Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Lapara c. Montréal (Ville de) (arrondissement Ahuntsic-Cartierville)

2016 QCCS 680

JD 2422

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-17-084484-149

 

 

 

DATE :

23 février 2016

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

SYLVIE DEVITO, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

FRANCESCO LAPARA

et

GIUSEPPINA GENTILE

Demandeurs

c.

VILLE DE MONTRÉAL (arrondissement Ahuntsic-Cartierville)

Défenderesse

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           M. Lapara et Mme Gentile (« les demandeurs ») ont-ils raison d’exiger que leur projet d’opération cadastrale soit approuvé par le conseil de l’arrondissement Ahuntsic-Cartierville (« l’arrondissement ») de la défenderesse, Ville de Montréal (« la Ville »)?

[2]           Le Tribunal conclut que oui. Voici pourquoi.

QUELQUES FAITS

[3]           Le 11 juillet 2011, les demandeurs acquièrent un terrain identifié au cadastre du Québec comme étant le lot […] (« l’immeuble »). Une résidence unifamiliale portant le numéro civique […], y est érigée.

[4]           L’immeuble est situé dans un secteur résidentiel construit de l’arrondissement. Il est bordé au nord par le boulevard Gouin et au sud, par l’avenue Jean-Bourdon. À l’est et à l’ouest de l’emplacement, on retrouve des terrains sur lesquels sont érigées des résidences unifamiliales. Selon les règles de zonage applicables, l’usage résidentiel y est autorisé.

[5]           L’immeuble a une superficie d’environ 11 243 m2 dont 75 % est boisée.

LE LITIGE

[6]           S’étant vus refuser l’approbation de leur projet aux termes de la résolution CA14 090120 du conseil d’arrondissement (« le conseil »), les demandeurs exercent un recours en mandamus.

[7]           Ce dernier est assorti de conclusions en nullité de cette résolution et de l’article 392.3 du Règlement d’urbanisme numéro R.V.M. 01-274 de l’arrondissement (« le Règlement ») sur la base duquel le refus est fondé.

[8]           Les demandeurs réclament l’approbation de leur projet et l’émission du permis d’opération cadastrale.

LES ADMISSIONS

[9]           Les parties ont souscrit des admissions[1] de sorte que la trame factuelle et les pièces des demandeurs (au nombre de 35) émanant de l’arrondissement ou de la Ville, ou reçues par ce dernier, ont été admises sans réserve. La réception et l’authenticité de la correspondance échangée entre les demandeurs et les représentants de l’arrondissement ou de la Ville ont été admises.

[10]        Il est notamment admis que préalablement à l’acquisition de l’immeuble, M. Lapara a rencontré, au printemps 2011, M. Pierre Alarie, conseiller en aménagement à l’arrondissement, afin de s’enquérir de la possibilité de lotir l’immeuble afin de créer huit (8) lots résidentiels. À cette occasion, M. Alarie l’informe qu’il lui serait possible d’en créer uniquement quatre (4), de manière à limiter l’abattage d’arbres.

[11]        Aussi, le projet d’opération cadastrale soumis à l’approbation du conseil et dont il est question dans ce litige, comporte la création de quatre (4) lots.

[12]        Les parties ayant convenu que le dossier était complet et les faits étant clairement établis, l’administration d’une preuve n’a pas été requise devant le Tribunal. Il s’agit essentiellement d’un débat en droit.

 

LES PRÉTENTIONS

[13]        Les demandeurs soutiennent :

1)           que l’article 392.3 du Règlement ne rencontre pas les exigences de l’article 145.16 de la Loi sur l’Aménagement et l’urbanisme[2](« LAU ») qui édicte le contenu obligatoire d’un règlement portant sur les plans d’implantation et d’intégration architecturale (« PIIA »). Plus particulièrement, ils reprochent que sous le couvert du vocable « critères » utilisé à l’article 392.3, ce dernier n’énonce véritablement que des « objectifs » applicables à la délivrance d’un permis d’opération cadastrale. Selon eux, le Règlement omet d’inclure de véritables critères permettant d’évaluer si ces objectifs sont atteints, contrairement à ce que requiert l’alinéa 2o de l’article 145.16 de la LAU. Il en résulte non seulement une imprécision fatale mais une absence de compétence qui force de conclure à sa nullité;

2)           que 75 % de leur terrain a erronément été identifié à titre de « boisé » inclus dans ce qui est désigné au Règlement comme un « écoterritoire », alors que le plan d’urbanisme de la Ville, dans son document complémentaire, n’en prévoit pas l’inclusion. L’article 392.3 devrait être déclaré inapplicable à leur endroit;

3)           que subsidiairement, bien que leur terrain bénéficie d’un zonage résidentiel, l’application de l’article 392.3 du Règlement a pour effet d’empêcher le morcellement de la partie boisée qui représente 75 % de la superficie totale d’environ 11 200 mètres carrés. Cela constitue une expropriation déguisée puisque le terrain ne peut être utilisé aux fins prévues au zonage. Par conséquent, l’article ne devrait pas leur être opposable.

