Rajotte-Lemay c. Lajeunesse |
2019 QCCQ 3274 |
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COUR DU QUÉBEC |
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
LABELLE |
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LOCALITÉ DE |
MONT-LAURIER |
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« Chambre civile » |
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N° : |
560-32-700146-182 |
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DATE : |
30 avril 2019 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
PATRICK CHOQUETTE J.C.Q. |
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ÉLIE RAJOTTE-LEMAY |
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Partie demanderesse |
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c. |
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ÉRIC LAJEUNESSE |
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Partie défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] Élie Rajotte-Lemay demande l’annulation de la vente d’un bateau de plaisance de l’année 1998 acheté d’Éric Lajeunesse, qui opère un commerce de vente de bateaux et motomarines usagés.
[2] Éric Lajeunesse conteste la demande puisqu’il a exécuté les réparations requises le demandeur.
a) Le bateau est-il affligé d’une problématique justifiant l’annulation de la vente?
b) Quels sont les dommages subis par Élie Rajotte-Lemay le cas échéant?
[3] Élie Rajotte-Lemay veut acquérir un bateau de plaisance usagé pour en profiter durant l’été 2018.
[4] Il retient de ses recherches deux modèles qu’il ira voir le 26 mai 2018. Son choix se porte sur le bateau Sea Ray Bow Rider 1998, mis en vente par Éric Lajeunesse.
[5] À cet égard, il est mis en confiance par l’essai du bateau et les représentations d’Éric Lajeunesse; il achète d’un commerçant et en cas de problème, il ne le laissera pas tomber. Monsieur Lajeunesse lui mentionne que le bateau a été inspecté par ses mécaniciens et qu’il est en très bon état.
[6] Élie Rajotte-Lemay est accompagné de son beau-père, Monsieur René Lampron, mécanicien de carrière, qui est également satisfait de l’essai du bateau.
[7] La vente est conclue pour 8 000 $ et l’achat d’une toile de protection à 150 $.
[8] Le 3 juin 2018, Élie Rajotte-Lemay procède à la mise à l’eau du bateau. Il remarque que l’alternateur ne recharge pas la batterie et, en ouvrant le compartiment moteur, constate la présence d’eau dans la cale.
[9] Afin d’y voir plus clair, il allume la lumière de son téléphone portable et déclenche l’appareil photographique pour visualiser cet endroit qui n’est pas accessible par ailleurs.
[10] Il a la très désagréable surprise de constater que le moteur est fendu et qu’une réparation semble avoir été tentée avec silicone et peinture.
[11] Élie Rajotte-Lemay contacte immédiatement Éric Lajeunesse pour lui communiquer l’état du moteur. Monsieur Lajeunesse n’hésite pas et lui demande de rapporter le bateau afin qu’il procède au remplacement du moteur.
[12] Le 5 juin 2018, le demandeur[1] rapporte le bateau à Éric Lajeunesse. Il comprend que Monsieur Lajeunesse installera un moteur réusiné de 5.7 litres.[2]
[13] Éric Lajeunesse se met à la recherche d’un moteur qu’il obtient d’un particulier au prix de 1 800 $.
[14] Élie Rajotte-Lemay suit à distance l’installation du moteur et demande à Éric Lajeunesse de lui faire parvenir des photographies du moteur et de l’avancement des travaux.
[15] Les travaux de remplacement du moteur n’avancent pas au rythme souhaité par le demandeur. Plusieurs ajustements doivent être effectués incluant la commande de pièces pour permettre les raccordements nécessaires.
[16] Le 7 juillet 2018, Élie Rajotte-Lemay reprend possession du bateau. Il constate que le pied du moteur a été changé et qu’il ne semble pas en aussi bonne condition que le précédent.
[17] Lors du procès, Éric Lajeunesse explique que ce changement de pied est nécessaire afin de respecter le ratio de puissance du moteur.
[18] Le demandeur est incapable de démarrer le bateau lors de sa remise à l’eau le 7 juillet; après vérification, il constate que les bougies sont mouillées et que les cylindres sont remplis d’eau. Il en avise Éric Lajeunesse qui lui donne la marche à suivre pour remettre le bateau en marche.
[19] Élie Rajotte-Lemay parvient enfin à faire démarrer le bateau; le moteur toussote, s’éteint par intermittence et cogne. René Lampron l’accompagne également lors de cette remise à l’eau et conclut que ce moteur «est fini».
