes avec son assureur, qui est aussi Intact, qui menace de mettre fin à la police d’assurance pour l’immeuble si le restaurant est ré-ouvert[24].

[22]        La défenderesse doit décider si elle reconstruit son restaurant ou si elle déménage.

[23]        Kudhail témoigne que l’expert en sinistre nommé par Intact dans son dossier, Nicolas Marcoux, lui dit dans les jours qui suivent l’incendie que la réclamation de la défenderesse sera acceptée éventuellement, mais Kudhail veut connaître le montant de l’indemnité pour la reconstruction des améliorations locatives et le remplacement de l’équipement endommagé. Il est aussi question de savoir si l’assureur couvre sa perte de revenus et paie son loyer[25].

[24]        D’autres facteurs viennent compliquer la décision que doit prendre la défenderesse. À cette même période, Domino’s change ses exigences pour l’image de ses restaurants et la reconstruction devra respecter ces nouvelles exigences. De plus, le contrat de franchise avec Domino’s vient à échéance le 7 novembre 2013 et l’avis de renouvellement doit en principe être envoyé 180 jours avant la fin du contrat, donc avant le 7 mai 2013. Quant à lui, le bail vient à échéance le 31 janvier 2014[26] et doit être renouvelé. Enfin, la défenderesse est intéressée à vendre le restaurant depuis 2010 et a un acheteur potentiel au moment de l’incendie.

[25]        En même temps, la défenderesse est au courant des inquiétudes de la demanderesse et envisage la possibilité de déménager. Kudhail demande à Marcoux si la défenderesse reçoit les mêmes indemnités dans le cas d’une reconstruction des lieux ou d’un déménagement[27]. Le déménagement doit aussi être autorisé par Domino’s[28].

[26]        En fonction de tous ces éléments, Kudhail écrit à Thouin le 18 avril 2013 relativement à la réouverture du restaurant[29] :

Bonjour Josée,

Tout va dépendre de l’assureur et l’indemnité que je reçois. L’expert en sinistre m’a dit informellement que c’est fort probable que ça soit déclaré une perte totale, mais je ne sais pas ce que ça lui vaut en $.

Par ailleurs, un représentant de Domino’s Canada m’a informé qu’il va falloir reconstruire le resto selon le nouveau(sic) image qui est exigé pour tous nouveaux restaurants à partir de cette semaine. Ces nouvelles normes coûtent environ $250K. L’indemnité maximale que je pourrais recevoir de l’assureur est $250K. Si je reçois, par exemple, seulement $150K de l’assureur, c’est fort probable que j’investirai(sic) pas $100K pour combler la différence.

J’ai un appel de conférence avec les dirigeants de Domino’s Canada demain après-midi (jeudi, le 18 avril), et l’expert en sinistre m’a dit qu’il me recontactera de nouveau la semaine prochaine. J’ai l’impression que je devrais avoir les paramètres de ma décision en place d’ici là.

J’ai(sic) pas l’intention de tarder dans ma décision. J’avais l’intention de t’aviser de l’exercice (ou non) de l’option prévu au bail au moins 6 mois d’avance, et j’ai toujours cette intention.

Je te tiens au courant pour la suite des choses.

Cordialement,

Taj

[27]        Dans l’attente de ces réponses, la défenderesse n’entreprend aucun travaux. Les seuls gestes posés sont que le 6 mai 2013, la défenderesse se rend sur les lieux à la demande de la demanderesse pour retirer les aliments qui sont toujours là, et l’assureur de la défenderesse envoie, à ses frais, la firme Steamatic la semaine suivante pour retirer les équipements utilisables. La chambre froide et la hotte demeurent sur les lieux. La défenderesse ne prend pas position quant au renouvellement du bail ou du contrat de franchise. Elle ne paie aucun loyer à compter du 1er mai 2013.

[28]        En mai 2013, les parties discutent de la possibilité de mettre fin au bail, mais ne s’entendent pas[30].

[29]        Dès juin 2013, le ton commence à monter dans les échanges entre les parties. La demanderesse retient les services d’un avocat, qui demande le paiement du loyer, la remise en état des lieux et la résiliation du bail[31]. La défenderesse répond qu’elle n’a aucune obligation de payer le loyer, que c’est la demanderesse qui a l’obligation de remettre les lieux en état et qu’elle attend la position de son assureur avant de prendre une décision sur le bail[32].

[30]        En octobre 2013, la défenderesse n’a toujours pas obtenu, selon elle, la réponse définitive de son assureur[33]. Kudhail rencontre Marcoux le 1er octobre 2013 et ce dernier lui remet le rapport préparé par l’estimateur en dommage de l’assureur le 29 mai 2013, qui fixe le montant net payable à 81 487,90 $[34]. Kudhail veut savoir si la défenderesse reçoit la même indemnité si elle déménage. Marcoux témoigne qu’il lui a déjà dit non, mais que Kudhail insiste. Le 8 octobre 2013, la demanderesse dépose la requête introductive d’instance dans le présent dossier[35]. Elle demande la résiliation du bail et le paiement du loyer et de six mois additionnels de loyer comme indemnité de relocation. Elle demande aussi, par ordonnance de sauvegarde, que la défenderesse dépose le montant des loyers échus et le loyer à venir lorsqu’il arrive à échéance.

[31]        À cette même période, suite aux plaintes des autres locataires quant à l’apparence de la façade de l’immeuble et des odeurs provenant du restaurant, la demanderesse fait faire un nettoyage des lieux et elle remplace les portes et fenêtres, ainsi que les serrures[36]. La demanderesse n’avise pas la défenderesse des travaux et ne lui donne pas les clés des nouvelles serrures.

[32]        Le 1er novembre 2013, la défenderesse reçoit ce qu’elle considère la réponse définitive de son assureur, essentiellement selon laquelle elle reçoit une indemnité bien moindre si elle ne reconstruit pas son restaurant dans les lieux loués[37]. Elle avise donc l’assureur qu’elle reconstruit son restaurant dans les lieux loués[38] et elle envoie son avis d’exercice de l’option de renouvellement du bail[39]. Elle avise aussi Domino’s qu’elle va reconstruire le restaurant[40]. Kudhail rencontre un représentant de Domino’s et un entrepreneur pour planifier la construction.

[33]        Lorsque Marcoux envoie Steamatic sur les lieux pour faire les travaux de démolition, il apprend que les serrures ont été changées. La demanderesse refuse de remettre copie des clés.

[34]        L’assureur prend la position que la défenderesse ne peut reconstruire son restaurant en raison de ce problème d’accès. En conséquence, l’assureur avise la défenderesse qu’il cesse de payer les frais d’entreposage et la perte de profits à compter du 15 novembre 2013[41].

[35]        Le 18 novembre 2013, la défenderesse envoie une mise-en-demeure à la demanderesse exigeant la remise des clés[42]. La demanderesse ne les remet pas.

[36]        La demanderesse amende sa requête le 16 décembre 2013 pour demander une déclaration que le bail n’a pas été renouvelé à compter du 1er novembre 2013. En conséquence, elle amende sa demande de résiliation du bail pour ajouter les mots « si nécessaire ».

[37]        Le 17 décembre 2013, la défenderesse dépose une requête en ordonnance de sauvegarde pour ordonner à la demanderesse de remettre les clés et de remettre le local en état.

[38]        Après des délais qui ne sont pas attribuables aux parties, elles procèdent sur la requête en ordonnance de sauvegarde de la défenderesse le 6 juin 2014. La requête est rejetée.

[39]        La défenderesse dépose sa défense et demande reconventionnelle le 27 juin 2014. Elle demande que le bail soit déclaré valide jusqu’au 31 décembre 2018, et que la demanderesse soit ordonnée de lui remettre les clés et de remettre le local en état. Elle réclame aussi des dommages compensatoires pour la perte de profits, le coût de l’entreposage et les troubles et inconvénients, et des dommages punitifs.

[40]        Domino’s considère que le restaurant est fermé de façon permanente à compter de juillet 2014 et se réserve le droit de trouver un autre franchisé pour le territoire[43]. Kudhail témoigne qu’il n’y a pas de restaurant Domino’s à Repentigny jusqu’à ce jour.

