S.C. c. SSQ, société d'assurance-vie inc. |
2019 QCCQ 3008 |
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COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
GATINEAU |
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LOCALITÉ DE |
GATINEAU |
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« Chambre civile » |
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N° : |
550-22-017985-175 |
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DATE : |
13 mai 2019 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DU JUGE STEVE GUÉNARD, J.C.Q. |
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S... C... |
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Demanderesse |
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c. |
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SSQ, SOCIÉTÉ D’ASSURANCE-VIE INC |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] Mme S... C... occupe, depuis le mois d’octobre 2000, un poste d’enseignante au niveau primaire. Elle est une employée, depuis ce moment, de la Commission scolaire A (ci-après la Commission scolaire).
[2] À ce titre, Mme C... est également l’adhérente, en tous moments pertinents, à une assurance collective auprès de la défenderesse SSQ, prise par l’entremise de la Commission scolaire. Cette assurance collective comporte une assurance salaire de longue durée.
[3] En raison d’une problématique de santé affectant son intestin, englobée à même un diagnostic - admis[1] - de diverticulite chronique, Mme C... doit s’absenter de son travail pour diverses périodes au fil des ans. Elle soumet que 6 crises majeures surviennent entre les mois de novembre 2002 et octobre 2014. Son médecin traitant en arrive à la conclusion que l’une des causes de telles crises est le stress important qui l’afflige, particulièrement au travail.
[4] Les absences, en raison de ces épisodes, sont d’inégales durées au fil des années, la plus longue étant pour une durée de près de deux ans, et ce, sur ordre de sa chirurgienne. Diverses autres absences, parfois pour quelques semaines, s’avèrent nécessaires au fil du temps.
[5] Suite à un épisode majeur survenant en 2007, et pour lequel Mme C... sera absente pour près de deux ans, cette dernière revient au travail, en août 2009, à « trois jours/semaine », puis à « quatre jours/semaine » du 19 janvier 2009 au 12 avril 2010.
[6] Un retour à « 5 jours/semaine » est tenté en avril 2010 mais se solde par un échec vers la mi-avril 2010. Par la suite, et à l’exception de ses périodes de congés différés et d’une rechute, Mme C... travaillera essentiellement 4 jours par semaine depuis le mois de mai 2010, le tout conformément aux recommandations de son médecin traitant, la Docteure Sylvie Charbonneau.[2]
[7] Cela est d’ailleurs encore le cas, et ce, en date du Procès.
[8] La Commission scolaire reconnait le diagnostic de diverticulite chronique et convient, sans difficulté, en tous moments pertinents - de la nécessité pour Mme C... de travailler seulement quatre jours par semaine.
[9] Suivant la fin du délai de carence initial (soit 104 semaines), pendant lequel les prestations sont versées à Mme C... par la Commission scolaire, la SSQ en vient à prendre les rênes de la gestion de l’invalidité de celle-ci.
[10] Comme nous le verrons, la SSQ débute le versement des prestations d’assurance salaire le 29 septembre 2009.[3]
[11] Pour les sept années subséquentes[4], la SSQ reconnait - tant administrativement que médicalement - l’état de la demanderesse et lui verse les prestations réclamées. Cela est d’ailleurs confirmé, séance tenante, lors du Procès.
[12] Essentiellement, la SSQ verse parfois l’équivalent de 5 jours/semaine de prestations pour les courtes périodes lors desquelles Mme C... est en arrêt complet de travail, parfois - plutôt - l’équivalent d’une journée (parfois deux) de prestations par semaine, et ce, pour les périodes, clairement majoritaires, où Mme C... est au travail à raison de trois, ou de quatre jours par semaine.
[13] La SSQ refuse, ceci dit, de maintenir le versement des prestations en question et ce, au cours de l’automne 2016. En effet, l’agent s’occupant, dorénavant, principalement du dossier décide de requérir les commentaires du Directeur médical de la SSQ. Ce dernier émet l’opinion, à la mi-décembre 2016, que le stress ne constituerait pas une cause des crises de diverticulite et qu’ainsi, un allègement de la tâche de Mme C... à 4 jours/semaine n’est pas nécessaire ni médicalement indiqué.
[14] La SSQ décide donc, par l’entremise d’une lettre datée du 5 janvier 2017[5], de préciser à Mme C... qu’elle était apte à retourner au travail, à temps plein, depuis le mois d’août précédent. Les prestations pour toute cette période, ainsi que pour la période subséquente, n’ont jamais été versées.
[15] Mme C... ne comprend pas pour quelle raison la SSQ « change son fusil d’épaule de la sorte », et ce, considérant que sa condition médicale est la même depuis toutes ces années. La définition d’invalidité prévue au contrat, par ailleurs, est également la même pour toute la période pertinente.
[16] Insatisfaite de la situation, et après avoir respecté le processus de révision et de plainte établi par la SSQ[6], elle décide d’instituer, en date du 6 juillet 2017, une Demande introductive d’instance à l’encontre de la SSQ. Elle y réclame, essentiellement, le rétablissement de ses prestations, le versement des prestations passées, ainsi qu’une somme de 8 000$ en dommages moraux et de 3 000$ en dommages punitifs.
[17] La SSQ conteste vigoureusement l’ensemble de ces réclamations, arguant, preuve d’expert à l’appui[7], que le stress ne serait pas causal de crises de diverticulite - la demanderesse ne répondant pas - ou ne répondant plus - à la définition d’invalidité totale prévue au contrat d’assurance collective.
[18] Voyons ce qu’il en est vraiment.
QUESTIONS EN LITIGE
[19] Le présent litige soulève les questions de faits et de droit suivantes :
i) Considérant que la SSQ a versé, de 2009 à 2016, des prestations d’invalidité à la demanderesse, la preuve prépondérante soumise, de part et d’autre, démontre-t-elle que la demanderesse ne se qualifie plus, à ce titre, au sens de la police d’assurance?
ii) À qui appartient le fardeau de la preuve[8] de démontrer que la demanderesse ne se qualifie plus, depuis le mois d’août 2016, à ce titre? La preuve d’un changement dans l’état de la demanderesse s’avère-t-il nécessaire?[9] La preuve démontre-t-elle, en l’espèce, l’existence d’une entente d’accommodement conclue entre les parties?
iii) Dans l’optique où le Tribunal conclut que les prestations d’assurance doivent être rétablies, la SSQ doit-elle être condamnée au paiement de dommages pour troubles et inconvénients? Dans l’affirmative, quelle est la somme devant être octroyée sous ce chef de réclamation?
iv) Dans l’optique où le Tribunal conclut que les prestations d’assurance doivent être rétablies, la SSQ doit-elle être condamnée au paiement de dommages punitifs? Dans l’affirmative, pour quelle somme?
RÉSUMÉ ET ANALYSE DE LA PREUVE SOUMISE
[20] Sans pour autant reprendre le menu détail de toute la preuve soumise, de part et d’autre, par les parties, le Tribunal considère approprié de résumer la preuve soumise par les différents témoins.
La preuve en demande
- Le témoignage de Mme S... C...
[21] Mme C... obtient un baccalauréat, en enseignement, en 1994. Pendant la même période, elle donne naissance à ses trois enfants. Le couple qu’elle forme avec son conjoint s’occupera également d’un quatrième enfant, soit une jeune fille, provenant de la Direction de la protection de la jeunesse.
[22] Mme C... débutera d’ailleurs, au même moment, un second baccalauréat (en consommation). Ce baccalauréat se modulera, au fil des mois, en Certificat en consommation, et ce, à l’Université Laval. En parallèle, elle aide également son conjoint à « monter son entreprise ».
[23] Elle enseigne dans un Collège privé de 1997 à 2000 et poursuit sa carrière, par la suite, comme nous l’avons vu, auprès de la Commission scolaire, et ce, à titre d’enseignante au niveau primaire.
[24] Mme C... adore enseigner, bien que ce ne soit pas là un emploi des plus reposants. Elle enseignera - pendant quelques temps - au deuxième cycle du primaire (soit la 3ième et la 4ième année), mais son année de prédilection est la première année. La majorité de sa carrière se concentre sur l’enseignement aux « petits » de 6 ans qui débutent leur premier cycle au primaire.
[25] Les journées sont effrénées. « L’entreprise de mon conjoint, la marmaille, l’école, etc. etc. », Mme C... travaille sous tous les tableaux. « J’avais beaucoup d’énergie lorsque j’étais jeune », précise-t-elle. « J’ai accouché d’un de mes enfants 4 jours après la fin de mon stage », ajoute-t-elle.
[26] Cette hyperactivité familiale et professionnelle en vient, cependant, à frapper un mur en novembre 2002. Avant ce moment, Mme C... n’avait aucun problème de santé et était en pleine forme. Elle était énergique et dynamique.
[27] En novembre 2002, sa situation se module considérablement. Ressentant de violents maux de ventre, ainsi que des vomissements, elle se résigne à rater une journée à l’école. « Je croyais que c’était une gastro-entérite ».
[28] De retour à l’école, elle réussit à « passer au travers » de cette journée. Cependant, force est d’admettre qu’il ne s’agit pas là que d’une « simple gastro ». Des douleurs particulièrement intenses se font ressentir la nuit suivante, à un point tel que Mme C... doit se rendre à l’hôpital.
[29] Le diagnostic tombe : on l’informe qu’elle souffre d’une crise de diverticulite aiguë. Elle devra demeurer à l’hôpital pendant 14 jours. On l’informe, également, qu’elle souffre d’une hyperthyroïdie ainsi que d’une mononucléose. Mme C... n’a que 37 ans à l’époque. La preuve médicale soumise démontre, de part et d’autre d’ailleurs, qu’un tel diagnostic, à un aussi jeune âge, est plutôt rare et que l’ampleur des crises pouvant s’y rapporter sont en général plus intenses lorsqu’elles se développent à un tel âge.
[30] Essentiellement, Mme C... comprend du diagnostic et des explications qu’on lui formule que son intestin comporte des « poches qui se sont formées sur le colon », que des selles s’y logent parfois, et que celles-ci, stagnantes, s’y infectent, d’où les crises vécues.
[31] Une première intervention chirurgicale survient en mars 2003. Une portion d’environ 9 pouces[10] de son colon est retiré, soit, en particulier la portion en forme de « S » située immédiatement au-dessus de l’anus.
[32] Mme C... accepte sans difficulté de recommencer à travailler, à temps plein - 5 jours/semaine - le 23 octobre 2003, et ce, après un arrêt complet d’environ 11 mois.
[33] Mme C... indique que « la super maman », jadis présente, n’est plus. « L’énergie a diminué considérablement ».
[34] Hélas, les douleurs ne la quittent jamais vraiment.
[35] Ceci dit, une seconde crise survient en janvier 2006. Elle doit arrêter de travailler du 12 au 25 janvier 2006, tout en prenant des antibiotiques pendant cette période. Pendant celle-ci, elle est à la maison et ne peut vaquer à aucune occupation et encore moins à quelconque loisir. « J’étais non fonctionnelle, je ne pouvais même pas lire un livre ni faire les repas», ajoute-t-elle.
[36] Mme C... décide de s’attaquer autrement à sa maladie. Elle rencontre une diététicienne, elle modifie considérablement son alimentation, elle fait de la méditation, du sport, et ainsi de suite.
[37] Dans le but de stabiliser son état, Mme C... convient avec la Commission scolaire de procéder à l’obtention de congés différés, ce qui lui permet de prendre une période de repos de 6 mois par cycle de 3 ans. De tels congés seront pris à l’hiver 2007, 2012 et 2016. Ainsi donc, Mme C... accepte de recevoir une rémunération moindre, pendant le reste de la période de tels cycles de 3 ans, et ce, afin que cette économie lui soit versée pendant la période de 6 mois où elle est en congé différé.
[38] « On croit que c’est une solution gagnante, c’est pour cela que je me paie ce congé depuis », et ce, même si cela entraine une rémunération moindre d’1/6.[11]
[39] Mme C... est de retour au travail, à temps plein, à la fin janvier 2006. « J’aime mon travail, j’ai la réussite de mes étudiants à cœur ». Malgré toute cette passion pour son travail, Mme C... reconnait qu’elle se sent essoufflée, fatiguée, et elle remarque que le stress au travail lui génère diverses douleurs.
[40] Le mois de mars 2007 s’avère particulièrement difficile. Alors qu’elle se retrouve en congé différé, mais alors qu’elle est sur le point de partir en voyage avec l’un de ses fils[12], une nouvelle crise survient, cette fois-ci avec abcès. « J’ai écoulé le reste de mon différé complètement malade. »
[41] Mme C... soumet qu’elle est, à ce moment, faible à un point tel qu’elle ne peut « même plus faire le tour de sa maison ». Mme C... témoigne d’ailleurs de manière émotive, elle qui réalise, à nouveau, à ce moment, que la jeune femme débordante d’énergie n’est plus. « Je voulais juste vivre une vie normale et je n’étais plus capable », soumet-elle.
[42] Une seconde chirurgie est à ce moment planifiée mais l’appel de l’hôpital visant à fixer une date pour celle-ci se fait considérablement attendre.
[43] Malgré tout, Mme C... accepte de retourner au travail, encore une fois à temps plein (5 jours/semaine) à la fin de son congé différé, soit en août 2007.
[44] Vers le mois d’octobre 2007, sa chirurgienne, Docteure Julie Cournoyer, décide de la mettre en arrêt de travail, le stress relié à son travail la mettant, semble-t-il, à risque. Essentiellement, la Docteure Cournoyer l’informe qu’elle ne souhaite pas que sa patiente se mette ainsi à risque d’une nouvelle crise - potentiellement à nouveau avec abcès - et ce, tant que la chirurgie (une seconde) ne soit pas complétée.
[45] C’est à ce moment que Mme C... en comprend plus spécifiquement que le stress serait relié à sa condition ainsi qu’aux diverses rechutes.
[46] Ceci dit, Mme C..., réalisant que les délais pour l’opération apparaissent très longs, décide de communiquer avec un hôpital ontarien, situé à Hawkesbury, afin d’être ajoutée sur « une seconde liste d’attente ».
[47] La manœuvre s’avère fructueuse en ce que la chirurgie a finalement lieu, à Hawkesbury, en mars 2009. Essentiellement, et sans entrer dans tous les détails médicaux, on lui enlève la « moitié du reste de son colon ». Bref, on lui enlève la portion « la plus malade » du colon encore en place.
[48] Mme C... retourne au travail, de manière progressive, à compter du mois d’août 2009. Plus spécifiquement, elle travaille 3 jours/semaine d’août 2009 au 18 janvier 2010. Puis elle travaillera à 4 jours / semaine du 19 janvier au 12 avril subséquent.
[49] Puis elle tente de retourner travailler, à temps plein, à compter du 13 avril 2010[13].
[50] Échec total. Une nouvelle crise survient le 21 avril 2010. Mme C... est en arrêt complet de travail du 22 au 30 avril. Elle est, à ce moment, à la maison et doit prendre des antibiotiques. Elle retourne au travail, selon un horaire de 4 jours/semaine, à compter du 1er mai 2010.
[51] Il est important de noter immédiatement que Mme C... n’a jamais travaillé de nouveau, à temps plein, depuis ce moment.
[52] Mme C..., tout comme son médecin traitant, la Docteure Charbonneau, tracent un lien direct entre le stress - important - au travail et les différentes douleurs subies ainsi que les crises de diverticulite. Nous verrons que cette preuve est contestée par la SSQ.
[53] Mme C... expose d’ailleurs que cet emploi d’enseignante au primaire est difficile, et ce, bien qu’elle adore celui-ci. Elle précise qu’elle travaille dans une école dans un milieu particulièrement défavorisé[14]. Elle ajoute, en particulier ce qui suit :
i) Elle a une classe de 20 élèves dans laquelle il n’y a que deux étudiants qui ne comportent aucun trouble d’apprentissage ou autre;
ii) Elle a un étudiant qui a un traumatisme crânien, qui lui aurait lancé, du haut de ses 6 ans, chaise, bureau et bouteille. «Ça vient te chercher dans les tripes », ajoute-t-elle;
iii) Elle a un étudiant qui aurait participé à des vols qualifiés avec son père - un autre qui aurait été témoin d’abus sexuels;
iv) Elle a deux étudiants qui ont des problèmes de langage;
v) Deux étudiants de sa classe ne savent pas encore lire (alors que nous sommes en avril et que l’année tire à sa fin);
vi) Elle constate que certains parents ne supportent nullement le corps professoral;
[54] À tout événement, Mme C... se résigne, en 2010. « J’ai accepté le fait que cette maladie faisait partie de ma vie ».
[55] Suivant les conseils de son médecin traitant, qui la qualifie d’ailleurs - lors de son témoignage - « d’excellente patiente », Mme C... décide de tenter de mettre « toutes les chances de son côté ». Essentiellement, elle met en place, de concert avec son médecin traitant, les stratégies suivantes :
i) Elle modifie à nouveau sa diète - elle mange dorénavant plus de fibres;
ii) Elle fait plus de sport afin de diminuer et de contrôler son niveau de stress;
iii) Elle rencontre fréquemment une acupunctrice;
iv) Elle fait de la méditation;
v) Elle a incorporé à sa routine la prise de probiotiques;
vi) Elle « délègue » des tâches à son conjoint,[15]notamment les repas qu’elle ne prépare plus;
vii) Elle engage, avec son conjoint, une « femme de ménage »;
viii) Le couple a demandé à la mère de Monsieur de leur donner un coup de main - le couple la rémunère pour sa préparation des soupers le lundi, mercredi et vendredi;
ix) Sa belle-mère les invite à souper le mardi soir;
[56] Mais malgré tout, les semaines d’avèrent difficiles. « Je dois me coucher à 20 :00 le soir, en particulier le vendredi ». Mme C... soumet qu’elle n’a pas l’énergie afin d’effectuer des « sorties » le soir. « Je ne suis pas capable de faire une activité le soir comme tout le monde », ajoute-t-elle.
[57] Son médecin traitant, Dre Charbonneau, l’informe également - ainsi que la SSQ par l’entremise des divers rapports et documents médicaux qu’elle communique au fil des années, qu’une tâche de travail à 4 jours/semaine est totalement indiquée.
[58] D’ailleurs, il est utile de remarquer que la preuve démontre que la SSQ accepte que Mme C... travaille 4 jours/semaine, et ce, pendant de nombreuses années. La SSQ verse, pendant toute cette période, les prestations reliées à cette « 5ième journée ».
[59] Une cinquième crise survient le 20 décembre 2012, un peu avant le congé des fêtes. Mme C... retourne au travail, 4 jours/semaine, au mois de janvier 2013.
[60] Cette méthodologie, à 4 jours/semaine, permet à Mme C... de se reposer le jeudi. Elle travaille donc le lundi, mardi, mercredi ainsi que le vendredi.
[61] Son horaire du mercredi est quelque peu différent. La Commission scolaire lui permet d’arriver un peu plus tard au bureau (à 8 :05 AM). Cela lui permet de récupérer « un peu de forces ».
[62] L’enseignante qui la remplace le jeudi s’occupe totalement de diverses matières (informatique, éthique et culture religieuse, arts plastiques, science et univers social). Celle-ci se charge également de noter ces matières[16]. Quant à Mme C..., elle conserve les matières de base, soit le français et les mathématiques.
[63] La Commission scolaire l’exempte également d’une autre tâche que les autres enseignants doivent accomplir, soit la réalisation d’une « journée pleine » avec ses étudiants, soit une journée qui doit normalement avoir lieu « à chaque 2 semaines ». Une autre enseignante la relaie pour cette journée dite « pleine ».
[64] Hélas, une 6ième crise survient, en octobre 2014. Mme C... est en arrêt complet du 27 octobre au 1er décembre suivant. Elle sera de retour, à trois jours/semaine du 1er décembre 2014 au 9 janvier 2015 et à 4 jours/semaine depuis le 10 janvier 2015.
