Trépanier c. Bonraisin

2016 QCCA 1738

 

COUR D'APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE MONTRÉAL

 

N:

500-09-026204-164

 

(500-17-066007-116)

 

 

PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE

 

 

DATE :

Le 24 octobre 2016

 

CORAM :  LES HONORABLES

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

JEAN-FRANÇOIS ÉMOND, J.C.A.

ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

 

APPELANTS

AVOCATE

 

LORRAINE TRÉPANIER

PIERRE BÉDARD

 

 

Me JOSÉE DAVIDSON

(absente)

(Cain Lamarre)

 

INTIMÉS

AVOCAT

 

GUY BONRAISIN

STÉPHANIE LOISELLE

 

 

Me RICHARD LETENDRE

(absent)

(Dufour, Mottet Avocats, s.e.n.c.r.l.)

 

MISE EN CAUSE

AVOCAT

 

AGENCE DU REVENU DU QUÉBEC

 

 

 

 

 

En appel d'un jugement rendu le 9 juin 2016 par l'honorable Francine Nantel de la Cour supérieure, district de Montréal.

 

 

DESCRIPTION :

 
Requête des appelants pour obtenir la suspension de l’instance
(Article 377 C.p.c.)

 

Greffier d'audience : Robert Osadchuck

Salle : Pierre-Basile-Mignault

 

 

 

AUDITION

 

 

15 h 06

Début de l’audition.

15 h 06

Les parties ont été dispensées de leur présence puisqu’il y a absence de contestation à la requête.

15 h 07

Arrêt - voir page 3.

 

 

 

Robert Osadchuck

Greffier d'audience

 


PAR LA COUR

 

 

ARRÊT

 

 

[1]   Pour les motifs qui seront déposés ultérieurement;

[2]   Vu l’absence de contestation;

LA COUR :

[3]   ACCUEILLE la requête pour obtenir la suspension d’instance;

[4]   SUSPEND les procédures d’appel et les délais jusqu’au jugement de la Cour supérieure sur la demande de rétractation de jugement rendu le 9 juin 2016 dans le dossier 500-17-066007-116;

[5]   ORDONNE à la partie appelante de se conformer aux délais habituels à compter de la date du jugement de la Cour supérieure sur la demande de rétractation de jugement rendu le 9 juin 2016 dans le dossier 500-17-066007-116;

[6]   Sans frais de justice, vu l’absence de contestation.

 

 

 

 

 

MARTIN VAUCLAIR,     J.C.A.

 

 

 

JEAN-FRANÇOIS ÉMOND,     J.C.A.

 

 

 

ROBERT M. MAINVILLE,     J.C.A.

 


Trépanier c. Bonraisin

2016 QCCA 1738

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-026204-164

(500-17-066007-116)

 

DATE :

 Le 2 mai 2017

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

JEAN-FRANÇOIS ÉMOND, J.C.A.

ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

 

 

LORRAINE TRÉPANIER

PIERRE BÉDARD

APPELANTS - Demandeurs

c.

 

GUY BONRAISIN

STÉPHANIE LOISELLE

INTIMÉS - Défendeurs

et

AGENCE DU REVENU DU QUÉBEC

MISE EN CAUSE - Mise en cause

 

 

MOTIFS D’UN ARRÊT RENDU SÉANCE TENANTE

LE 24 OCTOBRE 2016

 

 

[1]           Le 24 octobre 2016, avec le consentement des parties, la Cour accueillait la demande de suspension de l’appel et annonçait que les motifs seraient déposés ultérieurement : 2016 QCCA 1738.

[2]           Comme il sera maintenant expliqué, le juge d'appel peut, tout comme la Cour, suspendre un appel lorsque le sort de celui-ci risque d’être conditionné par le résultat de procédures en première instance, celles-ci pouvant être de nature à rendre l'appel théorique ou à rendre le dossier d'appel plus complet.

*

[3]           Les appelants demandent la suspension de l’instance d’appel dans l’attente du résultat d’une demande de rétractation de jugement qu’ils ont entreprise et qui doit être entendue par la Cour supérieure le 26 octobre 2016.