[41]        La requête introductive est réamendée le 22 octobre 2014. La demanderesse réclame 106 223,52 $, détaillés comme suit :

·        31 223,52 $ représentant le loyer pour 18 mois, du 1er mai 2013 au 31 octobre 2014, plus le loyer à compter de cette date. Le total au 1er février 2016 est de 57 974,61 $[44]; et

·        75 000 $ pour troubles et inconvénients, incluant les honoraires et déboursés juridiques. Le total des honoraires et déboursés juridiques au 1er février 2016 est de 46 840,25 $[45].

[42]        L’assureur de la défenderesse règle son dossier en 2015. Il lui envoie deux chèques, soit un chèque de 16 604 $ pour la perte de revenu du 12 avril 2013 au 15 novembre 2013[46] et un chèque de 37 767,47 $ pour le dommage aux équipements et la perte d’aliments et de publicité[47].

[43]        La demande reconventionnelle est amendée le 28 janvier 2016 et est réamendée pendant le procès. La défenderesse demande toujours que le bail soit déclaré valide jusqu’au 31 décembre 2018 et que la demanderesse soit ordonnée de lui remettre les clés et de remettre le local en état. Ses dommages se chiffrent à 142 646,60 $ détaillés comme suit :

a)    61 522,08 $ représentant sa perte de profit pour la période du 15 novembre 2013 au 28 janvier 2016;

b)    70 874,52 $ représentant l’indemnité que son assureur était prêt à lui payer si elle reconstruisait le restaurant;

c)    10 150 $ représentant les frais d’entreposage du 15 novembre 2013 au 28 janvier 2016; et

d)    100 $ pour troubles et inconvénients.

[44]        La défenderesse réclame aussi 25 000 $ à titre de dommages punitifs.

[45]        À la fin du procès, la défenderesse annonce son intention de déposer au greffe du tribunal la somme de 10 407,84 $ plus les intérêts et les frais de dépôt. Cette somme représente le loyer pour la période entre le 1er mai 2013 et le 8 octobre 2013. La somme est déposée au greffe, mais par la suite le greffe informe le procureur de la défenderesse qu’il ne peut recevoir un tel dépôt et la somme est remise au procureur. Le 17 mars 2016, le procureur de la défenderesse offre de payer la somme directement à la demanderesse, mais son offre demeure sans réponse. Enfin, le procureur de la défenderesse tente de faire une consignation auprès d’une compagnie de fiducie, mais la somme serait trop petite. En conséquence, le loyer pour la période entre le 1er mai 2013 et le 8 octobre 2013 n’est toujours pas payé.

[46]        Le 6 avril 2016, pendant son délibéré, le Tribunal soulève deux questions additionnelles en vertu de l'article 323 C.p.c. :

1. Si je décide que le locateur a enfreint le bail en refusant de donner accès aux lieux en novembre 2013, est-ce que je peux décider que ce n'est pas un cas qui permet l'exécution en nature en vertu de l'art. 1601 C.c.Q. et plutôt donner une compensation monétaire?

2. Si oui, quel est le quantum de la compensation monétaire à laquelle le défendeur aurait droit?

[47]        Chacune des parties dépose une déclaration sous serment et un rapport d’expert en évaluation. La réouverture de l’enquête est prévue pour le 8 novembre 2016. Le matin de la réouverture de l’enquête, les parties déposent un consentement sur la valeur locative d’un local équivalent, soit un loyer annuel net de 13 $ au pied carré plus un loyer annuel additionnel de 5,30 $ au pied carré, pour un loyer annuel brut de 18,30 $ au pied carré.

[48]        La défenderesse dépose une défense et demande reconventionnelle ré-réamendée pour la mettre à jour au 7 novembre 2016. Elle augmente sa demande reconventionnelle à 167 878,28 $ en dommages compensatoires et 25 000 $ en dommages punitifs[48].

[49]        De plus, la défenderesse ajoute une conclusion subsidiaire au seul cas où le Tribunal n’ordonne pas la réintégration des lieux loués. Dans ce cas, la défenderesse demande un montant additionnel de 17 862,50 $, soit le loyer supplémentaire jusqu’en décembre 2023 de 16 362,50 $ et les frais de déménagement de 1 500 $.

POSITION DES PARTIES

            Position de la demanderesse

[50]        La demanderesse demande la résiliation du bail pour les motifs suivants :

1.    La défenderesse n’a pas payé son loyer à compter du 1er mai 2013;

2.    La défenderesse a fait défaut d’effectuer les réparations dans son local;

3.    La défenderesse a abandonné le local;

4.    La présence de la défenderesse affecte la jouissance paisible des lieux par les autres locataires;

5.    La présence de la défenderesse cause des ennuis à la demanderesse (perte de locataires et problèmes d’assurance).

[51]        La demanderesse plaide qu’elle avait le droit de changer les serrures le 8 octobre 2013.

[52]        Elle ajoute que la défenderesse n’a pas renouvelé le bail et que Domino’s a mis fin au contrat de franchise.

[53]        En conséquence, la demanderesse réclame le loyer impayé pour toute la période ainsi qu’une indemnité de relocation et des dommages pour troubles et inconvénients, dont les honoraires judiciaires qu’elle a encourus dans le dossier.

Position de la défenderesse

[54]        La défenderesse veut reprendre possession des lieux.

[55]        Elle plaide qu’elle n’avait pas l’obligation de payer le loyer vu l’état des lieux et donc qu’elle n’était pas en défaut au 8 octobre 2013. Subsidiairement, elle plaide que son offre de payer en mars 2016 remédie le défaut. Elle ajoute qu’elle n’avait aucune obligation d’effectuer des réparations et qu’elle n’a jamais abandonné les lieux. En conséquence, la demanderesse n’avait aucun droit de changer les serrures.

[56]        Elle plaide qu’elle n’a aucune obligation de payer le loyer ou d’effectuer des réparations après le 8 octobre 2013 parce que le changement des serrures par la demanderesse la prive de tout accès aux lieux loués.

[57]        Elle plaide que son renouvellement du bail est valide et que le statut de son contrat de franchise est sans pertinence.

[58]        En conséquence, la défenderesse demande d’être réintégrée dans les lieux. De plus, elle réclame sa perte de profits et les frais d’entreposage pour la période où elle est exclue de son commerce, ainsi que l’indemnité qu’elle n’a pas reçue de son assureur, des dommages pour troubles et inconvénients et des dommages punitifs.

[59]        Subsidiairement, si le Tribunal n’ordonne pas la réintégration dans les lieux, la défenderesse demande d’être indemnisée pour son déménagement, incluant le coût du déménagement et la différence dans le loyer.

QUESTIONS EN LITIGE

[60]        Le Tribunal traite des questions suivantes :

1.    Qui devait effectuer les réparations suite au deuxième incendie?

2.    Est-ce que la défenderesse devait payer le loyer entre le 1er mai 2013 et le 8 octobre 2013?

3.    Si oui, a-t-elle remédié à ce défaut en mars 2016 en offrant de payer le loyer de la période entre le 1er mai 2013 et le 8 octobre 2013?

4.    Est-ce que la défenderesse a abandonné les lieux avant le 8 octobre 2013?

5.    Est-ce que la demanderesse pouvait mettre fin au bail parce que la présence de la défenderesse affecte la jouissance paisible des autres locataires ou lui cause des ennuis avec les autres locataires et son assureur?

6.    Est-ce que la défenderesse a exercé son option de renouveler le bail pour la période du 1er février 2014 au 31 janvier 2019?

7.    Quel est le statut du contrat de franchise de la défenderesse? Si le contrat n’est plus en vigueur, quel est l’impact sur la réclamation de la défenderesse?

8.    Si, basée sur les réponses aux questions précédentes, la défenderesse est en défaut, est-ce que la demanderesse a droit à la résiliation du bail?

9.    Si, basée sur les réponses aux questions précédentes, la défenderesse n’est pas en défaut, est-ce que le Tribunal doit ordonner sa réintégration dans les lieux loués?

10. Dans tous les cas, quels sont les dommages appropriés?

ANALYSE

[61]        Le Tribunal note dès le début qu’il s’agit d’une situation très malheureuse pour les deux parties. Chacun subit des pertes importantes : la demanderesse a un local vide qui ne génère aucun loyer depuis près de quatre ans et la défenderesse n’opère pas son commerce et ne gagne aucun revenu et elle engage des dépenses depuis cette même période. De plus, la défenderesse ne touche pas une indemnité d’assurance importante. Les deux parties encourent des frais d’avocats[49]. Personne ne sortira gagnant de ce dossier.

