Trépanier c. Bonraisin |
2016 QCCA 1738 |
COUR D'APPEL
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
No : |
500-09-026204-164 |
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(500-17-066007-116) |
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PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE |
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DATE : |
Le 24 octobre 2016 |
CORAM : LES HONORABLES |
MARTIN VAUCLAIR, J.C.A. |
APPELANTS |
AVOCATE |
LORRAINE TRÉPANIER PIERRE BÉDARD
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Me JOSÉE DAVIDSON (absente) (Cain Lamarre)
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INTIMÉS |
AVOCAT |
GUY BONRAISIN STÉPHANIE LOISELLE
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Me RICHARD LETENDRE (absent) (Dufour, Mottet Avocats, s.e.n.c.r.l.)
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MISE EN CAUSE |
AVOCAT |
AGENCE DU REVENU DU QUÉBEC
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En appel d'un jugement rendu le 9 juin 2016 par l'honorable Francine Nantel de la Cour supérieure, district de Montréal. |
DESCRIPTION : |
Requête des appelants pour obtenir la suspension de l’instance(Article
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Greffier d'audience : Robert Osadchuck |
Salle : Pierre-Basile-Mignault |
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AUDITION |
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15 h 06 |
Début de l’audition. |
15 h 06 |
Les parties ont été dispensées de leur présence puisqu’il y a absence de contestation à la requête. |
15 h 07 |
Arrêt - voir page 3. |
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Robert Osadchuck |
Greffier d'audience |
PAR LA COUR
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ARRÊT |
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[1] Pour les motifs qui seront déposés ultérieurement;
[2] Vu l’absence de contestation;
LA COUR :
[3] ACCUEILLE la requête pour obtenir la suspension d’instance;
[4] SUSPEND les procédures d’appel et les délais jusqu’au jugement de la Cour supérieure sur la demande de rétractation de jugement rendu le 9 juin 2016 dans le dossier 500-17-066007-116;
[5] ORDONNE à la partie appelante de se conformer aux délais habituels à compter de la date du jugement de la Cour supérieure sur la demande de rétractation de jugement rendu le 9 juin 2016 dans le dossier 500-17-066007-116;
[6] Sans frais de justice, vu l’absence de contestation.
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MARTIN VAUCLAIR, J.C.A. |
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JEAN-FRANÇOIS ÉMOND, J.C.A. |
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ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A. |
[1] Le 24 octobre 2016, avec le consentement des parties, la Cour accueillait la demande de suspension de l’appel et annonçait que les motifs seraient déposés ultérieurement : 2016 QCCA 1738.
[2] Comme il sera maintenant expliqué, le juge d'appel peut, tout comme la Cour, suspendre un appel lorsque le sort de celui-ci risque d’être conditionné par le résultat de procédures en première instance, celles-ci pouvant être de nature à rendre l'appel théorique ou à rendre le dossier d'appel plus complet.
*
[3] Les appelants demandent la suspension de l’instance d’appel dans l’attente du résultat d’une demande de rétractation de jugement qu’ils ont entreprise et qui doit être entendue par la Cour supérieure le 26 octobre 2016.
[4]
Cette demande de suspension a été présentée au juge Nicholas Kasirer
qui, le 9 septembre 2016, l’a déférée à une formation afin de préciser la
compétence du juge unique, ou du juge d’appel pour utiliser le langage du Code
de procédure civile :
[5] Comme le constate le juge Kasirer, cette question est importante, car les juges d’appel ne se sont jamais reconnu cette compétence.
[6]
Il note que, sous l’ancien Code de procédure civile (« a.C.p.c. »),
différents juges opinaient que la suspension d’un appel relevait de la
compétence de la Cour : Moisan c. Standard Paper Box (SPB Canada inc.),
[7]
Dans la décision Moisan c. Standard Paper Box (SPB Canada inc.),
[8] Le juge Dalphond y résume succinctement ce que le juge d’appel peut faire à l’égard de cette demande. Affirmant que seule la Cour a compétence pour suspendre l’appel, il décide que le juge d’appel peut cependant recourir aux articles 4.2 et 508.2 a.C.p.c. et, en s’autorisant de ceux-ci, il conclut que le juge d’appel peut gérer les échéances et les documents à produire (art. 508.2 a.C.p.c.) de manière à éviter le gaspillage des ressources judiciaires et les frais inutiles pour les parties (art. 4.2 a.C.p.c.). Sans suspendre l’appel, il reporte donc les échéances au-delà de la date identifiée par les parties et à laquelle se révélerait la nature théorique du pourvoi afin qu’elles puissent agir en conséquence.
