Décision

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Gabarit EDJ

Michaudville c. Cégep de St-Laurent

2012 QCCS 1677

JM1838

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-17-071472-123

 

 

 

DATE :

  Le 18 avril 2012

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

ROBERT MONGEON, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

ANTOINE MICHAUDVILLE

Demandeur

c.

CEGEP DE SAINT-LAURENT

-et-

ASSOCIATION DES ÉTUDIANTS DU CÉGEP SAINT-LAURENT INC.

           Défenderesses

-et-

SYNDICAT DES PROFESSEURS DU CÉGEP DE SAINT-LAURENT

           Mis-en-cause

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           Le requérant Antoine Michaudville s'adresse au Tribunal en vue d'obtenir une injonction provisoire, valable pour un terme n'excédant pas 10 jours, enjoignant le CEGEP  intimé de lui prodiguer les cours auxquels il est inscrit car il risque, compte tenu du temps qui passe, de ne pouvoir compléter sa session en temps utile, de ne pas obtenir son diplôme et ainsi de ne pas pouvoir accepter un travail bien rémunéré dans son domaine de spécialité, soit le domaine de l'assainissement de l'eau.

[2]           Les intimés à la requête sont, dans un premier temps, le CEGEP de Saint-Laurent ("le CEGEP") qui ne s'objecte ni ne consent à la demande d'injonction (mais qui demande que dans l'éventualité où une injonction serait accordée, que son libellé soit tel que celui qui a été retenu dans un dossier similaire[1], ce à quoi consent le Requérant).

[3]           L'autre partie Intimée est l'Association des étudiants du CEGEP Saint-Laurent Inc. (l"'Association"), dûment accréditée aux termes de la Loi sur l'accréditation et le financement des associations d'élèves ou d'étudiants[2].

[4]           Une autre partie, intimée à l'origine, est le Syndicat des professeurs du CEGEP de Saint-Laurent, une association de salariés accréditée conformément aux dispositions du Code du Travail[3].  Suite à des discussions pendant l'instance, le Requérant a accepté de modifier le libellé de sa requête pour désigner le Syndicat comme mis-en-cause plutôt que comme intimé.  Quant aux conclusions qui étaient à l'origine dirigées contre le Syndicat, elles ont été retirées.

[5]           Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis qu'il y a lieu d'émettre l'ordonnance recherchée dans des termes qui collent plus à la réalité du présent dossier.

LES FAITS ET LES PRINCIPAUX ARGUMENTS DES PARTIES

[6]           Le Requérant est inscrit à temps plein en technique d'assainissement de l'eau et est finissant dans ce domaine.  Il doit donc normalement terminer sa formation cette année.

[7]           Une telle formation n'est offerte qu'au CEGEP intimé (P-5) et cette formation est un pré-requis à l'obtention d'un travail à temps plein ou à temps partiel dans ce domaine.  Il s'agit d'un programme de niveau collégial technique menant à un diplôme d'études collégiales (P-1 et P-2) et permettant d'accéder à la profession de Technologue Professionnel (P-3) et d'aspirer à un salaire moyen variant de 69 658,00$ à 72 750,00$ par an (P-4).

[8]           Non seulement le Requérant aspire donc légitimement à la terminaison de son DEC dans un avenir presque immédiat mais, au surplus, le ou vers le 4 avril 2012, il a été convoqué à une entrevue afin de combler un poste en assainissement de l'eau à l'usine de la Régie Inter-municipale de l'Eau de la Vallée du Richelieu située à Otterburn Park.  Ce poste sera, semble-t-il, disponible à compter du début du mois de juin 2012.  Or, le Requérant risque de ne pouvoir accéder à un des postes offerts s'il ne peut compléter sa formation académique.

[9]           Pour le Requérant, il y a urgence, car le passage du temps depuis le début de la grève au CEGEP Intimé (17 février 2012) fait en sorte que le conflit s'enlise, qu'il n'y a pas grand espoir d'un redressement de la situation et que sans le secours immédiat d'une ordonnance d'injonction, le Requérant subit et subira une violation de ses droits à l'éducation post-secondaire et à sa diplomation, en plus de risquer une perte d'emploi et de rémunération dont il a besoin et à laquelle il est en droit de s'attendre.