[14]        La Ville conteste les allégations des demandeurs et soutient pour sa part :

1)            que bien qu’elle reconnaisse que le recours en mandamus ait été intenté dans un délai raisonnable, les conclusions en nullité sont irrecevables puisque la disposition attaquée du Règlement date de 2007 ou au mieux, les demandeurs en connaissaient l’existence lors de l’achat du terrain en 2011; dans les deux cas, le délai pour en demander la nullité est déraisonnable;

2)            que l’article 392.3 du Règlement est conforme à la LAU et qu’il est suffisamment précis, les critères énoncés constituant en l’espèce à la fois des critères et des objectifs, considérant la nature de ce que l’on vise à protéger, soit un boisé;

3)            que l’inclusion de 75 % du terrain dans l’écoterritoire n’est pas une erreur et qu’aucune conclusion défavorable ne peut être tirée de ce fait, le contenu du Règlement n’étant pas restreint à celui imposé par le plan d’urbanisme (document complémentaire);

4)            que l’application de l’article 392.3 du Règlement ne constitue aucunement une expropriation déguisée, le refus en l’espèce visant le seul projet proposé et non tout morcellement du terrain.

L’ANALYSE

[15]        Selon le Règlement, une demande d’opération cadastrale entraînant le morcellement d’un lot est assujettie à l’approbation du conseil[3]. Celle-ci s’inscrit dans le cadre de la procédure d’approbation de PIIA.

[16]        Les pouvoirs habilitants des municipalités en matière de PIIA sont énoncés à l’article 145.15 et suivants de la LAU :

145.15. Le conseil d'une municipalité dotée d'un comité consultatif d'urbanisme peut, par règlement, assujettir la délivrance de permis de construction ou de lotissement ou de certificats d'autorisation ou d'occupation à l'approbation de plans relatifs à l'implantation et à l'architecture des constructions ou à l'aménagement des terrains et aux travaux qui y sont reliés. 

[17]        En outre, les articles 145.16 et 145.19 de la LAU prévoient notamment ce qui suit :

145.16. Le règlement doit :

1° […]

2° déterminer les objectifs applicables à l'implantation et à l'architecture des constructions ou à l'aménagement des terrains, ainsi que les critères permettant d'évaluer si ces objectifs sont atteints;

[…]

5° prescrire la procédure relative à la demande de permis de construction ou de lotissement ou à la demande de certificat d'autorisation ou d'occupation lorsque la délivrance de ce permis ou certificat est assujettie à l'approbation des plans. 

[…]

145.19. À la suite de la consultation du comité consultatif d'urbanisme et, le cas échéant, de celle décrétée en vertu de l'article 145.18, le conseil de la municipalité approuve les plans s'ils sont conformes au règlement ou les désapprouve dans le cas contraire. 

La résolution désapprouvant les plans doit être motivée.

[18]        Ainsi, un règlement portant sur les PIIA doit impérativement prévoir des critères permettant d’évaluer si les objectifs définis par le règlement sont atteints.

1.         Opération cadastrale et écoterritoire

[19]        En l’espèce, tel que mentionné précédemment, tout projet d’opération cadastrale ayant pour effet de morceler un lot doit faire l’objet d’une approbation du conseil selon la procédure d’approbation de PIIA  selon le Règlement. On peut y lire :

671.1. Préalablement à la délivrance d’un permis exigé en vertu du Règlement sur les opérations cadastrales (R.R.V.M., chapitre O-1), l’approbation du conseil est requise dans le cas d’une opération cadastrale ayant pour effet de morceler un lot. […]

674.8. Les objectifs et critères applicables aux fins de la délivrance d’un permis visé à l’article 671.1 sont les suivants :

Objectif : favoriser des dimensions de terrain qui s’intègrent harmonieusement aux terrains avoisinants et qui permettent d’assurer des gabarits de bâtiment adaptés à leur secteur.

Critères :

1º les dimensions des nouveaux terrains doivent s’intégrer aux terrains qui bordent l’immeuble faisant l’objet de l’opération cadastrale;

2º les terrains doivent permettre que les nouvelles constructions s’intègrent aux constructions voisines en matière de volumétrie et d’implantation.