[4]           Cette demande de suspension a été présentée au juge Nicholas Kasirer qui, le 9 septembre 2016, l’a déférée à une formation afin de préciser la compétence du juge unique, ou du juge d’appel pour utiliser le langage du Code de procédure civile : 2016 QCCA 1431.

[5]           Comme le constate le juge Kasirer, cette question est importante, car les juges d’appel ne se sont jamais reconnu cette compétence.

[6]           Il note que, sous l’ancien Code de procédure civile (« a.C.p.c. »), différents juges opinaient que la suspension d’un appel relevait de la compétence de la Cour : Moisan c. Standard Paper Box (SPB Canada inc.), 2007 QCCA 942 (Dalphond, j.c.a.); Martin-Bédard c. Axa Assurances inc., 2007 QCCA 1485 (Pelletier, j.c.a.); Labrene c. Paquette, 2013 QCCA 2125 (St-Pierre, j.c.a.).

[7]           Dans la décision Moisan c. Standard Paper Box (SPB Canada inc.), 2007 QCCA 942, le juge Dalphond était saisi d’une demande de suspension de l’appel formé à l’encontre d’un jugement interlocutoire de la Cour supérieure rejetant une requête pour l’accès à des documents comptables. Les parties convenaient devant lui que les documents recherchés deviendraient probablement accessibles avant qu’un appel puisse être entendu. Sans la suspension de l’appel, les parties devraient consacrer du temps et des frais à sa préparation alors qu’il risquait de devenir théorique.

[8]           Le juge Dalphond y résume succinctement ce que le juge d’appel peut faire à l’égard de cette demande. Affirmant que seule la Cour a compétence pour suspendre l’appel, il décide que le juge d’appel peut cependant recourir aux articles 4.2 et 508.2 a.C.p.c. et, en s’autorisant de ceux-ci, il conclut que le juge d’appel peut gérer les échéances et les documents à produire (art. 508.2 a.C.p.c.) de manière à éviter le gaspillage des ressources judiciaires et les frais inutiles pour les parties (art. 4.2 a.C.p.c.). Sans suspendre l’appel, il reporte donc les échéances au-delà de la date identifiée par les parties et à laquelle se révélerait la nature théorique du pourvoi afin qu’elles puissent agir en conséquence.

[9]           Cette décision a été suivie par deux autres juges de la Cour. D’abord dans Martin-Bédard c. Axa Assurances inc., 2007 QCCA 1485 où les parties étaient placées, de façon similaire à la présente affaire, devant le choix d’une procédure en rétractation de jugement ou l’appel. Le juge Pelletier suit la voie empruntée par le juge Dalphond, mais défère en plus la requête devant la Cour pour obtenir la suspension. Cette dernière énonce prudemment que la suspension requise ne peut être sans limites et suspend l'appel jusqu'au prononcé du jugement de la Cour supérieure sur la requête en rétractation de jugement : 2007 QCCA 1746.

[10]        Puis la juge St-Pierre, dans l’affaire Labrene c. Paquette, 2013 QCCA 2125, applique la même solution. Il s’agissait d’un appel d’une condamnation à des dommages qui risquait de se compliquer avec une faillite possible de l’appelant-débiteur. Considérant les coûts que représentait la poursuite des procédures d’appel, notamment la transcription des notes sténographiques d’un procès de cinq jours, l’appelante a demandé à la juge St-Pierre de suspendre l’appel dans l’attente d’une clarification de la situation. S’appuyant sur la décision du juge Dalphond, la juge
St-Pierre se déclare sans compétence pour suspendre l'appel, mais reporte les échéances et l’audition. Une formation de la Cour a suspendu le déroulement de l’appel jusqu’au jugement sur les requêtes qui étaient présentées le 7 avril 2014 : 2014 QCCA 366. À cette date, elle a constaté la faillite et a accueilli une requête en rejet d'appel : 2014 QCCA 759.