[10]        Au surplus, le Requérant plaide que son préjudice est irréparable et que ni le CEGEP ni l'Association ne subiront de préjudice ou d'un quelconque inconvénient si la demande d'injonction est accordée.

[11]        De son côté, l'Association prétend que la grève générale illimitée, votée le 17 février dernier et reconduite de semaine en semaine, lie le Requérant comme membre de l'Association et le prive de tout droit à une demande d'injonction.  Pour l'Association, reconnaître le droit du Requérant à la dissidence équivaut à nier à l'Association le droit de faire la grève, laquelle fut décidée démocratiquement et en conformité avec ses statuts et règlements constitutifs.

[12]        Le Requérant ajoute qu'au début de la "grève", le ou vers le 17 février 2012,  l'Association Intimée a bloqué l'accès aux cours, aux bâtiments, salles de classe et aux stationnements du CEGEP et que ce n'est que suite à une entente intervenue entre l'Association et le CEGEP en date du 28 février 2012 que le piquetage intempestif a été limité à un piquetage "symbolique", en contre-partie de quoi le CEGEP a accepté de suspendre les cours dans une très grande proportion.  Seules certaines formations, notamment en soins infirmiers, ont été épargnées.  Je reviendrai plus loin sur cette entente.

[13]        Indépendamment de ce qui précède, le 12 avril dernier, le CEGEP a émis le communiqué suivant:

BOYCOTT DES COURS ET VOTE DU 12 AVRIL  2012

Lors de la prochaine assemblée générale de l'Association étudiante du cégep de Saint-Laurent, le jeudi 12 avril prochain, il est prévu à l'ordre du jour que les étudiants se prononcent sur la reconduction de leur boycottage des cours.  Dans ce contexte, il nous apparaît important de répondre à quelques interrogations qui nous ont été soumises.

D'une part, le réaménagement du calendrier scolaire doit notamment respecter le nombre d'heures contact des devis ministériels.  La répartition normale des heures contact s'échelonne sur quinze semaines de cours (75 jours).  Or, nous n'avons donné que quatre semaines de cours (20 jours) avant la survenue du boycottage des cours.  Par conséquent, au moment de la reprise des activités, nous devrons offrir onze semaines de cours (55 jours).  Contrairement à la pratique usuelle, le Collège ne tiendra vraisemblablement pas de journées d'évaluation au terme de ces onze semaines.  De plus, la passation de l'épreuve uniforme de français, prévue le 16 mai, est annulée.  Il est possible que le ministère prévoie un autre moment de passation en juin.

Mentionnons, à titre indicatif, que le Collège souhaite que les cours se terminent au plus tard le 15 juin.  Si nous retenons ce scénario, nous ne disposerons que de neuf semaines de cours débutant le lundi 16 avril.  Nous serons donc dans l'obligation de comprimer les onze semaines de cours en tenant des activités le soir ou la fin de semaine.  Évidemment, plus le temps passe, plus cette marge de manœuvre diminue.

D'autre part, plusieurs étudiants nous ont demandé s'il était possible de tenir un vote secret à l'aide de la plateforme Omnivox.  La direction du Collège rappelle qu'elle est toujours prête à offrir cette possibilité, si les étudiants en font la demande en assemblée générale, sous la forme d'une résolution officielle.

Enfin, des étudiants nous interpellent pour que le boycottage des cours se termine rapidement.  Ces derniers sont invités à exprimer leur point de vue lors de l'assemblée générale du 12 avril prochain.  D'ailleurs, nous souhaitons qu'un grand nombre d'étudiants participent à cette assemblée, et ce, afin que le vote soit le plus représentatif possible.

[14]        Malgré cet appel, les étudiants sont toujours en "grève".

