R. c. St-Jean |
2020 QCCS 6 |
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COUR SUPÉRIEURE (Chambre criminelle et pénale) |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-01-170772-187 |
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DATE : |
6 janvier 2020 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
DANIEL ROYER, J.C.S. |
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SA MAJESTÉ LA REINE |
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Intimée-Poursuivante |
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c. |
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WILLY JUNIOR ST-JEAN (2) |
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Requérant-Accusé |
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DUCAKIS FRANÇOIS (1) |
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Accusé |
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MOTIFS D’UN JUGEMENT SUR REQUÊTE POUR EXCLUSION DE PREUVE (Ordonnance de non-publication jusqu’au délibéré du jury) |
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[1] Willy Junior St-Jean et Ducakis François sont accusés du meurtre au 1er degré de Valery Belange.
[2] M. St-Jean conteste l’admissibilité d’une publication sur Facebook que le ministère lui impute à titre d’aveu du meurtre de la victime. Le Tribunal a exposé le dispositif de la présente décision le 16 décembre 2019, les motifs la justifiant devant être déposés ultérieurement. Les voici.
I. PREUVE
[3] Le ministère public veut présenter une preuve d’une publication sur Facebook du 15 janvier 2018, qu’elle attribue à Willy Junior St-Jean (R-1), et la même publication avec surimpression des noms de quatre des cinq personnes figurant sur la photo, dont Willy Junior St-Jean et Ducakis François (R-2), de même qu’une partie des réactions à la publication indiquant cinquante-cinq (55) likes et un adore, cette dernière réaction étant attribuée à Ducakis François (R-3).
[4] Les propos accompagnant la photo se lisent comme suit : « Its all love some brother from another mother i redrum for them #Rns cause i keep it real on everything #freal ».
[5] Pour étayer la pertinence des pièces R-1 à R-3, le ministère public a déposé également en preuve des extraits du UFED Cloud Analyser Report d’une sauvegarde des comptes Google […1]@gmail.com et [...2]@gmail.com, reliés au numéro de téléphone cellulaire 514-[…91], un extrait du registre du téléphone cellulaire 514-[…20] qu’on associe à Ducakis François et un extrait du registre du téléphone cellulaire 514-[…91] qu’on associe à Willy Junior St-Jean (R-4 à R-9).
[6] Aussi, le ministère public a produit aux fins de la requête un rapport complémentaire d’événement du 10 janvier 2018 d’une policière décrivant l’interception, en vertu du Code de la sécurité routière, de Chloé Langlois accompagnée de Ducakis François, celui-ci ayant fourni le numéro de téléphone cellulaire 438-[...84] (R-10). Enfin, la poursuite a produit sous réserve un extrait d’une entrevue policière du 3 mai 2018 avec Chloé Langlois qui démontrerait que Ducakis François était au courant depuis décembre 2017 que les policiers voulaient rencontrer Cloé Langlois relativement au meurtre de Valery Belange (R-11).
[7] L’admissibilité de cette dernière preuve a été contestée. Le Tribunal conclut qu’elle est admissible à l’encontre de Ducakis François au stade de la requête malgré sa faible valeur probante.
II. PRÉTENTIONS DES PARTIES
[8] Selon le ministère public, la preuve de la publication Facebook est pertinente à plusieurs égards. D’abord, elle serait pertinente, à titre d’aveu, à la question de l’identité de l’auteur du meurtre de Valery Belange, qui serait Willy Junior St-Jean. Ensuite, elle établirait l’état d’esprit de Willy Junior St-Jean et le mobile du meurtre, qui serait l’amour ou l’amitié de Willy Junior St-Jean envers Ducakis François dont l’épouse, Chloé Langlois, avait des relations avec la victime, selon la thèse de la poursuite. Enfin, la preuve fournirait un éclairage sur les circonstances du meurtre qui aurait été commis dans un contexte de complicité.
[9] La preuve en elle-même ne serait pas déterminante, compte tenu notamment de son imprécision, mais sa valeur probante doit être évaluée à la lumière de l’ensemble de la preuve[1]. Il appartient au jury de décider du sens des propos qui y sont relatés[2], comme le mot « redrum », et la preuve est admissible malgré que d’autres inférences que celles souhaitées par le ministère public puissent être tirées par le jury[3].
[10] La preuve serait également admissible à l’encontre de Ducakis François, à titre d’aveu récognitif, compte tenu du fait qu’il est le seul à avoir réagi en envoyant un adore, alors que les cinquante-cinq (55) autres personnes ayant réagi ont envoyé des likes. Encore une fois, c’est l’ensemble de la preuve qui donnerait une signification à cette réaction.
