DÉCISION
[1] Le 7 août 2000, monsieur Stéphane Bériault (le travailleur) dépose à la Commission lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 31 juillet 2000 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST maintient celles qu’elle a respectivement rendues les 17 et 27 avril 2000. D’une part, elle déclare que sa décision initiale, refusant implicitement de reconsidérer la base salariale servant à l’établissement de l’indemnité de remplacement du revenu, est bien fondée et que le travailleur ne peut se voir appliquer l’article 76 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). D’autre part, elle déclare que le travailleur n’a pas droit au remboursement des coûts relatifs à l’achat et à l’installation d’un démarreur à distance pour sa voiture et à l’acquisition d’un téléphone cellulaire.
[3] Le travailleur est présent à l’audience et il est assisté de son avocat. L’employeur y est aussi représenté.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que son revenu brut, servant de base au calcul de ses indemnités de remplacement du revenu, soit déterminé en tenant compte du salaire plus rémunérateur qu’il aurait pu gagner lorsque s’est manifestée sa lésion, conformément à l’article 76 de la loi. Il demande également à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a droit au remboursement des coûts relatifs à l’achat et à l’installation d’un démarreur à distance ainsi qu’à l’achat et à l’abonnement d’un téléphone cellulaire.
LES FAITS
[5] Des témoignages entendus à l’audience et de la preuve documentaire, la Commission des lésions professionnelles retient les éléments pertinents suivants.
[6] Monsieur Simon Villeneuve opère la compagnie 90173873 Québec inc. Selon la saison, cette compagnie embauche entre cinq et vingt employés pour des opérations forestières.
[7] Au début du mois de septembre 1997, monsieur Simon Villeneuve est à la recherche d’un opérateur de machinerie lourde qui pourrait travailler pour lui à Brochu dans la région de Sept - Îles. Il demande à son beau-frère s’il ne connaîtrait pas quelqu’un qui pourrait faire ce travail. À cette époque, monsieur Bériault rencontre monsieur Dany Lacroix à Senneterre. Celui‑ci informe le travailleur que son oncle, monsieur Simon Villeneuve, désire embaucher un opérateur de machinerie lourde pour travailler sur la Côte-Nord. Le travailleur était en recherche d’emploi pour ce genre de travail. Monsieur Lacroix confirme au travailleur qu’il donnera son nom et son numéro de téléphone à son oncle.
[8] Quelques jours plus tard, monsieur Simon Villeneuve, qui est à Sept-Îles, rappelle le travailleur. Ils conviennent que celui-ci soit embauché comme opérateur de machinerie lourde à 18,00 $ de l’heure. Il devait aussi être logé, nourri et avoir le camion fourni. Cependant, la valeur de cet avantage n’est pas démontrée.
[9] Monsieur Villeneuve n’ignore pas que le travailleur a peu d’expérience, mais il préfère embaucher une personne qui lui est référée par une connaissance que d’embaucher une personne qui a beaucoup d’expérience, mais qui risque de ne pas faire attention à la machinerie.
[10] Monsieur Villeneuve donne rendez-vous au travailleur à Grand-Remous où il pourra partir avec lui pour se rendre à Brochu, près de Sept-Îles. Deux jours plus tard, monsieur Villeneuve rappelle à la résidence du travailleur. Celui-ci n’étant pas à la maison au moment de l’appel, monsieur Villeneuve parle avec la mère du travailleur. Monsieur Villeneuve l’informe que la machine sur laquelle devait travailler son fils a versé et qu’il n’aura pas de travail pour monsieur Bériault tant que la machine ne sera pas réparée. Il rappellera monsieur Bériault lorsque la machine sera remise en état.