[11]        Comme le note le juge Kasirer, la Cour a souvent accepté de suspendre un appel. Dans l’affaire 9256-7197 Québec inc. c. 9177-0255 Québec inc., 2015 QCCA 428, la Cour écrit, au par. 16 :

[16] Une pareille suspension pour permettre la présentation d’une requête en rétractation de jugement en première instance n'est pas une première. Voir Amusements Victoriaville inc. c. 2731-9359 Québec inc., 2008 QCCA 878 (CanLII) et Martin-Bédard c. Axa Assurances inc., 2008 QCCA 2316 (CanLII).

[12]        En effet, la suspension de l’appel pour permettre une procédure utile en première instance n’est pas nouvelle. Les appelants soumettent deux décisions moins récentes qui le confirment : Stormont general Contractors Ltd. c. Foley Brothers Ltd, (1966) B.R. 257 et Desjardins c. Marcotte, [1944] B.R. 303.

[13]        On consultera également divers arrêts plus récents qui suspendent l’appel dans l’attente de réponses à des questions qui méritent l’attention de la Cour de première instance, essentiellement pour permettre une procédure en rétractation de jugement : Gestion Denis Chesnel inc. c. Syndicat des copropriétaires du Domaine Eden Phase I, 2015 QCCA 1659; Construction GCP inc. c. Gestion de construction LGGC inc., 2013 QCCA 518; Adoption - 1240, 2012 QCCA 1260; Lampert c. Van Duyse, 2011 QCCA 259; Les ressources informatiques Quantum Ltée c. Hôpital Royal Victoria, 1994 CanLII 10947 (C.A.Q.).

[14]        Sans surprise, comme mentionné, il est dans l’intérêt de la justice de suspendre l’appel lorsque le sort de celui-ci peut dépendre du résultat de procédures en première instance, lesquelles peuvent être de nature à rendre l’appel théorique ou à rendre le dossier d’appel plus complet. Aussi, le pouvoir de la Cour d’ordonner une suspension de l’appel n’est pas en cause; la question est de savoir si le juge d’appel peut faire de même.

[15]        Dans la présente affaire, usant de prudence, le juge Kasirer préfère que la Cour réponde à l’insistance des appelants de reconnaître au juge d’appel le pouvoir de suspendre l'appel, avec pour assises les articles 49 et 378 C.p.c.

[16]        L’alinéa 2 de l’article 378 C.p.c. prévoit la compétence du juge d’appel pour décider seul de toutes les demandes incidentes, autres que celles touchant le fond. Parmi ces incidents qui figurent au Titre II du Livre II se trouve l’article 212 C.p.c. qui permet à la Cour du Québec de suspendre une instance en faveur de la Cour supérieure. Bien qu’un tel incident ne soit pas à sa face même applicable en appel, on peut y voir une analogie.

[17]        Il est vrai que la suspension de l’appel est un incident dans la progression du pourvoi et que la procédure civile permet, dans certaines situations, à un tribunal d’en laisser un autre exercer sa compétence afin d’éviter les dédoublements ou simplement assurer une saine gestion de l’instance. Si l’article 378 C.p.c. ne le prévoit pas spécifiquement, l’article 49 peut suppléer au manque de précision.

[18]        Ajoutons que l’article 367 C.p.c. permet au juge d’appel, d’office ou à la demande des parties, de modifier les délais prévus par le Code de procédure civile pour le dépôt des documents une fois l’appel formé. En reportant ce dépôt à des dates éloignées, les juges d’appel ont donc de facto accordé les demandes de suspension d’appel. Ce procédé, ingénieux, n’est pas nécessaire.

[19]        Le Code de procédure civile reconnaît par ailleurs le pouvoir à un juge de la Cour de suspendre un appel pour favoriser l’examen global d’une question dont une partie doit encore être décidée par un tribunal d’instance. En effet, le troisième alinéa de l’article 363 C.p.c., anciennement l’article 510.1, permet à un juge d’appel de le faire dans le cas où le jugement attaqué réserve au demandeur le droit de réclamer des dommages-intérêts additionnels en réparation d’un préjudice corporel. La suspension est alors accordée lorsque des motifs impérieux commandent de réunir l’appel de ce jugement et celui portant sur la demande de dommages-intérêts additionnels.

