Transport Medicar inc. c. Commission des transports du Québec |
2016 QCCS 95 |
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JB3984 (Chambre civile) |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-092056-152 |
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DATE : |
8 JANVIER 2016 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
GUYLÈNE BEAUGÉ, J.C.S. |
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TRANSPORT MEDICAR INC. |
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Demanderesse |
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c. |
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COMMISSION DES TRANSPORTS DU QUÉBEC |
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Défenderesse |
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-et- |
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AMBUS LEMANS INC. |
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-et- |
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TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU QUÉBEC |
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Mis en cause |
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JUGEMENT |
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INTRODUCTION
[1] Le 22 décembre 2015, Transport Medicar inc. (MEDICAR) intente une requête introductive d'instance en révision judiciaire d'une décision du Tribunal administratif du Québec. Le même jour, elle institue une requête en sursis de cette même décision.
[
[3]
Les parties admettent que la requête en sursis ne se retrouve pas au Ncpc.
Toutefois, le sursis et l'injonction interlocutoire s'avérant des redressements
de même nature répondant aux mêmes critères[1],
le Tribunal analysera la demande de Medicar sous l'angle de ce dernier remède
prévu à l'article
CONTEXTE
[4] La Loi sur le transport[2] (la LOI) régit le transport médical et adapté. Le législateur confère à la Commission des transports du Québec (la CTQ) le pouvoir de délivrer un permis d'exploitation à une entreprise qui respecte les conditions prévues à la Loi et au Règlement sur le transport par autobus[3] (RTA). Émis pour une durée déterminée, un permis peut être renouvelé avant échéance à la suite d'une demande du titulaire adressée à la CTQ.
[5] Ambus Lemans inc. (Ambus) œuvre dans le secteur du transport médical et adapté depuis plus de 20 ans. Le 19 janvier 2015, son permis d'exploitation expire, car elle a omis d'en demander le renouvellement à temps. Avisée de ce fait par les services de contrôle routier du Québec, Ambus dépose à la CTQ une demande de permis temporaire, qui lui est refusée. Elle produit également une nouvelle demande de permis de transport par autobus, catégorie 7 (minibus ou autobus aménagé pour le transport de personnes handicapées), pour une durée de 5 ans. En effet, elle n'est pas admissible à la simple demande de renouvellement en raison de l'expiration de son ancien permis. Conséquemment, une audience publique devant la CTQ s'impose.
[6] Le dépôt de la demande d'Ambus suscite l'opposition de Medicar, une concurrente qui fait affaires depuis plus de 40 ans. Entreprise d'importance dans cette industrie, ses permis de transport couvrent plusieurs régions administratives du Québec. Elle domine notamment 75 % du marché dans la grande région de Montréal.
[7] L'audience devant la CTQ se déroule sur trois jours en avril et mai 2015. Le 10 juillet, la CTQ rejette la demande de permis d'Ambus[4] au motif qu'elle ne satisfait pas tous les critères énoncés à la réglementation applicable.
[8] Ambus conteste cette décision devant le Tribunal administratif du Québec (TAQ). Celui-ci estime que la CTQ a commis une erreur de droit et de fait déterminante dans sa qualification des véhicules d'Ambus donnant ouverture à réévaluation. Puis, procédant à analyser la preuve administrée devant la CTQ en regard des critères de délivrance d'un permis de transport énoncés à l'article 12 RTA, le TAQ détermine qu'Ambus les satisfait. En conséquence, le 8 décembre 2015, il infirme la décision de la CTQ et lui retourne le dossier pour l'émission d'un permis de transport de catégorie 7, pour une durée de 5 ans.
[9] Le 22 décembre 2015, la CTQ informe les avocats de Medicar qu'à défaut d'obtenir une ordonnance de sursis à l'égard de la décision du TAQ, elle délivrera le permis à Ambus malgré la requête en révision judiciaire. D'où la présente demande de sursis (ou injonction interlocutoire) de Medicar.
QUESTION EN LITIGE
[10] Le Tribunal doit-il accorder le remède recherché?
ANALYSE
[11] Au stade de l’injonction interlocutoire, le Tribunal doit vérifier si la partie demanderesse paraît avoir droit à l'ordonnance recherchée, ou autrement dit, si elle détient un droit sérieux à faire valoir. Cet exercice consiste à déterminer, selon une approche globale, si prima facie les faits allégués lui permettent de voir son droit reconnu par le jugement final. Dans l'affirmative, le Tribunal décide si l'émission de l'injonction interlocutoire constitue une mesure nécessaire pour éviter à la partie demanderesse un préjudice sérieux ou irréparable, soit une situation de fait ou de droit de nature à rendre le jugement final inefficace. En cas de droit douteux, le Tribunal examine également la balance des inconvénients.