[9]
Cette décision a été suivie par deux autres juges de la Cour. D’abord
dans Martin-Bédard c. Axa Assurances inc.,
[10]
Puis la juge St-Pierre, dans l’affaire Labrene c. Paquette,
St-Pierre se déclare sans compétence pour suspendre l'appel, mais reporte les
échéances et l’audition. Une formation de la Cour a suspendu le déroulement de
l’appel jusqu’au jugement sur les requêtes qui étaient présentées le 7 avril
2014 :
[11]
Comme le note le juge Kasirer, la Cour a souvent accepté de suspendre un
appel. Dans l’affaire 9256-7197 Québec inc. c. 9177-0255 Québec inc.,
[16] Une pareille
suspension pour permettre la présentation d’une requête en rétractation de
jugement en première instance n'est pas une première. Voir Amusements
Victoriaville inc. c. 2731-9359 Québec inc.,
[12]
En effet, la suspension de l’appel pour permettre une procédure utile en
première instance n’est pas nouvelle. Les appelants soumettent deux décisions
moins récentes qui le confirment : Stormont general Contractors Ltd. c.
Foley Brothers Ltd,
[13]
On consultera également divers arrêts plus récents qui suspendent
l’appel dans l’attente de réponses à des questions qui méritent l’attention de
la Cour de première instance, essentiellement pour permettre une procédure en
rétractation de jugement : Gestion Denis Chesnel inc. c. Syndicat des
copropriétaires du Domaine Eden Phase I,
[14] Sans surprise, comme mentionné, il est dans l’intérêt de la justice de suspendre l’appel lorsque le sort de celui-ci peut dépendre du résultat de procédures en première instance, lesquelles peuvent être de nature à rendre l’appel théorique ou à rendre le dossier d’appel plus complet. Aussi, le pouvoir de la Cour d’ordonner une suspension de l’appel n’est pas en cause; la question est de savoir si le juge d’appel peut faire de même.
[15]
Dans la présente affaire, usant de prudence, le juge Kasirer préfère que
la Cour réponde à l’insistance des appelants de reconnaître au juge d’appel le
pouvoir de suspendre l'appel, avec pour assises les articles
[16]
L’alinéa 2 de l’article
[17]
Il est vrai que la suspension de l’appel est un incident dans la
progression du pourvoi et que la procédure civile permet, dans certaines
situations, à un tribunal d’en laisser un autre exercer sa compétence afin
d’éviter les dédoublements ou simplement assurer une saine gestion de
l’instance. Si l’article
[18]
Ajoutons que l’article
[19]
Le Code de procédure civile reconnaît par ailleurs le pouvoir à
un juge de la Cour de suspendre un appel pour favoriser l’examen global d’une
question dont une partie doit encore être décidée par un tribunal d’instance.
En effet, le troisième alinéa de l’article
[20] On pourrait opposer cet article aux efforts de rechercher, dans un autre contexte, le pouvoir implicite de suspendre l’appel. Après tout, le législateur ayant prévu spécifiquement le cas d’une suspension d’appel par un juge d’appel, on peut croire qu’il lui a sciemment refusé ce même pouvoir dans les autres cas. À titre d’exemple, le législateur ne l’a pas prévu lorsque survient une scission d’instance alors que des motifs impérieux peuvent aussi commander de réunir l’appel d’un jugement sur la faute et celui portant sur les dommages. L’argument a du poids, mais pour les motifs expliqués ci-après, il doit céder devant l’intention claire du législateur de laisser aux tribunaux et aux juges la possibilité de pourvoir aux cas où la loi n’a pas prévu de solution et à la philosophie du Code de procédure civile de favoriser l’efficacité et l’efficience de la procédure en limitant les coûts pour les parties et les ressources judiciaires.
[21]
Il y a lieu de s’arrêter un instant à l’article
Code de procédure civile |
Ancien Code de procédure civile
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49. Les tribunaux et les juges, tant en première instance qu’en appel, ont tous les pouvoirs nécessaires à l’exercice de leur compétence.
Ils peuvent, à tout moment et en toutes matières, prononcer, même d’office, des injonctions, des ordonnances de protection ou des ordonnances de sauvegarde des droits des parties, pour le temps et aux conditions qu’ils déterminent. De plus, ils peuvent rendre les ordonnances appropriées pour pourvoir aux cas où la loi n’a pas prévu de solution. 2014, c. 1, a. 49; 2016, c. 12, a. 18 |
46. Les tribunaux et les juges ont tous les pouvoirs nécessaires à l’exercice de leur compétence.
Ils peuvent, en tout temps et en toutes matières, tant en première instance qu’en appel, prononcer des ordonnances de sauvegarde des droits des parties, pour le temps et aux conditions qu’ils déterminent. De plus, ils peuvent, dans les affaires dont ils sont saisis, prononcer, même d’office, des injonctions ou des réprimandes, supprimer des écrits ou les déclarer calomnieux, et rendre toutes ordonnances appropriées pour pourvoir aux cas où la loi n’a pas prévu de remède spécifique. 1965 (1re sess.), c. 80, a. 46; 1992, c. 57, a. 422; 2002, c. 7, a. 7. |
49. The courts and judges, both in first instance and in appeal, have all the powers necessary to exercise their jurisdiction.