[20]        En ce qui a trait à un immeuble situé dans un « écoterritoire », l’article 392.3 du Règlement prévoit l’application de normes additionnelles pour les opérations cadastrales[4]

[21]        La notion d’« écoterritoire » provient du Plan d’urbanisme de la Ville (« Plan d’urbanisme »). Elle y est ainsi définie :

Écoterritoire

Territoire où se trouvent des aires protégées (grands parcs, parcs-nature, réserves naturelles) et des milieux naturels (bois, cours d’eau, milieux humides) dont la Ville entend assurer la préservation et la mise en valeur par une approche de négociation.

[22]        La carte 2.6.3 du Plan d’urbanisme intitulée « Le patrimoine naturel » (« carte 2.6.3 ») illustre la localisation des différents écoterritoires, ainsi que des bois, parcs-nature, berges, milieux humides identifiés par la Ville comme devant être protégés.

[23]        L’article 6.4.1 du Document complémentaire du Plan d’urbanisme (« Document complémentaire ») édicte les normes devant être incluses à la réglementation d’un arrondissement pour atteindre les objectifs fixés par la Ville en ce qui a trait aux berges, bois, milieux humides et cours d’eau intérieurs identifiés à la carte 2.6.3.

[24]        Ainsi, l’article 392.3 du Règlement découle de l’obligation, pour l’arrondissement, d’intégrer dans sa réglementation, à des fins de concordance, des normes applicables aux opérations cadastrales pour les terrains situés dans l’écoterritoire qui doivent être conformes aux exigences de l’article 6.4.1 du Document complémentaire.

[25]        L’examen de la carte 2.6.3 révèle que l’immeuble est inclus dans l’écoterritoire de la coulée verte du ruisseau Bertrand. Les espaces illustrés comme « bois » à protéger y sont identifiés en vert foncé, alors que l’ensemble de l’immeuble apparaît en gris. Par conséquent, au sens du Document complémentaire, aucune partie de l’immeuble n’est désignée « bois ».

[26]        Les règles se rapportant aux écoterritoires et figurant à l’article 6.4.1 du Document complémentaire ont été intégrées au Règlement par le Règlement de concordance 01-274-21 adopté en 2007.

[27]        L’Annexe A de ce règlement de concordance intitulée « Bois et écoterritoires », illustre comme « bois », une grande partie de l’immeuble, malgré le fait que ce dernier ne soit pas identifié à ce titre à la carte 2.6.3. Les demandeurs suggèrent qu’il s’agit d’une erreur.

[28]        Il appert en outre de l’Annexe A que l’immeuble n’est pas non plus situé, en tout ou en partie, à moins de 30 mètres d’une berge, d’un bois, d’un milieu humide ou d’un cours d’eau intérieur compris dans l’écoterritoire.

[29]        Ce n’est certes pas par souci de concordance, ni de cohérence que le conseil a identifié la partie boisée de l’immeuble comme devant être protégée. S’agit-il d’une erreur : l’argument peut paraître séduisant. Mais celui de la Ville selon lequel le Règlement peut être plus exigeant que le Plan d’urbanisme (Document complémentaire) est bien fondé. Par conséquent, le Tribunal ne retient pas la proposition des demandeurs selon laquelle l’article 392.3 du Règlement est inapplicable à l’immeuble pour cause d’erreur.

[30]        Cependant, pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que l’article 392.3 du Règlement est invalide.

2.            L’article 392.3 du Règlement est invalide

[31]        Selon l’article 6.4.1 du Document complémentaire, il revient à l’arrondissement d’élaborer, dans le cadre de sa réglementation sur les PIIA, les critères permettant d’évaluer si les objectifs qui y  sont identifiés sont atteints.

[32]        Or, une simple lecture comparative de cet article et de l’article 392.3 du Règlement permet de constater que l’arrondissement n’a fait que reprendre les objectifs établis par la Ville en les identifiant comme étant des critères à respecter :

 

Article 6.4.1 du Document complémentaire

(Plan d’urbanisme de la Ville)

Article 392.3 du Règlement

(Arrondissement)

La réglementation d’arrondissement doit prévoir, par critères, qu’un projet d’opération cadastrale assujetti à un règlement de lotissement portant sur un terrain situé en tout ou en partie à moins de 30 mètres d’une berge, d’un bois, d’un milieu humide ou d’un cours d’eau intérieur compris dans un écoterritoire, identifié à la carte 2.6.3 «Le patrimoine naturel», doit être réalisé de manière à :

 

tendre à respecter les «Objectifs de conservation et d’aménagement des écoterritoires» identifiés au tableau 2.6.1;

 

 

 

 

 

 

maximiser la conservation des bois, des milieux humides et des cours d’eau intérieurs;

favoriser l’aménagement de corridors écologiques et récréatifs permettant de relier les berges, les bois, les milieux humides et les cours d’eau intérieurs;

favoriser le maintien à l’état naturel d’une bande de protection riveraine d’une profondeur suffisante le long d’un cours d’eau intérieur, d’une berge et d’un milieu humide.