[65] Cette tâche de travail à 4 jours/semaine est encore celle qui est observée plus de quatre années plus tard, soit même au moment du Procès.
[66] Sa journée du jeudi n’est pas une « journée de congé typique ». Elle se rend « aux toilettes » de 3 à 5 fois, et ce, le matin. Elle n’a pas vraiment la force d’écouter la télévision, la radio, etc. Elle se repose, sans plus ni moins.
[67] En résumé donc, Mme C... témoigne que le fait de travailler 4 jours sur 5 est « vital » pour elle.
[68] Les inconvénients associés à sa condition sont multiples, notamment au travail. Elle doit parfois, d’urgence, se rendre à la toilette, ce qui n’est pas, cela va de soi, l’idéal pour une professeure qui a une classe de 20 petits étudiants devant elle. Mme C... prend donc des arrangements avec d’autres collègues professeurs, dont les classes sont à proximité. « Ils savent qu’ils doivent parfois surveiller ma classe lorsque je dois me rendre d’urgence à la toilette. »
[69] De telles urgences sont parfois « si intenses » que des accidents surviennent. « Environ une fois par mois », précise-t-elle, visiblement embarrassée de la situation.
[70] Quant à sa relation avec la SSQ, celle-ci se déroule, précise-t-elle, très bien, et ce, de 2009 jusqu’à l’été 2016. On lui demande, environ 2 fois par année, un rapport médical de son médecin traitant, afin de poursuivre le versement des prestations pour « cette 5ième journée ».
[71] Mme C... mentionne qu’elle est extrêmement surprise de ce revirement de situation - en 2016 - en ce que sa condition médicale, et tout ce qui en découle, n’a pas changé pendant toute cette période.
[72] C’est pour cela qu’elle est surprise, lorsqu’elle est de retour à la maison au début du mois d’août 2016, alors qu’elle était en Gaspésie pour les vacances du mois de juillet - de prendre connaissance de deux lettres de la SSQ qui lui réclament, « dans un délai de 21 jours », un document médical visant à poursuivre, potentiellement, le versement des prestations.
[73] Ce document la surprend, de par le ton y étant employé[17], parce qu’elle est informée, lors de sa précédente discussion avec une représentante de la SSQ, qu’elle pourra transmettre ledit rapport médical, comme toujours, après la fin de son congé différé (de la fin janvier 2016 au mois de juin de la même année). Bref, rien dans sa précédente discussion avec l’agente de la SSQ ne lui laissait présager un tel « revirement de situation ».
[74] Ayant communiquée de nouveau avec la SSQ, Mme C... fait devancer son rendez-vous avec la Dre Charbonneau, et rencontre celle-ci au cours du mois d’août 2016.
[75] À tout événement, un imbroglio survient par la suite, en ce que Mme C... communique le rapport obtenu de la Dre Charbonneau à la Commission scolaire. Cette dernière, cependant, omet de transmettre le rapport à la SSQ. Ainsi donc, les prestations ne reprennent pas à la fin du mois d’août.
[76] Cela est d’autant plus surprenant, soumet Mme C..., qu’il était arrivé, dans le passé, que la SSQ continuait de verser les prestations même si le rapport de la Dre Charbonneau était transmis au mois de septembre, soit donc après le début de l’année scolaire.
[77] Mme C... communique donc, de nouveau, avec l’agent de la SSQ, M. Denis Giguère, en octobre afin de s’enquérir de la situation. Puis en novembre. Il s’avère que le rapport obtenu serait « illisible » - une copie de l’original étant requis.
[78] L’original est transmis. Une nouvelle discussion survient en décembre 2016. Rappelons que la prestation pour la « 5ième journée » n’est pas versée pendant cette période.
[79] Ce « changement de ton » inquiète Mme C.... « J’ai toujours collaboré avec la SSQ et tout avait été beau au cours des 9 années précédentes. Lorsqu’il manquait un document, on m’appelait et je m’en occupais». « J’ai un petit peu paniqué », précise-t-elle. « J’ai tenté de reparler avec l’agente qui s’occupait précédemment de mon dossier, mais je n’ai pas pu ».
[80] Mme C... trouve particulier, par ailleurs, que l’agent Giguère lui reproche des « retours d’appels » plus lents, alors que ce dernier communique avec elle à tous les jours « sauf le jeudi », soit la journée où elle pourrait lui répondre. Mme C... s’assure de retourner ses appels à M. Giguère le jeudi mais elle ne réussit pas à le rejoindre. Et lorsque celui-ci la rappelle, il la recontacte le vendredi, alors qu’elle est au travail.
[81] « Pourquoi ne m’appelait-il pas au travail tout simplement? », mentionne-t-elle.[18]
[82] À tout événement, Mme C... est informée, en janvier 2017, que la SSQ considère qu’elle était apte à retourner au travail, à temps plein, depuis le mois d’août précédent.
[83] « Mais pourquoi donc », questionne-t-elle. Rien n’a changé - ni sa condition, ni son emploi, ni la définition d’invalidité au contrat d’assurance, ni le contrat, ni la position de la Commission scolaire qui continue à la supporter.
[84] Mme C... est d’autant plus surprise que le « Directeur médical » de la SSQ, qui est consultée par cette dernière au mois de décembre 2016, ne contacte nullement son médecin traitant afin de discuter de la situation. Personne ne lui demande l’autorisation, d’ailleurs, de communiquer avec son médecin traitant. On ne procède pas à une contre-expertise non plus (à ce moment) - on ne lui demande pas d’autres documents ou rapports médicaux. Le Directeur médical ne la contacte pas, non plus, par ailleurs.
[85] Encore en date du Procès, Mme C... ne comprend nullement ce qui s’est produit. Après tout, postule-t-elle, la SSQ, en acceptant de payer 1 journée sur 5, contribuait à éviter à ce qu’elle s’absente, en cas de nouvelle crise aigüe, pendant de longs mois, voire plus longtemps.
[86] « J’ai besoin de cet argent », ajoute-t-elle.
[87] La situation l’inquiète encore davantage considérant que le syndicat de l’enseignement auquel elle est reliée s’est désaffilié de la CSQ (Centrale des syndicats du Québec). Ainsi donc, son contrat d’assurance collective présentement en place n’est plus avec la SSQ, mais bien avec la Capitale. Elle ne pourra, conformément à la preuve entendue, être admissible, auprès de cette dernière, à de l’assurance salaire que si elle est en mesure de travailler 35 jours ouvrables consécutifs.
[88] Mme C... soumet qu’elle a compris, essentiellement, vu le comportement de la SSQ, qu’une entente était intervenue avec cette dernière pour la poursuite du statu quo, bien qu’elle concède qu’aucune « entente écrite » n’existe avec la SSQ, contrairement à l’accommodement octroyé par la Commission scolaire.[19]
[89] L’existence de cette entente découlerait notamment du fait, ajoute-t-elle, qu’en aucun moment - depuis 2010 - que la SSQ lui a demandé (à elle, à la Dre Charbonneau ou à la Commission scolaire) de procéder à un retour au travail à temps plein, et ce, depuis l’échec d’une telle tentative à la mi-avril 2010. Bref, c’est le statut quo pendant une longue période.
- Le témoignage de la Docteure Sylvie Charbonneau
[90] Dre Charbonneau est médecin depuis 1984. Elle pratique principalement à titre de médecin de famille, mais œuvre également à l’urgence ainsi qu’en CHSLD.[20]
[91] Elle traite assez régulièrement des cas de diverticulite.[21] « J’en vois plus souvent que des cas d’appendicite », illustre-t-elle.
[92] Elle est le médecin traitant de Mme C... depuis 1996. Elle sera donc témoin, directement ou indirectement, des diverses crises subies par Mme C... depuis 2002.
[93] La Dre Charbonneau rappelle que la diverticulite vécue par sa patiente est une maladie dite chronique[22], causée, en particulier, par une forte pression au niveau du colon. Le stress, selon elle, est relié au transit intestinal. La paroi intestinale de sa patiente est manifestement fragile - le tout entraine (ou à tout le moins contribue) à de l’inflammation, ce qui entraine de douloureuses crises diverticulaires.
[94] Un « scan » demeure le meilleur moyen de diagnostiquer l’existence d’une crise de diverticulite aiguë, bien que cette vérification ne soit effectuée qu’en cas de « crise aiguë ». « Il n’est pas approprié de faire passer des scans à répétition à un patient », précise-t-elle.
[95] La Dre Charbonneau ajoute que les crises de diverticulite sont plus aigües, et donc plus douloureuses lorsque celles-ci surviennent, ce qui est plus rare, à un jeune âge.
[96] À tout événement, son mandat, à titre de médecin, est de tenter de trouver une série de solutions, et ce, afin d’éviter une récidive. La chirurgie demeure évidemment une solution de dernier ressort - qui s’est avérée nécessaire à deux reprises en l’espèce - et même lorsque tel est le cas, il est préférable, explique-t-elle, qu’une telle chirurgie ait lieu de manière « élective » et non pas en urgence (abcès ou péritonite).
[97] La Dre Charbonneau explique que le stress est un facteur pertinent, en l’espèce, comme « dans bien des pathologies ».
[98] Avec sa patiente, diverses stratégies sont établies afin de limiter les risques de récidive. « On voulait éviter une autre crise ».
[99] La situation est d’autant simplifiée en ce que Mme C... est « une très bonne patiente - elle respecte et incorpore le plan établi ». « C’est un travail d’équipe ».
[100] Le plan de traitement incorpore de nombreux éléments, tel que déjà relaté. L’aspect visant à réduire la tâche de travail de Mme C... à « 4 jours/semaine » en fait partie intégrante selon la Dre Charbonneau. D’ailleurs, aucune crise ou récidive majeure ne survient depuis 2014.
[101] « J’ai considéré qu’il s’agissait d’une formule gagnante. »
[102] Dre Charbonneau considère qu’il y a un lien entre le stress et la réduction de cette 5ième journée - surtout lorsque cette journée est celle du jeudi.
[103] Certes, la Dre. Charbonneau reconnait que chaque emploi est, jusqu’à un certain point, stressant. Cependant, elle précise qu’elle peut attester des difficultés associées à ce milieu défavorisé qu’elle connait elle-même, comme médecin, particulièrement bien.
[104] Le stress vécu par Mme C... étant tout particulièrement associé à son emploi, la Dre Charbonneau précise qu’elle a pu constater une diminution importante du stress de sa patiente et ainsi donc, des risques de récidive. Certes, les douleurs abdominales demeurent mais il est important, soumet-elle, « surtout en présence d’une maladie chronique, de se rattacher aux rares bonnes nouvelles ».
[105] En cas de récidive sévère, si elle survient, le scénario d’une diverticulite sévère et d’une potentielle colectomie totale (enlèvement total du colon) pourrait rapidement devenir une réalité, avec tous les inconvénients potentiels pouvant en découler.[23]
[106] La Dre Charbonneau confirme qu’il n’a jamais été question, depuis 2010, d’un retour potentiel à 5 jours/semaine. Ni avec sa patiente, ni avec la SSQ et ses agents, ni avec la Commission scolaire. « On a donc atteint une certaine stabilité depuis 2014 ».
[107] Si la SSQ lui avait demandé s’il était possible de procéder ainsi, elle aurait répondu par la négative car l’ajout d’un tel stress n’aurait pu être compensé par autre chose. « Je n’avais plus de plus (+) à ajouter dans la routine de ma patiente », tous les « plus » ayant déjà été intégrés par celle-ci.
[108] La Dre Charbonneau, par ailleurs, confirme que l’état de santé de sa patiente ne s’est nullement modifié en 2016, soit au moment où la SSQ a « changé son fusil d’épaule ».
[109] La Dre Charbonneau considère que sa patiente est « invalide à vie ». D’ailleurs, c’est ce qu’elle a indiqué dans certains des rapports qu’elle transmet, au fil des mois et des années, à la SSQ. Ces rapports précisent d’ailleurs que le stress augmente les risques de crise et que sa recommandation est de maintenir la tâche de travail de sa patiente à 4 jours/semaine.
[110] Bref, la Dre Charbonneau recommande très fortement « de maintenir le statu quo ». Elle est toujours du même avis en date du Procès.
- Le témoignage de M. Robert Guérin
[111] M. Guérin est enseignant depuis 32 ans. Il est, cependant, en « libération syndicale » depuis 11 ans. Il est désormais le Premier Vice-Président du Syndicat de l’enseignement de [la région A], soit le Syndicat qui chapeaute dorénavant Mme C... et ses collègues.
[112] M. Guérin explique, essentiellement, le processus de « retour progressif » prévu à la convention collective, soit un processus qui, normalement, se déroule sur une période maximale de 12 semaines.
[113] M. Guérin précise, par ailleurs, que dans l’optique où la position défendue par la SSQ est maintenue, que cela signifiera que Mme C... « se retrouvera dans le vide » au niveau de son diagnostic - reconnu d’ailleurs - de diverticulite. « Elle aurait à travailler 35 jours ouvrables consécutifs » pour avoir le droit, le cas échéant, à de l’assurance salaire.
[114] Lorsque contre-interrogé sur la possibilité, dans un tel cas, que Mme C... se voit offrir un poste à temps partiel par la Commission scolaire, et ce, à titre de mesure d’accommodement, M. Guérin précise deux éléments :
i) Il n’est pas partie à de telles discussions potentielles. « Je n’ai pas de prise à cet égard sur l’employeur », mentionne-t-il;
ii) De toute façon, le poste de Mme C... est un poste à « temps plein », il n’existe pas de tels postes à temps partiel. En d’autres termes, Mme C... aurait à démissionner de son poste actuel - temps plein - et tenter sa chance à nouveau en postulant sur un poste à temps partiel, en présumant qu’un tel poste existe.
[115] Résumons, à présent, la preuve soumise en défense.
LA PREUVE EN DÉFENSE
- Le témoignage du Dre Rasmy Loungnarath
[116] Le Dr Loungnarath est chirurgien colorectal. Son parcours académique et professionnel apparait de son long Curriculum vitae.[24] Il a fait des études au Canada, aux États-Unis, il enseigne, il supervise des stages, et ainsi de suite. Il est titulaire d’une Surspécialisation en matière de chirurgie colorectale.
[117] On lui réfère, normalement, les cas les plus difficiles.
[118] Il procède à diverses expertises médico-légales depuis 2007. Il participe, par ailleurs, à divers travaux de recherche dans le domaine.
[119] La possibilité pour lui de témoigner à titre d’expert n’est nullement contesté par la partie demanderesse.
[120] Le Dr. Loungnarath explique sa méthodologie d’analyse. Il reçoit le dossier, le révise. Il procède, parfois - comme en l’espèce - à une entrevue avec le patient[25]. Il procède, lorsqu’utile, à un examen physique. Ce fut le cas ici.
[121] Le Dr. Loungnarath prépare, par la suite, son rapport. Celui-ci est d’ailleurs produit par la SSQ.[26]
[122] Essentiellement, le Dr. Loungnarath explique le développement d’une crise de diverticulite. Il relie le développement de diverticulose et de diverticule par le manque de fibres dans les diètes typiques occidentales. Les fibres ont l’avantage, explique-t-il, de « faire grossir les selles » ce qui fait en sorte que celles-ci peuvent être expulsées plus facilement, transitant ainsi plus facilement à l’intérieur du colon.
[123] Une diverticulite constitue, ni plus ni moins, qu’une micro perforation d’un diverticule - ce qui entraine une inflammation à l’intérieur de la cavité abdominale. Une inflammation ne surviendra, explique-t-il, qu’en cas de micro perforation.
[124] La présence de diverticuloses est très fréquente chez les gens de plus de 50 ans. « Environ 50% des gens », précise-t-il. « 15% des gens sont symptomatiques et une chirurgie est nécessaire dans environ 1% des cas ».
[125] Quant aux traitements des diverticulites, le tout dépendra de son intensité. Une diverticulite aiguë simple nécessitera un traitement par antibiotiques (par la bouche ou de manière intraveineuse). Une diverticulite aiguë compliquée, pour sa part, qui entraine un abcès, notamment, nécessitera une hospitalisation, un drainage de l’abcès et, potentiellement, une chirurgie.
[126] Est-il possible de prévenir une crise de diverticulite aiguë? À cette question, la réponse du Dr. Loungnarath est que « cela est très débattable ».
[127] Essentiellement, selon lui, il est possible d’aider avec une « diète riche en fibres ». La prévention s’arrêterait, essentiellement, là.
[128] La prise de probiotiques «ne nuira pas », mais cela n’empêchera pas la survenance d’une diverticulite.
[129] Son analyse du cas de Mme C..., en particulier, lui fait confirmer que celle-ci est, en effet, jeune lors de sa première crise. Son analyse du dossier lui fait confirmer que Mme présente une diverticulose pancolique, ce qui signifie qu’elle est porteuse, hélas, de diverticules « sur tout le colon ».
[130] Dr. Loungnarath confirme que sa révision du scan de 2014[27] lui démontre la présence « de diverticulite aigue du côlon droit distal ». Cette diverticulite survient à un endroit différent que les précédentes crises.
[131] Le Dr. Loungnarath précise qu’il ne peut affirmer - à l’exception de ce scan de 2014 - que les autres crises constituaient, à proprement parler, des « crises de diverticulite aiguë ».
[132] Résumant son analyse, on peut lire à même son Rapport l’extrait suivant :
Je crois que le problème de madame C... n’est pas réglé et qu’elle est à risque de récidiver de ses diverticulites au cours de sa vie. Je considère que la condition n’est pas consolidée étant donné que l’idéal pour traiter le problème serait qu’elle consulte un chirurgien pour lui offrir une colectomie totale avec anastomose iléo-rectale. Bien évidemment il faudrait évaluer la longueur du rectum résiduel afin de s’assurer qu’il n’y aura pas d’anastomose iléo-rectale trop basse.
[133] Le rapport confirme par ailleurs la cohérence des douleurs rapportées par Mme C... avec les résultats cliniques observés. « Il y a effectivement une cohérence des résultats cliniques et des symptômes décrits par madame C... qui démontre hors de tout doute des douleurs secondaires à des récidives de diverticulite. »
[134] Ceci dit, tant dans son rapport que dans le cadre de son témoignage, le Dr. Loungnarath se dit incapable de faire le lien - scientifiquement parlant - entre le stress et de telles récidives. Son rapport, sur le sujet, est ainsi libellé :
Question 6 : Mon avis sur la présence ou non de restrictions et limitations.
Je ne crois pas qu’une surcharge de stress ou de travail provoque une diverticulite aigue. Je crois que madame C... peut très bien retourner au travail à raison de 5 jours par semaine. Il est à noter que tout au cours de sa vie madame C... est à risque de récidive de diverticulite s’il n’y a aucune sanction chirurgicale considérée.
[135] Le Dr. Loungnarath concède que le stress peut induire « des maux de ventre », par contre, il « ne peut affirmer »[28], à la lumière de l’ensemble de la littérature médicale[29], que le stress, ou l’augmentation de celui-ci, peut entrainer une crise de diverticulite aigue. Ainsi donc, Mme C... ne souffrirait d’aucune limitation particulière, sauf - évidemment - en période de crise aigüe.
[136] Il ne peut pas non plus affirmer, scientifiquement parlant, que les autres épisodes - antérieurs à 2014 - constituaient, spécifiquement, des crises de diverticulite aiguë. Après tout, explique-t-il, il n’a pas en main copie des scans effectués, le cas échéant, à l’époque. Certes, des antibiotiques ont été prescrits et/ou administrées, et deux chirurgies ont été réalisées - mais il ne peut affirmer - faute de preuve spécifique - qu’il s’agissait là, également, d’épisodes de diverticulite aiguë.