[11] Dans la semaine suivante, le travailleur circule en voiture. Il aperçoit de la machinerie dans la cour de Transports Jean-Louis Allaire et Fils inc. (l’employeur). Il arrête et parle avec le frère du propriétaire de cette entreprise qui accepte d’embaucher le travailleur. Celui-ci commence à travailler, le 14 septembre 1997, comme opérateur de machinerie lourde. Son travail consiste essentiellement à charger et décharger des camions à l’aide d’une chargeuse dans une cour à bois. Il travaille à temps partiel et sur appel. Il reçoit alors un salaire de 12,50 $ de l’heure. Lorsqu’il effectue du travail au garage de l’employeur, il est payé à 10,00 $ de l’heure. Le travailleur affirme qu’il occupait ce travail en attendant d’être appelé par monsieur Villeneuve pour travailler à de meilleures conditions salariales. Il n’informe pas son employeur de cette situation.
[12] Par ailleurs, à deux reprises, le travailleur est appelé à accompagner un autre employé pour effectuer l’entretien de la machinerie de l’employeur, située dans le bois. Le 28 novembre 1997, le travailleur se rend dans le bois, accompagné d’un collègue de travail. Monsieur Bériault est assis du côté du passager lorsque le camion dans lequel il prend place entre en collision avec un camion de bois en longueur.
[13] Le travailleur subit plusieurs traumatismes à la jambe, au dos, à l’œil ainsi qu’au niveau psychique. Il complète une réclamation du travailleur qui est acceptée par la CSST. Celle-ci verse des indemnités de remplacement du revenu sur la base d’un revenu annuel de 17 919,94 $.
[14] À la fin du mois de décembre 1997, monsieur Simon Villeneuve tente de rejoindre le travailleur pour l’informer que la machine qu’il devait opérer est réparée et qu’il peut se rendre à Sept-Îles pour travailler. Cependant, monsieur Villeneuve a du mal à rejoindre le travailleur. Il finit par parler à la mère du travailleur qui l’informe que son fils ne pourra pas travailler compte tenu de l’accident qu’il a subi.
[15] Par la suite, le travailleur est suivi par plusieurs médecins de différentes spécialités. Le 10 décembre 1998, le docteur Quiniou consolide le travailleur sur le plan orthopédique. Le 23 février 1999, le travailleur est évalué par le docteur Taillefer, omnipraticien. Celui-ci attribue un déficit anatomo-physiologique de 88 % pour des séquelles douloureuses au membre inférieur droit et à la région lombaire suite à une fracture du genou droit avec arrachement du ligament croisé antérieur suivi d’une phlébite du membre inférieur droit et de lésions motrices du nerf fémoral et sciatique.
[16] Par ailleurs, selon le docteur Taillefer, le travailleur devrait subir une nouvelle analyse en ergothérapie. Il est d’avis qu’un démarreur à distance serait très utile pour le travailleur afin de pouvoir réchauffer son véhicule par temps froid avant de s’y installer. Il précise que les variations climatiques peuvent affecter la condition précaire et le gonflement du membre inférieur droit du travailleur compte tenu des séquelles d’une phlébite et d’une possible dystrophie sympathique réflexe. De plus, il est d’avis qu’il serait sécuritaire pour le patient de faire usage d’un téléphone cellulaire dans sa voiture afin de recevoir l’aide appropriée en cas de panne ou de crevaison.
[17] Le 16 février 1999, la CSST accepte de rembourser le coût d’achat pour les frais d’adaptation du véhicule, soit la relocalisation de la pédale d’accélérateur du côté gauche.
[18] Le 17 mai 1999, à la demande de la CSST, le travailleur est évalué par le docteur Guimont, orthopédiste. Celui-ci retient que le travailleur a subi un traumatisme important avec fracture du genou, atteinte ligamentaire et lésion neurologique du plexus lombaire et du membre inférieur droit. Il note que le travailleur a aussi subi une thrombophlébite. Le docteur Guimont constate que l’examen est très difficile à cause de la douleur, de l’impotence et de la faiblesse musculaire. Il attribut un déficit anatomo-physiologique de 27 % pour des séquelles au niveau de la jambe droite et au niveau lombaire. Il précise que le gonflement important du genou empêche d’objectiver une atteinte patello-fémorale ainsi qu’une instabilité du genou qui pourront possiblement être évaluées ultérieurement. Par ailleurs, il est d’avis que l’atteinte neurologique est importante et que le travailleur devra être éventuellement évalué en neurologie. Les autres lésions devront être évaluées selon les spécialités appropriées.
