Décision

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Décision

Gendron c. Beaufort

2014 QCRDL 39065

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Joliette

 

No dossier :

162470 29 20140630 G

No demande :

1526745

 

 

Date :

17 novembre 2014

Régisseure :

Sylvie Lambert, juge administratif

 

Julie Gendron

 

Sylvain Boisvert

 

Locataires - Partie demanderesse

c.

André Beaufort

 

Locateur - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Les locataires demandent la résiliation du bail, l’exécution provisoire de la décision malgré l’appel, plus les frais.

[2]      Il s'agit d'un bail du 1er juillet 2014 au 30 juin 2015 au loyer mensuel de 625 $.

[3]      Les locataires invoquent les motifs suivants au soutien de leur demande de résiliation du bail :

- le locateur empêche la démarche en vue d’une cession de bail;

- le locateur se présente au logement sans préavis;

- les locataires soupçonnent le locateur de pénétrer dans le logement lorsqu’ils sont absents;

- les locataires n’auraient pas loué le logement s’ils avaient reçu copie du règlement de l’immeuble avant la signature du bail puisqu’ils considèrent ces règlements abusifs et ils en souffrent un sérieux préjudice.

[4]      Le 28 mars 2014, les locataires, un jeune couple, visitent le logement et rencontrent le locateur pour signer le bail.

[5]      Le locateur leur mentionne qu’il ne trouve pas de copie du règlement de l’immeuble. Il leur précise qu’il s’agit d’un règlement simple et qu’il leur en remettra une copie plus tard.

[6]      Le locateur reconnaît qu’il n’a pas remis une copie des règlements de l’immeuble aux locataires avant la conclusion du bail. Il explique qu’il était 22h, le soir, lorsque les locataires ont signé le bail chez lui et qu’il ne trouvait pas de copie ou d’exemplaire du règlement.


[7]      Il soutient par ailleurs qu’il a expliqué aux locataires l’essentiel des règlements, mais qu’il n’a pas pu les expliquer en détail puisqu’il ne pouvait se souvenir de chacun d’eux, vu qu’ils sont nombreux.

[8]      Avant de signer le bail, les locataires s’informent auprès du locateur quant aux dimensions de la cage d’escalier afin de s’assurer que celle-ci est suffisamment grande pour qu’ils puissent monter leurs meubles à l’étage où se trouve la chambre à coucher. Ils ont déjà eu par le passé des difficultés à faire circuler ces meubles dans une cage d’escalier, vu qu’ils sont de grande dimension.

[9]      Le locateur leur répond que l’escalier en est un de type universel. Sur ces représentations, les locataires signent le bail puisque selon leur expérience, un escalier universel permet d’y faire passer leurs meubles.

[10]   Le 1er avril 2014, le locateur communique avec les locataires afin de leur faire signer le règlement de l’immeuble et de leur en remettre copie.

[11]   Les locataires prennent donc connaissance du règlement de l’immeuble le 1er avril 2014. Après lecture de ceux-ci, ils sont d’avis que les nombreuses clauses de ce règlement sont abusives et exagérées. Ils refusent de signer le règlement et ils indiquent au locateur qu’ils ne sont plus intéressés à louer le logement dans ce contexte.

[12]   Le locateur leur répond qu’ils n’ont pas le choix, qu’ils ont signé un contrat et qu’ils doivent le respecter. Se sentant obligés, les locataires signent le règlement.

[13]   En défense, le locateur reconnaît que les locataires lui ont mentionné que le règlement de l’immeuble « n’a pas de bon sens », ce à quoi il a leur a répondu qu’ils avaient signé un bail, signifiant par là qu’ils s’étaient engagés et qu’ils devaient respecter leur engagement. Toutefois, contrairement aux locataires, il soutient leur avoir mentionné qu’ils ne sont pas obligés de louer le logement si pour eux « ça ne marche pas ». Il ajoute qu’il ne force personne.