[137] Par ailleurs, le Dr. Loungnarath précise que l’examen physique de Mme C... ne démontre pas, à la date de l’examen, de douleurs particulières.
[138] Ainsi donc, à la lumière des connaissances scientifiques répertoriées à ce moment-ci, il appert que les crises de diverticulite surviendraient, selon l’expert, de manière aléatoire. Ceci dit, lorsqu’elles surviennent, les douleurs sont importantes et sont normalement accompagnées de fièvre.
[139] Le Dr. Loungnarath précise d’ailleurs, à la lumière du témoignage de Mme C... - qu’il a évidemment entendu[30] - que ce qu’elle décrit lui fait « plutôt penser » à un syndrome du côlon irritable. « Le stress ne fait pas enflammer un viscère », précise-t-il.
[140] À tout événement, le meilleur traitement, selon lui, serait de procéder à la résection totale du colon, tout en procédant au « branchement » du petit intestin (grêle) à l’anus, si cela est possible. À défaut, ce serait l’implantation d’un « sac » à l’extérieur du corps de la patiente. Bien qu’une adaptation soit possible, une telle intervention risque de faire augmenter le nombre de visites quotidiennes à la toilette. « De 2 à 6 par jours », précise-t-on.
[141] Les risques de récidive demeurent importants, soit environ 15% après un épisode, 30% après deux épisodes et 50% après trois. Ceci dit, il ne s’agirait pas, ici, dans le cas de Mme C..., de récidives à proprement parler car les problématiques apparaissent à plusieurs endroits. En d’autres termes, il ne s’agit pas - toujours - du même diverticule qui s’infecte.
[142] Enfin, le Dr. Loungnarath se dit en accord avec une courte note (D-6) produite par le Dr. René Hendricks, soit le Directeur médical auprès de la SSQ. Cette note, de quelques lignes, précise qu’il ne retrouve « aucune mention ni explication dans la littérature médicale qui puisse expliquer un lien entre les diverticulites chroniques (…) et une limitation fonctionnelle au travail à 4 j/sem au lieu de 5 j/sem. »[31]
[143] Essentiellement donc, le Dr. Loungnarath[32] est d’opinion qu’une crise de diverticulite peut survenir « n’importe quand », comme dans le cas de Mme C.... « Peu importe la saison », ajoute-t-il.
[144] Il se dit en désaccord avec la Dre. Charbonneau lorsque celle-ci affirme qu’une période de stress intense pourrait s’attaquer - physiquement parlant - au «maillon le plus faible d’un individu, soit pour Mme C..., son intestin et plus particulièrement son colon ». Encore une fois, la littérature scientifique ne permettrait pas de l’affirmer.
[145] En contre-interrogatoire, il concède tout de même les éléments suivants :
i) Les risques de récidive de diverticulite sont tout de même élevés chez Mme C... : « soit 15% à 30% », selon son évaluation;
ii) « La science a ses limites »;
iii) Il n’a pas eu en mains tous les scans et le détail des tests effectués par Mme au fil des ans - il s’est basé sur le dossier qu’on lui a remis et n’a pas requis d’autres documents;
iv) La chirurgie - soit une colectomie totale - pourrait être indiquée si les douleurs relatées par madame sont telles que sa qualité de vie en est gravement diminuée et si celles-ci l’empêchent de travailler;
v) Il reconnait que le stress peut en effet générer divers désagréments au niveau du ventre et des intestins (ballonnements, douleurs et autres);
vi) Les autres constats soulevés par la Dre. Charbonneau ne seraient pas démontrés hors de tout doute - bref, il n’y a pas de démonstration scientifique;
vii) Il n’est pas capable, en date du Procès, et à la lumière de la littérature scientifique, de faire le lien direct entre le stress et la diverticulite, mais tout en précisant que « peut-être la science y arrivera, tout est possible ». Bref, il ne postule pas que les éléments soulevés par la Dre. Chabonneau seraient nécessairement loufoques, mais bien qu’il ne peut les objectiver et les confirmer, scientifiquement parlant;
viii) Le fait que Mme C... ait eu des crises lors de périodes très stressantes ne serait, probablement, que le fruit du hasard, et ce, à chaque fois;
ix) Sans le dire aussi directement, il laisse présager que les diagnostics des médecins, de 2002 à 2009, auraient pu être erronés. Le fait que des antibiotiques aient été prescrits ne confirmerait pas le diagnostic car, après tout, il y « aurait trop d’antibiotiques qui sont prescrits », précise-t-il.
x) Il concède qu’il serait inapproprié de procéder à des « scans » à chaque visite d’une patiente se plaignant de maux de ventre intenses;
xi) Il existe des risques de complication (de l’ordre d’environ 5%) dans l’optique où une intervention visant à retirer complètement l’intestin était pratiquée;
xii) Il termine son témoignage en laissant entendre qu’il est « demeuré quelque peu sur sa faim » en révisant le dossier et en le comparant à la situation de Mme C... - mais tel que déjà précisé, aucune information additionnelle n’est requise de sa part. Ceci étant dit, si Mme C... était sa patiente, il n’aurait aucune hésitation à requérir un nouveau scan, et ce, considérant l’historique de cette dernière et la multiplication d’événements;
- Le témoignage de Mme France Goulet
[146] Mme Goulet est Directrice - litige et enquête auprès de la SSQ. Elle occupe ce poste depuis l’été 2018 mais est à l’emploi de la défenderesse depuis 2002. Elle a été agente d’indemnisation, a gravi les échelons et gère dorénavant une équipe composée, entre autres, de conseillers en gestion des litiges.
[147] Les pouvoirs qui lui sont dévolus sont importants. « J’ai le pouvoir de renverser une décision si elle n’est pas conforme », précise-t-elle.
[148] La SSQ offre diverses garanties collectives, allant de l’assurance-vie, l’assurance salaire, les soins de santé, et ainsi de suite. La SSQ a une clientèle privée, publique et parapublique.
[149] Le diagnostic de « diverticulite chronique » n’est pas contesté. Ceci étant, Mme Goulet rappelle qu’une maladie, un diagnostic, n’équivaut pas automatiquement à une invalidité.
[150] Ceci dit, un contrat[33] intervient entre la SSQ et la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) pour l’assurance salaire « de longue durée », notamment celle liée aux enseignants.
[151] Mme Goulet explique que la SSQ intervient, « quelques semaines » avant la fin de la période de 104 semaines, et ce, afin de procéder à sa propre analyse de la situation - celle-ci ayant été gérée, jusque-là, par la Commission scolaire. Ceci étant, la définition d’invalidité est la même pour la période en amont ainsi qu’en aval de cette 104ième semaine[34]. Celle-ci se lit comme suit :
1-1 07 (…) Invalidité totale (…) pour la personne détenant le « Régime B » d’assurance salaire de longue durée l’état d’incapacité résultant d’une maladie, y incluant une intervention chirurgicale reliée directement à la planification familiale, d’un accident ou d’une complication d’une grossesse, qui nécessite des soins médicaux et qui empêche complètement la personne d’accomplir les tâches habituelles de son emploi ou de tout autre emploi analogue comportant une rémunération similaire qui lui est offert par l’employeur;[35]
[152] Mme Goulet précise qu’elle n’est impliquée au dossier qu’une fois que la Demande introductive d’instance de la demanderesse est instituée.
[153] La SSQ ne conteste pas qu’elle est encore liée à Mme C..., et ce, bien que le syndicat auquel elle est rattachée s’est désaffiliée de la CSQ en novembre 2007[36]. Ceci étant, l’invalidité de la demanderesse ayant débuté le 2 octobre 2007[37], la SSQ reconnait, sans difficulté, que la situation s’est cristallisée avant que le Syndicat de Mme se lie à un autre assureur, soit La Capitale. « Ses droits se sont quand même cristallisés auprès de la SSQ», reconnait Mme Goulet. « Vu qu’on l’a considéré invalide également, on a continué à gérer son invalidité et à payer les prestations », ajoute-t-elle.
[154] Mme Goulet rappelle que Mme C... devait retourner au travail « à temps plein, 5 jours/semaine » à compter du 19 avril 2010. Comme nous l’avons déjà vu cependant, cette tentative s’est rapidement soldée en échec.
[155] Mme Goulet précise que les agents de la SSQ ont, au fil des ans - ce qui apparait des pièces produites[38] - demandé à Mme C... de produire, parfois bi annuellement, le rapport médical de son médecin traitant. Ces demandes surviennent à de nombreuses reprises au fil des ans. À chaque occasion, Mme C... - et la Dre Charbonneau - s’exécutent et transmettent le tout.
[156] À l’exception de la période à l’automne 2016, il apparait clairement de la preuve que la SSQ accepte de reconnaitre - pendant toutes ces années - la situation d’invalidité occupationnelle de Mme C....
[157] Ceci étant, Mme Goulet tente de nuancer la situation en précisant, que « pour la SSQ, l’objectif a toujours été que Mme C... soit en retour progressif et qu’elle recommence à travailler éventuellement 5 jours/semaine ». « On a toujours géré le dossier comme un retour au travail progressif », postule-t-elle dans le cadre de son témoignage.
[158] Ceci dit, Mme Goulet reconnait que Mme C... n’a jamais travaillé « 5 jours consécutifs » depuis 2009. Elle reconnait également qu’il y a eu « des rechutes » tant en 2010 qu’en 2014.
[159] La notion même de « retour progressif » n’est pas prévue au contrat d’assurance collective. « Mais on peut l’accepter quand même » ajoute-t-elle. « On se base sur des fiches d’interprétation (D-8) conclues, en 2008-2009, entre la SSQ et la CSQ. »
[160] Mme Goulet réfère d’ailleurs à la fiche d’interprétation visant le « retour progressif », qui est défini comme suit :
Lorsque l’on parle du retour progressif, il s’agit d’un retour au travail qui s’effectue d’une manière régulière et continue, dans un espace de temps raisonnable et qui exprime une progression, une évolution graduelle et constante qui aboutit normalement à un retour au travail à temps plein.
[161] La fiche en question réfère à deux situations, soit le retour progressif sur « une année et moins » et celui s’échelonnant « sur plus d’une année ». Mme Goulet reconnait que Mme C... se retrouve, en l’espèce, dans ce second scénario. Cette seconde section se lit ainsi :
Ces cas seront soumis à l’équipe médicale de SSQ et des discussions pourraient être amorcées avec le médecin traitant. Il s’agit de cas gérés sur une base exceptionnelle. Si les parties veulent donner un sens à la gestion des retours progressifs, l’approche retenue doit refléter la présomption d’acceptation des retours progressifs d’une année et moins ainsi que la gestion exceptionnelle des retours s’échelonnant sur plus d’une année.
[162] En l’espèce, l’équipe médicale en question fut consultée, au fil des ans, par les agents de la SSQ. Ce n’est, cependant, qu’en décembre 2016, que le Directeur médical (Dr. Hendricks) est consulté. La décision de considérer « apte » la demanderesse, rétroactivement au mois d’août 2016, est ainsi communiqué au début janvier 2017, par l’entremise d’une lettre en ce sens.
[163] Ainsi donc, selon Mme Goulet, ce « serait le temps qui nous a démontré que Mme C... n’offrait plus de progression ». En conséquence, soumet-on, la décision est prise de considérer que Mme C... ne souffre plus de « limitation fonctionnelle » au sens du contrat.
[164] Quant aux possibles « ententes d’accommodement », également prévues auxdites fiches d’interprétation et sur lesquelles nous reviendrons, Mme Goulet argue que la présente situation ne s’y prêtait pas - ces ententes survenant plutôt, explique-t-elle, dans le cas de « maladies dégénératives » où la progression souhaitée (en retour progressif) n’est pas envisageable. Elle mentionne également que ces ententes, en pratique, se soldent toujours par un écrit.[39]
[165] Ceci dit, l’on peut lire à la fiche d’interprétation pertinente ce qui suit :
Elle n’est pas prévue dans le contrat : cependant, les parties acceptent de convenir de certains accommodements qui s’apparentent à de l’invalidité partielle et qui se concrétisent en impliquant les parties, par le biais ou non d’ententes écrites.
[nos soulignements]
[166] En contre-interrogatoire, Mme Goulet mentionne cependant ce qui suit :
i) Lors du transfert du dossier - de la Commission scolaire à la SSQ - et ce, quant à la gestion de l’invalidité (en 2009), la SSQ pouvait requérir des informations additionnelles, médicales ou autres, auprès de Mme C... et/ou de la Commission scolaire - et ce, afin d’établir s’il était approprié de maintenir la situation d’invalidité ou non et le paiement des prestations;
ii) En effet, à ce moment, il arrive fréquemment qu’une entrevue téléphonique[40] est réalisée avec l’adhérente ainsi qu’avec la Commission scolaire, et ce, afin d’avoir une bonne idée de la description des tâches de l’employée, et ainsi de suite. « Il peut et il doit y avoir de telles discussions », précise Mme Goulet;
iii) Elle reconnait que les agents de la SSQ ont bel et bien communiqué, au début de l’année 2016, avec les représentants en ressources humaines de la Commission scolaire, et ce, afin de connaitre les dates de congé différé de Mme C.... Alors, si tel est le cas, pourquoi qu’aucune autre communication ne survient par la suite lorsque le nouveau rapport de la Dre Charbonneau n’est pas reçu à la fin de l’été 2016? Mme Goulet n’a « pas d’explication »;
iv) Les représentants de la SSQ ne sont pas là pour « gérer une convention collective » mais bien un contrat d’assurance - ceci étant, elle mentionne qu’elle ne savait pas que la convention collective prévoyait des « retours progressifs » d’une durée, normale, maximale, de 12 semaines;[41]
v) Bien que le « souhait » de la SSQ soit qu’un retour à temps complet se concrétise, Mme Goulet précise qu’il « n’était pas clair, selon elle, que Mme C... ne pourrait pas retourner au travail à temps plein - elle fait 4 jours au travail, pourquoi n’est-elle pas capable d’en faire 5?, questionne-t-elle;
vi) À la question de savoir pour quelle raison que les agents de la SSQ et/ou le Dr. Hendricks n’ont même pas communiqué, en décembre 2016, avec la Dre Charbonneau afin de discuter de cette patiente/adhérente qui collabore bien depuis 2009, Mme Goulet n’a pas d’explication à offrir;
[167] Essentiellement donc, Mme Goulet postule - spécifiquement - que « nous avons accepté trop longtemps. On s’est demandé, à un moment donné, si c’était vraiment justifié ».
[168] Elle reconnait, cependant, clairement, que les agents de la SSQ ont reconnu, de 2009 à 2016, que Mme C... souffrait de limitations l’invalidant dans le cadre de son travail. « Oui, on l’a reconnu, mais notre Directeur médical nous a dit, en décembre 2016, que ce n’était pas justifié. »
[169] Pourtant, la définition d’invalidité n’a jamais été modifiée au fil des années, ni avant 2009, ni après - ce qu’elle reconnait. De toute façon, un tel changement n’aurait pas été opposable à Mme C..., tel que précisé par Mme Goulet.
[170] Celle-ci, lorsque confrontée au fait que rien dans le dossier de la SSQ, ni ailleurs, ne laisserait entrevoir quelconque espoir de retour à temps complet - depuis 2010 d’ailleurs - concède finalement que le dossier semble plutôt illustrer « une stagnation » de la condition de Mme C..., et ce, depuis de nombreuses années. Ainsi donc, la «progression souhaitée » ressemble beaucoup plus - objectivement parlant - à une « stagnation » au fil de ces mêmes années.
[171] À la lumière de l’ensemble de cette preuve, quelles sont les conclusions auxquelles le Tribunal doit arriver?
[172] C’est ce que nous verrons à l’instant.
PRINCIPES JURIDIQUES APPLICABLES ET DÉCISION
- Qui doit prouver quoi?
[173] En tout début de procès, il est apparu que les avocats au dossier s’entendaient sur le principe à l’effet que le « fardeau de preuve » appartient, ici, à la défenderesse SSQ en ce que cette dernière a versé, pendant de nombreuses années d’ailleurs, des prestations d’invalidité[42] à Mme C....
[174] Après
tout, l’article
2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu’un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.
[nos soulignements]
[175] L’avocate de la SSQ concède que le présent litige est, entre autres choses, une application du principe prévu au second alinéa de cette disposition.
[176] Ceci étant, celle-ci rappelle au Tribunal que toute cette question de « fardeau ou de charge de la preuve » ne devient pertinente qu’en aval du processus d’analyse, et non pas en amont. En d’autres termes, le Tribunal devrait analyser l’ensemble de la preuve soumise, de part et d’autre, afin de déterminer si Mme C... répond, en date du 24 août 2016, à la définition d’invalidité totale prévue au Contrat.
[177] La question du fardeau de preuve ne deviendrait pertinente que dans l’optique où la preuve admise et analysée ne permet pas de conclure à l’existence d’une prépondérance de preuve, dans un sens ou dans l’autre.
[178] Ainsi donc, au final, les avocats ne s’entendent pas ni sur le « qui » ni sur le « quoi » dans l’établissement du « Qui doit prouver quoi? ».
[179] En effet, l’avocat de la demanderesse soumet plutôt qu’il revient à la SSQ, vu la trame factuelle et vu la reconnaissance - pendant environ 7 ans - d’une situation d’invalidité de sa cliente, de démontrer un changement dans l’état de Mme C.... Or, postule-t-il, aucun changement n’est démontré, ni n’existe d’ailleurs, quant à tous les éléments pertinents en l’espèce. En effet :
i) La définition d’invalidité est la même - elle n’a pas changé;
ii) Le diagnostic de diverticulite chronique est admis;
iii) L’état de santé de Mme ne s’est pas réellement modifié, en aucun moment, depuis 2009 - les prestations conséquentes ayant été versées, par la SSQ, depuis ce moment.
[180] Quant à l’avocate de la SSQ, la question ne serait pas tant de démontrer, en 2016, l’existence d’un « changement » mais bien de démontrer que Mme C... ne répond plus, à ce moment, à la définition d’invalidité totale prévue au contrat. La question en litige qu’elle postulait, à même son Exposé préliminaire[43], se lisait comme suit :
La demanderesse était-elle dans un état d’invalidité totale en date du 29 août 2016, c’est-à-dire qu’elle était incapable d’effectuer son travail d’enseignante à temps plein?
[nos soulignements]
[181] L’avocate de la SSQ concède, à l’étape des plaidoiries, que dans l’optique où il est de l’opinion du Tribunal que la preuve soumise doit démontrer, en 2016, un changement afin de justifier la modulation de la position prise par la SSQ depuis 2009, alors le « changement » en question résulte d’une nouvelle prise de position de la SSQ qui elle-même résulte de l’opinion du Directeur médical de celle-ci.
[182] Alors, qu’en est-il?
[183] Les Tribunaux ont eu à trancher des litiges similaires (bien que chaque cas soit, évidemment, particulièrement en matière médicale, un cas d’espèce), à de très nombreuses reprises. Il va de soi que le libellé de la clause d’invalidité prévue dans les différents contrats doit susciter une attention particulière. Ceci étant, les grands principes sont clairement établis en jurisprudence.
[184] Il est indéniable que la preuve devant être soumise (peu importe par qui à ce stade-ci) est assurément différente lorsqu’un assureur a refusé, d’entrée de jeu, de reconnaitre l’invalidité (soit de courte, soit de longue durée) d’un adhérent comparativement à une situation où l’assureur a versé des prestations pendant plusieurs jours, semaines, mois ou, comme en l’espèce, pendant plusieurs années.
[185] De postuler le contraire en viendrait à vider de toute signification un pan important de la jurisprudence ayant traité du sujet.
[186] Alors donc, quelle est la vraie question que le Tribunal doit se poser?