1.    Qui devait effectuer les réparations suite au deuxième incendie?

[62]        Le deuxième incendie fait des ravages dans le local de la défenderesse.

[63]        Les parties ne font aucune réparation. Les seuls gestes posés sont qu’en mai 2013, la défenderesse se rend sur les lieux à la demande de la demanderesse pour retirer les aliments qui sont toujours sur place et l’assureur de la défenderesse envoie, à ses frais, la firme Steamatic pour retirer les équipements utilisables.

[64]        La demanderesse attend que la défenderesse prenne position.

[65]        Ce n’est qu’en octobre 2013, suite aux plaintes des autres locataires quant à l’apparence de la façade de l’immeuble et les odeurs venant du restaurant que la demanderesse envoie MDG pour faire un nettoyage des lieux et elle remplace les portes et fenêtres[50].

[66]        La défenderesse plaide que c’est à la demanderesse d’effectuer les réparations. La demanderesse plaide qu’elle ne peut procéder aux travaux avant que la défenderesse n’enlève la chambre froide et la hotte, ce qu’elle ne fait pas. Kudhail témoigne qu’il n’est pas au courant qu’il y a des équipements sur les lieux avant la lettre du procureur de la demanderesse du 2 août 2013[51] et qu’il demande à Marcoux de les enlever le 25 octobre 2013. Il dit de toute façon que ces équipements n’empêchent pas la demanderesse de faire les travaux qu’elle doit faire.

[67]        Le bail qui lie les parties ne prévoit pas expressément qui doit effectuer les réparations sur les lieux.

[68]        Toutefois, le bail prévoit que le locateur devait faire certains travaux en 2003 avant de livrer les lieux à la défenderesse :

10.  TRAVAUX DU LOCATEUR : Le locateur sera responsable d’enlever tous les murs indiqués par le Locataire et réparer le plafond suspendu, si nécessaire. Tout, selon les plans et spécifications du Locataire. Le Locateur sera responsable de livrer le système HVAC existant et l’électricité actuel opérant en bonne condition.

[69]        De plus, le bail prévoit, sans le dire expressément, que la défenderesse devait faire certains travaux de construction en 2003 pour préparer les lieux :

11.  AUTRES CONDITIONS :

a)    Préparation des Lieux : Le Locateur consent à ce que durant la période de construction estimé entre la mi-Octobre 2003 jusqu’à la fin de Novembre 2003, ou un minimum de 45 jours s’il y a délai imprévu, aucun loyer ne soit chargé. Cependant, le Locataire sera responsable pour sa consommation d’électricité.

[70]        Le Tribunal en déduit que, en l’absence de faute, la demanderesse est responsable des murs, du plancher, du plafond, du système de chauffage, ventilation et climatisation et de l’électricité. La défenderesse est responsable des améliorations locatives et de son équipement.

[71]        Dans le présent cas, ni la demanderesse ni la défenderesse ne sont responsables de l’incendie. C’est l’acte criminel d’un tiers. Le Tribunal n’accepte pas l’argument que la défenderesse est responsable parce qu’elle a fait défaut de prendre des mesures de sécurité pour empêcher un tel acte criminel. Le bail ne l’oblige pas à prendre de telles mesures, la demanderesse ne lui demande pas ou ne recommande pas de prendre de telles mesures et la demanderesse exprime une inquiétude quant à l’effet des mesures envisagées par la défenderesse sur l’apparence de la façade. Il n’est pas clair que de telles mesures auraient de toute façon empêché les dommages.

[72]        Donc, lorsque le deuxième incendie fait des ravages dans le local de la défenderesse, la responsabilité quant aux réparations est partagée entre les deux : la demanderesse doit réparer les murs, le plancher, le plafond, le système de chauffage, ventilation et climatisation et l’électricité pour remettre le local dans son état au début du bail[52] et la défenderesse doit réparer les améliorations locatives et l’équipement.

[73]        Le bail n’indique pas comment les parties doivent procéder aux travaux. Le Code civil du Québec est de droit supplétif en matière de location. Les articles 1864 et 1865 C.c.Q. prévoient ce qui suit :

1864. Le locateur est tenu, au cours du bail, de faire toutes les réparations nécessaires au bien loué, à l’exception des menues réparations d’entretien; celles-ci sont à la charge du locataire, à moins qu’elles ne résultent de la vétusté du bien ou d’une force majeure.

1865. Le locataire doit subir les réparations urgentes et nécessaires pour assurer la conservation ou la jouissance du bien loué.

Le locateur qui procède à ces réparations peut exiger l’évacuation ou la dépossession temporaire du locataire, mais il doit, s’il ne s’agit pas de réparations urgentes, obtenir l’autorisation préalable du tribunal, lequel fixe alors les conditions requises pour la protection des droits du locataire.

Le locataire conserve néanmoins, suivant les circonstances, le droit d’obtenir une diminution de loyer, celui de demander la résiliation du bail ou, en cas d’évacuation ou de dépossession temporaire, celui d’exiger une indemnité.

[74]        En fonction de ces deux articles, tels que modifiés par les dispositions expresses et implicites du bail, le Tribunal conclut que la demanderesse doit réparer les murs, le plancher, le plafond, le système de chauffage, ventilation et climatisation, et l’électricité et la défenderesse doit subir ces réparations. La demanderesse peut procéder aux réparations qu’elle doit effectuer sans le consentement de la défenderesse et même contre son gré. Dans ces cas, la demanderesse doit obtenir une autorisation préalable du Tribunal pour fixer les conditions.

[75]        Ceci signifie que la demanderesse ne peut ne rien faire. Si les équipements de la défenderesse empêchent la demanderesse d’effectuer les réparations, elle doit demander la permission du Tribunal pour les enlever.

[76]        En conséquence, la défenderesse n’est pas en défaut en n’effectuant pas ses réparations et en n’enlevant pas son équipement. La demanderesse ne peut donc pas demander la résiliation du bail pour cette raison. Le Tribunal revient sur l’obligation de payer le loyer dans la prochaine section.

2.    Est-ce que la défenderesse devait continuer à payer le loyer?

[77]        Le bail ne fait aucune mention de cette question.

[78]        En vertu du Code civil, le locateur a l’obligation de procurer au locataire la jouissance paisible du local pendant toute la durée du bail :

1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.

Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l’usage pour lequel il est loué, et de l’entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail.

[79]        L’obligation du locataire de payer le loyer est la contrepartie de cette obligation :

1851. Le louage, aussi appelé bail, est le contrat par lequel une personne, le locateur, s’engage envers une autre personne, le locataire, à lui procurer, moyennant un loyer, la jouissance d’un bien, meuble ou immeuble, pendant un certain temps.

(Nous soulignons)

[80]        La défenderesse plaide qu’elle n’a pas l’obligation de payer son loyer parce que la demanderesse ne lui fournit pas la jouissance des lieux.

[81]        La Cour d’appel résume comme suit les conditions de l’exception d’inexécution[53] :

[10]           … . L'exception d'inexécution est assujettie à des conditions bien particulières : 1) les parties doivent être liées par un contrat synallagmatique prévoyant une exécution simultanée des obligations; 2) il doit y avoir inexécution de l'obligation réciproque de l'une des parties; 3) il doit y avoir un équilibre entre les obligations; et 4) la partie qui invoque l'exception d'inexécution doit être de bonne foi.

[82]        Dans le contexte d’un bail commercial, l’exception d’inexécution permet au locataire de retenir son loyer lorsque le locateur manque, de façon substantielle, à son obligation de procurer au locataire la jouissance des lieux [54].

[83]        Dans le présent dossier, le local existe toujours, mais il est inutilisable. La défenderesse est de bonne foi en ce qu’elle offre de payer le loyer dès que le local est remis en état. Le Tribunal conclut que la défenderesse bénéficie de l’exception d’inexécution et que, en conséquence, elle n’a pas l’obligation de payer le loyer.

[84]        De plus, en vertu de l’article 1693 C.c.Q., lorsque le débiteur d’une obligation ne peut l’exécuter en raison d’une force majeure, il est libéré de son obligation. L’incendie peut constituer un cas de force majeure qui libère le locateur de son obligation de procurer une jouissance paisible.

[85]        Toutefois, si le locateur est libéré de son obligation, le locataire est libéré de son obligation corrélative, soit l’obligation de payer le loyer :

1694. Le débiteur ainsi libéré ne peut exiger l’exécution de l’obligation corrélative du créancier; si elle a été exécutée, il y a lieu à restitution.