They may, at any time and in all matters, even on their own initiative, grant injunctions or issue protection orders or orders to safeguard the parties’ rights for the period and subject to the conditions they determine. As well, they may make such orders as are appropriate to deal with situations for which no solution is provided by law. 2014, c. 1, a. 49; 2016, c. 12, s. 18 |
46. The courts and judges have all the powers necessary for the exercise of their jurisdiction.
They may, at any time and in all matters, whether in first instance or in appeal, issue orders to safeguard the rights of the parties, for such time and on such conditions as they may determine. As well, they may, in the matters brought before them, even on their own initiative, issue injunctions or reprimands, suppress writings or declare them libellous, and make such orders as are appropriate to deal with cases for which no specific remedy is provided by law. 1965 (1st/ sess.), c. 80, a. 46; 2002, c. 7, s. 7. |
[22]
L’article
[23]
L’arrêt 9045-6740 Québec inc. c. 9049-6902 Québec inc.,
[24] Étant d’avis que sa compétence s’exerce à trois juges ou plus (art. 513 a.C.p.c.), la Cour conclut que seule la loi octroie au juge d’appel la compétence d’agir en certaines matières.
[25] Sur le lien entre l’article 46 a.C.p.c. et les pouvoirs du juge d’appel, la Cour écrit :
[7] L'article
[8] Ainsi, l'autorisation
de pourvoi d'un jugement interlocutoire est attribuée à un juge de la Cour.
Cela signifie qu'il peut, à compter du moment où il est saisi de la requête et
jusqu'au jugement qu'il prononcera, assumer tous les pouvoirs nécessaires à
l'exercice de cette compétence, y compris, lorsque cela s'avérera nécessaire,
l'émission d'une ordonnance visant à sauvegarder les droits des parties pendant
la durée de son délibéré. Toutefois, dès qu'il a statué et décidé du sort
des procédures selon l'article
[9] De plus, l'article
(Soulignage ajouté)
[26]
Ce passage rappelle qu’il faut rechercher dans les textes législatifs le
pouvoir qu’on demande au juge d’appel d’exercer : Lac d'Amiante du
Québec Ltée c. 2858-0702 Québec Inc.,
[27]
Avec le nouveau Code de procédure civile, le débat soulevé par
l’arrêt 9045-6740 Québec inc. c. 9049-6902 Québec inc. trouve aujourd’hui
sa réponse à l’article
[28] La suspension de l’appel pourrait donc être vue comme une ordonnance de sauvegarde. Par contre, la demande de suspension de l’appel est moins de la nature d’une sauvegarde d’un droit que la volonté de laisser place à l’aboutissement d’une démarche ou d’une procédure utile en première instance avant d’entreprendre l’appel.
[29]
Devant ces situations, les juges d’appels ont utilisé leur compétence
reconnue pour fixer les délais, les échéances et la date de l’audition de
l’appel. Comme mentionné, ce détour est inutile, mais il demeure l’expression
d’une solution très connexe à la suspension de l’appel, soit des pouvoirs
auxiliaires, accessoires ou complémentaires à l'exercice de cette compétence
que peut conférer l’article
[30]
À l’article
[31]
Ce faisant, le juge d’appel ne s’attribue aucun « autre »
pouvoir : Lac d'Amiante du Québec Ltée c. 2858-0702 Québec Inc.,
[32] La suspension de l’appel coule alors de la même source, de la même compétence déjà octroyée au juge d’appel de se saisir d’incident ou d’adapter les délais et les échéanciers selon les circonstances.
[33] Aussi, le principe important dégagé par l’arrêt 9045-6740 Québec inc. c. 9049-6902 Québec inc. et voulant que le juge d’appel ne puisse exercer que la compétence que lui attribue la loi trouve application. Dans cette affaire, la Cour conclut qu’une fois l’appel autorisé, le juge d’appel devenait functus officio. Puisqu’il ne pouvait être sollicité de manière autonome pour prononcer une mesure de sauvegarde, l’article 46 a.C.p.c. ne lui était d’aucun secours.