[19] Le 14 septembre 1999, dans le cadre d’une évaluation physique et psychosociale, le travailleur rencontre le docteur Bernard Talbot, physiatre. Celui-ci constate que le travailleur se déplace à l’aide de béquilles. Cependant, il précise que, pour des raisons orthopédiques et neurologiques, le travailleur a aussi besoin d’un fauteuil roulant. Le docteur Talbot est d’avis que le véhicule du travailleur doit être adapté pour lui permettre d’y transférer seul son fauteuil roulant. Il recommande que le travailleur doit obtenir un téléphone cellulaire pour s’assurer que sa vie ne soit mise en danger s’il tombe en panne ou si son véhicule subit une crevaison.
[20] Le 26 novembre 1999, par l’intermédiaire de son procureur, le travailleur demande à la CSST d’appliquer l’article 76 de la loi. Il lui demande de tenir compte du salaire qu’il aurait gagné comme opérateur de pelle mécanique et d’opérateur chargeur chez Entreprises forestières SMV à 18,00 $ de l’heure, 12 heures par jour, 5 jours par semaine, logé, nourri et véhicule fourni. Le 18 janvier 2000, le procureur du travailleur précise l’adresse de cette entreprise et de son propriétaire, monsieur Simon Villeneuve.
[21] Le 2 février 2000, à la demande de la CSST, madame Lyne Martin, représentante de l’employeur écrit à la CSST pour expliquer le contexte dans lequel le travailleur a été embauché. Elle affirme que l’employeur a embauché le travailleur à titre d’opérateur de machinerie lourde. Cependant, avant d’obtenir ce poste, il devait réussir une formation d’une durée de 18 mois environ. En outre, l’employeur précise qu’il opérait une chargeuse dans un environnement de travail ne nécessitant pas une grande expérience. Au moment de son accident, sa formation étant loin d’être terminée, il lui est difficile de conclure si le travailleur pouvait exécuter un travail de qualité dans un contexte de productivité. Madame Martin comprend difficilement qu’un autre l’employeur désirait embaucher le travailleur à 18,00 $ de l’heure sans l’avoir vu travailler.
[22] Le 14 mars 2000, le travailleur est évalué en ergothérapie pour un bilan physique et psychosocial ainsi que pour l’adaptation d’un véhicule. L’ergothérapeute rapporte que le travailleur utilise régulièrement sa camionnette, notamment pour des rendez-vous médicaux. Elle recommande l’achat d’un téléphone cellulaire puisque les difficultés à se déplacer et son manque d’endurance rendraient difficile la demande d’une assistance en cas de panne ou de crevaison. Le froid et les conditions climatiques risqueraient de l’affecter davantage qu’une autre personne.
[23] Le 17 avril 2000, la CSST décide qu’elle ne peut donner suite à la demande du travailleur concernant l’application de l’article 76 de la loi. Elle lui écrit :
« [...]
Pour être admissible à l’application de l’article 76, il faut que le travailleur ait eu la possibilité d’occuper un emploi plus rémunérateur au moment où s’est manifestée la lésion, n’eût été de circonstances particulières.
Suite à l’analyse du dossier, la preuve démontre que vous n’aviez aucune possibilité d’occuper l’emploi proposé pour les motifs suivants :
- Au moment de l’événement, vous étiez à l’emploi de Transport Jean-Louis Allaire & Fils inc. comme stagiaire depuis deux mois. Vous aviez été engagé pour un poste d’opérateur de machinerie lourde, conditionnellement à une formation réussie d’une durée moyenne de dix-huit mois.