Lorsque le débiteur a exécuté son obligation en partie, le créancier demeure tenu d’exécuter la sienne jusqu’à concurrence de son enrichissement.

(Nous soulignons)

[86]        Les conséquences de ce qui précède sont les suivantes :

·        La demanderesse n’exécute pas son obligation de procurer une jouissance paisible; il se peut qu’elle soit libérée de son obligation de procurer une jouissance paisible en raison d’une force majeure;

·        Dans un cas comme dans l’autre, la défenderesse est libérée de son obligation de payer le loyer;

·        La demanderesse doit faire les réparations pour remettre les murs, le plancher, le plafond, le système de chauffage, ventilation et climatisation, et l’électricité en état;

·        Une fois que les réparations sont faites, le locataire doit recommencer à payer le loyer, peu importe qu’il ait fait ses réparations aux améliorations locatives et à l’équipement ou non;

·        Toutefois, tant que le locateur ne fait pas ses réparations, le locataire n’a pas à payer le loyer; et

·        La demanderesse peut s’adresser à la cour pour obtenir toute ordonnance dont elle a besoin pour exécuter les réparations qu’elle doit faire.

[87]        Dans ce dossier, la demanderesse ne veut pas que la défenderesse réintègre les lieux loués et elle n’a donc fait aucune réparation dans les lieux. Elle était contente d’attendre.

[88]        La demanderesse plaide maintenant que la présence de certains équipements de la défenderesse sur les lieux loués l’empêchait de faire les réparations. Cette question est soulevée dans la lettre du procureur de la demanderesse du 2 août 2013[55].

[89]        Le Tribunal doute que la présence des équipements soit la vraie raison de l’inaction de la demanderesse. De toute façon, si la demanderesse voulait vraiment faire les réparations, elle aurait dû s’adresser au Tribunal en vertu de l’article 1865(2) C.c.Q. pour obtenir l’autorisation de déplacer les équipements.

[90]        Le Tribunal conclut que la défenderesse n’a pas l’obligation de payer le loyer entre le 1er mai 2013 et le 8 octobre 2013.

[91]        Une fois que la demanderesse change les serrures vers le 8 octobre 2013 et refuse de remettre les clés à la défenderesse, alors que la défenderesse n’est pas en défaut, la défenderesse n’a pas accès aux lieux et est libérée de son obligation de payer le loyer.

[92]        La défenderesse n’est donc pas en défaut de payer le loyer.

3.    Si oui, a-t-elle remédié à ce défaut en mars 2016 en offrant de payer le loyer de la période entre le 1er mai 2013 et le 8 octobre 2013?

[93]        Vu la conclusion à la question précédente, il n’est pas nécessaire de traiter de cette question.

[94]        Toutefois, le Tribunal note que l’article 1883 C.c.Q. permet au locataire poursuivi en résiliation de bail pour défaut de paiement du loyer d’éviter la résiliation en payant avant jugement le loyer dû ainsi que les intérêts et les frais :

1883. Le locataire poursuivi en résiliation du bail pour défaut de paiement du loyer peut éviter la résiliation en payant, avant jugement, outre le loyer dû et les frais, les intérêts au taux fixé en application de l’article 28 de la Loi sur l’administration fiscale (chapitre A-6.002) ou à un autre taux convenu avec le locateur si ce taux est moins élevé.

[95]        Dans le cas présent, la défenderesse offre de payer la demanderesse, mais ne le fait pas. La demanderesse plaide que l’offre est conditionnelle. De toute façon, l’article 1573 C.c.Q. prévoit :

1573. Lorsque le créancier refuse ou néglige de recevoir le paiement, le débiteur peut lui faire des offres réelles.

Ces offres consistent à mettre à la disposition du créancier le bien qui est dû, aux temps et lieux où le paiement doit être fait. Elles doivent comprendre, outre le bien dû et les intérêts ou arrérages qu’il a produits, une somme raisonnable destinée à couvrir les frais non liquidés dus par le débiteur, sauf à les parfaire.

 

[96]        Le Tribunal en conclut qu’une simple offre de payer n’est pas suffisante. Le locataire doit payer la dette ou doit faire des offres réelles. Les articles 1574 à 1589 C.c.Q. établissent les règles pour les offres réelles. Les offres réelles portant sur une somme d’argent se font en argent comptant, chèque certifié ou engagement irrévocable et inconditionnel d’un établissement financier[56]. Elles peuvent être constatées par acte notarié en minute ou par une déclaration judiciaire[57], mais dans ce dernier cas, elles doivent être complétées par la consignation de cette somme suivant les règles du Code de procédure civile[58].

[97]        Les seules formes de consignation prévues au Code de procédure civile sont la lettre d’engagement d’un établissement financier et la consignation auprès d’une société de fiducie[59].

[98]        En conséquence, et nonobstant les difficultés que la défenderesse a pu avoir avec le greffe et la société de fiducie, le Tribunal doit conclure que l’offre de payer la demanderesse sans plus n’est pas suffisante pour permettre à la défenderesse de se prévaloir de l’article 1883 C.c.Q.

[99]        Toutefois, puisque le Tribunal conclut que la défenderesse n’est pas en défaut de payer le loyer, cette conclusion est sans pertinence, sauf si la conclusion du Tribunal est infirmée en appel.

4.    Est-ce que la défenderesse a abandonné les lieux avant le 8 octobre 2013?

[100]     La défenderesse n’est pas présente sur les lieux entre mai 2013 et novembre 2013. Ceci est peu surprenant : la preuve démontre que le local n’est pas utilisable pendant toute cette période[60].

[101]     Par contre, il est clair de la preuve que la défenderesse n’a jamais l’intention d’abandonner les lieux. L’abandon des lieux est une possibilité, mais il n’y a jamais de décision en ce sens.

[102]     De plus, la demanderesse ne croit pas que la défenderesse a pris la décision de quitter. La preuve indique plutôt que la demanderesse est frustrée que la défenderesse ne prend pas position.

5.    Est-ce que la demanderesse pouvait mettre fin au bail parce que la présence de la défenderesse affecte la jouissance paisible des autres locataires ou lui cause des ennuis avec les autres locataires et son assureur?

[103]     Tout locataire est tenu, envers son locateur et les autres locataires, de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires :

1860. Le locataire est tenu de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires.

Il est tenu, envers le locateur et les autres locataires, de réparer le préjudice qui peut résulter de la violation de cette obligation, que cette violation soit due à son fait ou au fait des personnes auxquelles il permet l’usage du bien ou l’accès à celui-ci.

Le locateur peut, au cas de violation de cette obligation, demander la résiliation du bail.

(Nous soulignons)

[104]     Toutefois, cette obligation se limite au fait du locataire et au fait des personnes auxquelles il permet l’usage du bien ou l’accès au bien.

[105]     Dans le cas présent, ce n’est pas l’opération d’un restaurant par la défenderesse qui cause des problèmes pour les autres locataires. La défenderesse exploite un restaurant entre 2004 et 2013 sans troubler ses voisins. Les voisins sont troublés par le geste des tiers inconnus qui mettent le feu. Ce ne sont pas des personnes auxquelles la défenderesse permet l’usage des lieux ou l’accès aux lieux. La défenderesse n’enfreint aucunement son obligation de ne pas troubler ses voisins.

[106]     La réponse doit être la même concernant la plainte de la demanderesse quant au fait que les activités de la défenderesse affectent sa capacité d’obtenir des assurances sur l’immeuble. La défenderesse veut exploiter le même commerce qui est prévu au bail et qu’elle opère sans problèmes entre 2004 et 2013. L’opération de ce même commerce ne peut devenir contraire au bail en raison des gestes criminels de tiers inconnus.

[107]     Enfin, l’exploitation du même commerce ne peut constituer un changement de forme ou de destination des lieux loués, contraire à l’article 1856 C.c.Q.

[108]     Toutefois, si les troubles causés aux autres locataires et au locateur ne sont pas des fautes qui peuvent justifier la résiliation du bail, ce sont des éléments dont le Tribunal tiendra compte dans son analyse du remède approprié.

6.    Est-ce que la défenderesse a exercé son option de renouveler le bail le 1er février 2014?

[109]     Le bail entre en vigueur le 1er février 2004 avec un terme initial de cinq ans[61]. Il est renouvelé pour une période additionnelle de cinq ans à compter du 1er février 2009[62].

