DÉCISION
[1] Le 7 novembre 2001, le travailleur, monsieur Terrence Proulx, dépose une requête auprès de la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue le 23 octobre 2001 par la Direction de la révision administrative (la Révision administrative).
[2] Par cette décision, la Révision administrative rejette la demande de révision du travailleur et confirme la décision rendue le 14 mai 2001 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) qui refuse de reconnaître une lésion professionnelle survenue le 16 janvier 2001 et lui demande le remboursement d’un montant de 1 120,99 $ représentant les indemnités de remplacement du revenu versées pendant la période obligatoire des quatorze premiers jours de l’incapacité, soit du 6 au 19 février 2001.
L'OBJET DE LA REQUÊTE
[3] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision de la Révision administrative et de reconnaître qu’il est atteint d’une maladie professionnelle le 16 janvier 2001.
[4] Le travailleur est présent et représenté à l’audience. L’employeur, la Commission scolaire Lester B. Pearson, ne s’est pas présenté.
L'AVIS DES MEMBRES
[5] Conformément à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q. c. A-3.001) (la loi), le commissaire soussigné a reçu l’avis des membres issus des associations d’employeurs et syndicales sur l’objet du litige, lesquels souscrivent aux motifs ici retenus pour accueillir la requête.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[6] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le 16 janvier 2001, le travailleur est atteint d’une maladie professionnelle.
[7] À l’article 30 de la loi, le législateur prévoit une présomption en faveur de la reconnaissance de la maladie professionnelle. L’article 30 se lit ainsi :
30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
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1985, c. 6, a. 30.
[8] Le travailleur est préposé à l’entretien, classe II, à l’emploi de la Commission scolaire depuis 13 ans et à l’entretien depuis 7 ans, alors qu’au moment de sa réclamation, il est assigné à l’École secondaire Riverdale.
[9] Le 17 janvier 2001, il présente une réclamation auprès de la CSST dans les termes suivants :
I had this problem for a while now. I have put up with the inconvience of the numbness in my hand. I would just shake my hand and it would be away. But lately it has gotten worse. I would wake up and my hand would be numb. So I made appointment with the doctor and he told me it was carpal tunnel. And I would need surgery. The job I do consist of a lot of sweeping, washing, waxing of floors, washing and cleaing of walls, etc. Also removal of garbage, shoveling of snow, etc. I have just received a phone call from the hospital Jan. 16/01 in the evening for the surgery on Jan 22/01 at 1.00 am. I am still working until then I will be off work approx. 5 weeks.
z
[10] Cette réclamation est formulée le lendemain de la consultation auprès du docteur Beaudoin (16 janvier 2001) qui pose le diagnostic du tunnel carpien bilatéral. L’électromyographie contemporaine démontre un tunnel carpien léger à gauche mais plus important à droite.
[11] Le docteur Beaudoin dirige le travailleur chez le docteur Bouchard, chirurgien plasticien, qui, le 5 février 2002, procède à une décompression du tunnel carpien droit au Centre hospitalier de Lachine. La période d’incapacité débute alors le 5 février 2001, c'est-à-dire la date de la chirurgie.
[12] Devant une évolution post-chirurgicale très favorable, le docteur Beaudoin émet un rapport final le 20 février 2001 dans lequel il consolide la lésion au 5 mars 2001, sans atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique ni limitations fonctionnelles, et indique que le travailleur est capable d’effectuer un retour au travail normal le 5 mars 2001. Dans son témoignage, le travailleur a confirmé ce retour au travail sans d’autres problèmes.
[13] À l’audience le travailleur a décrit et mimé ses multiples tâches.
[14] Il s’agit d’activités importantes qui impliquent les poignets dans les efforts au travail. Il y a des mouvements d’extension forcée quand il lave les planchers et frotte à la main. Lorsqu’il doit passer la polisseuse sur les planchers, il y a une préhension forte des mains pour la tenir, ainsi que des vibrations. En pelletant de la neige, il y a aussi de la préhension forte avec effort, contre-résistance et appui sur la paume de la main en tenant la pelle. Lorsqu’il passe la vadrouille et la serpillière, il y a des mouvements de flexion et déviation avec forte préhension des poignets. Il y a aussi de la préhension avec contre-résistance lorsqu’il dispose des sacs à ordures.
[15] En résumé, dans plusieurs de ses tâches de concierge, le travailleur est obligé d’exécuter des activités importantes impliquant les deux poignets. Suivant la littérature médicale déposée ainsi que des connaissances médicales, force nous est de reconnaître des facteurs de risque dans son travail compatible avec l’étiologie occupationnelle du syndrome du canal carpien.
[16] Voir à cet effet :
1. Le Syndrome du tunnel carpien, Guide pour le diagnostic des lésions musculo-squelettiques attribuables au travail répétitif, Patry, Rossignol et al., Institut de recherche en santé et sécurité du travail (IRSST) :
Les facteurs de risque les plus souvent décelés concernent la répétitivité des mouvements du poignet et de l’avant-bras, l’angle de position du poignet (Armstrong et al, 1979), l’utilisation de la force dans ces mouvements (Silverstein et al, 1987), ainsi que l’exposition à des vibrations segmentaires et au froid. L’étude dans l’île de Montréal de Rossignol et ses collaborateurs (1996) portant sur l’incidence du SCC selon la profession a montré que, pour l’ensemble des travailleurs qui ont des tâches avec une composante manuelle, presque la moitié (45 %) des causes de SCC sont attribuables au travail.
[...]