[15]        Finalement, le Requérant allègue que les étudiants n'ont aucun droit d'imposer une "grève" à tous les étudiants d'une maison d'enseignement.  Ils n'ont pas le droit d'empêcher le Requérant d'avoir accès aux locaux du CEGEP ainsi qu'à l'enseignement qu'il a le droit de recevoir de ce même CEGEP.  De toutes façons, l'exercice et le respect des droits du Requérant ne brime en rien la liberté d'expression, la liberté d'association et la liberté d'opinion des étudiants qui choisissent de faire la grève.  Pour le Requérant, le choix de l'Association ne saurait empiéter sur ses propres droits.  Il ne leur reconnaît aucun statut assimilable à celui d'un syndicat accrédité ni un quelconque mandat ou pouvoir de négociation collective d'une quelconque entente avec le CEGEP qui aurait pour effet de brimer ses droits.

[16]        Avant de conclure sur cette première partie, il faut noter que la grève a débuté le 17 février 2011 et, semble-t-il, rapidement dégénéré en un affrontement qui, s'il n'avait pas été temporairement réglé, aurait pu causer plus de conflits et de dommages.

[17]        En date du 29 février suite à une entente intervenue entre l'Association et le CEGEP, le CEGEP a cru nécessaire de publier un communiqué[4] expliquant le contexte dans lequel l'entente a été conclue.  Les faits et gestes de l'Association sont décrits en détail, y compris les événements du 24 février 2012 où les policiers ont dû intervenir.

[18]        L'entente jointe à ce communiqué prévoit que le piquetage des étudiants sera "symbolique et respectueux", que tout le personnel aura libre accès aux différents lieux de travail mais que les cours de l'enseignement régulier sont suspendus, à l'exception des cours pour les stages mentionnés à l'annexe I de l'entente.  L'un de ces stages toucherait, d'ailleurs, le cours "d'Assainissement".  La preuve n'a pas révélé spécifiquement si ce stage était suivi par le Requérant.

[19]        C'est grâce à cette entente, renouvelée à plusieurs reprises et toujours en vigueur, que le statu quo existe et que l'ordre social semble prédominer au CEGEP Saint-Laurent.

[20]        De son côté, l'Association prétend exister sous l'empire d'une loi qui lui donne la légitimité d'agir.  Il s'agit de la Loi sur l'accréditation précitée (LAFAED).

[21]        L'article 3 LAFAED stipule ce qui suit:

3. Pour l'application de la présente loi, une association ou un regroupement d'associations d'élèves ou d'étudiants est un organisme qui a pour fonctions principales de représenter respectivement les élèves ou étudiants ou les associations d'élèves ou d'étudiants et de promouvoir leurs intérêts, notamment en matière d'enseignement, de pédagogie, de services aux élèves ou étudiants et d'administration de l'établissement d'enseignement."

[22]        L'article 4 édicte que:

4.   Dans un établissement d'enseignement, tout élève ou étudiant a le droit de faire partie d'une association d'élèves ou d'étudiants de son choix.  Il a de plus le droit de participer à la formation de cette association, à ses activités et à son administration."

[23]        Une seule association d'élèves ou d'étudiants peut être accréditée par établissement d'enseignement.[5]

[24]        La LAFAED prévoit en détail les modalités d'accréditation selon un processus fort élaboré (articles 11 et suivants); on s'assure notamment de la représentativité de l'association au moyen d'agents d'accréditation, etc.

[25]        L'article 26 LAFAED édicte cependant ce qui suit:

26.  Dans un établissement d'enseignement, tout élève ou étudiant représenté par une association d'élèves ou d'étudiants accréditée ou toute association d'élèves ou d'étudiants représentée par un regroupement d'associations d'élèves ou d'étudiants accrédité, est réputé membre, selon le cas, de cette association ou de ce regroupement.

Il demeure membre de cette association ou, selon le cas, de ce regroupement lors même que celui-ci cesse d'être accrédité ou de le représenter.

