Section des affaires immobilières

En matière de fiscalité municipale

 

 

Date : 13 mars 2019

Référence neutre : 2019 QCTAQ 0335

Dossiers : SAI-Q-220753-1610 / SAI-Q-220755-1610

Devant le juge administratif :

PIERRE SÉGUIN

 

KRUGER PUBLICATION PAPERS INC.

KRUGER WAYAGAMACK INC.

Parties requérantes

c.

VILLE DE TROIS-RIVIÈRES

Partie intimée

 

 


DÉCISION




[1]          L’intimée, Ville de Trois-Rivières, présente une requête en irrecevabilité des recours institués par les requérantes, Kruger Publication Papers (220753) et Kruger Wayagamack Inc. (220755).

[2]          Ces recours sont présentés devant la Section des affaires immobilières du Tribunal administratif du Québec (Tribunal) à la suite de la demande d’une révision administrative.

[3]          Les requérantes sont propriétaires d’une unité d’évaluation chacune, comportant respectivement 84 bâtiments (220753) et 97 bâtiments (220755).

[4]          L’intimée a transmis aux requérantes des avis désignant leur immeuble en tant qu’immeuble à vocation unique (ci-après IVU), conformément à l’article 18.1 de la Loi sur la fiscalité municipale[1] (LFM).

[5]          À la suite du dépôt des recours, l’intimée a soumis une requête en irrecevabilité au motif que les requérantes n’ont pas respecté les obligations qui leur incombaient dans le cadre du processus d’évaluation des IVU prévu aux articles 18.1 à 18.6 LFM.

[6]          À la fin de l’audience, le 11 février 2019, le Tribunal a accordé un délai aux parties pour soumettre leur argumentation en réplique aux plaidoiries entendues au palais de justice de Trois-Rivières.

[7]          D’entrée de jeu, le Tribunal souligne que le législateur a modifié la LFM en introduisant aux articles 18.1 à 18.6 un processus préalable d’échange d’informations en vue de la mise au rôle des IVU en raison de la complexité que constitue la mise au rôle de tels immeubles.

[8]          Dans le cadre de ce processus d’échange d’informations, le législateur a imposé à l’évaluateur municipal des devoirs à suivre et a aussi imposé des obligations aux propriétaires des IVU.

[9]          Le Tribunal souligne que la loi qui est claire et établit un processus qui doit être respecté de part et d’autre.

[10]       À l’audience, un seul témoin fut entendu, M. Stéphane Hamelin, évaluateur agréé, qui est évaluateur pour l’intimée depuis 2006. Aussi, une preuve documentaire a été produite par chaque partie de consentement.

[11]       Rappelons que l’intimée a transmis aux requérants des avis désignant leur immeuble en tant qu'IVU pour le rôle triennal 2016-2017-2018, et ce, par courrier recommandé le 29 août 2014 conformément à l'article 18.1 LFM.

[12]       L’article 18.2 LFM précise les informations qui doivent être échangées entre l’évaluateur municipal et les propriétaires d’IVU. Cet article stipule ce qui suit :

« 18.2. Avant le 15 février du premier exercice financier qui précède le premier de ceux pour lesquels le rôle d'évaluation foncière est dressé, l'évaluateur doit communiquer par poste recommandée au propriétaire qu'il a avisé conformément à l'article 18.1:

1. le coût neuf des constructions faisant partie de l'immeuble, qu'il établit conformément au règlement pris en vertu du paragraphe 10 de l'article 262;

2. la dépréciation qu’il soustrait de ce coût neuf.

L’avis doit ventiler la dépréciation en précisant, le cas échéant, le montant qui découle de la détérioration physique, de la désuétude fonctionnelle et de la désuétude économique. Il doit également indiquer la méthode de quantification dont résulte chacun de ces montants. »

[13]       En l’espèce, l’intimée a respecté la disposition de l'article 18.2 LFM en transmettant aux requérantes le 13 février 2015 les renseignements contenant notamment un chiffrier détaillant pour chacun des bâtiments de chaque unité d'évaluation en cause les éléments suivants:

- le coût neuf

- la détérioration physique

- la désuétude fonctionnelle

- la désuétude externe

- la valeur indiquée

[14]       L’avis transmis par l’intimé informait les requérantes de leurs obligations en vertu de l'article 18.3 LFM qui stipule:

« 18.3. En cas de désaccord avec l’un des renseignements que l’évaluateur lui a communiqué conformément à l’article 18.2, le propriétaire doit, avant le 1er juin du premier exercice financier qui précède le premier de ceux pour lesquels le rôle d’évaluation foncière est dressé, communiquer par courrier recommandé à l’évaluateur les renseignements qui sont exigés en vertu de l’article 18.2 et qu’il entend faire reconnaître. »

[15]       Les informations requises pour être conformes aux articles 18.2 et 18.3 LFM sont donc les suivantes :

- le coût neuf des constructions;

- la ventilation de la détérioration physique, de la désuétude fonctionnelle et de la désuétude économique.

[16]       Or, les informations transmises à l'intimée le 28 mai 2015 indiquent globalement, pour l'ensemble des bâtiments, les seuls éléments suivants:

- le coût neuf;

- la dépréciation physique;

- les désuétudes fonctionnelles et économiques, indistinctement;

- la valeur indiquée.