[20]        On pourrait opposer cet article aux efforts de rechercher, dans un autre contexte, le pouvoir implicite de suspendre l’appel. Après tout, le législateur ayant prévu spécifiquement le cas d’une suspension d’appel par un juge d’appel, on peut croire qu’il lui a sciemment refusé ce même pouvoir dans les autres cas. À titre d’exemple, le législateur ne l’a pas prévu lorsque survient une scission d’instance alors que des motifs impérieux peuvent aussi commander de réunir l’appel d’un jugement sur la faute et celui portant sur les dommages. L’argument a du poids, mais pour les motifs expliqués ci-après, il doit céder devant l’intention claire du législateur de laisser aux tribunaux et aux juges la possibilité de pourvoir aux cas où la loi n’a pas prévu de solution et à la philosophie du Code de procédure civile de favoriser l’efficacité et l’efficience de la procédure en limitant les coûts pour les parties et les ressources judiciaires.

[21]        Il y a lieu de s’arrêter un instant à l’article 49 C.p.c. et à sa contrepartie sous l’ancien Code :

Code de procédure civile

Ancien Code de procédure civile

 

49. Les tribunaux et les juges, tant en première instance qu’en appel, ont tous les pouvoirs nécessaires à l’exercice de leur compétence.

 

Ils peuvent, à tout moment et en toutes matières, prononcer, même d’office, des injonctions, des ordonnances de protection ou des ordonnances de sauvegarde des droits des parties, pour le temps et aux conditions qu’ils déterminent. De plus, ils peuvent rendre les ordonnances appropriées pour pourvoir aux cas où la loi n’a pas prévu de solution.

2014, c. 1, a. 49; 2016, c. 12, a. 18

46. Les tribunaux et les juges ont tous les pouvoirs nécessaires à l’exercice de leur compétence.

 

Ils peuvent, en tout temps et en toutes matières, tant en première instance qu’en appel, prononcer des ordonnances de sauvegarde des droits des parties, pour le temps et aux conditions qu’ils déterminent. De plus, ils peuvent, dans les affaires dont ils sont saisis, prononcer, même d’office, des injonctions ou des réprimandes, supprimer des écrits ou les déclarer calomnieux, et rendre toutes ordonnances appropriées pour pourvoir aux cas où la loi n’a pas prévu de remède spécifique.

1965 (1re sess.), c. 80, a. 46; 1992, c. 57, a. 422; 2002, c. 7, a. 7.

 

49. The courts and judges, both in first instance and in appeal, have all the powers necessary to exercise their jurisdiction.

 

They may, at any time and in all matters, even on their own initiative, grant injunctions or issue protection orders or orders to safeguard the parties’ rights for the period and subject to the conditions they determine. As well, they may make such orders as are appropriate to deal with situations for which no solution is provided by law.

2014, c. 1, a. 49; 2016, c. 12, s. 18

 

46. The courts and judges have all the powers necessary for the exercise of their jurisdiction.

 

 

They may, at any time and in all matters, whether in first instance or in appeal, issue orders to safeguard the rights of the parties, for such time and on such conditions as they may determine. As well, they may, in the matters brought before them, even on their own initiative, issue injunctions or reprimands, suppress writings or declare them libellous, and make such orders as are appropriate to deal with cases for which no specific remedy is provided by law.

1965 (1st/ sess.), c. 80, a. 46; 2002, c. 7, s. 7.

[22]        L’article 49 C.p.c. reprend essentiellement le droit antérieur qu’énonçait l’article 46 a.C.p.c. : voir notamment LESCOP, Raphaël, Le grand collectif - Code de procédure civile : Commentaires et annotations, Volume 1 (Articles 1 à 390), L. Chamberland (dir.), 2015.

[23]        L’arrêt 9045-6740 Québec inc. c. 9049-6902 Québec inc., 2003 CanLII 34383 (C.A.Q.) analyse la portée de l’article 46 a.C.p.c., nouveau à l’époque, et détermine qu’il n’accorde pas au juge d’appel le pouvoir de prononcer des ordonnances de sauvegarde. Dans cette affaire, le litige tournait autour du respect d’une clause de non-concurrence. Au moment d’autoriser l’appel et en s’inspirant du nouvel article 46 C.p.c, le juge d’appel avait émis une ordonnance de sauvegarde en faveur de l'appelante relativement à l’exécution de certaines obligations par l’intimée.