Certains facteurs de compression du nerf médian au niveau du poignet sont associés à des mouvements répétés ou au maintien prolongé de positions contraignantes. Il existe deux sites de compression : la compression du nerf médian dans le canal et la compression de la branche thénarienne au niveau de la main.
Compression du nerf médian dans le canal carpien
Outre les faits accidentels, la compression du nerf médian dans le canal carpien apparaît liée à des contraintes biomécaniques de tension, de pression et de friction dont la fréquence, la force et la durée peuvnt causer une lésion. Le maintien prolongé de positions fixes de la région cervico-scapulaire de même que les bras en flexion ou en abduction augmentent la charge musculo-squelettique. Ces postures peuvent ainsi contribuer à la genèse d’une SCC en perturbant l’irrigation distale des membres supérieurs. L’encadré 2.1 illustre les mouvements et postures les plus fréquemment associés à l’apparition d’un SCC.
[...]
Activités professionnelles antérieures
La description des activités professionnelles antérieures sert à déterminer dans quelle mesure les différents emplois occupés ont comporté des sollicitations des poignets et des mains liées à des mouvements répétitifs, à l’application de pression ou de force, à l’exposition au froid et à l’utilisation d’outils vibrants (voir encadré 5.1). La combinaison de deux facteurs augmente la probabilité d’un lien entre le SCC et le travail (Rossignol et al, 1995).
2. Le syndrome du canal carpien : Résumé des risques sur le plan professionnel, Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail, 1990 :
FACTEURS PROFESSIONNELS
Le syndrome du canal carpien est particulièrement lié à certaines tâches dont voici quelques exemples :
. mouvements répétitifs de la main
. positions incommodes de la main
. préhension forte
. stress mécanique sur la paume
. vibration
Ce document note que la profession de concierge est reconnue comme liée au syndrome du canal carpien.
3. Les accidents du travail et les maladies professionnelles, Indemnisation et financement, Bernard Cliche et Martine Gravel, Les Éditions Yvon Blais inc.
Depuis, une jurisprudence constante de la Commission d’appel est à l’effet qu’il ne soit pas nécessaire de prouver la relation entre le travail et la maladie avec une certitude médicale à caractère presque absolu, mais plutôt avec une certitude raisonnable, soit par l’entremise d’une preuve prépondérante. Cette approche se conforme davantage à la norme de preuve application en matière civile. Elle ne signifie toutefois pas que toute preuve doive être acceptée, mais seulement celle offrant un degré de certitude raisonnable, suivant les règles de la prépondérance de preuve.
En effet, le fardeau de preuve imputé au travailleur en vertu de l’article 30 L.A.T.M.P. consiste à démontrer, par l’entremise d’une preuve médicale prépondérante, que la maladie dont il souffre résulte de son travail. Il faut donc écarter toute tentative de resserrement de ce fardeau pouvant se manifester par l’exigence d’un degré de preuve plus important et interpréter toute affirmation assimilant le fardeau du travailleur à une obligation de démontrer de façon relativement certaine le lien entre son travail et la maladie diagnostiquée comme n’étant qu’une expression de l’exigence d’une preuve probante convaincante.
[...]
3.2.3.2Maladie reliée directement aux risques particuliers du travail
L’article 30 L.A.T.M.P. édicte que le travailleur peut faire la preuve qu’il est atteint d’une maladie professionnelle en démontrant que cette maladie est reliée directement aux risques particuliers du travail qu’il exerce. Ainsi, le travailleur, ne pouvant faire la preuve que la maladie contractée est caractéristique de son travail, pourra tenter de démontrer que le particularisme du milieu de travail dans lequel il évolue implique qu’il a pu y contracter cette maladie.
4. Voir aussi : Lynda Turcotte et Collège Marie de France, CLP 101898-73-9806, 11 novembre 1998, Pauline Perron, commissaire.
[17] De plus, le dossier médical du travailleur ne met pas en évidence une condition comme, par exemple, une pathologie cervicale ou du diabète, entre autres, pouvant suggérer une étiologie personnelle du syndrome du canal carpien. Qui plus est, l’employeur est absent à l’audience et n’a pas fait une contre-preuve.
[18] Pour l’ensemble de ces motifs, la Commission des lésions professionnelles doit conclure que le travailleur a démontré par l’entremise d’une preuve prépondérante et non contredite, que le syndrome du canal carpien bilatéral est caractéristique de son travail de concierge et relié directement aux risques particuliers de son travail.
[19] Il s’ensuit que la requête doit être accueillie.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête déposée le 7 novembre 2001 par le travailleur, monsieur Terrence Proulx;
INFIRME la décision rendue le 23 octobre 2001 par la Direction de la révision administrative ainsi que celle rendue le 14 mai 2001 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail;
DÉCLARE que le 16 janvier 2001, le travailleur est atteint d’une maladie professionnelle au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;
DÉCLARE qu’il a droit aux bénéfices prévus par la loi, notamment aux indemnités de remplacement du revenu, pour la période correspondante à l’incapacité, soit du 5 février 2001 au 4 mars 2001 inclusivement;
ANNULE en conséquence la demande de remboursement émise par la Commission de la santé et de la sécurité du travail concernant le montant de 1 120,99 $ représentant les indemnités de remplacement du revenu versées pendant la période obligatoire des quatorze premiers jours, soit du 6 au 19 février 2001.
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J.-David Kushner |
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Commissaire |
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U.E.S. SECTION LOCALE 800 (F.T.Q.) (Madame Rita Plamondon) |
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Représentante de la partie requérante |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.