[187] La question pertinente fut déclinée à de nombreuses reprises en jurisprudence.
[188] L’Honorable Juge Geneviève Cotnam, qui siège dorénavant à la Cour d’appel du Québec, mais qui siégeait à ce moment à la Cour du Québec[44], l’énonçait ainsi, en 2018, dans l’affaire Thériault c. Industrielle Alliance, Assurance et services financiers inc[45] :
L’ANALYSE
1- M. Thériault est-il invalide au sens de la police d’assurance après le 15 mai 2013?
[50] L’Assureur verse à M. Thériault les prestations courte durée prévue à la police et débute ensuite le paiement des prestations en vertu de la couverture longue durée. Il décide cependant de soumettre M. Thériault à une évaluation par un expert indépendant.
[51] Sur foi de ce rapport, l’Assureur interrompt le paiement des prestations « longue durée » à partir du 15 mai 2013.
[52] L’Assureur ayant débuté le paiement des prestations longue durée, il lui appartient de faire la preuve qu’un changement dans la condition de l’assuré le justifie de mettre un terme au paiement des prestations[1].
[nos soulignements et notre emphase]
[189] Dans le même ordre d’idée, la Cour Supérieure, sous la plume de l’honorable Juge Louise Lemelin, J.C.S., s’exprime ainsi dans l’affaire R.W. c. Industrielle Alliance[46] :
[57] Quant au fardeau de preuve en cette matière, l'arrêt de la Cour suprême dans Caisse populaire de Maniwaki c. Giroux[35] conclut qu'il ne fait aucun doute que l'assuré doit en premier prouver son invalidité. Lorsque l'assureur paie des prestations, il admet l'état d'invalidité de son assuré, mais non la permanence de cet état et il doit prouver un changement de cet état pour cesser les prestations.
[nos soulignements]
[190] Il est donc indéniable qu’un assureur qui débute le versement de prestations admet, à ce moment, l’état d’invalidité de l’assuré. Il n’admet pas, cependant, la permanence ou la pérennité d’une telle invalidité. Cependant, dans l’optique où l’assureur souhaite cesser le versement des prestations alors débutées, il doit nécessairement justifier d’un « changement ».
[191] Cela ne modifie en rien le mode d’exécution du contrat. Il demeure tout aussi indéniable que l’assuré doit démontrer, dans le cadre de l’exécution d’un contrat comme celui en l’espèce, qu’il répond encore à la définition d’invalidité y étant prévue. D’ailleurs, en l’espèce, un rapport médical de la Dre Charbonneau fut préparé par cette dernière en août 2016 - rapport qui conclut en ce sens - de la même manière d’ailleurs qu’à plusieurs reprises au cours des années antérieures.
[192] Mais une fois cette preuve produite à l’assureur, il revient à ce dernier, s’il veut modifier la donne, d’en justifier le pourquoi. De postuler le contraire signifierait que l’assureur peut - justement - changer la donne selon son bon vouloir, ou en raison d’une nouvelle interprétation, interne, médicale ou administrative, de la situation.
[193] Après tout, un assureur qui débute le versement de prestations en vient, jusqu’à un certain point, à « faire son lit ». Ce « lit » n’est certes pas irrévocable, mais s’il souhaite cesser le versement, il pourra assurément le justifier s’il démontre que la situation s’est modifiée, le tout en tentant de démontrer l’existence d’un changement. Il est manifeste qu’un assureur n’aura pas à continuer à verser des prestations si l’état de santé de l’assuré/adhérent se résorbe.
[194] Si un changement existe, il sera évidemment possible pour l’assureur de cesser de procéder au versement des prestations.
[195] Mais dans l’optique où aucun changement n’est démontré, il est tout aussi évident que l’assureur ne pourra pas « changer son fusil d’épaule » en invoquant en substance que « là ça suffit », ou en invoquant une nouvelle évaluation d’une situation qui, elle, n’a pas changé.
[196] L’arrêt de principe, cité à de fort nombreuses reprises, sur le sujet, est évidemment l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Caisse populaire de Maniwaki c. Giroux[47]. Cet arrêt est à ce point fondamental en droit des assurances que le Tribunal se permettra d’en citer, in extenso, divers extraits directement applicables à notre cas d’espèce :
Ce litige demande de déterminer qui, de l'assureur ou de l'assuré, doit faire la preuve de la cessation d'invalidité lorsque la compagnie d'assurance a déjà effectué des versements en vertu d'une police assurance-invalidité. Cette Cour doit également se prononcer sur le moment, par rapport à la présentation de la preuve, où les versements par la compagnie d'assurance peuvent être interrompus. (…)
Dans le domaine des assurances de
personnes, le risque est un événement qui porte atteinte à «la vie, la santé
[ou] l'intégrité physique de l'assuré», pour reprendre les termes de l'art.
(ii) Quant à la continuation de l'invalidité
Il ne fait aucun doute que, en vertu du contrat, la preuve de l'invalidité doit être faite par l'assuré. Se pose alors la question qui est au cœur de ce litige: une fois faite, cette preuve est-elle valable indéfiniment?
Le contrat prévoit, à la clause 9, un mécanisme de contrôle, par l'assureur, de l'état de santé de l'assuré. Celui-ci peut être appelé à être examiné par un médecin désigné par la compagnie d'assurance (clause 9, al. 2) ou/et fournir lui-même des preuves de son invalidité (clause 9, al. 1), soit, entre autres, transmettre à l'assureur un certificat médical obtenu auprès d'un médecin de son choix.
Cette possibilité d'enquête s'explique parfaitement et se fonde sur la réalité et la diversité des faits. Il est fort possible qu'un individu devienne invalide temporairement. Je pense, par exemple, à la personne qui se casse un membre et qui doit être immobilisée pendant un certain temps. Lorsque son état physique se rétablit et qu'elle est à nouveau apte à se livrer à un travail rémunérateur, les conditions prévues par le contrat n'existant plus, l'assureur n'est plus tenu de verser les prestations.
Certaines polices d'assurance contiennent une disposition prévoyant contractuellement une présomption d'invalidité si celle-ci dure plus d'un certain temps. C'était le cas dans Blackstone c. Mutual Life Insurance Co. of New York, 1944 CanLII 103 (ON SC), [1945] 1 D.L.R. 165 (H.C. Ont.), auquel l'intimée AVD fait référence à plusieurs reprises. En présence d'une telle clause, l'invalidité existe jusqu'à ce que l'assureur prouve le contraire. Telle n'est pas la situation ici et le fait qu'AVD ait effectué des versements démontre simplement qu'elle a admis l'invalidité et non qu'elle la considère permanente.
b) L'obligation de prouver l'invalidité
En cas de litige, quelle partie a le fardeau de la preuve? En l'espèce, la survenance d'une invalidité n'est pas en cause. Le litige porte sur sa continuation et l'autorisation de pourvoi vise le fardeau de preuve dans ces circonstances.
(i)L'article
La règle générale, en matière de preuve en justice, est contenue dans le Code civil du Bas-Canada, à l'art. 1203:
Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.
Réciproquement, celui qui en oppose la nullité ou l'extinction doit justifier les faits sur lesquels est fondée sa contestation; sauf les règles spéciales établies au présent chapitre.
Mignault, Le droit civil canadien (1902), t. 6, aux pp. 3 et 4, explique ainsi le fondement du premier alinéa:
Le principe, dont il n'indique que la conséquence, c'est que celui qui affirme un fait contraire à l'état normal et habituel des choses, ou à une situation acquise, doit le prouver. On présume toujours l'existence normale et habituelle des choses, et celui que cette présomption favorise est dispensé, tant qu'elle existe, de toute preuve. Ainsi, l'indépendance des hommes les uns à l'égard des autres est l'état normal et habituel; donc celui qui prétend qu'un autre est lié à son égard, en d'autres termes, qu'il a contracté envers lui une obligation, vinculum juris, doit prouver ce fait qui est regardé comme exceptionnel.
Une fois qu'une partie a démontré à la satisfaction du juge, selon le premier alinéa de l'art. 1203, qu'un lien juridique l'unit à une autre, puisque cette situation est devenue légalement existante, aux yeux du tribunal elle constitue l'état normal des choses. Donc, la partie qui estime que l'état normal des choses a changé, que l'obligation n'existe plus, doit à son tour convaincre le tribunal. C'est ce qu'exprime le deuxième alinéa de cet article.
En France, le Code civil contient la même disposition que notre art. 1203, à quelques nuances de forme près :
Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.
Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
Le commentaire qu'en fait Demolombe, Traité des contrats ou des obligations conventionnelles en général (1879), t. 6, nous est fort utile, aux pp. 184 et 185 :
Au point de vue de la raison, en effet, et de la logique, c'est évidemment à la partie qui prétend innover et changer la situation présente, que doit être imposé le fardeau de la preuve. La présomption est que la situation présente, la situation acquise actuellement, de part et d'autre, est conforme à la vérité. L'une des parties prétend le contraire. Qu'elle le prouve donc! Ainsi l'exige le grand principe de l'égalité judiciaire. [. . .] C'est donc le statu quo, qui doit faire, entre elles [les parties], la règle pour la distribution des rôles dans l'instance. [Je souligne; en italique dans l'original.]
Plus loin, Demolombe fait remarquer, aux pp. 192 et 193:
La solution que nous venons d'appliquer à notre première question: Qui doit prouver? implique aussi virtuellement la solution de la question de savoir: Ce qui doit être prouvé.
Aux termes de l'article 1315, ce que doit prouver le demandeur primitif, c'est l'existence de l'obligation.
Et ce que doit prouver le défendeur, devenu à son tour demandeur dans son exception, c'est l'extinction de l'obligation.
En un mot, pour conserver la formule que nous avons proposée [. . .], la partie, qui prétend changer la situation acquise de l'autre partie, doit, en effet, s'il est permis de dire ainsi, la débusquer de cette situation; de telle sorte qu'elle ne puisse s'y maintenir, qu'en fournissant elle-même une preuve, de nature à détruire la preuve qui a été fournie contre elle.
Du point de vue du tribunal, lorsque les parties se présentent devant lui, la situation normale, naturelle, le statu quo est l'indépendance, l'absence de lien juridique. Devant les arguments d'une partie, si le juge est convaincu qu'un droit est né, c'est cet état de dépendance juridique qui devient la situation acquise, le statu quo. Or, comme aucun droit, une fois né ne peut s'éteindre ou s'altérer de lui-même, sauf en raison de la prescription et de la déchéance, le défendeur doit révéler au tribunal l'existence de l'événement qui a modifié le statu quo.
Baudry-Lacantinerie, Traité théorique et pratique de droit civil (3e éd. 1908), t. 3, à la p. 421, estime que « . . . la situation acquise doit jouir des mêmes prérogatives que la situation naturelle: on présume qu'elle existe toujours».
Nadeau et Ducharme, Traité de droit civil du Québec (1965), t. 9, à la p. 79, font remarquer:
Il n'y a pas que les droits qui, une fois leur existence établie, sont censés se conserver tels quels; cette présomption vaut pour toutes les situations de fait ou de droit.
L'intérêt principal des art.
. . . l'enjeu pratique de la répartition du fardeau de la preuve n'apparaît que dans les seules hypothèses où une appréciation des éléments de preuve s'est révélée stérile. C'est alors, mais alors seulement qu'il est indispensable de trancher le problème. De telle sorte que, pratiquement, le juge ne se demande pas, d'abord, auquel des deux plaideurs incombe le fardeau de la preuve et ensuite comment il devra faire cette preuve; il accueille d'abord tous les éléments de conviction qui lui sont apportés par les deux plaideurs indifféremment, et ce n'est que dans le cas où aucun de ces éléments ne lui paraît décisif qu'il est conduit à s'interroger sur la répartition du fardeau de la preuve, de manière à désigner lequel des deux plaideurs sera cru sur sa simple affirmation.
(ii) Application du deuxième alinéa de l'art. 1203
Dans le présent litige, les deux
parties invoquent l'art.
L'appelante, quant à elle, soumet qu'il s'agit d'un cas où l'intimée AVD oppose l'extinction de son obligation et que, conformément au second alinéa de l'art. 1203, le fardeau de preuve lui incombe.
Le 31 mai 1981, au moment de l'accident, en vertu du contrat d'assurance, AVD est devenue débitrice de Mme Giroux en raison de la réalisation du risque. Depuis cette date jusqu'au 14 mars 1984, il est certain que Mme Giroux détenait une créance vis-à-vis de la compagnie d'assurance. À mon avis, le changement d'état de l'assurée est un fait qui modifie les relations entre les parties. C'est à la partie qui invoque le changement de situation de le prouver. Comme le dit Bergeron, "Les problèmes de preuve en droit des assurances", loc. cit., à la p. 442 :
. . . si [. . .] la preuve de l'admissibilité est faite, n'en ressort-il pas une présomption tout à fait naturelle que l'assuré est admissible aux bénéfices jusqu'à preuve du contraire?
En somme, depuis la date de l'accident, le statu quo, la relation «normale», acquise, entre les parties, est la position de créancière de Mme Giroux et l'état de débitrice d'AVD. Or, c'est bien l'assureur, et non l'assurée, qui souhaite changer l'état actuel des choses. Si la compagnie d'assurance veut mettre fin aux paiements qu'elle effectue, pour reprendre l'expression de Demolombe, op. cit., à la p. 184: «Qu'elle le prouve». C'est le deuxième alinéa de l'art. 1203 qui doit être appliqué ici.
À mon avis, le juge de première instance a erré lorsqu'il a affirmé (à la p. 435):
Avec respect, la Cour en arrive donc à la conclusion sur ce point que la demanderesse en garantie a le fardeau de démontrer par prépondérance de preuve que, contrairement aux prétentions de l'assureur, son invalidité persiste toujours.
c)Conséquences de l'application du deuxième alinéa de l'art. 1203 au présent litige :
L'appelante a raison de prétendre que, dans les circonstances, c'était à AVD de prouver au tribunal que l'assurée n'était plus invalide. Malheureusement, malgré toute la sympathie que l'on peut éprouver pour Mme Giroux, les conclusions du juge de première instance ne sont pas pour autant erronées. Même s'il avait correctement attribué le fardeau de preuve, l'issue du procès n'aurait pas été différente. En effet, si le juge avait eu un doute subsistant à la suite de la production de la preuve, le doute aurait dû être retenu au détriment de l'assureur. Or, il n'a pas eu la moindre hésitation quant aux preuves présentées par les experts des deux parties établissant la fin de l'invalidité, sans avoir à considérer le fardeau de preuve pour en décider (aux pp. 435 et 436): (…)
[nos soulignements]
[197] Après avoir résumé de tels enseignements, l’Honorable Juge Michèle Pauzé, J.C.Q., s’exprime comme suit, dans l’affaire Séguin c. La Compagnie d’assurance Standard Life[48] :
[43] En la présente instance, c'est la compagnie d'assurances qui prétend à la fois dans ses procédures que par les témoignages entendus en Cour que la condition d'invalidité de M. Séguin n'est pas maintenue. Ayant assumé la première partie de l'invalidité, il lui appartient donc de faire la preuve d'un changement dans cette condition médicale.
[44] D'où la nécessité de la deuxième question en litige:
º la défenderesse a-t-elle fait la preuve d'un changement d'état chez le demandeur?
(…)
[55] La défenderesse n'ayant pas fait la preuve de manière prépondérante du changement de condition médicale de M. Séguin, elle doit assumer le paiement des prestations d'invalidité de ce dernier.
[nos soulignements]
[198] La Cour d’appel réaffirme, dans un contexte de contrôle judiciaire (d’une décision arbitrale), le principe de la nécessité de l’existence de la preuve d’un changement dans l’arrêt Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux c. Centre de santé et des services sociaux du Val-Saint-François[49]. La Cour d’appel s’y exprime comme suit :
[5] L'arbitre mis en cause a conclu au rejet d'un grief contestant la décision de l'intimé, Centre de santé et des services sociaux du Val Saint-François [l'employeur/assureur], de cesser de verser à une salariée, madame France Fisher-Ricard, une prestation d’assurance salaire à compter du 12 décembre 2009. Il est acquis au débat que l'employeur/assureur cumule ces deux qualités aux termes de la convention collective. De l'avis de la Cour supérieure, cette sentence est à l'abri de la révision judiciaire recherchée par le syndicat appelant, Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux.
[13] En droit, l’assureur qui exécute son
obligation en payant la protection d’assurance salaire peut cesser de le faire
lorsque les conditions changent. Toutefois, le fardeau de prouver ce changement
lui incombe, comme le prescrit d’ailleurs l’article
2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.
[14] Le principe dont il s’agit a été reconnu à maintes reprises, notamment par la Cour suprême dans Caisse populaire de Maniwaki c. Giroux[1]. Le juge Gonthier pour la majorité (…)
[15] C’est cette même règle que le Code civil du Québec a reprise à l’article 2803 que j’ai reproduit précédemment.
[16] En l’espèce donc, sauf à établir une méprise de sa part lorsqu'il a payé pendant plusieurs mois au titre de la protection d'assurance les deux jours d'absence hebdomadaire de madame Fisher-Ricard, l'employeur/assureur devait prouver à la satisfaction de l’arbitre que cette dernière avait cessé d’être invalide.
[21] Il s’ensuit que l’arbitre devait se demander si l’employeur/assureur avait établi un changement dans la condition physique de la salariée faisant en sorte qu’elle ne satisfaisait plus aux conditions d’admissibilité du régime d’indemnisation.
[22] En l’espèce, la condition physique de madame Fisher-Ricard a-t-elle changé par rapport à celle qui existait au mois de mai 2009? Il n'y a qu'une seule preuve au dossier et elle établit sans équivoque que l’état d’incapacité dans lequel elle se trouvait depuis mai 2009 était inchangé. La seule modification susceptible de se produire consistait en une détérioration, comme l'explique d'ailleurs le médecin traitant de madame Fisher-Ricard dans la lettre dont, paradoxalement, l’employeur/assureur fait usage pour justifier sa décision. J’en reproduis intégralement le texte, tout en prenant la liberté de souligner les passages qui, à mon avis, sont les plus révélateurs : (…)
[23] En conclusion, je suis d’avis que l’arbitre a commis une erreur déterminante en tranchant le débat sur la base de son interprétation des clauses de la convention prévoyant la protection d'assurance. Faute d’une allégation suivie d’une preuve expliquant la méprise qui aurait été à l’origine des paiements effectués par l'employeur/assureur, l’arbitre ne pouvait que constater l’existence d’une reconnaissance expresse d'un état d’invalidité donnant ouverture à l'application du régime d'indemnisation prévu à la convention. Je rappelle encore une fois que l'employeur/assureur ne plaidait pas que madame Fisher-Ricard n’avait jamais satisfait aux conditions d’admissibilité du régime d’indemnisation. Sa position consistait à dire qu’elle avait cessé d’y satisfaire.
[24] La seule nouveauté révélée par l’opinion du médecin traitant tenait à la reconnaissance de l'état de permanence de cette invalidité que tous, antérieurement, semblaient espérer temporaire.
[26] La preuve non contestée établit sans l'ombre d'un doute que madame Fisher-Ricard était tout aussi invalide au mois de décembre 2009 qu’elle l’était au mois de mai précédent, ce qui, du même coup, rend intenable la position de l'employeur/assureur selon laquelle celle-ci n’était plus invalide.
[27] J'estime que la conclusion tirée par l'arbitre ne fait pas partie des « issues possibles acceptables au regard des faits et du droit »[2]. À mon avis, l’arbitre n’avait d’autre choix que celui d’accueillir le grief, ce que la Cour supérieure aurait dû faire en révisant sa décision et en retournant le dossier à un autre arbitre pour qu’il règle toute difficulté d’application d’une semblable décision. C'est la conclusion que je propose pour trancher ce pourvoi.