 

La réglementation d’arrondissement doit aussi prévoir que ce projet d’opération cadastrale doit être accompagné d’un projet de morcellement de terrain portant sur l’ensemble de la propriété.

Un projet d’opération cadastrale portant sur un terrain en tout ou en partie à moins de 30 mètres d’une berge, d’un bois, d’un milieu humide ou d’un cours d’eau intérieur compris dans un écoterritoire identifié sur les plans de l’annexe A intitulés « Bois et écoterritoires » doit être accompagné d’un projet de morcellement de terrain portant sur l’ensemble de la propriété et être approuvé conformément au titre VIII.

L’approbation visée au premier alinéa doit tenir compte des critères suivants :

1° le projet doit tendre à respecter les objectifs de conservation et d’aménagement de la coulée verte du ruisseau Bertrand identifiés au tableau 2.6.1 du Plan d’urbanisme, soit :

a) contrôler la qualité et la quantité de l’eau du ruisseau Bertrand;

b) consolider les limites du parc-nature du Bois-de-Liesse en incluant les peuplements forestiers d’intérêt écologique au sud du parc;

c) réaliser des travaux d’aména-gement et de mise en valeur des milieux naturels afin de recréer un écosystème autour du ruisseau;

2° la conservation des bois, milieux humides et cours d’eau intérieurs doit être maximisée;

 

3° des aménagements de corridors écologiques et récréatifs permettant de relier les berges, les bois, les milieux humides et les cours d’eau intérieurs doivent être favorisés;

 

4° le maintien à l’état naturel d’une bande de protection riveraine d’une profondeur suffisante le long d’un cours d’eau intérieur, d’une berge et d’un milieu humide doit être favorisé.

[33]        À titre d’exemple, le second critère énoncé à l’article 392.3 du Règlement prévoit que la conservation des bois, milieux humides et cours d’eau intérieurs doit être maximisée. Or rien n’y est mentionné pour permettre à un demandeur de savoir, dans le contexte d’une demande d’opération cadastrale, ce qui concrètement doit être fait pour rencontrer cet objectif. Dans le même sens, rien n’est dit concernant les considérations devant être retenues par les décideurs.

[34]        Le règlement aurait pu prévoir des critères visant la conservation d’un certain pourcentage des arbres situés sur un terrain, l’aménagement de zones de protection où l’abattage des arbres serait prohibé, ou définir des critères de performance. Or ici, rien de cela n’est prévu.

[35]        Il est vrai qu’un règlement concernant l’approbation de PIIA confère une certaine discrétion au conseil dans l’évaluation des projets qui lui sont présentés et que par définition, cet outil n’est pas normatif. Toutefois, les tribunaux rappellent que cette discrétion doit être encadrée et que la réglementation doit être assez précise pour permettre à un demandeur de connaître l’étendue des obligations qu’il doit rencontrer[5]. Un tel règlement doit comprendre des critères suffisamment précis pour éviter que les pouvoirs conférés au conseil d’une municipalité n’ouvrent la porte à l’arbitraire[6].

[36]        Comme dans l’affaire Magog[7], l’article 392.3 du Règlement ne comporte aucun véritable critère permettant à une personne raisonnable de comprendre comment le conseil procédera à l’évaluation de son projet, ni de savoir quels sont les éléments qu’il doit soumettre et qui seront pris en compte par le conseil dans le cadre du processus d’approbation des plans présentés.

[37]        Cette absence de critères laisse place à l’arbitraire et accorde au conseil une discrétion que les dispositions de la LAU se rapportant aux PIIA ne lui confèrent pas.

[38]        D’ailleurs, l’examen des pièces produites démontre que cette carence de critères a conduit à des opinions divergentes parmi les personnes, au sein même de l’arrondissement, qui ont procédé à l’analyse de la conformité du projet.