[11] Quant à l’effet préjudiciable associé à cette preuve, une preuve hautement incriminante ne veut pas dire qu’elle est hautement préjudiciable[4]. De plus, l’effet préjudiciable peut être fortement neutralisé par une mise en garde sur l’utilisation permise de la preuve de sorte que sa valeur probante surpasserait son effet préjudiciable[5].
[12] Pour sa part, M. St-Jean soutient que la preuve n’a aucune valeur probante sans point d’attache. La publication survient 4½ mois après les événements, elle est équivoque dans son sens et insuffisamment spécifique pour avoir une quelconque valeur probante. Aussi, la présence de plusieurs autres personnes sur la photo accompagnant les propos ajoute à l’ambiguïté de ce à quoi ils réfèrent. L’argument est appuyé sur l’arrêt Ferris où il avait été jugé qu’une déclaration incomplète au point où son sens ne pouvait pas être inféré raisonnablement est inadmissible[6]. M. St-Jean ajoute que le mot « redrum » est équivoque et il n’y a pas de connaissance d’office de sa signification[7].
[13] M. St-Jean souligne également que les propos peuvent être attribués à d’autres personnes qu’à lui compte tenu du fait qu’ils ont été publiés sur Facebook et n’ont pas une provenance sûre comme lorsqu’ils sont prononcés oralement ou dans une lettre ou un journal intime. On ne sait pas non plus si les propos sont sérieux ou écrits à la légère, jetant un doute sur leur véracité. Enfin, contrairement à ce que prétend le ministère public, la preuve ne ferait rien ressortir du mobile du meurtre, ni de son contexte de complicité, ni de l’état d’esprit de M. St-Jean.
[14] Quant à l’effet préjudiciable, il y aurait un grand danger que le jury utilise illégalement cette preuve comme preuve de propension de Willy Junior St-Jean à tuer pour ses amis. De plus, on inviterait le jury dans un raisonnement circulaire hautement spéculatif, particulièrement en ce qui concerne la signification du mot « redrum », où la preuve extérieure viendrait bonifier la publication Facebook pour conclure que M. St-Jean parlait probablement du meurtre de M. Belange, pour ensuite utiliser cette preuve pour bonifier la preuve extérieure[8].
[15] Un préjudice supplémentaire pour l’administration de la justice proviendrait du fait qu’il s’agirait d’une preuve extrêmement lourde et compliquée à administrer, de sorte qu’elle ne justifie pas son admissibilité compte tenu de sa faible valeur probante. Somme toute, on inviterait le jury dans une cascade d’inférences de sorte que la valeur probante de la preuve est largement surpassée par son effet préjudiciable.
[16] M. François se joint à M. St-Jean pour ajouter que le adore envoyé en réaction à la publication Facebook n’équivaut pas à une adoption de la véracité des propos qui y sont inclus. Cette prétention n’est que pure conjecture et il n’est pas de connaissance d’office qu’un adore signifierait l’adoption de la véracité des propos alors que les cinquante-cinq (55) likes ne voudraient rien dire.
III. ANALYSE
La preuve est admissible à l’encontre de Willy Junior St-Jean
[17] Un aveu peut être une preuve hautement probante[9]. Ici, la valeur probante de la publication Facebook est amoindrie par différents facteurs, notamment l’écoulement du temps entre l’homicide de M. Belange et la date de publication des propos et leur caractère imprécis.
[18] En l’absence de preuve que les propos pourraient être reliés à une autre affaire que l’homicide de M. Belange, l’écoulement du temps n’est pas un facteur déterminant au niveau de l’admissibilité de la preuve[10]. Une chanson plus de quatre mois après les événements[11] et des propos au téléphone interceptés dix-sept (17) mois après le meurtre[12] ont été jugés admissibles en preuve.
[19] Pour ce qui est du caractère imprécis ou équivoque des propos, il ne fait pas obstacle non plus à leur admissibilité. Des propos prononcés dans des chansons[13] ou dans un poème[14] ont été jugés admissibles en preuve malgré le danger qu’ils ne soient pas véridiques. Nous ne sommes pas dans un cas de déclaration incomplète qui rend sa signification suspecte. Le Tribunal conclut qu’il est ouvert au jury en l’espèce d’inférer des propos publiés sur Facebook qu’ils proviennent de Willy Junior St-Jean, qu’ils signifient qu’il tue pour ses amis et qu’ils réfèrent à l’homicide de M. Belange. En ce sens, ils ont une valeur probante non seulement sur la question de l’identité du tireur, mais aussi sur son état d’esprit, le mobile et le contexte de complicité de l’homicide.
[20] L’exclusion d’une preuve probante ne devrait être ordonnée que si une mise en garde au jury ne suffit pas à contenir l’effet préjudiciable de la preuve en deçà de sa valeur probante, puisqu’il faut avoir confiance que le jury appréciera raisonnablement la preuve et respectera une mise en garde sur son utilisation appropriée[15]. En définitive, la preuve de la publication sur Facebook est admissible à l’encontre de Willy Junior St-Jean dans la mesure où le jury est instruit sur l’utilisation appropriée de cette preuve.