[110]     En conséquence, la prochaine option de renouvellement devait être exercée pour la période du 1er février 2014 au 31 janvier 2019[63].

[111]     La défenderesse exerce l’option de renouveler le 4 novembre 2013 par lettre recommandée reçue par la demanderesse le lendemain[64].

[112]     La défenderesse n’est pas en défaut à cette date. La seule question est de savoir si l’exercice de l’option est valide.

[113]     Le Tribunal note d’abord que le bail ne prévoit aucune formalité et aucun délai pour l’exercice de l’option[65]. Dans ces circonstances, l’option peut être exercée en tout temps avant le 31 janvier 2014 et qu’elle peut être exercée verbalement ou par écrit et peut être transmise par tous les moyens[66].

[114]     De plus, Kudhail témoigne que le renouvellement en 2009 s’est fait de façon verbale lors d’une conversation avec Thouin en décembre 2008[67]. Il est donc difficile de prétendre que l’avis du 4 novembre 2013 est tardif ou ne respecte pas une formalité quelconque.

[115]     Le seul argument mis de l’avant est que le 18 avril 2013, immédiatement après le deuxième incendie, Kudhail écrit à Thouin et lui dit[68] :

J’ai(sic) pas l’intention de tarder dans ma décision. J’avais l’intention de t’aviser de l’exercice (ou non) de l’option prévu au bail au moins 6 mois d’avance, et j’ai toujours cette intention.

[116]     Est-ce que ce courriel signifie que la défenderesse devait nécessairement exercer l’option avant le 1er août 2013 et qu’à défaut de le faire, elle ne peut plus l’exercer après?

[117]     Le Tribunal conclut que non.

[118]     La défenderesse n’avait aucune obligation d’exercer l’option avant le 1er août 2013. Dans ce courriel, la défenderesse fait état de son intention d’exercer l’option avant le 1er août 2013. Intention n’équivaut pas à obligation. De plus, la défenderesse mentionne qu’elle a l’intention d’aviser la demanderesse de « l’exercice (ou non) de l’option ». Donc, la demanderesse ne peut présumer que l’absence de réponse équivaut à une décision de ne pas exercer l’option. Tout au plus, ce courriel donne à la demanderesse le droit de s’enquérir de la réponse de la défenderesse à compter du 1er août 2013.

[119]     Le Tribunal conclut donc que l’option est validement exercée pour la période de cinq ans commençant le 1er février 2014.

7.    Quel est le statut du contrat de franchise? Si le contrat n’est plus en vigueur, quel est l’impact sur la réclamation de la défenderesse?

[120]     Le contrat de franchise entre la défenderesse et Domino’s entre en vigueur le 7 novembre 2003 avec une durée de dix ans[69]. Il prend donc fin le 7 novembre 2013. Le contrat prévoit une option de renouvellement de dix ans, qui doit être exercée par écrit 180 jours avant la fin du contrat[70], donc au plus tard le 7 mai 2013. La défenderesse n’exerce pas son option avant le 7 mai 2013.

[121]     La demanderesse plaide que (1) le contrat de franchise a pris fin, (2) la défenderesse n’a aucun droit de renouvellement, et (3) le bail prévoit que la défenderesse doit opérer un restaurant Domino’s sur les lieux et ne peut y opérer un autre commerce. En conséquence, sans contrat de franchise, la défenderesse ne peut occuper les lieux.

[122]     La situation n’est pas aussi claire que la demanderesse la présente.

[123]      Suite au deuxième incendie le 12 avril 2013, Domino’s envoie un avis intitulé « Temporary Close Notification » par lequel elle annonce que le restaurant de la défenderesse sera fermé du 12 avril 2013 au 12 octobre 2013[71]. Cet avis a pour effet de suspendre certaines obligations de la défenderesse envers Domino’s. L’impact de cette suspension sur la durée du contrat et sur l’option de renouvellement n’est pas clair : Barry Lang-Hodge, qui est le vice-président et chef du contentieux de Domino’s à l’époque, témoigne que la suspension est purement administrative et ne suspend pas l’exercice de l’option de renouvellement, alors que Kudhail témoigne que sa compréhension est à l’effet que tout est suspendu. L’article 23 du contrat de franchise prévoit que la force majeure suspend les obligations des parties, mais que si la force majeure demeure après un an, Domino’s a le droit de mettre fin au contrat[72].

[124]     Domino’s confirme le 20 janvier 2014 qu’elle est prête à renouveler le contrat de franchise si la défenderesse reprend les lieux, mais s’objecterait au renouvellement du contrat si la défenderesse ne réussit pas à reprendre les lieux[73].

[125]     Domino’s confirme le 27 mai 2014 que le contrat de franchise a pris fin le 7 novembre 2013 et n’a pas été renouvelé. Toutefois, Domino’s indique que vu le litige entre les parties, Domino’s garde le dossier en suspens[74].

[126]     Enfin, le 11 juin 2014, suite au rejet de la demande d’ordonnance de sauvegarde, Domino’s avise la défenderesse qu’elle est prête à attendre 30 jours pour que cette dernière règle son problème de bail, à défaut de quoi elle pourrait considérer que le restaurant est fermé de façon permanente et chercher un autre franchisé[75].

[127]     Toutefois, Kudhail témoigne que Domino’s n’a pas ouvert un autre restaurant sur le territoire qui lui était attribué. Il serait donc possible que la défenderesse obtienne une nouvelle franchise Domino’s.

[128]     De toute façon, même si la défenderesse a perdu sa franchise Domino’s, c’est en raison du fait que la demanderesse lui bloque l’accès au local. Domino’s est prête à continuer avec la défenderesse jusqu’au moment où la demanderesse change les serrures. La demanderesse ne peut invoquer sa faute pour créer une situation qui mettrait fin au bail.

[129]     En conséquence, que la défenderesse puisse ou non renouveler le contrat avec Domino’s ou en conclure un nouveau n’est pas pertinent à son bail avec la demanderesse. De toute façon, il ne serait pas approprié de trancher la question du statut du contrat entre la défenderesse et Domino’s dans ce litige vu que Domino’s n’est pas partie aux procédures et que le représentant de Domino’s qui témoigne au procès n’est plus un employé de Domino’s.

 

 

8.    Si, basée sur les réponses aux questions précédentes, la défenderesse est en défaut, est-ce que la demanderesse a droit à la résiliation du bail?

[130]     Basé sur ses réponses aux questions précédentes, le Tribunal conclut que la défenderesse n’est aucunement en défaut en vertu du bail et qu’il n’y a aucune inexécution donnant ouverture à la résiliation du bail en vertu de l’article 1863 C.c.Q.

9.    Si, basée sur les réponses aux questions précédentes, la défenderesse n’est pas en défaut, est-ce que le Tribunal doit ordonner la réintégration dans les lieux?

[131]     Le Tribunal conclut que la défenderesse n’est aucunement en défaut. En conséquence, la demanderesse n’avait pas le droit de changer les serrures et empêcher l’accès aux lieux.

[132]      La défenderesse demande d’être réintégrée dans les lieux en vertu de l’article 1601 C.c.Q. :

1601. Le créancier, dans les cas qui le permettent, peut demander que le débiteur soit forcé d’exécuter en nature l’obligation.

[133]     La demanderesse plaide que c’est un cas qui ne permet pas l’exécution en nature.

[134]     Les parties reconnaissent que le Tribunal a la discrétion d’ordonner ou non l’exécution en nature et la réintégration des lieux[76]. Le Tribunal considère que les éléments suivants sont pertinents à l’exercice de cette discrétion :

·        La défenderesse a, en principe, le droit de choisir son recours et elle a choisi la réintégration; le Tribunal doit respecter son choix à moins d’avoir de bonnes raisons pour ne pas le faire;

·        Le choix de la défenderesse d’être réintégrée cause des ennuis très sérieux à la demanderesse[77] : la demanderesse risque de perdre des locataires et elle devra payer beaucoup plus cher pour des assurances, si elle réussit à trouver un assureur prêt à assurer l’immeuble avec la défenderesse comme locataire;

·        La défenderesse n’opère pas dans les lieux depuis près de quatre ans; si cet emplacement avait une valeur particulière pour la défenderesse, cette valeur est perdue depuis bien longtemps; et

·        Le préjudice que subit la défenderesse si elle doit déménager n’est pas substantiel et est facilement quantifiable.

[135]     Pour ces motifs, le Tribunal refuse la réintégration et ordonne plutôt la compensation en dommages.