Il peut notamment exercer à l'égard de cette association ou, selon le cas, de ce regroupement les droits qu'attribue la Loi sur les compagnies (chapitre C-38) aux membres d'une personne morale constituée en vertu de la Partie III, ainsi que les droits qu'accordent la charte et les règlements de l'association ou du regroupement à ses membres.

Toutefois, le présent article ne s'applique pas à un élève ou à un étudiant qui signifie par écrit à l'association qui le représente son refus d'y adhérer, ni à l'association qui signifie par écrit au regroupement qui la représente son refus d'y adhérer.

[26]        Nulle part, cependant, ne retrouvons-nous dans cette loi le droit de l'Association de faire la grève et de paralyser l'établissement d'enseignement auprès duquel elle est accréditée.

[27]        Nulle part, non plus, l'Association a-t-elle le mandat de négocier et de conclure une entente relative aux modalités de dispense des cours offerts par l'établissement en question.  Nulle part, ne trouve-t-on des pouvoirs accordés à l'Association qui se comparent de près ou de loin aux droits et pouvoirs accordés à un syndicat ou à une unité d'accréditation reconnus par le Code du Travail[6].

[28]        Donc, nulle part ne voit-on dans la LAFAED le pouvoir pour une association étudiante accréditée, de négocier une quelconque entente ou convention de la nature d'une convention collective liant tous les membres d'une unité d'accréditation (Code du Travail, article 52 et suivants).

[29]        Nulle part, ne retrouve-t-on des dispositions aux termes desquelles les associations étudiantes n'ont le droit de déclencher une grève générale illimitée et que cette grève soit opposable à tous les étudiants.  Cela est d'autant plus vrai que les associations étudiantes, une fois lancées dans un tel processus, n'ont aucun moyen réel d'en sortir hormis la pression sociale et politique amenant un changement législatif de la part du gouvernement.  Par contre, aucune disposition ne les empêchent d'agir comme ils le font.

[30]        Les étudiants et leurs associations prétendent à un droit de faire la "grève" sans contrôles, sans limites et sans encadrement.  Cela s'appelle un droit de grève sauvage.  Avec égards, je crois qu'aucune loi du Québec ne permette un tel abus, un tel déraillement.  Par opposition, les lois du travail encadrent, limitent et balisent le droit de grève tout en prévoyant un  moyen de s'en sortir par la négociation d'une convention collective de travail, d'une conciliation, d'une médiation ou même d'un arbitrage.  Ici, les étudiants semblent vouloir fonctionner dans un contexte non balisé au nom de leur droit fondamental de libre expression et d'opinion.  Cela est peut-être possible, mais n'est pas sans le risque d'un encadrement notamment par intervention judiciaire.

[31]        Rien, non plus, dans le Recueil des Règlements Généraux de l'Association ou dans l'Entente relative à la reconnaissance et aux prérogatives de l'Association étudiante ne retrouve-t-on quelque cession par le CEGEP de son droit de gérance de gestion, d'administration ou d'opération de son établissement d'enseignement en faveur de l'Association, en vertu de laquelle l'Association peut prétendre avoir le droit de paralyser les cours, les sessions, ou la diplomation en faveur des étudiants et ainsi d'imposer ses volontés envers et contre tous comme elle semble le faire maintenant.  Il est vrai que l'article 3.14[7] de cette dernière entente prévoit un préavis de cinq jours avant la tenue d'un vote de "grève" ou de manifestation étudiante mais on ne peut interpréter cet article comme donnant à l'Association le pouvoir de déclencher une grève générale illimitée, telle que nous la vivons maintenant, d'autant plus que cette grève n'est pas exclusivement dirigée contre l'établissement d'enseignement d'une part et son dénouement ne pourra intervenir, si l'on en croit l'Association, qu'avec  une intervention de l'État.

[32]        Quant au Requérant, sa position est toute simple:  il a contracté auprès du CEGEP un programme d'enseignement auquel il a le droit de prétendre.  Il entend fournir sa prestation et s'attend à ce que le CEGEP fournisse la sienne et lui prodigue les cours de son programme d'enseignement avec au maximum d'efficacité et un minimum de complications.