[nos soulignements]
[199] Pour sa part, l’Honorable Juge Julien Lanctôt, J.C.S., dans l’affaire Crevier c. Aetna, Compagnie d’assurance-vie du Canada[50], soit une affaire citée en l’espèce par l’avocate de la SSQ, abonde également dans le sens d’une nécessaire preuve d’un changement dans l’état de l’assurée ou de l’adhérente, et ce, en ces termes :
88 Il est admis et reconnu par les parties elles-mêmes que, pour justifier sa décision de cesser de verser des indemnités d'assurance-invalidité à Me Crevier, Aetna avait le fardeau de démontrer qu'un changement dans l'état de cette dernière était survenu.
[nos soulignements]
[200] Dans cette affaire Crevier, la preuve avait justement démontré l’existence d’un tel changement, la Cour Supérieure concluant donc, par voie de conséquence, ainsi :
115 Pour toutes ces raisons, de façon prépondérante, le Tribunal est d'avis qu'en vertu des constatations effectuées par le Dr Lapierre le 22 janvier 1997, Aetna a démontré qu'un changement était intervenu dans la condition de Me Crevier justifiant Aetna de cesser de payer des indemnités d'invalidité à compter de février 1997.
[nos soulignements]
[201] En l’espèce, la preuve est claire et prépondérante quant à l’intention commune des parties. En effet, la SSQ a reconnu, en 2009, que la condition médicale de Mme C... se qualifiait, dans les circonstances, en vertu de la définition d’invalidité au sens de la police, et les parties ont agi en conséquence pendant environ 7 ans.[51]
[202] L’article
1426. On tient compte, dans l’interprétation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l’interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu’il peut avoir reçue, ainsi que des usages.
[nos soulignements]
Le contenu des notes d’intervention
[203] La révision minutieuse des notes d’intervention de la SSQ (produites d’ailleurs par les deux parties[53]) est particulièrement éclairante quant à la trame factuelle pertinente. En effet, l’on peut y remarquer que la SSQ est informée de tous les faits pertinents, et ce, depuis plusieurs années. Non seulement le lien entre le stress et la problématique y est déclaré à la SSQ (que l’on soit ou non en accord avec cette affirmation), mais, de surcroît, l’information à l’effet que Mme C... ne considère pas être capable de travailler « pour plus de 4 jours/semaine » s’y retrouve, également, à de nombreuses reprises.
[204] Sans tout reprendre de manière exhaustive, il est important de noter les notes d’intervention suivantes - notes rédigées, faut-il le préciser, par divers employés de la SSQ :
2009-11-12[54] : Notes médicales de l’agent :
Remarque : Lettre Dr Charbonneau du 2009-10-19. Diverticulite aigue 2003 avec réfection partie du sigmoïde. Janvier 2006 à l’urgence. Scan a démontré inflammation intestin. Écho-scan avril 2006 normale. Mai 2007 récidive régulière a eu colonoscopie : diverticulose colon gauche. Réfection intestin en 2008. Scan révèle diverticule collé à l’angle hépatique du colon, 2 autres crises nécessitant hospitalisation la dernière en mai 2009 et où chx [chirurgien] a décidé qu’elle devrait être réopérée à nouveau. Indique qu’elle demeure beaucoup plus fragile étant donné partie importante de l’intestin gauche enlevé. Un peu plus de stress peut créer une inflammation. Recommande réinsertion très progressive au travail afin d’éviter toute autre complication possible.
2011-01-20[55]
(…) [Mme C...] me dit qu’elle a tenté temps plein en avril 2010 pensait que ça irait bien suite à une crise diverticulite et a dû être hospitalisée elle se rend bien compte qu’elle ne pourra pas faire plus que 4 jours. Elle se donne beaucoup au travail, vient tellement fatiguée que augmente son stress qui ensuite déclenche crise aigüe. Ne veut pas porter de sac donc veut continuer de travailler sans augmenter le stress.
Décision/Plan d’action
Femme de 44 ans enseignante en retour progressif 80%. Considérant Dx (diagnostic) de diverticulite aigue causé par le stress. (…) Acceptons de poursuivre prestation 20% ad fin juin. Ferons suivi en août 2011 (…).
2011-11-24[56] : « De plus, [Mme C...] me dit qu’elle a de la difficulté à faire ses 4 jrs elle est très fatiguée ne pense pas revenir en janvier pour les 3 dernières semaines va prendre du sans solde a avisé son employeur pour faire rentrer sa remplaçante. De plus ne sait pas si va revenir en août car sa condition se détériore.
2012-09-26[57] : (…) Considérant le diagnostic de fatigue et diverticulite chronique causé par le stress. Que le médecin indiquait qu’après plusieurs évaluations, physiquement ne peut travailler plus de 4 jours/semaine, que l’employée a plusieurs exacerbations physiques [58](…)
Plan suivi - Décision
Acceptons invalidité et prestations indéterminées ainsi que RAPT à 80%.
2013-09-12[59]
Plan suivi - Décision : Acceptons invalidité pour durée indéterminée.
(…) N’a pas donné suite au changement d’emploi, a décidé de rester enseignante. Dit qu’elle est à son maximum présentement à 4 jours / semaine. Ne sait pas combien de temps pourra endurer ce rythme, se sent fragile, dort beaucoup dans sa journée de congé, elle est souvent complètement vidée en fin de journée. Cependant, adore son travail et aura une stagiaire cet automne, cela lui donne de l’espoir d’avoir un certain allègement et pouvoir rester à 4 jours.
2014-01-16[60] : (…) Elle réussit le mieux qu’elle peut à faire son travail à 4 jours/semaine et elle ne veut pas arrêter, elle veut être présente pour ses élèves (…)
2014-11-04[61] : Appel reçu de l’adhérente afin de nous aviser qu’elle est de nouveau en arrêt total et ce depuis le 2014-10-28 pour des diverticulites. (…) Elle espère pouvoir reprendre son travail à 80% le 2014-11-16 après sa série d’antibiotique.
2014-11-28[62] : (…) A vu psychologue et acupunctrice pour l’aider à baisser ses attentes. Les deux croient qu’elle n’est pas prête à un RAPT mais a tout de même décidé de retourner à 60%.
2014-12-02[63] : (…) Elle a pu reprendre le travail à 3 jours/semaine depuis le 2014-12-01 mais c’est difficile, elle essaie de faire de son mieux et ne veut pas pénaliser les enfants de sa classe par son absence. Elle dit que travailler 3 jours/semaine ce n’est pas la meilleure chose quand on enseigne puisque c’est plus difficile à bien gérer l’horaire de la classe.
2015-05-07[64] : (…) Mme me dit qu’elle a réussi de façon serrée à faire son travail à 4 jours/semaine, elle est quelqu’un de perfectionniste et ne veut pas retourner à 3 jours/semaine. (…)
2015-06-30[65] : (…) Il est prévu qu’elle soit toujours à 4 jours/semaine même si médecin préfère 3 jours/semaine, elle dit que le stress augmente beaucoup ses effets et depuis un petit bout de temps lors de sa journée de congé elle allait aux toilettes 5 à 7 fois dans la journée. (…) Elle parle qu’elle n’a pas assez d’énergie pour travailler à temps plein (…)
2015-12-03[66] : Je lui explique que nous allons suspendre ses prestations le temps de son congé à traitement différé et que nous allons reprendre les prestations en août 2016 et ce si l’invalidité est toujours justifiée ce qui fait que nous allons lui redemander un RS en juillet 2015 afin de planifier la rentrée scolaire 2016/2017.
[205] Quant à la révision des Rapports médicaux transmis, au fil des ans à la SSQ, et préparés par la Dre. Charbonneau[67], l’on peut y remarquer, en particulier, ce qui suit :
i) Le diagnostic de diverticulite chronique y est noté;
ii) Le fait que les épisodes s’accroissent en période de stress y est également noté, et ce, à plusieurs reprises;
iii) La référence à un travail devant être effectué à 4 jours/semaine y apparait également;
iv) On y note que le niveau de collaboration de Mme C... à son traitement est qualifié, à chaque reprise, d’excellente;
v) Dans le rapport établi à l’été 2015, on peut y lire que le travail à 4 jours/semaine devrait perdurer « à vie »;
[206] Le dossier démontre également la transmission, à diverses époques, de quelques lettres explicatives, adressées à la SSQ, et ce, par la Dre Charbonneau. Les mêmes items répertoriés ci-haut (le diagnostic, le lien avec le stress, la limitation à 4 jours/semaine, et ainsi de suite), s’y retrouvent dans chaque cas, particulièrement dans le cadre des lettres suivantes :
- Lettres du 19 octobre 2009, du 15 février 2017, du 17 août 2017 et du 1er mai 2018[68];
[207] Certes, la SSQ, en décembre 2016, se fait répondre - par son Directeur médical - qu’il n’y a pas de littérature scientifique permettant de faire le lien entre le stress et une crise de diverticulite aiguë. Notons que le rapport du Dr. Loungnarath, pour sa part, est daté du 8 février 2018, soit bien après la décision prise par la SSQ - en janvier 2017 - de ne pas reprendre le versement des prestations d’invalidité depuis le mois d’août 2016.
[208] Cette réponse reçue, en décembre 2016, de son Directeur médical, permettait-elle à la SSQ de modifier, unilatéralement cela va de soi, sa position eu égard à la demanderesse?
[209] Rappelons que rien n’a changé au fil des ans. Certes, il y a eu des rechutes, puis des retours à 3 jours/semaine, puis à 4 jours, puis une tentative de retour à temps plein suivi d’un échec retentissant. Mais la condition de santé de Mme ne s’est pas modifiée - la preuve, à tout événement, ne le démontre pas. Cette condition de santé est d’ailleurs chronique et, dans le cas de Madame, elle est particulièrement symptomatique.
[210] En d’autres termes, la SSQ tente de traiter différemment, en 2016, une situation qui elle n’est pas différente depuis 2010, voire même antérieurement. Tout est connu de l’assureur depuis 2010. Il est manifeste, depuis ce moment, que Mme ne pourra pas, en toute probabilité, recommencer à travailler à temps plein, et pourtant, l’assureur continue de verser les prestations sur une période d’environ 6 ans. L’équipe médicale de la SSQ[69] connait la situation, voire l’avalise, pendant toutes ces années.[70]
[211] Ceci étant dit, qu’en est-il de l’absence de littérature scientifique pouvant justifier d’un tel lien entre le stress et la condition de madame, en particulier une crise de diverticulite aiguë?
[212] Or, cette situation, dans l’absolu, en présumant que tel soit le cas, n’est assurément pas un « fait nouveau ».
[213] En effet, comme le note avec un brin d’humour et d’ironie l’avocat de la demanderesse : « S’il n’y a pas d’étude scientifique en 2016, il n’y en avait pas non plus en 2012, en 2010, en 2009, et ainsi de suite ».
[214] En effet.
[215] Il n’est donc pas question ici d’un « revirement scientifique ». Selon le Dr. Loungnarath, « il ne peut affirmer » qu’un lien scientifique existe entre le stress et une crise de diverticulite aiguë. Il est manifeste qu’il n’aurait pas pu l’affirmer, non plus, à quelconque moment depuis 2009. Cela tombe sous le sens.
[216] Ainsi donc, il n’y a, fatalement, absolument rien de nouveau ici. La demanderesse a tenté tant bien que mal de continuer à travailler pendant toutes ces années, alors que bien d’autres se seraient probablement découragés en chemin.
[217] En effet, la demanderesse a mis en place, respectant à la lettre les conseils de son médecin traitant, une longue panoplie de stratégies visant à mettre « toutes les chances de son côté ».
[218] Le Tribunal, ayant pu observer la demanderesse, et ayant pu analyser son témoignage, n’a aucun doute que celle-ci, si elle avait pu travailler à temps plein depuis quelconque moment depuis 2009, l’aurait fait sans aucune hésitation. Son témoignage est convaincant en ce qui concerne son état de santé, ses limitations, ses symptômes et ainsi de suite. Le fait de ne pas travailler le jeudi n’est pas ici « un choix personnel » ou le « choix d’un mode de vie ».[71]
[219] L’on aura compris qu’il n’est pas question ici de trancher une dispute scientifique. D’ailleurs, le Dr. Loungnarath et la Dre. Charbonneau semblent être en accord sur plusieurs des points soulevés, mais pas tous.[72]
[220] De toute façon, le Tribunal doit évaluer la preuve selon le critère de la prépondérance des probabilités. La certitude scientifique demeure de l’apanage - lorsqu’elle est possible - des médecins et des scientifiques. Après tout, et l’on en conviendra tous, un patient souhaite assurément que son médecin se base sur autre chose que la règle du « 50% plus 1 ».
[221] D’ailleurs,
l’article
2804. La preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n’exige une preuve plus convaincante.
[222] D’ailleurs, il est utile de remarquer la terminologie, usitée à de nombreuses reprises par le Dr. Loungnarath : « Je ne peux affirmer que… ».
[223] Encore une fois, le Tribunal n’en formule aucun reproche à ce dernier. Il n’a pas été appelé à témoigner de ses impressions quant à une œuvre d’art. On lui a demandé d’expliquer, de manière résolument cartésienne, le fonctionnement du colon de l’être humain. Et il l’a fait d’une manière claire, précise.
[224] Là n’est pas la question.
[225] Ceci étant, son affirmation « Je ne peux affirmer » ne fait que démontrer la prudence, totalement appropriée d’ailleurs, dont doit faire preuve tout scientifique. Cela est assurément encore plus le cas pour un scientifique de très haut niveau, comme le Dr Loungnarath.
[226] Or, le cadre d’analyse du Tribunal en est un qui n’a pas à rechercher, à tout prix, une certitude scientifique.
[227] Le Tribunal n’enlève évidemment rien, non plus, à la Dre. Charbonneau. Cette dernière a également témoigné de manière convaincante. Elle a l’avantage de suivre la demanderesse, à titre de médecin traitant, depuis 1996. Elle a l’avantage d’avoir vu non seulement le « avant » mais également le « après » de cette première crise diverticulaire en 2002.
[228] Le contraste apparait saisissant.
[229] Ainsi donc, pour l’ensemble de ces motifs, et à la lumière de l’ensemble de la preuve admise - et analysée - le Tribunal en arrive à la conclusion que SSQ ne démontre nullement l’existence d’un quelconque changement pertinent quant à l’état de la demanderesse.
[230] Bref, « rien n’a changé ». En conséquence de cette situation, le même statu quo devait être maintenu par la SSQ. La preuve soumise en l’espèce ne démontre pas qu’il pouvait être justifié de mettre fin aux prestations d’invalidité versées à Mme C....
ET LE RETOUR PROGRESSIF?
[231] Le fait que la demanderesse aura considéré, depuis le début, ce dossier comme en étant un de « retour progressif » ne modifie pas la donne dans le cas sous étude. D’ailleurs, tel que déjà noté, le contrat d’assurance, de l’admission de tous, ne contient aucune disposition prévoyant un tel mécanisme de retour progressif.
[232] Mais il y a plus.
[233] En effet, tel que relaté à même les notes d’intervention citées précédemment, rien dans la preuve ne permettait de considérer, à quelconque moment, et assurément depuis plusieurs années, que la condition médicale de la demanderesse pouvait permettre d’espérer, raisonnablement et objectivement, un retour à temps plein.
[234] La seule tentative en ce sens a eu lieu en avril 2010 - avec les conséquences et le résultat que l’on connait[73].
[235] Personne n’a tenté de forcer la donne par la suite - assurément de manière raisonnable et justifiable médicalement. Certes, l’un des rôles premier du médecin traitant est de ne pas nuire (primum non nocere)[74], ceci étant, l’analyse explicitée par le médecin traitant en l’espèce ne s’est pas limitée à « tenter de ne pas nuire ».
[236] Le Tribunal fut impressionné du cocktail de mesures mis en place afin d’aider la demanderesse. Il serait inutile de tout répéter ici mais la liste est impressionnante. Et les résultats semblent avoir été au rendez-vous, l’absence de crise majeure depuis 2014 ayant été démontrée.
[237] Personne n’a prétendu, ceci dit, que cette « stabilisation » puisse constituer le « changement » auquel la jurisprudence réfère. D’ailleurs, la SSQ, lorsque questionnée à cet égard, prend la position, tel que déjà relaté, que le changement en l’espèce - si la preuve d’un changement est nécessaire - résulte de l’analyse effectuée par le Dr. Hendricks, soit le Directeur médical, en décembre 2016.
[238] Avec égards, ce « changement » n’en est pas un. Il s’agit plutôt d’une nouvelle évaluation, d’un nouveau regard - purement interne de la SSQ - par rapport à une situation qui, elle, est la même depuis plusieurs années.
[239] Pourtant, la demanderesse, par l’entremise de la Dre Charbonneau, a - à nouveau - à l’automne 2016 - démontré la même chose qu’au cours des années précédentes - la SSQ, dont son équipe médicale qui a été consultée au fil des ans tel qu’il est apparu de la preuve - ayant pris la position que les éléments soumis correspondaient à sa définition d’invalidité.
[240] Certes, la SSQ espérait un retour à temps plein. Objectivement parlant cependant, rien dans la preuve soumise ne permettait de soutenir un tel espoir. Comme le souligne avec justesse l’avocat de la demanderesse : « C’était peut-être leur idée mais ça ne s’est jamais réalisé dans les faits ».
[241] Le versement de prestations partielles (à un, ou deux jours /semaine) a été mutuellement bénéfique aux parties, tel que le concède, en toute honnêteté intellectuelle, l’avocate de la SSQ lors des Plaidoiries. En effet, il est apparu manifeste de la preuve que la SSQ a préféré - et cela est logique et raisonnable - verser des prestations à la hauteur de 20% (1 jour sur 5) plutôt que de trop forcer (peut-être comme en avril 2010) et d’avoir à verser, plutôt, 100% desdites prestations, et ce, pendant une période plus ou moins longue.
[242] Avec égards, il n’y a eu « aucun cadeau » de la part de la SSQ[75].
[243] La demanderesse, de son côté, n’a jamais voulu quitter la profession d’enseignante. Elle adore celle-ci et le Tribunal n’en a aucun doute. L’on voit d’ailleurs dans les notes que celle-ci préfère travailler 4 jours/semaine plutôt que 3, ne serait-ce que par perfectionnisme et par souci d’assurer le succès de ses petits élèves.
[244] Il ne s’agit donc nullement de « versements effectués par erreur » par la SSQ. La preuve ne permet nullement d’adhérer à la thèse de paiements effectués par erreur. À cet égard, le fardeau de la preuve reposait résolument sur les épaules de la défenderesse SSQ.[76]
[245] Les paiements en question n’ont pas, non plus, été effectués « sous toutes réserves », sans préjudice ou selon une tangente similaire. En aucun moment n’est-il mentionné, par écrit ou verbalement, par la SSQ, à Mme C..., que l’assureur ne la considère pas comme étant invalide au sens de la police. C’est le contraire en fait qui se dégage de la preuve soumise.
[246] En d’autres termes, le versement des prestations en question, pendant de nombreuses années, est effectuée, en toute connaissance de cause, par la SSQ.
[247] Bien que le cadre d’analyse ne soit pas différent dans le scénario contraire, il suffira de mentionner que le Tribunal a eu devant lui une demanderesse qui veut travailler, qui a tout fait pour continuer à travailler et qui a eu - en ce sens - une bonne collaboration de son assureur, et ce, pendant plusieurs années.
[248] Le témoignage de la demanderesse est apparu sincère, crédible, ouvert, sans aucune propension à l’exagération de ses symptômes.
[249] En résumé donc, rien dans la preuve ne démontre en quoi la donne a changé. En fait, le Tribunal est convaincu - presque scientifiquement - que la donne n’a justement pas changé.