Donc au moment de l’événement, vous étiez en formation depuis deux mois seulement, et vous n’aviez pas encore acquis la formation et les compétences nécessaires à occuper un tel poste.
Nous avons étudié la lettre que vous nous avez fournie, datée du 14 octobre 1999 et M. Simon Villeneuve, propriétaire de « Les entreprises forestières S.M.V. inc. », qui confirmait qu’un emploi aurait été disponible pour vous en décembre 1997.
Or, suite à des vérifications, nous avons appris que l’employeur « Les entreprises forestières S.M.V. inc », administré par M. Simon Villeneuve, n’avait aucune existence légale avant le 13 mars 1998 et n’a commencé à engager des travailleurs que le 22 mars 1998, soit quatre mois après l’événement. Or, pour que l’article 76 puisse s’appliquer, il aurait fallu que la possibilité d’occuper ledit emploi survienne de façon concomitante avec l’événement ayant causé votre lésion, ce qui n’est pas le cas.
Vous comprendrez que nous ne pouvons accéder à votre demande.
[...] » [sic]
[24] Le travailleur conteste cette décision. Suite à la révision administrative, la CSST décide que cette lettre constitue un refus implicite de reconsidérer la base salariale servant à déterminer l’indemnité de remplacement du revenu et qu’elle est bien fondée.
[25] Le 27 avril 2000, la CSST décide de ne pas rembourser le coût d’achat d’un démarreur à distance ni d’octroyer une aide financière pour l’acquisition d’un téléphone cellulaire. Le travailleur conteste cette décision.
L’ARGUMENTATION DES PARTIES
[26] En ce qui concerne l’application de l’article 76 de la loi, l’avocat du travailleur soumet qu’il ne s’agit pas de la reconsidération d’une décision en vertu de l’article 365 de la loi. Il plaide que les deux conditions d’ouverture à l’application de l’article 76 sont établies par la preuve soumise. D’une part, la preuve démontre que depuis plus de deux ans, le travailleur est incapable d’exercer son emploi. D’autre part, il soumet que la preuve démontre que le travailleur aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur lorsque s’est manifestée sa lésion, n’eût été de circonstances particulières.
[27] En ce qui concerne le remboursement du coût d’achat d’un démarreur à distance et d’un téléphone cellulaire, l’avocat du travailleur plaide qu’ils sont recommandés par deux médecins et par un ergothérapeute afin de ne pas aggraver sa condition. Selon le représentant du travailleur, l’article 155 doit être interprété largement en relation avec l’article 1 de la loi. La loi a aussi un but préventif et ses mesures sont recommandées dans le but que le travailleur n’aggrave pas sa condition.
[28] La représentante de l’employeur précise que la preuve soumise est insuffisante pour permettre à la Commission des lésions professionnelles de conclure que le travailleur aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur alors que s’est manifestée sa lésion professionnelle. En outre, elle souligne que la preuve démontre qu’il n’existait aucun contrat de travail signé entre les parties. De plus, elle se questionne sur le fait qu’un employeur puisse embaucher un travailleur à 18,00 $ de l’heure alors que celui-ci n’avait que très peu d’expérience pour opérer de la machinerie lourde dans le bois. Elle soumet que le travailleur n’a pas fait la preuve de l’existence de conditions particulières prévues à l’article 76. Selon elle, il est impossible de dire ce qui se serait vraiment passé si le travailleur n’avait pas eu son accident du travail. De plus, le travailleur n’a jamais dit à son employeur qu’il avait obtenu un autre emploi et qu’il travaillait chez l’employeur en attendant.
L’AVIS DES MEMBRES
[29] Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d’employeurs sont d’avis que l’article 365 ne s’applique pas en l’espèce. La preuve non contredite démontre que, n’eût été du bris de la machinerie que devait opérer le travailleur pour la compagnie 90173873 Québec inc., le travailleur aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur lorsque s’est manifestée la lésion. Ils sont d’avis que les conditions d’application de l’article 76 sont rencontrées.