[33]        Voilà donc pour le cadre factuel et les positions respectives des principaux protagonistes en l'instance.

[34]        Voyons maintenant si le Requérant a le droit d'obtenir l'injonction provisoire qu'il requiert.

DISCUSSION

Le droit du Requérant à l'injonction demandée

[35]        Quatre critères sont requis pour l'obtention d'une telle ordonnance provisoire:

-                       l'urgence d'intervenir

-                       le droit apparent du Requérant

-                      le préjudice irréparable subi par le Requérant si une injonction est refusée

-           la balance des inconvénients résultant de l'octroi ou du refus de l'injonction demandée.

A)     L'urgence

[36]        La grève générale illimitée qui, répétons-le, n'est encadrée par aucune disposition législative particulière, est en fait l'expression de la frustration des étudiants consécutive à l'imposition par le gouvernement d'une hausse non négligeable des frais de scolarité au cours des cinq prochaines années.

[37]        Les étudiants ont certes le droit de s'exprimer, de forcer un débat public sur cette question et de prendre les moyens appropriés pour se faire entendre.

[38]        Qu'ils aient ou non le droit de "faire la grève" est une question à laquelle je n'ai pas l'intention de répondre.  Mais, ont-il le droit d'imposer cette grève pendant une période de temps indéfinie qui forcera le Requérant à perdre le bénéfice de sa session d'études, de sa diplomation et d'un possible emploi rémunérateur?  La question n'est certainement pas simple et mérite d'être soumise à un débat au mérite.

[39]        Si la grève ne dure que quelques jours,  il semble évident que le Requérant n'a pas à s'en faire.  Quelques jours de retard dus à une grève ne crée pas de situation d'urgence.  D'ailleurs, au début, le Requérant ne s'en ai pas fait.

[40]        C'est avec le passage du temps que le Requérant a commencé à voir ses chances de terminer, d'être diplômé et de trouver un emploi rémunérateur, le tout, dans un délai raisonnable.

[41]        La situation telle que dépeinte aujourd'hui démontre que sans l'intervention du Tribunal, il y aurait péril en la demeure pour le Requérant.  Il est dans une situation où il ne peut plus attendre.  Il a épuisé tout le temps qu'il avait pour laisser le processus de négociation faire son chemin et permettre la résolution du conflit.  Aujourd'hui, faute d'un encadrement législatif propice et d'un cadre dans lequel on peut espérer un dénouement, le Requérant n'a plus le choix:  ou bien il subit les conséquences de l'action des étudiants, ou bien il s'adresse aux tribunaux pour faire respecter ses droits.  Il a choisi la seconde voie et, de son côté, le Tribunal ne peut plus attendre.  Il y a urgence et sans l'intervention judiciaire, c'est la fin des espoirs d'un étudiant qui, jusqu'à nouvel ordre, a le droit d'étudier.

[42]        Le critère de l'urgence est donc rencontré.

B)    l'APPARENCE DE DROIT

[43]        J'ai déjà exposé les bases de mon raisonnement sur la question de l'apparence de droit.  A ce stade des procédures, je suis satisfait que le test à rencontrer de la part du Requérant est celui de la "serious issue to be tried" énoncée par Lord Diplock dans l'affaire American Cyanamid vs. Ethicon[8].  Ce test, sans décider de l'issue finale de la question, permet au Tribunal d'intervenir en matière d'injonction provisoire, si le Requérant justifie d'une situation juridique assez plausible pour qualifier son droit de possible ou même de plausible.