[17]       Ces informations ont été transmises le 28 mai 2015 par les services immobiliers Racine, Larochelle et Associés et non pas par les requérantes propriétaires des unités d’évaluation.

[18]       En vertu d’une autorisation et procuration du 10 mars 2015 et d'une autre du 17 mars 2015, « Les services immobiliers Racine, Larochelle & Associés » est autorisée à consulter les documents municipaux et à négocier avec les autorités municipales. Cette autorisation est signée par M. Ian Wetherly, conseiller immobilier de Kruger Inc., laquelle compagnie n’est pas le propriétaire de chaque unité d’évaluation.

[19]       Considérant que le mandant en l’espèce n’est pas propriétaire des unités d’évaluation, et considérant de plus que les mandats sont rédigés en termes très généraux et ne peuvent viser un avis transmis en vertu de l’article 18.3 LFM, le Tribunal est d’avis que cela suffit pour déclarer les recours irrecevables, car les informations transmises le 28 mai 2015 ne peuvent être considérées comme celles du propriétaire au sens dudit article 18.3 LFM.

[20]       Pour autant que besoin soit, le Tribunal ajoute les observations qui suivent à l'égard des informations transmises à l'intimée le 28 mai 2015 par Les services immobiliers Racine, Larochelle & Associés même si cela n'émane pas des propriétaires des unités d'évaluation.

[21]       Malgré la clarté de la LFM, les informations transmises le 28 mai 2015 énoncent globalement et indistinctement, pour l’ensemble de l’unité d’évaluation, les désuétudes fonctionnelles et économiques.

[22]       Ce seul défaut de distinguer la désuétude fonctionnelle et économique est fatal et doit entrainer le rejet des recours des requérantes selon l’article 18.4 al.1 LFM, lequel stipule ce qui suit :

« 18.4. À moins que le propriétaire n’ait notifié son désaccord conformément à l’article 18.3, seuls les renseignements communiqués par l’évaluateur conformément à l’article 18.2 doivent être utilisés aux fins de l'établissement de la valeur des constructions qui font partie d'un immeuble à l'égard duquel la méthode d'évaluation prévue par le règlement pris en vertu du paragraphe 10 de l'article 262 est obligatoire. [...] »

[23]       Selon la loi, à défaut de fournir les renseignements exigés, seuls les renseignements communiqués par l’évaluateur peuvent être utilisés.

[24]       Au surplus, les informations transmises le 28 mai 2015 ne ventilent aucunement pour chaque bâtiment le coût neuf des constructions, ni la ventilation des détériorations pour chacun des bâtiments.

[25]       Les informations transmises le 28 mai 2015 ne répondent pas aux exigences de la LFM, sont trop générales et ne permettent pas d’engager des négociations sérieuses selon le témoignage non-contredit de M. Stéphane Hamelin.

[26]       Comme l’a souligné M. Hamelin, le sommaire transmis le 28 mai 2015 ne répond pas aux exigences de la loi et il a quand même tenté sans succès un rapprochement entre les parties après la date limite pour la transmission de la réponse du propriétaire sans aucune renonciation à prétendre devant le Tribunal que ce sommaire ne constitue pas un avis de désaccord au sens de la LFM.

[27]       Le Tribunal est d’avis que le processus prévu aux articles 18.1 à 18.6 LFM n’a pas été respecté par les requérantes, car les informations transmises le 28 mai 2015 n’ont pas été utiles pour la mise au rôle des bâtiments et n’étaient pas réciproques avec les informations communiquées par l’évaluateur.

[28]       Dans une décision de notre Tribunal accueillant la requête en irrecevabilité d’un recours où le propriétaire n'avait pas signifié son désaccord, notre collègue le juge Charles Gosselin s'exprime comme suit dans l'affaire Cepsa Chimie Bécancour c. Ville de Bécancour[2]:

« [43] La réponse à cette question est dictée limpidement à l'article 18.4 LFM quand le législateur exprime sans équivoque qu'il établit en quelque sorte une présomption irréfragable de véracité des renseignements communiqués par l'évaluateur municipal aux fins de l'établissement de la valeur des constructions qui font partie d'un immeuble à vocation unique, à moins que le propriétaire n'ait signifié dans les délais prévus à l’article 18.3 LFM son désaccord avec ceux-ci, ce qui en l'espèce n'avoir pas été fait. »

(Transcription conforme et soulignement du Tribunal)

[29]       C’est pourquoi, en l'absence d'avis de désaccord des requérantes dans les délais prévus à l'article 18.3 LFM, la sanction prévue à l'article 18.4 LFM établit une présomption de validité « juris et de jure » des renseignements communiqués par l’intimée et ce motif suffit également pour déclarer les recours irrecevables.

[30]       Le Tribunal en vient donc à la conclusion que les recours des requérantes sont irrecevables et doit les rejeter.

POUR CES MOTIFS, le Tribunal :

REJETTE les recours;

LE TOUT avec frais de justice.

 


 

 

PIERRE SÉGUIN, j.a.t.a.q.


 

Stein Monast S.E.N.C.R.L.

Me Richard Laflamme

Procureur de la partie requérante

 

DHC Avocats inc.

Me Paul Wayland

Procureur de la partie intimée


 



[1] RLRQ, c. F-2.1.

[2] 2014 QCTAQ 09968.

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