10. Dans tous les cas, quels sont les dommages appropriés?

[136]     La défenderesse réclame un total de 210 740,78 $ de dommages dans un scénario de déménagement :

a)    83 253,76 $ représentant sa perte de profit pour la période du 15 novembre 2013 au 7 novembre 2016;

b)    70 874,52 $ représentant l’indemnité que son assureur était prêt à lui payer si elle reconstruisait le restaurant;

c)    13 650 $ représentant les frais d’entreposage du 15 novembre 2013 au 7 novembre 2016;

d)     1 500 $ comme frais de déménagement;

e)    100 $ pour troubles et inconvénients; et

f)     25 000 $ à titre de dommages punitifs.

[137]     Le Tribunal procède à l’analyse de chaque réclamation de dommages. Les montants seront mis à jour en fonction de la date du présent jugement.

a)    Perte de profits

[138]     La défenderesse réclame des profits de 83 253,76 $ pour la période du 15 novembre 2013 au 7 novembre 2016.

[139]     En principe, la défenderesse a droit aux profits dont elle a été privée en raison du défaut de la demanderesse, soit les profits pour la période entre la date à laquelle le restaurant aurait pu rouvrir si ce n’était de la faute de la demanderesse, et la date à laquelle le restaurant va ouvrir dans un nouveau local suite au jugement.

[140]     La période du 15 novembre 2013 au jugement ne correspond pas exactement à cette période, en ce que la défenderesse n’aurait pas pu rouvrir son restaurant le 15 novembre 2013 et ne pourra ouvrir son nouveau restaurant à la date du jugement. Toutefois, le Tribunal accepte que les durées des travaux pour rouvrir le restaurant suite à l’incendie et pour trouver un nouveau local et faire les travaux pour préparer ce nouveau local soient semblables. En conséquence, la durée de la période entre le 15 novembre 2013[78] et la date du jugement représente une bonne approximation de la durée de la période lors de laquelle la défenderesse a été privée de ses profits.

[141]     La défenderesse base son calcul sur l’indemnité de 16 604 $ payée par l’assureur pour la période entre le 12 avril 2013 et le 15 novembre 2013[79]. La défenderesse calcule le profit quotidien et utilise ce profit pour calculer la perte totale[80].

[142]     Le Tribunal accepte que le calcul de l’assureur soit un point de départ approprié. Le comptable retenu par l’assureur calcule l’indemnité pour perte de profits pour la période du 12 avril 2013 au 15 novembre 2013, alors que le Tribunal doit faire le même calcul pour la période subséquente. Le comptable commence avec les résultats antérieurs de la défenderesse et il fait certains ajustements. Toutefois, le comptable explique qu’il ne tient pas compte du salaire de 14 500 $ que Kudhail se paie. L’effet est de rajouter 8 500 $ au calcul du profit pour la période du 12 avril 2013 au 15 novembre 2013[81], afin de compenser la défenderesse à la fois pour les profits perdus (de la défenderesse) et pour le salaire perdu (de Kudhail). Ceci peut être raisonnable dans un contexte d’assurance, mais le salaire de Kudhail ne représente pas une perte pour la défenderesse.

[143]     De plus, la détermination des profits pour la période antérieure pose certaines difficultés. Le Tribunal compare les résultats dans les états financiers préparés par les comptables externes de la défenderesse pour les années financières se terminant le 31 août 2011 et le 31 août 2012 et les états internes pour les trois mois de septembre à novembre 2012 et de décembre 2012 à février 2013, soit une période de 2½ ans :

Dates

Période

Profits

PROFITS/MOIS

1er septembre 2010 - 31 août 2011[82]

12 mois

6 999,00 $

583 $

1er septembre 2011 - 31 août 2012[83]

12 mois

2 284,00 $

190 $

1er septembre 2012 - 30 novembre 2012[84]

3 mois

24 359,42 $

8 120 $

1er décembre 2012 - 28 février 2013[85]

3 mois

4 822,70 $

1 608 $

12 avril 2013 - 15 novembre 2013[86]

7,1 mois

16 602,00 $

2 338 $

[144]     Il ne se peut pas qu’une entreprise établie depuis plusieurs années fasse des profits de 9 283 $ en deux ans et, sans aucune explication, fasse des profits de 24 359,42 $ lors des trois prochains mois et de 4 822,79 $ lors des trois mois qui suivent. Le comptable de l’assureur arrive à un chiffre qui dépasse les résultats déterminés par les comptables externes de la défenderesse pour les années financières se terminant le 31 août 2011 et le 31 août 2012.

[145]     Le Tribunal conclut qu’un dédommagement de 500 $ par mois est suffisant pour compenser la perte de profits de la défenderesse. Le total est donc de 19 500 $[87]. Ce montant portera intérêt à compter du 31 décembre de l'année durant laquelle le profit aurait été réalisé ou de la date du jugement.

[146]     En l’absence d’Intact, le Tribunal ne peut que présumer qu’Intact avait le droit d’arrêter le paiement de l’indemnité pour la perte de profits le 15 novembre 2013. Le Tribunal réserve les droits des parties contre Intact et subroge la demanderesse dans les droits de la défenderesse quant au montant de 19 500 $.

b)   Perte de l’indemnité d’assurance

[147]     La défenderesse réclame 70 874,52 $ représentant l’indemnité que son assureur était prêt à lui payer si elle reconstruisait le restaurant, mais qu’elle ne reçoit pas parce qu’elle ne reconstruit pas son restaurant dans les lieux loués[88].

[148]     Elle base cette réclamation sur le rapport préparé par l’estimateur en dommage de l’assureur le 29 mai 2013, qui fixe le montant net payable à 81 487,90 $[89]. De ce montant, la défenderesse déduit les montants de 3 543,76 $ et 7 069,62 $ pour réclamer le montant de 70 874,52 $.

 

[149]     Ce montant représente le montant que l’assureur était prêt à payer à la défenderesse comme indemnité pour reconstruire les améliorations locatives. La défenderesse plaide qu’elle perd ce montant parce que la demanderesse l’empêche de reconstruire son restaurant dans les lieux loués. En principe, la défenderesse a droit à ce montant.

[150]     Toutefois, la situation se complique en raison des deux chapeaux portés par l’assureur dans ce dossier.

[151]     L’assureur de la défenderesse refuse de payer une indemnisation pour la reconstruction du restaurant dans un local autre que les lieux loués[90].

[152]     En même temps, l’assureur de la demanderesse maintient que la défenderesse doit être expulsée des lieux loués[91].

[153]     Le problème est qu’Intact est l’assureur des deux parties. Le conflit d’intérêts est évident : si Intact réussit à convaincre la demanderesse d’expulser la défenderesse en menaçant d’annuler sa police, Intact n’aura pas à payer la reconstruction du local de la défenderesse. Kudhail témoigne qu’il soulève le conflit avec Marcoux à deux ou trois reprises.

[154]     Le Tribunal est troublé par cette situation. Pendant l’audition, il demande aux parties pourquoi Intact n’est pas partie au litige, et les deux parties confirment ne pas vouloir mettre Intact en cause.

[155]     Le Tribunal procède donc avec le dossier tel qu’il est. La défenderesse subit une perte de 70 874,52 $. Soit qu’elle n’est pas indemnisée, soit qu’elle est indemnisée par la demanderesse. Ce sont les deux seules options ouvertes au Tribunal.

[156]     Entre la défenderesse et la demanderesse, le Tribunal conclut que la demanderesse doit assumer cette perte. Même si elle est poussée à le faire par son assureur, c’est la demanderesse qui empêche la défenderesse de retourner sur les lieux et qui cause la perte.

[157]     Ce montant ne portera intérêt qu’à compter de la date du jugement, comme la défenderesse n’a toujours pas encouru les dépenses que ce montant doit indemniser.

[158]     Le Tribunal réserve les droits des parties contre Intact et subroge la demanderesse dans les droits de la défenderesse quant au montant de 70 874,52 $.

 

c)    Frais d’entreposage

[159]     La défenderesse réclame des frais d’entreposage de 13 650 $ pour la période du 15 novembre 2013 au 10 novembre 2016.

[160]     La défenderesse produit son contrat d’entreposage[92] et une série de factures[93] qui démontrent que le coût de l’entreposage est de 350 $ pour chaque période de quatre semaines. Les frais sont payés par Intact jusqu’au 15 novembre 2013. La dernière facture produite est du 12 janvier 2016, mais Kudhail témoigne que les équipements sont toujours entreposés. La demanderesse admet que les montants sont payés.