[30] En ce qui concerne l’achat d’un démarreur à distance et d’un téléphone cellulaire, le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que ces accessoires ne sont pas nécessaires pour rendre le travailleur capable de conduire lui-même son véhicule ou d’en avoir accès.
[31] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que la preuve soumise ne lui permet pas de conclure que le coût d’achat d’un démarreur à distance est justifié sur le plan médical. Il ne peut retenir l’opinion des médecins recommandant l’installation d’un démarreur à distance pour éviter les risques de phlébites par l’exposition au froid. D’ailleurs, à ce sujet, il retient du témoignage du travailleur qu’il a subi une phlébite en été. De plus, il est aussi d’avis que le coût d’achat d’un téléphone cellulaire n’est pas remboursable, mais il pense qu’un système de détresse relié à une centrale pour pallier à des situations d’urgence pourrait être remboursable.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[32] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur peut bénéficier de l’application de l’article 76 de la loi qui se lit comme suit :
76. Lorsqu'un travailleur est incapable, en raison d'une lésion professionnelle, d'exercer son emploi pendant plus de deux ans, la Commission détermine un revenu brut plus élevé que celui que prévoit la présente sous‑section si ce travailleur lui démontre qu'il aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur lorsque s'est manifestée sa lésion, n'eût été de circonstances particulières.
Ce nouveau revenu brut sert de base au calcul de l'indemnité de remplacement du revenu due au travailleur à compter du début de son incapacité.
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1985, c. 6, a. 76.
[33] Il est aussi utile de citer l’article 365 de la loi :
365. La Commission peut reconsidérer sa décision dans les 90 jours, si celle‑ci n'a pas fait l'objet d'une décision rendue en vertu de l'article 358.3, pour corriger toute erreur.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'une partie, si sa décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel, reconsidérer cette décision dans les 90 jours de la connaissance de ce fait.
Avant de reconsidérer une décision, la Commission en informe les personnes à qui elle a notifié cette décision.
Le présent article ne s'applique pas à une décision rendue en vertu du chapitre IX.
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1985, c. 6, a. 365; 1992, c. 11, a. 36; 1997, c. 27, a. 21; 1996, c. 70, a. 43.
[34] Pour pouvoir bénéficier de l’application de l’article 76, le travailleur doit rencontrer deux conditions. D’une part, la preuve doit démontrer qu’il est incapable d’exercer son emploi pendant plus de deux ans suite à une lésion professionnelle. D’autre part, elle doit démontrer que le travailleur aurait pu exercer un emploi plus rémunérateur lorsque s’est manifestée sa lésion, n’eût été de circonstances particulières[2].
[35] Dans le cadre de la révision administrative, la CSST considère que la décision de première instance, refusant de revoir la base de salaire en vertu de l’article 76 de la loi, constitue un refus implicite de reconsidérer l’avis de paiement initial déterminant le revenu brut servant à calculer l’indemnité de remplacement du revenu. Or, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que la demande du travailleur à la CSST de revoir sa base salariale, en vertu de l’article 76 de la loi, ne constitue pas une demande de reconsidération au sens de l’article 365 de la loi. Le travailleur demande à la CSST de revoir à la hausse sa base salariale, celui-ci étant incapable d’exercer son emploi depuis plus de deux ans. Il n’a pas à démontrer la connaissance d’un nouveau fait. L’article 76 de la loi exige plutôt que la CSST se replace au moment de la survenance de la lésion et qu’elle détermine si, à cette époque, la preuve démontre que le travailleur, n’eût été de circonstances particulières, aurait occupé un emploi plus rémunérateur[3]. L’article 76 n’impose aucun délai pour loger une telle demande si ce n’est de la preuve de l’incapacité depuis plus de deux ans. D’ailleurs, en première instance, la CSST n’a pas traité la demande du travailleur d’appliquer l’article 76 de la loi comme une reconsidération.