· L'apparence de droit
[12] La contestation d'une décision de la CTQ obéit aux articles 51 et 53 LT :
51. Toute décision de la Commission peut être contestée devant le Tribunal administratif du Québec par la personne qui y est visée, un opposant ou le procureur général, dans les 30 jours qui suivent la date à laquelle la décision a pris effet.
53. Le Tribunal ne peut, à moins d'une erreur de droit ou d'une erreur de fait déterminante dans la décision contestée, réévaluer l'appréciation que la Commission a faite des principes, critères ou facteurs discrétionnaires dont elle devait tenir compte pour prendre sa décision.
[13] En outre, l'article 15 de la Loi sur la justice administrative[5] énonce les pouvoirs du TAQ saisi d'une telle contestation :
15. Le Tribunal a le pouvoir de décider toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.
Lorsqu'il s'agit de la contestation d'une décision, il peut confirmer, modifier ou infirmer la décision contestée et, s'il y a lieu, rendre la décision qui, à son avis, aurait dû être prise en premier lieu.
[14] Essentiellement, Medicar soutient que le TAQ a erré en faits et en droit en réévaluant l'appréciation de la preuve à laquelle s'est livrée la CTQ en regard des critères de l'article 12 RTA. Elle ajoute que ce faisant, le TAQ a usurpé la compétence de la CTQ, organisme spécialisé chargé de déterminer si un demandeur de permis de transport répond à tous les critères édictés au RTA.
[15] Ambus rétorque que la CTQ ayant commis une erreur de droit et de fait déterminante dans la qualification de ses véhicules, la réévaluation par le TAQ de sa demande de permis en regard des critères de l'article 12 RTA se trouvait justifiée.
[16] L'article 12 RTA se lit comme suit :
12. La Commission délivre un permis de transport par autobus à une personne qui lui en fait la demande lorsqu'elle estime que celle-ci satisfait aux critères suivants:
1° cette personne possède des connaissances ou une expérience pertinentes à l'exercice compétent de l'activité pour laquelle elle demande ce permis;
2° cette personne présente des assises financières suffisantes pour assurer l'implantation et la viabilité de son entreprise;
3° cette personne peut disposer des ressources humaines et matérielles suffisantes pour administrer et gérer avec efficacité son entreprise;
4° les services pour lesquels cette personne demande ce permis répondent aux besoins de la clientèle ou de la population du territoire desservi, selon le cas;
5° les revenus projetés sont suffisants pour assurer la rentabilité des services pour lesquels cette personne demande ce permis;
6° la délivrance du permis demandé par cette personne n'est pas susceptible d'entraîner la disparition de tout autre service de transport par autobus ou d'en affecter sensiblement la qualité.
[…]
[17] Après analyse, le TAQ conclut que la CTQ commet une erreur mixte de fait et de droit déterminante lorsqu'elle qualifie les véhicules d'Ambus de fourgonnettes plutôt que de minibus au sens de la législation et de la réglementation applicables. Il s'autorise donc de cette erreur pour se livrer à l'exercice de déterminer si les facteurs de l'article 12 RTQ sont satisfaits.
[18] Or, Medicar qui incidemment concède que le TAQ pouvait revoir la qualification des véhicules d'Ambus, soulève néanmoins que la réévaluation des critères par le TAQ s'avère inadéquat. Elle fait valoir que peu importe leur nature, les véhicules d'Ambus doivent présenter certaines qualités, et leur utilisation se faire dans des conditions bien précises. Elle cite à cet égard la détermination factuelle de la CTQ :
[137] Qui plus est, le rapport de vérification avant départ déposé lors de l'audience n'est pas conforme à la règlementation applicable, ne comportant pas tous les éléments devant être vérifiés à savoir l'éclairage et la signalisation et il en est de même avec la feuille de route déposée lors de l'audience, le cycle utilisé par l'entreprise n'y étant pas inscrit. [6]
[19] À première vue, le TAQ semble ignorer cette étape de l'analyse lorsqu'il ordonne à la CTQ de délivrer le permis de transport convoité. En effet, même s'il fallait considérer que la CTQ s'est trompée en qualifiant les véhicules d'Ambus de fourgonnettes plutôt que de minibus, il reste que ceux-ci doivent être règlementaires. Or, ni la CTQ ni le TAQ ne semblent s'être livrés à cet examen, la première s'étant prétendument mal dirigée en fait et en droit dans sa qualification des véhicules.