[14]   Questionné par le tribunal quant aux propos exacts qu’il a tenus, le locateur hésite et mentionne qu’il ne se souvient pas si ses propos étaient aussi clairs que cela, mais qu’essentiellement c’est ce qu’il a dit.

[15]   Le règlement de l’immeuble est rédigé sur trois pages et demie, en plus d’une annexe, laquelle également a été signée par les locataires :

[16]   Il convient de reproduire quelques unes des clauses de ce règlement. Pour fin de référence, le tribunal numérote celles-ci:

« 1.  Le locataire s’engage à ne rien visser, coller ou clouer dans les portes d’acier ni sur les planchers, de même qu’à l’extérieur de l’immeuble et des garages. Exemple : antennes, soucoupes etc...

2.   Le locataire s’engage à laisser les murs blancs, aucune couleur ne sera permise, aucune tapisserie ou bande de tapisserie, et si le propriétaire juge que le logement doit être repeint, ce sera de la peinture blanche à l’eau fournie par le propriétaire au frais de ce dernier, et il se réserve le droit de vérifier son application pour qu’elle soit faite correctement.

3.   Le locataire s’engage à laisser les portes de chambres ouvertes lorsqu’il n’y a personne qui dort, et à chauffer convenablement (70F ou 20C) toutes les chambres, et à ne rien mettre sur les prises d’air aux planchers du logement que ce soit des meubles ou autres objets.

4.   Tout genre d’air climatisés seront interdit dans le logement.

5.   Le locataire s’engage à ne pas avoir de support pour sécher le ligne, ni de corde à linge à l’intérieur du logement.

6.   Le locataire s’engage à fermer les portes et fenêtres lorsqu’il quittera pour plus d’une heure

7.   Si le locataire possède un congélateur autre que celui du réfrigérateur, le congélateur devra être installé dans le garage.

8.   Le locataire s’engage à tenir les portes extérieures avant et arrière de son logement fermées en tout temps sauf si une personne entre ou sort du logement. (…)

9.   Le locataire s’engage à n’avoir aucune chambre et aucun lit au premier étage. » (sic)


[17]   Quant à la cinquième page du règlement, elle se lit comme suit :

« Lorsque la cour a été ouverte par le propriétaire et que la déneigeuse passe par la suite, le rempart de neige laissé par la déneigeuse sera enlevé par le locataire.

Il est interdit de garder des animaux pour quelqu’un d’autre dans et à l’extérieur du logement.

Si le locataire désire ne pas renouveler son bail au cours des années suivantes, il s’engage à ne pas mettre de pancartes à louer à l’intérieur ni à l’extérieur, à ne pas faire d’annonces dans les journaux ou autres médias d’information, car c’est le propriétaire qui se chargera de l’annonce et ce aux frais de ce dernier.

Si le locataire connaît quelqu’un d’intéressé, il ne fait pas visiter le logement concerné mais il s’engage à fournir au propriétaire les coordonnées de ce dernier ».

[18]   Lorsqu’ils emménagent dans le logement le 1er juillet 2014, les locataires constatent que la cage d’escalier est trop petite pour y faire passer le sommier de leur lit pour le monter à l’étage. Ils n’ont d’autre choix que d’aménager leur chambre dans le salon du logement qui est situé au rez-de-chaussée, contrevenant ainsi à une des clauses du règlement de l’immeuble.

[19]   Le locateur ne nie pas les déclarations des locataires quant aux représentations qu’il a faites concernant l’escalier. Il ajoute que tous ses locataires précédents n’ont eu aucune difficulté à faire passer leurs meubles dans l’escalier.

[20]   Le 28 juin 2014, les locataires communiquent avec le locateur afin de mettre fin au bail. Ce dernier leur mentionne qu’ils doivent respecter le bail, mais qu’ils peuvent sous-louer le logement s’ils paient les frais de publicité qu’il devra engager pour relouer le logement et s’ils paient le loyer jusqu’à ce qu’un autre locataire emménage dans le logement.