[36] Quant à l’application des conditions prévues à l’article 76, il n’est pas contesté que le travailleur est incapable d’exercer son emploi pendant plus de deux ans depuis la lésion professionnelle. La Commission des lésions professionnelles retient de la preuve au dossier que, deux ans après la survenance de la lésion, celle-ci n’est consolidée que sur le plan orthopédique et que les autres sphères médicales restent à être consolidées et évaluées.
[37] Il reste à déterminer si le travailleur aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur lorsque s’est manifestée sa lésion, n’eût été de circonstances particulières.
[38] La jurisprudence établit que pour analyser cette deuxième condition, il faut se replacer au moment de la survenance de la lésion. Il ne doit pas s’agir d’une situation purement hypothétique[4].
[39] En l’espèce, la preuve prépondérante démontre que, au moment de la survenance de la lésion, le travailleur occupe un emploi d’opérateur de machinerie lourde pour Transports Jean‑Louis Allaire et Fils inc. À ce sujet, l’employeur soumet que le travailleur avait été embauché comme stagiaire et que l’obtention de son poste était conditionnelle à la réussite de sa formation d’une durée de 18 mois. De son côté, le travailleur soutient qu’il avait été embauché comme opérateur de machinerie lourde et non comme stagiaire dans le but d’occuper un tel poste. Or, la Commission des lésions professionnelles retient que l’avis de l’employeur, signé par sa représentante, indique que le métier du travailleur exercé au moment de l’accident du travail était celui d’opérateur de machinerie lourde. La preuve non contredite démontre aussi que, lorsqu’il opérait la chargeuse, aucune supervision particulière n’était exercée auprès du travailleur. Par ailleurs, contrairement à ce qu’affirme la CSST dans la lettre du 17 avril 2000, la preuve prépondérante démontre qu’aucune formation, compétence ou condition particulière n’est exigible pour occuper le poste d’opérateur de machinerie lourde. Un employeur peut accepter d’embaucher un travailleur sans expérience pour le former lui-même aux conditions qu’il fixe. En outre, la Commission des lésions professionnelles retient qu’aucun permis particulier n’est requis pour opérer une machinerie lourde en forêt.
[40] La Commission des lésions professionnelles retient aussi de la preuve que dans les quelques jours précédant le début de son emploi chez Transports Jean-Louis Allaire et Fils inc., le travailleur devait commencer un emploi pour la compagnie 90173873 Québec inc. La preuve non contredite démontre qu’un contrat de travail était intervenu verbalement entre le travailleur et monsieur Simon Villeneuve selon lequel monsieur Bériault travaillerait à plein temps comme opérateur de machinerie lourde à 18,00 $ de l’heure. Le logement, la nourriture et le véhicule devaient être fournis par cet employeur. Il était entendu que le travailleur devait rejoindre monsieur Villeneuve à Grand-Remous pour se rendre avec lui à Brochu dans la région de Sept‑Îles où opérait son entreprise. La preuve non contredite démontre aussi que la machine, qui devait être opérée par le travailleur, a versé juste avant son départ pour Grand-Remous. Monsieur Villeneuve a rappelé le travailleur pour l’informer qu’il le rappellerait dès que la machine serait réparée et qu’il pourrait alors travailler à Sept-Îles.
[41] La représentante de l’employeur invoque que cette preuve est insuffisante pour démontrer que le travailleur aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur puisque aucun contrat écrit n’est intervenu entre monsieur Villeneuve et le travailleur et qu’il est impossible qu’un employeur embauche de cette façon un travailleur sans expérience à un tel salaire.