[39]        Il appert en effet du sommaire décisionnel émanant de l’arrondissement, que le projet a été refusé par le Conseil du patrimoine de Montréal (« Conseil du patrimoine »)[8] mais a fait l’objet d’une recommandation favorable tant par la Direction du développement du territoire de l’arrondissement que par le Comité consultatif d’urbanisme de l’arrondissement (« CCU »). Les passages suivants sont révélateurs :

 

Avis du Conseil du patrimoine de Montréal

Le 11 juin 2012, ce projet d’opération cadastrale a été présenté au Conseil du patrimoine de Montréal (CPM). Ce Conseil a émis un avis favorable à la subdivision de ce terrain pourvu que le développement résidentiel soit limité à la partie donnant sur le boulevard Gouin et que la partie arrière où se situe le bois soit transformé (sic) en parc public. Il a également recommandé à la Direction des grands parcs et du verdissement d’entreprendre des négociations avec le propriétaire du lot afin d’acquérir ce bois à protéger. Finalement, le Conseil a recommandé à l’arrondissement d’étudier la possibilité de fermer l’avenue Jean-Bourdon sur la portion faisant face au terrain visé et de renaturaliser cette dernière en vue de favoriser la liaison de ce bois au parc-nature du Bois-de-Saraguay.

Le 1er octobre 2013, le dossier a été présenté à nouveau au Conseil du patrimoine, suite à la proposition d’entente intervenue entre le propriétaire du terrain et la Direction des grands parcs et du verdissement visant à identifier une zone de conservation pour chacun des quatre (4) terrains proposés. Ce Conseil a alors maintenu sa position émise en juin 2012.  

Position de la Direction des grands parcs et du verdissement

Suite à cet avis, la Direction des grands parcs et du verdissement (DGPV) a signifié qu’elle n’avait pas les ressources financières pour acquérir ce bois, malgré sa grande valeur écologique. La DGPV a plutôt proposé au propriétaire du terrain de délimiter quatre (4) grands lots dans lesquels on aurait retrouvé sur chacun d’eux un espace développable et un espace boisé et qui aurait été protégé. La totalité de la zone forestière protégée aurait eu une superficie de 5400 m2, soit près de la moitié du terrain et aurait compris un corridor boisé de 20 m de largeur entre les deux lots situés en face du parc-nature du Bois-de-Saraguay, soit le long de l’avenue Jean-Bourdon. La protection de cette zone de conservation aurait été assurée par une servitude de conservation ou de non construction en faveur de la Ville de Montréal et aucune compensation financière n’aurait été accordée au propriétaire du terrain. La DGPV aurait été responsable de l’entretien et de la mise en valeur de cette zone de conservation.

Cette option a été jugée non acceptable par le propriétaire du terrain, car elle aurait sérieusement compromis la vente des terrains subdivisés et affecté à la baisse la valeur de ceux-ci. Deux (2) éléments semblaient particulièrement contraignants pour lui : la largeur du corridor boisé limitant l’implantation des bâtiments sur les deux lots bordant l’avenue Jean-Bourdon et la servitude de conservation qui aurait été imposée aux futurs propriétaires des quatre lots. Le propriétaire a plutôt proposé de réduire la largeur du corridor boisé à 10 m au lieu de 20 m et de s’engager à inclure dans les actes de vente notariés des futurs propriétaires des quatre lots l’obligation de protéger la zone de conservation identifiée sur le plan d’implantation proposé. Ainsi, les parties boisées demeureraient privées mais ne pourraient faire l’objet d’un déboisement. Cette proposition satisfait la DGPV.

Avis du comité consultatif d’urbanisme

Le 7 août 2013, le comité consultatif d’urbanisme a recommandé d’approuver ce projet d’opération cadastrale.

Justification

La Direction du développement du territoire est favorable à ce projet d’opération cadastrale pour les motifs suivants :

1. la Direction des grands parcs et du verdissement (DGPV) a signifié qu’elle n’avait pas les ressources financières pour répondre à la recommandation du Conseil du patrimoine d’acquérir la partie boisée du terrain;

2. en raison de la dimension des lots projetés et de l’engagement du propriétaire à inclure une clause de non abattage et de non construction de la zone de conservation identifiée sur un plan, l’essentiel du bois serait préservé, incluant une bande de 10 m de largeur qui pourrait créer un lien avec le parc-nature du Bois-de-Saraguay, advenant la fermeture d’une partie de la rue Jean-Bourdon;

3. le projet permettait de conserver la résidence qui se trouve actuellement sur le terrain. […]. 

[40]        Le Tribunal conclut donc que l’article 392.3 du Règlement ne fait que reproduire les objectifs prévus à l’article 6.4.1 du Document complémentaire, sans comporter de critères permettant d’évaluer l’atteinte de ces objectifs.

[41]        En cela, il n’est pas conforme aux exigences de l’article 145.16 L.A.U. et doit donc être déclaré nul.

3.          Le délai pour demander la nullité de l’article 392.3 du Règlement est raisonnable

[42]        Tel que déjà mentionné, la Ville ne plaide pas que le délai pour l’exercice du recours en mandamus des demandeurs soit tardif. Elle invoque qu’il l’est en ce qui concerne la demande de nullité.