[20] Le demandeur en avise Éric Lajeunesse. Monsieur Rajotte-Lemay veut être remboursé. Le défendeur fait remorquer le bateau à son établissement pour évaluer la situation.
[21] Après avoir désassemblé le moteur, Éric Lajeunesse constate que la tête du moteur est très usée, situation qui semble avoir été masquée par une tentative de remise en état.
[22] Il complète les réparations du moteur et en avise Élie Rajotte-Lemay qui vient constater l’état du bateau le 24 août 2018, accompagné de Monsieur René Lampron.
[23] Lors de la remise en marche du moteur, le demandeur entend à nouveau les cognements provenant de la base du moteur. René Lampron avise Éric Lajeunesse : ce type de cognement révèle un problème majeur et le moteur est en fin de vie utile.
[24] Élie Rajotte-Lemay a également la confirmation que le moteur 5.7 litres n’était pas un moteur réusiné mais un moteur usagé, ce que Monsieur Lajeunesse a admis.
[25] Élie Rajotte-Lemay perd complètement confiance aux capacités du défendeur de lui livrer un bateau en bon état de fonctionnement et l’avise qu’il entreprendra des procédures en annulation. Avoir connu l’état véritable du bateau, Élie Rajotte-Lemay ne l’aurait pas acheté; s’en est d’ailleurs la fin de l’aventure de navigation plaisance.
[26] Le bateau est toujours en possession du défendeur depuis le 13 juillet 2018.
[27] Éric Lajeunesse explique qu’il ignorait que le moteur original était fendu, ce que ni lui ni le demandeur ne pouvait visualiser en raison de la configuration du compartiment moteur.
[28] Il veut honorer ses obligations envers Élie Rajotte-Lemay en remplaçant le moteur par un moteur 5.7 litres usagés dont le vendeur lui avait représenté la bonne condition et état de marche.
[29] Éric Lajeunesse explique qu’il a été floué par ce vendeur contre lequel il est lui-même en démarche d’expertise et procédures.
[30] Jusqu’à ce que Monsieur Élie Rajotte-Lemay dépose des procédures, son intention était de lui donner satisfaction en installant un autre moteur sur le bateau.
[31] Dans l’éventualité d’une condamnation, le défendeur demande un délai au Tribunal, son commerce étant saisonnier, afin de générer un fonds de roulement lui permettant de réparer le bateau et le mettre en vente pour rembourser le demandeur.
[32] Cette réclamation doit être étudiée en fonction des dispositions suivantes du Code civil du Québec relativement à la garantie de qualité :
1726. Le vendeur est tenu de garantir à l’acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l’usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l’acheteur ne l’aurait pas acheté, ou n’aurait pas donné si haut prix, s’il les avait connus.
Il n’est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l’acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert.
1727. Lorsque le bien périt en raison d’un vice caché qui existait lors de la vente, la perte échoit au vendeur, lequel est tenu à la restitution du prix; si la perte résulte d’une force majeure ou est due à la faute de l’acheteur, ce dernier doit déduire, du montant de sa réclamation, la valeur du bien, dans l’état où il se trouvait lors de la perte.
1728. Si le vendeur connaissait le vice caché ou ne pouvait l’ignorer, il est tenu, outre la restitution du prix, de réparer le préjudice subi par l’acheteur.
1729. En cas de vente par un vendeur professionnel, l’existence d’un vice au moment de la vente est présumée, lorsque le mauvais fonctionnement du bien ou sa détérioration survient prématurément par rapport à des biens identiques ou de mêmes espèces; cette présomption est repoussée si le défaut est dû à une mauvaise utilisation du bien par l’acheteur.
1730. Sont également tenus à la garantie du vendeur, le fabricant, toute personne qui fait la distribution du bien sous son nom ou comme étant son bien et tout fournisseur du bien, notamment le grossiste et l’importateur.
1731. La vente faite sous contrôle de justice ne donne lieu à aucune obligation de garantie de qualité du bien vendu.
1732. Les parties peuvent, dans leur contrat, ajouter aux obligations de la garantie légale, en diminuer les effets, ou l’exclure entièrement, mais le vendeur ne peut, en aucun cas, se dégager de ses faits personnels.
1733. Le vendeur ne peut exclure ni limiter sa responsabilité s’il n’a pas révélé les vices qu’il connaissait ou ne pouvait ignorer et qui affectent le droit de propriété ou la qualité du bien.