[250] La demanderesse, ainsi que son médecin traitant, furent des plus transparents face à la SSQ. Les notes d’intervention l’illustrent on ne peut plus clairement. Toute l’information, objective, subjective, et autre, fut transmise pendant toutes ces années à la SSQ, qui s’en est déclarée, pendant toutes ces années également, satisfaite.
[251] Mais il y a, subsidiairement, plus.
Y A-T-IL, EN L’ESPÈCE, INVALIDITÉ TOTALE? INVALIDITÉ PARTIELLE? ENTENTE D’ACCOMODEMENT?
[252] Mais qu’en est-il de l’argument de la SSQ à l’effet que Mme C... ne répond pas, ou plus, à la définition d’invalidité totale prévue au contrat, telle que précitée[77]? Après tout, le contrat ne prévoit pas spécifiquement de couverture d’assurance en cas d’invalidité partielle.
[253] Le contrat ne prévoit pas non plus, faut-il le répéter, de retour progressif non plus. Pourtant, la SSQ soumet qu’elle a procédé ainsi pendant environ 6 ans en l’espèce.
[254] En d’autres termes, l’absence de termes clairs - en ce sens - dans le contrat d’assurance - n’a nullement empêché la SSQ de procéder ainsi, selon sa propre admission.
[255] À cet égard, soyons clairs : la demanderesse a démontré, à plusieurs reprises depuis 2009, et la SSQ a accepté la preuve soumise, qu’elle répondait à ladite définition d’invalidité prévue au contrat, et ce, tel qu’interprétée, en l’espèce, par les parties au fil des mois et des années. Les parties ont manifestement interprété le contrat de la sorte. Les parties ont considéré - y compris l’équipe médicale de la SSQ - que le tout se justifiait médicalement. Rien ne démontre que cela a changé depuis, que ce soit en 2016 ou antérieurement.
[256] S’agit-il là d’un « ajout au contrat »? Le Tribunal ne le croit pas - mais même si tel était le cas, faut-il rappeler que l’assureur a lui-même ajouté tout le processus de retour progressif - le contrat étant totalement muet à cet égard. Le corolaire d’un tel ajout quant au retour progressif est la reconnaissance, dans les faits et dans le cadre de la trame factuelle très précise et particulière de l’espèce, d’une situation - reconnue et acceptée - d’invalidité occupationnelle partielle.
[257] Une trame factuelle différente[78] pourrait certes entrainer un résultat différent mais celle établie en l’espèce est à ce point particulière[79] que le Tribunal ne peut que comprendre, du comportement des parties, qu’une véritable entente d’accommodement est intervenue entre elles - et ce - tel que le permet spécifiquement les Fiches d’interprétation produites, en l’espèce, par la SSQ elle-même.
[258] Comme nous l’avons vu, lesdites fiches d’interprétation - qui sont externes au contrat mais dont la SSQ invoque l’existence et l’application - permettent aux assureurs de conclure, dans certaines circonstances assez exceptionnelles, une « entente d’accommodement. » La fiche pertinente stipule d’ailleurs que ces ententes peuvent être consignées, ou non, par écrit.
[259] Comment expliquer autrement le comportement de l’assureur en l’espèce? Encore une fois, le Tribunal ne retient nullement la prétention à l’effet que tous ces versements auraient été effectué, au fil du temps, par erreur. Au contraire, ceux-ci, au risque de se répéter, ont été versés en toute connaissance de cause par la SSQ.
[260] À la lumière de l’ensemble de la preuve soumise, et en toute probabilité, une telle entente d’accommodement est intervenue entre les parties - chacune d’entre elles y trouvant son compte. La preuve en démontre l’existence et l’application au fil des ans.
[261] L’Entente d’accommodement est ainsi définie à même la Fiche d’interprétation pertinente[80], produite par la SSQ :
- Elle n’est pas prévue dans le contrat; cependant, les parties acceptent de convenir de certains accommodements qui s’apparentent à de l’invalidité partielle et qui se concrétisent en impliquant les parties, par le biais ou non d’ententes écrites.
- Elle se distingue du retour progressif parce qu’elle n’aboutit pas ultimement sur un retour au travail à temps plein.
- Elle établit soit un retour au travail partiel ou encore un retour progressif qui plafonne à un niveau inférieur au retour à temps plein.
- Ces ententes doivent être justifiées médicalement.
- Ces ententes reflètent l’intérêt commun des parties à régler d’éventuels litiges. En effet, ces accommodements évitent un long et coûteux débat pour trancher entre la présence ou l’absence d’invalidité totale.
- Ce type d’entente cadre très bien avec des invalidités reliées à des diagnostics qui limitent clairement la capacité de travail d’une personne assurée, mais qui n’empêchent pas une prestation de travail partielle.
[nos soulignements]
[262] Mme Goulet a expliqué, comme nous l’avons vu, que les retours progressifs se justifiaient lorsqu’il était possible d’entrevoir une progression dans l’état de santé d’un adhérent. La preuve a clairement démontré, en l’espèce, et au mieux pour la SSQ, une stagnation[81] - depuis plusieurs années. Ainsi donc, le contexte se prêtait beaucoup plus à autre chose - à savoir une entente d’accommodement, conformément à la fiche précitée qui le permet nommément.
[263] Le Tribunal considère se retrouver dans un tel contexte. Certes, la maladie de Mme C... n’est pas en soi dégénérative (contrairement à la maladie de Parkinson, ou la sclérose en plaques pour reprendre les exemples donnés par Mme Goulet), mais le Tribunal ne voit pas - auxdites fiches d’interprétation - de mentions en venant à limiter de telles ententes à de telles maladies dites dégénératives.
[264] À tout événement, les agents de la SSQ, en toute vraisemblance, ont considéré que la situation particulière de Mme C... se qualifiait en l’espèce - soit à titre d’invalidité totale (avec les bémols apportés à cette notion en jurisprudence), soit à titre d’invalidité partielle (en incorporant une telle notion au contrat), soit à titre d’entente d’accommodement.
[265] Rien n’empêchait que les parties interprètent, de cette façon, et de manière commune, le contrat d’assurance conclu. Il semblait, en effet, y avoir un vide à celui-ci en ce que le contrat était muet quant à l’existence même du processus de retour progressif. Probablement un oubli - ou un non-sens considérant que cette police s’appliquait à un large groupe d’enseignants.
[266] Mais les parties ont pallié à ce manquement. L’ambiguïté au contrat résulte donc de son contexte, d’un certain vide juridique s’en dégageant et en raison de la conduite ultérieure des parties.
[267] Les règles d’interprétation des contrats s’appliquent donc ici. Les articles 1425 et suivants[82] nous rappelant d’ailleurs ceci :
1425. Dans l’interprétation du contrat, on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes utilisés.
1426. On tient compte, dans l’interprétation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l’interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu’il peut avoir reçue, ainsi que des usages.
1427. Les clauses s’interprètent les unes par les autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de l’ensemble du contrat.
1432. Dans le doute, le contrat s’interprète en faveur de celui qui a contracté l’obligation et contre celui qui l’a stipulée. Dans tous les cas, il s’interprète en faveur de l’adhérent ou du consommateur.
[268] La SSQ aurait pu dissiper quelconque doute, en ce sens, en précisant - dans l’une ou l’autre de ses nombreuses missives à Mme C... - qu’elle ne la considérait pas comme étant invalide au sens de la police. Mais tel n’est pas le cas - l’assureur se contentant de préciser qu’une nouvelle évaluation allait être effectuée, quelques mois plus tard à la lumière du rapport médical qui serait, à ce moment, communiqué par Mme C... et son médecin traitant.
[269] Mme C... a respecté à la lettre les exigences de la SSQ, et cette dernière s’en est déclarée satisfaite pendant toutes ces années.
[270] Un tel résultat ne génère nullement une hérésie au sens du contrat. Après tout, celui-ci prévoit, au surplus, spécifiquement, que l’adhérent qui bénéficie de d’autres revenus (dont un traitement provenant de son employeur) doit déduire ceux-ci des prestations qu’il peut estimer être en droit de recevoir de la SSQ à titre de rente mensuelle. En effet, l’article 4-3 01 dudit Contrat d’assurance prévoit spécifiquement :
4-3.00 RÉDUCTION DE LA RENTE
4-3 01 Sous réserve de la clause 4-3 02, le montant de la rente mensuelle déterminé ci-dessus est réduit :
a) de tout traitement reçu de l’employeur[83], excluant les jours de vacances et les congés de maladie monnayables, payés par ce dernier;
[nos soulignements]
[271] Ainsi donc, le contrat d’assurance prévoit lui-même qu’il est possible pour un assuré - qui est nécessairement, soumet la SSQ, en situation d’invalidité totale - de recevoir un traitement de son employeur, soit, en l’espèce, la Commission scolaire.
[272] Cet élément démontre d’autant l’existence d’un vide juridique que les parties, par leur interprétation et leurs gestes, ont visé à combler.
[273] Il n’y a pas lieu, en l’espèce, de modifier cette interprétation commune. Rien n’empêchait les parties de procéder ainsi, mais cette façon commune de procéder ne peut, par la suite, être modifiée unilatéralement par l’assureur.
MAIS MEME SI TEL N’ÉTAIT PAS LE CAS -
[274] Certes, les définitions d’invalidité totale sont multiples en jurisprudence mais, ceci étant, et de toute façon, les tribunaux ont reconnu, faut-il le rappeler, que la notion d’invalidité totale ne représente plus celle d’un malheureux individu étant, littéralement, cloué au lit 365 jours par année.
[275] En effet, la Cour Suprême du Canada, dans l’arrêt The Paul Revere Life Insurance Company c. Sucharov[84], le rappelait, et ce, en ces termes :
En d’autres termes, un propriétaire-directeur est dans l’impossibilité absolue d’accomplir son travail à ce titre s’il est incapable de remplir effectivement toutes les fonctions de ce poste.
Dans Couch on Insurance (1983), 2d (Rev. ed.) §53:118, on trouve le passage suivant qui est pertinent en l’espèce:
[TRADUCTION] On satisfait au critère de l’incapacité totale si les circonstances sont telles qu’un homme raisonnable reconnaîtrait qu’il ne doit pas exercer une activité donnée, bien qu’il ne soit pas littéralement dans l’impossibilité physique de le faire. En d’autres termes, l’incapacité totale ne signifie pas l’impossibilité physique absolue d’accomplir une tâche quelconque liée à son occupation; il y a plutôt incapacité totale dès que les maux de l’assuré sont tels que, par simple mesure de précaution et de prudence, il doit laisser de côté ses affaires ou son occupation pour assurer sa guérison; par conséquent, si l’état de l’assuré est tel que, par simple mesure de précaution et de prudence il doit cesser totalement de travailler pour assurer sa guérison ou prolonger sa vie, il souffre alors d’une incapacité totale au sens d’une police d’assurance maladie ou d’assurance contre les accidents.
[nos soulignements]
[276] Reprenant les enseignements de cet arrêt Sucharov, l’Honorable Juge Claude Dallaire, J.C.S., dans Gagnon c. Unum Life Insurance Company of America[85] s’exprime comme suit :
[214] Le Tribunal applique les principes énoncés par la Cour suprême dans l'arrêt Paul Revere Insurance c. Sucharov[73], tels que récemment repris en 2009 par la Cour supérieure dans P.R. c. RBC, compagnie d'assurance-vie[74], qui précisent tous deux que la définition d'invalidité totale correspond à une impossibilité d'exécution de manière substantielle de toutes les tâches d'une fonction. C'est précisément le cas pour Monsieur Gagnon, selon la preuve en l'instance.
[nos soulignements]
[277] Ce jugement de l’Honorable Juge Dallaire fut confirmé par la Cour d’appel.[86]
[278] Certes, en l’espèce, la demanderesse - souvent à son insistance d’ailleurs - travaille 4 jours par semaine. Cela la disqualifie-t-elle, en occultant la question relative à l’absence de changement déjà amplement explicitée précédemment - de recevoir des prestations de la SSQ en raison d’une invalidité totale?
[279] Le Tribunal ne le croit pas. Les Tribunaux, en particulier depuis l’arrêt Sucharov, précité, ont déterminé que la notion d’invalidité totale doit plutôt se comprendre comme signifiant une invalidité substantielle.
[280] En l’espèce, faut-il rappeler que la demanderesse, non seulement ne travaille pas 5 jours par semaine car elle en est incapable- la preuve médicale soumise l’a démontré par prépondérance - mais elle n’enseigne pas, non plus, toutes les matières prévues au cursus d’enseignement au primaire.
[281] Certes, elle a conservé les matières de base - français et mathématiques - mais elle n’enseigne pas l’éthique et la culture religieuse, l’informatique, les arts plastiques, les sciences, et ainsi de suite. L’autre professeure, mandatée pour ce faire, est la seule à enseigner ces matières à ses étudiants. Celle-ci note ces matières lorsque requis et participe donc à la confection d’une portion importante des bulletins trimestriels ainsi que du bulletin final.
[282] L’avocate de la SSQ soumet qu’il ne s’agit là que d’un simple « arrangement » quant à l’horaire de la demanderesse. En d’autres termes, soumet-elle, Mme C... pourrait enseigner ces diverses matières si celles-ci étaient prévues à l’horaire le lundi, ou le mardi, et ainsi de suite.
[283] Soit.
[284] Cependant, si tel était le cas, l’autre enseignante en viendrait à enseigner, du moins une portion, des matières de base aux étudiants en question. La problématique serait et demeurerait la même : Mme C... est incapable, hélas, d’enseigner l’ensemble des matières. Elle est incapable de travailler 5 jours par semaine - les tentatives en ce sens l’ont démontré clairement. Les accommodements dont elle fait l’objet, tel que déjà relaté, le mercredi matin, le démontrent également avec acuité.
[285] Par ailleurs, et sans pour autant reprendre l’ensemble des éléments soulignés précédemment, la preuve clairement prépondérante démontre à quel point la journée du jeudi est difficile pour la demanderesse. Les visites plus que fréquentes à la toilette, la fatigue généralisée, etc.
[286] D’ailleurs, et comme le plaide avec justesse l’avocat de la demanderesse, le choix de la journée de jeudi - à titre de journée de repos - n’est pas, en soi, banal. Nous n’avons nullement affaire ici à une demanderesse qui « tente d’étirer ses fins de semaine ». Si tel était le cas, la journée du vendredi ferait « beaucoup plus de sens. »
[287] En fait, Mme C... a bien expliqué le raisonnement derrière le choix de cette journée de jeudi. Les « choses » vont relativement bien le lundi et le mardi, mais le tout commence à déraper le mercredi - d’où son arrivée plus tardive à l’école. La journée du jeudi, et le repos conséquent, deviennent essentiels et cruciaux, et ce, afin de clore la semaine le vendredi.
[288] Comme le mentionnait l’Honorable Juge André Rochon, alors qu’il siégeait à ce moment à la Cour Supérieure, et ce, dans l’affaire Quévillon-Drouin c. La Compagnie d’assurance Standard Life[87] :
65 À l'occasion d'une décision maintes fois reprise, la Cour d'appel a étudié une disposition contractuelle semblable à celle sous étude. Dans cet arrêt la Cour d'appel souligne l'importance de tenir compte d'aspect à la fois objectif et subjectif. Le tribunal reproduit les extraits pertinents de cette décision:
Les médecins entendus sont d'accord pour dire que l'incapacité de l'intimé doit s'évaluer globalement, objectivement et subjectivement, que chez l'intimé, c'est l'aspect subjectif du stress qui déclenche l'insuffisance coronarienne et qu'il faut en tenir compte....
(…)
Cet auteur écrit que dans une police d'assurance, lorsqu'on parle d'invalidité totale, on veut signifier une invalidité substantielle. Pour être invalide totalement, il suffit que l'assuré soit incapable d'accomplir un travail régulier, comme c'est notre cas ici. Cet auteur américain ajoute que l'invalidité totale n'est pas principalement une question médicale, mais plutôt une question juridique.
[nos soulignements]
[289] De toute façon, comme le concède sans difficulté l’avocate de la SSQ, le diagnostic précis en l’espèce importe, probablement, assez peu. Comme elle le soumet[88] : « Le diagnostic la limite-t-elle seulement un jour par semaine et pas les autres? » Le Tribunal considère que la preuve prépondérante l’a clairement démontré.
[290] La présente instance doit être distinguée de l’affaire Boux c. Unum Canada[89], à laquelle l’avocate de la SSQ réfère le Tribunal.
[291] En effet, dans cette affaire, le Dr. Boux, médecin omnipraticien, soumettait qu’il se qualifiait au versement de prestations d’invalidité totale, en ce qu’il avait dû réduire ses heures de travail. Alors qu’il travaillait environ 60 heures avant l’invalidité alléguée, la preuve démontrait qu’il ne pouvait plus travailler que de « 30 à 40 heures » environ par semaine, réduisant d’autant ses revenus.
[292] Avec égards, la présente instance est très différente. Rien dans le dossier du Dr. Boux ne permettait de considérer que ce dernier ne pouvait pas réaliser totalement l’ensemble de ces tâches. Tout au plus avait-il dû réduire ses heures de travail à un nombre plus « raisonnable ». Bref, il pouvait effectuer l’ensemble des tâches de son occupation mais pour moins que ses « 60 heures » habituelles.
[293] En l’espèce, Mme C... est incapable de réaliser totalement la tâche de travail qui est la sienne à titre d’enseignante, à temps complet, en première année du primaire.
[294] Tentant de contrecarrer ce type d’interprétation, l’avocate de la SSQ réfère le Tribunal, habilement, à un arrêt récent de la Cour d’appel, dans Alliance des professeures et professeurs de Montréal c. Commission scolaire de Montréal[90].
[295] En effet, dans cet arrêt, la Cour d’appel rejette la demande de permission d’en appeler d’un jugement de la Cour Supérieure ayant rejeté - usant du critère de la décision raisonnable - une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une sentence arbitrale. La sentence arbitrale en question avait considéré que le régime d’assurance prévu dans une entente nationale (2010-2015) n’était pas discriminatoire à l’égard des enseignants présentant une invalidité partielle.
[296] Or, il est important de noter les éléments suivants :
i) Le litige en l’espèce - institué d’ailleurs devant un arbitre de grief - en était un en droit du travail, mû entre un syndicat et l’employeur (Commission scolaire de Montréal) et non dans le cadre, à proprement parler, d’un litige entre un assuré et un assureur[91];
ii) Le litige concernait donc l’interprétation à donner à une convention collective et au caractère discriminatoire, ou non, au sens de la Charte des droits et libertés de la personne, de certaines clauses s’y retrouvant en matière d’invalidité;
iii) La Cour d’appel devait se prononcer sur une demande de permission d’en appeler, avec les critères propres à une telle détermination;
iv) La demande de permission d’en appeler concernait un jugement, de la Cour Supérieure, s’étant elle-même prononcée sur une demande de contrôle judiciaire, avec le lot de critères s’y rattachant;
v) Toutes les parties dans ce litige concédaient que le critère d’intervention applicable en Cour Supérieure était celui de la décision raisonnable;
vi) La Cour d’appel fait ici preuve de déférence, celle-ci s’exprimant d’ailleurs ainsi au paragraphe 14 de l’arrêt : [14] Il est vrai, comme le plaide ce dernier, que la Cour ne s’est pas encore prononcée sur « l’aspect discriminatoire de l’exclusion des personnes atteintes d’une invalidité partielle d’un régime d’assurance salaire ». Mais, à mon avis, là n’est pas la question. Il revenait à l’arbitre Roy de se prononcer sur cette question, alors que le rôle des tribunaux supérieurs se limite à étudier la raisonnabilité de sa décision où la déférence s’impose. Or, à cet égard, le Syndicat ne fait voir aucune question nouvelle. »
vii) Tel qu’il appert du Jugement de la Cour Supérieure[92], l’assureur avait, somme toute, cessé de verser les prestations à la fin de la période de retour progressif documenté en ce sens;
[297] Cet arrêt se distingue d’ailleurs considérablement de notre propre cas d’espèce, en ce que l’état de la demanderesse fut reconnu pendant de nombreuses années.