[42] Or, la Commission des lésions professionnelles retient de la preuve soumise que, l’embauche du travailleur par Transports Jean-Louis Allaire et Fils inc. s’est effectuée verbalement. De plus, la preuve démontre que cet employeur a embauché monsieur Bériault malgré une expérience de travail limitée. Par ailleurs, le témoignage de monsieur Villeneuve démontre que celui-ci préférait embaucher un travailleur sans expérience, qui lui était référé par une personne de sa connaissance, qu’un travailleur inconnu risquant de ne pas faire attention à la machinerie.
[43] La Commission des lésions professionnelles retient aussi de la preuve non contredite que monsieur Bériault travaillait, sur appel et à temps partiel à un salaire moindre chez Transports Jean-Louis Allaire et Fils inc., en attendant que la machine soit réparée et qu’il puisse travailler à de meilleures conditions pour monsieur Villeneuve.
[44] De plus, il ressort de la preuve testimoniale et documentaire que, au début du mois de septembre 1997, monsieur Simon Villeneuve était propriétaire de deux compagnies : Les Entreprises forestières SMV inc. et 90173873 Québec inc. La compagnie « Les Entreprises forestières SMV inc. » existait en 1997, mais n’était pas encore enregistrée auprès des différents organismes gouvernementaux. La compagnie 90173873 Québec inc. existait depuis 1995 et embauchait du personnel pour exercer des activités forestières. La Commission des lésions professionnelles retient de la preuve non contredite que, contrairement aux vérifications effectuées par la CSST, monsieur Simon Villeneuve était en mesure d’offrir un emploi d’opérateur de machinerie lourde au travailleur à l’automne 1997.
[45] La Commission des lésions professionnelles ne peut retenir l’argument de l’employeur selon lequel monsieur Bériault ne leur a jamais parlé qu’il était dans l’attente d’occuper un emploi chez un autre entrepreneur. Dans le contexte où le travailleur désirait continuer à travailler chez l’employeur en attendant son autre emploi, il est tout à fait plausible qu’il ait préféré ne rien dire à ce sujet aux représentants de Transports Jean-Louis Allaire et Fils inc.
[46] Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles conclut que le travailleur rencontre les conditions d’application de l’article 76 de la loi. Elle est d’avis que le travailleur a démontré qu’il aurait pu occuper un emploi d’opérateur de machinerie lourde à un revenu brut de 18,00 $ de l’heure, n’eût été du bris de la machinerie qu’il devait opérer. Ce nouveau revenu brut doit donc servir de base au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu rétroactivement à la date du début de son incapacité.
[47] Il reste à la Commission des lésions professionnelles à déterminer si le travailleur a droit au remboursement du coût d’achat d’un démarreur à distance et d’un téléphone cellulaire.
[48] Les articles 151, 152 et 155 de la loi prévoient ce qui suit :
151. La réadaptation sociale a pour but d'aider le travailleur à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s'adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l'accomplissement de ses activités habituelles.
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1985, c. 6, a. 151.
152. Un programme de réadaptation sociale peut comprendre notamment :
1 des services professionnels d'intervention psychosociale;
2 la mise en œuvre de moyens pour procurer au travailleur un domicile et un véhicule adaptés à sa capacité résiduelle;
3 le paiement de frais d'aide personnelle à domicile;
4 le remboursement de frais de garde d'enfants;
5 le remboursement du coût des travaux d'entretien courant du domicile.
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1985, c. 6, a. 152.
155. L'adaptation du véhicule principal du travailleur peut être faite si ce travailleur a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique et si cette adaptation est nécessaire, du fait de sa lésion professionnelle, pour le rendre capable de conduire lui‑même ce véhicule ou pour lui permettre d'y avoir accès.
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1985, c. 6, a. 155.
[49] En l’espèce, il n’est pas contesté que le travailleur a subi une atteinte permanente grave suite à sa lésion professionnelle. D’ailleurs, la CSST a accepté d’adapter le véhicule du travailleur en déplaçant sa pédale d’accélérateur à gauche. Cependant, la preuve soumise ne démontre pas de façon prépondérante que le démarreur à distance et le téléphone cellulaire sont des adaptations qui sont nécessaires pour rendre le travailleur capable de conduire lui-même son véhicule ou pour lui permettre d’y avoir accès.