[24]        Étant d’avis que sa compétence s’exerce à trois juges ou plus (art. 513 a.C.p.c.), la Cour conclut que seule la loi octroie au juge d’appel la compétence d’agir en certaines matières.

[25]         Sur le lien entre l’article 46 a.C.p.c. et les pouvoirs du juge d’appel, la Cour écrit :

[7] L'article 46 C.p.c. reconnaît aux tribunaux et aux juges l'exercice de tous les pouvoirs nécessaires à l'exercice de leur compétence. Le deuxième paragraphe précise l'étendue et la portée de ces pouvoirs qui doivent cependant toujours s'inscrire à l'intérieur de la compétence conférée au juge ou au tribunal. Or, la compétence d'un juge de la Cour est limitée à celle expressément attribuée par la loi.

[8] Ainsi, l'autorisation de pourvoi d'un jugement interlocutoire est attribuée à un juge de la Cour. Cela signifie qu'il peut, à compter du moment où il est saisi de la requête et jusqu'au jugement qu'il prononcera, assumer tous les pouvoirs nécessaires à l'exercice de cette compétence, y compris, lorsque cela s'avérera nécessaire, l'émission d'une ordonnance visant à sauvegarder les droits des parties pendant la durée de son délibéré. Toutefois, dès qu'il a statué et décidé du sort des procédures selon l'article 511 C.p.c., il devient functus officio. Il ne peut donc s'autoriser de la permission qu'il vient d'accorder pour ensuite se saisir d'une autre requête à moins que la loi ne pourvoie expressément à sa compétence à statuer sur ce deuxième remède, quel qu'il soit, recherché par l'une ou l'autre des parties maintenant engagées dans un appel; l'article 46 ne confère que des pouvoirs auxiliaires, accessoires ou complémentaires à l'exercice de la compétence. Ainsi, l'ordonnance de sauvegarde des droits des parties pendant l'appel, c'est-à-dire à compter de l'autorisation du pourvoi jusqu'à l'arrêt de la Cour sur le fond, n'est pas un accessoire de la demande d'autorisation de pourvoi, mais de l'appel lui-même.

[9] De plus, l'article 46 C.p.c., tel que formulé, ne donne pas compétence à un juge seul d'émettre une ordonnance de sauvegarde lorsque l'appel s'exerce de plein droit; le texte de l'article 46 C.p.c. ne crée pas une nouvelle compétence, mais décrit plutôt la portée ou l'étendue de la compétence déjà définie. Or, aucune autre disposition du Code de procédure civile ne confère une compétence au juge seul d'émettre une ordonnance de sauvegarde. Dès lors, il serait étonnant que le législateur ait voulu que le juge seul puisse émettre une ordonnance de sauvegarde lorsqu'il accueille une requête d'autorisation de pourvoi et qu'il soit privé de cette compétence lorsque l'appel est logé de plein droit.

(Soulignage ajouté)

[26]        Ce passage rappelle qu’il faut rechercher dans les textes législatifs le pouvoir qu’on demande au juge d’appel d’exercer : Lac d'Amiante du Québec Ltée c. 2858-0702 Québec Inc., [2001] 2 R.C.S. 743, par. 39. L’article 46 a.C.p.c. consacre les pouvoirs accessoires des tribunaux et des juges afin de régler les situations qui ne sont pas prévues par la loi ou par les règlements de procédure, bien qu’ils n’aient « qu’une fonction subsidiaire ou interstitielle dans la définition du contenu de la procédure québécoise » : Lac d'Amiante du Québec Ltée c. 2858-0702 Québec Inc., [2001] 2 R.C.S. 743, par. 37.

[27]        Avec le nouveau Code de procédure civile, le débat soulevé par l’arrêt 9045-6740 Québec inc. c. 9049-6902 Québec inc. trouve aujourd’hui sa réponse à l’article 379 C.p.c. qui prévoit désormais que le « juge d’appel peut rendre une ordonnance de sauvegarde / appellate judge may issue a safeguard order » lorsque l’appel est formé.