[298] Certes, la SSQ a continué d’espérer qu’un retour progressif « déboucherait » éventuellement sur un retour à temps complet - mais, comme nous l’avons vu, cet espoir n’était pas réaliste dans les circonstances, probablement depuis 2010, conformément aux extraits des notes d’intervention précités.
[299] Comme le mentionne l’auteur Michel Gilbert, dans L’Assurance collective en milieu de travail[93] :
402. Tentative de retour au travail - En soi, le fait que l’adhérent effectue un retour au travail ne signifie pas nécessairement qu’il est en mesure d’effectuer son travail habituel. Comme l’a souligné la Cour Supérieure, « la capacité de travail continu et la qualité du rendement importent chez tout employé tenu à un devoir de diligence. »
À maintes reprises, les tribunaux ont conclu à la lumière de la preuve présentée devant eux que la tentative de retour au travail de l’adhérent témoignait davantage de sa sincérité ou d’un degré d’ouverture manifesté par son employeur, plutôt que de la fin de son invalidité totale. D’autant plus que le retour au travail de l’adhérent qui conduit, à brève échéance, à un nouvel arrêt en lien avec l’invalidité initiale sera vraisemblablement réputé être une continuation de celle-ci, en vertu d’une clause de rechute et récidive incluse au contrat.
En fait, la structure même du contrat nous amène à considérer que tant que l’adhérent, pour des raisons reliées à son état de santé, n’est pas en mesure de réintégrer pleinement ses fonctions, le risque assuré continue de se manifester, du moins dans les cas où la diminution, quantitative ou qualificative, de la prestation de travail demeure significative. Cette interprétation permet de concilier à la fois la notion d’invalidité substantielle, entérinée par la Cour Suprême dans l’arrêt Sucharov, avec le constat selon lequel l’adhérent, en vertu du contrat, ne peut qu’être, sauf exception, soit totalement invalide soit totalement apte au travail.
[nos soulignements]
[300] En dernier lieu, en réponse à un argument supplémentaire postulé par la SSQ, précisons qu’il est évident que la SSQ est présente afin d’indemniser un sinistre, et ce, si le risque survient[94]. En l’espèce, le risque est d’ailleurs survenu, à plusieurs reprises. Certes, la « prévention » à proprement parler n’est pas indemnisable mais nous n’y sommes pas en l’espèce, et ce, vu le comportement des parties pendant toutes ces années - et ce, tel que déjà abondamment relaté.
L’ARGUMENT SUBSIDIAIRE DE LA SSQ
[301] À l’étape des plaidoiries, l’avocate de la SSQ soulève, à titre d’argument subsidiaire mais sans trop insister, que la demanderesse ne serait pas invalide totalement, en ce qu’elle ne se qualifierait pas, non plus, en vertu de la dernière portion de la définition d’invalidité prévue au contrat. Plus particulièrement, celle-ci ne serait pas en état d’incapacité résultant d’une maladie qui nécessite des soins médicaux et qui empêche complètement la personne d’accomplir les tâches habituelles de son emploi ou de tout autre emploi analogue comportant une rémunération similaire qui lui est offert par l’employeur.[95]
[302] L’argument est le suivant : Mme C..., étant capable d’occuper son emploi, à 4 jours/semaine, à 80% du salaire, serait donc, au sens de la définition précitée, en mesure d’occuper un « autre emploi analogue comportant une rémunération similaire qui lui est offert par l’employeur ».
[303] Avec égards, cet argument est mal fondé. La preuve soumise ne démontre nullement que l’employeur, soit la Commission scolaire, a offert un autre emploi à la demanderesse. En fait, la preuve est plutôt à l’effet contraire : M. Guérin, du Syndicat, qui a témoigné devant le Tribunal - et dont la preuve n’est nullement contredite - mentionne clairement qu’aucun poste « à temps partiel » n’est ou ne peut être offert à Mme C....
[304] « Elle a un poste à temps plein », rappelle-t-il.
[305] Ainsi donc, la preuve ne démontre nullement qu’un autre emploi analogue ait été offert à la demanderesse.
[306] En effet, la SSQ tente de plaider, mais sans insister, que le litige pourrait éventuellement être transposé en un différend autre en ce que la Commission scolaire aurait, plaide-t-on, une obligation d’accommodement en l’espèce visant à intégrer Mme C... dans un poste à 4 jours/semaine.[96] Là n’est pas, cependant, la question en l’espèce. De toute façon, la preuve soumise ne supporte pas les fondations d’un tel argument.
[307] Le Tribunal conclut donc, pour l’ensemble des motifs précités, que la demanderesse a droit de recevoir les prestations qu’elle réclame. Les Conclusions du présent Jugement seront donc conséquentes.
LE QUANTUM DES PRESTATIONS
[308] À cet égard, les avocats, en début de Procès, ont produit un document d’admission dûment contresigné par ceux-ci, se lisant ainsi :
Les parties, par l’entremise de leurs avocats soussignés, admettent que le quantum du présent litige quant aux prestations d’assurance salaire réclamées par la demanderesse est d’une valeur de 17 280,03$ et ce, pour la période du 26 août 2016 au 30 avril 2019 et que les intérêts et l’indemnité additionnelle se computent à chaque échéance mensuelle des prestations considérant qu’il s’agit d’un contrat à exécution successive.
[309] Par voie de conséquence, et vu la conclusion du Tribunal quant à la question principale soumise, le Tribunal condamnera la SSQ à payer ladite somme, à jour[97] au 30 avril 2019.
[310] Reste donc la question des dommages réclamés, en surplus, par la demanderesse.[98]
LA DEMANDE RELATIVE AUX DOMMAGES MORAUX
[311] Les avocats, encore une fois quant à cette question, ne s’entendent pas relativement au cadre d’analyse applicable.
[312] Mais
débutons avec les éléments de convergence plutôt qu’avec ceux qui sont
divergents. En effet, personne ne met en doute l’application, ici, des
articles
1607. Le créancier a droit à des dommages-intérêts en réparation du préjudice, qu’il soit corporel, moral ou matériel, que lui cause le défaut du débiteur et qui en est une suite immédiate et directe.
1611. Les dommages-intérêts dus au créancier compensent la perte qu’il subit et le gain dont il est privé.
On tient compte, pour les déterminer, du préjudice futur lorsqu’il est certain et qu’il est susceptible d’être évalué.
1613. En matière contractuelle, le débiteur n’est tenu que des dommages-intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir au moment où l’obligation a été contractée, lorsque ce n’est point par sa faute intentionnelle ou par sa faute lourde qu’elle n’est point exécutée; même alors, les dommages-intérêts ne comprennent que ce qui est une suite immédiate et directe de l’inexécution.
[313] Maintenant, quant aux divergences.
[314] Essentiellement, l’avocat de la demanderesse soumet que des dommages moraux peuvent être octroyés en l’espèce, et ce, même sans la preuve d’une faute de la SSQ. Pour ce faire, celui-ci invoque l’arrêt Sun Life du Canada, compagnie d’assurance-vie c. Fidler[99], de la Cour Suprême du Canada. La demanderesse réclame, en conséquence, la somme de 8 000$ en dommages moraux.
[315] L’avocate de la SSQ, au contraire, rappelle que cet arrêt de la Cour Suprême émane, à l’origine, d’une province de Common Law, soit de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique. Cet arrêt n’aurait pas été incorporé, en tant que tel, en droit civil québécois et ainsi donc, la preuve d’une faute[100] (autre que le non-respect, en soi, d’une obligation contractuelle) serait ici nécessaire. La preuve ne démontrant pas, soumet-on, l’existence d’une telle faute, la réclamation pour dommages moraux devrait échouer.
[316] La Cour Suprême s’exprime comme suit dans Fidler :
56 En l’espèce, la première question est de savoir si le contrat d’assurance-invalidité visait notamment à procurer un avantage psychologique faisant en sorte que, au moment de la conclusion du contrat, les parties pouvaient raisonnablement prévoir que la violation du contrat leur causerait une souffrance morale. Nous estimons que oui. Le marché conclu stipulait qu’en contrepartie du paiement des primes, l’assureur verserait des prestations à la demanderesse en cas d’invalidité. Il ne s’agit pas d’un simple contrat commercial. Il s’agit plutôt d’un contrat procurant des avantages matériels, comme des paiements, et des avantages immatériels, comme l’assurance d’une sécurité de revenu en cas d’invalidité. Si l’assuré devient invalide et l’assureur fait défaut de verser les prestations prévues par la police, ce dernier porte atteinte à cette expectative raisonnable de sécurité.
57 La souffrance
morale est une conséquence que les parties au contrat d’assurance-invalidité
peuvent raisonnablement prévoir advenant un défaut de versement
des prestations prévues. L’avantage immatériel que procure un tel
contrat est la perspective pour une personne de continuer à jouir d’une
sécurité financière lorsque l’invalidité l’empêche de travailler et, donc, de
gagner un revenu. Si l’assuré se fait injustement refuser les prestations,
il peut se trouver dans l’impossibilité de subvenir à ses besoins. Cette
pression financière s’ajoutant à la perte de son travail et à l’invalidité va
vraisemblablement accroître l’angoisse et le stress de l’assuré. De plus,
l’assuré invalide est confronté à la difficile tâche de pallier la perte de
revenu causée par le refus de l’assureur de verser les prestations. Voir D. Tartaglio, « The Expectation of Peace of Mind : A Basis for
Recovery of Damages for Mental Suffering Resulting from the Breach of First
Party Insurance Contracts »
58 C’est précisément pour se protéger contre cette insécurité et ce stress financiers et émotionnels que les gens souscrivent des polices d’assurance-invalidité. Retarder sans justification le bénéfice de cette protection peut causer un stress énorme. Les dommages-intérêts accordés à Mme Fidler pour la souffrance morale découlaient de la violation du contrat par Sun Life. Accepter l’argument de cette dernière selon lequel l’indemnisation de ce préjudice était assujettie à l’existence d’une faute indépendante donnant ouverture à action équivaudrait à entériner [traduction] « l’incohérence conceptuelle consistant à obliger un demandeur à démontrer plus que le simple fait que la souffrance morale était une conséquence raisonnablement prévisible de la violation » (O’Byrne, p. 334 (en italique dans l’original)).
59 La deuxième question est de savoir si l’intensité de la souffrance morale en l’espèce justifiait qu’une indemnité soit accordée. Là encore, à notre avis, la réponse est oui. Le juge de première instance a conclu que la violation du contrat par Sun Life a causé à Mme Fidler une perte substantielle qu’elle a subie pendant cinq ans. Il a conclu en fait que [traduction] « la perte des prestations d’invalidité a véritablement causé [à Mme Fidler] une détresse et un inconfort additionnels substantiels » (par. 30 (nous soulignons)). La preuve, notamment une preuve médicale volumineuse attestant le stress et l’inquiétude qui ont affligé Mme Fidler, étayait amplement cette conclusion. Le juge a estimé que le simple versement des arrérages et de l’intérêt ne compensait pas Mme Fidler pour les années où elle avait été privée de prestations. En lui accordant 20 000 $, il a voulu l’indemniser des conséquences psychologiques découlant de la violation du contrat par Sun Life, conséquences que les parties à un contrat de services et d’avantages personnels comme celui qui nous occupe peuvent raisonnablement prévoir. Nous souscrivons à la décision de la Cour d’appel de ne pas intervenir à cet égard.
[nos soulignements]
[317] L’avocat de la demanderesse soumet ainsi que cet arrêt devrait ici être appliqué et la responsabilité de la SSQ devrait être retenue, même sans l’existence, le cas échéant, d’une preuve indépendante de l’existence d’une faute. En d’autres termes, il s’agirait, ni plus ni moins, en présence d’une violation contractuelle (en matière d’assurance salaire) et d’un préjudice moral, d’une responsabilité « no fault », en ce que la preuve d’une faute ne serait pas nécessaire.
[318] Cette application serait d’autant plus simplifiée que le contrat d’assurance est un contrat où les parties, dont l’assureur, doivent agir avec « la plus haute bonne foi ».[101]
[319] L’avocat de la demanderesse réfère d’ailleurs le Tribunal à quelques décisions rendues par les Tribunaux québécois[102] où les Juges réfèrent aux enseignements dans Fidler.
[320] L’avocate de la SSQ, pour sa part, soumet que cette décision, nous provenant d’une province de Common law, n’a pas et ne doit pas être incorporée en droit civil québécois.
[321] À cet égard, le Tribunal fera siens les propos de l’Honorable Juge Geneviève Marcotte, siégeant à ce moment à la Cour Supérieure, mais siégeant dorénavant à la Cour d’appel du Québec, lorsqu’elle mentionne, dans l’affaire P.R. c. RBC Compagnie d’assurance-vie[103] :
Dommages moraux
[253] R... se fonde sur l’arrêt de la Cour suprême dans Fidler c. Sun Life du Canada, compagnie d’assurance-vie[87], pour réclamer des dommages moraux.
[254] L’affaire Fidler confirme la possibilité en common law d’octroyer des dommages-intérêts en réparation du préjudice moral causé par la violation d’un contrat d’assurance invalidité collective, lorsqu'un tel préjudice moral est démontré et qu'il est d'une intensité suffisamment grande pour justifier une indemnisation. Cette jurisprudence qui découle de la common law canadienne ne semble toutefois pas avoir été intégrée complètement en droit civil québécois.
[255] Dans l’affaire L’Excellence, compagnie d’assurance-vie c. D.L.,[88] bien qu'elle évoque ce principe de « l'expectative de tranquillité d'esprit » développé par la Cour suprême dans Fidler, la Cour d'appel n’a pas eu à se prononcer sur l'opportunité de l’appliquer en droit civil québécois, de manière à donner lieu à l'octroi de dommages moraux. Dans ce cas, elle a refusé d’octroyer les dommages moraux réclamés vu l’absence de démonstration de l'existence d'un préjudice moral y donnant ouverture.
[256] Dans Lebel c. Compagnie d’assurance-vie RBC[89], la juge Trahan exprimait pour sa part une certaine ouverture face à l’applicabilité des principes de l’arrêt Fidler en droit québécois en ces termes :
« […] Le Tribunal est d'avis qu'il ne répugne pas à l'esprit du droit civil de s'inspirer de la notion d'expectative de tranquillité d'esprit élaborée par Lord Denning et reprise par les tribunaux des provinces de common law et même par les tribunaux québécois en matière de vacances et de voyages. Que l'on soit en common law ou en droit civil, le but recherché par l'assuré aux termes de polices d'assurance-invalidité n'est-il pas le même : la tranquillité d'esprit, l'assurance que si le risque assuré se produit, les indemnités seront versées et permettront à l'assuré de pouvoir continuer à vivre sans s'inquiéter de sa situation financière. »[90]
[257] Néanmoins, en l’absence d’une preuve d’un tel préjudice, elle refusait d’octroyer de tels dommages, bien qu’elle ait reconnu l'existence de l'invalidité et le droit de l'assuré de bénéficier de la police d'assurance et des prestations d'invalidité longue durée conformément au contrat.
[258] De l'avis du Tribunal, le fait pour l'Assureur de ne pas avoir respecté ses obligations contractuelles ne donne pas lieu à des dommages extracontractuels, sans la démonstration précise d'une faute reposant sur d'autres bases que celle du défaut de respecter l'obligation contractuelle déjà sanctionnée par l’indemnité prévue au contrat.[91]
[259] Le Tribunal estime qu'il n'y a pas eu ici faute distincte ou mauvaise foi de l'Assureur donnant lieu à l'octroi de dommages additionnels.[104]
[nos soulignements]
[322] Dans l’affaire Cohen c. Lloyd’s Underwriters[105], à laquelle réfère l’avocat de la demanderesse, il est utile de remarquer que l’Honorable Chantal Lamarche, J.C.S., bien qu’elle réfère aux principes de l’arrêt Fidler, précité, s’en remet également aux enseignements de la Cour d’appel dans Bédard Martin c. Intact, compagnie d’assurances inc[106], et ce, en ces termes :
[162] Dans Bédard Martin c. Intact, compagnie d'assurances inc.[89], la Cour d’appel explique que l’assureur qui exerce ces droits de manière fautive doit réparer le préjudice qu’il cause par sa conduite :
[45] Dans leur action, les appelants allèguent que la conduite infamante d’Axa lors du procès devant le juge Gosselin, et depuis, leur a causé un préjudice tant de nature patrimoniale que de nature extrapatrimoniale. Les divers postes réclamés par les appelants - et sur lesquels je reviendrai - ne découlent pas d’une obligation de payer. Ils sont fondés sur la violation par Axa de son devoir de respecter les règles de conduite qui s’imposent à elle de manière à ne pas causer de préjudice à autrui. Un manquement à ce devoir entraîne, comme on le sait, la responsabilité de réparer le préjudice causé, qu’il soit corporel, moral ou matériel. Je précise que, en principe, un assureur a le droit de faire enquête au sujet d’une réclamation d’assurance et même de faire un procès à son assuré, sans que sa responsabilité extracontractuelle soit engagée. Mais s’il exerce ses droits de manière fautive, il devra réparer le préjudice causé par sa conduite. La doctrine et la jurisprudence reconnaissent ce principe.
[nos soulignements]
[323] Ainsi donc, en l’espèce, le Tribunal - bien qu’ayant conclu à l’existence d’un manquement à une obligation contractuelle - ne conclut pas à l’existence, à la lumière de la preuve produite, d’une faute externe à ce manquement contractuel.
[324] Certes, le « revirement de situation » semble, pour la demanderesse, abrupte en 2016, d’autant plus que la SSQ et son directeur médical ne contactent pas, à ce moment le médecin traitant de la demanderesse[107]. Le Tribunal, ceci dit, ne considère pas qu’il s’agisse là, en soi, d’une faute justifiant l’octroi de dommages moraux.
[325] Conséquemment, en l’absence de faute, la réclamation pour des dommages moraux doit être rejetée.