[21]   Les locataires refusent la proposition du locateur. Ils sont d’avis que le règlement de l’immeuble est si abusif et si contraignant, qu’aucune autre personne ne sera intéressée à louer le logement, sans compter que le règlement de l’immeuble leur interdit de mettre un écriteau pour annoncer eux-mêmes le logement en location et de le faire visiter. Ils n’ont référé aucun cessionnaire ou sous-locataire potentiel au locateur.

[22]   Le 30 juin 2014, les locataires ont entrepris le présent recours en résiliation de bail.

[23]   Les locataires ont décrit au tribunal plusieurs différends qu’ils ont eu avec le locateur en lien avec l’application du règlement de l’immeuble dont notamment, quant à l’installation du congélateur, quant à l’interdiction d’installer une soucoupe, un air climatisé et une affiche pour annoncer le logement à louer.

[24]   Pour les locataires, il était essentiel de pouvoir installer un air climatisé et une soucoupe.

[25]   Quant au fait que le locateur entrerait dans le logement en leur absence et sans leur autorisation, ils déclarent qu’il ne s’agit que de soupçons et qu’ils n’ont aucune preuve à soumettre.

[26]   Concernant les visites du locateur sans préavis, ces visites consistent essentiellement à des visites régulières, à l’extérieur du logement et essentiellement pour l’entretien de son immeuble.

ANALYSE ET CONCLUSION

[27]   L’article 1894 du Code civil du Québec prévoit ce qui suit :

« 1894.      Le locateur est tenu, avant la conclusion du bail, de remettre au locataire, le cas échéant, un exemplaire du règlement de l'immeuble portant sur les règles relatives à la jouissance, à l'usage et à l'entretien des logements et des lieux d'usage commun. (…) »

[28]   La Cour du Québec, dans la cause de l’Office municipal d’habitation de Sept-Îles c. Hounsell[1], rappelle que l’article 1894 C.c.Q. est une disposition d’ordre public de protection et que cet article doit s’appliquer rigoureusement lors de la conclusion du premier contrat de location entre le locataire et le locateur.

[29]   La remise du règlement de l’immeuble avant la conclusion du bail est donc obligatoire et à défaut de se faire, le locataire n’est pas tenu de le respecter.

[30]   En l’espèce, la preuve non contredite révèle que le règlement de l’immeuble n’a pas été remis aux locataires avant la conclusion du bail. Par conséquent, ils ne sont pas tenus de respecter les clauses de ce règlement.


[31]   Toutefois, cela ne veut pas dire pour autant qu’il y a lieu de résilier le bail. Qu’en est-il sur ce point?

[32]   Dans l’affaire Voghel c. Marier (R.L. 2014,162622 23 20140702), le juge administratif Marc Landry résume ainsi les règles applicables en matière de validité du consentement d’une partie à un acte juridique :

« [18] Le consentement donné doit être libre et éclairé (article 1399 du Code civil du Québec). Il peut être vicié par l'erreur, la crainte ou la lésion (la lésion n'ayant pu toutefois vicier ici le consentement en vertu de l'article 1405 du Code civil du Québec, puisque la locataire n'est pas une personne protégée ou bénéficiant d'un régime de protection au sens de la loi).

[19] L'article 1400 du Code civil du Québec prévoit que l'erreur vicie le consentement lorsqu'elle porte sur la nature du contrat, sur son objet ou sur tout autre élément essentiel, sous réserve de l'erreur inexcusable.

[20] L'article 1401 du Code civil du Québec précise que l'erreur d'une partie, provoquée par le dol de l'autre partie ou à la connaissance de celle-ci, vicie le consentement dans tous les cas où, sans cela, la partie n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions différentes. Le dol peut résulter du silence ou d'une réticence. Celui dont le consentement est vicié peut invoquer la nullité du contrat (article 1407 du Code civil du Québec).