[43]        Il est établi que le délai pour intenter un recours en nullité doit être raisonnable. En ces matières, un délai de trente (30) jours à partir de la décision ou de l’acte reproché est généralement considéré comme étant raisonnable[9].

[44]        Au-delà de celui-ci, il revient au demandeur d’alléguer et de démontrer les circonstances exceptionnelles justifiant son retard à agir. Le Tribunal exerce alors sa discrétion pour apprécier l’ensemble des circonstances entourant le ou les événements donnant ouverture au recours, ainsi que les faits subséquents, pour conclure ou non au caractère raisonnable du délai à l’exercer. Il considère la nature du droit invoqué et de l’acte attaqué, le comportement de la partie demanderesse, la nature de l’illégalité alléguée et les causes du délai[10].

[45]        Il est admis que même avant l’acquisition de l’immeuble en juillet 2011, les demandeurs ont été avisés de restrictions existantes au sujet de la présence d’un boisé sur le terrain, mais qu’un projet de morcellement en quatre (4) lots pouvait y être envisagé. Ils l’acquièrent sur cette base.

[46]        La trame factuelle admise démontre que les demandeurs ont immédiatement effectué des démarches auprès de l’arrondissement en vue de morceler le terrain en quatre (4) lots. Ils ont agi avec célérité, répondant à toutes les demandes de renseignements de l’arrondissement et des instances consultatives, et tel qu’admis par tous, en toute bonne foi.

[47]        Les démarches se sont poursuivies du mois de décembre 2011 jusqu’à ce les demandeurs reçoivent la résolution refusant formellement l’approbation de leur projet en avril 2014, près de trois (3) ans plus tard. La résolution refusant le projet fut adoptée le 14 avril 2014, mais communiquée uniquement le 24 avril.

[48]          Dès le 29 avril 2014, les demandeurs ont sommé l’arrondissement d’expliquer et de justifier les motifs pour lesquels le projet était refusé, alléguant dès ce moment l’absence de critères d’appréciation à même le Règlement et soulignant par conséquent l’arbitraire de la décision.

[49]        Dénonçant alors l’impossibilité pour eux d’utiliser le plein potentiel de l’immeuble aux fins permises par le zonage, ils ont offert à l'arrondissement de l’acquérir considérant l’objectif avoué de ce dernier de préserver le boisé, en contrepartie de quoi ils demandaient d’être indemnisés.

[50]        Entre le 29 avril et le 24 septembre 2014, ils ont relancé l’arrondissement à de nombreuses reprises par lettre et par courrier électronique. Outre des réponses écrites ou verbales laconiques indiquant que leur dossier et la proposition d’acquisition étaient à l’étude par les services pertinents, rien de significatif ne leur a été communiqué.

[51]        De guerre lasse, les demandeurs ont signifié leur recours le 7 novembre 2014.

[52]        Considérant toutes les circonstances, le Tribunal est d’avis qu’on ne peut reprocher aux demandeurs d’avoir omis de s’adresser au Tribunal avant novembre 2014. En outre, il estime que le simple écoulement du temps ne peut servir à bonifier une disposition réglementaire qui doit par ailleurs être considérée invalide[11].

[53]        Par conséquent, le Tribunal conclut que le recours des demandeurs n’a pas été exercé tardivement.

4.         L’application de l’article 392.3 à l’immeuble constitue-t-elle une expropriation déguisée?

[54]        Considérant les conclusions auxquelles en vient le Tribunal à propos de la validité de l’article 392.3 du Règlement, cet argument subsidiaire des demandeurs devient davantage académique. Mais eût-il été requis d’en disposer, le Tribunal l’aurait retenu.

[55]        En effet, outre les éléments discutés précédemment, il est clair que par ses agissements, l’arrondissement (la Ville) n’entend pas permettre le développement résidentiel de la partie boisée de l’immeuble même s’il est situé en zone résidentielle et que le développement envisagé est par ailleurs expressément permis par la réglementation de zonage et de lotissement.

[56]        Il ressort des deux (2) avis du Conseil du patrimoine qu’aucun développement résidentiel ne devrait être effectué sur les trois quarts de la superficie de l’immeuble. Selon lui, la seule façon d’assurer la protection de la partie boisée est de la maintenir intacte. C’est pour cette raison qu’il recommandait à la Direction des grands parcs et du verdissement de la Ville de l’acquérir, ce que la Ville a refusé de faire à ce jour.