[20] Il en découle que se pose la question de savoir si le TAQ pouvait ordonner à la CTQ d'émettre le permis ou s'il ne devait pas plutôt lui retourner le dossier pour lui permettre de trancher la question résiduelle du caractère règlementaire ou pas de ces véhicules.
[21] Ainsi, Medicar a démontré l'existence d'une question importante à trancher au fond et d'un droit sérieux à faire valoir. Le Tribunal conclut donc à apparence de droit.
· Le préjudice sérieux ou irréparable
[22]
L'article
[23] À cet égard, Medicar se présente comme le chien de garde de l'intérêt public. En effet, elle allègue craindre un préjudice sérieux ou irréparable du fait qu'Ambus ne satisfait pas les critères règlementaires. Elle alerte le Tribunal sur les conséquences fâcheuses, voire désastreuses, de déficiences dans le transport de la clientèle visée par le permis.
[24] Ambus plaide le caractère irrecevable de l'argument de sa concurrente, car le préjudice sérieux ou irréparable ne peut s'entendre d'un tort hypothétique[7]. Par contre, elle ajoute qu'un préjudice sérieux ou irréparable peut découler d'une perte financière non récupérable. Or, elle fait valoir que la preuve devant la CTQ révèle qu'elle sous-traite ses contrats de transports à grands frais depuis l'expiration de son permis en janvier 2015, cela pour pallier le refus de la CTQ de lui délivrer un permis même temporaire. Ainsi, non seulement elle paie des sous-traitants qui honorent à sa place ses contrats, mais aussi, elle leur prête ses propres employés qu'elle continue à rémunérer pour les assister dans l'exécution des transports.
[25] Certes, Ambus est l'artisan de son malheur, car elle a omis de renouveler à temps sa demande de permis. Cela dit, depuis la décision du TAQ le 8 décembre 2015, elle se trouve titulaire du droit à un permis, et si l'injonction interlocutoire recherchée est prononcée, elle devra continuer à supporter des frais de sous-traitance jusqu'à jugement final. Or, même si le jugement final lui donne raison, elle aura supporté de lourdes dépenses qu'elle ne pourra recouvrer de quiconque.
[26] Par ailleurs, les allégations de Medicar s'avèrent vagues. Aucun fait précis, aucun préjudice circonscrit ne sont invoqués. Sa démarche semble dénoter plutôt un souci de profiter d'une part de marché que les déconvenues d'Ambus pourraient laisser vacant.
[27] Aussi, le critère du préjudice irréparable favorise Ambus.
· La balance des inconvénients
[28] Devant un droit clair, il s’avère inutile de s'attarder au critère de la prépondérance des inconvénients. Néanmoins, s'il fallait considérer ce facteur, il jouerait également en faveur d'Ambus. Selon la preuve administrée devant la CTQ, sans permis, Ambus subit des pertes financières importantes, et plus le temps passe, plus elle devient vulnérable face à la concurrence.
[29] Cette situation représente un inconvénient plus important que l'émission du permis pendant l'instance. Car, le cas échéant, un jugement final niant à Ambus le droit au permis pourra en ordonner le retrait ou la révocation. Quant à Medicar, son seul inconvénient consiste à continuer à composer avec une concurrente, dans un contexte où la CTQ conclut que « Rien dans la preuve soumise ne permet donc de conclure que la délivrance d'un permis à Ambus risque d[e l'] affecter suffisamment […] pour compromettre ses activités de façon majeure et de la faire disparaître »[8].
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[30] REJETTE la requête en injonction interlocutoire;
[31] FRAIS À SUIVRE.
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__________________________________ GUYLÈNE BEAUGÉ, j.c.s. |
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Me Bernard Gravel |
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Société d'avocats Dexar inc. |
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Avocat de la demanderesse |
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Me Steven Roch |
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Colby, Monet, s.e.n.c.r.l. |
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Avocat de la mise en cause |
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Date d’audience: |
6 janvier 2016 |
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[1]
RJR - Macdonald inc. c. Canada (Procureur général),
[2] RLRQ., c. T-12.
[3] RLRQ., c. T-12, r.16.
[4] 2015 QCCTQ 1772.
[5] RLRQ, c. J-3.
[6] Précité, note 4, à la page 23 (Pièce R-2).
[7]
Centre de la petite enfance A c. Tribunal administratif du Québec,
[8] Précité, note 4, à la page 27 (Pièce R-2).
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.