Cette règle reçoit exception lorsque l’acheteur achète à ses risques et périls d’un vendeur non professionnel.
[33] Et des dispositions suivantes de la Loi sur la protection du consommateur[3] (LPC) :
34. La présente section s’applique au contrat de vente ou de louage de biens et au contrat de service.
35. Une garantie prévue par la présente loi n’a pas pour effet d’empêcher le commerçant ou le fabricant d’offrir une garantie plus avantageuse pour le consommateur.
36. Dans le cas d’un bien qui fait l’objet d’un contrat, le commerçant qui transfère la propriété du bien à un consommateur doit libérer ce bien de tout droit appartenant à un tiers, ou déclarer ce droit lors de la vente. Il est tenu de purger le bien de toute sûreté, même déclarée, à moins que le consommateur n’ait assumé la dette ainsi garantie.
37. Un bien qui fait l’objet d’un contrat doit être tel qu’il puisse servir à l’usage auquel il est normalement destiné.
38. Un bien qui fait l’objet d’un contrat doit être tel qu’il puisse servir à un usage normal pendant une durée raisonnable, eu égard à son prix, aux dispositions du contrat et aux conditions d’utilisation du bien.
53. Le consommateur qui a contracté avec un commerçant a le droit d’exercer directement contre le commerçant ou contre le fabricant un recours fondé sur un vice caché du bien qui a fait l’objet du contrat, sauf si le consommateur pouvait déceler ce vice par un examen ordinaire.
Il en est ainsi pour le défaut d’indications nécessaires à la protection de l’utilisateur contre un risque ou un danger dont il ne pouvait lui-même se rendre compte.
Ni le commerçant, ni le fabricant ne peuvent alléguer le fait qu’ils ignoraient ce vice ou ce défaut.
Le recours contre le fabricant peut être exercé par un consommateur acquéreur subséquent du bien.
[34]
Ces dispositions allègent le fardeau du consommateur qui n’est pas tenu
de faire une preuve directe d’un vice caché, mais que le bien n’a pas servi
pendant une durée raisonnable considérant les critères énumérés à l’article
261. On ne peut déroger à la présente loi par une convention particulière.
262. À moins qu’il n’en soit prévu autrement dans la présente loi, le consommateur ne peut renoncer à un droit que lui confère la présente loi.
263. Malgré l’article
272. Si le commerçant ou le fabricant manque à une obligation que lui impose la présente loi, un règlement ou un engagement volontaire souscrit en vertu de l’article 314 ou dont l’application a été étendue par un décret pris en vertu de l’article 315.1, le consommateur, sous réserve des autres recours prévus par la présente loi, peut demander, selon le cas:
a) l’exécution de l’obligation;
b) l’autorisation de la faire exécuter aux frais du commerçant ou du fabricant;
c) la réduction de son obligation;
d) la résiliation du contrat;
e) la résolution du contrat; ou
f) la nullité du contrat,
sans préjudice de sa demande en dommages-intérêts dans tous les cas. Il peut également demander des dommages-intérêts punitifs.
[35]
Dans un arrêt récent de la Cour d’appel du Québec[4],
on y explique que pour les contrats de consommation, les articles
[36] Pour bénéficier de la présomption de responsabilité découlant de ses articles, le consommateur doit donc satisfaire les deux conditions suivantes :
1. Qu’il a acquis le bien d’un commerçant;
2. Que le bien n’a pas servi à l’usage auquel il est normalement destiné ou n’a pas servi à un usage normal pendant une durée raisonnable eu égard au prix, aux dispositions du contrat et aux conditions d’utilisation du bien.[5]
[37] Le premier élément de la condition s’applique puisqu’Éric Lajeunesse est un commerçant assujetti à la LPC.
[38] Quant à la deuxième condition, les problèmes relatifs au moteur du bateau se sont manifestés dès la mise à l’eau le 3 juin 2018. Même s’il s’agit d’un bateau de l’année 1998, le bris d’un moteur n’est pas acceptable à sa première utilisation d’autant plus que le vendeur a représenté le bateau comme étant en très bon état suite à l’inspection mécanique.
[39] Éric Lajeunesse ne conteste d’ailleurs pas que le premier moteur tout comme le second n’était pas en état de fonctionnement; le premier moteur était fendu et le second était un moteur usagé en fin de vie utile.