[57]        En effet, dans son premier avis du 21 juin 2012, le Conseil du patrimoine énonçait ce qui suit :

Le CPM émet donc un avis favorable à la subdivision du […] mais en limitant le développement résidentiel à la partie du lot actuel donnant sur le boulevard Gouin et en transformant en parc la partie arrière où se situe la partie boisée à protéger (soit environ les trois quarts du lot), dans la continuité du Bois-de-Saraguay. Il recommande ainsi :

À la direction des grands parcs et du verdissement :

- d’entreprendre des négociations avec le propriétaire du lot afin d’acquérir le bois à protéger

À l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville :

- de remplacer l’opération cadastrale en quatre lots d’environ 2 800 m2 chacun proposée par le propriétaire par la subdivision de la propriété entre, d’une part, des lots résidentiels donnant sur le boulevard Gouin et, d’autre part, un seul lot donnant sur l’avenue Jean-Bourdon.

- d’étudier la possibilité de fermer l’avenue Jean Bourdon sur la portion faisant face au site et de renaturaliser cette dernière en vue de favoriser la connexion entre le bois implanté sur le site et le Bois-de-Saraguay.

(nos soulignements)

[58]        Or, à la suite de cet avis, la Direction des grands parcs et du verdissement de la Ville informait les demandeurs qu’elle n’avait pas les ressources financières pour acquérir la partie boisée de l’immeuble et ainsi donner suite aux recommandations du 21 juin 2012 du Conseil du patrimoine.

[59]        Considérant cela, M. Lapara, de bonne foi et dans une ultime tentative afin d’obtenir le permis d'opération cadastrale demandé, a conclu une entente avec la Direction des grands parcs et du verdissement de la Ville de Montréal portant sur la protection des arbres sur les quatre (4) lots à être créés[12].

[60]        À la suite de cette entente, l’approbation du projet d'opération cadastrale était à l’ordre du jour de la séance du Conseil d’arrondissement du 9 septembre 2013. Ce projet avait au préalable fait l’objet d’une recommandation favorable du CCU de l’arrondissement le 7 août 2013.

[61]        Or, malgré cela, l’arrondissement a décidé de retirer ce sujet de l’ordre du jour, prétextant qu’il devait soumettre à nouveau le projet au Conseil du patrimoine de Montréal.

[62]        Le 15 octobre 2013, ce dernier a réitéré l’opinion qu’il avait émise dans son avis de juin 2012 et recommandé d’empêcher tout développement résidentiel sur la partie boisée de l’immeuble, même si le zonage permet cet usage.

[63]        Dans les faits, la Ville pourrait protéger le boisé en modifiant le règlement de zonage pour identifier la partie boisé de l’immeuble comme « parc ». Or cela entraînerait l’obligation pour elle d’acquérir cette partie de l’immeuble, soit de gré à gré ou par expropriation, en versant sa juste valeur aux demandeurs. Elle le reconnaît tout en admettant qu’elle n’a pas les ressources financières pour ce faire.

[64]        Cela dit, la totalité de l’immeuble est maintenue en zone résidentielle. Ainsi, en théorie, le développement résidentiel de la partie boisée est permis, mais de facto, tout développement et usage résidentiel y sont proscrits.

[65]        La Ville soutient que l’argument de l’expropriation déguisée ne tient pas la route puisqu’une résidence existe déjà sur l’immeuble et que cet usage n’est pas en cause. Il n’y a pas ici, selon la Ville, de négation absolue de l’exercice du droit de propriété ou encore une véritable confiscation de l’immeuble[13].

[66]        Cet argument aurait une certaine valeur si la superficie de l’immeuble permettait uniquement l’implantation d’une seule résidence et que la réglementation imposait des mesures d’implantation ou de protection des espaces verts, ce qui en soi constitue une limitation raisonnable et valable du droit de propriété.

[67]        Or, les dispositions réglementaires applicables permettent minimalement d’accueillir trois (3) autres lots résidentiels, compte tenu de la superficie de l’immeuble. Clairement, les autorités ont choisi de stériliser l’utilisation de l’immeuble, dans le but avoué de conserver le boisé sur 75 % de sa superficie, sans pour autant indemniser les demandeurs.

[68]        La Ville plaide aussi que seul le projet d’opération cadastrale soumis par les demandeurs a été refusé et non tout projet de morcellement.

[69]        De l’avis du Tribunal, les avis, décisions et agissements susmentionnés de la Ville et de l’arrondissement contredisent largement cette affirmation.

[70]        Pour ces motifs, le Tribunal aurait conclu en faveur des demandeurs à ce chapitre.

CONCLUSIONS

[71]        Une réglementation relative à l’approbation de PIIA ne doit pas imposer des contraintes de nature prohibitive ou encore des normes ou exigences impossibles à rencontrer[14]

[72]        On doit conclure que la Ville ne peut, par l’entremise de l’article 392.3 du Règlement, modifier de facto le zonage et les usages autorisés sur l’immeuble.