[161]     Le Tribunal estime qu’il raisonnable d’entreposer les équipements plutôt que de les vendre et en racheter d’autres plus tard. Si les parties avaient su que la situation continuerait pendant plus de trois ans, la décision aurait pu être différente, mais elles ne le savaient pas. Cette dépense est supportée par la défenderesse en raison de la faute de la demanderesse. Pour les mêmes raisons que dans la section précédente, le Tribunal conclut que la durée du 15 novembre 2013 à la date du jugement est appropriée.

[162]     La défenderesse a donc droit à 14 700 $ pour cette réclamation[94]. Ce montant portera intérêt à compter du 31 décembre de l'année durant laquelle les frais ont été imposés ou de la date du jugement[95].

[163]     En l’absence d’Intact, le Tribunal ne peut que présumer qu’Intact avait le droit d’arrêter le paiement des frais d’entreposage le 15 novembre 2013. Le Tribunal réserve les droits des parties contre Intact et subroge la demanderesse dans les droits de la défenderesse quant au montant de 14 700 $.

d)   Loyer supplémentaire

[164]     La défenderesse réclame 16 362,50 $ représentant le loyer supplémentaire qu’elle devra payer pour un local semblable, de novembre 2016 à décembre 2023[96].

[165]     En effet, si le Tribunal, à la demande de la demanderesse, use de sa discrétion pour ne pas réintégrer la défenderesse dans les lieux loués, il doit prévoir que la demanderesse paie une compensation appropriée à la défenderesse pour les dommages que le déménagement lui cause.

[166]     Le premier élément de cette réclamation est le loyer supplémentaire que la défenderesse devra payer pour un local semblable.

[167]     Le Tribunal maintient cette demande.

[168]     Le quantum du dédommagement dépend de deux facteurs, le loyer additionnel que devra payer la défenderesse et la durée pour laquelle la demanderesse en est responsable.

[169]     Pour le montant du loyer additionnel, le Tribunal accepte le calcul de la défenderesse :

·        le loyer annuel en vertu du bail pour le local loué est de 12,53 $ net par pied carré[97] plus un loyer additionnel de 0,73 $ par pied carré à titre de surtaxe non résidentielle[98], pour un total de 13,26 $ par pied carré ou 19 890 $;

·        le loyer annuel pour un local semblable selon les experts est de 13,00 $ net par pied carré plus un loyer additionnel de 1,80 $ par pied carré à titre de surtaxe non résidentielle, pour un total de 14,80 $ par pied carré ou 22 200 $;

[170]     La différence est donc de 2 310 $ par année. Le Tribunal note que le loyer en vertu du bail est ajusté annuellement en fonction de l’indice des prix à la consommation. Toutefois, le loyer d’un local semblable risque d’augmenter aussi à sensiblement le même rythme, et la différence entre le loyer en vertu du bail et le loyer d’un local semblable ne devrait pas beaucoup changer d’année en année. Le Tribunal accepte donc que la différence sera de l’ordre de 2 310 $ par année pour la durée du bail et de ses renouvellements, soit jusqu’en décembre 2023 selon la défenderesse.

[171]     Toutefois, le Tribunal n’accepte pas l’approche de la défenderesse de tout simplement multiplier la différence par les années d’ici décembre 2023. Il faut tenir compte du fait que ces dommages seront subis dans le futur. Le total du loyer additionnel du 1er mars 2017 au 31 décembre 2023 est de 15 785 $[99].

[172]     Le Tribunal estime que le montant payable aujourd’hui, qui représente 15 785 $ payables mensuellement d’ici 2023, est de 13 500 $. Ce montant portera intérêt à partir de la date du jugement.

e)    Frais de déménagement

[173]     La défenderesse réclame 1 500 $ comme frais pour déménager la hotte du four et la chambre froide aux nouveaux lieux.

[174]     Kudhail témoigne qu’il a payé 1 000 $ pour déménager les compresseurs de la chambre froide d’un emplacement à un autre au sous-sol du présent local.

[175]     Si la défenderesse reste dans les lieux, elle devra de toute façon payer pour retirer la hotte et la chambre froide des lieux afin de faire les travaux, et ensuite payer de nouveau pour les remettre. Elle devra de plus payer pour déplacer les équipements de l’entreposage au local. Le Tribunal n’est pas satisfait que la défenderesse doive payer plus pour déménager les équipements dans un nouveau local et n’est certainement pas en mesure de chiffrer le montant additionnel s’il y en a un.

[176]     Cette réclamation est rejetée.

f)     Troubles et inconvénients

[177]     La défenderesse réclame 100 $ à titre de troubles et inconvénients.

[178]     Il est évident que comme toute partie impliquée d’abord dans une situation litigieuse et par la suite dans un litige, la défenderesse a subi de nombreux troubles et inconvénients. Toutefois, la défenderesse n’allègue et ne prouve aucun trouble ou inconvénient particulier qui dépasse ce qui est normal dans ces circonstances.

[179]     Cette réclamation est rejetée.

g)   Dommages punitifs

[180]     Enfin, la défenderesse réclame 25 000 $ à titre de dommages punitifs.

[181]     La défenderesse plaide que la demanderesse a porté atteinte d’une manière illicite et intentionnelle à sa libre disposition des lieux loués.

[182]     Compte tenu des circonstances dans lesquelles le changement de serrures a eu lieu, le Tribunal n’y voit pas une intention de nuire ou de la mauvaise foi[100].

[183]     Cette réclamation est rejetée.

 

CONCLUSION

[184]     En conséquence, le Tribunal annule le bail en date du jugement et ordonne à la demanderesse de payer à la défenderesse la somme de 118 574,52 $.

[185]     Le Tribunal note que ce montant est élevé pour deux raisons : (1) le délai entre l’incendie et le jugement, et (2) la position d’Intact.

[186]     Le délai est malheureux, mais il n’est pas imputable à la défenderesse. La demanderesse plaide que la défenderesse aurait dû abandonner son droit d’être réintégrée et déménager dans un nouveau local beaucoup plus tôt. La défenderesse avait le droit de demander la réintégration et son obligation de minimiser les dommages ne l’oblige pas à abandonner ce droit.

[187]     Quant à Intact et vu son absence dans les procédures, le Tribunal ne peut rien faire à son égard autre que réserver les droits des parties et de prévoir une subrogation de la demanderesse dans les droits de la défenderesse contre Intact dans la mesure où la demanderesse paie des montants à la défenderesse que cette dernière pourrait réclamer d’Intact.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[188]     REJETTE la requête introductive d’instance de la demanderesse en réclamation de loyer, résiliation de bail, expulsion et dommages;

[189]     MAINTIENT, en partie, la demande reconventionnelle ré-réamendée de la défenderesse;

[190]     ANULLE le bail entre les parties à compter de la date du présent jugement;

[191]     ORDONNE à la défenderesse de quitter les lieux loués dans les dix (10) jours du présent jugement avec ses effets mobiliers;

[192]     CONDAMNE la demanderesse à payer à la défenderesse la somme de 118 574,52 $ avec intérêts au taux légal plus l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec sur les montants suivants à compter des dates suivantes :

·        1 275 $ à compter du 31 décembre 2013;

·        10 550 $ à compter du 31 décembre 2014;

·        10 550 $ à compter du 31 décembre 2015;

·        10 550 $ à compter du 31 décembre 2016;

·        85 649,52 $ à compter de la date du présent jugement;

[193]     RÉSERVE les droits des parties contre Intact Assurance et SUBROGE la demanderesse dans les droits de la défenderesse contre Intact Assurance dans la mesure où la demanderesse paie des montants à la défenderesse que cette dernière pourrait réclamer d’Intact Assurance;

[194]     LE TOUT avec frais de justice.

 

 

 

__________________________________

Stephen W. Hamilton, j.c.s.

 

 

Me Jean-Paul Gaudreau

CONSENSUS AVOCATS

Pour la demanderesse

 

Me Ludovic Tremblay

CONSILIUM SERVICES JURIDIQUES

Pour la défenderesse

 

Dates d’audience :

3, 4, 5, 8 et 9 février 2016.