[28]        La suspension de l’appel pourrait donc être vue comme une ordonnance de sauvegarde. Par contre, la demande de suspension de l’appel est moins de la nature d’une sauvegarde d’un droit que la volonté de laisser place à l’aboutissement d’une démarche ou d’une procédure utile en première instance avant d’entreprendre l’appel.

[29]        Devant ces situations, les juges d’appels ont utilisé leur compétence reconnue pour fixer les délais, les échéances et la date de l’audition de l’appel. Comme mentionné, ce détour est inutile, mais il demeure l’expression d’une solution très connexe à la suspension de l’appel, soit des pouvoirs auxiliaires, accessoires ou complémentaires à l'exercice de cette compétence que peut conférer l’article 49 C.p.c.

[30]        À l’article 378 C.p.c. le législateur attribue expressément au juge d’appel une « compétence pour décider seul de toutes les demandes incidentes, à l’exclusion de celles touchant le fond ». En interprétant cette compétence en conjonction avec l’article 49 C.p.c., le juge d’appel peut se saisir et décider d’une demande de suspension d’appel qui est de la nature d’un incident.

[31]        Ce faisant, le juge d’appel ne s’attribue aucun « autre » pouvoir : Lac d'Amiante du Québec Ltée c. 2858-0702 Québec Inc., [2001] 2 R.C.S. 743, par. 37. Il ne fait qu’adapter sa compétence déjà reconnue pour répondre à des cas très particuliers, non prévus par la loi.

[32]        La suspension de l’appel coule alors de la même source, de la même compétence déjà octroyée au juge d’appel de se saisir d’incident ou d’adapter les délais et les échéanciers selon les circonstances.

[33]        Aussi, le principe important dégagé par l’arrêt 9045-6740 Québec inc. c. 9049-6902 Québec inc. et voulant que le juge d’appel ne puisse exercer que la compétence que lui attribue la loi trouve application. Dans cette affaire, la Cour conclut qu’une fois l’appel autorisé, le juge d’appel devenait functus officio. Puisqu’il ne pouvait être sollicité de manière autonome pour prononcer une mesure de sauvegarde, l’article 46 a.C.p.c. ne lui était d’aucun secours.

[34]        Or, sous le nouveau Code de procédure civile, il est clair qu’une partie peut solliciter un juge d’appel afin qu’il tranche un incident, une demande incidente ou toute question relative aux échéanciers. La suspension d’appel s’inscrit naturellement dans ces compétences, l’article 49 C.p.c. venant en appui aux pouvoirs accordés par la loi.

[35]        La suspension de l’appel n’est qu’une forme différente de la solution appliquée par les juges d’appel jusqu’à ce jour, soit de reporter les échéances dans la poursuite de l'appel après la date du dénouement anticipé de la procédure en première instance. Cette dernière solution est cependant imparfaite puisqu’elle laisse le dossier d’appel « actif ». En théorie, les parties pourraient encore solliciter la Cour ou un juge d’appel pendant que se poursuit la procédure en première instance, au risque de créer des chevauchements inutiles. En suspendant l’appel accompagné d’un terme, la procédure d’appel cesse temporairement. Cette solution est préférable.

[36]        Ce constat est en quelque sorte conforté par la possibilité qu’offre la procédure civile, lorsque l’intérêt de la justice l’exige, de suspendre une instance au profit d’une autre afin de limiter les coûts, tant pour les parties que pour le système de justice aux ressources limitées.