La preuve est inadmissible à l’encontre de Ducakis François
[21] Pour qu’une preuve soit admissible à titre d’aveu récognitif, il doit exister des preuves suffisantes pour que le jury puisse inférer de façon raisonnable que l’accusé a reconnu la véracité de la déclaration. La valeur probante de la preuve doit également être supérieure à son effet préjudiciable[16].
[22] Ici, la preuve repose sur un cœur (adore) qu’aurait envoyé Ducakis François en réaction à la publication de Willy Junior St-Jean. D’une part, la publication n’incrimine pas et ne réfère pas à M. François. On ne sait pas si M. François adore la photo ou les propos publiés. Il faudrait spéculer pour conclure que M. François adopte la véracité des propos qui l’incrimineraient. D’autre part, il faudrait encore spéculer pour prétendre qu’un adore signifierait l’acceptation de la véracité des propos alors que les cinquante-cinq (55) likes ne voudraient rien dire d’incriminant. D’ailleurs, un des likes est accompagné de trois émojis portant des lunettes en forme de cœur. Cette réaction paraît au moins aussi forte que celle attribuée à M. François.
[23] Il n’y a aucun doute que même si la réaction de M. François à la publication Facebook pouvait être considérée comme une reconnaissance de la véracité de son contenu, la valeur probante de cette preuve est tellement faible qu’elle est nécessairement surpassée par son effet préjudiciable. La preuve n’est pas admissible à l’encontre de M. François.
IV. CONCLUSION
[24] Pour plus de précision relativement au dispositif du jugement déjà exposé aux parties, les pièces R-1 et R-2 de la requête sont admissibles comme preuve à charge contre Willy Junior St-Jean, mais inopposables à Ducakis François. Par contre, la pièce R-3 n’est pas admissible car elle est inopposable à Willy Junior St-Jean et ne constitue qu’une preuve spéculative à l’encontre de Ducakis François sans valeur probante.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[25] ACCUEILLE partiellement la requête pour exclusion de preuve;
[26] DÉCLARE admissible la preuve des écrits publiés sur Facebook à l’encontre de Willy Junior St-Jean;
[27] DÉCLARE inadmissible la preuve des écrits publiés sur Facebook à l’encontre de Ducakis François;
[28] DÉCLARE nécessaire qu’une mise en garde soit donnée au jury sur l’utilisation permise de cette preuve.
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__________________________________DANIEL ROYER, j.c.s. |
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Me Gabriel Bérubé-Bouchard Me Maxime Chevalier |
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Procureurs du Requérant-Accusé Willy Junior St-Jean |
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Me Marion Burelle Me Noémi Tellier |
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Procureurs de l’Accusé Ducakis François |
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Me Matthew Ferguson |
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Me Pierre-Olivier Bolduc |
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Procureurs aux poursuites criminelles et pénales |
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Procureurs de l’Intimée-Poursuivante |
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Date d’audience : |
12 décembre 2019 |
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[1] R. c. Terry, [1996] 2 R.C.S. 207, paragr. 29.
[2] R. c. Subramaniam, 2015 QCCS 6369, paragr. 8.
[3] R. v. Skeete, 2017 ONCA 926, paragr. 145 et 165.
[4] R. c. Subramaniam, supra, note 2, paragr. 14.
[5] R. c. Terry, supra, note 1, paragr. 30; R. v. Skeete, supra, note 3, paragr. 192 et 195; R. v. Hamilton, 2011 ONCA 399, paragr. 222 et 223.
[6] R. v. Ferris, 1994 ABCA 20, paragr. 17, confirmé par R. c. Ferris, [1994] 3 R.C.S. 756.
[7] R. c. Find, 2001 CSC 32, [2001] 1 R.C.S. 863, paragr. 48.
[8] R. v. Ferris, supra, note 6, paragr. 27.
[9] R. c. Subramaniam, supra, note 2, paragr. 7.
[10] Ibid., paragr. 10 et 11.
[11] R. v. Hamilton, supra, note 5, paragr. 10, 219, 222 et 223.
[12] R. c. Subramaniam, supra, note 2, paragr. 10 et 11.
[13] R. v. Skeete, supra, note 3, paragr. 45, 119 et 120; R. v. Hamilton, supra, note 5, paragr. 10, 219, 222 et 223.
[14] R. c. Terry, supra, note 1, paragr. 5 et 30.
[15] R. c. White, 2011 CSC 13, [2011] 1 R.C.S. 433, paragr. 33, 54, 56 et 60.
[16] R. v. Tanasichuk (2007), 227 C.C.C. (3d) 446 (C.A.N.-B.), paragr. 110.
AVIS :
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