Réouverture d’enquête le 8 novembre 2016

 



[1]     Pièces P-4 et P-5. Une version de la lettre datée du 19 septembre 2003 porte la signature de monsieur Thouin (pièce P-4A). Il y a des ajouts manuscrits sur la version signée par toutes les parties (pièce P-4). La dernière signature est datée du 6 octobre 2003, mais il est possible que certains des ajouts manuscrits aient été faits après cette date.

[2]     L’utilisation des noms de famille dans le jugement a pour but d’alléger le texte et l’on voudra bien n’y voir aucune discourtoisie à l’égard des personnes concernées.

[3]     Pièce P-2.

[4]     Pièce P-4, par. 11(b).

[5]     Id., par. 11(b). Un projet de bail est préparé en février 2011, mais n’est jamais signé par les parties (pièce D-20).

[6]     Id., par. 7.

[7]     Id., par. 2.

[8]     Afin de distinguer entre Jean-Jacques Thouin et Josée Thouin, le Tribunal identifie Jean-Jacques Thouin comme « monsieur Thouin » et Josée Thouin comme « Thouin ».

[9]     Pièce P-4, par. 2.

[10]    Id., par. 3.

[11]    Pièce D-11.

[12]    Pièce P-4, par. 4.

[13]    Pièce D-10.

[14]    Pièces D-10 et D-11.

[15]    Pièces D-11, P-13A et D-20.

[16]    Pièces P-6, P-6A et P-7.

[17]    Pièce P-10.

[18]    Pièces P-8, P-8A et P-9.

[19]    Pièces P-9A et P-19.

[20]    Pièce P-9.

[21]    Elle reçoit 56 172,84 $ de son assureur (pièce D-7).

[22]    Pièce D-8.

[23]    Pièces P-11 et P-22.

[24]    Pièce P-12. La police d’assurance est produite comme pièce D-22.

[25]    Pièces D-4 et D-25.

[26]    Cette date est contestée par la demanderesse.

[27]    Pièces D-4 et D-25.

[28]    Pièce P-21, par. 7.4.

[29]    Pièce P-18.

[30]    Pièce D-19.

[31]    Pièces P-14, P-15, P-17.

[32]    Pièces P-16, D-16, D-17.

[33]    Une partie de la correspondance en août 2013 est produite comme pièce D-23.

[34]    Pièce D-14.

[35]    La requête introductive d’instance est déposée en Cour du Québec dans le dossier 705-22-013750-136 et le dossier est transféré en Cour supérieure le 2 juillet 2014 suite au dépôt de la demande reconventionnelle.

[36]    Pièce D-9.

[37]    Pièce D-4, p. 26.

[38]    Id.

[39]    Pièce D-1.

[40]    Pièce D-27.

[41]    Pièce D-2.

[42]    Pièce D-17.

[43]    Pièce D-27.

[44]    Pièce P-13A.

[45]    Pièces P-23 (34 050,62 $) et P-24 (12 789,63 $ après déduction du dédoublement).

[46]    Pièce D-12.

[47]    Pièce D-13. Kudhail témoigne que ce chèque n’a pas été encaissé, mais reconnaît que la défenderesse n’a aucune réclamation contre la demanderesse pour ce montant même si la défenderesse ne réussit pas à l’obtenir de son assureur.

[48]    La perte de profits est de 83 253,76 $ et les frais d’entreposage sont de 13 650 $.

[49]    Pièces P-23, P-23A et p-24.

[50]    Pièce D-9.

[51]    Pièce P-17.

[52]    Voir Chen c. Gestion Joseph Jeffrey inc. (Marché Léger, Marché Lussier, Marché Unique), 2007 QCCQ 8035, par. 11.

[53]    Dahmé c. Dahmé, 2007 QCCA 851, par. 10.

[54]    Société de développement du fonds immobilier du Québec inc. c. 9066-6249 Québec inc., 2010 QCCA 300, par. 34-35; Société de gestion Complan (1980) inc. c. Bell Distribution inc., 2011 QCCA 320, par. 42-43.

[55]    Pièce P-17.

[56]    Article 1574 C.c.Q.

[57]    Article 1575 C.c.Q.

[58]    Article 1576 C.c.Q.

[59]    Article 215 C.p.c.

[60]    Voir Société de développement du fonds immobilier du Québec inc., précitée note 55, par. 117.

[61]    Pièce P-4, par. 2.

[62]    Pièce D-10.

[63]    La demanderesse admet cette date dans son courriel du 23 mai 2013 (pièce D-19). Voir aussi la preuve résumée aux paragraphes 9 à 11 du présent jugement.

[64]    Pièce D-1.

[65]    Pièce P-4, par. 4 prévoit que le locataire aura trois options de renouvellement pour cinq ans et prévoit l’ajustement du loyer, mais rien de plus

[66]    Didier LLUELLES, « Les renouvellements unilatéral et automatique, fondés sur une clause du contrat » (2004), 64 R. du B. 151, p. 154.

[67]    Le seul document contemporain au dossier est une lettre de la demanderesse datée du 29 janvier 2009 prévoyant l’augmentation de loyer et la facture pour la taxe d’affaires à compter du 1er février 2009 (pièce D-10).

[68]    Pièce P-18.

[69]    Pièce P-21, par. 2.2.

[70]    Ibid, s.3.

[71]    Pièce D-3.

[72]    Pièce P-21, art. 23.

[73]    Pièce D-3.1.

[74]    Pièce D-3.

[75]    Pièce D-27.

[76]    Vincent KARIM, Les obligations, 4e éd., vol. 2, Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, p. 533-536; Thouin c. Rousseau, [1990] RDJ 374 (C.A.), par. 22; Propriétés Cité Concordia limitée c. Banque Royale du Canada, EYB 1981-139619 (C.S.), par. 13

[77]    Francine Sheehan, le courtier d’assurance de dommage de la demanderesse, témoigne avoir contacté 16 assureurs en décembre 2013 : deux n’ont pas répondu et 14 refuse d’assurer l’immeuble si la défenderesse revient dans son local. Seulement un assureur lui fait une proposition, à une prime trois fois plus élevée : la police avec Intact (pièce D-22) inclut une prime de 4 540 $ par année alors que la proposition reçue (pièce D-21) prévoit une prime de 15 073 $.

[78]    L’assureur paie la perte de profits jusqu’au 15 novembre 2013.

[79]    Pièce D-12.

[80]    L’assureur paie 16 604 $ pour 217 jours, soit 76,52 $ par jour (pièce D-12). Pour les 1 088 jours du 15 novembre 2013 au 7 novembre 2016, ceci donne le montant de 83 253,76 $ réclamé par la défenderesse.

[81]    7 mois à 14 500 $ par année (7/12 x 14 500 $ = 8 500 $).

[82]    Pièce D-26 (états financiers préparés par Bergeron Fidrilis CA).

[83]    Pièce D-26 (états financiers préparés par Bergeron Fidrilis CA).

[84]    Pièce D-5 (état des résultats interne).

[85]    Pièce D-5 (état des résultats interne).

[86]    Pièce D-12 (calcul de l’assureur).

[87]    500 $ par mois x 39 mois = 19 500 $.

[88]    De plus, la preuve indique que l’assureur aurait payé plus que 37 767,47 $ pour le dommage aux équipements et la perte d’aliments et de publicité dans un scénario de reconstruction, mais la défenderesse ne réclame pas ce montant additionnel.

[89]    Pièce D-14.

[90]    Pièce D-4.

[91]    Pièces P-12 et P-20.

[92]    Pièce D-6.

[93]    Pièce D-15.

[94]    Le Tribunal ajoute 1 050 $ pour la période entre le 10 novembre 2016 et le présent jugement.

[95]    700 $ en 2013, 4 550 $ en 2014, 2015 et 2016, et 350 $ en 2017.

[96]    Elle fait le calcul suivant : (13,00 $ + 1,80 $) - (12,53 $ + 0,73 $) = 1,54 $/pi carré par année; (1,54 $/pi carré par année) x (1 500 pi carré) = 2 310 $ par année; 2 310 $ x (7 ans + 1 mois) =  16 362,50 $.

[97]    Voir la pièce D-28 à l’appui de ce calcul.

[98]    Voir la pièce D-29 à l’appui de ce calcul.

[99]    6 ans et 10 mois x 2 310 $/année = 15 785 $.

[100]   9051-5909 Québec inc. c. 9067-8665 Québec inc., 2003 CanLII 8557 (QC CA), par. 50-54; Investissements Historia inc. c. Gervais Harding et Associés Design inc., 2006 QCCA 560, par. 24.

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