[44]        Or, le Requérant a conclu un contrat d'enseignement avec le CEGEP.  La contre-partie de cette entente est que le Requérant a le droit inaliénable et incontesté de recevoir les cours pour lesquels il a conclu un contrat et pour lesquels il a payé.  Les autres étudiants n'ont aucun droit collectif ou individuel d'intervenir dans cette relation contractuelle.  En conséquence, le soussigné voit mal comment le critère de l'apparence de droit ne pourrait être reconnu en faveur du Requérant.

c)         La balance des inconvénients et le préjudice irréparable

[45]        Il semble évident que le Requérant subit et subira un lourd préjudice si la "grève" continue et si le boycott des cours persiste.  Actuellement, il risque de perdre son droit à la diplomation et ses attentes raisonnables de pouvoir terminer sa formation académique pour ensuite postuler et obtenir un emploi rémunérateur.

[46]        Ce préjudice est irréparable en ce que tout recours compensatoire en dommages apparaît totalement illusoire dans les circonstances.  De plus, le facteur temps ne se rattrape pas.

[47]        Quant à la balance des inconvénients, le CEGEP n'allègue pas de difficultés spécifiques à offrir les cours que le Requérant demande.  D'ailleurs, certaines exceptions ont été prévues dans l'entente précitée notamment pour les Soins Infirmiers et l'Assainissement et ces formations ne semblent pas causer de problème au CEGEP.  Le Tribunal en conclut donc que de permettre au Requérant d'avoir accès à ses cours causera moins de difficultés au CEGEP que celles que le Requérant aura à subir s'il continue d'être privé de ses cours.  Plus encore, le fait de ménager une exception de plus au bénéfice du Requérant ne perturbera pas l'entente intervenue et les droits et obligations des parties qui l'ont signée.

[48]        Quant au préjudice irréparable ou à la balance des inconvénients que devra subir l'Association, celle-ci est en fait partie à un conflit beaucoup plus majeur, non résolu et dont la résolution n'implique ni le Requérant ni le CEGEP.  La question de la hausse des frais de scolarité est un enjeu qui ne peut se régler entre les parties au présent dossier mais entre les étudiants et le gouvernement.  La présente ordonnance d'injonction ne changera rien à ce rapport de forces.

[49]        Ainsi, l'octroi d'une ordonnance d'injonction en faveur du Requérant sur une base provisoire ne brime en rien les droits de l'Association et des étudiants du CEGEP qui choisissent de boycotter les cours.  Les opposants à la hausse des droits de scolarité continuent de pouvoir faire valoir leurs points de vue, de s'exprimer, et de manifester leur désaccord et peuvent continuer leur boycott.

[50]         Cependant, l'expérience passée et, plus spécifiquement les faits qui se sont déroulés entre le 17 et le 28 février 2012 font en sorte que dans la mesure où une ordonnance d'injonction provisoire est rendue en faveur du Requérant, l'ordre et la paix sociale qui existe actuellement grâce à l'entente intervenue entre l'Association et le CEGEP doivent continuer de persister.

[51]        Tous les intervenants, sauf l'Association qui refuse de s'engager à maintenir les termes et conditions de l'entente, sont, en outre, d'accord pour que si une ordonnance d'injonction provisoire est émise, qu'elle le soit à l'encontre du CEGEP dans les termes limités de ceux de ma collègue la juge Marie-Anne Paquette, dans le dossier du CEGEP de Rosemont.  Il en sera donc ainsi.

[52]        Quant au maintien du statu quo sur le campus du CEGEP, rien n'empêche que le statu quo résultant de l'entente du 28 février 2012 ne soit pas reconduit.  Il en sera donc aussi ainsi.

POUR L'ENSEMBLE DE CES MOTIFS, le Tribunal

[53]        ACCUEILLE en partie la requête en injonction provisoire;

[54]        PRONONCE une injonction provisoire valable jusqu'au lundi 30 avril 2012 (le délai de 10 jours expirant un jour non-juridique soit le 28 avril 2012), ENJOIGNANT le CEGEP Saint-Laurent de prendre les mesures appropriées permettant que tous les cours auxquels le Requérant est inscrit dans le programme "Eau, air et assainissement - Technique d'assainissement de l'eau - menant à l'obtention d'un diplôme d'études collégiales, lui soient dispensés selon tout horaire à être  établi par le CEGEP Saint-Laurent et permettant au Requérant de reprendre les cours perdus depuis le 17 février 2012 et de compléter sa session d'hiver à compter, au plus tard, du lundi 23 avril 2012, le tout sous réserve d'assurer la protection de son personnel, des étudiants et de ses biens;