[40] D’ailleurs, Monsieur Lajeunesse a fait expertiser le moteur 5.7 litres dont la tête était usée et corrodée ce qui explique la présence d’eau dans les cylindres.
[41] Quant aux cognements, René Lampron mécanicien de carrière, connaît ce type de mécanique depuis les années 1970; il est catégorique; le cognement entendu à la base du moteur signifie que le moteur n’est plus fonctionnel et qu’il rendra l’âme très prochainement.
[42] Le Tribunal ne doute pas de la bonne foi de Monsieur Lajeunesse qui est lui-même en procédure contre le vendeur moteur de 5.7 litres, mais cela ne l’exonère pas de la responsabilité prévue à la loi.
[43] Les tentatives de réparation et les longs délais pour tenter d’y parvenir ont rompu le lien de confiance et le demandeur n’a pas à faire les frais d’une troisième tentative.
[44] Élie Rajotte-Lemay est en droit d’obtenir l’annulation de la vente et le remboursement du prix payé de 8 000 $ ainsi que de la toile de protection de 150 $.
[45] Il a également perdu une journée et demie de travail les 5 juin et 24 août pour lesquelles il peut être compensé du salaire perdu soit 506,87 $.
[46] Le demandeur demande également à être indemnisé pour la perte de jouissance du bateau dont il n’a pu profiter durant l’été 2018. Il a raison. Il s’y était préparé et avait acquis aussi d’autres accessoires équipant le bateau. Sa déception est tangible. Le Tribunal accorde le montant réclamé de 1 000 $.
[47] Le Tribunal accorde également 375 $ pour le remboursement de la prime d’assurance payée en marge de la responsabilité civile pour la navigation de plaisance. En l’absence de pièces justificatives probantes, le Tribunal ne peut faire droit aux demandes de remboursement d’essence ni de droit de mise à l’eau.
[48] Le total des sommes auxquelles le demandeur a droit est de 10 031,87 $.
[49]
Tel que lui autorise l’article
[50] Selon la preuve retenue, le défendeur n’aurait pas les moyens d’acquitter une condamnation dans les délais usuels ce qui ne semble être à l’avantage d’aucune des deux parties.
[51] Monsieur Lajeunesse explique qu’il procédera à l’installation d’un autre moteur dans le bateau pour le remettre en vente. Il ne pourra procéder à la vente sans en aviser le demandeur qui demeure inscrit au certificat d’immatriculation et devra au préalable, avoir satisfait au jugement en capital, intérêts et frais. Le jugement d’annulation de la vente prendra effet immédiatement sur paiement du jugement de sorte que la vente envisagée sera conclue par le défendeur à titre de propriétaire.
[52] Dans l’intervalle, Éric Lajeunesse demeure en possession du bateau à ses risques et périls et doit être entreposé et entretenu à ses frais.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[53] ACCUEILLE en partie la demande;
[54]
CONDAMNE Éric Lajeunesse à payer à Élie Rajotte-Lemay la somme de
10 031,87 $ avec intérêt au taux légal et l’indemnité additionnelle
de l’article
[55] CONDAMNE Éric Lajeunesse au paiement des frais judiciaires limités à la somme de 202 $ représentant les droits de greffe quant au dépôt de la demande;
[56] CONDAMNE Éric Lajeunesse au paiement des frais de poste recommandée de 12,87 $;
[57] ANNULE la vente du bateau Sea Ray Bow Rider 1998 conclue le 26 mai 2018;
[58] SUSPEND l’exécution du jugement jusqu’au 24 septembre 2019 ou jusqu’à la vente du bateau par Éric Lajeunesse, selon la 1ère des deux éventualités;
[59] DÉCLARE que le bateau est en possession d’Éric Lajeunesse, à ses risques et périls, et doit être entreposé et entretenu à ses frais.
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__________________________________ Patrick Choquette, J.C.Q. |
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Date d’audience : |
16 avril 2019 |
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[1] La référence au patronyme des parties ou aux termes partie demanderesse/partie défenderesse a pour seul but d’alléger le texte et ne doit pas être considérée comme une marque de discourtoisie.
[2] L’actuel moteur est d’une capacité de 5 litres.
[3] RLRQ, c. P-40.1.
[4] CNH Industrial Canada Ltd. c. Promutuel Verchères, société mutuelle d’assurances générales, 2017 QCCA 154.
[5] Renaud c. Auto Jean Yan, 2017 QCCQ 2403.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.