[34]
Or, sous le nouveau Code de procédure civile, il est clair qu’une
partie peut solliciter un juge d’appel afin qu’il tranche un incident, une
demande incidente ou toute question relative aux échéanciers. La suspension
d’appel s’inscrit naturellement dans ces compétences, l’article
[35] La suspension de l’appel n’est qu’une forme différente de la solution appliquée par les juges d’appel jusqu’à ce jour, soit de reporter les échéances dans la poursuite de l'appel après la date du dénouement anticipé de la procédure en première instance. Cette dernière solution est cependant imparfaite puisqu’elle laisse le dossier d’appel « actif ». En théorie, les parties pourraient encore solliciter la Cour ou un juge d’appel pendant que se poursuit la procédure en première instance, au risque de créer des chevauchements inutiles. En suspendant l’appel accompagné d’un terme, la procédure d’appel cesse temporairement. Cette solution est préférable.
[36] Ce constat est en quelque sorte conforté par la possibilité qu’offre la procédure civile, lorsque l’intérêt de la justice l’exige, de suspendre une instance au profit d’une autre afin de limiter les coûts, tant pour les parties que pour le système de justice aux ressources limitées.
[37]
Dans d’autres situations, ce n’est pas le risque d’un appel théorique
qui est en jeu, mais l’utilité pour l’appel lui-même de vider toutes les
questions en première instance. La Cour conclut en ce sens, dans le cadre d’une
scission d’instance, dans l’arrêt Droit de la famille - 161983,
[28] Si l’appel d’un jugement rendu sur le fond d’une instance scindée est maintenant sujet à un appel immédiat, cela ne signifie pas pour autant qu’un tel appel doive, dans tous les cas, se dérouler ou être entendu avant le jugement mettant fin à l’instance. Suivant les circonstances propres à chaque espèce, et considérant les larges pouvoirs de gestion dévolus au juge d’appel (art. 367 n.C.p.c.), il n’est pas exclu que celui-ci puisse, après avoir accordé la permission demandée, suspendre le déroulement de l’appel jusqu’au jugement mettant fin à l’instance s’il lui paraît que la justice serait ainsi mieux servie.
[38] À n’en pas douter, il y a une logique à limiter le va-et-vient entre les tribunaux de première instance et la Cour d’appel. Une culture judiciaire basée sur l’efficience et l’économie des ressources judiciaires préconisées par le législateur avec le nouveau Code de procédure civile milite contre les appels prématurés lorsque des procédures utiles non seulement à l’appel, mais aux intérêts de la justice, peuvent et devraient d’abord se terminer en première instance.
[39] Les exemples sont nombreux en matière d’appel interlocutoire où les juges d’appel refusent la permission pour que le fond du litige soit d’abord tranché, permettant ainsi à la Cour d’appel de se pencher sur l’ensemble des questions. Ceci est bénéfique, en principe, tant pour les parties que pour les fins de la justice.
[40]
L’analyse n’est pas sans rappeler le pouvoir de la Cour supérieure,
qu’elle puise à l’article
[41] Le préambule du Code de procédure civile nous rappelle d’ailleurs l’importance à accorder à l’accessibilité, à la qualité et à la célérité de la justice civile par l’application juste, simple, proportionnée et économique de la procédure.
[42] Par conséquent, tant le juge d’appel que la Cour peuvent suspendre l’appel. Il serait hasardeux de tenter de prévoir toutes les situations qui commanderont la suspension de l’appel. Il s’agit d’une décision importante, prise avant tout dans l’intérêt de la justice. De manière générale, les juges constateront le peu d’avantages des va-et-vient entre la première instance et la Cour d’appel et préconiseront de terminer l’affaire au fond avant d’entreprendre l’appel sur le tout. Par ailleurs, il se présentera des cas où les efforts et les coûts nécessaires pour préparer le dossier d’appel risquent de devenir inutiles ou disproportionnés en raison de démarches sérieuses et susceptibles de résoudre l’appel. Cela dit, le juge d’appel peut déférer la demande à une formation lorsqu’il l’estime préférable.
[43] C’est donc avec le consentement des parties et tenant compte des circonstances particulières de l’affaire que la Cour a, le 24 octobre 2016, accueillie la requête afin de suspendre les procédures d’appel et les délais d’appel jusqu’à ce que la décision de la Cour supérieure portant sur une demande de rétractation visant le jugement porté en appel soit rendue. Pour les motifs qui sont exposés précédemment, ces ordonnances de la Cour auraient tout aussi bien pu être prononcées par un juge d’appel.
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MARTIN VAUCLAIR, J.C.A. |
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JEAN-FRANÇOIS ÉMOND, J.C.A. |
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ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A. |
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Me Josée Davidson |
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CAIN LAMARRE |
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Pour les appelants |
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Me Richard Letendre |
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DUFOUR, MOTTET AVOCATS |
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Pour les intimés |
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Date d’audience : |
Le 24 octobre 2016 |
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