[55]            ORDONNE au CEGEP Saint-Laurent et à l'Association des étudiants du CEGEP Saint-Laurent, leurs dirigeants, officiers et membres ainsi qu'à toute autre personne informée de la présente ordonnance d'injonction provisoire de respecter en tous points les termes de l'entente intervenue entre le CEGEP et l'Association en date du 28 février 2012 et qui se lit comme suit (après en avoir amendé le paragraphe 3 pour ajouter à l'annexe I les cours à être prodigués au Requérant):

1.             Le piquetage des étudiants sera symbolique et respectueux;

2.             Tout le personnel aura un libre accès aux différents lieux de travail;

3.             Les cours de l'enseignement régulier sont suspendus, à l'exception des cours pour les stages mentionnés dans l'annexe I;

4.             toutes les activités de formation offertes ou supervisées par la Direction de la formation continue sont maintenues, notamment les cours menant à une AEC et les cours de francisation;

5.             Le collège maintient toutes ses activités à l'exception de la prestation de cours;

6.             Le Collège permet l'accès à ses locaux aux heures d'ouverture habituelles du Cégep;

7.             Toutes les activités sportives intramurales et intercollégiales sont maintenues;

8.             Les locaux de musique, de danse et d'art dramatique sont accessibles selon les pratiques habituelles de réservation;

9.             Les locaux normalement accessibles sans professeur demeurent accessibles selon les pratiques habituelles et les modalités décrites à l'annexe 2;

10.          L'Association étudiante s'engage à donner les consignes nécessaires pour la bonne tenue des lignes de piquetage et sera tenue responsable par le Collège des débordements;à

11.          Les négociations se feront par un maximum de trois délégués de l'Association étudiante et de trois délégués du Collège.

[56]        DISPENSE le Requérant de fournir un cautionnement;

[57]        DISPENSE le Requérant de l'obligation de signifier le présent jugement;

[58]        ORDONNE l'exécution provisoire du jugement nonobstant appel;

[59]        CONTINUE la requête introductive d'instance du Requérant au lundi 30 avril 2012 à 9h00 en salle 2.16, pour le suivi des procédures;

[60]        LE TOUT, frais à suivre.    

 

 

__________________________________

ROBERT MONGEON, J.C.S.

 

Me Damien Pellerin

Pellerin Savitz

          Procureur du Requérant

 

Me Geneviève Drapeau

Ellefsen Bergeron Tremblay

          Procureure du CEGEP Saint-Laurent

 

Me Giuseppe Sciortino

Melançon Marceau Grenier & Sciortino

          Procureur de l'Association des étudiants

 

Me Julie Sanogo

Roy Évangéliste

          Procureure du syndicat des professeurs du CEGEP de Saint-Laurent

 

Date d’audience :

17 avril 2012

 



[1] Voir la décision de la juge Marie-Anne Paquette dans Lavoie c. Collège de Rosemont et al., CSM 500-17-071449-121 du 13 avril 2011.

[2] LRQ c. A-3.1.

[3] LRQ c. C-27.

[4] Communiqué du mercredi, 29 février 2012, du CEGEP auquel est annexée l'entente intervenue avec l'Association (produit à l'audience mais non coté).

[5] Article 8.

[6] LRQ c. C-27.

[7] Article 3.14 de l'Entente relative à la reconnaissance et aux prérogatives de l'association étudiante:  Grève ou manifestation étudiante

      L'Association avise le Collège cinq (5) jours ouvrables avant la tenue d'un vote de «grève» ou d'une manifestation étudiante de la tenue d'un tel vote et, immédiatement après la rencontre où un tel vote est pris, du résultat de ce vote afin que le Collège puise, le cas échéant, prendre les mesures administratives qui s'imposent.

[8] [1975] 1 All. E.R. 504

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.