[37]        Dans d’autres situations, ce n’est pas le risque d’un appel théorique qui est en jeu, mais l’utilité pour l’appel lui-même de vider toutes les questions en première instance. La Cour conclut en ce sens, dans le cadre d’une scission d’instance, dans l’arrêt Droit de la famille - 161983, 2016 QCCA 1314, au par. 28, alors qu’elle suggère au passage que le juge d’appel est compétent pour suspendre l’appel :

[28] Si l’appel d’un jugement rendu sur le fond d’une instance scindée est maintenant sujet à un appel immédiat, cela ne signifie pas pour autant qu’un tel appel doive, dans tous les cas, se dérouler ou être entendu avant le jugement mettant fin à l’instance. Suivant les circonstances propres à chaque espèce, et considérant les larges pouvoirs de gestion dévolus au juge d’appel (art. 367 n.C.p.c.), il n’est pas exclu que celui-ci puisse, après avoir accordé la permission demandée, suspendre le déroulement de l’appel jusqu’au jugement mettant fin à l’instance s’il lui paraît que la justice serait ainsi mieux servie.

[38]        À n’en pas douter, il y a une logique à limiter le va-et-vient entre les tribunaux de première instance et la Cour d’appel. Une culture judiciaire basée sur l’efficience et l’économie des ressources judiciaires préconisées par le législateur avec le nouveau Code de procédure civile milite contre les appels prématurés lorsque des procédures utiles non seulement à l’appel, mais aux intérêts de la justice, peuvent et devraient d’abord se terminer en première instance.

[39]        Les exemples sont nombreux en matière d’appel interlocutoire où les juges d’appel refusent la permission pour que le fond du litige soit d’abord tranché, permettant ainsi à la Cour d’appel de se pencher sur l’ensemble des questions. Ceci est bénéfique, en principe, tant pour les parties que pour les fins de la justice.

[40]        L’analyse n’est pas sans rappeler le pouvoir de la Cour supérieure, qu’elle puise à l’article 49 C.p.c., de suspendre ses procédures s’il est dans l'intérêt de la justice de le faire. Ce pouvoir participe à l’utilisation judicieuse des ressources limitées du système de justice et à limiter les coûts pour les parties : Mulroney c. Schreiber, 2009 QCCA 116; Luc Chamberland (dir.), Le grand collectif, vol. 1, (« art. 1 à 390 »), Cowansville, Yvon Blais, 2016, aux pages 360 et 374; Denis Ferland et Benoit Emery, Précis de procédure civile du Québec, vol. 1, « art. 1-301, 321-324 C.p.c. », Cowansville, Yvon Blais, 2015, aux pages 192-193.

[41]        Le préambule du Code de procédure civile nous rappelle d’ailleurs l’importance à accorder à l’accessibilité, à la qualité et à la célérité de la justice civile par l’application juste, simple, proportionnée et économique de la procédure.

[42]        Par conséquent, tant le juge d’appel que la Cour peuvent suspendre l’appel. Il serait hasardeux de tenter de prévoir toutes les situations qui commanderont la suspension de l’appel. Il s’agit d’une décision importante, prise avant tout dans l’intérêt de la justice. De manière générale, les juges constateront le peu d’avantages des va-et-vient entre la première instance et la Cour d’appel et préconiseront de terminer l’affaire au fond avant d’entreprendre l’appel sur le tout. Par ailleurs, il se présentera des cas où les efforts et les coûts nécessaires pour préparer le dossier d’appel risquent de devenir  inutiles ou disproportionnés en raison de démarches sérieuses et susceptibles de résoudre l’appel. Cela dit, le juge d’appel peut déférer la demande à une formation lorsqu’il l’estime préférable.

[43]        C’est donc avec le consentement des parties et tenant compte des circonstances particulières de l’affaire que la Cour a, le 24 octobre 2016, accueillie la requête afin de suspendre les procédures d’appel et les délais d’appel jusqu’à ce que la décision de la Cour supérieure portant sur une demande de rétractation visant le jugement porté en appel soit rendue. Pour les motifs qui sont exposés précédemment, ces ordonnances de la Cour auraient tout aussi bien pu être prononcées par un juge d’appel.

 

 

 

 

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

 

 

 

 

JEAN-FRANÇOIS ÉMOND, J.C.A.

 

 

 

 

 

ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

 

Me Josée Davidson

CAIN LAMARRE

Pour les appelants

 

Me Richard Letendre

DUFOUR, MOTTET AVOCATS

Pour les intimés

 

Date d’audience :

Le 24 octobre 2016

 

 

AVIS :
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