[21] Les auteurs Baudouin et Jobin définissent le dol comme suit :

« Le dol est le fait de provoquer volontairement une erreur dans l'esprit d'autrui pour le pousser à conclure le contrat ou à le conclure à des conditions différentes. »(2) »

(Les références sont omises)

[33]   En l’espèce, les locataires ont convaincu le tribunal qu’ils n’auraient jamais loué ce logement s’ils avaient pris connaissance, avant la signature du bail, des nombreuses clauses contraignantes qui y sont prévues, dont certaines, de l’avis du tribunal, sont même abusives (clause 6) ou illégales (clauses qui réduisent pratiquement à néant les possibilités pour le locataire de sous-louer son logement ou de céder son bail - voir clauses contenues à la cinquième page du règlement).

[34]   Le tribunal ne donne pas foi au témoignage du locateur lorsqu’il dit avoir expliqué les clauses du règlement aux locataires. Le tribunal retient le témoignage spontané, précis et non équivoque des locataires à l’effet que le locateur leur a mentionné qu’il s’agissait d’un règlement simple et normal sans autre détail ni précision. De plus, le locateur reconnaît qu’il ne pouvait se souvenir de toutes et chacune de ces clauses puisqu’elles sont nombreuses.

[35]   De plus, la preuve révèle que pour les locataires, il était essentiel qu’ils puissent installer un air climatisé et une soucoupe, ce que le règlement de l’immeuble interdit.

[36]   Le tribunal ne croit pas le locateur lorsqu’il déclare qu’il a donné la possibilité aux locataires, le 1er avril 2014, de ne plus louer le logement après qu’ils aient pris connaissance du règlement. Son témoignage est non crédible. Le tribunal croit plutôt qu’il a représenté aux locataires qu’ils n’avaient d’autre choix que de signer le règlement vu qu’ils avaient déjà signé le bail.

[37]   De plus, la preuve révèle qu’avant la conclusion du bail, les locataires ont questionné le locateur quant aux dimensions de l’escalier pour s’assurer qu’ils puissent monter leurs meubles à l’étage et que le locateur leur a représenté qu’il s’agissait d’un escalier de type universel. Si tel avait été le cas, les locataires auraient été en mesure de faire passer tous leurs meubles, or, tel ne fut pas le cas. Les locataires ont été obligés, vu le refus du locateur de résilier leur bail sans pénalité, d’installer leur chambre à coucher dans le salon.

[38]   Le tribunal est d’avis que les locataires n’auraient jamais loué le logement s’ils avaient connu les véritables dimensions de l’escalier, l’interdiction d’installer un climatiseur et une soucoupe, sans compter les nombreuses restrictions quant à la libre jouissance des lieux contenues au règlement de l’immeuble.

[39]   Le tribunal est d’avis que le consentement des locataires a été vicié par l’erreur, sinon par le dol du locateur, qui les a amenés à contracter sous de fausses représentations, ce qui donne lieu à la résiliation du bail.

[40]   En vertu du Tarif des frais exigibles par la Régie du logement (RLRQ, c. R-8.1, r.6), les locataires ont droit au paiement des frais engagés de 71 $ pour la production de la demande et des frais de signification de 8,50 $.

[41]   La preuve ne justifie pas d’ordonner l’exécution provisoire de la décision malgré l’appel.


POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[42]   RÉSILIE le bail;

[43]   CONDAMNE le locateur à payer aux locataires les frais judiciaires de 79,50 $;

[44]   RÉSERVE aux locataires tous leurs recours;

[45]   REJETTE la demande quant aux autres conclusions.

 

 

 

 

 

 

 

 

Sylvie Lambert

 

Présence(s) :

les locataires

le locateur

Date de l’audience :  

19 septembre 2014

 


 



[1] J.E. 95-2184 (C.Q.).

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