[326] De plus, la trame factuelle, à l’égard des dommages moraux allégués, appelle certains commentaires additionnels:
i) Le délai dans la réponse formulée par la SSQ, à compter du mois d’août 2016, s’explique, du moins en partie, par l’imbroglio ayant résulté du non-envoi, par erreur, du rapport médical de la Dre Charbonneau;
ii) En effet, le rapport en question fut transmis, par la demanderesse, à la Commission scolaire mais non à la SSQ;
iii) Or, cet « oubli » ne peut être imputé à la SSQ, la demanderesse et son avocat concédant que la « personne aux ressources humaines de la Commission scolaire » a, en effet oublié de transmettre le rapport à la SSQ;
iv) L’on doit noter que le défaut de la SSQ de verser les prestations concerne 1/5 du salaire autrement reçu par la demanderesse, l’impact donc de cette situation, sans vouloir le minimiser, est assurément moindre que dans d’autres cas d’espèce;
v) La preuve démontre, de l’admission même de la demanderesse, qu’elle a bénéficié, de 2009 à 2016, d’une belle et productive collaboration de la part de la SSQ;
vi) Ainsi donc, et à moins d’adhérer à la théorie d’un certain complot[108] débutant en août 2016, force est d’admettre que la SSQ s’est certes, avec égards, trompée quant à la teneur de ses obligations - comme le présent Jugement le confirme d’ailleurs - mais cela n’équivaut pas, ipso facto, à la commission d’une faute;
vii) Certes, le ton employé dans les lettres du mois de juillet 2016 (celles du 4 et du 25 juillet) semblent trancher, jusqu’à un certain point, avec plusieurs des lettres précédentes produites au dossier. Ceci étant, à la révision de l’ensemble des lettres, il est faux, avec égards, de prétendre que ces lettres étaient les premières adressées à la demanderesse qui comportaient « des délais à respecter »;[109]
viii) Le fait que la lettre de M. Denis Giguère, datée du 25 juillet 2016, suive exactement 21 jours après celle du 4 juillet - qui elle-même accordait un délai de 21 jours - ne démontre pas, avec égards, un empressement de la part de ce dernier. D’ailleurs, cette même situation était survenue, tel qu’il appert de la pièce P-4, le 1er et le 22 avril 2015, ainsi qu’à d’autres occasions tel qu’il appert de la preuve documentaire;
ix) Il est également important de noter que ledit Denis Giguère, soit celui qui aurait supposément pris en grippe la demanderesse, apparait au dossier bien avant le mois de juillet 2016. En effet, son nom apparait à de nombreux endroits à même les notes d’intervention (P-3), lesdites interventions étant d’ailleurs, à tous égards, favorables aux demandes formulées à ce moment par Mme C... et par son médecin traitant.
x) De toute façon, la preuve soumise révèle assurément une frustration de la demanderesse quant à ce « nouveau » traitement de son dossier, mais la preuve ne démontre pas, par prépondérance, l’existence de dommages moraux en tant que tels;
[327] Par conséquent, le Tribunal considère que la demanderesse n’a pas démontré, par prépondérance de preuve, l’existence d’une faute de la SSQ. Le fait pour la SSQ de se tromper quant à la portée réelle de ses obligations ne constitue pas, en soi, une faute.[110]
[328] En l’absence de faute, la réclamation pour dommages moraux doit être rejetée.
LA DEMANDE RELATIVE AUX DOMMAGES PUNITIFS
[329] Vu la conclusion relative aux dommages moraux, et en particulier à l’absence de faute de la part de la SSQ, il va de soi qu’une conclusion conséquente doit être tirée en ce qui concerne la réclamation de la demanderesse pour des dommages punitifs.
[330] Ceci dit, le Tribunal tient à préciser que la réclamation quant à ceux-ci aurait tout de même été rejetée même si la conclusion avait été différente quant à l’existence d’une faute donnant ouverture à une condamnation pour dommages moraux.
[331] L’article
1621. Lorsque la loi prévoit l’attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.
Ils s’apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l’étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers.
[332] La demanderesse soumet, en l’espèce, que la SSQ n’a pas respecté son obligation de bonne foi[111], et que le droit à la dignité[112] de celle-ci aurait été, en conséquence, bafouée.
[333] L’article 49 de la Charte québécoise[113] prévoit tout de même ce qui suit, en matière d’attribution de dommages punitifs :
49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.
En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.
[nos soulignements]
[334] En l’espèce, la preuve ne démontre pas l’existence d’une atteinte illicite et intentionnelle de la part de la SSQ. Encore une fois, la prise d’une décision, avec égards, erronée, ne constitue pas automatiquement une faute, et encore moins une atteinte illicite et intentionnelle aux droits de la demanderesse.
[335] Pour reprendre l’expression imagée utilisée par l’avocate de la SSQ, rien ne démontre que la SSQ « a voulu mettre Mme C... dans le trouble. »
[336] Nous sommes, en l’espèce, en effet, à des années-lumière de la trame factuelle rapportée dans l’arrêt Whiten c. Pilot Insurance Company[114], émanant de la Cour Suprême du Canada.[115]
[337] Certes, une trame factuelle aussi extrême que celle dans Whiten n’est pas à tout coup nécessaire afin de justifier l’octroi de dommages punitifs.
[338] Comme le rappelle récemment la Cour d’appel dans Tardif c. Succession de Dubé et autres[116] :
[92] La juge a erré en condamnant les
appelantes à payer des dommages-intérêts punitifs en l’absence d’atteinte
intentionnelle de leur part et alors que la preuve ne permettait pas de
soutenir une telle conclusion. Comme la jurisprudence l’établit, il y aura
atteinte illicite et intentionnelle au sens de l’article
[93] La Dre Tardif et SSQ ont été négligentes, mais il n’y a aucune preuve qu’elles aient agi intentionnellement pour nuire à Mme Dubé.
[nos soulignements]
[339] Cependant, la preuve soumise par la demanderesse ne permet pas, ici, de justifier quelconque condamnation de la SSQ au paiement de dommages punitifs.
[340] Ce chef de réclamation sera donc également rejeté.
LES CONCLUSIONS DEMANDÉES
[341] Le Tribunal n’a pas de boule de cristal. Ainsi, il ne peut savoir ce qui surviendra, dans les prochains mois, voire les prochaines années, et ce, quant à l’état de santé de la demanderesse.
[342] Ceci étant, dans l’optique où le présent Jugement en vient à revêtir l’autorité de la chose jugée, le Tribunal n’a aucun doute que la défenderesse continuera d’honorer, en conformité avec celui-ci, et en conformité avec le contrat d’assurance, les prestations qui deviendront dues, et ce, au bénéfice de la demanderesse.
[343] Ainsi donc, la Conclusion requise par la demanderesse d’ORDONNER à la défenderesse de maintenir les prestations d’assurance collective de la demanderesse n’a pas à être prononcée. Cela va de soi, si la situation, évidemment, se maintient, et ce, sans que le Tribunal prononce une ordonnance de cette nature pour le futur.
[344] Le Tribunal n’a aucun doute que les parties respecteront le contrat d’assurance D-1, le tout à la lumière des conclusions du présent Jugement. Ceci dit, le Tribunal ne peut présumer qu’aucun « changement » ne surviendra, dans le futur, quant à l’état de la demanderesse.
[345] Cela semble, cependant, hautement improbable.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
ACCUEILLE partiellement la Demande introductive d’instance de la demanderesse;
RECONNAIT l’état d’invalidité de la demanderesse au sens du Contrat d’assurance, pièce D-1;
CONDAMNE la défenderesse à payer à la demanderesse la somme de 17 280,03$, et ce, pour la période du 26 août 2016 au 30 avril 2019, les intérêts au taux légal ainsi que l’indemnité additionnelle se computant à chaque échéance mensuelle des prestations dues;[117]
CONDAMNE la défenderesse à poursuivre le versement, à la demanderesse, de toutes les prestations d’assurance invalidité exigibles et devenant dues, le cas échéant, en conformité avec les conclusions du présent Jugement et en conformité du Contrat D-1;
REJETTE la demande de la demanderesse quant à l’octroi de dommages moraux et punitifs à l’encontre de la défenderesse;
LE TOUT, avec les frais de justice en faveur de la demanderesse;
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__________________________________ STEVE GUÉNARD, J.C.Q. |
Me Michel Davis RIVEST SCHMIDT Avocat de la demanderesse
Me Jacynthe Carrier POULIN CARRIER, S.E.N.C. Avocate de la défenderesse
Date d’audience : 10 et 11 avril 2019
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[1] Voir la Déclaration commune signée par les avocats.
[2] Qui témoignera lors du Procès, voir ci-après.
[3] Pièce D-11, soit la « ligne du temps » soumise par SSQ.
[4] À quelques mois près.
[5] Pièce P-7.
[6] Voir les Pièces P-9 à P-13.
[7] Par l’entremise du rapport, et du témoignage, du Dr. Rasmy Loungnarath - Pièce D-5.
[8] Dans l’optique où cette détermination s’avère nécessaire en l’espèce.
[9] En effet, la SSQ, par l’entremise de son avocate, soumet qu’elle n’a pas à faire la preuve d’un quelconque « changement » dans l’état de Mme C.... La SSQ soumet, en effet, que le Tribunal doit rejeter la Demande de celle-ci dans l’optique où la preuve en vient à démontrer que Mme C... ne se qualifie pas (ou plus), en août 2016, au sens de la police.
[10] La preuve est quelque peu imprécise à cet égard.
[11] Soit donc 6 mois à chaque période de 3 ans.
[12] Cette situation lui causant beaucoup de stress comme elle en témoigne. « Ça me stressait beaucoup de laisser mes autres enfants à la maison », ajoute-t-elle.
[13] Les parties ne s’entendent pas sur la date exacte de début de cette période bien que cette détermination - précise - importe peu en l’espèce.
[14] Une école avec la cote 10, soit une cote établie par le Ministère de l’éducation - 10 étant la cote la plus basse pouvant être octroyée, illustrant donc une école en zone particulièrement défavorisée.
[15] L’expression exacte utilisée lors du Procès étant « je pelte dans la cour de mon conjoint »;
[16] Certaines d’entre elles ne sont pas, en soi, notées, en ce qu’elles ne constituent que « des amorces » pour préparer le 2ième cycle qui débute en 3ième année.
[17] Ceci dit, nous verrons ci-après que ce type de lettre avait déjà été utilisée - par la SSQ - à son endroit dans les années précédentes. Nous y reviendrons.
[18] Mme C... précise d’ailleurs que cette période est également difficile en ce qu’elle apprend le décès de son frère. « Nous avons dû organiser les obsèques de ce dernier pendant cette période ».
[19] Voir la lettre, en particulier, produite sous la Pièce P-4.
[20] Tel qu’elle le confirme en contre-interrogatoire, sa clientèle est majoritairement adulte.
[21] Environ un par mois précise-t-elle.
[22] Soit une maladie, comme elle l’explique, où « l’on ne peut pas revenir en arrière ». Ceci dit, il peut arriver que cette maladie soit, pendant certaines périodes, asymptomatique.
[23] Le meilleur exemple étant l’utilisation, potentielle bien que non certaine, d’un « sac » visant à recueillir, à l’extérieur du corps, les matières fécales.
[24] Pièce D-9.
[25] L’entrevue en question a duré environ 40 minutes.
[26] Pièce D-5.
[27] Daté du 29 octobre 2014. Certains autres scans n’étant plus disponibles vu l’écoulement du temps - bien que le Dr. Loungnarath confirme qu’il n’a pas tenté, non plus, d’en obtenir une copie.
[28] Soit l’expression qu’il utilise à de nombreuses reprises, particulièrement au cours de son témoignage.
[29] Le Dr. Loungnarath témoigne à l’effet qu’il a effectué une recherche en ce sens et qu’il n’a pu répertorier quelconque étude confirmant - scientifiquement donc - un tel lien.
[30] Les experts pouvant demeurer en salle d’audience, normalement en tout temps - bien qu’aucun des avocats n’a requis, en l’espèce, l’exclusion des témoins (279 C.p.c).
[31] La SSQ produit également, à titre de pièce D-7, une courte note additionnelle du Dr. Loungnarath qui, après avoir pris connaissance de la plus récente correspondance de la Dre Charbonneau, conclut de la même façon à l’effet qu’il ne peut affirmer qu’un lien existe entre le stress et la diverticulite aiguë.
[32] Sa note d’honoraires, par ailleurs, est produite à titre de Pièce D-10. La SSQ réclame les frais de justice, mais n’insiste nullement, ni lors de sa preuve et encore moins lors de sa Plaidoirie, à cet égard.
[33] Pièce D-1.
[34] Contrairement à d’autres contrats où la définition se module au moment du transfert entre l’invalidité dite « de courte durée » et celle de « longue durée ».
[35] Le début du paiement de la rente d’invalidité, pour sa part, débute à la fin desdites 104 semaines, voir l’article 4-6 01 dudit Contrat, D-1.
[36] Le 10 novembre 2007 - voir la Pièce D-2.
[37] Pièce D-11.
[38] Voir la Pièce D-4 entre autres.
[39] Mme Goulet précisant qu’elle a, dans le cas de Mme C..., vérifié spécifiquement si une telle entente fut conclue - la réponse étant négative.
[40] Les notes résumant celle-ci se retrouvent d’ailleurs produites en Pièce D-4 (les notes étant datées du 22 septembre 2009).
[41] Voir la pièce P-18 (entente 2015-2020), dont le contenu serait identique aux versions précédentes, conformément au témoignage de M. Robert Guérin.
[42] 2416 CCQ.
[43] Le dossier ayant été pris en gestion d’instance, le tout en conformité avec le Code de procédure civile.
[44] Et qui a d’ailleurs rédigé une panoplie d’ouvrages et d’articles en Droit des assurances alors qu’elle était avocate.
[45]
[46]
[47]
1993 CanLII 151 (CSC),
[48]2005 CanLII 10604 (QC CQ).
[49]
[50] 1999 CanLII 12195 (QC CS).
[51] Nous reviendrons, ci-après, sur la question du retour dit progressif.
[52] Évidemment, un tel exercice d’interprétation est normalement nécessaire lorsqu’il est possible de déceler l’existence d’une ambiguïté au contrat.
[53] En pièces P-5 et D-3.
[54] Pages 29 et 30 de la Pièce P-5.
[55] Page 33 de la Pièce P-5.
[56] En page 13 de 53 de la Pièce P-5.
[57] Page 35 de 53 de la Pièce P-5.
[58] Cette note est à toutes fins reproduites le 2013-02-12, en page 36 de 53 - pièce P-5.
[59] Page 38 de la Pièce P-5.
[60] Page 39 de la Pièce P-5.
[61] Page 40 de la Pièce P-5.
[62] Page 41 de la Pièce P-5.
[63] Page 41 de la Pièce P-5.
[64] Page 43 de la Pièce P-5.
[65] Page 44 de la Pièce P-5.
[66] Page 46 de la Pièce P-5.
[67] Voir en particulier les Pièces P-6 et P-8.
[68] Voir également, en pièce P-15, la lettre du Dr. Charbonneau, datée du 15 novembre 2011, transmise à la Financière Sun Life (assureur-vie de la demanderesse) dans lequel elle précise, essentiellement, les mêmes éléments.
[69] Mais non pas, semble-t-il, le « Directeur médical ».
[70]
Tout en tentant de modifier, rétroactivement, sa décision à la lumière des
commentaires du Dr. Hendricks obtenus en décembre 2016. Voir les enseignements
de la Cour d’appel dans l’arrêt Sponner c. Québec (Commission des affaires
sociales),
[71] Comme le plaide, mais sans insister, l’avocate de la SSQ en l’espèce.
[72] Tel que concédé, d’entrée de jeu, par l’avocate de la SSQ, lorsque le Tribunal s’est enquis, en levée de rideau du Procès, s’il pouvait être utile que les médecins se rencontrent.
[73] La dernière référence documentaire - directe - à un retour à temps complet date du 6 octobre 2010, où la SSQ mentionne qu’elle considère que Mme C... sera apte à reprendre son travail à temps complet le 1er janvier 2011 (voir Pièce P-3).
[74] Qui signifie En premier ne pas nuire.
[75] Voir par analogie Croze c. Financière Manuvie compagnie d'assurance-vie, 1999 CanlII 12214, au paragraphe 55 dudit Jugement - celui-ci ayant été confirmé en Cour d’appel : 2002 CanLII 63525 (QC CA).
[76]
Par analogie : 3424626 Canada inc c. Protege Properties inc,
[77] Cette notion d’invalidité étant une notion juridique, beaucoup plus que médicale, tel que la jurisprudence l’a reconnu à de nombreuses reprises.
[78] Voir notamment les décisions Rose c. The Paul Revere Life Insurance Company, CA12601 (de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique) auquel réfère l’avocate de la SSQ. Dans ce cas, en pages 16 et 17, l’on remarque que la preuve avait établi que M. Rose did no longer suffer from any sickness which required treatment, and thus no longer had any claim under the policy. Quant à l’affaire Andreychuk v. RBC Life Insurance Co., [2008] B.C.J. No. 2307, la preuve avait révélé que la demanderesse was not under the care of a physician for this illness.
[79] Même l’avocate de la SSQ qualifie la trame factuelle de « bizarre » en l’espèce à l’étape des plaidoiries.
[80] Pièce D-8.
[81] De l’admission même de Mme Goulet d’ailleurs - comme nous l’avons vu précédemment.
[82] Ainsi que la règle d’interprétation Contra proferentem invoquée par l’avocat de la demanderesse - bien que l’application de cette notion ne soit pas nécessaire en l’espèce pour en arriver à la conclusion à laquelle le Tribunal arrive.
[83] Cette notion d’employeur est aussi définie au Contrat (1-1 03), et inclut, ce qui va de soi, une Commission scolaire.
[84]
[85]
[86] 2012 QCCA 1150.
[87] 1999 CanLII 11879 (QC CS).
[88] Le Tribunal la paraphrase.
[89]
[90]
[91] Même si la Commission scolaire agissait, dans le cadre de ce litige, à titre « d’assureur ».
[92] 2018 QCCS 345.
[93] L’Assurance collective en milieu de travail, 2ième édition, Éditions Yvon Blais, pages 282 et 283.
[94]
Voir par analogie les enseignements de la Cour Suprême dans La
Métropolitaine c. Frenette,
[95]
L’avocate de la SSQ réfère également le Tribunal à l’affaire Boivin c. SSQ,
de la Cour Supérieure en 1997 -
[96] Tentant ainsi de tempérer les inquiétudes soumises par Mme C... qui considère qu’elle se retrouvera « dans un vide juridique » si la SSQ est libérée de son obligation de couverture eu égard à sa condition de diverticulite chronique.
[97] En capital.
[98] En effet, toute la question de la « renonciation/waiver », soit l’argument subsidiaire soumis par l’avocat de la demanderesse, devient sans objet vu la conclusion relative à la question principale - conclusion qui est favorable à la position de celle-ci.
[99]
[2006] 2 RCS 3,
[100] 1457/1458 CCQ.
[101]
Uberrimae fidei, soit l’expression latine référant à cet important
concept en droit des assurances. Voir les enseignements de la Cour d’appel
dans Barrette c. L’Union canadienne, compagnie d’assurances,
[102]
En particulier Quesnel c. Desjardins Sécurité financière, compagnie
d'assurance-vie,
[103]
[104]
Voir également les enseignements de l’Honorable Juge Marc-André Blanchard,
J.C.S., dans Ste-Marie c. La Compagnie d’assurance-vie Manufacturers,
[105]
[106] 2018 QCCA 162.
[107]
Certes, l’analyse de la conduite de la SSQ doit référer à l’ensemble du
processus d’enquête et du processus décisionnel - comme
le rappelle la Cour Supérieure dans Cohen c. Lloyd’s Underwriters -
[108] La bonne foi se présumant - 2805 CCQ.
[109] Voir notamment, à titre d’exemple, les lettres datées du 1er et du 22 avril 2015 (P-4). Voir également - en Pièce P-8 copie de la lettre du 2 novembre 2009 de la SSQ (Mme Valérie Paquet) à Mme C... (aucun délai précis n’y est mentionné bien que l’on demande à celle-ci de transmettre une série d’informations « dans les plus brefs délais ». Voir également les lettres datées du 1er décembre 2009 et du 22 décembre suivant qui comportent, justement, un délai de 21 jours (pièce D-4). Voir également la lettre du 2 avril, du 21 avril, du 10 septembre 2010, ainsi que les lettres du 9 et du 30 juillet 2012, du 3 décembre et du 27 décembre 2012, du 17 juin et du 8 juillet 2013, ainsi que du 9 juin 2014.
[110]
Voir, par analogie, les propos de l’Honorable Juge Céline Gervais, J.C.Q., dans
l’affaire Quesnel c. Desjardins Sécurité financière - compagnie
d’assurance-vie,
[111] Articles 6,7 et 1375 CCQ.
[112] Article 4, en particulier, de la Charte des droits et libertés de la personne. L’avocat de la demanderesse, ceci dit, n’insiste pas trop sur ce point.
[113] RLRQ c C-12.
[114]
[115] Et provenant de la Cour d’appel de l’Ontario.
[116]
[117] Et ce, vu la nature du contrat, soit un contrat à exécution successive.
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