[50] D’une part, le travailleur soumet qu’il serait nécessaire de lui fournir un démarreur à distance compte tenu des risques qu’il présente de faire une phlébite de la jambe lorsqu’il est exposé au froid. La Commission des lésions professionnelles retient que le docteur Taillefer affirme que les variations climatiques peuvent affecter la condition de douleur et de gonflement de son membre inférieur droit compte tenu des séquelles de phlébite et d’une possible dystrophie sympathique réflexe. Or, le docteur Taillefer n’explique aucunement en quoi l’exposition au froid peut affecter le membre inférieur droit du travailleur. De plus, la Commission des lésions professionnelles retient de la preuve testimoniale que le travailleur a subi une phlébite en été alors qu’il n’a pas été exposé au froid.
[51] Par ailleurs, en ce qui concerne le téléphone cellulaire, la Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’il ne s’agit pas d’une adaptation au véhicule visant à rendre le travailleur capable de conduire lui-même son véhicule ou pour lui permettre d’y avoir accès. La preuve démontre que le travailleur conduit déjà son véhicule tel qu’adapté. De plus, un téléphone cellulaire est un accessoire qui ne constitue pas une adaptation au véhicule.
[52] Dans ces circonstances, la Commission des lésions professionnelles conclut que le travailleur n’a pas droit au remboursement du coût d’achat et de l’installation d’un démarreur à distance ni du coût d’achat et d’abonnement à un téléphone cellulaire.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE en partie la requête de monsieur Stéphane Bériault, le travailleur;
MODIFIE la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 31 juillet 2000 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le revenu brut de 18,00 $ de l’heure doit être retenu pour déterminer l’indemnité de remplacement du revenu rétroactivement au 28 novembre 1997;
DÉCLARE que le travailleur n’a pas droit au remboursement du coût d’achat d’un démarreur à distance ni d’un téléphone cellulaire.
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Me Monique Lamarre |
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Commissaire |
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Me Denis Béchard |
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Représentant de la partie requérante |
JURISPRUDENCE DÉPOSÉE PAR LE TRAVAILLEUR
François Rivest et Voyages au Nordest inc., CLP, 134493-63-0003, 2000-11-30, D. Beauregard
Les Coffrages Thibodeau inc. et Jean-Claude Beaudoin, [1992] CALP 1565 à 1568
Michel Richard et JBL Transport inc., CALP, 74151-05-9510, 1997-07-04, M. Cuddihy
Bucci et Ville de Laval, CALP, 32063-60-9101, 1993-05-03, M. Kolodny
[1] L.R.Q., chapitre A-3.001
[2] Rivest et Voyages au Nordest inc., CLP, 134493-63-0003, 2000-11-30, D. Beauregard; Létourneau et Automobile Transport inc., CLP 126297-61-9911, 2001-01-16, G. Morin
[3] Voir Létourneau et Automobile Transport inc., précitée note 2; Richard et JBL Transport inc., CALP, 74151-05-9510, 1997-07-04, M. Cuddihy
[4] Michaud et KPMG inc. (syndic), CLP, 126081-31-9911, 2000-11-14, R. Ouellet; Leclerc et Construction Yvan Fortin (fermé), CLP, 88449-03-9705, 1998-09-29, M. Carignan; Boudreault et Établissements de détention Québec, CLP, 152376-02-0012, 2001-05-08, C. Bérubé; Akkari et Les Entreprises Deland 2000 inc., CLP, 156435-62-0103, 2001-06-18, S. Mathieu; Lalancette et Aimé Moreau (1986) enr. (fermé), CALP, 42085-02-9208, 1994-10-05, J.-M. Dubois; Ducharme et Henco inc., CALP, 48091-60-9212, 1994‑06-20, L. McCutcheon
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