[73]        Sauf cette disposition, l’immeuble est situé en zone résidentielle et la réglementation de zonage et de lotissement permet le lotissement et le développement résidentiel envisagés par les demandeurs.

[74]        Puisque la Ville (l’arrondissement) reconnaît que le projet d’opération cadastrale des demandeurs est par ailleurs conforme à toutes les autres dispositions de la réglementation d’urbanisme de l’arrondissement, à l’exception de l’article 392.3 du Règlement, l’annulation de celui-ci emporte le droit, pour les demandeurs, d’obtenir l’approbation de leur projet d’opération cadastrale.

[75]        Il va de soi que l’émission du permis afférent est sujette au paiement des droits appropriés, dont la contribution pour fins de parcs et de terrains de jeux[15].

[76]        Le Tribunal ne retient pas les conclusions recherchées par les demandeurs d’ordonner qu’à défaut par la Ville d’approuver le projet et d’émettre le permis dans le délai imparti par le Tribunal, le jugement tienne lieu de cette approbation et du permis.

[77]        Avec égard, le Tribunal estime qu’il ne peut en l’espèce prononcer de telles ordonnances.

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[78]        ACCUEILLE la requête introductive d’instance en nullité d’une disposition d’un règlement municipal et en mandamus;

[79]        DÉCLARE nul l’article 392.3 du Règlement d’urbanisme R.V.M.-01-274 de l’arrondissement Ahuntsic-Cartierville;

[80]        ANNULE la résolution numéro CA-14 090120 adoptée le 14 avril 2014 par le Conseil de l’arrondissement Ahuntsic-Cartierville;

[81]        ORDONNE au Conseil de l’arrondissement Ahuntsic-Cartierville d’approuver, dans un délai de vingt (20) jours du jugement, le projet d’opération cadastrale visant à créer quatre (4) lots à même le lot UN MILLION NEUF CENT DEUX MILLE (1 902 000) du cadastre du Québec, propriété des demandeurs Francesco Lapara et Giuseppina Gentile, tel que montré sur le plan cadastral préparé par M. Robert Katz, arpenteur-géomètre, daté du 8 décembre 2011;

[82]        ORDONNE à l’arrondissement Ahuntsic-Cartierville, dans un délai de trente (30) jours du jugement et sur paiement de la contribution pour fins de parcs prévue aux articles 6, 7 et 8 du Règlement sur les opérations cadastrales R.R.V.M., chapitre O-1, d’émettre aux demandeurs un permis d’opération cadastrale autorisant les demandeurs Francesco Lapara et Giuseppina Gentile à créer quatre (4) lots à même le lot numéro UN MILLION NEUF CENT DEUX MILLE (1 902 000) du cadastre du Québec, tel que montré sur le plan cadastral préparé par monsieur Robert Katz, arpenteur-géomètre, daté du 8 décembre 2011;

[83]        AVEC LES FRAIS DE JUSTICE.

 

 

__________________________________

SYLVIE DEVITO, J.C.S.

 

Me Marc-Alexandre Girard

DUNTON RAINVILLE

Procureurs des demandeurs

 

Me Éric Couture

DAGENAIS GAGNIER BIRON

Procureurs de la défenderesse

 

Date d’audience :

4 novembre 2015

 



[1]     Voir la liste des admissions signée par les parties les 30 octobre et 3 novembre 2015, produite au dossier.

[2]     L.R.Q. c. A-19.1.

[3]     Articles 671.1 et 674.8 et 392.3 du Règlement.

[4]     Infra, article 392.3 du Règlement, paragr. [32].

[5]     Bois-des-Filion (Ville de) c. Guay, J.E. 2005-94 (C.A.), paragr. [41] et [42].

[6]     Magog (Ville de) c. Auberges Giroma inc., J.E. 2002-615 (C.S.); Accoca c. Mont-Royal (Ville), J.E. 2001-1812.

[7]     Supra, note 6.

[8]     Le Conseil du patrimoine est consulté en raison de l’inclusion de l’immeuble dans un écoterritoire.

[9]     Immeubles Port-Louis ltée c. Lafontaine (Village), [1991] 1 R.C.S. 326.

[10]    Montréal (Ville de) c. F.B.T. Dorval Inc., J.E. 2002-1438 (C.A.).

[11]    Supra, note 8.

[12]    Supra, paragr. 39 : sommaire décisionnel.

[13]    Wallot c. Québec (Ville de), EYB 2011-192104 (C.A.).

[14]    Supra, note 4.

[15]    Articles 6, 7 et 8 du Règlement sur les opérations cadastrales R.R.V.M., chapitre O-1.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.